Un Québécois à New York

 

(MIND THE GAP)

 

Roland Michel Tremblay

 

 

 

Éditions T.G.

 

 

 

 

 

 


 

Voici un Extrait d'un Québécois à New York. Si vous désirez écrire un article ou un commentaire sur les sites où le livre est en vente (et copier l'éditeur avec ce commentaire), demandez-moi une version complète et je vous l'enverrai gratuitement (format DOC, PDF ou LIT). Si vous êtes journaliste, vous pouvez demander une copie gratuite du livre imprimé.

 

 

 

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Où acheter les livres de Roland

 

Michel Tremblay

 

 

Les quatre livres publiés aux Éditions iDLivre sont distribués dans toute la francophonie : France, Québec, Belgique, Suisse, Afrique et Moyen-Orient. Il suffit de commander en librairie si les livres ne sont pas sur les rayons.

 

Un Québécois à Paris et Un Québécois à New York sont pour le moment en vente en France dans certaines librairies de Paris : FNAC, Virgin Megastore, Les Mots à la Bouche, Blue Book. Il sera bientôt offert à la grandeur de la France et du Québec.

 

 

 

C’est probablement plus rapide de les acheter en ligne :

 

 

Les 6 livres :

 

À la Page : http://www.alapage.com

 

Amazon.fr (sous deux noms différents, alors faites une recherche sur Roland Tremblay pour trouver mes 5 livres) : Roland Michel Tremblay et Tremblay Roland Mich) : http://www.amazon.fr

 

 

Un Québécois à Paris et à New York seulement :

 

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Les quatre premiers livres seulement pour le moment :

 

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Si vous avez de la difficulté à les acheter, contactez-moi, j’en ai plusieurs exemplaires.

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

 

 

Roland Michel Tremblay écrit depuis qu’il a dix ans, sérieusement depuis ses 17 ans. Il a écrit plus de 16 livres de tous les genres dont 5 sont publiés à Paris. Il est également scénariste, recherchiste et consultant scientifique pour la télévision et le cinéma. Il a une maîtrise de littérature française de l’Université de Londres, Birkbeck College. Il est né à Québec en 1972 et habite maintenant Londres.

 

Il a joué un rôle important au niveau du développement de la série télévisée Black Hole High qui passe en ce moment dans le monde entier et plus spécifiquement sur le réseau NBC aux Etats-Unis et au Canada. Il a également travaillé sur un film de science-fiction à gros budget d’Hollywood nommé Prometheus Rising qui devrait sortir d’ici deux ans. Enfin, il a travaillé en tant que Development Producer sur un important documentaire à propos d’Albert Einstein pour la PBS aux Etats-Unis avec le directeur Kevin MacDonald (gagnant d’un Oscar).

 

Roland Michel a écrit plusieurs scénarios et synopsis de films et de séries télévisées, et plusieurs compagnies de productions se sont déjà montrées intéressées. Pour plus d’informations lisez son CV sur son site anglophone et visitez ses deux sites francophones :

 

http://www.lemarginal.com

http://www.lemarginal.com/pointdevue.html

 

Il a parlé récemment à la conférence Crossing Borders, Literary Symposium à l’Université de Tulsa à Oklahoma à propos de ses écrits et de la littérature québécoise. Il a également donné une entrevue importante à propos de ses livres et Londres pour une série télévisée nommée Rose/Pink. Cela passera au Québec en janvier 2004 sur le Canal Évasion et possiblement à Musique Plus/Much Music et Télévision Quatre Saisons. D’autres articles et entrevues dont une à Radio-Canada peuvent être lus et entendus sur son site dans la section Articles et Entrevues dans les Médias.

 

Dossier de presse en trois formats :

http://www.lemarginal.com/tremblayrmpresse.htm

http://www.lemarginal.com/tremblayrmpresse.doc

http://www.lemarginal.com/tremblayrmpresse.pdf

 

 

 

 

Du même auteur publié chez aux Éditions T.G. :

 

Un Québécois à Paris

 

 

Du même auteur publié chez iDLivre Éditeur :

 

 

L'Anarchiste (Poésie), Denfert-Rochereau (Roman), L'Attente de Paris (Roman), L'Éclectisme (Essai)

 

Pour plus d'informations veuillez visiter le site de l'auteur ou le contacter:

www.lemarginal.com  et  rm@themarginal.com

 

44E The Grove, Isleworth, Middlesex, Londres, TW7 4JF, Angleterre

 

Un Québécois à New York © 2004, Roland Michel Tremblay

ISBN: 2-914679-12-2

 

Éditions T.G., Paris

pedro@textesgais.com   http://www.textesgais.com

 

 

 

 

 

 


Un Québécois à New York

EXTRAIT (les 50 premières pages de 270)

 

 

1

 

J’ai passé la journée avec Renaud, il me faut l’éviter sinon je risque d’avoir des sentiments pour lui. Il est vraiment temps que Sébastien arrive. Je pense que quelque chose se passe. Il y a séduction mais nous sommes tous les deux dans une autre relation. Il est impensable que je laisse Sébastien, et Renaud est, disons, moins beau. Mais tout cela n’est-il pas relatif ? On parlait que je fasse un strip-tease et qu’il me fasse un massage. Cela n’arrivera pas, mais si oui, ce n’est pas moi qui dirai non. Le problème, c’est qu’il faut des sentiments pour passer à l’acte, j’en ai, mais ils ne sont pas très forts. Le problème, c’est que je ne veux pas les amplifier. Mais je ne veux pas de cul sans sentiment. Il me faudrait me tenir tranquille, mais à chaque fois que je le vois, je le désire un peu plus. On parle et je bande. Heureusement, il ne s’en rend pas compte. On ne parle que de sexe, c’est affreux, et de cela, on n’a pas l’air de s’en rendre compte.

 

Nous sommes allés manger avec deux de ses amis, et c’était dur de ne plus pouvoir lui dire ce que je voulais. Son copain, on l’a vu ce matin quand on est allés chez lui prendre un café. J’ignore s’il s’imagine des choses ; il semblait ne pas s’inquiéter outre mesure. J’ai lu ses dix pages sur la fidélité dont il m’avait parlé. Ça semble plutôt être dix pages sur un gars qui lutte contre ses désirs. C’est devenu une crise obsessionnelle. Le gars qui lui a permis d’écrire ça, était, paraît-il, le plus bel homme jamais vu. Renaud voulait coucher avec l’Apollon, Renaud l’a repoussé, et le regrette amèrement. Il aurait mieux fait de coucher avec lui ; il aurait été inspiré pour écrire un livre complet ensuite.

 

Renaud se laisse séduire par moi, quelle erreur ! Je me laisse séduire aussi, quel malheur ! Il ressemble tellement à Ed que je ne sais plus faire la différence. Avec l’un je me sens comme avec l’autre. Il m’a dit qu’il partait pour Chartres ce week-end. Ça m’a fait un choc de savoir qu’il ne m’appellerait pas avant lundi ou mardi. Je commence déjà à m’ennuyer, c’est grave. Il faut que Sébastien arrive, sinon je ne réponds plus de mes actes. Le 11, je déménage dans une plus grande chambre. J’espère que Sébastien ne sera pas aussi distant qu’il l’a été au téléphone depuis quelque temps, à croire qu’il a rencontré quelqu’un, alors je ne comprends pas qu’il veuille venir ici. La musique peut-elle accaparer son attention au point qu’il m’oublie ? J’espère que oui, sinon c’est inquiétant. Et s’il m’avait trompé ? Dans le doute, j’ai bien envie de sauter sur Renaud. Il semble avoir une grosse bosse, c’est important ça, les grosses bosses. Il a dit à la blague que ma bosse ne semblait pas grosse ; il me faut donc lui prouver qu’elle n’est pas petite, d’où l’idée du strip-tease. Je ne sais ni où ni comment cela pourrait se faire, s’attend-t-il à ce que je l’invite ? A-t-il vraiment cette intention ? À quoi sert une telle introduction sur la fidélité si c’est pour enfin coucher avec moi la semaine d’après ? Sommes-nous à la merci du premier beau bébé qui débarque ? Peut-être n’est-il qu’un allumeur : il se plaît à flirter et à parler de sexe sans vouloir aller plus loin. Le problème, c’est qu’il pourrait bien se laisser prendre à son jeu. Je ne lutterai pas, s’il veut, on fera des choses. Mais je suis incapable de faire les préliminaires. Je serais incapable de lui prendre la main, il pourrait me la retirer, ce serait une situation intenable. Ne suis-je pas trop gros ? Le plan d’action est là, il me faut faire un strip-tease et lui demander un massage. Manquent le où et le quand.

 

J’ai l’impression que Renaud me fait oublier qu’il existe un univers extérieur à Paris. C’est bien. J’aimerais m’en faire un vrai ami sans que cela aille jusqu’au sexe. Les amis ne sont-ils pas doublement intéressants lorsqu’on les désire ? Franklin et Antonin seront de vrais amis pour moi, et j’en suis heureux. Croyez-le, j’ai l’impression qu’il est plus simple de se faire de vrais amis sincères à Paris que n’importe où ailleurs. Ce me semble être des gens intelligents, éveillés à la vie, simples et attachants.

 

Je m’en vais à Pigalle, souper, que dis-je, dîner chez Franklin. Dorothée y sera avec son bébé ; depuis le temps que l’on m’en parle, j’ai hâte de voir.

 

Je suis à la station Pigalle, il est minuit passé, je me sens davantage à l’aise ici qu’à la Sorbonne. Quoique j’ai bue du vin. Dorothée est mieux que je l’avais imaginée, et son bébé aussi. On a parlé de dépression, de psychologues où il fallait un transfert d’amour ou de haine. Quel bullshit. Dorothée a dernièrement payé 460 boules à une voyante, Antonin capotait. Elle te raconte ton avenir par téléphone, par micro-ondes, why not ? On est à Paris.

 

Je suis à la Gare du Nord. Pour la première fois je suis heureux d’être à Paris. J’aime tellement ça que je pense que je ferais n’importe quoi pour demeurer ici. Canada ? No way. Peut-être pas pour finir mes jours en France, mais pour quelques années ce serait bien. Je ne puis comprendre pourquoi mais, d’être à Paris, peu importe ce que je fais, me semble être la réussite, la vraie. Et juste de retourner au Canada serait la fin de mes rêves. Alors je vais rester, je crois. De toute manière je me sens bien ici. C’est drôle qu’il me faille être sur l’alcool pour arriver à affirmer une telle chose. Mon bébé s’en vient, je crois que tout sera bien. Je me demande ce que pensent mes parents de moi. Paris semble tellement impensable. J’ai vraiment fait tout ce que j’ai voulu faire. Il n’y a pas de limites. Maintenant, si je pouvais trouver un moyen de travailler, tout sera accompli. Je pourrai mourir tranquille, pour reprendre Grégoire. Si j’avais pu prévoir en 90 que j’y habiterais quelques années plus tard, mon voyage eût été différent alors. Je ne connaissais même pas la Sorbonne à l’époque. Est-ce que les gens d’autres pays rêvent également d’une grande ville impossible à atteindre ? Qu’en est-il des Canadiens-Anglais ? Ils pensent sans doute à Londres et New York.

 

 

 

2

 

Anne Hébert, une des plus grandes écrivaines du Québec qui vit maintenant à Paris, sera le 9 février à la librairie Dédale, 4 ter, rue des Écoles. [ Note de l’éditeur : Anne Hébert est maintenant décédée. ] J’y serai également. Elle a 80 ans, je vais lui proposer de venir prendre un café avec moi. Je vais lui demander ce qu’elle pense de porter à l’écran son livre, Les Enfants du sabbat. Je me charge d’écrire le scénario, quelles sont les démarches à suivre, et tout et tout. Je vais lui dire que mon ami François est intéressé à faire le film. J’espère qu’il le sera effectivement en apprenant que j’ai l’accord d’Anne elle-même. J’ai bien hâte de voir. Peut-être est-elle trop vieille ? Alors, je vais être obligé de lui demander sur place. Elle est si belle sur la photo de son nouveau livre, Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais. Une histoire d’inceste avec un soldat à Valcour, Québec. Pourquoi toute cette nostalgie ? Pourquoi demeurer à Paris si elle s’ennuie tant des campagnes québécoises ? L’histoire est bonne, elle aurait pu en faire un livre de trois cents pages, mais c’est vrai que ça aurait été ennuyant. Quoique Le Premier jardin n’était pas ennuyant et que c’était long. Les Enfants du sabbat, ça, par exemple, c’est effrayant. Jamais je n’aurais cru qu’une Québécoise puisse écrire un tel livre. Et ça m’en prend beaucoup pour dire cela. Anne pourrait bien être aussi intraitable que la folle Créthien au bureau des étudiants étrangers de la Sorbonne, ou bien gentille et intéressée à un pauvre type comme moi qui crève de faim. Alors il faudra remercier ma jeunesse, ma beauté et mon audace. Si elle est bête, je vais l’envoyer chier. Mais si belle, je doute qu’elle puisse être bête. Tout au plus, elle pourrait refuser ou être dans l’incapacité de me recevoir ou venir prendre un café avec moi. La photo sur le livre est vieille, ça se voit qu’elle n’a pas 80 ans là-dessus. Elle a l’air d’être sur la drogue sur la photo, elle semble comateuse avec ses os brûlés et ses prunelles arrachées. Son obsession des cours d’eau, des arbres, des os et des mains en bois, des corps qui se cassent comme des arbres et tout. Elle écrit souvent sur les mêmes thèmes depuis 1942. Elle est demeurée la petite fille de 15 ans qui fantasme, elle écrit comme une jeune fille. On ne dirait pas qu’elle a 80 ans, j’ai vraiment hâte de voir comment ça va tourner. Je vais l’inviter à prendre le thé, je suis prêt à payer alors même que je n’ai plus un sou. C’est une femme, et la galanterie existe encore de nos jours, malheureusement. Je l’inviterai au Sarah-Bernhardt, mais c’est trop long de couloirs de métro pour y arriver. Elle ne s’abaissera pas à aller dans un café aussi nul. Je pense que je vais lui laisser me nommer un café où elle a l’habitude d’aller : pourquoi pas l’inviter au Banana café le jeudi même ? J’aurais mille et une questions à lui poser, mais j’ignore si elle sera insultée, car je n’ai lu que ses trois livres de poésie, Le Premier jardin et Les Enfants du Sabbat. Si j’avais le temps, je passerais pour moins cave, mais c’est dans ma nature d’être cave et de parler sans savoir. Comme à la conférence d’Élisa T., une auteure de ma région qui a écrit Des Fleurs sur la neige, le drame vécu d’une enfant battue. Ce livre est le plus grand best-seller du Québec, plus de 100,000 copies vendues en 20 ans, et Céline Dion a joué Élisa dans la mini-série à la télévision. J’avais rien lu de ses livres et j’étais le seul à poser des questions. Je pense qu’on ne s’est pas rendu compte de mon ignorance. La pauvre Élisa ne s’est même pas sentie attaquée par moi qui lui cherchais des poux. J’espère que je vais pouvoir me tenir tranquille avec Anne, peut-être pourrait-elle devenir une amie ? Ce serait trop drôle. Serais-je rendu au point où mes amis pourraient avoir 80 ans ? Elle me semble ouverte en tout cas, pas mal plus que la majorité des croûtons qui existent sur la planète. Elle pourra mourir d’ici peu, elle pourrait bien vivre encore 20 ans. Est-ce que l’on meurt jeune ou vieux à Paris ?

 

 

 

3

 

Je capote littéralement. Je ne tiens plus à terre. Je viens de recevoir une invitation de la directrice de la Maison des étudiants canadiens de Paris (MEC) pour aller voir Anne Hébert, c’est donc déjà beaucoup plus officiel. J’ai lu la moitié des Enfants du sabbat, je vois très bien le scénario, les parties et sous-parties. Paraît que l’adaptation cinématographique de son livre, Les Fous de Bassan, c’était raté. Mais que Kamouraska c’était extra. Mon problème, c’est que j’ai l’air trop jeune. Et si elle a le malheur de vouloir connaître ma crédibilité, il me faudra lui dire que je n’ai absolument aucune œuvre à mon actif. Que du passif, madame, et non, je n’ai pas seize ans. C’est ça que me disait Maurice hier ; il croit qu’elle va éclater de rire, trouvera ça charmant, mais va me dire un non catégorique. Je me demande même si je devrais m’habiller en gamin de 14 ans. Calotte beige, gilet Peace and Love/The Smiths que m’a donné Claude, culottes déchirées. Le contraste sera encore plus frappant. Mais moi c’est sérieux, je n’ai pas tellement de temps à perdre avec des projets qui ne déboucheront pas, je suis pressé d’atteindre le ravin, moi, madame. Et puis on ne sacrifie pas inutilement ses études à la Sorbonne de Paris.

 

Je fais des cauchemars toutes les nuits ; j’arrive dans des classes où les professeurs me font comprendre que si je ne commence pas à étudier maintenant, c’est foutu. Et là je regarde autour pour voir si Renaud est là, et Renaud n’est pas là. Et je panique, car je ne fous rien. Et Sébastien qui arrive la semaine prochaine. Mon beau petit ourson poilu qui arrive la semaine prochaine. Comme ce sera bien de l’avoir près de moi, le toucher, l’embrasser, lui faire l’amour, ah ça, aucun doute, je ne penserai même plus au petit Renaud.

 

La fin du monde est à nos portes, c’est le 8 février, bientôt le mois de mars, le calvaire aussi, je le sens. Aujourd’hui, je rencontre Renaud après mon cours de M. Tapin. On se rencontre à Place de la Sorbonne en face du Baker’s Dozen ; mais ce sera difficile parce qu’il me faudra éviter Maurice qui justement terminera son cours à la même heure que Renaud. À se demander s’ils ne sont pas dans la même classe. Aujourd’hui, je rencontre Renaud et j’ignore si l’on va se retrouver ou chez lui ou chez moi. S’il veut aller prendre un café et que je vois qu’il ne m’invite pas, je vais l’inviter. Mais ici à la MEC c’est difficile, il y a des espions en arrière de chaque porte. Je le sais, j’ai été l’espion personnel de France, une amie. En plus, l’un viendra cogner à ma porte, c’est immanquable. Alors l’acte sexuel se fera peut-être. Du moins le massage, et nous garderions une conscience claire. Quelle idiotie. Il dira tout à son copain, il me l’a dit hier. Alors il risque la relation avec son copain, il dit qu’ils pourront en discuter et que tout ira bien. Mais alors, on ne pourra plus se voir, je suppose. Et peut-être que Sébastien viendra à le savoir ? Playing with fire, yes it burns and I’m still burning, disait Alison Moyet. Je suis pris entre deux eaux. Pressé de faire déboucher quelque chose avec Renaud avant l’arrivée de Sébastien, mais en même temps l’arrivée de Sébastien me calmera. Et s’il était laid, nu, le Renaud ? Je n’y avais pas pensé à cela. Il n’est peut-être pas comme Edward. Quelles sont les conséquences ? Trop de conséquences imprévisibles dans cet acte. Il aura des problèmes avec son Habib et cela pourrait finir. Et mon Sébastien pourrait l’apprendre, par moi en plus. Ce serait trop infernal, pour une histoire de branlette comme diraient Franklin et Maurice. Pour une histoire de branlette, nous voilà prêts à sacrifier le monde entier, jeter une bombe sur l’histoire pour une heure ou deux de bonheur dans les bras de Renaud. Mais je ne veux plus m’empêcher de vivre, car je ne suis pas convaincu que Sébastien au Canada s’empêche de vivre, et on regrette toujours de ne pas avoir agi quand c’était le temps. Les dix pages sur la pseudo-fidélité de Renaud sont significatives.

 

 

 

4

 

Ma journée a été illuminée hier soir tard, lorsque j’ai parlé avec Renaud. Je savais bien que si je m’attendais à être illuminé, je le serais.

 

J’ai présenté Renaud et Maurice avant le cours aujourd’hui. Je prends le risque, lequel risque qu’il ne prend pas. Il s’est rasé lui aussi, le pauvre, ça saignait encore. On va prendre un café... avec Maurice. C’est peut-être mieux ainsi ? Un café, connerie, à Paris on passe notre vie à boire du café... et de la bière. Knonenbourg, 1664, Stella Artois. Pas de Fin du Monde, de Black Label ou Molson Canadian. R.E.M. en spectacle, j’ai pas d’argent. Comment se débarrasser de l’intrus ? Ils ont le même cours, j’y serais allé plutôt que d’assister au cours de Tapin qui radote pour la première fois quelque chose que je connais : l’utilisation des temps de verbes dans les descriptions ou récits. Je vais partir, je pense, acheter un sandwich. Ou, tiens, je vais regarder le Pariscope.

 

          [ Aujourd’hui, il est venu dans ma chambre, mais nous sommes avec Maurice, alors je ne sais pas si nous allons faire l’amour. Il n’a pas l’air décidé. ]

 

C’est Renaud qui a écrit cette phrase entre crochets. Il a lu mes écrits. J’ignore s’il avait écrit autre chose, ça n’a pas enregistré. C’est du mépris cette phrase. Et même si cela n’en est pas, je la veux méprisante. Je viens de relire ce qu’il a lu. Je peux comprendre sa réaction. Il a fui et m’a fait comprendre que Sébastien arriverait et que ce serait à moi de prendre une décision ensuite. J’ai vu cela comme un échec et me voilà prêt à le balancer, orgueilleux que je suis. Mais je crois qu’il est prêt à laisser son Habib pour moi, puisqu’il me dit que j’ai une décision à prendre. J’ai même l’impression que je lui ai fait comprendre qu’il était impensable que je laisse Sébastien. Je regrette tout ce que j’ai fait. J’ai compris ce soir que je ne le voulais pas, qu’effectivement il faudrait que je laisse Sébastien pour lui et que c’est une décision que je ne pourrais prendre. Et du sexe, je suppose que ni lui ni moi n’en avons besoin puisque nous avons chacun quelqu’un. Et ça aussi il me l’a dit, qu’il était heureux et qu’il n’avait pas besoin d’aller voir ailleurs. Plus personne ne lira ce que j’écris. Les gens connaissent soudainement ce que je pense et moi c’est tout le contraire. Les gens changent toute leur façon de voir les choses, changent leur comportement du tout au tout, et moi je dois soudainement tenter de voir ce qui s’est passé, pourquoi ils réagissent de la sorte. Dans le fond, c’est peut-être moi l’allumeur, moi qui joue avec le feu et qui finis par me brûler. Trop de franchise n’aide jamais. Mais on ne tète jamais avec la franchise. Renaud m’a dit qu’après le cours de latin il ne pourra pas demeurer avec moi, il doit aller travailler. Je n’irai pas au cours de latin. Moi, l’école, c’est fini. Renaud m’a fait chier quand il m’a avoué qu’il travaillait chez un grand éditeur. Fait chier comme ce n’est pas possible. Il m’a menti, parce qu’il avait peur que je veuille profiter de lui, pour un poste de correcteur dans un comité de lecture. Inquiète-toi pas, j’en veux pas de ton aide, j’m’en fous pas mal d’où tu travailles, et je veux surtout pas que tu t’imagines que je veuille profiter de toi. Esti que la vie est plate. Un calvaire. C’est vrai que j’ai besoin de mon Sébastien et qu’il faut que je me calme. Je ne l’ai pas trompé et j’en suis heureux. C’est la seule chose qui compte finalement. Tout le reste n’en vaut pas la peine. Je ne suis pas artiste, je ne suis pas écrivain, faudrait pas que je me flingue pour autant, mais je sais que j’aime Sébastien. Je voudrais faire disparaître Renaud de ma vie, et Maurice, et tout le monde. Je voudrais changer de vie, partir d’ici, parce que je collectionne maintenant les échecs avec mes amis. Ces amis qui ne parlent que de rouages et de succès dans la vie. Et je n’en puis plus de les écouter. Ils me disent des choses que je sais, des choses que je ne veux pas m’avouer, des choses qui bouffent mes dernières motivations. Je déteste Paris. Ils se sont inventés une vie sociale à laquelle je ne veux adhérer. J’en ai assez que tous et chacun viennent me faire comprendre que je me prends pour un autre et que je n’ai aucune chance de réussir. J’en ai assez de tout ce monde qui se débat pour arriver quelque part en société et qui pense qu’ils arrivent au bout du tunnel parce qu’ils achèvent leur maîtrise à la Sorbonne. J’en ai assez de tout le monde, de leurs simagrées, de leurs productions, de tout. J’en ai assez.

 

 

 

5

 

Renaud m’a téléphoné à 7 heures ce matin pour me dire d’arriver à l’avance au cours de latin. Comme c’est drôle. Alors je suis arrivé 10 minutes à l’avance, en même temps que lui. On s’est encore parlé sur papier, même s’il ne voulait pas, et ça a été lourd. C’est moi qui commence à parler :

 

          — T’as fini de cruiser les filles ? Je sens que tu peux me faire des reproches, je me sens mal à l’aise. Je m’excuse si je t’ai fait du tort, ce n’étaient pas mes intentions. Si tu as quelque chose à me dire, vas-y, je suis prêt.

 

          Il m’accuse de me servir de lui pour compléter mon œuvre, et du coup de ne pas être naturel ou sincère.

 

          — Hier, je voulais tout effacer parce que j’avais honte. Je ne me sers pas de toi pour mon œuvre. En ce qui concerne la sincérité, il me semble que de t’avoir laissé lire mes pensées est une bonne preuve de franchise. Surtout qu’il y a certaines phrases que tu pourrais interpréter de façon différente. Tu crois que je ne suis pas naturel avec toi ? Je ne comprends pas, je ne t’ai rien caché, je ne joue pas un jeu avec toi. Si tu vois des contradictions d’avec mes écrits, c’est bien simple, les choses évoluent. Ce que je pense la veille, le lendemain je pense à autre chose. Et je sais qu’un jour Sébastien lira ces écrits, alors je modère ce que je dis. En quoi ne suis-je pas naturel ou sincère ?

 

          Il affirme que je n’agis qu’en pensant à ce que cela pourrait donner dans mes écrits. Que ce n’était plus une fin, mais un moyen.

 

          — Tu radotes, je ne m’abaisserais pas à agir en fonction de mes écrits, sinon mes actions seraient beaucoup plus éclatantes. Je sortirais davantage. Je n’arrive pas à croire que tu dises ça. Si j’ai retranscris notre conversation sur l’ordinateur, de prime abord c’est qu’il me fallait faire disparaître le papier et que j’aimais relire notre conversation. Et puis, je ne peux pas me battre contre toi, tu es libre de penser, mais ça me désole que tu penses cela. Et si effectivement tu en es convaincu, je m’inquiète vraiment pour notre future amitié. Je ne vais quand même pas me mettre dans des situations franchement éprouvantes afin d’écrire une page ou deux dans mes écrits, c’est absurde. Au contraire, je ne t’ai rien caché et je crois que toi tu ne m’as rien dit de toi. J’ai l’impression que tu vas m’arriver avec une foule d’autres choses. Mais je ne te cache pas que le but de mon existence, c’est d’acquérir des expériences de toutes sortes, pas pour mes écrits nécessairement, mais pour me faire avancer dans la vie. C’est le sens que je donne à mon existence, et il est vrai qu’en chaque personne que je rencontre j’ai effectivement l’intention d’apprendre des choses. Tu sembles avoir beaucoup à m’apprendre, j’espère qu’on aura cette chance. Écoute, je te promets d’effacer tout ce qui te concerne sur mon ordinateur et de faire comme si je ne t’avais jamais rencontré dans mes écrits. Tu peux croire ce que je dis, je suis « sincère ». Est-ce que c’est OK ? Je ne voudrais pas que tu penses que je suis un ami superficiel ou pas sincère, car alors il n’y a pas d’amitié. Et des copains et des copines d’étage, j’en ai à ne plus savoir où les mettre. Je juge que ton amitié pour moi est plus importante que mes écrits. Pourquoi ne t’écouterais-je pas vraiment ? Je n’ai pas l’habitude de ne pas respecter mes amis, mais je t’avoue que je suis franc et direct. Mais c’est un défaut de ma personnalité sur lequel tu ne dois pas trébucher. Je n’ai pas l’habitude non plus d’avoir des moitiés d’amis, je ne suis pas très sociable avec les gens avec qui la communication ne passe pas. Je m’excuse, c’est vrai qu’on ne se connaît que depuis peu. Je suis aussi extrémiste, c’est pourquoi je vis toujours dans les hauts et les bas de la vie. Heureusement que ça ne prend pas grand-chose pour illuminer une journée ou une partie de journée. La vie est tellement plate. Et toi ? Tu aurais confiance en moi ?

 

 

 

6

 

Ma relation avec Renaud devient de plus en plus bizarre. Il devient distant. J’ai l’impression qu’il est sur le bord de me dire qu’il ne veut plus rien savoir de moi. Je l’ai poussé à bout. Il y a des amis comme cela avec qui ça ne marche pas, on a exagéré quelque part et le tout s’est envolé. Je dois maintenant l’extraire de mes écrits, alors je lui ai fait un fichier à part, le Chapitre Renaud. Il faut qu’il ignore que je n’ai rien effacé de nos conversations. Il m’a demandé aujourd’hui si je regrettais de ne pas avoir couché avec lui. Je ne regrette pas, mais j’aurais voulu lui dire que oui. Compromis, je lui ai dit que c’était difficile de répondre à cause des conséquences d’un tel acte. Sébastien arrive après-demain, je l’ai réalisé aujourd’hui, car je commençais mon déménagement dans la chambre plus grande. Mon beau Sébastien, je suis demeuré fidèle tant que j’ai pu. Une semaine de plus et c’en était fini, je crois. À moins que Renaud ne soit qu’un allumeur, et je le pense, parce que Maurice m’a dit que Renaud le draguait dans son cours. Cours où, sur 12 gars, huit sont officiellement gais. Il y en a partout, partout, partout. Le gars en face de ma chambre, il est encore dans le placard. Il a vu tous les films gais que j’ai vus dernièrement, moins Les Roseaux sauvages qu’il veut d’ailleurs voir. Il connaît de A à Z tous les producteurs de films de notre siècle avec tous les acteurs, les titres, en musique aussi, effrayant. C’est juste un indice de plus qui s’ajoute à la façon bizarre qu’il a de regarder les hommes qui l’entourent. Il vivait avec un gai à Ottawa, il fallait qu’il lui rase le poil du dos. Heeurk ! Peut-être qu’il aimait ça !? Mon nouveau voisin l’est aussi ; selon Maurice, c’est écrit dans sa face, il est du type que l’on rencontre à Montréal. Il étudie en théâtre. En plus j’en ai partout dans mes cours, le Renaud en a dragué un au Queen qui est justement dans notre cours de latin. Je lui ai demandé comment il avait pu draguer au Queen, danser avec le gars alors qu’il désire rester fidèle ? Il a dit que ce n’était pas une contradiction. Allumeur ! Allumeur ! Et il m’accuse de me servir de lui. C’est plutôt lui qui va se servir de moi pour terminer sa nouvelle sur l’infidélité. Il en a écrit une page et demie hier, et il en écrira autant aujourd’hui, puis ce sera terminé. Ça lui prenait une heure d’écrire un paragraphe avant. Depuis huit mois il a beaucoup de problèmes avec ses parents, ils sont en crise parce que l’enfant modèle de la famille est gai. Ils lui ont proposé un psychologue, un psychiatre, une automobile flambant neuve et n’importe quoi d’autre pour qu’il change d’orientation sexuelle. Le meilleur, paraît qu’en ville il y a un imbécile qui affirme qu’avec des pilules on peut redevenir hétérosexuel ; les parents de Renaud l’ont exhorté à les essayer. Renaud a tout refusé, il ne leur dit surtout pas que son copain est arabe, ce serait la fin du monde, ils sont hyper racistes. Bref, Renaud est convaincu qu’ils vont être au courant bientôt ; il croit que ses parents ont payé un détective privé pour enquêter sur son cas. Quel beau roman tout cela ferait.

 

 

 

7

 

Sébastien est encore sorti dans un bar tapette d’Ottawa hier. Il a été au restaurant Mother Tucker, a dû manger un gros steak, il a reçu des roses aujourd’hui de ses amis, ils lui ont payé un danseur nu hier. Ça m’a mis en christ. Tu vas dans une salle en arrière avec le gars et il te fait un strip-tease. J’ai une certaine misère à croire que ce strip-teaseur ne te touche pas, j’ai longtemps entendu parler que c’était du sexe, que tu pouvais les toucher et les sucer. Sébastien me dit tout ça et il s’imagine que je vais rire. Ça me donne juste envie de coucher avec le premier du bord. Quel est donc le problème de ses amis ? Il part pour quatre mois, c’est pas la mer à boire ! Un strip-teaseur, pourquoi pas un prostitué ? Quel genre d’amis a-t-il ? Ils veulent accélérer notre rupture ? Ça va marcher, parce que moi les sacrifices inutiles j’en ai plein mon casque. Je ne sors pas au Queen parce que mon Sébastien paniquerait, il sort deux fois en deux semaines, il se fait même payer un strip-teaseur. Le sacrifice est inutile, j’aurais mieux fait de coucher à droite et à gauche, profiter de la vie. Come on Antonin et Franklin, Maurice, Renaud, André et Cie. Je me demande pourquoi Sébastien vient en France, il devrait rester là-bas, je serais enfin libre de faire ce que je veux. Considérerais-je de le laisser ? Je suis peut-être juste un peu trop sur le coup de ce téléphone. Il ne voulait pas me le dire, qu’il dit, foutaise, il sait très bien que je l’aurais su. Il me fait dégueuler, il ne me dit que ce qui n’est pas dangereux que je sache. Pensez-vous qu’il n’a rien à se reprocher depuis trois ans et demi ? Ça vaut la peine que je ne m’arrête pas de vivre, parce que je sais bien qu’il n’est pas un tronc d’arbre et que le sacrifice est inutile, il conduit à la jalousie et à la destruction. Sébastien avait bien honte en sortant de la petite salle avec l’autre qui devait être d’une beauté effrayante. J’espère que c’est effectivement le cas, moi je suis loin et je n’existe plus. Ce soir j’ai envie de sortir, destination Champs-Élysées, le Queen.

 

J’ai bien envie de raconter ma rencontre d’hier avec Anne Hébert, mais je suis trop en maudit et je détruirais tout le monde, les méprisant à tort pour ce qu’ils ne sont pas. Une petite journaliste téteuse de Radio-Canada entre autres, un autre con d’un journal quelconque. Le délégué aux Affaires culturelles de la Délégation du Québec, un esti de snob qui ne voulait même pas s’abaisser à me serrer la main quand le mari de la directrice nous a présentés. Heureusement que tout s’est bien déroulé avec Anne, elle va effectivement devenir ma grande amie, ainsi que son petit ami de 22 ans, André. Il s’est précipité sur moi après la conférence pour me demander d’où me venait ma passion pour Anne Hébert. J’ai eu l’air de connaître son œuvre en long et en large, trois misérables questions qui ont impressionné tout le monde et qui m’ont ouvert toutes les portes. L’éditrice du Seuil, section auteurs québécois, me regardait lumineusement et m’a donné le nom et le numéro de téléphone de la femme à qui je dois téléphoner au Seuil pour faire déboucher mon idée de scénario. Elle m’a dit qu’elle croyait que je n’aurais pas de problème, je connais tellement l’œuvre d’Anne. La pauvre Anne m’a fait pitié. Elle a le goût de vivre, un intarissable sourire, elle m’a semblée bien seule. Elle voulait mon numéro de téléphone et mon adresse, elle veut me rencontrer, moi qui espérais pouvoir au moins lui parler. J’ai été la vedette de la soirée, j’ai volé la vedette à Anne ! Sans trop vouloir m’imposer pourtant, on m’a emmené directement au milieu. J’avais ma future éditrice en face de moi (sic), Anne de l’autre, mon futur copain André (sic), sa vieille tante (sic) libraire qui a reçu Anne la première année qu’elle est arrivée à Paris. Et tout ce beau monde, je vais les revoir. Si c’est vrai qu’il faut être pistonné pour arriver quelque part, voilà ma chance.

 

 

 

 

8

 

Je ne reviens pas à la vie, je m’enfonce encore plus, n’ayant pas plus de deux heures à ma disposition chaque jour. Sébastien, par sa seule présence, à vivre dans la même pièce, rien n’est plus possible. Mourir à faire une seule action, une demi-journée de perdue. Encore à trois heures nous irons courir dans le parc Montsouris, ce parc qui emplit ma vue de la fenêtre, heureusement cette vue ne m’appelle pas à elle. Je n’ai aucun remords à demeurer enfermé dans la chambre. On se lève à une heure de l’après-midi, on se couche avant minuit. Voyez comment on peut perdre une vie à dormir.

 

Je passe ma vie à faire des cauchemars ces temps-ci. De la Sorbonne, c’est maintenant sûr, certain et acquis en mon esprit, mes études ont pris le bord. Anne Hébert m’a levé du lit ce matin : à 10h30 elle téléphona, m’invitant à aller prendre un café ce mercredi à 17h. Je lui ai dit que j’emmènerais Sébastien, ma douce moitié inséparable. Maintenant je me demande si je devrais l’emmener. Je crois que oui. Ne serait-ce que pour être sûr qu’il n’y aura aucun blanc dans notre conversation. On emmènera des fleurs et un gâteau. Je viens de terminer de lire Les Fous de Bassan, j’ai lu Héloïse avant-hier, je lirai L’Enfant chargé de songes aujourd’hui, si Sébastien m’en laisse la chance. L’œuvre d’Anne Hébert en une semaine, que je me paye. C’est voir à la queue leu leu tous ses tics d’écrivain, ses expressions qui reviennent, ses comparaisons avec embrayeurs pareil à et comme, ses préférés. Elle est séparatiste, il me faudra donc éviter le sujet. Et Sébastien qui est pro-fédéraliste. Il ne faudrait pas que la guerre éclate. Elle demeure sur la rue de Pontoise, Quartier Latin, un quartier de riches selon Maurice. Des fleurs, surtout emmener les bonnes fleurs, et le gâteau qu’elle pourra manger. Un pain aux bananes, pourquoi pas. Un pain aux bananes pour Mme Hébert. Je n’ai même pas l’impression de le faire dans l’espoir de recevoir quelque chose en retour. Je n’ai pas besoin que l’on m’aide. Cela ne m’empêche pas de continuer à travailler, et je ne suis pas pressé de devenir quelqu’un dans cette société pourrie. Cette impression que cela me fermera plus de portes que de m’en ouvrir. Si l’on me colle une étiquette, je suis foutu.

 

Quelle joie de marcher dans Paris et n’être rien, pas même un écrivain en devenir. Le parc Montsouris nous appartient, nous appartenons à la Terre quand nous n’appartenons pas aux hommes. Anne Hébert, je ne vais chez elle que parce qu’elle est Anne Hébert. Une femme qui a écrit plus de romans que j’en écrirai peut-être, qui a gagné plus de prix que je n’en gagnerai, qui a trouvé sa voie dans Paris comme je ne la trouverai pas et ne veux la trouver. Qu’est-ce qui me lierait à Anne si ce n’était son nom ? Une femme joviale, souriante, pleine de vie, cela ne suffirait pas. Soixante ans de plus que moi, et ce n’est pas comme si j’étais jeune. Jeune, aucun titre, aucune étude, avec vue sur le parc Montsouris. C’est la Réussite. Le ciel gris, des nuages, des arbres sans feuilles, une tour laide qui bloque à peine la vue, une sculpture de pierre affreuse totalement inutile, là pour remplir un parc qui leur a semblé trop vide. Un parc ne sera jamais trop vide, surtout quand il y a six millions de personnes enterrées en dessous. Nul besoin de statues pour le couronner. Mais pourquoi Anne Hébert voudrait-elle me rencontrer ? Ne lui a-t-on pas dit que je suis un jeune inconscient prêt à sacrifier sa mère pour la liberté ? Un ignorant rempli de préjugés, qui l’a jugée avant même de prendre un café avec elle ?

 

          — Vous écrivez, m’a-t-elle dit.

 

          — Ce que j’ai dit ce soir, madame Hébert, tous les étudiants de la planète auraient pu élaborer davantage, lui ai-je répondu.

 

          — Non, il y a plus, ça se voit que vous êtes écrivain.

 

J’ai une aura qui se déplace au-dessus de ma tête, semble-t-il. Serait-ce mon adaptation cinématographique des Enfants du Sabbat qui la pousse à vouloir me rencontrer ? J’aime mieux croire qu’il s’agit de la curiosité d’une grande écrivaine, qui en chaque personne va rencontrer son prochain personnage de roman, ou du moins quelques détails qui le feront devenir plus humain que les humains ne le sont. Une allusion au monde gai depuis que je la lis, à part les deux sœurs au couvent qui voulaient mourir toutes les deux sur la croix, ensemble et dans la jouissance, et qui sont mortes le même jour. Les Fous de Bassan : « Les deux garçons coiffeurs recommencent à chuchoter contre la cloison. Le plus jeune des deux, celui qui a la voix la plus aiguë, s’esclaffe. Ses paroles précises franchissent la cloison, tombent à mes pieds, sur la moquette pelée. " Bonguenne que j’suis ben faite ! " La nuit se referme sur ces mots étonnants et pleins de gaieté. »

 

Elle est comique la Anne Hébert. Coiffeurs, chuchotements, voix aiguë, narcissisme. Tous les clichés du monde gai y sont. Il est temps que j’entre de plein fouet dans sa vie, j’emmène Sébastien, elle va écrire un dernier roman, une histoire d’homosexualité à Paris. Je lui ferai lire mes écrits d’ailleurs, une femme qui a tant écrit, qui a écrit ce qu’elle a écrit, 80 ans ou non, elle va aimer. Ne sommes-nous pas à Paris ? Nous sommes encore dans le passé. L’humanité naîtra enfin en l’an 2000, à ma mort. Les derniers vingt ans n’étaient que préparation, les perfectionnements et l’invention de La Machine qui n’est pas encore arrivée à destination, dans le porte-documents de chaque humanoïde de cette planète. Je la sens la Révolution, elle s’en vient. Je vais mourir lorsqu’elle naîtra.

 

Serais-je que j’appartiens à la vie active de Paris, je me morfonds de lire Céline, j’en ai lu une page au hasard, ça m’a impressionné. J’en entendais partout parler. Ça paraît bien à Paris quand tu dis que tu lis Céline, Renaud disait. Alors je ne voulais rien savoir, mais il semble que sa crise existentielle va trouver preneur chez moi. Je vais changer de sujet de maîtrise, d’Artaud à Hébert : le changement est radical mais nécessaire, je connais maintenant son œuvre en entier, ou presque. Je ne sais cependant pas ce que j’inventerais à ce propos. Peut-être qu’elle pourra elle-même me guider. Je n’emporte rien avec moi, seule la lettre remise à l’éditrice du Seuil à propos du scénario. Je ne veux pas qu’elle pense une minute que je vais me servir d’elle. Renaud l’a cru et maintenant il fuit. Tant pis, le sot, jamais je n’ai compté sur lui. Je sais très bien qu’on ne devient pas quelqu’un comme ça à Paris.

 

 

 

9

 

La semaine passée Renaud m’a bien fait comprendre qu’il ne voulait plus trop entendre parler de moi. Le café qu’on a pris chez Majestic, lui, moi et Sébastien, ne semble pas avoir aidé. On a discuté de religion, et il est tellement croyant qu’on dirait qu’il en est devenu homophobe. À se demander comment il peut encore vivre un tel paradoxe en son esprit. Il est contre les revendications des gais, contre la reconnaissance du couple gai, contre le mariage ou les bénéfices sociaux auxquels ils auraient droit. Pourtant son copain Habib n’a pas la nationalité française, et il sera peut-être expulsé de la France bientôt. Il s’en fout, il est contre la gay pride, les parades, il est anti-gai. D’un autre côté, il drague à la planche, il veut prendre son café dans la galerie où ça drague le plus à la Sorbonne, il quête une cigarette à un gars dont ça se voit qu’il est gai, alors qu’il ne fume même pas. Bref, un allumeur pur et simple. Je lui ai demandé ce qui arrivait avec ceux qui voulaient que ça aille plus loin alors que pour lui ce n’est qu’un jeu ? Il m’a dit qu’implicitement c’est clair que c’est un jeu puisque souvent son copain est juste en face de lui quand il drague. Mais je lui ai dit que les gens pourraient croire qu’il veut le faire à trois. On dirait qu’il découvre le monde. On dirait qu’il s’accepte à un certain niveau, et puis le reste il est presque un militant anti-gai. Il ne demande rien à la société, il estime qu’elle en a assez fait. Peut-être ne se rend-il pas compte que dans cette société, si nous arrêtons d’en demander, elle finira par nous enlever le minimum ? Ça prend juste un gouvernement un peu trop d’extrême droite, un peu trop religieux ou un peu trop opportuniste qui voudra se gagner quelques votes sur notre dos. Bref, sa peur que je me serve de lui l’a fait fuir. Pauvre innocent, à ce rythme il ne se fera pas trop d’amis. Tant pis, je n’ai pas besoin de lui, ni de personne.

 

 

 

10

 

Cher François,

 

Je t’écris cette lettre aujourd’hui, j’ai le temps. C’est moi, lié à toi par nos idéaux, nos goûts, nos orientations, nos vies, puisque je me lance dans l’écriture d’un scénario avec nulle autre qu’Anne Hébert. Je suis vraiment à zéro, ne connaissant rien, je vais me payer des livres sur le scénario pour en connaître la forme et le vocabulaire. Je ne puis prendre la chance de me fourvoyer dans ce projet, trop de choses entrent en ligne de compte. Je t’avoue que si tu veux m’aider et que le projet t’intéresse, j’en serai ravi. Sinon je ferai mes propres démarches, et on verra.

 

On a déjà travaillé ensemble, tu te souviens ? Ce minable travail de sociologie où tu n’avais rien osé dire, qui t’a servi ensuite à montrer que nous étions incapables de travailler ensemble. Ou cette pièce de théâtre, De par les sept lieux, Cégep en spectacle, expérience que tu as trouvée traumatisante. Nul doute, nous étions faits pour accomplir une grande œuvre à nous deux, qui cette fois sera la réussite. Ne serait-ce que pour se prouver que nous sommes capables de travailler ensemble.

 

          À nous deux, je pense que l’on peut en faire une réussite, car tu connais les moyens et nous admirons les mêmes productions. Probablement que Stephen Frears m’inspire et t’inspire aussi. Une autre poésie que se retrouve dans le style du film Swoon, que je t’invite à aller voir si tu peux. Mort à Venise aussi, un peu. Un style pas comme les autres, suggestion, insolite, ne donnant pas toutes les réponses, aucune à la limite, surprenant, étrange, fucké. Mais il ne faut pas sombrer dans l’effrayant, drame d’horreur ou récit narratif du livre, cela n’aurait aucun intérêt. Comment retrouver ce style, ô François, toi qui t’y connais ? Le style des grands du théâtre italien, le grandiose, la prétention des personnages à la limite, un style bien similaire au mien et au tien. Cela serait-il possible ? Dans la grâce et la suggestion. Dans les silences, et cette atmosphère de sentiment d’excitation, comme celui où l’on découvre une nouvelle aventure, une nouvelle rencontre passionnante. Sensation de vide peut-être, d’inquiétude plaisante. Cette poésie des images qui se travaille, je suppose, par des moyens techniques qui me sont inconnus. Tu vois un peu le genre de scénario que je veux faire, et l’on a essayé de me convaincre au Conseil des Arts que ce n’était pas créatif, une adaptation cinématographique d’une œuvre. J’ai l’intention de faire de ce film une œuvre plus grande que le livre lui-même, si cela est possible, lui rendre une poésie plus grande que celle de l’horreur de la fin du livre. En commençant par filmer la moitié du film en noir et blanc. C’est la multiplicité des détails et des idées qui en feront une grande œuvre. La vie est trop courte pour s’enfermer dans une bulle ou se permettre des navets, ou même pire : quelque chose qui serait bon, mais pas plus. Il faut l’excellence, tu en sais quelque chose.

 

Dans trois heures je rencontre Anne Hébert. Je pourrai t’en dire davantage de ce qu’elle pense du projet. J’ignore à quoi m’attendre. Je t’avoue que j’ai un peu peur. Elle me semble plus occupée que j’aurais pu le croire. Je ne sais même pas ce qu’elle pense de moi. J’ai lu toute son œuvre dans la dernière semaine, une vraie indigestion. Je n’ai même pas envie d’en parler, surtout pas à elle. Le petit téteux qui a tout lu et qui maintenant veut les clés et les réponses. Mais voilà, de quoi parlerons-nous ? De moi, bien sûr. En long et en large, je vais lui raconter mes déboires, mes insuccès et infortunes, mes histoires d’amour, mes fantasmes. Et puis je deviendrai son amant, je coucherai avec elle, elle en mourra et j’habiterai son appartement. Scénario simple, me diras-tu, irréaliste peut-être, mais elle est ma night-mère ! comme elle dit.

 

          Si je te racontais ma vie sentimentale, je me répèterais. En résumé, j’ai couché avec Edward, tu le sais, Sébastien a couché avec Ken, j’ai flirté à peine depuis que je suis à Paris. L’arrivée de Sébastien fut difficile, il a tout chambardé mon petit univers, brisant une par une chacune de mes habitudes, comptant pour moi chaque dollar que je dépensais. Ainsi je ne vais plus au cinéma, encore moins au théâtre, n’achète plus de sandwichs, me couche à 23 heures au plus tard, me lève à 13 heures le lendemain, je fais le lavage et la vaisselle pour deux, non pas que je sois la femme du couple, mais Sébastien est vache et si je ne le fais pas, personne ne le fera. Notre chambre est une vraie porcherie de toute façon. Je n’ai plus le temps pour mes projets, moi qui y passais 24 heures par jour de mon temps. C’est assez infernal, mais j’arrive maintenant à ne plus me chicaner avec lui. On recommence à vivre, avec l’été, bien qu’il n’y ait pas eu d’hiver à Paris. Tu vois à peu près le tableau, je suis à la veille de le foutre dehors ou changer de chambre. M’en fous de payer plus cher, il me faut travailler plein temps sur mes projets, sinon je n’arriverai nulle part. Tabarnack, aucun moyen de s’en sortir. Pendant ce temps Sébastien pratique son piano quatre heures complètes par jour et m’affirme qu’il n’a jamais travaillé autant. Qu’est-ce qu’il foutait, lui, à Ottawa ? Je ne veux pas le savoir.

 

Pour tes amours avec Jean, et ce que j’en sais, je t’approuve sous tous les points de vue. C’est tout ce que j’ose en dire dans cette lettre ; ainsi tu pourras la laisser traîner où tu voudras, dans les égouts de la ville de Montréal par exemple.

 

Je suis vraiment fier de toi et heureux que ton court-métrage remporte ce succès et que cela ne fasse que commencer. Je sais que tu vas aller loin et que, même, tu écriras les deux autres projets de scénario qui en font la suite et en feras un long-métrage. Nous allons construire l’histoire, nous sommes la nouvelle génération : que les vieux crèvent, notre place, nous allons la prendre. Les down d’après projet, cela n’existe pas. C’est l’heure où il faut se remettre dans un autre projet plus grand encore. Jamais assez, jamais arrêter. C’est ça la vie d’artiste, mourir tout au bout de son œuvre, s’éclater dans chaque projet. Peu importe le succès remporté ou l’échec. Le seul plaisir de le faire lorsque nous sommes dedans, le reste n’est que frivolités et formalités.

 

Bon, je dois me préparer pour partir chez Anne Hébert. Je vais lui parler de toi, de tes amours tumultueuses, elle sera contente.

 

Je reviens de chez Anne Hébert. Son appartement n’en est pas un de riche, elle habite la même place depuis 25 ans, avec son chat de 12 ans qui s’appelle Petit chat, alors qu’il est gigantesque. Elle avait acheté des gâteaux à la pâtisserie du coin, nous avions apporté une belle tarte aux cerises à 105 francs. On a acheté des fleurs, orchidées, j’espère qu’elle ne pensera pas qu’on cherche à l’acheter. Bref, son univers est tout de même bien, bel appartement, elle a certainement passé une belle vie, je ne crois pas qu’elle se soit ennuyée. Quelques clés ne nous ont pas été données, c’est-à-dire comment elle a réussi à publier ses premiers poèmes au Seuil, si elle a déjà eu des amants et des enfants. Apparemment aucun amant, aucune photo, aucun enfant, sinon ceux du sabbat. On a discuté de religion, elle ne semble pas croyante une miette, ça me soulage. Je l’ai peut-être insultée, qui sait ? Mais revenons aux réalités. On a parlé du film, il ne faudra pas s’enflammer, elle ne semble pas chaude à l’idée de voir ça à l’écran. Elle a déjà refusé à un certain Gaston, metteur en scène je crois, d’en faire une pièce de théâtre. Elle dit qu’il n’a jamais été question pour elle d’en faire un film. Elle semblait vouloir me dire non, mais elle en était incapable. Elle a terminé la soirée en me disant qu’elle réfléchirait et qu’elle rouvrirait le livre. Elle m’a dit qu’elle devait travailler sur d’autres projets en ce moment, ce à quoi j’ai répondu que je peux écrire le scénario et qu’elle pourra le relire ensuite et me dire, si elle n’est pas satisfaite, quoi changer. Elle a dit qu’elle ne voulait pas que je travaille pour rien. J’ai l’impression que je vais recevoir une lettre du Seuil sous peu m’affirmant que c’est non. Bref, elle ne doute pas de ma bonne volonté, elle a peur que je perde le contrôle sur le projet et que le tout finisse en un film d’horreur où règnent l’inceste et l’exorcisme. Elle dit que le monde du cinéma est très ingrat et qu’on se fout de l’auteur, que l’argent arrive avec toute une série d’obligations qui vont conduire à l’échec du film par ces sacrifices. Je lui ai donc dit que nous faisions toi et moi du cinéma indépendant, que nous n’avions donc personne pour nous dicter quoi faire (je lui ai dit n’importe quoi). Je lui ai dit aussi que certaines scènes étaient extraordinaires, par exemple Julie chez le docteur qui trouve que la coiffe des sœurs la brûle. Sa confession chez la mère supérieure où Julie imagine la mère en train de lui mettre la tête dans le seau d’eau. Ou la confession avec le curé où finalement elle ment et le curé le sait. Elle court vers le confessionnal légère comme l’air, et plus elle approche de la chapelle, plus elle devient lourde et n’est plus capable d’avancer. Ou bien l’image du couvent dans la nuit, la scène de la pénitence dans l’église où l’on part du fond de la chapelle pour aller tourner autour du cierge qui montre la présence de Dieu. La chandelle s’éteint et sœur Gemma panique. Elle avait oublié tous ces passages.

 

Elle viendra au concert de Sébastien ce 18 mars, on va aller la reconduire après. Je me demande si elle va se désister.

 

Je te remercie pour tes affiches, elles sont très belles, je les ai accrochées à mon mur chenu et vide. Ça me sacre un bon coup de pied pour me motiver dans mes projets. Ta lettre est très profonde, maintenant que je la relis. Je t’en veux de t’être réveillé 19 mois plus tard que moi à ton homosexualité, mais cela ne pouvait arriver autrement, tu imagines les conséquences ? Tu te souviens de Claude avec qui j’étudiais à Ottawa ? Il ne m’a jamais rappelé après avoir su que j’étais gai. Ou bien peut-être qu’il croyait que je le fuyais, je pense qu’il a un problème psychologique avec ça. Peut-être l’est-il, après tout. Tout est possible. Je me souviendrai toujours quand sa blonde Bibi m’a annoncé, lorsque nous faisions du ski ensemble lors de notre cours au collège, qu’elle avait couché avec un mineur, c’est-à-dire Claude. Il couchait dans ma chambre à Ottawa chaque semaine après nos sorties dans les bars d’Ottawa et de Hull. On ne peut pas lui enlever ça, il est crissement beau le maudit. Ah, si j’avais pu le réveiller lui aussi, miam, miam. Excuse-moi, je dévie du sujet. Miam, miam.

 

Tu me sembles bien à Montréal, bien sûr à Paris on fait toujours plein de rencontres. À chaque nouvelle personne tu es certain de t’ouvrir à un nouvel univers. Par exemple, hier on est allés à un concert en bas, on a rencontré un gars qui a déjà enregistré trois disques compacts pour de la musique de films et de pièces de théâtre. Il a un petit studio d’enregistrement maison et il ne chargera que 50 francs de l’heure pour que Sébastien puisse faire une cassette démo digitale. C’est une ville qui a beaucoup à offrir quand tu prends le temps de t’y incruster, mais Montréal aussi, je suppose. Vois-tu, tu ne pourrais pas demeurer ici indéfiniment. Le mieux, c’est de s’inscrire dans une école, ça semble relativement simple d’être accepté. Ça ne coûte rien et tu peux rester au moins deux ans sans problèmes. Je ne saurais cependant te conseiller de venir ici. Je vois déjà Sébastien me tomber sur la fripe s’il se rend compte qu’il est venu pour rien et que rien ne débouche. Mais je suis convaincu que tout ira bien. Avec le monde qu’il y a ici, je te jure, tout projet trouve son public et ses mécènes. Mais l’ailleurs est-il vraiment meilleur ? Cela pourrait bien dépendre de tes rencontres. Les bars sont bien garnis en tout cas, il y a des gais partout, même en dehors des bars. J’ai rencontré une seule personne qui n’était pas gaie, et je t’avoue que je n’en reviens pas encore. Comment ? Tu n’es pas gai ? Impossible, tu es l’exception. Probablement que tu ne t’acceptes pas encore.

 

En ce qui concerne le jour de l’an, c’est vraiment terrible. Je suis demeuré un mois au Canada et je n’ai passé que trois jours au Saguenay. Je n’ai même pas vu mes parents, puisque je demeurais chez ma sœur et que nous avons passé notre temps à tenter de voir tout le monde. Je n’ai même pas appelé Gaston, il ne me parlera plus jamais après ça. Bref, j’ai des remords immenses, mon père m’a donné 650 $ pour que j’aille le voir. On a passé une soirée ensemble, tu te rends compte ? Le problème, c’est que je voulais absolument emmener Sébastien, et que celui-ci travaillait, avait des cours de piano, de voix et pratiquait avec Gordon au violon. Ô triste univers, comme j’aurais dû laisser l’enfant à la maison. Sébastien n’a pas arrêté de se plaindre de toutes nos vacances à Jonquière.

 

          À bientôt !

 

 

 

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          Il est temps que je parle de mes nouveaux copains et copines d’étage. J’ai appris dernièrement que les couples hétérosexuels aussi se demandaient parfois qui était la femme dans le couple. Entre autres, nos deux guitaristes un peu plus loin. C’est la femme qui est en contrôle de tout et qui prend les décisions devant son copain plutôt mou et passif. Ce pauvre, lui, a-t-il encore une vie ou vit-il en fonction de sa blonde ? L’autre à deux portes de moi me fait chier parce qu’elle a toujours un grand sourire et que c’est hypocrite, quand nous savons ce qu’elle dit dans notre dos. Les deux autres de chaque bord, c’est la même chose. Celle d’en face doit avoir 40 ans, ne me dites pas que ça étudie au doctorat, ça. En plus elle semble se permettre de nous juger, nous la jeunesse, et de me chialer parce que la veille il y a eu une fête dans la cuisine et je n’ai absolument rien à voir avec cela. Le plus beau morceau, il s’agit d’André. Ce gars me méprisait tellement, j’ai bien vu à parler un peu avec lui qu’il n’était plus de notre monde. Un gros rejet de notre société qui se revalorise dans sa prétention et ses études, s’y accrochant comme s’il s’agissait de sa dernière motivation à vivre. Alors il me dit qu’il est l’élite de la société et qu’il ne peut pas s’abaisser à parler à ceux qui ne sont pas l’élite. Je lui fais remarquer que ça le limite complètement, puisque c’est impossible alors de parler avec l’élite qui a étudié une autre branche que la sienne, l’histoire de l’art par exemple. Ensuite, il me dit qu’il étudie en littérature, et comme par hasard nous sommes incapables de communiquer puisque nous avons étudié des auteurs différents. Le voilà bien mal pris. Mais lorsque je lui ai dit qu’Anne Hébert viendrait peut-être au concert de Sébastien, le voilà qui fantasme tout haut, qu’en tant que grand responsable du comité qui organise les activités culturelles, quelle gloire ce serait pour lui d’avoir Anne Hébert en conférence et pouvoir prendre une photo d’elle avec lui pour que ça se retrouve sur le mur de la Maison. Oh my God ! Comme cela aurait été drôle, si dit de façon ironique. J’ai bien ri pour me rendre compte ensuite qu’il s’agissait d’une réalité pure et simple, et qu’il n’en dormirait pas de la nuit. Comme l’humain peut se contenter d’absurdités et de choses futiles. Le problème, c’est que ce con est en charge de la musique et que l’on dépend de lui pour le concert de Sébastien. Il va toujours manger seul au restau U, le restaurant de la Cité internationale universitaire de Paris. Ça se comprend. Il dit qu’il est impossible pour lui de communiquer avec les Français, on comprend pourquoi. Il réussit à s’entourer justement en étant le responsable des activités culturelles, alors on n’a pas le choix de transiger avec lui et de lui parler, le flatter et tout. Je ne doute pas qu’un jour il devra payer quelqu’un pour avoir du sexe et de l’affection. Paraîtrait qu’il est gai, selon Maurice qui l’a vu se cacher dans les escaliers pour regarder du coin de l’œil un Maurice en caleçon qui se baladait devant sa fenêtre. Après il serait entré dans sa chambre, aurait fermé toutes les lumières et aurait continué à observer Maurice dans le noir alors qu’on le voyait très bien par la fenêtre. Le pauvre, il doit vraiment être en manque.

 

 

 

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Ne suis-je pas en crise parce que le mois de mars est commencé ?

 

Aujourd’hui avec Renaud j’ai discuté. Ça touche à sa fin, la conversation fut cinglante, directe, intenable. Ça me rappelle la crise de François dans le temps, quand on s’écrivait. C’est peut-être moi le problème, je devrais être plus hypocrite et ne pas provoquer les conversations franches. Plutôt laisser couler le temps et voir les sentiments des gens changer. Bref, j’ai des choses à apprendre, que je ne discerne pas pour le moment, mais je sais que cela fait deux fois que je me retrouve dans cette situation. Enfin, voici ce que j’ai dit à Renaud au cours de latin :

 

          — M. Renaud, qui êtes-vous ? Vous êtes fier d’avoir eu 83 % à votre examen de latin ? Vous avez bien travaillé. Je suis fier de vous, M. Renaud. C’est votre copie qu’elle cite sans cesse ? Alors, vous vous êtes bien reposé de moi ? C’est bien connu que je suce l’énergie de mes amis. Cette semaine, c’est l’alerte anti-moi sur Paris : « La semaine prochaine je veux rester seul. » « Après le cours je dois m’enfuir. » La vie est difficile lorsqu’il y a le rejet, même d’une amitié. Voilà pourquoi ma dépression. Ne te serait-il pas plus simple de me dire que tu ne veux pas de mon amitié ? Ou restons superficiels, nous nous dirons bonjour au cours, voilà. Selon Maurice, je suis un paranoïaque convulsif. J’avoue que c’est peut-être vrai, et même j’espère que c’est vrai. De toute façon, il est évident que c’est moi le problème, si je t’ai effrayé à quelque part. À moins que toi aussi sois paranoïaque, tu crois que je veux me servir de toi, ce qui est absolument faux. Je me fous bien d’où tu travailles et je n’ai pas besoin de toi pour écrire un livre. Mais c’est vrai que j’exagère peut-être. Qui sait, peut-être suis-je plus exigeant que toi en amitié. Peut-être aussi tu m’as laissé m’approcher trop près de ton intimité avant de couper les ponts ensuite. Mais peut-être que tout se tassera au retour d’Habib, et sincèrement je l’espère. Tu me sembles vouloir fuir et cela m’affecte moralement. Mais peut-être n’est-ce que de la parano. Alors, tu t’entends bien avec Franklin ?

 

          — Jaloux ?

 

Quand Renaud a écrit « jaloux » sur la feuille, j’ai éclaté de rire dans la classe. Incapable d’arrêter, la prof paniquait, croyant sans doute que je riais d’elle. Renaud dit qu’elle ne me le pardonnera pas et qu’elle me fera couler pour ça. Et il ne semble pas content que cela pourrait aussi affecter son résultat final. Au cours du vendredi matin de Civilisation latine, il dit vouloir s’asseoir au premier rang pour que le prof puisse bien le voir : ceci est la seule façon de réussir le cours, dit-il. C’est donc par favoritisme que l’on passe ses cours à la Sorbonne. Le mérite, on ne connaît pas. Quelle belle réputation cela donne à tous les gradués de la Sorbonne. Je comprends aussi comment Renaud a été trop poche pour réussir son cours de latin l’an passé, alors qu’il a passé le cours de grammaire avec une mention d’excellence. Il a passé deux heures dans un train avec le prof, M. Maginel. Je suppose que c’est en retournant vers Chartres, d’où vient Renaud. Quelle belle réputation cela fait aux gens qui ont réussi leurs cours de la Sorbonne avec une mention. Je le saurai plus tard qu’il faut se méfier de toutes ces décorations, titres, prix, diplômes. Même à l’université, c’est par contact et pistonnage que l’on réussit. Je déteste tout en Renaud maintenant, je vois sa personnalité d’une façon tellement différente. Chaque minute que je le connais davantage, il me fatigue encore plus. Il fait le téteux qui connaît absolument tout alors qu’il ne connaît rien. Il se permet une prétention hors bornes, et juge tout selon des connaissances déphasées qui ne viennent d’on ne sait où. L’histoire littéraire de la France est encore en train de s’enfermer dans quelques idées bien particulières, et l’on tuerait pour protéger cette petite philosophie cul-cul. Je ne vais pas attendre que Renaud m’envoie chier, c’est moi qui vais l’envoyer chier. D’autant plus que je suis maintenant incapable de supporter sa vue. Un autre médiocre qui essaye de s’en faire croire en se prenant pour l’élite. Je sais maintenant c’est quoi l’élite. C’est un groupe de médiocres frustrés qui essaient de s’accaparer les miettes du pouvoir et de l’influence dans leur domaine respectif. C’est bien, nous avançons dans l’établissement de notre nouveau dictionnaire, toutes ces définitions qu’il me fait redéfinir...

 

 

 

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Renaud a rencontré Maurice à la biblio, paraît qu’il est en panique puisque je semble fâché contre lui. Comme c’est bizarre. J’émets une hypothèse : je crois qu’il veut être ami avec Maurice et que, malheureusement pour lui, c’est moi qui fais le pont. À moins qu’effectivement il ait encore une quelconque intention d’être mon ami. Comme s’il pouvait n’être en rien effrayé par ma paranoïa, puisqu’on s’amuse à me trouver des névroses. Je propose également que les gens sont devenus tellement renfermés socialement, que la simple demande de la vérité rend fou, et aussitôt t’apporte des remarques telles que tu es névrosé et devrais être enfermé. On doute, mais on se tait. Quand on cherche à voir plus loin, à comprendre certaines actions, c’est déjà trop pour le peuple. Jusqu’où allons-nous pousser la sottise de nos conversations ? On pourrait nous croire en chicane de couple, comme dirait Maurice, voilà pourquoi ça ne vaudrait plus la peine que nous tentions d’être amis. L’avenir nous dira ce qu’il en est. Je devrais le revoir mercredi prochain, il dira sans doute que je lui fais la gueule, et ce serait vrai. Je ne le supporte plus, mais en même temps je dois aller m’asseoir près de lui. M’asseoir ailleurs implique trop de choses et c’est de l’enfantillage. Belle société, faut continuer à être superficiel et hypocrite. Le problème, c’est qu’il connaît Maurice, c’est déjà plus difficile pour moi de couper les ponts. Franklin me dit de ne rien couper, puisqu’il travaille chez ce grand éditeur. Comme si cela pouvait m’arrêter de l’envoyer chier, au contraire, c’est une motivation de plus. Je suis rempli de préjugés, parce que j’ai l’impression que tout le monde est rempli de préjugés. Que nous réserve donc l’avenir ? Je me demande s’il y aura une évolution. Moi, les évolutions qui avancent à pas de tortue pendant des semaines, ça ne m’intéresse pas. Si c’est pour me présenter la stagnation, fuck it. C’est le temps de fermer le Chapitre Renaud. Il me faudrait l’accrocher dans un coin noir, l’embrasser, le déshabiller, le sucer. Sinon je ferme le Chapitre Renaud.

 

 

 

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Je parle très peu de Sébastien. Pourtant il occupe toute ma vie. Tellement qu’il ne me laisse plus le temps de rien faire. Il veut toujours sortir le soir, parce qu’il n’a plus rien à faire. Résultat, on dépense comme des malades et il mate les hommes dans les bars gais du Marais. Hier c’était au Duplexe. Avant-hier c’était à l’Amnésia. Je ne compte pas ses matages dans le métro, au resto U, à l’épicerie. Il n’est vraiment pas discret, il fait vraiment chier. Je l’endure parce que je sais que ça ne va pas plus loin ; mais aussitôt qu’il se retrouve seul, qu’est-ce qui se passe ? Il est sur le point de réussir dans la musique, il deviendra peut-être riche. Ce n’est pas suffisant pour me convaincre de rester avec lui. D’un autre côté, je ne peux pas le laisser sur des frivolités, pour le reste, je l’aime et la rupture serait très difficile. Peut-être en serais-je incapable ? C’est grâce à moi s’il sera annoncé dans Pariscope et l’Officiel des spectacles pour son concert à la Cité. J’ai été acheter les magazines, j’ai téléphoné, j’ai composé le billet avec lui, je l’ai retranscrit à l’ordinateur, imprimé. Lui, il ne se pressait pas, s’en foutait un peu, on était à une journée de la date limite. Il ne voulait pas que je dise à quiconque qu’Anne Hébert serait là, il ne comprend pas qu’il faut savoir tirer parti de tout. J’ai couru le dire à la directrice, son mari est riche et connaît tout le monde. Ils seront là maintenant, leur premier concert de l’année, faut le faire. Anne Hébert n’a même plus besoin de venir, les gens pensent qu’elle viendra, ils viendront. Sébastien voulait un minimum de personnes, finalement il a compris qu’il en fallait un maximum et une chance d’attirer les bonnes personnes. Ainsi il y aura peut-être des gens du milieu, attirés par l’annonce du Pariscope ? J’ai même téléphoné à M. Westman de New York à son numéro à Paris, ce riche que j’ai rencontré dans un bar de New York et qui me promettait mer et monde. Aucune réponse. Il ne faut rien négliger. J’en fais plus pour Sébastien que je semble prêt à en faire pour moi. D’ailleurs, j’y consacre tout mon temps, m’occuper de lui, puis de sa carrière. Je n’ai plus rien fait sur mes écrits depuis qu’il est ici. Non plus sur mes études, ma vie s’en va chez le diable. Il dort comme un malade, encore trois heures cet après-midi. Que vais-je faire ? Je vais flancher mes études et ma littérature ! Il a intérêt à réussir et à m’aider ensuite, je vous le jure. Pour lui j’en ai fait des sacrifices. Mais il ne les voit pas. Je l’écoute jouer toutes ses chansons au piano, sans cesse, pour lui cela ne suffit pas. Il me faudrait être là pendant ses quatre heures de pratique, dans la salle en bas. On a rencontré Victor, c’est moi qui pousse Sébastien à l’appeler pour qu’il lui demande l’achat d’une enregistreuse digitale pour qu’il puisse enfin avoir une cassette de ses chansons. Il perdrait un temps fou, encore, il en perd tant. Il s’accroche à ce 18 mars comme si cela lui laissait le temps de vivre. Tabarnack ! Il devrait déjà être dans l’action, courir à l’Envol, aux autres bars ou cafés, rencontrer des gens, recopier ses chansons pour l’enregistrement des droits d’auteur. Au lieu de cela, ses quatre heures suffisent, et ensuite il faut sortir ou faire quelque chose. En plus, il veut sans cesse aller manger au resto U. Et c’est très souffrant pour moi, je dois me forcer à avaler du poisson pourri, avarié, dégueulasse, chaque jour. Ingrat univers. J’ai l’impression qu’il va réussir et qu’il va me crisser là sans problème ensuite. Il aura la chance d’avoir tous les beaux petits gars qu’il veut, voudra enfin se débarrasser de moi. Et je me retrouverai avec rien, sauf mes souvenirs, hélas. Il me faut rayer son nom de mes écrits, j’ai bien envie de l’illuminer, en gras, italique, points grandeur 18. Il le veut illuminé son nom, je le double, soulignerai en plus. C’est moi à l’origine qui lui ai dit qu’il pourrait jouer de la musique avec Gordon, voilà exactement un an, et c’est le jour où il est parti dans le bar avec Ken et a fini par coucher avec lui. C’est par Gordon qu’il a rencontré Amy, qu’il a trouvé la motivation d’embarquer pour vrai dans sa vie de musicien. Heureusement que tout lui est tombé du ciel et que, petit à petit, il en est venu à se retrouver sur ce chemin, tout ce talent serait perdu. Ses chansons sont franchement impressionnantes. Il réussira, c’est certain, aucun doute. À écouter ses chansons, j’ai l’impression que c’est mieux que Dépêche Mode et U2, d’un point de vue strictement mélodique et complexité musicale. Ce serait peut-être s’aventurer trop loin d’affirmer une telle chose, je suis tout de même un néophyte, mais disons que j’apprends à voir ce qui fait défaut dans d’autres chansons, maintenant que je connais les siennes. Mon problème, c’est que j’ai un paquet de frustrations accumulées, comment m’en débarrasser ? Il me faudrait être le Christ qui pardonne le péché du monde. Il nous faut un deux-pièces et vite. Voyons voir où tout cela nous conduira, j’ai bien l’intention d’abandonner mes études. Au pire, je n’aurai qu’à m’y remettre plus tard. Ça vaut la peine que je tente le tout pour le tout, il pourrait bien effectivement aller loin, et très vite. On parle d’aller à Londres cet été, peut-être même y passer l’été. Essayer d’y jouer quelques concerts. Mais, encore une fois, j’ignore ce que je fous là. Dans le fond, ce n’est pas ma vie, j’y consacre déjà trop de temps et il ne le voit pas, n’a aucune reconnaissance puisqu’il ne voit rien. Il s’imagine qu’il n’a pas besoin de moi alors qu’il ne comprend pas que sans moi il ne serait pas là, il n’aurait jamais commencé à composer des chansons. Dans le fond, il me faudrait commencer tout de suite à me conditionner que je ne retirerai rien de tout cela, parce que c’est ce qui va arriver. Et le pire c’est que j’aurai tout sacrifié. Car je pourrais encore réussir dans mes études si je m’y mettais tout de suite à plein temps, et j’avoue que cela me tente en grand. Si je changeais de sujet de maîtrise pour Anne Hébert, je sais déjà tout ce que je dirais. Je lis les deux livres sur le latin, je lis toutes les notes, me voilà prêt pour l’examen. Je lis les notes de M. Dalloz et son livre critique, je n’ai même pas besoin de lire les quatre œuvres au programme. Abarnou, je fais son mini-mémoire et voilà, il n’y a même pas de livre à lire et j’ai l’impression qu’il n’y aura même pas d’examen final. Il ne reste que la grammaire, mais voilà, on me laisse deux ans pour passer au travers et quatre chances de le réussir en un examen. Ce n’est pas si pire. Mais maintenant que Sébastien est arrivé, tout s’écroule. Plus une seule minute à moi. Il me faudrait aller passer des journées entières dans les bibliothèques de la ville de Paris. À y penser, j’en ai la chair de poule. Vais-je le faire ? En tout cas, j’espère qu’Anne Hébert refusera pour le scénario, parce que, en fait, je n’ai pas le temps. Et qu’après le livre que j’écris, je veux écrire un vrai roman. Bref, je pense que l’épisode Anne Hébert était nécessaire pour ma maîtrise, pas pour le scénario. Maintenant je ne sais plus trop ce que pourrait devenir notre relation. À quoi pourrait-elle servir en ce qui me concerne ? Et à quoi pourrait lui servir une relation d’amitié avec moi ? Écrire son prochain livre peut-être. Et André, lui, qui ne me rappelle pas, que m’apportera-t-il ? Je vais le rappeler bientôt, quand tout se sera tassé dans ma vie, c’est-à-dire jamais. Je suis en train d’apprendre de partout à la fois, j’ai cette multiplicité de nouvelles relations en parallèle qu’il me faut vivre et analyser tout à la fois. Franklin a fait son come-back depuis qu’il a lu mes écrits. Il est maintenant si près de moi, de mon intimité, il dit qu’il a l’impression d’être un vieux pote à moi. Le pire, c’est qu’il ne connaît que la dernière année de ma vie, amputée de 700 pages. C’est dire un minimum. Pourtant il dit me connaître à fond. Si cela prouve quelque chose, c’est que l’on ne connaît rien de nos amis finalement. Et c’est vrai. Qu’est-ce que je connais de Sébastien en fin de compte ? Un minimum. J’ai cette impression de ne connaître que le gars présent qui occupe toute la place dans ma vie. On a si peu parlé de son passé, et ça lui en prend tant pour me raconter tout ce qui se passe dans ses entrailles. Et qu’ai-je vraiment connu de Noël, mon ami d’Ottawa ? C’est dans nos dernières rencontres que j’ai compris quelle vraie personnalité l’animait, et même, qu’il était un vendeur de drogue, attirant les petits garçons à lui par la drogue gratuite. Je suppose que finalement il les fait s’endetter, puis se fait repayer par des branlettes ? Ce n’est pas un scénario impossible et cela expliquerait bien des choses, et prouverait encore plus comment j’ai pu ne rien voir en mes amis. Pourtant un humain en vaut un autre, et les différences demeurent tout de même des détails. Leurs actions, vécu, passé, tout cela ne paraît pas, leur âme ne se voit pas, leur conscience non plus. La faute commise importe peu. Un meurtre peut valoir le vol d’un bonbon, c’est le poids de la conscience qui compte. Il n’y a donc pas de meilleurs temps pour vivre et de plus mauvaises époques. Toute l’Allemagne se ronge de remords pour les crimes de guerre des Nazis, et les leurs je suppose. Ce sentiment de culpabilité serait-il plus lourd sur leur conscience que ce que les victimes ont pu souffrir ? S’accommode-t-on plus facilement de la mort d’un de ses proches à la guerre, ou du poids de notre conscience en rapport à nos crimes de guerre ? Comme la question devient intéressante. Alors quelqu’un qui, sous le joug d’une religion, se sentirait justifié à tuer des gens, celui-là n’aura pas ce poids sur la conscience et vivra très bien le reste de sa vie durant. Cela n’est peut-être pas vrai. Peut-être paiera-t-il ses fautes, peut-être que non. Et peut-être même qu’il ne s’agit pas d’une faute. Comme le tout devient complexe, lorsque tout doit reposer sur des hypothèses. Je plains ceux qui ont pris des hypothèses et qui les ont déclarées comme étant la réalité. J’ignore où ils s’en vont, ce qu’ils peuvent prétendre nous apprendre. On m’a dit dernièrement que si je me mettais à faire de la philosophie et à réfléchir, je finirais par réécrire Platon, Socrate, Aristote et ce que leur suite a dit. Plaît-il ? J’ai étudié tout cela, leurs idées ne me seraient même jamais venues à l’esprit. J’ai même tout rejeté en bloc, je n’avais point besoin de m’enfermer dans cette bullshit pour comprendre une parcelle de la vérité de l’univers. En fait, j’ai eu l’impression que je m’en serais éloigné tout à fait. Je peux reprendre leurs discours et élaborer là-dessus, mais où m’en irais-je avec tout cela ? C’est un peu comme prendre une table, puis élaborer sur cette table pendant des siècles. La réinventer, lui ajouter sans cesse des choses, la polir et la repolir, puis de découvrir à la fin que tu as perdu ta vie à continuer l’élaboration d’une table, et que pendant ce temps la société à côté a inventé une maison complète avec tout son contenu. Ou, au contraire, découvrir après toutes ces années que ta table n’était en fait qu’un ramassis d’atomes pris ensemble et que ces atomes sont appelés à s’évaporer dans la masse existante d’atomes. Un peu comme de découvrir que ta table n’est qu’une illusion, qu’elle n’existait pas. Tu la voyais comme telle parce que ton cerveau l’interprétait comme telle. Mais enfin bon, peu importe les facultés ou aptitudes de l’homme, peu importe ce qu’il fera de sa vie, il perdra son temps de toute manière. Alors le perdre à analyser une table ou la philosophie, pour ce qu’elle s’est inventée comme univers, c’est du pareil au même et on s’en fout. Faut bien gagner sa vie, vivre, faire la guerre s’il faut, crever et en finir une bonne fois pour toutes.

 

 

 

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Monde de tapettes pourri ! Toutes des estis de tapettes, grandes folles, qui ne pensent qu’au sexe, qu’à sortir, danser, flirter, s’arranger, et puis quoi encore. Inutile de vouloir prouver le contraire, c’est ça et c’est rien d’autre. Et moi j’en suis à l’écœurement le plus complet. J’aime encore mieux les p’tites histoires pédophiles de Gide dans des contrées lointaines que l’esti de vie gaie de Paris. Sébastien vient de décrisser à un Gai-T-Dance au Palace, une boîte qui charge 70 francs l’entrée, 40 francs si tu arrives avant 17 heures. Ça continue jusqu’à 2 heures du matin. Et là je suis en christ parce qu’on passe notre vie à sortir dans tous les estis de bars tapettes de Paris, et pendant ce temps je ne fous plus rien et je m’inquiète inutilement de Sébastien. Tellement que maintenant j’en suis au bout du rouleau et que j’aimerais mieux lui rendre sa liberté et m’en balancer complètement. Le crisser là, lui, le classer grosse tapette incapable de se contrôler et qui veut des amis avec qui coucher, go for it ! Je ne veux pas passer ma vie à m’imaginer le pire, je ne veux plus rien savoir. C’est drôle que toutes mes aventures foirent, et que les siennes doivent déboucher. Je vais être incapable de faire quoi que ce soit, je vais crever à me lamenter sur ce qui pourrait arriver. En plus je ne serai pas parlable lorsqu’il va revenir, s’il revient. Comment m’en sortir ? On vit ensemble, et si on se laissait, il trouverait quelqu’un d’autre dans la semaine qui suit. C’est moi qui souffrirais, je ne suis même pas certain qu’il s’en rendrait compte que je ne suis plus là. Il est à deux doigts de réussir dans la musique et moi à deux doigts de lui dire que je voudrais que ce soit fini, sans trop savoir comment on peut finir cela sans trop me faire mal. Et de toute façon je n’ai pas un sou.

 

Franklin vient de téléphoner. Je l’ai pratiquement envoyé chier. Je regrette, mais que voulez-vous ? J’en ai assez de la vie à Paris, maintenant que j’y pense. J’ai vraiment envie de partir. Heureusement que je n’ai pas d’argent, je décrisserais immédiatement. Départ autour de la planète, n’importe où. Je n’en veux plus de la Sorbonne qui nous empêche de respirer, j’en ai ma claque ! Et ce n’est pas vrai qu’il fait chaud à Paris en hiver. Il fait froid et il n’y a pas de neige. Et quoi d’autre qui n’est pas vrai et que l’on essaye tant que l’on peut de se convaincre que c’est mieux ici. Ce n’est pas mieux ici, la France ne m’intéresse plus. Je l’ai démythifiée tant que j’ai pu, j’ai compris que l’on est mieux près de chez soi avec sa famille. Comme le mythe est séduisant. J’envie les crétins qui n’ont pas terminé leur secondaire 5 et qui rêvent de partir pour Paris. Eux au moins ils seront heureux et garderont espoir à quelque chose. Rêver qu’un jour ils réaliseront leur rêve, être heureux au-delà de tout. Car il vaut mieux espérer être heureux un jour que de comprendre que nous ne serons jamais heureux. C’est là le prix de la réalisation de nos rêves de jeunesse. Ainsi je m’accrocherais encore à des chimères qui me motivent à vivre. La vie est d’une éternelle platitude.

 

Se peut-il que je sois resté ici et que rien ne va arriver dans ma vie ? Ce n’est pas pour rien que je suis demeuré ici ce soir, plutôt que de sortir. Il se pourrait que ce ne soit que pour Sébastien en fait, il va lui arriver quelque chose et je ne veux pas savoir quoi. Se pourrait-il que cela ne marcherait que dans un sens ? C’est-à-dire que nous serions laissés chacun à soi pour que seulement lui puisse en retirer quelque chose de bénéfique ? Pourquoi me l’avoir parachuté du Canada si c’était pour me faire comprendre que c’était terminé et qu’il a besoin de respirer sans m’avoir tout le temps sur son dos ? Christ ! N’ai-je pas suffisamment prouvé à la face de la planète que je m’en foutais qu’il soit quatre mois tout seul au Canada sans moi, libre de faire ce qu’il veut ? Je dois apprendre peut-être à être moins possessif ? Franklin et Maurice sont prompts à me dire que je dois laisser Sébastien sortir sans moi. C’est quoi leurs expériences que je n’ai pas ? Ils se sont fait tromper combien de fois, eux, tellement qu’ils s’en balancent. C’est normal, pour eux. Pourquoi ? Parce qu’eux-mêmes ne sont pas fidèles. Je me rends compte aujourd’hui que je ne connais rien de la vie de Franklin et de Maurice. Maurice, c’est encore pire. Il a couché avec quantité de gars depuis qu’il est à Paris, à l’écouter, on dirait qu’il est pur. Combien de fois m’a-t-il dit de me mêler de mes affaires quand on arrivait à parler de ses relations amoureuses à Paris et ailleurs ? Moi, pendant ce temps, je leur dis tout, je leur fais lire mes écrits, ils ont l’impression de devenir mes vieux potes. Il n’y a que de la superficialité là-dedans. Et combien de fois, chaque fois que je m’approche de Sébastien, il me repousse. Bon Dieu ! Il n’en veut pas d’affection, lui ? M’aime-t-il ? On fait l’amour à peine une fois par semaine, je voudrais le faire à chaque jour. On a deux lits simples séparés, on dirait que ça lui fait plaisir, comme ça on n’a plus besoin de se prendre dans les bras. J’en ai ma claque ! Et si tout ce qui existe à Paris ressemble à Renaud, vaut mieux laisser faire. J’aurais peut-être envie de l’appeler, lui, aujourd’hui. Mais j’ai comme l’impression que Sébastien trouverait ça bizarre, et qu’en plus Renaud ne voudrait rien faire. De toute façon, c’est vrai que je ne puis plus le sentir. Il me fatigue énormément. J’ai téléphoné à André, le genre de petit-fils à Anne Hébert. Il ne m’a jamais rappelé, malgré mes messages sur son répondeur. C’est clair qu’il ne veut rien savoir. Peut-être me rappellera-t-il ? J’en doute, son message change à chaque fois, aujourd’hui ça dit qu’il ne couchera pas chez lui, qu’on devrait rappeler demain. Or, ce message date-t-il d’aujourd’hui ? Un autre crétin, je suppose, hétéro peut-être. Et j’avoue que ça ferait changement de rencontrer un hétéro pour une fois. Les gais ne tiennent plus à terre.

 

Life sucks. Aujourd’hui, j’ai repassé en revue les différentes façons de se suicider. Pilules, fusil, rails d’un métro ou RER, la Seine. Les pilules sont la meilleure façon de rater un suicide. De toute manière je n’en ai pas suffisamment. Le fusil, je n’en ai pas. La Seine, meurt-on vraiment lorsque l’on s’y lance ? Les rails d’un RER... m’y lancer sans réfléchir, attendre quatre trains différents avant d’avoir le courage, au climax de notre désespoir, s’y laisser glisser. Ce n’était vraiment pas la peine de m’emmener jusqu’à Paris pour que je finisse sous un métro. Je suis comme un enfant auquel on essaie de faire avaler de force un pablum dégueulasse. Alors comme un enfant je refuse d’avaler, y mets toute mon énergie à le dégueuler plus fort ! Ce soir je ferai le serment de lâcher mes études une bonne fois pour toutes. J’ai téléphoné à Renaud, pour lui dire que j’étais en crise. Il m’a pris au sérieux, mais n’a rien tenté pour me sauver. Je ne puis le lui reprocher. Il me propose de sortir seul dans le Marais, aller prendre un café au Coffee Shop en face de Les Mots à la Bouche, la librairie gaie du Marais. Il l’a fait hier, y a rencontré un gars de son âge et ça n’a pas été plus loin. Je ne me vois pas dire cela à Sébastien, il ferait la même chose le lendemain et ça me tuerait. Il me dit de ne pas lui dire à Sébastien. Quel bon ami, ce Renaud. Quel merveilleux copain il ferait pour moi. Aujourd’hui, j’aimerais bien reculer dans le temps pour connaître Sébastien en tant qu’ami avant de le connaître en tant que copain. Car ce n’est pas du tout la même chose. À tes amis tu dis tout. À ton copain tu ne dis rien. C’est la règle, la loi, la convention, c’est écrit dans la Bible.

 

J’attends, patiemment, que Sébastien arrive. Incapable de faire quoi que ce soit d’autre. Ensuite, il ira directement jouer au piano pour deux heures. J’attendrai patiemment qu’il revienne, comme d’habitude, incapable de faire quoi que ce soit d’autre. Lorsqu’il reviendra, je vais m’enfuir à la cuisine avec mon ordinateur, il ne dormira pas de la nuit et il me le reprochera amèrement. On se lèvera à une heure de l’après-midi, il me le reprochera la journée durant. La vie de couple, rien de pire.

 

Sébastien vient d’appeler, je passe pour le gros paranoïaque, depuis que Maurice le crie un peu partout. Ils ont dû discuter toute la soirée de mon cas, de ma paranoïa. J’aurais dû décrisser de l’appartement, ne pas répondre au téléphone. Je croyais que c’était le salut extérieur, Renaud ou André. Mais c’est bien connu, il n’y a jamais de salut extérieur. Les soirées tristes seront toujours des soirées tristes. La vie est d’une platitude à laquelle on ne nous prépare pas suffisamment. On devrait parler de la platitude de la vie aux enfants en bas âge. Leur dire qu’ils n’ont absolument rien à attendre de la vie, et que la mort risque fort d’être leur seul bon moment. Tant mieux si ça se passe dans la solitude la plus complète. Il n’y aura personne pour faire la marionnette autour de soi, personne qui souffrira en silence en se faisant croire que tout va bien et que la vie est agréable et extravagamment intéressante, alors que tout le monde le sait que la vie est plate à mourir, ce pourquoi je meurs.

 

Sébastien vient d’appeler pour me dire que c’était plate la vie, que les gars étaient tous laids au bar, que ça lui rappelle Montréal et que Montréal c’est plat. Il dit que les gens avaient l’air de trouver la vie plate, ce pourquoi ils semblent sortir là sans cesse. Christ ! Il me prend pour un con ou quoi ? Je le sais bien qu’il a trouvé la vie passionnante l’instant de ces quelques heures, manquant de temps pour bien se remplir les yeux de tous ces beaux jeunes hommes, en en matant une série, ramassant peut-être un numéro de téléphone, jasant avec un autre. Dansé, il a dansé. C’est vrai que la vie est plate pour les habitués des lieux, mais pour les non-habitués, la vie peut sembler passionnante l’instant d’un moment. Moi parti, quel fardeau vient de prendre le bord. Libre de draguer enfin, d’avoir du fun, d’espérer un peu de sexe facile avec autrui. Ahhhh ! On dirait que je ne le contente pas. Pourtant, c’est de sa faute si on ne fait plus rien dans le lit. Christ ! On dirait que je l’attache avec une laisse, l’empêche de respirer par ma seule présence. On sort ensemble, alors le fun est coupé. Quelle drôle d’idée se fait-il de la vie d’un couple. Je ne crois pas qu’on va finir nos jours ensemble. Éventuellement je crois qu’il va me dire qu’il faut se séparer pendant quelques mois, lui et moi. Alors il ne me faudra pas manquer ma chance, coucher avec le plus de monde possible. Pour le faire chier, parce que ce sera la seule raison de sa pause. Mais moi la pause sera longue. En fait, on ne reviendrait pas ensemble. En fait, j’aimerais bien me sortir de cette relation. Je suis de mauvaise humeur en permanence, ça déteint partout, tout le monde le sait. Lui, Sébastien, se complaît dans l’innocence. On dirait que ce n’est que moi le problème alors que c’est tout lui le problème. C’est moi le paranoïaque. Pauvre Sébastien, on te comprend, un copain comme ça, ça étouffe. Ces gens-là n’ont jamais compris ce qu’était une relation durable, on le voit, on l’entend, ils n’ont jamais pu rester avec quelqu’un plus d’un an ou deux. Et ils en sont fiers de leurs deux ans ! Mais de quels deux ans parlent-ils, lorsque tous les jours ils vont faire du sport, matent quelques beaux gars, se font sucer vite-vite, repartent ni vu ni connu auprès de leur belle relation ? Et ils viennent me traiter de paranoïaque. Trois ans et demi avec Sébastien, c’est vrai qu’il faut parler de miracle dans le monde gai. Faut s’accrocher, je vous jure, lorsque tes amis te disent que tu as un problème si tu ne partages pas ton copain avec la collectivité. Eh bien, non, moi je ne partage pas mon copain avec autrui, sinon, qu’il y reste dans la collectivité, je n’en veux plus. Parce que moi j’en fais des sacrifices, et lui pas. Et je vais trouver quelqu’un qui aura les mêmes idées de ce qu’est une relation stable et durable. Deux jours seul avec moi, et Sébastien panique, il étouffe, il lui faut voir du monde, il faut qu’il aille draguer dans les bars gais du Marais. Que suis-je donc pour lui ? Un animal de compagnie ? Qui souffrirait en silence ? À me faire cracher dessus par mes pseudo-amis qui sont probablement tous en train de crever du sida. Le sexe, n’y a-t-il que cela dans la vie ? Surtout à Paris. Ma définition de Paris : un paquet de roches sculptées attachées ensemble. Des milliers de rues toutes identiques sur lesquelles on retrouvera des cafés, des boulangeries-pâtisseries, des cordonniers, des fleuristes, des boucheries, des vendeurs de journaux. Alors il faut s’en trouver des choses à faire pour se guérir d’une telle plaie de pierre. On étouffe à Paris autant qu’à New York. Maintenant je suis prêt à signer un contrat pour une cabane dans une montagne loin d’autrui. C’est une idée fixe, une obsession, je le ferai un jour, vous verrez. Près de Québec, je suppose. Alors mon objectif à atteindre dans la vie est simple. Ramasser suffisamment d’argent pour prendre une retraite anticipée en une cabane isolée, sans avoir rien à faire avec le monde extérieur. Ou du moins le moins possible. Je n’ai plus le goût de Paris. Plus le goût des grandes villes. Plus le goût des Renaud, Sébastien, Maurice, Franklin et Cie. Plus le goût pour rien. Je les mets tous dans le même sac, je le balance aux poubelles. Je n’ai plus qu’une idée, décrisser de Paris.

 

 

Fin de l'extrait.

 

 

 

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Note de Roland Michel Tremblay : Mind The Gap/Un Québécois à New York est la deuxième partie d'une trilogie. Vous pouvez lire la suite No Way Out/Un Québécois à Londres en ligne et gratuitement sur le site de l'auteur :

 

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