NO WAY OUT

 

 

Version originale de

L'Attente de Londres

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Roland Michel Tremblay

 

 

 

 

 

 

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NO WAY OUT

 

 

 

 

          J'arrive de partout dans le monde, partout j'ai été bien reçu et l'on désirait me garder plus longtemps. Je reviens pour moins d'un mois ici et je comprends tout à fait ce qui a permis mon départ voilà un mois. C'est Alice, c'est le rejet systématique d'elle et probablement du copain de ma sœur qui en sont la cause. Je ne compte pas le copain de ma mère André, lui je sais bien qu'il refuse que je vienne, il a établi cette nécessité avant même de venir habiter avec ma mère. Tout le monde est si bizarre. Est-ce moi ? Même dans l'autobus de Québec jusqu'à Jonquière les gens semblaient loin de la bonne humeur habituelle. Je comprends, c'est le mois de mars. Le fameux mois de mars. Quelle folie de revenir ici au pire mois de l'année. Le mois des dépressions, des suicides, des chicanes, des séparations et des divorces. C'est bien connu, les gens n'en peuvent plus au mois de mars. C'est la fin de l'hiver qui n'en finit plus et tous les gens qui sont aux études et qui travaillent en relation avec des horaires de septembre jusqu'à la fin de l'année scolaire. C'est énormément de gens quand on pense que les gens étudient souvent jusqu'à 28 ans. Il n'y a que moi qui ne vit pas au même rythme, qui n'a pas subi l'hiver l'année d'avant et qui cette année se promenait là où il faisait plus chaud malgré le froid. Moi j'ai gardé toute ma bonne humeur, mais je crois que je vais apprendre ce mois-ci à le passer dans ma chambre. Il faut à tout prix éviter de me laisser démoraliser par tout et chacun. Mais ce sera très difficile. Gabriel, Alice et Patricia m'ont fait subir tout un affront aujourd'hui. Patricia ne m'a pas regardé une seule fois, elle s'est contentée de me saluer à mon arrivée. Cette façon d'agir m'a vidé mon énergie complètement. Elle ne semble pas heureuse de mon retour. Puis Alice paraît tellement mal à l'aise devant moi, n'osant pas me regarder dans les yeux, qu'on dirait presque qu'elle se sent coupable de quelque chose. Peut-être cela a-t-il rapport avec cette auto que je voulais emprunter pour aller chercher mes choses à Ottawa. Pour moi ça n'a tellement pas d'importance, mais pour eux ça semble avoir été la goutte qui a fait déborder le vase et j'ai l'impression que cela a été le prétexte à de grandes chicanes entre mon père et Alice. Je suis tellement démoralisé, c'est incroyable. Alice m'a dit que mon arrivée ici impliquait les mêmes conditions qu'avant, mais également une nouvelle : « Pas d'étrangers ici la nuit ». En termes plus simples, pas de Gabriel dans la maison, je ne veux même pas qu'il franchisse la porte d'entrée. Si c'est ce qui l'inquiète, elle peut s'encourager à l'allure que prend ma relation avec lui. Je l'ai vu cette après-midi. Jamais dans ma vie je n'ai passé à travers une si grande épreuve. Jamais dans ma vie je n'ai eu quelqu'un en face de moi dont il m'était impossible de déceler la moindre de chose qui se passe dans sa tête. Que sait-il, qu'ignore-t-il, qu'a-t-il appris, quelles sont ses intentions. Il s'est presque mis à pleurer en face de moi, me disant qu'il se sentait mal à l'aise, qu'il n'avait pas été correct en couchant avec Philip (car ils ont couché ensemble). Il est ressorti tout ébranlé dans la voiture, incapable de dire un mot. Je lui ai dit que j'attendrais qu'il me rappelle, que je serais énormément heureux qu'il me rappelle, quand bien même ce ne serait que de l'amitié, mais que comme il disait qu'il ne voulait plus me voir pour arrêter sa souffrance, je ne forcerai pas les événements. Bref, il existe tout un paquet d'événements dans sa vie qu'il m'a cachés. Aujourd'hui j'apprenais tout cela, chacune de ces choses étant pour moi une claque dans le visage. Dont le plus important, il a décroché un emploi à temps plein dans un restaurant, payé en dessous de la couverte, alors il fait beaucoup d'argent car il continue à recevoir de l'assurance-chômage. Et moi qui s'inquiétait avec lui incapable d'arriver dans ses comptes. Et moi qui l'aimais suffisamment pour me pousser à repartir de New York pour retourner à Jonquière. S'il n'avait pas existé, lui, j'aurais tout tenté pour demeurer à New York le plus longtemps possible. Jonquière me rappelait tant, maintenant il ne me rappelle plus du tout. L'autre, Jacques, est parti pour l'Ouest canadien pour les deux prochaines semaines. Je doute fort que je serai encore ici lorsqu'il reviendra. Tous ces événements m'ont tellement démoralisé que je ne trouve pas l'énergie pour défaire mes bagages et je cherche des solutions à mes problèmes. Je n'avais pas compris jusqu'à quel point tout le monde avait tiré un grand soupir de soulagement lorsque je suis parti. D'autres ayant plutôt souffert, veulent éviter d'autres souffrances et me rejettent tout simplement. Eh bien allez donc tous chier calice ! J'appelle ma sœur pour tenter de lui expliquer la situation, plutôt que de m'inviter chez elle à demeurer pour le mois, voilà qu'elle me propose d'y aller pour une nuit en attendant que mon père revienne et puis que l'on va discuter cartes sur table du problème. Ensuite ça ira mieux, on trouvera les solutions qui me permettront de demeurer ici pour un mois. Mais elle ne comprend rien, je n'ai aucune motivation à entrer dans une série de compromis pour demeurer avec des gens qui ferait tout pour me mettre dehors. Elle ne comprend pas ce que ça implique comme calvaire de demeurer ici alors que tu sais qu'ils souhaiteraient que tu disparaisses. Je n'ai jamais amené Gabriel coucher ici, il a franchi la porte d'entrée deux fois, restant dans la maison moins de dix minutes chaque fois. Elle n'est pas du tout ouverte au monde gai. Malgré son frère gai et confident Serge. Je me sens si mal que je suis prêt à repartir sur-le-champ. Mais où irais-je ? Plus d'argent, plus rien. Partout j'ai des problèmes, partout il y en a un qui me rejette et m'empêche d'être bien. À Toronto, tout le monde insiste pour que je reste, mais Rosario est à l'arrière plan. À New York, il y a le colocataire. Il me faut absolument trouver un emploi et commencer ma vie indépendante. Mais voilà, il faut de l'argent pour cela. C'est tellement stupide que Sébastien s'est pris un appartement pour dans un mois, il me semble que mes problèmes seraient réglés. Que vais-je faire mon Dieu ? Pour l'instant je vais aller chez ma mère, je ne suis plus capable de demeurer dans la maison chez mon père, d'autant plus lorsqu'il est absent jusqu'à demain soir, voyage d'affaires à Québec justement.

 

          Bon, je suis revenu de chez ma mère et je suis revenu sur la terre. Les conditions étant maintenant claires, nous avons pu parler d'autre chose, de ses étudiants. J'ai remarqué chez Alice et chez Marie un problème. Les conversations ne se font qu'à sens unique. Elles ont besoin de parler, mais n'ont certes pas l'envie de t'entendre. Alors je commence à parler, elles me coupent sans cesse. Alors je comprends, je me tais, je subis l'écoute de leurs problèmes. Car ne pouvoir parler, implique qu'il n'y a aucun échange. On ne peut pas me remplir ainsi impunément, elles me mangent toute mon énergie et moi je ne puis faire la pareille. Alors elles me vident et ne me laissent que le fardeau de leurs problèmes qui deviennent miens. Quelle envie ai-je de partager leurs misères si elles se foutent des miennes ? Des névrosés, je vous jure. Faites comme les serins bon Dieu, regarder le miroir et parlez-vous à vous-mêmes comme si c'était un étranger. Vous ne verrez aucune différence et cela vous soulagera. Pendant ce temps moi je pourrai m'occuper à autre chose. Comme Gabriel par exemple. Je me suis bien posé la question, pourquoi il se sentait coupable alors que c'est bien moi qui devrais l'être. Mais il m'a lancé que Philip avait vu que je lui avais écrit des lettres. Ainsi Jean-Pierre est venu chez Gabriel plusieurs fois, il a dormi là. Ça me fait mal. De plus, il est retourné dans l'auto chercher mon cahier, dans lequel je croyais trouver mon numéro d'assurance sociale. Je crois qu'il a eu le temps et la curiosité de lire quelques lignes. À la huitième ligne j'avoue d'emblée qu'Ed est le seul amour de ma vie, que je l'aime comme jamais je n'aimerai personne et que lui me rend la pareille. Après il fut tout bizarre. Ça ne m'a pas donné l'impression qu'il l'avait lu, mais il semblait si désespéré que ce serait bien possible. Ce pourrait-il qu'il ne me rappellerait plus ? Que se passe-t-il dans sa tête ? Il a tenu à m'affirmer à plusieurs reprises que lui et Philip, ce n'était que des amis. Bien. Mais ça paraît mal lorsque cinq minutes après il me demande si Jean-Pierre cherchait quelqu'un avec qui coucher lorsqu'il était à Québec. Surtout lorsqu'il me fait comprendre sans même s'en rendre compte que si ça ne fonctionne pas entre lui et Phil, c'est la faute de Phil, c'est lui qui est intéressé en autrui, en plusieurs partenaires. Moi, le Gabriel, s'il est trop sensible pour me réinviter dans son lit, il devra faire attention, car le Philip semble prêt à m'inviter dans le sien et je ne dirais pas non. Il n'est pas laid, mais je regretterais. Juste à cause du contexte. Il est d'Alma, il est l'ami de Maurice (avec qui il couche probablement), et avec Jacques dans le décor, son jugement de moi s'il fallait que je couche avec Phil, ce serait trop impossible. Il est beau dans ses nouveaux vêtements le Gabriel. Je suis heureux car je vois que je ne suis pas plus affecté qu'il ne le faut. Je souffre un peu, c'est normal, mais s'il refusait de coucher avec moi, cela ne me dérange pas. Je n'attends pas après lui pour vivre. S'il veut niaiser, c'est moi qui en ressors gagnant. Il souffre plus que moi de toute manière. Moi je peux marcher la tête haute. Je suis imbu de ma personne, c'est certainement une bonne chose. C'est une défense contre la misère que tout cela m'apporte. Je suis tout de même rejeté, je ne suis pas indifférent, alors ça fait mal. Mais ce rejet est pour une bonne cause, c'est pour éviter qu'il se fasse mal. Ce n'est donc d'aucune façon un manque d'intérêt soudain. Je parie que demain il m'appellera. Je parie qu'avant la fin de cette semaine j'aurai couché avec lui, sans même faire aucun effort. Cette histoire se complique de façon radicale. Je ne puis cacher tout cela à ma famille. D'autant plus qu'ils sont tous au courant maintenant que je suis en amour avec Ed et que je reviens d'un deux semaines de sexe en amoureux à New York. Mon Dieu, quelle opinion se font-ils de moi ? Ça doit sans doute expliquer pourquoi personne ne veut de moi sous leur toit. Cela me pousse donc à partir d'ici pour enfin m'installer dans mes propres affaires, dans ma propre indépendance. Ah oui, Christiane est dans la région pendant que son copain est à Québec. Ça m'a énormément compliqué les choses, j'ai dit à tout le monde que j'avais dormi chez elle à Québec. J'en ai ris, mais mes mensonges ne passeront bientôt plus du tout inaperçu. C'est rendu gros comme le bras. À leurs yeux cela fera de moi quelqu'un d'encore plus immoral. Je vais me tenir avec Christiane, peut-être redeviendrons-nous les bons amis d'autrefois. En fait, ces amis de jeunesse sont bien les seuls qui traversent le temps avec moi malgré tout. On ne peut pas toujours compter sur eux, mais au moins on ne risque pas de les perdre dans le prochain détour juste parce que nous avons décidé de partir sur une go d'un mois à travers l'Amérique. On verra.

 

 

          Qui suis-je moi mes amis pour venir au monde et venir vous dire ce qui est bien ou mal ? Et vous, qui êtes-vous mes ennemis pour venir me dire que ce que je dis sur ce qui est bien ou mal est bien ou mal ? Et toi, Dieu, qui es-tu pour venir nous dire ce qui est bien ou mal de ce que ce qu'ils disent de bien ou mal sur ce que je dis qui est bien ou mal ? Et toi, Dieu, qui es-tu pour venir nous dire que ce qu'ils disent sur ce que je dis sur ce qui est bien ou mal, à propos de ce qui est bien ou mal, est bien ou mal ?

 

          Lorsque je suis ailleurs, je ne pense jamais à partir vers l'ailleurs, car je suis ailleurs. Lorsque je suis à Jonquière, je suis partout sauf ailleurs. Alors l'ailleurs m'attire énormément. Pour compenser je repense  à lorsque j'étais ailleurs, j'écoute de la musique que j'écoutais lorsque j'étais ailleurs. Cette passion de l'ailleurs me remplit d'énergie, je me motive à bloc et suis prêt à construire des édifices entiers. Lorsque je suis ailleurs, il est bien difficile de me motiver autant, tant de choses arrivent, je ne puis que subir l'environnement, emmagasiner ce qui servira à construire l'ailleurs une fois que je ne serai plus dans l'ailleurs. La question que je me pose, c'est, Toronto sera-t-il considéré comme l'ailleurs ? Je crois que oui. Mon but à moyen terme est de demeurer dans l'ailleurs, mais j'aimerais bien que ce ne soit pas toujours le même ailleurs. Si Sébastien veut s'établir pour de bon à Toronto, j'aurai bien de la misère à accepter. Ou je me préparerai une porte de sortie.

 

          Jacques est parti vers l'ailleurs, l'Ouest canadien. Mais son message sur son répondeur est à l'image de la deuxième lettre que je lui ai envoyée, complètement en anglais. En plus, je cite une chanson de Lisa Loeb dans cette lettre et il fait jouer une chanson de Lisa Loeb sur son répondeur. Puis-je lire là un signe concret qu'il pensait à moi ? Ce serait bien par pure perte, je serai probablement parti lorsqu'il sera de retour. Ou alors il aura juste le temps d'insister pour que je reste alors que je serai déjà sur la piste de décollage.

 

          Je reviens de Saint-Jean-Vianney, ou plutôt d'un village fantôme maintenant enseveli sous des tonnes de terre. Les arbres ont eu le temps de recouvrir les parois de la vallée. Je me demandais pourquoi il y avait autant de sécurité et maintenant, je ne suis plus certain s'il s'agit bien de sécurité. Je crois que oui, mais il y a autre chose. Tous ces gens qui attendent dans leur automobile, pendant un instant je croyais qu'il s'agissait de la saison de la chasse. En effet, c'est bien la saison, mais de la chasse à autre chose. Que j'avais honte en ressortant de là ! Tout le monde me regardait, ceux de la sécurité, ils devaient s'imaginer que j'allais cruiser sur les rives du Saguenay. Ils ont dû me trouver bien jeune pour en être rendu à chercher du sexe dans ces coins perdus où l'on ne retrouve probablement que des vieux laids. Mais j'ai vu des jeunes dans la vingtaine. J'espère que je ne serais jamais réduit à en venir là. D'ailleurs, avec les bars qu'il y a en ville, qui a besoin de cela ? Ces  choses doivent dater d'avant qu'il y ait des bars en ville et les gens n'ont tout simplement pas perdu l'habitude d'y aller. Enfin.

 

          Lorsque je suis passé en face de chez Gabriel, voilà que je vois l'automobile rouge de Jean-Pierre juste en face. À ce rythme, je comprends bien que je me fourrais le doigt dans l'œil hier. Je ne coucherai certainement pas avec d'ici la fin de la semaine, non plus il ne me rappellera de sitôt. Ce sera difficile de garder la tête haute lorsque je le rencontrerai au 2171 cette fin de semaine. S'il faut en plus qu'il s'amourache de son petit Philip, qu'il se mette à l'embrasser devant moi, ce sera même impossible de ne pas craquer. Cette fin de semaine, je crois que je ne sortirai pas, seulement dans les bars hétéro de Chicoutimi avec Christiane et son copain. J'espère lui faire mal par mon absence, mais je crois que ma présence lui ferait encore plus mal. Mon absence passera inaperçu. Somme toute, Jean-Pierre me vaut bien, il est certainement un très bon copain de rechange. Peut-être même est-il mieux que moi ? Alors voyons si Gabriel est capable d'en tomber amoureux en aussi peu de temps qu'en ce qui me concerne. Si oui, alors son amour n'était que passion éphémère. Il n'aurait pas reconnu en moi un amour de sa vie potentiel. Moi, c'est certain que je n'ai pas vu en lui un amour de ma vie, même que je dirais que si j'ai été capable de sacrer le camp, c'est bien significatif. Et maintenant je me demande si ce n'était pas pour éviter qu'il souffre que je voulais revenir à Jonquière. Car dès qu'il m'a lancé toutes ces choses à propos de Jean-Pierre, moi j'ai décroché, deux jours de dépression, puis le renouveau complet, heureux de vivre. J'ai déjà vécu des deuils plus marqué en amour (étrangement tous avec la même personne : Sébastien). Maintenant que j'y pense, il avait tout gardé son nouveau pour que je constate à mon retour une évolution marquée. Plutôt que de retrouver le pauvre petit Gabriel misérable, voilà qu'il a des vêtements tout nouveaux qui lui vont à merveille, il a un emploi, il se débrouille et tout va bien. Il a même un nouveau quelqu'un dans sa vie, ma foi, certainement le plus beau après les plus beaux que j'ai déjà nommés plus avant (fatigant par contre, mais on ne peut pas être parfait). Ainsi il fallait que je voie le contraste entre le misérable et l'inatteignable, tellement il est changé, qu'il est mieux et qu'il est heureux. Bull shit, il a failli pleurer hier. Ça me choque, mais ça ne change pas grand-chose à mes sentiments. Frustration, pas bon pour ma santé. Prêt à déguerpir, voilà le seul résultat de son action. Je ne vais pas me mettre à genoux pour lui redemander de me reprendre, encore moins lui assurer ma présence au Saguenay jusqu'à la fin des temps pour ses beaux yeux. Jonquière lui appartient, pas moi, moi on m'y rejette. Mais au moins, moi, le reste monde m'appartient. Quand bien même tout ceci se passerait dans ma seule petite tête. Quelle motivation encore pourrais-je m'inventer, je souffre, c'est clair. Je ne le méritais pas le petit gars de Jonquière. Accepte-le et continue à vivre. Mais que faire ? Je m'ennuie, ça fait juste deux jours que je suis ici.

 

          Mon père est finalement revenu de Québec. On a discuté des problèmes d'Alice. Clairement, veut-elle de moi ici ? Mon père insiste que oui. Après que je lui aie raconté ses conditions, il a dit : « Ce que je n'aime pas, c'est qu'elle pose des conditions à mon fils ». Voilà une phrase qui en dit long sur ses discussions avec elle. Ensuite il a tenté de justifier le point de vue d'Alice.

 

          -Écoute, tu couches avec plusieurs personnes, tu trompes ton copain Sébastien. Ce n'est pas que tu sois homosexuel, c'est que ta vie est dirigée par le sexe. Tous les soirs tu sortais.

 

          Tabarnack !

 

          -Écoute, je n'ai eu qu'un seul copain pendant que j'étais ici, je ne sortais plus avec Sébastien. Tous les soirs, je les passais avec lui. Moi je peux compter sur une main le nombre de personnes avec qui j'ai couchées, ce qui n'est pas du tout ton cas.

          -Je n'ai jamais dit que le sexe ne dirigeait pas ma vie également. Mais Alice son mari l'a trompée et elle en est restée traumatisée.

          -Et ma sœur, elle ? Nous n'en aurions pas suffisamment des doigts de cinq mains pour compter le nombre de ses copains.

          -Ça m'a toujours fatigué de voir ta sœur chaque matin avec un nouvel homme dans son lit lorsqu'elle est revenir à Jonquière après son université.

 

          Ah, voici que la vérité fait surface. Ma vie est peut-être dirigée par le sexe, mais c'est certainement encore moins pire que le vécu de mon père et de ma sœur. Tel père, tel fils, telle fille. Comment peut-on me juger alors ? Et me juger en ignorant vraiment tous les événements de ma vie. Je vais d'ailleurs me taire à l'avenir. Si mes parents se mettent à parler avec Charlotte qui justement vient cette fin de semaine de Toronto, ils pourront trop bien me détruire ensuite. Maintenant, si je veux sauver les apparences, je dois me tenir tranquille pour le prochain mois. Si je couche avec quelqu'un, il faut que ça se fasse à l'insu de tout et chacun. Ou alors j'accepte ma vie de dépravé et je continue mon ascension vers la perversion ultime en me foutant des autres et de leurs jugements. Mais ce sera terrible une telle situation si je reviens avec Sébastien à 100 % et qu'il vient se promener au Saguenay plus tard. En plus, j'ignore qui, mais on m'a placé un tube de pâte dentifrice à côté de ma brosse à dent. Ainsi, ce que je craignais, est bien réel. Ils ont la nette impression que je suis séropositif et que ça ne prendra pas grand-chose pour qu'ils l'attrapent. J'ai bien peur qu'à ce rythme ils vont craquer bientôt. Alice tombera à genoux en me suppliant de partir. Elle n'en pourra plus de vivre dans la crainte que je lui transmette une maladie mortelle. Pauvre Alice, qui ne prend même pas de condom avec mon père. Si on se fit au passé de mon père en rapport aux infidélités survenues lorsqu'il vivait avec sa femme, je crois qu'elle devrait plutôt s'inquiéter de cela. En plus, à fumer et à boire comme elle le fait, même si elle attrapait la fameuse maladie mortelle, elle mourrait d'un cancer ou autre avant même de développer le sida. C'est con un humain, mais étant moi-même humain, je peux comprendre sa position. Je me mets donc en quête de trouver des solutions à mon problème : comment sacrer le camp d'ici ? Avec quel argent et pour quelle destination ?

 

 

          Mon désir de partir est dix fois plus élevé qu'avant que je ne parte la première fois. Alors le départ est imminent, à la première occasion, je décolle. Pour l'instant j'ai un problème de communication avec l'extérieur. Je n'ose plus faire de longue distance ici, les misérables cartes d'appel de Bell Canada sont impossibles à trouver et ils ne vendent que des 10 $, alors il ne reste toujours que quatre minutes pour parler, les appels sont toujours coupés sans que l'essentiel ait été dit. Comment trouver des solutions dans ce contexte ? Nous sommes à l'ère des communications, c'est-à-dire qu'en deux minutes je dis tout ce que j'ai à dire sur le répondeur de Sébastien, ça évite les explications et les questions stupides, ça permet de dire l'essentiel en un temps record. Sauf que l'impact et la réponse viennent à retardement et pendant ce temps je « capote ben raide ». Je ne tiens  plus en place, je flotte, me sens coupable d'être ici sans travailler, sans stabilité, à jouir de la vie. Les  autres se meurent au travail, alors ils ne peuvent supporter me voir jouir de la vie. Ils aiment mieux me mettre dehors, car ils ont l'impression que c'est sur leur dos que je puis me permettre de vivre ainsi. Ce qui n'est nullement le cas. Les pressions que je subies, effrayantes. Je veux partir, je veux partir ! Voyons les solutions. Dans deux semaines je peux retourner à Toronto chez Charlotte. Ce serait mieux trois semaines. Alors vais-je mourir ici pendant trois semaines ? La survie est impossible. Une culpabilité qu'Alice a réussi à me transmettre. Un simple petit professeur de secondaire, je crois qu'elle est fière de cet emploi, elle dit qu'elle a réussi  sa vie. Quelle misère, tant qu'à moi il ne peut y avoir pire sur la planète. Mais je devrais faire attention, il y a de fortes chances que je finisse au même endroit. Peut-être que j'en serai fier un jour : Hourra, je suis un professeur de secondaire avec un salaire de 45,000 $ par année ! Une sécurité d'emploi et une pension garantie. Je comprends qu'elle puisse croire qu'elle est bien, mais moi je voudrais plus. Mais comment avoir plus ? Qu'est-ce qui pourrait être plus ? Moi-même ai  une certaine misère à conceptualiser mon avenir, incapable même de voir où je serai le mois prochain. L'argent ne devrait jamais être un obstacle. Peut-être devrais-je sacrer le camp pour Montréal avec mon imprimante laser. Si je suis tant dans le trouble, je pourrai la vendra à pure perte, mais au moins j'aurai survécu et aurai une sécurité qui me permettra de me permettre de retomber sur mes pieds. J'avais l'argent nécessaire avant d'aller à New York, on dirait que j'ai brûlé  mes chances de partir d'ici en partant un mois. Ah non, je ferai tout en mon pouvoir pour changer radicalement la situation où je me trouve. La poste est mon dernier espoir, une lettre d'Angleterre peut-être, un retour d'impôt plus élevé que je ne le crois.  C'est possible, mais peu probable. S'il me faut attendre une délivrance de l'Angleterre, je pourrai certes attendre longtemps. J'ai encore reçu une facture de près de cent dollars de la City of Westminster, taxes impayées. Envoyez ça au nouvel occupant du 29 Marble House, nous ne sommes plus là depuis plusieurs mois déjà. Et le CAF de Paris,  l'Allocation familiale qui a retrouvé mon adresse et qui semble chercher à me donner des problèmes.  Pas de danger que je les rappelle. Ils ont eu connaissance de ma  nouvelle adresse à Londres, j'ignore comment ils ont fait. Bonne chance pour retrouver l'adresse du trou où j'habite dans le fond du Québec. J'ai 49 francs dans mon compte de  la Banque nationale de Paris, une première depuis un an. Ils ne semblent pas avoir fermé mon compte comme ils me l'avaient si bien indiqué. Ce qui m'inquiète, c'est qu'ils trouveront alors le moyen de me charger des frais pour ce compte ouvert et bientôt ils vont encore m'envoyer une facture. Si je peux leur faire la pire des publicités, je vais le faire. N'allez jamais à la Banque nationale de Paris, un coup embarquer dans leur roue, il n'y a plus de porte de sortie. Vingt-cinq francs de dettes vous coûtera 3000 francs en frais administratifs, en pénalité et en Dieu seul sait quoi. Par contre, j'encourage tout et chacun à ouvrir un compte à la Banque Royale de Scotland en Angleterre. Là j'ai été traité aux petits soins, sans aucun problème. Vous voyez bien que c'est Paris le problème. Je n'ai jamais rien expérimenté de pareil à la Banque royale du Canada. Seigneur, aidez-moi à partir d'ici ! Je crois que je vais aller acheter les journaux de Toronto pour envoyer des Curriculum Vitae. Je suis convaincu qu'il me sera impossible de trouver de tels journaux dans la région, et si oui, alors ce sera une édition de province où les informations importantes seront absentes, telles que les emplois offerts.

 

          Je viens de parler avec Sébastien. Imaginez-vous qu'il vient de m'annoncer comme ça qu'il ne voulait plus de copain. Il veut se concentrer sur son travail, to make things going. Il m'annonce cela comme ça, enfin il trouve le courage de me dire qu'il ne veut plus de moi. Il lui manque cependant le courage de mettre un point final à sa phrase. Il ajoute qu'il veut me garder près de lui, qu'il veut pouvoir me voir quand il le désire, mais ne veut plus de copain. Il serait toutefois prêt à me recevoir à Toronto, il ne veut pas faire comme mes parents, me laisser dans la rue. Je viens de m'effondrer par terre. Il va me rappeler à 23h00 pour m'avouer qu'il ne veut plus de moi à  Toronto, je l'ai poussé pour qu'il me dise clairement ce qui se passe dans sa tête. Moi, j'en ai assez de baser ma vie sur du vent, ma vie est entièrement en suspension depuis que nous sommes revenus d'Europe à cause de lui. Moi j'ai annoncé à tout le monde que je retournais à Toronto, ils m'ont tous jugés comme une merde parce que je trompais un homme qui en fait avait complètement disparu de ma vie et qui me répétait que nous n'étions pas ensemble. Maintenant je veux mourir.

 

          Ed est un amour impossible. Pour Sébastien je viens de perdre Gabriel, et maintenant je viens de perdre Sébastien. Soudainement je ne vois que le vide. D'autant plus que j'ai reporté mes études et que je n'ai pas d'emploi, pas de stabilité, pas d'endroit où demeurer. Je n'ai pas d'avenir, aucune expérience, aucune étude qui me permettrait de trouver un bon emploi. Je n'ai plus l'amour de Sébastien, ni celui de Gabriel, Ed je me pose la question, j'Ai perdu l'amour de mes parents au fil de mes aventures. Je crois que je suis de trop en ce monde, personne ne me veut. Je crois que je n'ai plus rien à accomplir de concret en ce monde, je n'ai plus de motivation pour continuer. Je n'en peux plus de me battre pour rien, d'espérer inutilement des choses tellement vagues et incertaines qu'avoir la foi ne peut conduire qu'au désastre. Ma seule solution est de m'établir seul quelque part, Montréal. Me trouver un emploi simple qui me permettrait de survivre. Et là, rebâtir ma vie. Recommencer par le commencement. Tout effacer le passé, oublier les études pour l'instant, tenter une survie par une renaissance toute simple dans la solitude. Peut-être bien que je suis prêt pour ma vie de monastère à développer une vie plus spirituelle. Peut-être. Pour l'instant je vais aller me chercher un cognac ou un whisky en attendant que Sébastien me rappelle.

 

          Sébastien vient de m'appeler. Sébastien et moi, c'est officiellement terminé.

 

          Je reviens à la vie après un long moment de réflexion. On peut s'apitoyer et pleurer. On peut également radicalement changer son point de vue, l'angle selon lequel on voit sans cesse notre misère. Qu'est-ce qui me retient en ce monde ? Qu'est-ce qui me retient au pays ? Rien. Alors sacrons le camp. Où peut-on aller ? Londres. En un temps trois mouvements je serai à Montréal. Je vendrai mon imprimante à pure perte, j'achèterai un billet d'avion aller simple le plus tôt possible sur stand by pour l'Angleterre. Vous verrai, tout ira très bien. Sinon, ce sera bien de toute manière. Une misère à Londres, c'est une littérature pour l'éternité. Comme je voudrais partir demain matin. Quelle folie. Cette décision, étrangement la plus incroyable, sera plus facile à prendre que toutes celles que j'ai prises depuis quelques années. Vive la reine d'Angleterre ! Ce projet, je le garderai secret. C'est inavouable. Personne ne sera d'accord. Tout le monde me fera une morale infernale. Désolé, moi je vibre déjà à la Southpaw Grammar de Morrissey.

 

 

          Étrangement, je me lève ce matin heureux. Avec des attaches en moins qui me retiennent sur la terre. Autant pour le petit Gabriel. Si je pouvais me contrôler, je ne le rappellerais pas. Il serait simple pour moi de lui dire que soudainement je ne pars plus, ou que je ne vais qu'à Montréal et qu'il peut venir avec moi. Mais je vais tenter de l'oublier. Au pire je ne lui dirai que la vérité et on verra ce qui adviendra. Lui aussi s'est envolé dans la nature, maintenant je ne suis plus certain de vouloir me rembarquer avec lui. Et puis j'ai bien réfléchi pour Londres. I'm not so sure si je veux y retourner. Si j'ai quelque chose à apprendre quelque part, il me semble que ce n'est plus à Londres pour l'instant. Certainement dans le futur, mais pour l'instant je ne le sens pas. Mais si Londres ne me tente pas, encore moins Montréal. Je crois que je vais me mettre en position attente et observer l'univers me conduire là où il voudra. J'ai juste peur qu'à demeurer à Jonquière trop longtemps je risque fort d'y rester pour longtemps. Deux mois avaient suffit pour m'y enchaîner drôlement avant Noël. Et si je reste chez moi, cette chance de me ramasser au Japon me parviendra-t-elle ? C'est bien connu, il faut provoquer les événements et demeurer ouverts et attentifs aux messages. Eh bien, c'est une méchante tache qui m'attend. De toute manière je ne suis d'aucune façon désespéré. Je puis me ramasser n'importe qui dans un bar gai, je peux bénéficier de l'aide de bien des gens sans même que je ne couche avec, juste par ma personnalité. Je l'ai déjà bien prouvé dans le passé, ainsi le monde m'appartient. D'autant plus que je suis même ouvert à la prostitution. Qui m'arrêtera ? Je vais rappeler mon vieux de 70 ans à New York, Henry, le successful doctor. Lui proposer d'aller habiter chez lui pour quelque temps. S'il n'est pas à Fort Lauderdale, il ne refusera pas. Et puis je vais le prendre mon courage à deux mains, je vais appeler mon autre vieux M. Eastman, voir s'il est si riche et prêt à m'aider pour je ne sais quoi en retour. Le monde appartient à ceux qui foncent. C'est Jésus qui l'a dit. Je ne vaux rien, je suis déjà jugé comme tel, pourquoi alors ne pas m'enfoncer davantage et apprendre davantage ? Si c'est la le seul moyen à ma disposition pour connaître l'univers en un temps record ? Sécurité et stabilité, ces mots sont synonymes de stagnation du point de vue de l'évolution de l'être.

 

          J'arrive de sortir au 21. Devinez qui j'ai vu ? Gabriel et sa cousine Chantale. Elle m'a sauté dans les bras, elle s'était ennuyée. Elle a une photo de Jean-Pierre dans son pendentif en forme de cœur. Si le message n'est pas clair après ça, il ne le sera jamais. Moi je n'ai pas laissé de photo qu'elle a dit. Gabriel a attendu longtemps, qu'elle dit, jusqu'à la dernière seconde. Il était content de me voir, mais où a t-il passé la soirée ? À fumer quelque part dans le bar, au sous-sol la plupart du temps. J'ai fumé de la coke ce soir que l'on m'a dit. J'ignorais que l'on pouvait en fumer. J'en fumais pas mal en plus, tellement que Gabriel m'a arrêté dans mon élan. Il m'a bien embrassé, mais s'est assuré que nous ne quitterions pas ensemble. Tant mieux. Moi parti, il a subi toutes les mauvaises influences possibles. Drogué à mort, il n'y a plus rien à faire avec lui. Je souffre, mais pas tant que cela. Je souffre car j'aurais voulu dormir dans son lit. Mais cela, il l'a évité. Pour Jean-Pierre ? Une insulte. Tellement que je suis prêt à partir le plus tôt possible. Content de me voir, m'embrassant plusieurs fois, disparaissant le reste du temps. Mais moi je n'ai pas perdu mon temps, je parlais au propriétaire du bar.

 

          -C'est quoi les jours creux ?

          -Je vois où tu veux en venir, propose.

          -Faire la musique alternative les lundi et mardi soir.

          -Pour gratuit cependant. On fera de la publicité. Si ça marche, on te paiera.

 

          Voilà, j'ai un emploi à construire qui risque de payer à moyen terme. Moi, faire la musique alternative dans un bar, c'est un plaisir. Mais je n'ai pas ma musique. Tout est à Ottawa. Il va me falloir me débrouiller, il m'attend lundi soir à 20h00. Dans quel bateau me suis-je embarquer ? Plus que jamais j'ai envie de partir.

 

          J'ai parlé avec Ed ce soir. Je ne crois plus qu'il me veuille tant que cela à New York. Il veut célébrer sa liberté, je crois. Tout comme Sébastien. Eh bien, cela me permettra de célébrer la mienne. Il m'a fourni le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de Stephen, celui qui habite à Londres et que j'ai rencontré à New York. Un peu vieux, mais très beau. S'il m'accueille chez lui, mes chances de partir pour Londres sont plus grandes. Mais Ed m'a mis en garde :

 

          -Tu fuis ta vie, tu cherches partout dans le monde ce que tu ne peux trouver qu'à l'intérieur de toi.

          -Fuck you man ! Si c'est vrai, ne détruis pas mes espoirs. En rien je ne regretterais de faire le tour du monde pour découvrir ensuite, comme Candide, que l'on est si bien chez soi à cultiver son jardin. Car pour comprendre ces choses, le voyage est nécessaire. Et moi je suis sourd, terriblement sourd. Aveugle aussi. Là mon désir, ma foi en la vie. Je veux me frapper partout, mourir étouffer là où il le faut. Mendier, c'est là où j'en serai si je pars pour Londres. Mendier. Il n'y aura aucune autre solution. J'ai besoin de réfléchir sur ma vie. De mourir aussi. Là où j'en suis. Ne faut-il pas mourir pour renaître ? Non.

 

          Gabriel appartient à un autre univers que le mien. Il me faut l'oublier. Thomas a eu le temps de faire l'amour avec Richard, Jacques me l'a confirmé ce soir. C'est terrible la vie. C'est moi qui aurais dû coucher avec le beau Tom. Je suis parti trop vite. Au moins je peux me contenter en me disant que j'ai bien joui avec Edward. D'ailleurs, si je pars pour Londres, je pars de JFK, et non Mirabel. Alors je vivrai quelques jours avec Ed, sans dépenser un dollar toutefois. Je suis lié à lié, peu importe jusqu'à quel point il m'aime vraiment et qu'il me veut auprès de lui. Je n'ai certes pas été gentil avec lui ce soir. Lui affirmant qu'il n'était pas prêt pour une relation avec moi. Ses dettes, il en aura toujours. À New York, même après quinze ans à sortir dans les bars, nous ne sommes jamais écœurés. Car il y a une multitude de bars et de clubs, sans cesse de nouveaux et du nouveau monde à satiété. Il n'y aura pas de meilleur temps. Il ne sera jamais à moi, malgré que parfois il pense qu'un jour ce sera le nôtre. Il insiste pour que je déménage à Montréal, ainsi il viendra me voir. Il aime la ville, je pense qu'il a plusieurs hommes avec qui il couche lorsqu'il y va. Dont son ami Peter, dont il me dit qu'il n'a jamais couché avec. Le monde gai m'écœure énormément. Même si j'en fais partie et que je ne donne pas ma place. Je rêve toujours à ma petite vie de couple isolée qui vit dans la fidélité. Malgré mes manques et mes actions. Je suis prêt à tout donner pour celui en qui j'aurai confiance et que j'aimerai. Encore faut-il le trouver. Encore faut-il être stable pour cela. Montréal sans doute. Il me faudrait y déménager et y respirer l'air des bas-fonds afin d'espérer y vivre le bonheur inespéré. La vie est une vraie saloperie. Aujourd'hui tout le monde m'écœure et je m'écœure moi-même. Il n'y a pas de porte de sortie à cet enfer. On y vit, on y meurt. La mort.

 

 

          First of March. Je dois définitivement sentir ma mort, la seule chose que j'ai envie d'écouter ce matin, c'est Frank Sinatra. God help me !

 

          Au moins, si je pouvais entendre ce Franklin Sinatra à travers ma radio en descendant les côtes de la Californie, ça oui, je sourirais de mon sourire plein de dents cariées, la vie serait géniale. Ici je ne vois que de la neige qui commence à fondre. Il n'y a pas pire sur la planète. Une température de fin d'hiver. C'est l'achèvement d'une œuvre de mort, sans pour autant que nous soyons convaincu qu'il y aura un printemps cette année. On finit toujours par oublier ce genre de chose. Je tente de penser du mieux que je peux, ce que je veux. Vouloir et pouvoir.  Là sans doute mon obstacle. D'où vient cette parole d'Edward, lorsqu'il me dit que c'est en moi que je trouverai ce que je cherche. Ça me semble trop profond pour lui, peut-être que je ne le connais pas autant que je le croyais. En fait, je cherche une inspiration, une motivation à vivre. En effet, je puis certainement trouver cela à Jonquière. En effet, ce n'est pas Gabriel qui m'amènera cette plénitude. Si j'ai besoin d'écouter Franklin Sinatra aujourd'hui, c'est assez révélateur. Un besoin de lavage de cerveau de l'enfer d'hier. J'avoue cependant qu'il s'agit d'un traitement de choc assez excessif. Mais j'en ai besoin. Voir Gabriel courir un peu partout, disparaître pendant des demies heures, réapparaître dans un état space absolu. Il sort tous les soirs. Lâcher les vaches dans le clôt ! Elles iront s'électrocuter sur les fils électriques. C'est ma philosophie. Je radote. Ça me tente ce matin d'inventer une nouvelle idéologie régissante du monde. Le petit Jacques se fait insistant. Ce dimanche on se fait une soirée musicale chez lui, il m'a spécifié que ses parents seraient absents. Peut-être partira-t-il pour Sherbrooke, sinon ça tient toujours et je crois qu'il en profitera pour provoquer les événements. Il ne m'a jamais attiré sexuellement, Jacques, c'est un coup de foudre d'amitié. Un de ma génération, je les croyais tous morts, du sida. Quelle drôle de maladie, elle n'a épargné que les légumes qui adorent la dance music. Dans ces conditions, elle aurait dû achever sa mission et me détruire également. Dieu fait toujours les choses à moitié, comment pourrait-il espérer que l'homme les fasse en entier ?

 

          Ok. Là je viens d'atteindre le fond. J'ai dit à mes parents cette possibilité de faire la musique au 2171. Alice s'est mise à paniquer. M'exhortant à arrêter de compter sur eux pour survivre. Que c'était le temps que je trouve un emploi qui me fasse vivre. Que je prenne ma vie en main. À 23 ans, encore une fois elle me l'a dit, elle était mariée, elle avait des enfants, des salaires à tout casser. Moi, à 23 ans, rien. Alors, je téléphone Gabriel pour lui dire qu'il annonce au proprio du 2171 que je ne pourrai pas faire la musique. D'accord, justement il travaille au vestiaire toute la fin de semaine. Et puis là il se met à paniquer. Il est fatigué de ne pouvoir faire ce qu'il veut quand il veut. Il ne veut plus qu'on le prenne comme s'il était un toutou, son prochain copain va l'accepter comme il est.

 

          -Comme quelqu'un qui prend de la drogue et qui sors tous les soirs ?

          -Oui, si j'ai envie de prendre de la drogue, mon copain va l'accepter. Sinon il prend le bord.

          -D'accord, je prends le bord.

 

          Alors je prends doublement le bord. Je sens monter en moi l'injustice de parents incapables d'aider les siens. Incapables de payer les études de leurs enfants avec des salaires de 65,000 $ par année, cadre dans un ministère. Des parents qui te jettent à la rue pour savourer une intimité mythique qui ne se trouve justement qu'en rêve. Je m'en vais rebâtir ma vie à Montréal avec aucune cenne, avec rien à attendre de ma famille. L'altruisme familial à son meilleur. Il me semble que lorsque les gens te rejettent, c'est une chose. Mais de te faire frapper au visage de la sorte, c'en est une autre. Je suppose que c'est la conséquence de ma façon d'agir. Je suppose que je ne suis pas l'enfant modèle, malgré un bac d'université de quatre ans. Je  suppose que je n'en ai pas fait suffisamment. Probablement qu'il m'aurait fallu... je ne sais pas. Il me semble que rien n'aurait pu les contenter. À 23 ans, moi, en 1995, vous allez voir comment ça se passe. Je vais prendre un fusil, je vais en tuer plusieurs et me tuer en un suicide spectaculaire. Je montrerai ainsi à la face de la planète, et pour les générations à venir, ce que c'est vraiment que d'avoir 23 ans dans une société capitaliste qui arrive au bout de ses ressources. Ils pourront dire aux enfants futurs qu'à 23 ans, nous, on se suicidait de façon spectaculaire. Alors ce n'est pas normal que toi à 23 ans tu ne fasses pas la même chose. Je fais mes bagages, demain ou après-demain je serai à Montréal à chercher un emploi. Je vais tenter de m'inscrire également dans les universités, si jamais j'arrive à avoir une moyenne assez raisonnable pour que l'on m'accepte. Société pourrie où, pour un 0.3 dans ta moyenne, toutes les portes te sont fermées. Eh bien, j'attendais qu'un événement vienne me fouetter le derrière, c'est survenu. Maintenant je n'ai même plus à téter pour comprendre ce que je veux, je le sais et je n'ai plus le choix. C'est pour ces raisons que d'habitude on ne devrait jamais trop se casser la tête. Le jour est loin où je reviendrai dans la région pour plus de trois jours. Maintenant je ne peux plus ni aller chez ma mère, ni aller chez mon père. Comme ma sœur n'est pas très invitante non plus, à l'avenir j'irais chez des amis. Mais encore là, il se trouve que je profiterais de Pierre-Jean Jacques et qu'il me faut être autonome. Ainsi j'irai à l'hôtel, payé à même mon salaire de concierge. Mais lorsque j'en suis rendu là, je peux franchement me questionner à la nécessité que j'ai de revenir ici pour quelques jours. Dans le fond, cette famille m'est plus étrangère que des amis que j'ai que je ne considérais même pas comme de vrais amis. Et maintenant, c'est clair que Gabriel, on ne se reparlera plus. C'est clair, maintenant que Jacques a couché avec Richard et que je me rappelle comment il le regardait le jour où il a compris que je partais pour de bon, que j'ai manqué ma chance. Et c'est tant mieux, car il m'est impossible de vivre ici. Les vieux ont enfin compris qu'ils étaient devenus vieux et maintenant ils ont l'intention de se payer du bon temps. Eh bien, il est trop tard mes amis. C'était avant, qu'il fallait la faire votre jeunesse.

 

          Je vais quitter la région en très mauvais termes avec ma famille. Ce n'est certainement pas une bonne chose. Mais que voulez-vous, lorsque le moindre de tes petits droits est disparu et que tu ne peux plus compter sur ta famille même pour t'héberger quelque temps, et puis surtout lorsque l'on te réserve un accueil aussi froid et que l'on te signifie clairement, explicitement, que la vieille voudrait bien se débarrasser de sa fille, qu'elle pousse dans son dos pour qu'elle parte, et que soudainement moi j'arrive alors je devrais comprendre que c'est normal qu'elle ne soit pas heureuse de me voir... bull shit. Mon père qui m'a encore dit ce soir que je n'aurais pas d'enfants. Je peux te jurer que je n'aurai peut-être pas d'enfants, mais que si par hasard je viens qu'à en avoir, jamais, je dis bien jamais, mon enfant n'aura droit à un tel traitement. Moi mes enfants je leur sacrifierais tout. Je serais le père Goriot en personne. Et malgré qu'ils pourraient « abuser » de moi, je me ferai un plaisir d'entrer dans leur jeu. À travers tout cela, je verrai encore de l'amour. Alors qu'eux, malgré tout ce que je peux faire pour leur signifier mon amour et les efforts que je fais pour ne causer aucun dérangement dans cette maison, ils trouvent le moyen de me sacrer dehors. Mais je suis habitué, c'est la deuxième fois. Étrangement toujours en contexte où l'autre du couple, l'étranger, n'accepte pas ma présence. Allez donc tous chier ! Je saurai bien arriver quelque part dans ce monde... et puis non. Vous méritez que je n'arrive nulle part, que je meure d'une overdose dans une rue d'une grande métropole. Car cela est très probable, davantage lorsque l'on fout ses enfants à la porte. Voyez, hier je fumais de la coke sans le savoir (si cela est possible). J'ai même la nette impression, comme me disait ma cousine Christine voilà deux ans, que si la famille apprenait que je suis mort du sida ou d'overdose, ils ne seraient pas plus surpris. Ni même n'en pleureraient. Cela, s'ils l'apprennent un jour. Ils peuvent bien me reprocher d'appeler rarement lorsque je suis au loin, mais il faut bien préciser qu'ils ne m'ont jamais appelé une seule fois. Ma mère à quelques reprises, mais seulement pour me signifier que mon maigre prêt étudiant était rentré. Jamais pour prendre des nouvelles. Ce qui me fatigue le plus dans cette histoire, c'est que je m'en vais encore déranger quelqu'un à Montréal. Je vais cependant trouver un emploi le plus tôt possible et me trouver un trou à moi où je pourrai habiter seul et survivre de mon salaire. Alors je n'aurai plus aucun compte à rendre à personne. Et si je travaille fort, je pourrai me payer des aller-retour dans le monde entier sans rendre de compte à personne ou habiter chez quelqu'un qui me fera me sentir coupable de passer quelques jours à leurs dépens. D'autant plus lorsqu'il s'agit de la famille. C'est bien connu, les familles ne font que se chicaner. Aller voir dans les hôpitaux sur les lits de morts. Les gens se battent pour des vases et des télés sans valeur intrinsèque alors que le vieux n'est pas mort. Une chose est bien, au moins je n'aurai pas à payer toutes les dettes que mon père à contracté dans sa vie. Quel cadeau il m'offrirait. Mais maintenant que j'y pense, sa dette sera indirecte. Le déficit va nous achever, sa pension de vieillesse, je la paie indirectement. Et j'en paierai toute ma vie, bien davantage finalement que ça me coûterait de lui verser une pension de vieillesse moi-même pour les quelques années qu'il lui restera à vivre. Et j'aimerais avoir ses dettes que finalement passer ma vie dans la misère parce que l'économie en est à la ruine à cause de tous les programmes sociaux qu'ils se sont donnés et qui sont maintenant disparus. Mon expérience me dit que l'aide directe à notre famille coûterait moins cher à long terme que les impôts que l'on paie pour les programmes sociaux tels que l'assurance-chômage, l'aide sociale et les fonds de pension pour des vieux que l'on a jamais connus et que l'on ne connaîtra jamais, sauf lorsqu'ils te crachent dessus dans un autobus de ville parce que tu as voulu leur céder ta place, ils sont insultés parce qu'ils ne se jugent pas si vieux que ça. Esti de vieux débris, reste debout, puis pète-toi la fiole la prochaine fois que l'autobus freinera. C'est tout ce que tu mérites.

 

          Bon, je viens de terminer cette soirée. Je dois avouer que comme reprise de la situation et preuve d'amour, Sally Field ne pourrait faire mieux. J'ai vraiment ressenti l'amour d'une vraie mère pendant l'instant d'un moment. Les frissons me passent encore. Ma mère ne m'a plus reprit dans ses bras le jour où j'ai jugé que j'étais assez vieux. Alice avait beaucoup bu, elle m'avouait que cela la rendait lucide et faisait ressortir la vérité. Ce que je crois également. Son amour est définitivement sincère, je crois qu'elle m'admire beaucoup. Elle en a même un peu trop mis, me comparant moi et ma sœur à ses deux enfants. Cette comparaison part du fait que dans le village de Desbiens au Lac-St-Jean, à l'origine, elle aurait pu ne pas perdre douze ans de sa vie si elle avait tout de suite choisi mon père plutôt que son autre mari. Elle considère cela comme perte de temps et croit que si elle avait choisi mon père, ses enfants ce serait moi et ma sœur. Dieu que j'espère que Patricia, sa fille, dormait lorsqu'elle parlait. Je déteste entendre des choses que je n'aurais pas dû entendre. Comme elle regrettera ce qu'elle m'a dit ! D'autant plus que je suis convaincu qu'elle adore ses enfants, malgré certains manques peut-être, mais il ne faut pas s'imaginer que moi et ma sœur ne lui aurait pas offert pire. Patricia, cette enfant pur et irréprochable, parfaite et immaculée (pas vierge cependant, hi hi hi), personne ne peut regretter cela. En plus elle terminera bientôt son université. Sachant combien ils valorisent cela, cette enfant est donc idéale dans sa beauté. L'autre a bien prouvé son potentiel de leader en société, il sera d'ici quelques années un député, puis probablement ministre. Le contraire est impensable lorsque l'on a fait tout ce bout de chemin. Je le vois sincèrement premier ministre un jour. Or, moi je suis instable, homosexuel, je n'ai aucun concept de ce que représente l'argent, je vis à 200 %. Ma sœur, elle, ne semble pas s'être remise de la séparation de mes parents, je crois qu'elle aurait besoin d'un psychologue pour se comprendre. Elle n'en finit plus de lire quantité de livres sur les relations avec les autres, elle se cherche, cela nuit à sa relation de couple. Il est vrai que son environnement de travail n'est pas des plus passionnants, lié à son copain et sa belle-famille. Il me semble qu'elle n'a rien à envier chez moi et ma sœur. Elle dit que je suis tellement plaisant à parler, que je suis sensible, avec une bonne écoute. Elle sourit toujours lorsqu'elle arrive du travail et qu'elle voit le café prêt et les deux tasses sur le comptoir avec le lait déjà dans les tasses. J'ai compris que c'est vraiment pour mon bien qu'elle me pousse à prendre les moyens d'arriver quelque part. Elle croit que j'ai perdu les deux dernières années de ma vie et que je m'apprête peut-être à en perdre beaucoup plus si je passe à côté de Sébastien. Car peut-être dans l'avenir je retournerai avec, et j'aurai comme elle cette impression d'avoir perdu plusieurs années de ma vie loin de lui. Mais moi je ne partage nullement sa philosophie de vie. Moi, peu importe ce qui survient dans ma vie, ce n'est pas sans raison, j'ai des choses à apprendre. Jamais je pourrais comme elle regretter tant d'années avec un autre homme juste parce que nous n'aurons pas terminé nos jours ensemble. Quand bien même on m'enfermerait dans un monastère, j'y verrai une nécessité pour mon développement personnel. Enfin, je dois tout de même avouer qu'elle m'a fait prendre conscience que j'aimais Sébastien et que lui aussi même. Je vais donc, probablement partir pour Toronto de toute manière, demain je dois discuter avec Charlotte de la possibilité de demeurer chez elle dans le sous-sol à Toronto, malgré son mari. Ensuite, je vais trouver un emploi, m'inscrire aux universités. Ma décision est prise. Si Sébastien ne veut pas de moi, c'est une chance à prendre. Je ne m'en sentirai pas plus mal. Je ne pars pas avec l'idée que je vais certainement retourner avec lui. Je pars pour moi. Si ça fonctionne avec Sébastien, alors je serai heureux. Mais ce genre de situation est bien complexe. Comment en effet lui faire avaler que je e reviens pas que pour lui ? Il se croira obligé de me prendre dans son logement. Aussi, pour que tout aille bien, il faudrait que je trouve un emploi très rapidement. Ce qui n'est pas évident. Bref, nous verrons. J'en ai encore appris des bonnes, des choses que l'on m'a cachées. Lorsque je suis parti pour Paris, Alice a mis deux mille dollars sur la table pour me permettre d'aller étudier là-bas et de bien vivre. C'est maintenant légendaire, personne de la famille ne m'a même donné cinquante dollars avant mon départ ou même après. Deux mois plus tard mon père m'annonçait qu'il me donnerait 150 $ à chaque deux semaines. Or, ce 2000 $, ma mère a refusé qu'Alice me le donne. Elle disait que ce n'était pas à elle de payer pour les études de son fils. Cela a bien dégénéré je crois, Alice me dit qu'il s'en est bien passé des choses en mon absence. De toute manière, je n'aurais jamais accepté qu'Alice paie mes études. Bien qu'en vivant avec mon père depuis tout ce temps, c'est clair que lorsque mon père m'envoie de l'argent, elle contribue. Bref, je change la vision que j'ai des choses, mes idées contre Alice. Mais je demeure conscient qu'il a fallu que l'on en arrive à un extrême pour que tout sorte. En plus, je ne me sens tout de même pas justifié à demeurer ici plus longtemps. Car en fait, si elle a eu la chance de m'expliquer son point de vue et que je suis maintenant en mesure de le comprendre mieux sans la juger négativement, n'empêche que son point de vue implique une action immédiate de ma part pour enfin trouver la sécurité et la stabilité. Or, c'est bien connu que je ne recherche pas ces choses, même que je les fuis. Peut-être me faut-il un bon coup de pied dans le cul pour me remettre sur la terre ? Tout ce que je sais, c'est qu'il me faut réfléchir sur ce que je veux faire et les moyens à prendre pour ce faire. Parce que, en définitive, Sébastien représente-t-il vraiment quelqu'un de bien pour moi ? Il ne sera jamais fidèle, c'est bien connu. Mais regardez Thomas, Gabriel, Edward, aucun de ces trois-là ne m'offre la fidélité. Gabriel m'offre même l'instabilité et l'insécurité pure et simple. D'autant plus qu'il existe tant de choses cachées sur lui que j'ignore. Comme tous ces livres de bibliothèque volés dans le fond de son garde-robe dont il me demandait de ne pas poser de questions. Et ces vieux hommes louches avec qui pourtant il développe de bonnes relations au 2171. Hier encore, le vieux mongol avec qui il est parti, ce genre de choses me dépasse totalement. Je ne sais plus où j'en suis, c'est la plus simple des vérités.

 

 

          La  plus grande des question qu'il  me faut répondre est la suivante : où devrais-je aller. Hier, en pleine période de crise, Alice m'a ouvert les yeux. Toronto. Il est si facile de voir le tout en action ensuite. Bien sûr, lorsque la moitié du village de Saint-Jean-Vianney est maintenant dans le ravin et dans la rivière, on peut enfin voir tous les signes avant-coureurs que notre aveuglement ignorait tout simplement. Bref, je n'ai pas fait toutes ces démarches  à Toronto pour rien. En plus, ma tante Charlotte est ici, je vais la voir demain. Le temps où jamais de m'arranger avec elle pour habiter chez elle le temps que je trouve un emploi et une chambre. Faire croire à Sébastien que je ne cherche pas une chambre, car c'est très bien chez ma tante. Toronto éveille en moi des sentiments positifs. Montréal éveille en moi une indifférence, même un sentiment négatif. La peur peut-être. Mais peur de quoi ? Montréal est une ville particulière dans mes idées. Plusieurs Anglais et Américains l'adorent, cela est étrange. L'idée que je me fais de cette ville, probablement remplie de préjugés, me fait fuir. Cette impression que je n'y serai pas heureux. Enfin, bref, c'est peut-être juste une sensation momentanée, si rien ne fonctionne à Toronto, je suppose que ce sera là ma destination. Alors je confronterai mes préjugés et je m'y plairai. Aujourd'hui, cette impression n'existe pas sans raison. Elle me pousse vers Toronto. Voilà une question de répondue. Maintenant, comme Alice me dit, il me faut prendre les moyens pour accomplir mon idée. Demain, ma conversation avec Charlotte  m'éclairera. Elle aura toutes les solutions à mes questions,  j'en suis convaincu.

 

          Deuxième question qui me ronge : que veuille-je faire de ma vie ? Un emploi stable, une sécurité, continuer mes études. Je le dis très vite, ces besoins sont trop nouveaux en mon esprit. J'ai même peur qu'ils m'aient été inculqués par Alice. De toute manière, ai-je un autre choix au point où j'en suis ? À moi de prendre les moyens pour arriver à ces fins.

 

 

          La vie avec la blonde de mon père est devenue infernale. Elle dit prendre fin. Elle est au bord de la crise, bien que je n'aie aucunement l'impression d'être responsable de tant de misère. J'ai tout le monde de mon côté, même mon père qui souffre de la voir ainsi me rejeter alors que je prends si peu de place et que je sois si aimable. C'est dans les détails qu'elle craque, j'ai de la difficulté à comprendre pourquoi elle réagit ainsi. Deux crises aujourd'hui. La première, c'est que je désirais aller à Val-JAlan avec Charlotte, ma tante de Toronto en visite. C'est surtout elle qui voulait absolument me montrer Val-JAlan et le revoir, ainsi qu'Hébertville, la vieille maison de sa mère. Elle souhaitait emmener grand-maman voir sa sœur, cela doit faire une éternité qu'elles ne se sont pas vues (grand-maman ne sortant plus de la maison depuis quelques années). Alors, pour que j'apprenne l'histoire des Ouellet et des Poitras, mes ancêtres, nous avions prévu une journée visite. Or, aujourd'hui ma mère voulait voir Charlotte, ainsi je devais partir avec ma mère le soir, notre visite tombait à l'eau. Par contre, lorsque nous parlions de notre projet, hier, L'autre Charlotte de la famille (celle qui habite à Chicoutimi), trouvait l'idée bonne. Aujourd'hui ils se sont arrangés pour aller à Val-JAlan. Alors ce matin je me disais que j'allais embarquer avec eux puis ma mère viendrait me retrouver en soirée. Mais voilà qu'Alice, sous prétexte d'être seule avec mon père, décide que je vais demeurer à la maison. Moi, l'initiateur du projet, doit rester ici à me ronger les sangs. Adieu pour l'histoire de la famille, la vie des ancêtres, la famille Ouellet, Poitras et Tremblay. Ça n'a pas été drôle, je vous jure. Il fallait voir Charlotte ce soi, surprise qu'elle était de ne pas m'y voir aujourd'hui, nous organisions cela pour moi. Je crois en plus qu'Alice le savait, je lui ai bien fait comprendre. Ainsi ce soir, Charlotte insiste pour que je retourne demain et que nous allions au moins visiter Hébertville et la maison de ma grand-mère (ils n'ont visité que Val-JAlan aujourd'hui). Voilà que ce soir je demande la voiture à mon père, Alice explose et claque la porte de sa chambre. Toute communication est maintenant rompue, il n'y a plus de retour possible. Elle ne pourra jamais après cela venir s'asseoir à côté de moi pour expliquer son point de vue. On ne peut pas éternellement justifier son égoïsme, sa non-reconnaissance du fils de son conjoint et sa volonté qu'il décrisse au plus vite sans demander d'argent. Sa seule bonne raison, acceptable je suppose : sa ménopause. Remarquons que je ne doute pas qu'elle m'aime à sa manière à quelque part, je sais également que nous sommes dans le mois de mars et qu'en tant que professeur, c'est un des pire mois de l'année avec le mois de juin où l'école n'en finit plus et que les enfants sont incontrôlables. Mais je ne perdrai pas trop de temps à justifier son comportement et je ne me culpabiliserai pas sous prétexte que André, le copain de ma mère, ait fait une crise similaire lorsqu'il est entré dans la maison et qu'ils m'ont mis à la porte. Je vais partir d'ici dans moins d'une semaine et je vais tenter de croire que seuls eux sont la cause de tant de rejets. Mais c'est bien difficile, je me sens responsable. Mais pourquoi ? Est-ce que je profite vraiment de mon père ? Je ne lui demande pas d'argent en ce moment, rien depuis mon retour d'Europe. Je n'emprunte pas sa voiture souvent, je ne sors même pas une fois par semaine en ce moment. Il me semble qu'ailleurs il s'en passe bien plus. Les parents paient les études de leurs enfants (moi j'ai 20,000 $ de dettes et j'ai travaillé tout au long de mes études). Même que souvent les parents achètent des voitures à leurs enfants. Si elle veut jouer salope avec moi, elle pourrait le regretter. Je pourrais poursuivre mon père en justice et exiger de lui cinq fois 8500 $, moins les quelques milliers de dollars qu'il m'a donné pour m'aider au cours de mes années d'études. Car moi j'ai été coupé sur les prêts et je n'ai jamais eu de bourses à cause de son salaire. Un chiffre qui pour moi n'avait aucune signification et qui ne changeait rien à ma vie, ou plutôt à ma survie. JE reviens chez moi pour moins de deux semaines, au plus un mois, Alice trouve cela déjà trop. Il faudrait qu'en une journée j'aie pris une décision sur mon avenir et que je parte accomplir ma destinée. Pour l'instant je travaille sur des projets et je me renseigne sur la vie de mes ancêtres. Mais toute cette passion, elle ne la comprend pas. Mes études en littérature, c'est une perte de temps du début jusqu'à la fin. Additionnons le fait que je sois homosexuel, voilà, vous avez le fils indésirable qui ne devrait même pas avoir le culot de se présenter ici le jour de Noël. Pourtant elle accepte ça, bien sûr, en société, en théorie, on est immoral si on n'accepte pas cela. Mais dans ma cour c'est plus problématique, en pratique on les tolère, mais pas longtemps. Également, il faut bien avouer qu'ils ont raison, il me faut un emploi et survivre seul, indépendant d'eux. Mais je suis encore aux études que diable, la vie n'est pas aussi simple. Sans compter que de partir à Montréal chez les étrangers, François, ou Toronto, chez ma tante, c'est encore moins évident. Imaginez, votre famille ne vous accepte même pas chez vous pendant deux semaines, le temps que les étrangers au loin se retournent et peuvent vous recevoir. Qu'avez-vous donc à attendre des étrangers ? Je demande un peu de bonne volonté, pour l'amour du ciel. Laissez-moi un peu de temps pour que les choses se mettent en place, et oui, j'agirai. Et s'il vous plaît, laissez-moi respirer un peu jusqu'à que je sois prêt et que les autres soient prêts à mon départ. Je suis un être humain, et même si je puis occuper très peu de place, bien sûr, j'existe tout de même, je respire, je mange et je rencontre des tantes à Desbiens pour visiter Val-JAlan et la maison de ma grand-mère à Hébertville. Les temps sont durs, parce qu'il n'y a plus d'emplois, plus de sécurité sociale facilement accessible, plus d'argent qui tombe du ciel. Mais pendant ce temps, les mentalités sociales n'ont guère changées, les enfants devraient être partis de la maison à 18 ans et avoir commencé leur vie indépendante de celle des parents. Bien sûr, lorsque cette stupide génération qui vient de banlieues aussi reculées que Desbiens commençaient les grandes études, un simple bac de trois années d'université t'ouvrait toutes les portes et tu quittais la maison très tôt parce que pour étudier il fallait partir. Et puis, jamais les enfants n'avaient besoin de revenir à la maison, car ils se trouvaient tous un très bon emploi avant même de terminer leurs études. Ils disent qu'ils comprennent cela, mais en pratique, ils ne comprennent rien. Croyez-vous que cela me rempli de joie de revenir ici après justement être parti à cause de cette humeur massacrante que l'on me sert ? Peut-être ne digère-t-elle pas mes voyages. Moi je vie, alors qu'elle, elle sèche et ankylose à travailler dans une misérable polyvalente. Jalouse. Car si elle croit que cela se fait à ses dépens, c'est le temps qu'elle se réveille. Sa fille, lui a certainement coûtée plus cher à vivre sous son toit toutes ces années. Et un enfant en général, ça coûte certainement plus cher que l'argent que mon père, et non elle, m'a donné. Car veut ou veut pas, avec un salaire qui est le triple de ce que les gens gagnent en moyenne, mon père a certainement pu me donner ce peu d'argent sans le prendre dans la bourse de sa blonde. I am not happy, mais je ne me laisserai pas abattre. Je vais partir, je vais m'organiser, et ma vie, je ne la raterai pas. Je vivrai et je serai heureux. Mais cela est si compliqué à accomplir lorsque tous les malheureux te freinent dans ton élan.

 

          Mon dieu la chambre dépressive ! Jamais dans ma vie j'ai eu l'impression de me ramasser plus bas. Il est venu un temps où ce genre de situation m'aurait bien fait plaisir, lors de mon trip sur les romantiques, là où il faut mourir au bout de son œuvre. Ou encore, Edmond Rostand et sa préface où il est dit qu'il écrivait son premier chef d'œuvre dans une petite chambre d'étudiant, le ventre creux. Mais moi je ne m'attendais pas à cela, je ne le désirais pas maintenant. C'est bien beau de courir après la misère, mais un jour il faut s'en sortir. D'autant plus que Sébastien m'a encore répété son discours aujourd'hui, je pourrais maintenant lui répéter par cœur. Pourtant ça ne rentre pas dans mon crâne, je ne puis concevoir qu'il me balaie ainsi de sa vie sans aucun regret. Il a parlé avec sa sœur, je croyais qu'elle allait lui ouvrir les yeux : c'est un bon jeune homme, il ne te fera jamais rien de mal, il est ta stabilité, ça fait déjà quatre ans. Au lieu de ça, elle lui a dit ce qu'il voulait entendre : il doit se brancher sur l'endroit où il veut vivre en enlevant le nom de Sébastien dans l'équation, il doit trouver une stabilité et une indépendance, il doit savoir où il s'en va. Pauvre conne, sais-tu où tu l'envoies ton frère ? Dans la jungle gaie infernale pleine de parasites et de maladies. La corruption, la drogue, l'infidélité généralisée, les psychopathes, etc. Peut-être rêve-t-elle en couleur ? Elle croit peut-être que ça existe le copain parfait à Toronto, beau, gentil, fidèle, riche, amoureux, affectueux, romantique, honnête ? Si ça existe, c'est déjà casé, et on ne les rencontre jamais.

 

          Ma crise d'hier m'en a fait faire en grand. Les back rooms du Bijou, je les ai bien observées. En rentrant au Woody's, un beau jeune homme pas mal fucké m'a lancé : Hi, cute little guy ! Ou quelque chose du genre. J'étais vraiment désinvolte. Je lui ai mis ma main sur la hanche, lui demandant une cigarette. Il m'a demandé si je partais, j'ai répondu par la positive. Alors il m'a donné rendez-vous pour samedi ou dimanche au même endroit. Ce à quoi j'ai lancé : je serai là demain. Et puis je marche sur la rue. Une Saab passe, la fenêtre s'ouvre, un des deux gars m'a crié quelque chose comme de quoi j'étais beau. Je lui ai fait un signe de la main. Ils ont arrêté, il a lancé son gant dehors, pour faire comme la femme qui jette son mouchoir. Mais un couple en avant de moi l'a ramassé avant moi. Peu importe, je suis arrivé à leur hauteur, il me dit de monter, ils vont me reconduire. Juste avant d'embarquer, il s'écrie que je suis French. Oups, me souvenant soudainement de la situation politique mouvementée, j'hésite à monter : do you have anything against French ? Il m'est venu à l'esprit que l'on pourrait bien me retrouver quelque part dans un ravin. Je ne désirais pas finir mes jours en première page de tous les journaux canadiens comme étant un Québécois mort crucifié à Toronto par des anglo-saxons endurcis (car ils sont bien anglo-saxons américanisés, j'aime bien). Mais après m'avoir dit que j'étais aussi canadien que lui, j'ai embarqué. Il m'a offert d'aller coucher chez lui. Non merci, je serai au Woody's ce soir. J'ai donc deux personnes à rencontrer ce soir. James le premier, le deuxième, j'ai oublié son nom. James pourrait peut-être m'intéresser, mais je vais apprendre à le connaître avant. J'ai mal au ventre, je suis pourtant motivé à sortir. Mourir ici seul ce soir, serait trop déprimant. Je devrais aller m'acheter de la bière, mais c'est trop compliqué dans l'état fasciste de l'Ontario. Premièrement il faudrait que je trouve un Beer Store, or, où sont-ils ? Ensuite, il est 20h08, ils seront déjà fermé je crois. Puis comble de tout, ils refuseraient de m'en vendre même avec un passeport pour prouver mon âge. Il leur faut la carte d'identification délivrée par le gouvernement ontarien lui-même. Cette chambre me tue. Ma tante Charlotte en entrant ici, son sourire est disparu et son commentaire fut : Cette couleur grise sur les murs, cet aspect triste, c'est vraiment déprimant.

 

          Voilà, j'ai ma bière froide, qui restera froide (il fait bien zéro degré Celsius dans cette chambre, c'est plus froid que dans un réfrigérateur). Pour trouver le Beer Store, il suffisait de suivre de suivre les gens qui tenaient une caisse de bière à la main. Je suis arrivé cinq minutes avant la fermeture. Bien entendu, on m'a demandé mon passeport, cette fois ça a marché. Un gars dans la rue, qui m'a parlé dans un français cassé, m'a demandé si je désirais qu'il achète la bière à ma place, sous prétexte que je n'avais pas l'âge et que je ne réussirais pas à les tromper. Ça commence drôlement à m'insulter, ça ne m'inspire pas à trouver du travail, je vais souffrir de discrimination.

 

          Il est encore trop tôt pour aller rencontrer James, encore qu'en Ontario ça ferme tôt, les gens sortent tôt. Lorsque l'on m'a dit d'être revenu à l'hôtel pour deux heures car ça fermait jusqu'au lendemain huit heures, je me suis mis à paniquer. Cendrillon doit rentrer au bercail vers les 1h15, pour être certaine de ne pas passer la nuit dehors. J'avais oublié que ça fermait à une heure du matin. Dans ces conditions il n'y a aucun problème à jouer à la méchante marâtre et exiger toutes sortes de règlements. De toute manière je compte bien ne pas dormir ici ce soir, car après avoir voulu rendre jaloux Sébastien en lui disant que je ramasserais quelqu'un, je suis convaincu qu'il se ramassera quelqu'un juste par jalousie. Je lui souhaite de ne point être capable, ça fait du bien d'être méchant. Il refuse de me voir et de coucher avec moi (alors qu'il coucherait bien avec n'importe qui) car je suis trop émotif envers lui. Hier, paraît-il, je l'ai traumatisé. Une erreur, il craint les crises, il ne me présentera jamais à ses amis. Surtout que s'il les embrasse devant moi, il redoute l'enfer. Va donc chier vieux christ, lorsque j'aurai rencontré quelqu'un d'autres, tu verras combien rapidement je t'oublierai. En effet, quel avantage j'aurais de revenir avec un bout de bois qui est impossible à exciter tant il souffre avec moi ? Je crois que les chances de revenir avec lui sont nulles. Il a tellement, mais tellement souffert avec moi ces quatre dernières années, que maintenant il va savourer sa liberté : coucher avec tout ce qui passe et attraper des crabes ou autres maladies vénériennes au passage. Me forçant par la même occasion à faire la même chose. Ce soir, Toronto m'appartient.

 

 

          Un vieux miroir au teint grisâtre, qui ne reflète que le mur gris. Le reflet d'une chambre sans vie, le reflet de la mort, ou du néant. Raymond est venu dans cette chambre, en tant que poète-philosophe, il a trouvé que j'étais bien, malgré les odeurs bizarres. Il m'a encore payé un repas dans un restaurant végétarien, ce fut excellent. Ça fait juste six mois qu'il ne mange plus de viande, mais il est radical extrémiste. Aucun produit laitier ni d'œuf. À ce rythme, je me demande s'il pourra tenir très longtemps. Il s'agit toujours d'un processus graduel, pas d'un arrêt extrême soudain. Je me demande si c'est la chambre qui me rend dépressif ou Sébastien qui ne donne plus signe de vie et qui n'est jamais chez lui. Ce soir il refusera de me voir, il ne me dira rien de sa soirée d'hier. Il voudra cependant savoir sur ma nuit d'hier, il sait déjà qu'à cinq heures du matin je traînais encore dans les rues de Toronto. Il n'en saura pas davantage, à moins qu'il me raconte sa soirée. Lui, il a au moins la chance de m'en inventer, comme toujours. Raymond prend une place importante dans ma vie, malgré moi. Il est vrai qu'il en sait des choses, âge oblige. Il me dit qu'il est encore en train de traverser une phase importante dans sa vie, sans compter qu'il a arrêté le café voilà deux mois (mais il passe son temps à bailler, à mon avis il devrait se remettre à la caféine). Son problème d'alcoolisme, ça ne me semble pas si terminé que cela. Il considère cela comme une maladie héréditaire. Que l'on arrête jamais d'en prendre. C'est très inquiétant. Mais pourquoi aurait-il négligé les AA s'il avait recommencé ou jamais arrêté ? Alors j'ignore totalement quelle peut être la phase qu'il traverse. J'ose à peine lui poser des questions à ce sujet, il m'en dit un peu plus chaque jour. D'où vient cette confiance ? Pourquoi m'avouer des secrets aussi lourds que celui d'un de ses amis qui se serait suicidé dans son alcool en se tirant en bas d'un pont voilà quatre ans juste après avoir voulu faire l'amour avec Raymond sans succès ? Ce secret, je serai bien le seul de toute la famille à l'apprendre. Il m'a raconté sa vie de drogué et d'alcoolique, qu'il sortait tous les soirs. Ce qu'il n'avoue pas facilement, c'est qu'il a dû en passer énormément, d'autant plus qu'il a fait les saunas. Il m'a raconté l'enfer qui régnait avant le sida. L'orgie perpétuelle qui planait sur une partie du monde gai dans les saunas. Entre autres, un gars couché sur son ventre avec un plat de graisse Crisco à côté de lui, tous à tour de rôle éjaculaient dans lui, sans même qu'il ne regarde qui entrait en lui. Je vois qu'il insiste pour me revoir, mais moi, peut-être parce que j'étais fatigué, je n'avais plus rien à lui dire aujourd'hui. On trouve toujours, mais là on parle de superficialité, on a fait le tour de l'essentiel. Peut-être croit-il que cela me soulage de lui parler de Sébastien, vu mon état de désespoir. Mais j'avoue que non, ne pas lui en parler ne changerait rien, ça ne me soulage en rien, du moins que je sache. C'est plutôt lui qui a besoin de moi. Il m'a répété plusieurs fois comment j'étais un être profond et sensible, qui, en quelque sorte, l'illuminait. Je lui ai téléphoné vers 18h hier soir, il a attendu mon téléphone jusqu'à 17h, m'avouant qu'à 13h il s'ennuyait carrément de moi. Mais il m'a lancé cela avec précautions, il a bien réfléchi au pourquoi. Il en déduit que je lui amène son propre souvenir, lorsqu'il est arrivé à Toronto à 24 ans, avec presque le même bagage que moi. Également je suis de la famille, je lui apporte quelque chose de son village natal, Desbiens. Puis que je suis sympathique, nos conversations enflammées, même que son œuvre philosophique de toute une vie (ça fait quinze ans qu'il y travaille) se clarifie bien mieux depuis que l'on discuter. Je lui ai apporté motivation et inspiration, à peu près comme avec Thomas de Chicoutimi avec sa poésie. Il n'y a pas à dire, sans pouvoir affirmer en quoi, je suis un être d'exception. À mon contact, les gens s'illuminent. Je n'arrive pas à comprendre en quoi, mais c'est drôlement positif dans ma vie. Certainement une conséquence d'un développement personnel, une philosophie du bien que je développe depuis longtemps. Peut-être aussi qu'avec mes 23 années, je dégage une sagesse hors du commun, sinon, comment pourrais-je aider tant de gens en souffrance, des gens qui ont plus que deux fois mon âge et pas mal plus de vécu que moi ? Écrire semble avoir raffiné ma pensée, m'avoir procuré le don de discernement et la vision de sans cesse voir les choses sous un autre angle. Mais comme je ne tiens pas en place, lorsque la magie se rompt, les gens se fâchent. Ils commencent par les reproches avant le départ, puis le rejet. Revenir dans leur vie ensuite est bien difficile. N'est-il pas ironique que Charlotte et Raymond aient tous deux ressenti un grand bien à mon contact - comme tous les autres que j'ai rencontrés ces derniers mois - alors que Sébastien lui c'est tout le contraire ? Quand je pense que c'est lui qui est ma seule source de culture. Par lui j'ai tout appris, je lui dois beaucoup. Ça ne m'a pas empêché toutefois de subir le rejet de bien des personnes ces derniers temps. Je ne le prends pas personnellement, il s'agit sans doute de propres problèmes qu'ils ont dans leur vie. Tout le monde est bourré de problèmes à plus finir, il semble même qu'il n'y ait aucune porte de sortie à tout cela. Apprennent-ils à travers leur calvaire, voient-ils une évolution ? Sinon, ça pourrait bien expliquer pourquoi l'enfer est infini.

 

          Parlant de mes problèmes, je me demande ce que fait mon Sébastien. Aucune réponse, mort et enterré. Je crois que Gaby repart ce soir pour Vancouver. Comme l'heure recule à chaque fuseau horaire, s'il part d'ici à 21h, il arrivera là-bas à 21h. Qu'il soit heureux d'ainsi arrêter le temps. Ce que je veux dire c'est que l'avion peut partir n'importe quand, ce soir ou demain matin, ce n'est pas comme l'Europe où l'on part toujours en soirée pour arriver là-bas le matin. Là on fait un bon dans le futur. Ainsi Sébastien passe ses dernières heures avec Gaby, peut-être même qu'il ne reviendra pas chez lui puisque Gaby pourrait partir demain seulement. C'est raté je crois ma rencontre avec lui. Et puis, qu'aurions-nous fait ? Des cafés chez Pam's, à me faire remplir le cerveau de ses reproches sur notre vie passée et son désir de coucher avec tout le peuple de Toronto, je les ai suffisamment souffert. Il faudrait commencer à agir comme de vrais amis, et non pas comme un couple sur le bord du ravin de la séparation qui tente d'éclaircir l'histoire de l'humanité depuis dix mille ans. Ça le fatigue, moi de même.

 

          Voilà, mission accomplie. J'arrive d'aller reporter Sébastien. Fascinant comme soirée. Rien de mieux que de, et personne n'osera parler de coïncidence, rencontrer Richard à cinq heures du matin sur Church Street. Sébastien est arrivé chez lui paniqué vers les 21h00. Quoi ? Il était là à cette heure avec un autre homme ? Tout de suite il voulait que l'on aille prendre un café. Nous avons été chez Taco Bell manger un burrito et des nachos. Là il voulait savoir, il brûlait de poser des questions. Bien sûr, il n'était pas question pour moi de répondre sans lui faire remarquer qu'une journée avant il se lamentait que je posais des questions. Ainsi il m'a raconté un peu ses deux dernières journées. Le premier soir, il était au The Barn. Bien, la semaine prochaine je serai au Barn. Hier il est sorti avec Marc, son agent de musique et quelques-unes de ses amies hétéros. Tout le monde a couché là, il m'a bien spécifié qu'il n'avait pas fait l'amour avec Marc, ce que je doute, mais I don't give a shit, Christ ! La soirée d'avant il serait sorti seul, aurait rencontré des gens s'intéressants à lui, mais pas suffisamment beaux pour qu'il se décide à coucher avec. Eh bien, je peux le croire. J'ai souffert lors de ce discours, car je lisais entre les lignes. C'est bien possible qu'il ne veuille plus coucher avec son petit agent de musique. Mais il me fallait tout écouter religieusement, sans dire un mot ou dire quoi que ce soit. Si je montrais de l'embarras ou de la souffrance, il arrêtait sec, prêt à me repousser. Bientôt il pourra me raconter ses plans de cul en détails, et là j'aurai besoin de penser très fort à la Vierge Marie pour ne pas entendre un mot de cet enfer. Après c'était à mon tour de lui raconter ma soirée d'hier. The Woody's, Boots. Ces deux bars, où je me suis fait des amis. Il n'a pas osé demander si j'avais couché avec quelqu'un, ça je crois qu'il le savait. J'ignore s'il a couché avec quelqu'un depuis mon arrivée, je pense que non, mais c'est bien possible. Il faut que je me retienne de lui poser la question. Ça rassure de voir que toutes mes réactions par rapport à lui, il les a en rapport à moi lorsque c'est moi qui soudainement sors et rencontre du monde. Ce soir je savourais le pouvoir que j'avais sur lui, ma supériorité sur la situation. Mais je n'ai pas aimé l'idée où il ne considère aucunement de revenir avec moi. Il ne voit que l'aspect d'avoir un genre de membre de sa famille ici, pour être moins perdu, car le Sébastien est aussi perdu que moi, malgré son ami Richard. Il était fier que l'on puisse ainsi échanger nos sorties et presque nos histoires parallèles. En fait, lui dire que j'ai couché avec un autre ne semble pas l'affecter. Mais ça a libéré certains fantômes. Il est venu dans la chambre. Il a refusé que je le touche, mais il m'a pris dans ses bras. Je n'étais pas hystérique, j'ai pu lui commencer un massage qu'il a arrêté. Puis je l'ai sécurisé, il s'est laissé faire. Puis il s'est déshabillé, moi de même. Pas besoin de dire qu'avant la fin du massage, voilà qu'il pénétrait en moi, et moi sur le dos plutôt que sur le ventre. C'est la première fois que ça fonctionne dans cette position qu'il préfère, ce fut génial. Rien de comparable avec l'autre d'hier, Alain. Après la soirée Sébastien était heureux, moi de même. Il a dit comme cela : oui, on pourra de temps à autres faire l'amour ensemble. À ce rythme, il comprendra très vite qu'avec moi il jouit comme un malade. J'ignore s'il pénètre les autres, il dit non, mais je ne lui fais plus confiance. Il ment plus que la moitié du temps. Retourner avec lui, est une assurance que la fidélité n'existera plus. En plus à Toronto, alors que l'on habite dans le red light district et que juste en face de l'appartement sur Saint-Joseph, il y a un bar gai. D'autant plus que la seule raison pour laquelle il m'a laissé, semble être ce besoin soudain de liberté, coucher avec du monde. Mais cette envie soudaine ne semble pas futile. Cet agent de musique, il pourra trouver des endroits pour Sébastien. S'ils n'avaient pas couché ensemble, il n'aurait peut-être pas fait les efforts. Aujourd'hui Sébastien lui a joué sa musique au piano, ainsi qu'aux autres filles. Patrick a dit qu'il tenterait de trouver des endroits, mais ce n'est pas évident puisque ce genre de musique, ce n'est pas toutes les places qui en jouent. Moi j'ai apporté la pièce manquante au casse-tête. Ma seule et unique cassette démo de Sébastien que j'ai traînée de Londres jusqu'à Jonquière, via Paris, emporté à Granada et à New York, aujourd'hui montré à Raymond, et voilà pourquoi je l'avais par miracle dans ma poche. La force qu'il m'a fallu pour me débarrasser de cette seule cassette, ce seul souvenir que j'aurai de mon Sébastien lorsque je ne le verrai plus. En plus, ma photo des rails de chemin de fer dans le parc Montsouris, ça aussi ça me fait mal. Il dit qu'il  m'en donnera une autre, mais je sais qu'il  n'en a plus de ces photos à Ottawa. Il aurait peut-être la musique, mais dites-moi quand il pourra et voudra m'en donner une copie ? Si important pour moi, voilà la cassette envolée. Mais je suis fidèle à « mes » rêves de sa réussite dans la musique. Mon courage à deux mains, je lui ai remis la cassette à la condition qu'il la remette à son Marc. Ça devient lourd, cette histoire. Je remets la plus grande de mes possessions à l'amant de mon copain. Il  me faut vouloir en christ, alors que j'aurais juste envie de lui dire DE CREVER MON ESTI DE CALICE DE TABARNACK DE P'TIT CHRIST D'ENFANT POURRI ! Mais je prends sur moi, je crois en la destinée de mon Sébastien, et c'est moi qui suis le vrai agent de sa destinée. C'est la raison pourquoi nous ne sommes plus ensemble. Les parents de Sébastien l'ont ramené à la raison, les ordinateurs, c'est bien plus sérieux et payant que la musique. On verra. Tandis que moi, ma destinée, je l'ai presque sacrifiée à celle de Sébastien. Me voilà encore perdu à Toronto, tentant de l'aider à faire déboucher sa carrière en musique. Convaincu que s'il a le malheur de donner quelques concerts, son succès est assuré. J'ai eu l'impression d'être venu à Toronto juste pour apporter cette cassette, la sortir de ma poche comme par enchantement (alors que j'ignorais qu'elle se trouvait là) pour la remettre le plus naturellement du monde à Sébastien. Ensuite je me suis rendu compte de ce que je venais de faire, me séparer de cet objet qui valait tout pour moi. Sa musique, c'est lui, c'est mon Sébastien à moi. Maintenant je l'ai perdu en entier. Je n'ai plus de lien, sinon qu'il me fourra à l'occasion, entre deux autres qu'il rencontra au Barn chaque fin de semaine. Si je suis venu à Toronto que pour remettre cette cassette et repartir, ce sera déjà ça. Si cela pouvait vraiment faire déboucher Sébastien dans les arts, je ne regretterais rien. Ainsi je puis espérer un nouvel âge avec Sébastien, mais j'ai bien peur que de coucher ensemble ne changera rien à son sentiment de séparation. Il ne veut pas plus de moi qu'avant. Just a nice little fuck, d'autant plus si notre recherche de sexe du week-end n'a pas fonctionnée comme prévu. Je suis méchant, mais je me demande comment je pourrais ne pas l'être dans le contexte. Parce que dans cette méchanceté, il y a tellement de vérité. J'admets qu'elle est dite d'une manière excessivement cynique, mais que voulez-vous, ce n'est pas une période très intéressante de ma vie à l'heure actuelle. Je me sens comme un moins que rien, j'ai perdu toute confiance en moi, mon estime, mon amour propre. Je couche avec plusieurs personnes, je suis entre ciel et terre, j'avoue que d'attraper le sida, au niveau où j'en suis, je m'en fous littéralement. Ce serait peut-être une bonne chose. Mais la mort serait trop lente. Je ne veux pas attendre dix ans, il faudrait que ce soit instantané. Surtout que là, attraper le Sida ne garantit plus ta mort, ils ont enfin trouvé le moyen de te garder en vie toute ta vie, probablement à l'état de zombi j'imagine. Je vis à l'heure d'un jeune qui boit trop et qui sort, couche avec le premier du bord. Un jeune qui pourrait prendre des drogues et mourir d'une surdose sur un coin de rue quelque part dans la ville. Ça me rendrait heureux, j'en éprouverais un sentiment d'extase qui me comblerait l'intérieur. Mon Dieu, je crois que je ferais mieux d'aller dormir et de ne plus trop penser. Pourtant, j'aurai de quoi me réjouir. J'ai réussi à capter toute l'attention de Sébastien, à l'emmener chez moi, à faire l'amour, à lui faire dire tout ce que je voulais savoir ou presque sans même lui poser une question. C'est une nouvelle ère qui s'ouvre, sur la bonne pente. Déjà ce soir je voyais difficilement que je repartirais de Toronto. Pas après ce qui s'est passé ce soir. Il y a tout de même de l'espoir. Les prochains jours m'en diront davantage. La scène gaie joue pour moi, on ne rencontre pas tant que ça des gens intéressants et c'est assez difficile de les avoir plus que pour un one night stand. Je resterai certainement deux semaines. Les choses évoluent, c'est bon signe. Mais il semble si assuré lorsqu'il m'assurait encore hier qu'il serait seul pour une période qui irait au-delà de six mois. Wow, il planifiait en sauter des petits gars de Toronto ! Oui, ne soyons pas naïf et innocent. Et tâchons de bien dormir tout de même. Quelque chose me dit que ce ne sera pas difficile, la nuit dernière je n'ai pas dormi. Ah le Sébastien. Pourquoi nous donner autant de troubles ? Pour cet agent qui t'ouvrira les portes de la musique ? Et maintenant tu vas revenir à moi ?

 

 

          Le temps passe, je m'en fous. Ma vie est tellement en suspension dans le vide qu'il est inévitable que quelque chose de radical surviendra et m'embarquera avec lui au loin. Je suis prêt à tout, aucun lien ne m'attachant à quoi que ce soit. La vie torontoise m'écœure, Sébastien m'écœure, je m'écœure. Un peu de normalité me ferait du bien, une certaine stabilité avec l'impression de n'avoir rien à accomplir qui demande des tonnes d'énergie. Je suis fatigué mort, mes nuits dans cette chambre d'hôtel deviennent de plus en plus pénible, il fait si froid, bien en dessous de zéro, que je me mets à tousser comme un malade vers les cinq heures. Ne sachant plus quoi faire pour arrêter et me réchauffer. Le manque d'amis commence à se faire ressentir. Sébastien pas du tout un ami, a pain in the ass, ça oui. À me mentir, à me cacher des choses, à me dire que l'on ne sort plus ensemble et que l'on ne sortira plus ensemble dans le futur. Mais faisons l'amour, je suis en manque ces temps-ci. Le sexe, plus on en a, plus on en veut. C'est comme l'alcool et la drogue. De plus, chose intéressante, les deux oncles et la tante que j'ai à Toronto sont tous plus ou moins dérangés dans le cerveau, ma tante Charlotte en tête. Raymond se ressent encore de ses problèmes d'alcool et de drogues, en plus que tous ses amis, au lieu d'être gais, sont plutôt des alcooliques anonymes. Hier, chez Hélène, une de ses grandes amies qui demeure sur Church Street, ils parlaient de tous leurs amis en train de mourir un en arrière de l'autre. C'est l'âge, une vie d'enfer, ça pète tôt, ça règle tous les problèmes. Il y en a une à l'hôpital qui est sur la morphine, et il lui apporte deux bouteilles d'alcool par deux ou trois jours. Ils disent qu'ils ne sont pas en train de la corrompre, ils l'aident à partir plus calmement. Euthanasie donc. Comment peut-il m'initier autant à tout cet univers ? Qu'ai-je fait au bon Dieu pour être ainsi lancé  dans un milieu de drogués et d'alcooliques juste au-dessus de tous leurs problèmes, prêts à replonger dedans à la moindre alerte ? Et là, Raymond ambitionne, hier il disait que j'étais brillant, une lumière qui se comparaît à Dieu. Ok, je suis imbu de ma personne, mais pas à ce point. L'ours, mon autre oncle italien, lui, on les connaît ses problèmes. Il est sur les anti-dépresseurs et battait sa femme. Ma tante Charlotte m'annonce en grande pompe que si elle a réussi à avoir une pension d'invalidité, c'est qu'elle était violente et qu'elle était devenue incapable de se contrôler avec les enfants. Elle m'annonce que je suis moi aussi une personne violente, à cause de la conversation de l'autre jour sur la séparation du Québec, où je me suis levé en disant que ça suffisait, je ne voulais plus en parler. Ce qu'elle oublie, et ce qu'ils oublient, c'est que toute la famille me criait après, eux aussi d'une nature très violente dans ce cas. C'est juger un peu vite le monde tout cela. Il ne faudrait tout de même pas me catégoriser violent pour cet épisode, c'est un peu fort. Il y a un bout à chercher des poux chez les autres. Et puis, si on veut en chercher des poux, moi, je puis en trouver. Mon père, Georges, Roméo, et d'autres, m'ont dit que Charlotte déraillait et qu'elle inventait des histoires assez effrayantes. Je n'y avais jamais goûté avant hier soir où le plus sérieux du monde elle m'annonce que sa mère lui aurait avoué que mon grand-père aurait tué un homme, cela, parce qu'il avait abusé sexuellement mon père. Mes grands-parents auraient ensuite été l'enterrer le lendemain en allant aux framboises. Après avoir parlé avec mon père, toute cette histoire est impossible. L'homme en question est mort à Jonquière en 1990. Et puis, Charlotte elle-même me dit qu'elle en a parlé à Marie le lendemain que grand-maman lui aurait conté cette histoire et Marie disait que c'était impossible, ils n'avaient pas d'automobile à cette époque. En plus, toute l'histoire de la confession où mon grand-père pleurait car il voulait être pardonné, Marie dit qu'elle était toujours présente et que jamais cela eut lieu. Bien, Charlotte m'invente des histoires fuckées maintenant, je devrais aller la voir plus souvent, elle m'inspirera en plus de me divertir. Je me demande si de tels jeux peuvent devenir dangereux. Est-ce que ce sont les drogues qu'elle prend qui lui soufflent de tels épisodes créés de toutes pièces ? Aucun doute, ma vie à Toronto s'annonce pas mal lourde. À qui donc puis-je faire confiance ? Tout le monde me ment aller-retour. Raymond, je commence à voir sa vie par bribes, souvent par les autres qu'il  me présente. C'est surprenant qu'il veuille bien me les présenter. Il méprise la vie torontoise gaie, le sexe à tous les coins de rues, les gars qui vont coucher avec trois personnes par jour pendant des années. Mais il m'avoue peu à peu que c'était exactement son rythme de vie et qu'il y ait passé plusieurs années dans ce calvaire. C'est facile de mépriser quelque chose dont, à 53 ans, on n'a plus accès, et d'autant plus facile à mépriser pour me montrer une image de lui assagie alors qu'il a vécu plus fort que tout ce monde que je rencontre dans ces bars. Car il ne faut pas se leurrer, les back room de ces bars, le Bijou, et  tout cet enfer, il en était un habitué. Mais cela, il me l'avoue petit à petit, un jour il pourra arrêter les mensonges, lorsque je saurai tout. Et encore, en trente ans, des choses ont eu le temps de survenir, je ne suis même pas certain de vouloir les connaître. Tout le monde me ment à Toronto ! De quoi ont-ils peur ? La vérité, cette bête noire. Raymond me racontait qu'ils avaient joué au jeu de la vérité une fois lorsqu'il faisait ses études à l'Université Laval à Québec. Une série d'étudiants se prenant pour le nombril du monde, comme il se doit dans ce genre de contexte, s'étaient assis autour d'une table. Plusieurs avaient couchés avec d'autres, certains avaient sortis ensemble, s'étaient trompés entre-temps, d'autres avaient de  l'homosexualité inavouée, et puis d'autres avaient des problèmes inavouables comme cela en public. La morale de l'histoire, c'est que la vérité ne se dit pas, la vérité fait mal, elle apporte les mauvais jugements, les sous catégories humaines, les détritus de la société, alors que tout s'équivaut, que tout le monde est aussi fucké que tout le monde, avec sa série d'actions impensables que nous aurions crues impossibles venant de telle personne. La pureté en ce monde n'existe pas, la vérité non plus. Et lorsque les problèmes sont trop flagrants, alors les mensonges sont encore plus effrayants, et il devient impossible de cacher entièrement la vérité. Triste monde où l'on vit. La spiritualité ne nous sauve pas. Je m'en fous ! Ce  monde m'écœure, j'espère qu'il y aura de meilleur temps à l'humanité ! J'ai trouvé une Bible anglaise dans un tiroir de la chambre d'hôtel, je relisais le passage sur Sodome et Gomorrhe, pour ma part, il faudrait répéter cela pour l'humanité au complet. Et ne venez pas me parler de Hare Krishna, j'en ai ma claque des illuminés névrosés, quand ce n'est pas le sexe ou l'alcool et les drogues, c'est la religion et la spiritualité poussées à outrance. N'y a-t-il pas de juste milieu dans ce monde ? Peut-on encore être maître de sa propre destinée et de sa propre conscience plutôt que de la remettre dans les mains de Hare Krishna et ses pseudo-maîtres guides spirituels, ou les remettre dans les  mains des drogues et des bas-fonds de la société ? Oui, mon Dieu, vaut mieux demeurer chez soi à cultiver son petit jardin en ignorant le reste du monde, ça évite de partager tous les problèmes de l'Univers. Et le pire, je dis ici la vérité, lorsque j'aurai terminé une étape importante de ma vie, je mettrai un point finale à ces 1000 ou 2000 pages de bull shit sur mes expériences en société. Eh bien, s'il me faut publier cela un jour, la vérité disparaîtra avec l'essentiel. On en ressortira 300 pages, et les gens en seront découragés au possible. S'ils savaient combien la vérité est bien plus effrayante encore...

 

 

          I'm not happy. Même que je n'ai pas dormi de la nuit. Même que là je n'en peux plus de Sébastien, j'en ai plein mon casque. Il refuse de me voir, sort avec ses amis, hier souper au restaurant, ce soir une pièce musicale avec Marc, ça va finir dans le lit. S'il n'y avait que cela. Je suis seul, seul entre quatre murs. Un but à l'existence ? Aucun, néant absolu. Franchement, j'attends vraiment pour des jours meilleurs ? Mais lesquels ? Trouver un emploi sera le coup de grâce, rien ne pourra me rendre plus malheureux encore. Poursuivre mes études ? Plutôt mourir. J'hésite à sortir seul, peur de me faire rejeter, peur de revenir seul encore plus déprimé. Je n'ai pas dormi de la nuit hier, à six heures du matin je tournais dans mon lit, à huit heures je me suis levé. Mais levé dans une nouvelle chambre. Je suis déménagé à l'hôtel Isabelle, les murs sont beige jauni, mais c'est clair. Pour 10 dollars de moins j'ai maintenant une toilette et une douche dans ma chambre. Eh bien ça m'a rendu à la limite de ce que je pouvais supporter. Ça me coûte moins cher, mais ça ressemble trop à un vrai hôtel, ainsi j'ai atteint le summum de ma culpabilité. Comment puis-je vivre dans un hôtel, moi qui n'ai même pas l'argent pour me payer une bière ? Mon père qui me reprochait ce matin d'être passé dépenser 2000 $ à New York. C'était bien nécessaire qu'il me reproche cela. Je n'ai pas manqué de lui dire que selon mes plans initiaux, ce voyage à New York devait me conduire à Toronto où je devais trouver un emploi. Mais que je ne pouvais pas y rester, je suis donc retourner un mois à Jonquière. Or, je ne pouvais pas prévoir que, un, on me jetterait dehors de la maison, deux, que Rosario ferait sa crise pour que je ne vienne pas chez lui, trois, que Sébastien me laisserait et ne voudrait pas de moi dans son appartement. Allons donc tous chier gang de calice. Gardez-les vos hosties de maisons aux nombreuses chambres vides. Belle société qui arrive à la limite de ce qu'elle peut offrir à autrui. Le pire, c'est que l'on peut croire en Dieu comme c'est pas possible, aller à l'église, prêcher à tout le monde une morale de curé jusqu'à en assommer plusieurs, et après, être incapable de se contrôler son tempérament, incapable d'aider son prochain. Mon père m'aide pour ma survie. Comment je me sens ? Je ne veux plus demeurer à Toronto, je souffre trop ici. Je ne veux pas y travailler, il n'y a aucun avenir avec ce christ d'enfant qu'est Sébastien. J'en éprouve vraiment de la haine, je passe à travers les cinq étapes que traverse une grand-mère quand elle perd son mari. Je ne suis pas où je veux être, je ne suis pas avec qui je veux être, je ne fais pas ce que je veux, j'ai bien peur d'être pris à Toronto jusqu'à la fin de mes jours si j'ai le malheur de trouver un emploi. Or, sans Sébastien, Toronto, c'est sans intérêt. Une ville sans substance, colonie anglaise américanisée. C'est vide, laid, froid, plate à mourir. Aucune personnalité, franchement, peut-on être fier de vivre à Toronto ? Pardonnez-moi, dans le contexte je ne puis vraiment être objectif. Je n'ai plus rien à manger, plus l'argent pour acheter quoi que ce soit. Tant mieux, je vais me laisser mourir de faim. Je ne bouge pas de la journée, je regarde le plafond, peut-être qu'après quelques heures quelque chose surviendra, une idée, une folie, n'importe quoi. Là je sens que je serai à Montréal pour le week-end prochain. Je vais me trouver un emploi, n'importe quoi, même un restaurant. Je suis déterminé à partir, je vais partir. Je ne peux pas moralement exiger de mon père autant d'argent, sans Sébastien ça n'en vaut pas la peine. Je vais lui annoncer ma décision, dans l'espoir qu'il se réveillera, il aura une semaine pour prendre une décision. Si j'étais méchant, je souhaiterais qu'il regrette comme jamais il n'a regretté dans sa vie. De toute manière je sais qu'il va regretter. Mais de quoi me serviront ses regrets ? Il sera trop tard. Je n'ai plus motivation à rien. Je réfléchis, on m'emmènera à la place de la Concorde à Paris, je serais terriblement malheureux. S'il ne s'agissait que de Sébastien, ce serait bien, mais ma vie n'a plus de sens à tous les niveaux.

 

          Quelque chose m'a poussé hors de l'appartement. La direction s'imposait d'elle-même, je marchais sans savoir où j'allais, mais j'y allais avec détermination. Je suis entré dans la Hudson Bay Center à Bloor & Yonge, j'ai trouvé un WHSmith, je me suis dirigé instinctivement dans la section philosophie-religion, j'ai pratiquement trouvé sans effort un livre de Richard Bach. Mes derniers vingt dollars, alors que je ne mange rien. Nourriture de l'esprit, il me fallait bien cela pour me maintenir en vie, puisque la bouffe ne sert à rien dans mon cas. J'ignorais qu'il avait écrit un nouveau livre, Best-seller du New York Times. Il faut dire que je suis vraiment déconnecté d'avec le reste du monde since I'm Running from Safety probablement davantage que Richard lui-même. Il a peut-être fait faillite dans Un, mais aujourd'hui il a dû refaire sa fortune avec Running from Safety. Eh bien, j'ai engraissé sa sécurité aujourd'hui et contribué à détruire la mienne. Il faut dire que Richard est mon guide spirituel par excellence, inconsciemment le titre de son livre m'indiquait la route à suivre : prend la première bouche d'égout et enfonce-toi sous la terre. Merci Richard. J'espère que ton livre m'éclairera sur ma situation, à savoir si j'ai raison de m'enfoncer ainsi davantage plus les jours avancent.

 

          Alternons spiritualité et tendresse. J'ai besoin de sécurité. J'ai besoin de quelqu'un qui me prendra dans ses bras pour me faire oublier que Sébastien sera dans les bras d'un autre. Je vais sortir ce soir, si j'ai le malheur de ne rencontrer personne d'intéressant, j'ignore ce que je ferai. Ma vie est guidée par le sexe, c'est mes parents qui le disent. Je peux me contenter en pensant à Richard qui nous racontait ses nombreuses aventures avec des femmes à Key West, avant d'embarquer avec sa Leslie Parrish, une actrice qui n'est certes pas de ma génération, je n'en avais jamais entendue parler.

 

          Oups, je crois que j'ai déjà lu ce livre. Je me suis fait avoir, c'était écrit 1994, mais je crois que c'est l'année de la réédition. À moins qu'il ne fasse qu'écrire la même chose encore et encore. Quel était donc le titre français de ce livre ? Eh bien, peut-être qu'il me fait le relire d'une lumière différente. Au stade de ma vie où j'en suis, peut-être m'apprendra-t-il l'avenir ? Qu'est-ce que le vieux Richard irait dire au jeune Richard pour l'aider à traverser sa vie et le motiver à exister ? Tout ce que le vieux a à offrir est d'une négativité étouffante : divorce, faillite, trente-six ans d'attente avant de marier Leslie, l'amour de sa vie. Ainsi mon vieux moi dans le futur n'aurait que de la bull shit à me communiquer ? Eh bien, il peut la garder sa bull shit, je la connaîtrai bien assez tôt. En tout cas, mon moi actuel irait bien signifier à son jeune moi qu'il peut bien se tirer une balle dès maintenant, sa vie des années plus tard ne signifiera pas grand-chose. D'une dépression à une autre, d'un calvaire à l'autre, c'est ça ma vie.

 

          Tient, ça devient intéressant au chapitre trois. Il parle d'un livre qu'il aurait écrit à son jeune moi : Réponses- Quelques indices afin de vivre une vie réussie. Et il pointe la table des matières : Famille, École, Études, Aller au travail, Argent, Responsabilité, Obligations, Service, Prendre soin des autres. C'est extraordinaire, c'est la première fois que je me rends vraiment compte que je suis un vrai marginal. Là, noir sur blanc, c'est écrit les points importants de la vie de chacun, et voilà qu'aucun ne semble me concerner. Je suis en marge de tout, ma famille s'est envolée, l'école c'est abandonné, les études ne m'ont pas appris grand-chose d'intérêt, je ne travaille pas, l'argent pour moi est un concept très vague, je semble vivre sans avoir aucune responsabilité ou obligation, le service, j'ignore ce qu'il entend par là, l'armée peut-être, loin de moi tout cela, et faire attention aux autres, ça ne me ressemble guère, je n'ai même pas d'amour de ma vie pour lui faire attention. Est-ce que je pourrais vraiment stabiliser tout cela d'ici la fin de l'année ? Ou alors c'est ça que ça signifie de fuir la sécurité ? Sans doute il croit que je suis sur la bonne voie ?

 

          Tout ce que vous faites reflète sur votre famille. Avant de faire quoi que ce soit qui pourrait les embarrasser, réfléchissez : Est-ce que ma famille sera heureuse si je suis surpris à faire ces choses ? Oh mon Dieu, je les rendrais malheureux longtemps, moi, d'autant plus que je n'ai pas d'amour propre, je me fous de tout. Dieu nous surveille. Le temps viendra où il demandera : As-tu été un bon citoyen ? Dites-lui qu'au moins vous avez essayé. Suis-je un bon citoyen ? Non. Est-ce que j'ai essayé ? Non. Alors que puis-je espérer en retour ? Rien. Mais je ne connais aucun autre bon citoyen, alors… Sacrifiez-vous pour les autres, et ils seront gentils avec vous. Je me sacrifierai pour les autres le jour où une seule personne se sacrifiera pour moi, c'est-à-dire jamais. Je n'ai pas besoin de m'inquiéter avec ces idées stupides parce que Richard lui-même avoue que ce n'est qu'une mass of vapid slurry, pour peu importe ce que ces mots signifient.

 

          Je dois admettre, toute la journée je pensais au suicide, mais maintenant, à ma deuxième bière, je suis fort psychologiquement. Prêt à tout confronter, prêt à sauter dans les bras du plus beau. Du pou misérable qui ne méritait même pas la vie, me voilà maintenant au centre du monde, antéchrist qui va tout changer des moeurs humaines, du petit quotidien boiteux et plat du peuple. Qui suis-je ? Je suis la conscience tourmentée du peuple, je réfléchis ici l'éternel malaise de tous. Tout mon entourage est malheureux, il n'y a plus personne qui arrive à se comprendre, une vie pourtant si simple, je puis la résumer un mot : néant. Comment pourrais-je être heureux dans un monde qui ne connaît ni la joie ni la plénitude ? Car moi je crois au bien-être absolu, pour l'avoir expérimenté à quelques occasions. Chaque fois j'étais seul, à l'extérieur au grand air, et malheureusement, j'avais un walkman sur les oreilles. Comme si la musique était nécessaire à un tel état. Mais en ces temps je suis si bien, si heureux, je flotte dans les airs, j'aime toute chose, en particulier la nature et la planète. Une vraie jouissance bien plus passionnante que le sexe. Mais je dois avouer encore qu'il me faut être dans un état euphorique et que souvent l'alcool facilite l'avènement de tels moments. Parfois sur les pistes de danse, cette plénitude me parvient. Jamais il ne  m'est arrivé d'entrer au Caméléon de Chicoutimi, maintenant The Times, sans que cet état me vienne, que j'aie bu ou non. La musique, cet étrange médium capable de te transporter vers l'ailleurs, te faire voir d'un coup tout ce qu'il y a de positif dans ta vie. Oh oui, parfois je suis si heureux de vivre, j'en ai des larmes qui me viennent aux yeux. Si toutes mes journées pouvaient être ainsi ! Si j'arrêtais d'attendre après les autres pour un quelconque bonheur qu'ils ne peuvent m'offrir, étant eux-mêmes incapables de le trouver pour eux. Trois bières, The Smith, le voilà mon état euphorique. Je suis le maître de l'Univers, ce soir je sors et je serai quelqu'un qui aura quelque chose à offrir à autrui, considérant la vie tel un jeu, où tout le monde gagne. Quand j'y pense, la dépression est si stupide, la preuve en est que lorsque les événements se tassent et que l'on peut analyser, le cours des événements est si logique que cela nous surprend que nous ne l'ayons pas compris et que nous en sommes tombés malades juste à attendre la suite. Il me faudrait vraiment faire attention, de ne pas me suicider dans un moment de déprime trop fort, car ces temps se terminent, surtout lorsque je bois un peu d'alcool, et alors, je regretterais peut-être d'avoir passé à l'acte. Bien  que si j'avais agi, je ne serais plus là pour regretter, encore que, qui sait ? Oh Dieu, si la bière n'existait pas, il faudrait l'inventer. Je suis si heureux ! Qui aurait pu imaginer cela ? Au diable le monde entier, je ne suis peut-être rien, mais l'important est de croire que je suis tout. Dieu sait que vous pouvez faire une différence, et je vais faire une différence. Ce soir, Toronto m'appartient. (Puisque je suis à Toronto, mais je n'en suis plus certain, peut-être suis-je à New York ? Qui sait...) Je suppose que je ne puis pas cracher ainsi sur Toronto sans me faire crucifier ensuite. Eh bien crucifiez-moi, moi j'endure bien Mordicai Richler, vous pouvez certainement m'endurer. Moi je suis juif, québécois et homosexuel. Tout cela est du pareil au même. Je déraille, laissez-moi dérailler, je suis un Juif ! Qu'est-ce que cela implique ? Je serais bien curieux de le savoir. Je ris tout seul, c'est merveilleux. Pourtant j'aurai pleuré toute la journée. Vive l'alcool ! Je vois tellement clairement tout à coup. Ce soir je sortirai au Boots, je vais rencontrer quelqu'un, nous ferons l'amour. Sinon, je vais au sauna, bon dieu, j'aurai  bien ce que je veux.

 

 

          Voilà, Julian est venu dormir chez moi, nous avons fait l'amour cette nuit pendant deux heures, ce matin nous avons recommencé. Maintenant il est allé porter sa mère à la messe, ils sont très catholiques chez lui, comme tous les Irlandais. Il dit que sa mère parle beaucoup, ainsi, lorsque j'appellerai, elle me posera quantité de questions. Alors je lui répondrai :

 

          -Bonjour, la nuit dernière j'ai fait l'amour avec votre fils, deux fois, c'était incroyable. Êtes-vous arrivé à l'Église sans problème ?

 

          Mais l'histoire de Julian est plus complexe qu'on ne le croit. Premièrement, lorsque l'on s'est rencontré hier, il s'était préparé une échappatoire. Il venait de terminer une journée de travail et il me racontait qu'il devait rentrer travailler vers les 23 heures pour quelques heures supplémentaires à quinze dollars de l'heure. Croyez bien que je ne l'ai pas cru, mais je me suis tait, car sans doute voulait-il me connaître un peu avant d'aller au lit. Alors nous avons bien parlé, bien ri, et il m'a lancé comme cela que c'était rafraîchissant de rencontrer quelqu'un d'intelligent. Eh bien, si ça ne lui prend qu'une petite conversation politique pour affirmer que les gens sont intelligents, je n'aurais pas manqué mon coup. Puis soudainement il regrettait un peu d'aller travailler. D'autant plus qu'il allait me perdre, car moi j'allais sortir et rencontrer quelqu'un d'autre. Alors après plusieurs téléphones à son travail, une femme supposément n'aurait pas rappelé son service pour confirmer qu'il travaillait, ainsi il n'y allait plus. Alors je l'invite à venir chez moi, il accepte, mais il veut que l'on se rende chez ses amis avant. Alors il commence son discours sur la drogue, est-ce que j'avais quelque chose contre le pot.

 

          -Eh bien, oui, non, j'ai déjà essayé, mais... tu sais...

          -Bien, j'avais peur que tu veuilles partir à courir.

 

          Alors j'avais tout compris. Il voulait probablement aller fumer du pot avec ses amis, voilà pourquoi il ne pouvait plus me rencontrer. Puis, changeant d'avis, de peur de me perdre, il m'invite chez ses amis. Un grand risque, mais somme toute, valait mieux que je le sache qu'il fumait couramment du pot, ça ne se cache pas ce genre de chose, surtout dans une relation. Alors, je me suis retrouvé dans un salon, avec quatre autres gars dont trois m'auraient fait l'amour là sur ma chaise. Le quatrième était trop saoul ou gelé. Les deux plus vieux, de vraies queens. L'autre jeune, un vrai petit AC-DC en puissance, un petit Voïvod-Métallica heureux de respirer. Un peu gros avec ses cheveux longs, mais attirant sexuellement, avec ses yeux insistants. Nous avons donc fumé un joint. Aujourd'hui je prends la décision nécessaire de ne plus jamais prendre de drogues. Mon système ne le supporte pas. Une cigarette me fait déjà tellement d'effet, le joint m'a carrément gelé bien dur. Pendant une heure je luttais pour ne pas perdre connaissance. En marchant pour revenir, il y a de longues secondes où j'ai dormi en marchant. Cela ne m'est jamais arrivé avant. J'ai tout de même invité Julian à venir, lui disant que je ne lui garantissais pas que nous allions faire l'amour. Mais j'avais tant besoin qu'il me prenne dans ses bras, puis j'ai bandé très rapidement. La drogue me rendait incontrôlable dans le salon. Mes mains tremblaient, je n'en avais pas la conscience. Je savais que je devais m'abstenir de prendre ma tasse de café, j'aurais tout tiré par terre. J'étais incapable de terminer une phrase, ça ne faisait aucun sens, en plus, lorsque quelqu'un me parlait, j'oubliais le sujet de la conversation qui avait pourtant été mentionné trente secondes avant. Rien de pire que de parler avec quelqu'un alors que tu as envie de t'effondrer et que tu es incapable de suivre une phrase. Enfin, il fallait voir la tête de Julian lorsqu'il a vu le livre écrasé qui tient la fenêtre ouverte : La Sainte Bible. Je me suis défendu comme j'ai pu :

 

          -Il faut bien que ça serve à quelque chose.

          -Fais attention pour que le livre ne tombe pas en bas des quatre étages !

          -Ah oui, je ferai un effort pour le tirer en bas en relevant la fenêtre, qu'il repose dans la boue quelques millénaires encore, peut-être que lorsqu'on la redécouvrira on sera mieux positionné pour en ressortir seulement un message d'amour, et non de haine prêt à justifier toutes les guerres saintes du monde. Car, soyons sérieux, jamais une guerre ne sera sainte. C'est une insulte au monde sacré que d'appeler sainte une guerre quelle qu'elle soit.

 

          Je viens de téléphoner chez Sébastien, Richard se fait plaisir, à tenter de me faire capoter :

 

          -Sébastien est sorti avec un de ses amis et il n'est pas rentré de la nuit.

 

          Il sait très bien que l'impact sur moi est toujours effrayant. Peut-être que son message est plus clair que je ne le pense :

 

          -Oublie ton esti de Sébastien, tu ne vois pas qu'il ne veut plus rien savoir de toi ?

 

          Mais que veux-tu. Lorsque je couche avec un autre, le lendemain je me sens terriblement coupable, je me dégoûte moi-même. Comme si c'est avec Sébastien que je devrais être, comme si en fait je perdais mon temps avec ces aventures sans avenir. Si Sébastien a couché avec son Marc, non, je veux dire, j'espère que ce matin, après avoir fait l'amour avec son Marc, Sébastien s'est rendu compte comme moi que l'on perd notre temps loin l'un de l'autre. Deux possibilités : qu'il ne se réveille jamais, m'oublie complètement, rencontre quelqu'un d'autre ou plusieurs autres qui le contenteront. Ou alors il se réveillera, comprendra que c'est avec moi qu'il renouvellera un nouveau contrat de quatre ans, et il me reviendra, m'invitant à demeurer avec lui. Or, c'est cinquante pour cent des chances qu'il me revienne, en plus d'un autre facteur, le temps. Parce que s'il prend six mois pour se réveiller à ce choix, il sera trop tard. Le temps, le temps, le temps. Il n'influerait pas grand-chose si je n'avais pas l'intention, comme Richard Bach, de fuir lorsque je vois que je n'ai pas ce que je veux. Au moins, si je pouvais fuir en avion, ce serait toute qu'une aventure. Fuir en autocar, ça limite mes horizons.

 

          Alors, qu'est-ce que j'ai appris hier ? J'ai certainement appris quelque chose ? Que je suis intelligent, que je suis très beau (et je sais aussi que ça ne suffit pas toujours à obtenir tout ce que je veux). Ensuite, la drogue me fige complètement, chimie incompatible avec moi. Eh bien, je connais maintenant Nelson, Greg, Kevin, un autre gars et Julian. Si je sors, il me sera plus simple de ne pas être seul. Encore que, quel avantage ? D'autant plus que je n'ai pas envie de sauter de ma petite vie instable avec Sébastien à une vie d'enfer dans la drogue et l'alcool à satiété. Bref, je revois Julian demain. Peut-être que c'est à moyen terme qu'il m'apportera quelque chose de concret. Je n'ai pas envie de sortir ce soir, mais il faudrait que je sorte, pour rencontrer l'amour de ma vie, juste au cas où. Peut-être réussirais-je enfin à rencontrer quelqu'un qui vraiment changera ma vie ? Je ne suis tout de même pas juste venu à Toronto pour apporter une cassette démo des chansons de Sébastien, pour que son petit Christ d'agent l'écoute jusqu'à quatre heures du matin le lendemain, pour l'appeler vers ces heures pour lui crier combien Heaven Inside est une chanson qui pourrait l'emmener très loin. Son premier critique professionnel : c'est génial ! Moi je parle toujours dans le beurre, j'espère que ce petit christ d'agent qui a pris ma place la fera sa job et qu'il lui trouvera des dates de concert et motivera Sébastien à pratiquer. Ce sera très difficile, je me demande ce qu'il pourra lui inventer. Moi je ne puis plus parler, j'ai tellement insister dans le passé que Sébastien ne veut plus rien entendre. Heaven Inside pourrait l'emmener loin. Je l'espère, d'autant plus que cette chanson mi-négative mi-positive m'est adressée et que j'en ai même composé quelques lignes. Alors c'est en partie mon bébé. Et sans moi, cette chanson n'aurait jamais existée. Un jour Sébastien me remerciera peut-être de lui avoir permis d'obtenir tout ce qu'il voulait. Car pour lui la matérialité, le bien-être absolu, la reconnaissance artistique, tout cela est primordial. Ce n'est pas avec son petit emploi de 9 à 5 qu'il arrivera à ces fins. Nous sommes bien différents. Moi je me fous de tout, je veux juste être heureux à l'instant présent. Le lendemain n'a jamais existé, n'existera jamais. Peut-être que je devrais me pencher sur la situation et voir la logique des événements. Sébastien semble heureux sans moi. Si on regarde sa vie du point de vue de sa réussite en musique, peut-être n'a-t-il plus rien à attendre de moi. J'ai peut-être apporté le maximum que je pouvais, l'ai conduit là où il devait aller, l'ai emporter tout cuit dans le bec à cet agent avec qui il couche. J'étais une sorte d'agent non professionnel, il lui en fallait maintenant un vrai qui lui ouvrirait plus de portes que la Maison des Étudiants Canadiens à Paris et deux autres bars parisiens dont il a refusé les dates par manque de confiance ou de pratique ou je ne sais quoi. De ce point de vue, je suis d'accord que je lui ai apporté le maximum et que ce n'est peut-être plus de mon ressort maintenant. Un couple gagnant en agent et musicien, c'est peut-être comme Céline Dion et son agent René, il faut coucher ensemble et se marier, ainsi on va loin. Je serai donc un obstacle à la carrière de Sébastien, son agent sera moins enclin à l'aider si je suis dans le décor et que je l'empêche de sucer la bite de mon bébé. La tabarnack ! Pardon. Ainsi la sagesse m'indiquerait la route de Montréal. Mais considérant la vie selon un autre point de vue, si on oubli la musique, puisque Sébastien semble s'en foutre complètement et que s'il réussit ce sera sans nul doute à cause des autres qui l'ont poussé étape par étape, alors je ne vois pas comment je puis être un obstacle à quoi que ce soit. Sinon que Sébastien rencontrera peut-être des gens qui lui apprendront des choses essentielles à sa vie et que moi je ne pouvais lui apporter. Mais Sébastien n'a jamais partagé ma philosophie, tout au plus ce pourrait être inconscient dans sa tête : je veux rencontrer du monde, je veux coucher avec du monde, je veux voir autre chose. Ce qui revient à ma philosophie : je veux évoluer, je veux apprendre davantage, être initié à de nouvelles choses pour mieux comprendre l'univers qui m'entoure. Autres enseignements, autres mots. Ce qui en effraie plus d'un. Mais heureusement je n'en suis pas au : Jésus-Christ, je veux l'atteindre, entrer en communication avec lui à travers la multitude de rencontres que je fais chaque jour. Dieu, je veux le transpercer de mon âme à travers l'amour que je dégage autour de moi chaque jour. Même chose, mots différents. Ou encore : je veux coucher avec la planète entière, me vautrer dans le sexe par-dessus la tête, découvrir les affres des  bas-fonds. Mêmes idées, mots différents.

 

          La musique, il n'y a que cela qui existe, il n'y a que cela pour me garder en vie. Au moins on a la musique. Ma motivation à continuer, là où je puise toute mon énergie. Si j'avais pu être composer de la musique et les mots, chanter comme Sébastien le fait, j'aurais réalisé mon seul et unique rêve. Avec la détermination que j'avais, je serais quelque part aujourd'hui, car la musique c'est concret. Tu t'assois, tu l'écoutes, tu es conquis. J'ai travaillé ces dernières années à la réalisation de ces rêves avec Sébastien.  J'aurais tant souhaité pouvoir chanter, mais il ne voulait pas. J'ai composé des mots, il n'en gardait que très peu. Mais j'étais là à toutes les étapes, soutient moral et tyran qui l'obligeais au travail. C'était peut-être un peu mesquin de ma part de l'obliger ainsi, le pousser à réaliser mes rêves comme il dit. Et maintenant qu'il en serait à l'étape de faire déboucher les quinze chansons, il me balaie de la carte. Ainsi il va réaliser mes rêves sans moi, et peut-être même que sans moi il ne réalisera rien de ces rêves. Sauf si l'agent, motivé par l'argent et le cul, et non par la venue au monde d'une création concrète qui sera un catalyseur pour toute une créativité future, reprend où j'ai laissé. Et il est probable que l'accomplissement d'un enregistrement professionnel de tout cela me sera insupportable à entendre. Trop de souffrances entreront en ligne de compte. J'ai toujours parlé comme si sa carrière en musique était concrète et sur le point d'exister pour vrai. Lui il n'a jamais considéré cela comme possible. J'ai pu le maintenir pendant un temps, mais à Londres il a tout lâché. Nous y allions surtout pour cela,  c'était tout de même concret comme motivation, ça influait sur nos grandes décisions. De même, n'est-il pas venu à Paris pour ce fameux concert, le seul que j'aurai réussi à lui arracher ? Je peux être fier de moi, au moins il a offert à quelques oreilles néophytes dont Anne Hébert, ses treize ou quinze chansons au piano dans une atmosphère de salon de thé à l'anglaise. Une réussite, une salle pleine (bien que l'on ait eux peur à un moment donné qu'elle demeure vide). Musique éphémère, c'est parti dans les Alpes, mais ça a existé. Comme les pièces de théâtre d'Antonin Artaud, dont personne aujourd'hui est capable d'expliquer de façon claire ce qu'il a vu de ce théâtre révolutionnaire. L'idée d'aller loin dans la musique a déjà été bien plus concrète, au point d'influencer des décisions radicales qui remettent toute une vie en question, la mienne et celle de Sébastien. Il a toujours bien eu une certaine volonté à un moment donné, un désir de réussir. Poussé par moi pour acheter les machines, il s'est même fait une cassette démo rudimentaire qui peut toutefois les ouvrir les portes. Travail nécessaire que Sébastien n'a jamais considéré comme très utile. Il avance dans la vie en aveugle, les événements pour lui arrivent comme des coïncidences alors que c'est comme ma sœur qui rencontre son copain qui lui offre un emploi d'ingénieur mécanique du jour au lendemain dans une région où il n'existe aucun emploi. Sébastien semble trouver la voie de sa destinée sans trop s'en rendre compte. Peut-être que la mienne aussi c'est le temps qu'elle avance d'un bon grand bon. Je ne pourrai pas toujours demeurer entre ciel et terre. Peut-être que c'est à Montréal que tout débouchera. À moins que Raymond soit celui qui, à Toronto, m'ouvrira certaines portes, celles de la traduction. Une vie qui ne me déplairait pas. Vaut mieux traduire d'insipides textes de lois que de faire des clubs sandwichs et des pizzas pour toute une civilisation.

 

          Je n'ai jamais lu ce livre de Richard Bach finalement. Ça me semble une sorte d'analogie en rapport à ce qui se passe dans sa tête, c'est peut-être même connu des psychiatres ou psychanalystes. Il s'agit de s'inventer un enfant imaginaire, un moi du passé, qui vient nous bien faire comprendre l'enfer que l'on a vécu étant enfant. Une période que l'on a toujours tendance à mépriser parce qu'elle deux fois plutôt qu'une elle est d'une noirceur à mourir. Je suppose qu'à la fin il en ressortira transformé, un autre homme, qui, ayant compris ses origines, pourra enfin devenir sensible, avoir un cœur. Car si l'on a pu traverser une vie sans vraiment être sensible à la personne que l'on aime à moitié, avec un enfant par contre, on n'a pas le choix. Il faut s'investir à chaque minute, car une minute d'inattention et il te revient pour te le reprocher avec une innocence désarmante. Richard n'a pas d'enfant, il s'en est inventé un. Un enfant n'aurait pu lui en apprendre autant que si en fait il est un lui-même plus jeune. L'idée est bonne, mais j'ai bien hâte de voir où il va en venir et ce qu'il va vraiment apprendre. Soixante-douze pages et on dirait que l'avion n'a pas encore décollé.

 

          Sébastien n'est pas encore revenu chez lui. Ma seule motivation, puisqu'il est maintenant quatre heures, c'est que comme dimanche passé (ou était-ce samedi ?) il est demeuré toute la journée à jouer au piano chez son ami Marc. Au moins s'il pratique le piano, c'est une bonne chose. S'il est sorti seul et qu'il est avec quelqu'un d'autre, je ne veux pas le savoir. Je suis à bout, je n'ai plus rien à faire ici. Mercredi je pack mes petits et je décrisse. Je ne vais pas passer ma vie à attendre un téléphone d'un homme qui m'ignore complètement et qui refuse de me voir. Si c'est pas obligation qu'il vient prendre un café avec moi, ça ne vaut vraiment pas la peine de demeurer des amis. C'est vrai qu'en tant qu'ami je lui en exige beaucoup. J'insiste pour l'emmener chez moi, je lui reproche mille et une choses, même à travers mon silence, et puis je voudrais qu'il me voit tous les jours, qu'il m'appelle sans cesse. Je ne crois pas être plus con qu'un autre, tout le monde, je suppose dans une situation de séparation en viennent au même point. Jusqu'à qu'ils envoient tout le monde promener et qu'ils reprennent leur vie en main. Pourrir ici ou pourrir ailleurs, au moins je n'attendrai plus ces coups de fil qui ne viennent jamais. Il ne m'a pas appelé une seule fois depuis que je suis arrivé à Toronto. Une seule fois au Saint-Léonard hôtel. La veille j'étais sorti et il voulait tout savoir. C'était justement le lendemain qu'il ait passé une journée complète avec son amour de Marc. Ma vie doit bouger, pour l'amour de Dieu ! Je ne vois pas comment cela pourrait arriver à Toronto. Peu importe qui je rencontre, on ne parle pas le même langage.

 

          Eh bien, quel bonheur. Il me reste deux dollars cinquante, des cinq dollars que j'ai échangés pour des jetons de métro à Julian. Hier je dépensais mon dernier dollar pour acheter un thé Earl Grey au Second Cup. J'ai mangé un muffin et j'ai bu un café, je devrai me contenter de cela pour aujourd'hui. N'ai-je vraiment aucune notion de l'argent, ou alors tout cela est normal ?

 

 

          Comme c'est drôle. Je vois ma destinée se dessiner à la minute où j'ai décidé de demeure à Toronto. J'ai téléphoné la compagnie pour laquelle je travaillais à Ottawa avant de partir pour l'Europe, ils ont un bureau à Toronto et ils ont un emploi plein temps de nuit pour moi. J'ai envoyé illico mon Curriculum Vitae, j'attends des nouvelles. Il est impensable que je n'aie pas l'emploi, c'est bien trop logique que je l'aurai. En plus, il faut que je commence maintenant, genre peut-être même ce soir. C'est toujours ainsi. Quelques événements se sont placés, j'ai pris ma décision de rester, j'ai appelé mon ex-employeur au bon moment. Voilà.

 

          Je reviens d'en bas, Mary m'a appelé. Mon Dieu, j'espère que c'est pour me dire que j'ai l'emploi et qu'elle veut me rencontrer ! J'en suis sûr. En plus c'est un emploi tellement intéressant et tellement motivant, que je ne me vois pas en train de faire autre chose. Il faut que je rappelle dans dix minutes. La fille au téléphone me semble tellement gentille ! Je suis convaincu que je vais retrouver la même atmosphère incroyable qu'à Ottawa. Peut-être même mieux. Et j'aurai moins de compétition car je serai probablement un des seuls francophones à travailler à Toronto. Je me souviens, ils m'envoyaient souvent du travail faute de personnel compétent. Je ne tiens plus par terre.

 

          Voilà, j'ai l'entrevue demain matin neuf heures. C'est à Scarborough. Tu veux habiter là ? Quarante-cinq minutes du centre-ville. Ou veux-tu prendre un métro et un autobus chaque jour ? N'est-ce pas amusant que Julian demeure à Scarborough ? Je suis tellement certain d'avoir l'emploi que j'ai bien envie d'appeler mon père pour lui annoncer la bonne nouvelle : Jésus revient sur la Terre pour mille ans ! Que vais-je faire jusqu'à demain matin ? Rencontrer Julian !

 

          J'ai trois entrevues demain. Si je ne décroche pas un emploi, il ne me reste plus qu'à me tirer en bas de la tour du CN afin d'attirer l'attention de tout Toronto. Viarge, je suis bilingue, j'ai un diplôme universitaire, je ne suis pas si cruche que cela, je pense l'avoir amplement prouvé dans ma vie, comment pourrais-je être incapable de trouver de l'emploi ? J'ai vu des conasses aujourd'hui dans des bureaux, je me demande comment elles ont eu leur emploi. Je suppose qu'elle se sente en pleine confiance et sécurité parce qu'elles travaillent là depuis quelques années. Au gouvernement, c'est rempli de poches et trous de cul incapables de faire un mouvement sans alerter la planète au complet. S'il faut que je saute là-dedans, ça va faire mal. Donc, la première entrevue à Scarborough, la deuxième Central Toronto, la troisième Mississauga. Un véritable petit voyage explorateur des environs. J'en profiterai pour faire du touriste. Et me passionner pour les systèmes de transport en commun TTC, subway, buses, streetcars, etc.

 

          Ce soir, j'espère que Julian ne me flushera pas comme d'habitude, ce serait sa troisième tentative, dont la deuxième a fonctionné. S'il a le malheur de me flusher ce soir, moi je ne lui garantis plus rien et je trouverai quelqu'un d'autre ce week-end. La grosse salope entre autres, Jonas. Mon Dieu, que faire, il n'est que 3h25. Je ne puis plus attendre de voir Julian, non plus que d'aller à ma première entrevue. Je devrais aller me balader dehors, assommer une passante pour voir ce qui adviendrait. Jusqu'où cela pourrait-il m'emmener ? En prison, j'en suis sûr. C'est drôle que l'on peut vendre de la drogue, consommer, mourir intoxiqué, se prostituer, payer des politiciens, acheter des policiers, contourner la loi pour extorquer le plus d'argent des gouvernements, fausser nos rapports d'impôts, faire tout cela sans problème. Mais assommer une passante, ma vie serait foutue. Police, quelques heures ou quelques jours de prison, casier judiciaire criminel, vie hypothéquée. Me verriez-vous en entrevue affirmer pourquoi j'ai un dossier judiciaire ? J'ai assommé une passante pour le plaisir de voir où cela m'emmènerait. Mais c'est toujours mieux que de dire : j'ai un casier judiciaire criminel car je me trouvais dans un bar de danseurs nus homosexuels lors d'une descente de police. C'est arrivé au Remington la semaine passée. Heureusement que Gaby, l'ami de Sébastien, ne m'avait pas emmené là le fameux soir. Encore heureux qu'au Bijoux, lors de mon deux minutes sur place, les Squads ne sont pas débarqués en vrac par les égouts.

 

 

          Certainement le pire de mes mois de mars des cinq dernières années. C'est terrible, à chaque année je m'enfonce davantage que l'année d'avant. Pourtant chaque année je vis des choses encore bien plus passionnantes, je me retrouve partout où je n'aurais même pas osé espérer me retrouver. Mais le mois de mars est une étape nécessaire. Je suppose que plus il est insupportable, plus fort je vivrai l'année qui commence durant le mois d'avril ou un peu après. J'écoute Portishead, la femme qui chante semble tellement malheureuse. Elle va m'entraîner avec elle dans son gouffre. Je n'en peux plus d'espérer retourner avec Sébastien alors que je comprends que ça n'arrivera jamais. En plus, voyez ce que je peux vivre de passion et d'affection avec une nouvelle personne, alors qu'avec Sébastien je n'ai droit qu'à un lot de lamentations, de reproches et de repoussements. Maintenant, si je repars pour Montréal, qu'il regrette ou non mon départ, cela ne me concerne plus. Peut-être me fallait-il ce vain dernier espoir avec cet emploi que je n'aurai pas et que j'aurais tant voulu pour m'ouvrir les yeux. J'avais beau dire qu'il serait mieux ne pas retourner avec Sébastien, je ne l'acceptais pas dans ma tête. Maintenant ça commence à s'éclaircir. Eh puis j'en ai assez de vivre au dollar près. Depuis que je suis ici je mange des arachides au BBQ et je prends l'eau du robinet. Je n'ai plus l'argent pour mes cafés. Mes derniers dix dollars me serviront à acheter cinq jetons de métro cet après-midi. C'est terrible, je ne pourrai même plus me déplacer dans la ville. À qui demander de l'argent ? Mon père, c'est impossible, je ne peux lui en demander plus.  Sébastien non plus, d'autant plus que je lui dois déjà dix dollars. Si je demande de l'argent à Charlotte, elle m'obligera à déménager chez elle. Quant à Raymond, je ne peux pas abuser de lui non plus, il me paie déjà tellement de restaurant. Mais il me faudra faire quelque chose à un moment donné, si j'ai une entrevue demain, j'espère que c'est dans le centre-ville et que je peux marcher. On dirait qu'il me faut comprendre le message. Je ne devrais pas renouveler pour une semaine. J'ai l'argent pour payer, mais pas pour survivre. Je suis désespéré. Je dois pourtant demeurer ici jusqu'à lundi, où on m'annoncera si j'aurai l'emploi. C'est tellement stupide l'orgueil humain, le patron, Hernie (c'est pas le nom d'une maladie ça ?), sait très  bien qu'il ne me prendra pas. Pourquoi ne pas me le dire immédiatement ? Son orgueil me coûtera cher en temps, en argent, en gargouillements d'estomac, en lutte pour ne pas ronfler lors de mes entrevues faute de café. J'ignore pourquoi l'eau nous vient par tuyaux dans chaque maison alors que le café nous vient dans des machines qu'il faut préparer. Bon Dieu ! Ne  savent-ils pas que le café c'est universel, que tout le monde est intoxiqué et qu'il nous en faut quelques tasses chaque jour ? Pourquoi on n'a pas encore installé les cafés courants, qui te viennent directement par tuyaux jusque dans ta chambre ? Ça devrait être gratuit, ou on devrait augmenter les taxes pour ça. C'est juste de l'eau de toute manière, avec quelques grains moulus.

 

          Ô God ! Help me ! Je m'enfonce, je m'enlise, je me noie, blup, bloup, blp... solution, je veux des solutions à mes problèmes ! La vie est un jeu, mais je le prends trop au sérieux. Mais comment faire autrement dans le contexte. Je suis mauvais joueur de me laisser ainsi abattre. Ma misère n'en a jamais été une, car je m'y complais. En fait, je fais tout pour me mettre dans ces situations. Sans quoi je ne serais jamais sorti de chez moi. J'aurais pu faire comme beaucoup, étudier à Chicoutimi ou Montréal. Ç'aurait été une vie simple, depuis le temps j'aurais un emploi stable, sinon l'aide sociale. Mais moi je suis perdu partout sauf où je devrais être. Je suis à la limite d'avoir le droit à quoi que ce soit. J'ai terriblement mal à une cheville dans le moment, ça dure depuis deux semaines et je peux sentir que quelque chose comme un tendon est décollé. Je n'ose pas aller à l'hôpital, ma carte d'assurance-maladie ne doit pas être transférable. Si oui, il faudra que je paye sur-le-champ et le Québec me repaiera peut-être la moitié l'an prochain, si jamais je fais une déclaration de revenu, je suppose. Ou du moins, je n'y connais rien et je n'ai pas la possibilité de prendre aucun risque.

 

          Merde, je vais marcher pour aller à ma seconde entrevue, c'est au moins à trois kilomètres d'ici, peut-être quatre. M'en fous si je sens la transpiration à cent mille. Que vais-je faire ? Il y aura encore des tests à passer, une heure à téter sur un programme qui va vérifier si je suis capable de faire fonctionner Word Perfect 6.0 ou MS WORD 6.0. Alors que, bien entendu, je ne connais pas toutes les fonctions, et je n'ai droit qu'à une seule chance. Si je clique au mauvais endroit la première fois, c'est foutu. En plus, ils veulent savoir si je connais les raccourcis. Mes raccourcis sont différents des leurs pour le même programme et la même version (du français à l'anglais). Encore heureux que je ne sois pas en Europe, même leur clavier les lettres sont à des places différentes. Et puis il y aura sans doute un test de frappe, pour voir à combien de mots par minutes je peux leur crier mes déboires. Ces genres de tests me bloquent tout à fait. Je tape très vite, mais sans méthode. Il me faut regarder le clavier. Alors retranscrire un texte en anglais, ce n'est pas évident. En plus, j'ai avec moi les disques pour WP 6.0 et MSWORD 6.0. Je n'ai malheureusement pas suffisamment de mémoire sur mon ordinateur pour les installer et me familiariser avec. Est-ce que tout le monde qui se cherche un emploi à l'heure actuelle passe à travers les mêmes étapes et découragement que moi ? Maintenant, pour une simple secrétaire, ils exigent la connaissance informatique de programmes tels que Excel, Corel Draw, Lotus 1,2,3, Quad Pro, Unix, et quoi encore. Qu'est-ce que ça mange en hiver ces affaires-là ? Y a-t-il vraiment tout plein de monde sur le marché du travail qui connaissent tous ces programmes ? Combien d'années ont-ils sacrifié à ce savoir insipide qui leur offrira un salaire de misère ? Il faut vouloir en maudit, je vous jure. Eh bien, il faut que j'aille à ma seconde entrevue. Il y a encore de l'espoir, j'ai tout de même deux autres entrevues.

 

 

          Où suis-je ? À Toronto. Plus pour longtemps peut-être. Ce n'est plus le cœur qui parle, c'est la tête. C'est aussi davantage plus lourd à porter. Comme notre vie est remplie de hasards qui n'en sont pas, pour ceux qui cherche la vérité ou la simple poursuite de leur destinée. Supposé rencontrer Julian ce soir, incapable de le joindre à l'heure prévue, l'instant d'une minute je regarde par la fenêtre. Qui vois-je défiler ? Raymond, mon demi-oncle que je considère comme mon oncle, de toute manière je n'ai jamais été aussi près d'un de mes vrais oncles que lui. La preuve, lui il m'a très bien compris. Aujourd'hui, après ma journée d'enfer à Toronto où j'ai dû porter sur ma conscience le café et le muffin aux bleuets que je m'étais payé, j'ai constaté presque 900 dollars dans mon compte de banque. Retour d'impôts d'Inland Revenue, cadeau de l'Angleterre. Le pire, je ne pouvais autant penser à Londres qu'aujourd'hui, car malgré la pluie venteuse de cet après-midi et la tempête de neige ce soir, ce matin c'était  la première vraie journée de printemps. Il a fait 12 degrés Celsius et ça m'a transporté dans mes souvenirs d'Europe. Ce soir, oubliant Julian, qui de toute manière a annulé notre rencontre, je me suis retrouvé avec Raymond qui m'a dit, au-delà de tous mes désirs secrets : « Pars, vas-y ! Ta vie n'est pas ici, tu es venu constater que Sébastien ne t'aimait plus, tu seras malheureux à Toronto. Tu as déjà perdu ton inspiration, l'Europe c'est tellement riche. Tu peux y rester plus qu'un an, Dieu seul sait tout ce qui peut arriver pendant ce temps ! » Et c'est tellement vrai. Il va même me payer ma dernière semaine d'hôtel, il me conseille d'appeler Londres demain matin pour confirmer si j'ai mon emploi à l'aéroport d'Heathrow. C'est là que je vais atterrir en plus, ça ferait changement de Charles-de-Gaulle. Mais comment peut-il vois aussi creux en moi, ce Raymond ? Il me lance comme ça que ce serait maintenant mon Londres à moi, et non celui où j'étais avec Sébastien et où je m'empêchais de vivre en plus de souffrir. C'est tellement vrai. Sans compter qu'à demeurer à Toronto, sans cesse en contact avec Sébastien, au risque de le rencontrer dans les bars chaque semaine, peut-on imaginer pire torture ? J'aimerais pouvoir apprécier pleinement l'idée de partir pour Londres. Mais je suis tellement à bout de tout, tellement fatigué mort, que ce soir je vais aller me coucher. La nuit porte conseil. C'est le cœur qui dirige, mais c'est la tête qui transige. Et la tête, elle est brûlée complètement. N'est-ce pas ironique que je prendrai ma décision de partir le jour où l'on m'offrira un emploi ? Mais ce ne sont que des pacotilles. Rien ne me retient ici, pas même le beau Julian. J'ai déjà fait pire, allons, courage. Un coup installé à Londres, la vie sera différente. Les grandes décisions, je sais bien que je finis toujours par les prendre. D'habitude c'est difficile, car tous sont contre moi. Soudainement j'ai un allié inespéré, qui se charge d'expliquer ma folie à mes parents. Mais hélas, il est aussi fou que moi, et ils le savent trop bien. Je sais que je prendrai la décision de partir. C'était la seule logique possible à toute ma vie, mais j'osais à peine me l'avouer, tentant de trouver une certaine logique dans ma vie à Toronto, mais constatant jour après jour que cela ne faisait pas de sens pour moi, en plus, ma logique chaque jour changeait, rien ne fonctionne ici. J'attendais quelque chose, j'ignorais quoi, je faisais passer le temps. Maintenant je sais, j'attendais mon retour d'impôts du Royaume-Uni pour m'envoler sur les ailes de British Airways. Mais il faut que j'aie tout de même l'impression d'être libre de prendre mes décisions, même si dans le fond je n'ai pas le choix. Je prendrais quelques jours pour réfléchir, me casser la tête, paniquer, me ronger les ongles et enfin partir. Peu importe ce que je vivrai là-bas, ce ne sera pas plus pire que ce que j'ai vécu ici. Rencontrer l'équivalent ou mieux que Julian, c'est bien certain que c'est possible. La question qui demeure est la suivante : est-ce qu'il me faut retourner à Londres pour apprendre davantage, ou alors est-ce qu'il me faut retourner à Londres pour apprendre ce que je n'ai pas su apprendre alors que j'y étais la première fois ? Alors, comment faire pour apprendre cette fois ? Tout me tombera du ciel, bien entendu. La première fois le contexte, ma vie partagée avec Sébastien, ne me permettait pas l'aventure, je n'ai pas connu la vie des Londoniens, nous n'avions que Martin. Maintenant je vais m'enfoncer pour vrai, je ne manquerai plus la soirée d'anniversaire de ma jeune Japonaise. Je pars cependant sans mes numéros de téléphone. Alors ce sera un renouveau absolu. Je parle comme si ma décision était déjà prise. Réfléchissons... regretterais-je de ne pas être parti ? D'autant plus si je récolte un emploi minable et misérable ? Mets-en ! Alors la question est répondue. Mais il me faut tout de même l'impression d'être libre, la nuit portera conseil.

 

 

          C'est fascinant comment quelqu'un qui n'a plus un dollar pendant des semaines, arrive à trouver une autre 2000 $ pour partir (je vais vendre mon imprimante). Mais j'ai bien réfléchi. C'est drôle, j'étais dans la rue et soudainement j'avais vraiment l'impression que je pouvais partir. Ça m'a fait voir Toronto d'une façon différente. Tout à coup je me suis mis à aimer Toronto non pas comme une ville où je me retrouve par obligation, à défaut d'avoir mieux, mais plutôt la grande ville canadienne par excellence. Je suis canadien et fier de l'être. Alors pourquoi n'être à l'aise qu'à l'extérieur du pays ? Puis pourquoi aller se perdre loin de notre famille, dans le fond de l'Europe ? Ah mais ça n'est pas un argument, car Toronto est encore plus loin que Londres, question temps (avion contre train et autobus). Enfin, j'ai tout de même téléphoné Anita, la femme du personnel à l'aéroport d'Heathrow, en plus elle m'annonce qu'ils ont fait une série de mises à pied. Mais elle va parler avec M. Hervey pour voir s'il me reveut. Je dois la rappeler dans quatre jours. Bon Dieu, encore une décision qui se prendra trois jours avant le départ. À moins que je décide de partir même si on ne me garanti pas de travail à Londres ? Quel enfer m'attendrait ? Car ça m'a pris bien du temps avant de trouver cet emploi à Londres l'an passé, et regardez à Toronto, trois semaines de recherches intensives dans le feu. Peut-être bien que j'ai mangé trop de misère, peut-être bien que j'ai des choses à vivre à Toronto, même si j'hypothèque toute chance de retourner à Londres un jour. Peut-être que je voudrais une certaine stabilité pour une fois. Définitivement, si on ne m'offre aucun emploi d'ici mercredi prochain, je pars, mais autrement, mon Dieu que le choix sera difficile. En attendant, il ne me reste plus qu'à vivre au quotidien. Je vois Julian cet après-midi. Ce qui me rends heureux. Si j'obtiens l'emploi à 22,000 $ par année, je le prends. Mais s'il faut que je compare avec une vie londonienne, avec des amis londoniens, ma vie sera bien plus passionnante. Pourquoi, mais alors franchement, pourquoi faut-il que ma vie soit toujours aussi compliquée ?

 

          Toute l'avant-midi j'ai sommeillé sur mon lit, à regarder le plafond de ma chambre d'hôtel. C'est devenu mon sport favori. Ce matin, mon mal s'est amplifié, mon terrible sentiment de culpabilité me prend au cœur, m'empêche de respirer, me tue. Londres me ramène en quelque sorte l'enfer que j'y ai vécu, ces journées où je me tordais du mal d'avoir abandonné mes études. C'est stupide, on a implanté en moi cette nécessité de réussir ma vie, de poursuivre de grandes études, et j'ai tout raté, tout abandonné. Il ne me reste que ce terrible sentiment de culpabilité, de médiocrité incurable. Tout est probablement la faute de mon père, son influence si grande sur ma personne alors que tout agit dans l'inconscient. Je divague entre Toronto, Montréal, Londres, je rêve d'habiter Paris et New York, puis tout s'effondre. Il n'y a plus rien pour me motiver, ni même Londres où j'ai peur d'y retrouver ce mal étrange qui m'accable. Heureusement que je suis encore jeune, ce sentiment me tuerais, crise cardiaque assurée, c'est trop fort. Ils sont tous morts du cœur dans ma famille du côté des Côté. Quel est le but de vivre dans ces conditions ? Tout le monde vit sa vie, est malheureux à vivre sa vie. On m'apprécie peut-être, pas suffisamment pour regretter mon absence. De toute manière je n'en ai plus rien à foutre. La mort ça ne veut plus rien dire. Tout le monde meurt, c'est la simple logique de toute vie. La vie n'est qu'une mort lente ou rapide. J'habite la rue Isabella à Toronto. C'est sur cette rue qu'habitent Raymond, Richard et Sébastien. Sur cette même rue, il y a une petite maison où les sidéens en phase terminale viennent finir leurs jours. Chaque jour il en meurt au moins un. Raymond a plusieurs amis qui y sont morts. Il m'a raconté cette impossible histoire hier. Son ami Jean, le seul amour de sa vie qu'il a connu à Québec, il en est demeuré séparé toute sa vie. Il a longuement regretté cette absence, mais voilà deux ans il a appris que Jean était mort du sida. Tu vois, la vie continue, elle doit continuer. L'absence n'est-elle pas une mort ? Une mort qui ne nous laisse pas tranquille car le mort refait surface toujours au mauvais moment ? Demandant une aide que l'on ne peut offrir. Il n'y a pas de fossé nulle part. Tout le monde est pareil, identique. Peu importe leurs tracas, c'est le même chemin qu'ils suivent. Peu importe leurs petites différences, c'est la même chose qu'ils apprennent en bout de ligne. Un travestie, une prostituée, un médecin riche, une simple mère de famille, tout ce monde vit la même la même chose. Ma vision du monde va bien au-delà des lois qui régissent tout. Au-delà des ces différences que l'on a soigneusement notées sur papier pour s'assurer que les fossés ne s'élargissent pas. Mais où voyez-vous tant de différences qu'il faudrait sans tarder éliminer une catégorie de cette société ? Qu'attendez-vous au juste de cette vie collective ? Les gens travaillent à classer des papiers dans des édifices, à boire des cafés au coin de la rue. La vie peut être aussi simple, aussi vide, aussi vaine. Elle peut paraître complexe lorsque l'on lit un journal, que l'on s'intéresse aux finances ou à la politique, mais à s'isoler un peu de la ville, à perdre contact avec ce genre de vie, on comprend que tout cela n'a aucun sens. Que personne ne peut exiger quoi que ce soit de qui que ce soit au nom d'un certain idéal de société que l'on cherche à construire. Il n'y a pas de fossé entre la femme et l'homme, ils sont différents à certains niveaux, mais ce sont des détails. Regardez-les, ils sont pareils. Il n'y a pas de différence si marquante entre les Français, les Anglais, les Canadiens ou les Américains. Les différences culturelles ou de mentalités sont si peu grandes, vous ne distingueriez pas au premier coup d'œil la nationalité de la personne en face de vous. Russe, portugaise, italienne, allemande, rien n'est évident. Les fossés que l'on se plaît à construire, sous mille et un prétextes, servent des intérêts que j'ai une certaine difficulté à identifier, mais qui s'identifierait certainement si l'on se donnait la peine de creuser un peu. Je ne suis pas certain qu'il faille tant que cela se protéger contre tout et chacun. Se protéger contre l'immigration, le commerce international, les différentes langues, les gais, les femmes, tout. À la limite, il faudrait s'enfermer dans une bulle de verre et se dire qu'il faut se protéger contre autrui par tous les moyens. La mort est peut-être un bon substitut à ce genre d'enfermement dans son chez soi. Je suis pour l'ouverture de l'esprit sur la différence d'autrui, pour constater que cette différence ne l'est pas si grande que l'on voudrait nous la faire croire. Nous sommes tous des humains, nous venons tous au monde, nous respirons puis nous repartons. Il n'y a rien de bien extravagant entre notre arrivée et notre départ, rien qui mériterait que l'on tue pour améliorer un quelconque sort. Qu'en est-il du fossé entre les générations ? Quelques idées différentes au niveau de la religion, quelques avantages sociaux dont certains ont bénéficié. Mais ensuite, où est-il ce fossé ? Y a-t-il une si grande différence entre moi et cette vieille femme qui marche dans la rue ce matin ? Je n'y crois plus à la différence de tout et chacun. Peu importe sous quel régime où il ou elle vit. Un régime politique en vaut bien un autre, peu importe les conséquences positives ou négatives. Certains sont mieux, d'autres pires, et encore, tout dépend à quel niveau on se situe, si on retire certains intérêts d'une telle situation de fait. Si on s'enrichit aux dépends du communisme, comment ne pas aimer le communisme ? Le fossé entre les générations n'existe pas. Nos vies sont trop similaires à tous les points de vue, que ce soit dans la misère ou la richesse. Nous apprenons tous la même chose. Ce qui me reste de tous mes voyages, c'est que tout et chacun vivent à peu près les mêmes situations entre tout et chacun et que peu importe où tu es tu apprendras des choses absolument similaires. Peut-on autant entendre des éditorialistes et des écrivains construirent de si grands fossés, nommer ces fossés par des expressions qui deviennent populaires, que tous les journalistes du monde reprendrons ensuite, juste pour le plaisir de construire des fossés ? Mind the Gap, mais, Mind the Gap the Mind. Ayez à l'esprit le fossé, faites bien attention, que l'on peut lire et entendre partout. Mais moi je dis qu'il faut surtout faire attention à ne pas se faire attraper l'esprit par autrui. Une certaine façon de penser et de voir l'Univers limite la vie, limite l'évolution. Détruit autrui et indirectement soi-même. Tout ce qui existe de négatif dans ce monde, ne peut pas ne pas nous revenir d'une façon ou d'une autre. Inventer des fossés, se protéger contre ces fossés, détruire ce que l'on croit si différent, entraîne le mal, la dépression, la frustration, la guerre. Ces énergies négatives nous reviennent, il ne peut en être autrement. Si tous souffrent d'une pauvreté trop grande autour de soi, il sera impossible de soi-même habiter sa grande maison dans la richesse. À un certain point, le tout éclatera. Les pauvres en auront assez, ne verront pas le bien des lois, détruiront tout ce qu'ils verront, prendront d'assaut la maison du riche pour manger une tranche de pain. Hier, dans l'agence d'emploi, un immigrant est entré. Noir, peu importe d'où il venait, on voyait qu'il était désespéré et qu'il cherchait de l'emploi. Peut-être est-il aussi pauvre que moi (sans dette peut-être, ce qui le rendrait plus riche que moi), j'avais pourtant un cote d'habit sur le dos, une cravate empruntée, un Curriculum Vitae imprimé sur papier. Lui était mal habillé, pas rasé, son frère devait probablement le soutenir au Canada en attendant qu'il se trouve un emploi. La réceptionniste le méprisait ouvertement. Définitivement elle ne voulait pas de lui. La seule chose qu'elle lui a dite : apportez-nous votre CV et on vous contactera. Elle avait trouvé la réponse juste. Premièrement il n'avait pas de Curriculum Vitae, je suppose que là d'où il venait, il n'en avait jamais eu besoin. Or, se procurer ces trois feuilles avec le résumé de ta vie dessus, ce n'est pas de la petite bière lorsque tu te retrouves dans un pays étranger, que tu n'as pas d'expérience et que ta langue n'est pas l'anglais. Ce simple bout de papier lui était déjà le plus infernal des obstacles à franchir. Comment se le procurer ? Cette société blanche avancée nécessiterait-elle un vain bout de papier pour que je puisse y entrer ? Non mon garçon. Quand bien même tu apporteras un bout de papier avec ton nom dactylographié dessus, la femme a dit qu'elle te rappellerait. Ne comprends-tu pas que cela signifie qu'elle ne te rappellera jamais ? Il a demandé s'il pouvait emmener un CV écrit à la main. Je me demande comment la femme à pu se retenir d'éclater de rire, il n'y a plus un professeur de collège ou d'université qui accepte un papier écrit à la main. Ils sont juste pour ne pas exiger que notre écriture lors des examens soit exactement comme celle des machines. La réceptionniste lui a dit oui, pas de problème pour un CV écrit à la main. Bon Dieu qu'elle est bitch, elle sait très bien qu'ils ne vont rien faire pour lui. De toute manière, pas un seul de leur client ne voudrait de lui, c'est clair. Même moi, malgré mes études, mon bout de papier, mon côte d'habit hypothéqué, tout cela est inutile parce que mon anglais n'est pas suffisamment bon pour qu'un seul de leur client me veuille. Cet homme était désemparé, perdu. Elle lui demandait un simple bout de papier, il demeurait immobile et silencieux. Il voulait sans doute de l'aide, quelqu'un qui lui dise, vient, on va t'aider à faire ton CV, on va te le sortir, il y a huit ordinateurs dans ce bureau, quatre imprimantes lasers, une dizaine d'employés qui ont justement rien à foutre dans cette période creuse. Viens, tu es un immigrant, mais il y a des immigrants en ville qui ont des business, on va voir si on peut te trouver quelque chose. C'est sans doute ce qu'il aurait voulu entendre. Ainsi le gigantesque fossé qui existe entre lui et un anglophone blanc aurait pu être oublié. Au contraire, on l'a agrandit, on a eu peur, on a tenté de s'en débarrasser par tous les moyens : emmène-nous ton bout de papier. On entend parfois des histoires comme ça où la personne à qui on demande de l'aide va faire tout en son pouvoir pour aider le malheureux. Fort souvent ça vient d'une personne religieuse qui est bonne et considère que tout venant qui demande de l'aide mérite d'être aidé. Ce n'est pas le cas de tous les gens impliqués dans les organisations religieuses, mais je dois reconnaître que si la religion peut produire de tels résultats sur certaines personnes, elle a au moins cela de bon que l'on ne peut lui enlever. Je n'oublie pas jusqu'à quel point en religion on arrive aisément à cracher sur son prochain, surtout s'il est le moindrement différent ou si sa religion à lui diffère de la nôtre, mais il existe encore certaines personnes de bien en ce monde. Je n'en vois cependant jamais sur ma route. Moi-même je ne me considère pas comme une personne de bien. Je ne m'interposerais pas d'emblée pour aider mon prochain. On dirait que ça ne se fait tout simplement pas dans notre société, aider son prochain. C'est chacun pour soi, bonne chance. Tellement que j'en arrive à croire que c'est normal, c'est à moi de me débrouiller par tous les moyens, je n'ai rien à attendre d'autrui. Mais tout pourrait être si différent, et encore, ce ne serait pas si différent.

 

          J'ai téléphoné l'Angleterre aujourd'hui. L'avenir ne m'appartient plus, je n'ai plus de décision à prendre. C'est simple. Ce vendredi je rappelle en Angleterre, et si mon ancien manager me veut, je pars. Sinon, je reste. J'ai téléphoné Stephen, l'ami de Ed que j'ai rencontré à New York, il sera content de me recevoir les quelques jours que ça prendra pour que je me trouve une chambre à louer avec l'aide du Switchboard Gay and Lesbian. Ainsi, vendredi je serai fixé sur mon sort, à savoir si ma vie se passera à Toronto ou à Londres. L'un ou l'autre, j'avoue que cela ne me fait plus grand différence. Londres me semble logique, encore que j'ignore tout de ce que Toronto est susceptible de m'offrir. Raymond m'a aidé à voir clair, Toronto semble être pour Sébastien et non pour moi. Moi je suis venu vérifier que c'était bien mort entre lui et moi, ce qui m'évitera bien des soucis et de la souffrance dans l'avenir. M'éviter des regrets aussi. Ensuite j'ai connu Raymond et je me suis rapproché de ma tante Charlotte, ce qui est certainement une bonne chose pour l'avenir. Voilà, me faut-il explorer davantage ces personnalités, de même pour Julian, mon nouveau copain ? Ou alors est-ce que j'ai un tas d'autres aventures qui m'attendent au Royaume-Uni ? La décision ne m'appartient pas, je le répète, elle appartient à M. Hervey. Peu importe quelle sera sa décision, je la respecterai comme un signe du destin. Je suis ma destinée.

 

 

          J'ouvre la radio, 102.1 FM, The Edge. You get me closer to God, Nine Inch Nails. Je suis dans le beat, en ce vendredi soir où je ne sors pas. J'ai vu Julian, cela me suffit. Une heure trente ensemble avant qu'il n'aille travailler. Je crois que malgré ses simagrées que l'on ne peut tomber en amour très rapidement, il s'est attaché bien plus qu'il ne le pense. Moi pas. Malgré que j'aime bien être avec lui et que certainement nous aurions développé une relation officielle si j'étais demeuré ici. Encore un qui me rappellera vers Toronto. Peut-être serait-il bien de m'assurer, comme avec tous les autres, que justement il ne devrait pas m'attirer à lui une fois que je serai parti. À Jonquière je pense à Sébastien, à New York je pense à Gabriel, à Toronto je pense à Ed, à Rouyn-Noranda je pense à Thomas bien qu'avec celui-là presque rien n'est survenu, à Londres je penserai à Julian. Ça fait beaucoup en peu de temps. Peut-être était-ce une étape nécessaire dans ma vie. À l'heure actuelle je suis contenté comme ce n'est pas possible. Je ne regarde même plus les beaux gars dans la rue, n'espère plus aucune rencontre fortuite. Car je n'ai qu'à sortir si vraiment j'en veux. Je puis même sans trop insister revoir la personne plusieurs fois alors que le plus souvent les gens doivent se contenter de one night stand en ce qui concerne les beaux mecs. Au moins ça de gagné, je m'en retourne à Londres sans être désespéré, sans vouloir un Sébastien indépendant. En fait, je crois que j'ai exactement vécu ce que Sébastien souhaitait qu'il lui arrive après m'avoir laissé. À l'entendre, il n'aurait couché qu'avec ce Marc qui serait laid. Ma version est qu'il a couché avec davantage de monde et qu'il couche encore avec son Marc. Que le diable l'emporte, il est déjà historique, préhistorique après quatre ans et demi, car ma vie, je la commence. Je tente d'imaginer où je vais arriver à Londres. Les possibilités sont infinies. Juste Marc, l'ami de Ed où je m'en vais rester, m'ouvrira tout un univers à Londres. J'ignore encore si je coucherai avec, pour l'instant je ne puis me souvenir s'il est beau. Je sais que Ed a couché avec. Mon Dieu, j'achève de coucher avec la planète. J'espère pouvoir me stabiliser bientôt, comme je l'étais avec Julian. Je ne suis pas ressorti une seule fois depuis notre première rencontre. J'ai la volonté d'être fidèle et d'avoir une vie tranquille, ou du moins wild autrement que par les bars gais et le sexe avec la multitude. Julian est très près de moi, un peu plus il me suivrait à Londres. Son éternel sourire me fera mal bientôt. Tant de sacrifices pour un sentiment de liberté qui n'est possible que lorsque l'on marche dans les rues d'une de ces trois villes : Paris, Londres ou New York. Mais je dois avouer que j'aime Toronto. Je m'y suis incrusté de façon assez radicale durant le dernier mois. Je regrette de partir. Il faut dire que lorsque tu demeures dans un hôtel en plein centre-ville, en plein centre du village gai, tu ne peux pas faire autrement que de vivre à plein. C'est inconscient, mais tu te réveilles un matin et tu deviens dépendant de ta petite routine quotidienne. Mais je n'ai pas  la prétention de dire que je connais la vie de Toronto. Tant de choses il me reste à découvrir, mais on ne peut pas vivre partout à la fois et connaître tout à la fois. Est-ce que je pourrais changer de cerveau ? Oui, si le vieux Robert Jonhston de son agence d'emploi m'offre quelque chose en haut de 25,000 $ par année, j'annule tout et je reste à Toronto (il veut me rencontrer ce lundi). Si le destin veut encore changer mes idées, c'est encore le temps. Le pire c'est que Londres c'est l'instabilité totale pour encore tout le temps où j'y habiterai. Sachant qu'après un an ils me mettront à la porte du pays, tout n'est que temporaire. Ça change toute une vie. Tu accumules rien, tu fais tout sauf t'installer. Dans un an je serai encore aussi perdu qu'aujourd'hui, à courir entre Montréal et Toronto pour trouver un emploi, les deux seules grandes villes au monde où j'ai vraiment le droit de travailler. Stupides lois anti-immigrants, ce que je donnerais en argent pour avoir le droit d'habiter où je veux. S'il existe une seule cause à défendre sur cette planète, c'est bien l'abolition des frontières. Bien avant l'environnement, en ce qui me concerne. J'aimerais bien sacrer le camp pour la Chine ou le Japon, ça n'arrivera pas de sitôt, à moins qu'un miracle ne survienne, comme d'habitude. Si je le veux très fort, je suppose que ça arrivera. Je ne dois pas le vouloir tant que cela alors, pas encore du moins. Sinon je ferais peut-être des démarches. Ce serait facile de devenir un professeur d'anglais, ils en mangent là-bas. Mais je n'ai aucune qualification, mon anglais fait trop pitié. Ainsi, que ferai-je à Londres la semaine prochaine ? Tout dépend de Marc. Je sais cependant que je serai à l'aéroport d'Heathrow, à travailler sur une caisse enregistreuse. Prenant l'Underground tous les matins pendant plus d'une heure, à regarder les stations dévaler. On dirait une régression. Je chercherai de l'emploi, ça urgera. Peut-être le marché sera meilleur, mais j'en doute. La mad cow disease, la maladie de la vache folle, vient de faire perdre vingt milliards de dollars à l'Angleterre, des millions de mises à pied. Probablement que ce sera un enfer là-bas. Ce n'est pas tous les jours que le monde entier se lève pour crier au bannissement de toutes exportations d'une de nos plus grandes industries. Eh bien, de toute manière je suis végétarien. Alors même si pour la première fois de toute leur existence McDonald's, Burger King et Cie ne servent aucun hamburger, Big Mac ou Whopper, ça n'affectera pas trop ma vie. Au contraire, je serai le seul à sauter chez Burger King pour avaler un de ces succulents Bean Burger que l'on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde. Peut-être pourrais-je me frayer un chemin dans le grand monde londonien, qui sait ? Je suis libre de me retrouver n'importe où n'importe quand. Et ce n'est plus un secret pour personne, je suis amorale jusqu'à l'os, la prostitution ne m'effraie pas. Sans Gabriel qui me rappelait à Jonquière, j'aurais peut-être mon sugar daddy à New York. On ne me ramène pas à Londres pour rien, il existe une raison à cela et je l'ignore encore.

 

 

          Je suis comme Jésus Christ qui sait qu'il va se faire crucifier, mais qui n'a pas le choix et qui continue à avancer. Je ne sais plus où j'en suis. J'ignore si c'est une bonne idée de partir. Ça implique tellement de choses, et à la fois je ne suis pas certain des gains que j'en retirerai. Il y a autre chose, mon terrible sentiment de culpabilité. Je me lève le matin tout paniqué, cherchant où je suis, réalisant ma terrible situation et ne voyant aucune porte de sortie. Cet impossible sentiment qui me tort le cœur, je l'ai eu à Paris durant tous les derniers mois. J'ai réussi à l'oublier quelque peu à Londres, mais les derniers mois m'ont achevés. Je ne vois pas très bien pourquoi je retournerais là où mon cœur risque de flancher. Mais j'ai comme l'impression que même si j'habite à Toronto, ce sentiment n'arrêtera pas. Dois-je poursuivre mes études pour qu'il arrête ? Où en suis-je venu à un degré si monstrueux de culpabilité parce que j'ai tout raté que ce sentiment terrible me poursuivra jusqu'à la fin de mes jours, écourtés par ce noeud dans le cœur ? J'ai définitivement un problème psychologique profond. Ce qui est drôle c'est que je suis d'un naturel très fort psychologiquement, ainsi je ne suis pas invulnérable. Si je pouvais identifier exactement pourquoi je me tracasse autant, alors je pourrais travailler dessus et régler ce problème. Mais en ce moment, même si je crois l'avoir identifié, je suis incapable de changer quoi que ce soit. Tu peux comprendre que ta dépression vient de ce que tu as subi l'inceste étant jeune, n'empêche que ça ne va rien changer à tes problèmes, il n'y a rien que tu puisses changer ou régler. Seulement ta façon de voir les choses, te placer sous un autre angle. Te dire en fin de compte que ce n'est pas si important, la vie continue, il faut s'en foutre. Mais tout cela relève du miracle. Dieu merci je n'ai jamais subi d'inceste, je suis déjà si instable, ç'aurait été le coup de grâce. Voilà, je me retrouve à la case départ, je me demande si je devrais partir. Si Sébastien m'offre d'habiter chez lui, je ne dirai pas non, je ne partirai pas. Mais je ne peux pas le forcer d'aucune façon, et lui hésite trop à le proposer, en fait il ne veut pas de moi, même pour un temps. Je crois qu'il ne veut vraiment pas revenir avec moi, moi non plus de toute manière. Le contraste entre lui et tous les autres que j'ai rencontrés dernièrement est trop grand. Je peux bien croire que la magie peut disparaître après quatre ans, mais je n'accepterai pas que tout le positif soit disparu et qu'en plus le négatif prenne le dessus. Il n'y a plus d'espoir dans une telle relation. Mais que ferais-je de Julian si je déménageais chez Sébastien ? Il faudrait qu'il vienne lorsque Sébastien n'y serait pas, ce qui serait facile. Ne  serait-ce pas terrible d'habiter chez Sébastien et de devoir subir lui en train de faire l'amour avec un autre ? Je ne survivrais pas à une telle épreuve. Je ne sais plus quoi faire, mais de toute manière, Toronto ne semble pas avoir d'emploi à m'offrir. Pourquoi ma vie doit-elle sans cesse être aussi compliquée ?

 

 

          Je ne suis pas sorti finalement, j'ai plutôt eu ma première vraie bonne conversation avec Andrew. Je crois qu'il a énormément de problèmes en ce moment, et je crois que je suis la seule personne de son entourage prêt à être objectif et à lui montrer qu'il a raison (même s'il a peut-être tort). Pour l'instant, il s'agit de lui remonter le moral, ensuite il verra mieux et pourra régler ses problèmes plus aisément, même qu'ils disparaîtront peut-être. Il n'était donc pas question de faire de morale. D'ailleurs, je n'aurais pas pu. Cette discussion fut un véritable tour de force. Car il ne voulait rien me dire, il ne faisait que m'expliquer des sentiments, des impacts de conversations qu'il a eut qui lui ont fait comprendre certaines choses, une influence tellement négative que quelqu'un a eu sur sa vie. Bref, rien de concret sur quoi travailler. C'est la première fois que je tentais d'aider quelqu'un sans savoir rien de ce qui existait vraiment. Alors à chaque fois que c'était son tour à parler, il tentait d'identifier plus clairement ses sentiments et émotions, et pourquoi ils les ressentaient. Quelqu'un qui nous aurait écouté aurait été tellement perdu, justement parce que l'on ne parlait de rien de concret, il n'y avait pas de sujet de discussion, juste une vague mise en situation. J'ai tout de même l'impression que je l'ai aidé, j'ai du moins l'impression de m'être surpassé. Il semble vivre la même chose que moi par rapport à mon père. Comment des gens sur cette planète peuvent avoir tant d'influence sur chacune de nos décisions alors qu'on leur parle à peine, sinon même pas ?

 

 

          On dirait que je suis encore tombé mal. Ou bien ça va toujours mal partout, ou bien c'est vraiment une mauvaise période que l'on traverse. Est-ce juste le mois de mars qui déborde dans le mois d'avril, ou alors c'est l'époque, la fin du millénaire. Tout le monde se chicane, d'un bord à l'autre de l'Atlantique, j'arrive pour freiner cet enfer, mais souvent ils sont incapables de se contrôler et j'ai droit à des scènes assez intenses. Parfois je me demande s'ils ne préfèreraient pas que je ne sois pas là pour pouvoir se disputer en toute intimité. Parfois je me dis que ma présence les empêche de se détruire mutuellement. Enfin, hier on a discuté les problèmes de Andrew, sans même que l'on aborde un des sujets. Tellement que lorsqu'il parlait de quelqu'un qu'il ne connaissait qu'à peine puisse venir ainsi en quelques phrases détruire sa vie et repartir, je me demandais s'il parlait de moi tellement je pouvais interpréter de toutes les manières. Patrick m'a demandé ce matin si nous avions couché ensemble. Je lui ai dis que non, mais il m'a répondu que ce n'était pas un problème, que je pouvais coucher avec lui quand je voulais. Par contre, le ton sur lequel il a posé la question était assez négatif. Il dit que son Andrew est fort intéressé à coucher avec moi, il le voit dans ses yeux. Mais qu'il est trop timide pour faire quoi que ce soit. Je devrai donc faire les premiers pas. Mais seulement lorsque ce sera le bon moment, ce qui risque de ne jamais arriver. Andrew est beau, un vrai British, mais c'est plus pour une relation à long terme qu'il m'intéresserait que pour une soirée de cul. Car il est beau et impressionnant, mais il ne m'attire pas d'emblée, tellement que je ne pourrais plus me contrôler et je lui sauterais dessus. Tim, peut-être. Il m'a fait deux grands sourires hier, je cherche encore à interpréter ces sourires. La vie est compliquée si les gens ne disent rien de ce qu'ils veulent, et moi je ne veux pas me faire rejeter sans cesse, c'est dur pour le morale. Encore que je n'ai pas à trop m'inquiéter, ordinairement je peux avoir qui je veux. Même le Tim, si mon orgueil ne m'arrêtait pas dans mon élan. Il suffirait d'insister, il cèderait. Il est d'ailleurs intéressé. Mais nous n'aurons plus jamais la chance à moins qu'il me le laisse savoir explicitement. Je déménage mercredi soir et je doute que je ressortirai un jour au L.A., à moins d'être avec eux pour un souper et qu'ils sortent, mais même là, j'éviterais cette place. Elle me rend malade. Jeff et Tim, les deux détestent Los Angeles. N'est-ce pas ironique ? Moi qui me pose la question depuis un bout de temps, en quoi Los Angeles diffère de ce que je connais et si c'est impressionnant, voilà que les commentaires que j'en reçois sont d'un négatif significatif. La superficialité semble venir en tête, le rejet systématique de toute personne qui n'est pas très belle, riche et connue. Alors vous comprenez que personne n'a d'avenir là-bas. Car personne n'est très beau, riche et connu. Ils ne sont qu'une petite minorité que tout le monde cherche à atteindre. Or, moi je me fous bien de tout cela, il est probable que je n'aimerais pas Los Angeles. Mais maintenant j'ai la piqûre. Je crois que je vais ramasser de l'argent et que j'irai avant de retourner à Toronto. Enfin, au moins je suis heureux de ne pas avoir à me battre avec Sébastien et de ne pas avoir à m'inquiéter avec lui. Tout le monde m'apprécie et sont excessivement gentils avec moi. C'est un très grand poids d'enlever sur mes épaules. Hier je travaillais à l'aéroport et pendant une pause, je me suis levé carré, pensant qu'il était temps que j'appelle Sébastien, question d'habitude. En temps normal j'aurai téléphoné sur Elgin Avenue, Marble House, pour découvrir qu'il était sorti, sorti pour toute la journée. Alors ma journée devenait noire, je me demandais avec qui il était, ce qu'il faisait, s'il n'était pas dans les bras d'un autre. Ce qui en fait était tout à fait vrai, c'était le cas. Je suis malheureux avec Sébastien, mais je suis malheureux sans Sébastien. Je suis heureux à Londres, mais je souffre tout à la fois d'y être. Je suis heureux de ne pas être aux études, mais je me meurs de culpabilité car je ne cherche pas à faire carrière, à réussir dans la vie. Je suis heureux d'exister, mais en même temps ma vie est infernale. Je voudrais mourir, mais je ne suis pas si désespéré pour passer à l'acte. Ils parlent de réincarnation, ce qui signifierait que tous nos problèmes sont infinis, nous aurons à les confronter indéfiniment, jusqu'à ce que nous surmontions toutes ces épreuves insurmontables. N'est-ce pas horrible ? There is no way out.

 

          Patrick m'avoue qu'il n'en veut plus de sa marionnette de 32 ans. Il est devenu un peu trop vieux je suppose, et insupportable. Il a fait de Patrick un esclave. Patrick travaille toute la journée, revient à la maison pour faire le lavage, le ménage, le repassage, le repas, la vaisselle, etc. Un peu comme moi avec Sébastien. Sauf que moi et Sébastien travaillions tous les deux. Pendant un an et demi, à New York, Andrew ne foutait rien de ses journées. Probablement il ne faisait qu'avoir du sexe aller-retour avec tout un harem d'amis. Patrick me disait qu'il s'était fait un copain pendant ce un an et demi. Patrick a dû souffrir. Il dit qu'il va s'en sortir de cette relation un jour. C'est drôle, ils sont ensemble depuis quatre ans. Exactement comme moi et Sébastien. Ma mère me disait que les gais demeuraient ordinairement ensemble pendant cinq ans, après c'était fini. Je lui ai fait remarqué que chez les hétéros c'est exactement la même chose si c'est hors mariage. En mariage, plusieurs ne durent que cinq ans, mais plusieurs peuvent faire jusqu'à dix ans. Après c'est terminé. La seule chose qui pourrait faire qu'une relation irait au-delà de ces cinq à dix ans, c'est si les  personnes du couple se trompent mutuellement et sont capables d'accepter se fait, vivre avec. Sinon ils explosent à un certain moment donné et il n'y a plus de retour possible. Moi et Sébastien, c'est terminé. Même que Julian ne sera pas une motivation pour me ramener à Toronto. J'ai grandement l'impression que je vais tout faire pour demeurer à Londres. D'autant plus que ma vie sera bien moins misérable que je ne le pensais, car mon salaire sera plus élevé. Vingt-cinq livres sterling de plus par semaine que je ne le croyais. C'est un bonus qui vient lorsque tu es plein temps, à cause des heures impossibles (trois douze heures en ligne), ils doivent payer un extra. Ça veut dire qu'en étant à temps partiel pendant les cinq mois où j'ai travaillé pour eux, chaque fois que j'ai travaillé des semaines à plein temps, je me faisais exploiter de ce vingt-cinq livres. Mais c'est intéressant de savoir maintenant que je serai payé davantage que je ne le croyais. Heureusement que je ne savais pas cela lorsque j'ai appelé Visa, j'aurais à l'heure actuelle un plafond de deux milles dollars et je ne pourrais jamais plus le repayer. Mille cinq cents, c'est encore acceptable.

 

 

          J'entends tellement que je suis si beau ces temps-ci, je ne peux tout de même pas croire que j'embellis en vieillissant. À moins que de m'être débarrassé de Sébastien me va à ravir. Je crois que de vieillir effectivement marque mes traits davantage et j'ai moins l'air d'un enfant. Mes plus belles années sont donc à venir, à moins que l'on me brûle le visage avec une cigarette, ce qui est bien possible, avec Andrew qui fume comme un trou dans le lit. Il a rencontré son petit danseur hier, je paris qu'il a couché avec lui. J'espère que Pedro va m'appeler. Le premier qui m'appelle m'a pour la journée, cela vaut pour tout le monde sans exception, même les amis. Hier le Rick avait bu comme un malade, pissed comme il aime dire. On ne dirait pourtant pas. Il est cependant venu dans mon lit, m'a pris dans ses bras et m'a embrassé plusieurs fois. Sans la langue toutefois, je suis malade. Je lui ai rappelé ses principes, les propriétaires ne couchent pas avec les locataires, alors il est revenu à la réalité et m'a laissé. Il m'écœure maintenant. Il a gagné sa cause, son ex-copain a accepté de transférer l'hypothèque au nom de Rick. C'est triste lorsqu'il faut prendre la cour et les avocats, à un prix impossible à payer, pour avoir une simple justice. Je prenais pour l'autre, mais peut-être Rick avait raison de vouloir avoir l'hypothèque à son nom. Bref, j'ignore tout du débat et j'ai jugé Rick. Ça me ressemble. Il a enfin enlevé la photo de ses parents qui était sur la table et que je ne pouvais regarder ailleurs en travaillant ou en mangeant, je me sens mal qu'il l'est déplacé sur le mur, mais finalement je suis bien content. Je ne lui en reparlerai pas. Hier il m'a dit que si nous couchions ensemble, il faudrait que je déménage. Je me demande s'il impliquait que maintenant qu'il a gagné sa cause avec son copain et que ça ne lui coûtera plus de montant astronomique pour l'avocat, si cela impliquait qu'il me faudrait maintenant déménager. Bref, je m'en fous si c'est le cas, je vais retourner au centre de Londres, quitte à payer 65 livres par semaine. Il a dit qu'il m'achèterait des fleurs. Pourquoi ? Parce que lorsque quelqu'un est malade et qu'il va à l'hôpital, on achète des fleurs. Il devait vraiment être saoul, ça ne fait aucun sens. Je ne peux pas aller à l'hôpital, ça  me coûterait 10,000 $ que je n'ai absolument pas, vaut mieux mourir que d'aller à l'hôpital dans mon cas. Ensuite je ne serai pas si malade que l'on aura besoin de m'acheter des fleurs. Il me fatigue, il fait tout mon lavage, il plie tous mes vêtements, il fait ma vaisselle, j'en ai ma claque. Qu'il me laisse en paix, je suis encore capable de m'occuper de moi. J'ai peur qu'il me revienne ensuite avec ça, que je fous rien, que je me laisse traîner. En tout cas, quand quelqu'un est saoul et qu'il vient à toi, il dit la vérité et tu vois ses motivations. Celui-là m'embrassait, je n'ai donc rien à craindre pour l'instant. Je vais recevoir mon numéro de carte de banque demain, je vais détruire cette lettre aussitôt que j'aurai retranscris les quatre chiffres ailleurs. Je  le dis haut et fort, c'est la première fois de ma vie que je crains que quelqu'un connaisse mon numéro de carte. La première fois que je me dis qu'il me faut cacher ces choses. Il pourrait bien voler ma carte un jour, se servir dans mon compte s'il juge que j'aurais dû payer davantage à un certain point. Je calcule comme perdu le dernier mois de loyer que je lui ai donné. Je ne vois vraiment pas comment il pourrait me le redonner. Enfin, nous verrons.

 

 

          Je suis désespéré. Depuis un mois et demi je vie au penny près. Je ne gagne pas suffisamment pour payer les 184.68 livres que je dois à mon propriétaire, c'est pourtant la chambre la moins cher que l'on peut trouver à Londres. Je commence à travailler au café The Box aujourd'hui, je viens à peine de terminer mes trois jours de douze heures en ligne à l'aéroport. J'espère que tout va bien. Tout le monde comprend que je puisse changer d'emploi même si je vais gagner encore moins. Tout le monde est tellement écoeuré de WHSmith, tous ils cherchent de l'emploi ailleurs mais ne trouvent rien. C'est que les emplois payés à moins de quatre livres de l'heure fourmillent en Angleterre, puisqu'il n'y a aucun salaire minimum. Du côté amoureux aussi je suis désespéré. En un mois et trois semaines je n'ai rencontré que des copains de sous catégories et ça marche juste à moitié. J'espère que The Box va m'apporter le copain idéal, mais j'en doute. En plus, je crains d'avoir attraper une maladie vénérienne. Ça me gratte comme ce n'est pas possible à la mauvaise place et on dirait que mon système d'anticorps ne fonctionne qu'à moitié. Je saigne comme de l'eau tellement facilement. Je saignais du nez voilà trois jours, puis de chacune des deux mains pour des coupures si miniatures que j'en suis demeuré surpris. Ce n'est vraiment pas bon signe. Pendant un instant j'ai cru que c'était le sida. Eh bien, je travaille tellement en ce moment et ma vie n'a tellement aucun sens que ça ne m'a pas impressionné plus qu'il ne le faut. Je me disais bof, je m'en fous, mourir tout de suite ou plus tard, le plus tôt sera le mieux. Et je le croyais vraiment. En un sens c'est une fin logique et souvent j'ai l'impression que mourir serait peut-être ma seule solution à une vie tranquille et aisée que je suis incapable d'avoir. En fait, ma vie a un sens, c'est plutôt que je trouve que ça n'en vaut pas la peine. Je crois que de travailler avec des gens complètement écœurés de vivre ça n'aide pas. J'espère que l'atmosphère sera mieux au The Box. Il n'y a pas de porte de sortie à cette sorte de vie, there is no way out, pas même la mort. J'ai envie en ce moment de m'enfermer au Popstarz et de me saouler jusqu'à ce qu'on me retrouve sur le plancher en train de ramper. J'ai acheté mon premier paquet de cigarettes hier, Benson & Hedges, 0.9 mg de drogue, les plus fortes. Je suis vraiment à bout de souffle pour décider comme ça de commencer à fumer alors que les paquets valent presque dix dollars à Londres en cette fin de millénaire. J'ai besoin d'oublier que je travaille sans cesse et que je n'ai pas suffisamment d'argent pour vivre et qu'il n'y a aucune lueur à l'horizon que ça pourrait aller mieux dans le futur. Personne ne m'attend au Canada, j'y retournerais pour être sur l'aide sociale. J'ai peine à croire que Sébastien me garderait chez lui, du moins plus de deux semaines. À quoi ça sert les ex-copains de quatre ans s'ils sont incapables de te dépanner lorsque tu en as besoin. Dieu qu'il est intelligent, il s'est débarrassé de moi la journée où il a appris qu'il avait ce poste à 46,000 $ par année. Le voilà riche maintenant, il va se payer un Steinway de 50,000 $ le mois prochain, à crédit, bien sûr. On vit dans une société de crédit qui vit bien au-delà de ses moyens et on peut sentir que ça va s'écrouler ou exploser très bientôt. Je suis définitivement malade, mais je n'ai pas d'assurance maladie et je n'ai pas les moyens de me payer une visite chez le médecin. Aah, et je m'en vais travailler avec mes amis riches qui me paieront des cacahuètes pour travailler pour eux. Mais ils ont beau avoir de l'argent, le stress les ronge tellement que les boutons leur poussent partout dans le visage et ils ne dorment plus la nuit. So, qu'est-ce qui est le mieux ? Sans compter qu'ils se chicanent tout le temps, leur dernier locataire n'en pouvait plus de cette atmosphère, Tim déménage très bientôt et ils vont essayer de me prendre dans leur belle maison à Clapham South. Je voudrais bien, mais c'est loin du centre et c'est trop cher pour mes moyens. Je ne serais certainement pas rentable pour eux, ils chargeaient à Tim exactement le double de ce que je paie ici. Mais ils doivent bien être conscients de cela, ils me chargeraient moins cher. Mais est-ce que je veux habiter où on voudra coucher avec moi, sans compter l'atmosphère infernale de leurs scènes de ménage ?

 

 

          Je suis allé en enfer ! J'ai enfin découvert ce qui me mangeait le cul depuis deux semaines : des crabes ! En un sens c'est rassurant, j'ai acheté deux petites bouteilles, j'ai tout aseptisé mes vêtements et mes draps, paniqué complètement pour anéantir toute la colonie de bibittes qui avait eu le temps de se bâtir une société organisée sur les poils de mon corps. Je suis en processus de destruction des anciennes colonies qui n'ont plus rien à offrir sinon la multiplication des œufs, bientôt ils seront 250 millions et ils me contrôleront en entier. Heureusement qu'on a inventé le Malathion liquide, ils sont tous morts maintenant. C'est Andrew qui ma refilé ça, je le sais. Alors Andrew, c'est fini. Si je le vois, c'est ailleurs que dans son appartement. On ne couchera plus jamais ensemble et j'ai bien hâte de lui lancer ça au visage. (Oh merde, je viens de mettre Marianne Faithfull, ça me fait penser à lui...) Le pire c'est que j'ai refilé ça à Duane, c'est certain. Voilà pourquoi il ne m'appelle plus. J'ai honte. Mais le pire c'est comment j'ai découvert le premier. Je faisais tranquillement l'amour avec Alan, puis probablement qu'un de mes crabes s'est ramassé sur lui. Lorsque je l'ai vu j'ai crié : a bug ! Le pauvre voulait mourir, d'autant plus qu'il n'a effectivement pas couché avec tellement de monde ce dernier mois. Un seul con l'a sucé voilà deux semaines, il semble hésiter à le blâmer. Je n'ai réalisé qu'après coup que cela venait de moi, alors sans mentir je lui ai donné tous les arguments pour lui expliquer que ça ne pouvait pas venir de moi. Je ne trouverai jamais le courage de lui avouer que ça vient de moi (tiens oui, j'avais oublié que ça me grattait depuis deux semaines). Pauvre Alan, d'autant plus qu'il était ici parce qu'il devait aller retrouver son copain zillionnaire à l'aéroport, Leonardo. Dans les prochains mois il sera numéro un sur les chartes de Techno-dance de l'Angleterre et je le crois. Un de ses disques est en neuvième position chez Virgin record, Alan me l'a fait entendre, aucun doute que ça roulera sur toutes les pistes de danses. Je n'arrive pas à figurer comment il se peut que mon petit Alan ait un copain italien plusieurs fois millionnaire. Découvrir qu'il a des crabes une heure avant que Leonardo arrive, c'est le cauchemar. Trouver des bibittes sur soi, c'est un choc. Tout à coup de savoir que ces petits monstres poilus à pattes et à fortes mâchoires me bouffent tout et me pondent ça aller-retour, c'est terrifiant. Ma décision unanime c'est : drop Andrew, ne plus rappeler Duane, se débarrasser de Pedro avant même que quelque chose n'arrive (il était supposé venir ce matin, mais il n'a pas appelé, de toute manière je ne l'aurais pas reçu). Désormais je ne coucherai plus à torts et à travers, c'est terminé. Je ne vais coucher qu'avec ceux dont je suis certain que ça peut fonctionner. Il n'y en a qu'un pour l'instant, Alan. S'il s'avère qu'il veuille encore de moi. Il semble se demander, je crois qu'il pense que je suis celui qui lui a refilé ça. Lui aussi a pris des décisions radicales, il va laisser tomber Sofia sa blonde, terminé qu'il a dit. Comme c'est triste, elle était si coquette et fragile (qu'elle crève oubliée dans le fond d'un puits, oui !). Il n'y a plus que Leonardo dans le décor. Comment se débarrasser d'un riche excentrique encore trop beau et trop jeune pour être balayé trop facilement du revers de la main ? Quand il apprendra que son copain est intouchable pour les prochains deux jours, je crois que ce sera déjà convainquant. Lorsqu'il me verra ce lundi soir lorsque nous sortirons au Popstarz, il comprendra que moi et son petit copain Alan on a fait l'amour ensemble pendant qu'il travaillait à faire des millions en Italie. Ça aussi ce sera un choc. Mais peut-être n'aura-t-il aucunement la conscience de toutes ces choses, ils vivent davantage de drogues que de sexe. Les deux ne consomment même pas les mêmes choses. Ils sont sortis hier soir et ils ne rentreront que lundi dans la journée. Clubbing, clubbing, clubbing, trois jours durant, sans manger ni dormir, être high sur différentes drogues. Je ne serai pas capable de faire cela. Alan n'est définitivement pas quelqu'un pour moi. Il est trop dedans alors que je suis trop dehors. J'ai peut-être cru trop rapidement qu'il m'emmènerait dedans avec lui, m'ouvrant à tout cet univers, mais cela n'arrivera pas, quand bien même je commencerais à prendre de la drogue. J'ai déjà une étiquette impossible à effacer : étudiant universitaire, végétarien, non fumeur, venant de famille aisée, travailleur, intelligent, intellectuel. C'est la pire de mes souffrance cette étiquette,  il me semble que jamais je ne pourrai m'en séparer. Quoique en ce moment, je fume, je travaille dans un bar, je couche avec tout le monde, j'attrape des bugs, mes amis sont les plus drogués de Londres, je suis même à la veille de me procurer une carte d'identité nationale illégale italienne offerte par des maffioso qui roulent en limousine. C'est Leonardo qui peut m'avoir cela, pour à peine 200 livres Sterling (je n'ai pas cet argent, ni même les 600 livres que ça me prend pour épouser à bon marché une lesbienne, ni même le million de livres nécessaire au bon développement de l'enfant que j'aurai avec cette lesbienne).

 

 

          Oh God ! Après le travail au Box, je suis retourné à Hounslow pour me laver et repartir immédiatement pour Camden Town, station Angel, Leisure Lounge, 1/5 Parkfield, Popstarz special party pour le bank holdiday. Je suis arrivé après minuit et ça a fini à deux heures. En moins de deux heures, il m'est tellement survenu d'événements que ce matin mon cerveau ne sait plus à quoi penser.  Cette histoire a maintenant trois amants. Of course, le premier que j'ai rencontré c'est Duane, le proprio du Popstarz et de tous les bars Indies en ville. J'essaie de figurer s'il est riche, c'est pas son habillement Adidas qui va m'éclairer. Dieu qu'il était content de me voir ! S'il est riche, c'est encore un obstacle entre lui et moi. Je n'ai déjà pas tellement envie d'être la nouvelle marionnette du patron, que s'il est riche en plus, ça paraît encore plus mal. Il a parlé de moi à tous ses amis, ils m'ont déjà adopté. Pourquoi ? Parce que la marionnette Mark est un monstre d'arrogance et qu'il est une barrière entre Leigh et ses amis. Ils se battent ouvertement. Kirsty et Mark ne s'entendent tellement pas que Mark lui a même lancé un verre d'alcool au visage. Alors c'est hystérique. Moi j'ai pris le temps de parler avec le monstre. Il s'habille en complet cravate et a exactement le look de Jarvis, le chanteur de Pulp. C'est l'image que Londres exporte actuellement. Il a étudié la philosophie à la plus prestigieuse université de Londres, il fait un trip sur Nietzsche et il écrit de la poésie : un renouvellement de l'art par la poésie. Bien sûr on s'est tout de suite entendu, je suis adaptable à tout ce que je rencontre. J'ai étudié la philosophie, j'écris de la poésie dans mes heures creuses, je connais Nietzsche. Prenez n'importe qui dans le bar, j'ai toujours des choses en commun, je peux parler d'à peu près n'importe quoi et m'ajuster à leur niveau. Leigh, c'est une cruche vide. Seule les cruches vides se lancent dans des missions impossibles et réussissent. Les plus grands hommes d'affaires ne sont pas toujours les plus intelligents. Les plus grands chirurgiens sont souvent des légumes. Je le juge vite le pauvre Leigh et je ne le connais pas. Il me prenait le derrière devant tout le monde, même devant son copain Mark. Il y avait de l'hystérie dans l'air. Ils voulaient m'emmener avec eux à Clapham Junction pour continuer la soirée, mais leurs yeux m'ont clairement fait comprendre le pourquoi de cette rencontre. Tous, du premier jusqu'au dernier, avaient les pupilles très grandes ouvertes, signe qu'ils ont tous pris des drogues. Je suppose qu'ainsi ils peuvent voir chaque détail qui compose la vie, wide awake in London, mais ils sont trop amorphes pour réagir à quoi que ce soit. Je n'allais donc pas aller consommer des drogues alors que je travaille aujourd'hui. Déjà ses amis Paul et Kirsty parlaient comme si j'étais le nouveau copain de Leigh, Paul m'a avoué qu'il m'aimait beaucoup. J'ignore où va m'emporter cette histoire de fous.

 

          J'ai rencontré Leonardo, l'archi millionnaire ami d'Alan. Celui qui est en neuvième position chez Virgin Mégastores, mais dont sa musique Techno ne me dit absolument rien. Il est beau en Christ ! Je le prendrais tout de suite. Dans son cas sa fortune ne serait pas un obstacle. De toute manière je ne pourrais pas vraiment en profiter, quand bien même je resterais avec lui pendant deux ans. À la fin je me retrouverais tout nu dans la rue. Je crains que je n'aie pas fait une bonne impression. Ils étaient sur la drogue eux aussi, tous ont consommé des drogues différentes et ils vivent leur calvaire de manière différente. L'essentiel, c'est la musique. Il faut que la musique soit entraînante, qu'ils l'adorent, ainsi ils dansent jusqu'à ce que mort s'ensuive. Ce n'était donc pas l'endroit. La seule chanson qu'ils ont dansé c'est You oughta know d'Alanis Morrissette. Alanis Morrissette est la seule qui ait réussi à briser la barrière entre le pop et l'Indie music. Son album Jagged little pill a presque passé en entier. C'est que Leigh l'adore, mais je me demande s'il ne l'adore pas justement parce que je lui ai dit que c'était ma petite cousine qui venait d'Ottawa et qu'elle était canadienne française (!). Chose certaine, c'est pour moi qu'il fait jouer Alanis. J'ai eu beaucoup de choses à dire à Leonardo, c'est bizarre. L'alcool aide tellement à sauter sur les gens en se foutant de tout. Je crains que je n'aie pu l'impressionner parce que je couche avec son copain Alan. Ça il le sait, Alan le lui a dit. Ce qu'il ne lui a pas dit, c'est qu'il a ramassé des crabes avec moi. Ce n'est pas la joie. Je veux le revoir ! Je veux qu'il m'emmène loin d'ici ! Loin de cet enfer. Mais je ne prends pas de drogue et je n'ai pas l'intention de commencer. Ça aussi c'est triste. Sur la drogue, tu te fais des amis instantanés. Tu t'agites comme un malade avec eux et le lendemain ce sont les meilleurs amis du monde. Ils ont vécu à 300 Km/heure pendant deux jours, ils ont chanté, ri, dansé, jouis, pleuré, paniqué, claqué tout leur argent et puis quoi encore. C'est ça la vie, certains la vivent plus intensément, d'autres pourrissent toute leur vie à rouler à 5 Km/heure. Le problème c'est que c'est très épuisant et très vite ils deviennent des loques humaines. Comme Andrew que j'ai rencontré hier, tout en sueur. Dieu qu'il était horrible. Comme il m'a menti. J'ignore quelles drogues il prend, mais c'est certes très forts. Il est maintenant malade. Je l'aime bien, mais je ne peux plus rien pour lui. Il s'enfonce, il continue, je me demande parfois si ce n'est pas la mort qui l'attend dans le prochain détour. Il me demandait pourquoi je ne l'appelais pas. Ce à quoi je lui ai demandé pourquoi il ne m'appelait pas. Leigh m'a poigné le derrière devant Andrew. Il sait quand il doit le faire, pour s'assurer que justement je ne puisse ramasser personne. Le problème c'est que Andrew n'était pas un gars que j'allais ramasser ce soir-là. Andrew s'est mis à paniquer, il croit maintenant que je couche avec Leigh. Il sait que c'est la fin. Je lui ai dit en plus que j'avais des crabes, et que c'était le temps qu'il aille s'acheter une grosse bouteille d'anti-crabes. Que ça va résoudre beaucoup de ses problèmes de grattage, sinon tous. Il ne vit tellement plus dans ce monde qu'il est incapable de se rendre compte qu'il a des bugs partout sur lui. Il ne se rase même plus, ne dort plus, ne travaille plus  et voit maintenant un psychanalyste. Quelqu'un l'a abusé sexuellement, tout découlerait de ça. Il va m'appeler aujourd'hui. J'espère qu'il le fera bientôt car je vais partis travailler dans deux heures. Dernière personne avec qui j'ai parlé, je ne puis me souvenir de son nom, travaille au National Theater ou quelque chose du genre. À l'entendre parler, il en était le propriétaire. Si ça se trouve, il ne fait que placer les gens dans les rangées. Mais ça semble sérieux, il connaît personnellement Robert Lepage. Alors bien sûr, j'ai fait un tour de 360 degrés et je l'ai emporté dans un coin noir du bar pour lui avouer que Robert Lepage c'était mon idole (même s'il n'a plus un cheveux sur la tête et qu'il a trois perruques différentes qui le rendent ridicule à ce qu'on en dit). La semaine prochaine, mon ami s'en va à Bruxelles pour assister à la première du nouveau One man show de Lepage. Le génie en action s'active partout en même temps. Là il est à Bruxelles, on annonçait déjà son spectacle en anglais à Toronto lorsque j'y étais et voilà qu'il sera bientôt à Londres. Son film Le Confessionnal (un classique), remporte tous les prix. Mon ami va le voir demain. Je l'ai vu à Toronto. Voilà, que ce soit théâtre, poésie, philosophie, musique, sexe, chaque personne que je rencontre m'apporte tout un univers. Seule la drogue m'est tabou ou inconnue (je ne considère pas le hasch et la mari comme des drogues, et je n'en prends même pas). C'est drôle, j'ai tellement refusé le regard de gens tellement intéressants hier. Au travail, à Popstarz. Des chances incroyables me passent sous le nez, mais j'en ai trop dans ma vie en ce moment, il y a une limite. Ceux qui finissent dans mon lit ne sont pas toujours les plus beaux, mais ils sont certes les plus intéressants. Lorsqu'ils sont un peu plus vieux, ils ont du vécu et ils ont un paquet de choses à raconter. Mais je dois admettre que mon petit Alan me fait énormément d'effet. Dieu que je l'aime. Je ne crois pas qu'il me fera disparaître de sa vie très vite, il ne semble pas coucher avec tout le monde. Je crois que je lui ai vraiment tombé dans l'œil. C'est bien surprenant qu'il soit venu hier, avec Leonardo en plus. Sachant que le riche monsieur ne voulait pas venir, mais somme toute, il voulait voir la chose avec qui Alan couchait. J'espère qu'il n'est pas trop découragé, sans me vanter (certes non), je pourrais facilement être le plus beau gars de tout le bar (trois étages, 3000 personnes). Si j'étais musicien, j'aurais déjà réussi. Avec les connections que je me suis fait. Elles serviraient pour Sébastien, pas pour moi.

 

 

          Je pense encore à lui, Alan. Il est venu au Box avec Leonardo hier. L'un et l'autre, je les voudrais dans mon lit. Le ménage à trois fonctionnerait car il ne semble pas y avoir de jalousie et je serai suffisamment conscient que je suis le troisième pour m'assurer qu'aucun des deux ne me donnent trop et que l'autre se mette à paniquer. Leonardo m'a finalement sourit plusieurs fois. M'a parlé longuement. M'apprécie. Sans Alan, je serais dans son lit dans son hôtel de luxe. Jusqu'à quel point s'empêchera-t-il de m'atteindre pour cause d'Alan ? Laissera-t-il traîner le cours des événements, espérant pour une occasion qui ne viendra jamais ? Il faut provoquer les événements mes amis ! Allez, Leonardo, vient me voir au Box avant de partir, emmène-moi à Milan avec toi, je te suivrai au bout du monde dans ton ascension vers les numéros un des chartes de l'Europe. Je parle argent et succès, mais en fait, ce qui m'attire chez lui c'est surtout sa personnalité. Il est calme, beau, simple, bien habillé, et son sourire est frappant. Il est ce que j'ai rencontré de mieux depuis Sébastien et... Alan. Si on me donne le choix entre Alan et Leonardo, malgré les millions du deuxième, je choisis Alan. Le problème c'est qu'Alan ne me garantit rien de concret au niveau de ses sentiments, s'il veut développer une relation. Du jour au lendemain je m'attends à ce qu'il m'évite, ne m'appelle plus, disparaisse complètement ou presque. Passant parfois au Box pour me convaincre qu'il existe encore. Je souffrirai alors. Je m'attends à cela parce que le premier jour où je suis allé chez lui, je l'ai vu mentir à sa blonde Sofia comme un malade. Depuis une semaine et demie il ne l'avait pas vu et là il défilait un paquet de mensonges pour justifier pourquoi ils n'avaient pu se voir. Ça paraît très mal, d'autant plus que je ne puis m'empêcher de penser que chaque fois qu'il me parle, il radote des conneries. Il a beau dire que je suis trop intelligent pour qu'il commence à me mentir, moi je crois que je suis trop paranoïaque pour qu'il me dise même la vérité, car celle-là même je la considère comme fausse. Ce n'est pas drôle d'avoir ainsi détruit ma confiance en lui le premier jour. Il vit trop lui aussi. Drogue et histoire pas claires. D'où vient tout son argent ? Comment peux-t-il laisser son emploi misérable au Box et survivre sans problèmes à consommer des drogues qui lui coûtent une fortune ? Pourquoi veut-il payer pour moi sans cesse (ce que je refuse obstinément) ? Que me cache-t-il ? Il est vraiment mystérieux. Mis à part sa double identité Alan/Aldo, que je me considère comme chanceux qu'il m'ait au moins avoué cela, je perçois tout un univers noir probablement inconcevable pour moi et certainement effrayant. Il m'effraie, mais lorsqu'il place son visage près du mien, je le sers dans mes bras et je l'emmènerais avec moi ailleurs que dans notre misère londonienne. Leonardo serait-il plus stable ? Moins mystérieux ? J'en doute, connecté ainsi avec la maffia, je comprends quelles étaient les ficelles qu'il a tiré pour en arriver où il est. Drogues, clubbing, succès, argent, maffia, où sont les portes de sortie ? Sont-ils liés par de quelconques obligations jusqu'à la fin de leurs jours ? L'un ou l'autre, si l'un me veut, je le prends. Si les deux me veulent, je les prends. J'embarque dans n'importe quel bateau sans même connaître la destination. C'est ce que j'ai fait en abandonnant ma sécurité à l'aéroport d'Heathrow. Maintenant je n'ai pas du tout les quarante heures que l'on me garantissait et je sais que chaque fois que je travaille de soir, je n'ai aucun pourboire. J'aurai définitivement moins d'argent, j'en manquais déjà. Mais je continue ma descension vers les bas-fonds de Londres. Bientôt ils vont m'emmener au DTPM et au Trade. Deux endroits où tu t'emmerdes (comme au Vortex) si tu n'es pas sur la drogue. Trade, selon Leonardo, est impossible à apprécier si on n'est pas sur la drogue. C'est fait pour ça. Alors je peux imaginer quelle sorte d'atmosphère ce sera. Lumières aveuglantes dans toutes les directions, musique de rave de malade qui tourne au 78 tours par minute. Et sur le top, un paquet de queens qui dansent comme des Star Treks, tous drogués aux suppositoires et qui ne voient plus à un mètre devant eux. Ça vaut la peine de se payer une visite dans ces endroits. Cela me donnera la chance de sauter sur Leonardo, l'embrasser partout sous prétexte que j'étais saoul et lui voler ses millions par en arrière. Je blague, je ne veux pas ses millions. Je le veux, lui. Mais j'avoue qu'il est beaucoup plus facile d'apprécier quelqu'un qui est riche. Il est beau, comme plusieurs autres, mais il est riche en plus, alors le choix est plus simple. Mais je n'aurai même pas ce choix. D'autant plus qu'il retourne à Milan avant la fin de la semaine. Je ne suis même pas certain de le revoir d'ici là. Peut-être qu'Alan justement craint que je lui vole. Je le ferai si je peux. Mais je vais essayer d'avoir Alan avant, et si ça marche, j'oublierai Leonardo.

 

 

          Après ma journée de travail d'hier et après avoir visité une chambre à Wood Green à l'autre bout de la Piccadilly Line, je suis revenu au Box pour voir Alan. Il discutait avec deux filles pas mal intéressantes. On a ri toute la soirée jusqu'à la fermeture, puis nous nous sommes transportés à un café sur Old Compton Street à Soho. Puis juste avant que je ne manque le dernier train, on a parlé avec deux filles hétéros qui travaillent à la crêperie à côté du café en question. Alan connaît tout le monde, partout. On dirait même que c'est sa seule occupation, rencontrer les gens, faire du social. Parfois je me demande ce qu'il en retire. En tant qu'immigrant qui n'avait aucun ami, voilà qu'il est entouré comme jamais. Mais il n'est jamais seul, il ne s'arrête jamais deux minutes. Encore ce week-end, trois jours dans les clubs, jour et nuit. Drogue, drogue, drogue. Je l'ai laissé aux portes du DTPM avant-hier. À aucun moment il ne m'a proposé d'entrer avec lui. Mais c'est normal, je ne prends aucune drogue et ce n'est pas la musique que j'aime. Je risque l'intoxication et l'asile si j'entre là-dedans. Je vois l'avenir. Je sais qu'il ne cesse de me proposer de déménager avec moi à la fin du mois car il n'a pas le choix de se trouver un appartement. Moi, étrangement, je suis incapable de trouver une chambre Central London pour moins de 60 livres par semaine. C'est normal en fait, pour ce prix. Ça existe tout de même, mais il n'y a rien en ce moment sans compter que je n'ai pas l'argent pour déménager et que même 60 livres c'est trop pour mon maigre salaire. J'ai la nette impression que je vais emménager avec lui et apprendre énormément de ce que je juge être son calvaire, mais dont lui semble heureux comme jamais là-dedans. Il a toujours eu beaucoup d'argent, mais là il dit qu'il en a besoin. Il a commencé à travailler chez Mezzo, un restaurant français à côté du Freedom. Comment sera la vie avec lui ? Il sera toujours sorti, il ne rentre jamais. Mais peut-être justement il ne rentre jamais car ça devient difficile en ce moment de partager l'appartement avec sa sœur ? Le pire c'est que je ne serai plus libre d'emmener qui je veux chez moi, car nous serons implicitement ensemble, même si on ne fait pas l'amour vraiment puisqu'il n'a pas de sexualité. Ou du moins le sexe est le dernier de ses soucis, il pourrait vivre sans. La drogue est un merveilleux substitut à à peu près tout. Je conseille à tous les gros laids incapables de se trouver quelqu'un pour leur donner de l'affection de sauter dans la drogue à deux mains, ils auront bien autre chose à penser, beaucoup à danser pendant des jours et des nuits à perdre leur graisse. Et c'est là également un autre danger. Je me crois invulnérable, je me pense au-dessus de tout le monde, mais je suis exactement comme tout le monde. Il y aura une première fois et après ce sera une habitude. Comme la cigarette. Si j'habite avec Alan, c'est certain que je vais commencer les drogues. Si on m'en offre, je ne dirai pas non, je le sais. Sa sœur donnait une soirée à la cocaïne ce vendredi soir. Cela signifie, elle fournit la coke pour tout le monde. Combien coûte une telle soirée ? Il y a des choses que je ne comprends pas. Se peut-il que son Leonardo descende d'Italie une fois par mois pour lui apporter de la coke qu'Alan est chargé de vendre au DTPM et au Trade ? Mais je l'ai entendu dire au téléphone qu'il devait aller au DTPM justement pour acheter de la coke pour sa sœur d'un homme aux cheveux teints en blond. Je ne sais plus quoi penser, mais il m'a donné de sérieux indices. Italie, faux papiers d'identité achetés à la maffia, gigantesques automobiles dans des coins noirs. Je suis peut-être paranoïaque, mais il existe des questions non répondues et il m'est peut-être dangereux d'en connaître les réponses. Cette obsession de Leonardo de vouloir venir à Londres à chaque mois, plus spécifiquement aux deux endroits les plus drogués en ville. Cet argent qui semble tomber du ciel lorsque mon salaire à moi ne me permet même pas de payer une chambre dans le centre de Londres. Et pourquoi offrir des soirées à la cocaïne si justement ce n'est pas dans l'intention de se faire de nouveaux clients qui deviendront dépendants et qui achèteront de nous par la suite ? Et pourquoi il veut déménager avec moi, ce con ? Je sais qu'il veut se sortir de son enfer des drogues, il a cette volonté. Peut-être croit-il que je pourrai le sauver ? Malheureusement je ne suis pas là pour lui faire la morale, je sais bien qu'il est tout à fait inutile de tenter de le dissuader. Moi je ne suis qu'un observateur qui risque davantage d'être engouffré par lui. Il me donne tant d'indices, mais j'ignore comment résoudre le puzzle. Dois-je m'attendre au pire ? Que ferais trois enfants pour aider leurs parents en détresse dans une Yougoslavie en péril ? S'il faut payer le château adoré, d'une vie riche dont l'on ne peut plus se passer, alors le monde de la drogue est une avenue pour ramasser vitement bien des livres sterling. La troisième sœur est en Allemagne, elle aussi fournit aux parents. C'est beau la solidarité familiale. Mais ça ne vient que lorsque les Serbes débarquent dans nos vies et prennent tout. Alors l'instinct de survie dans une jungle soudainement inconnue est la motivation première à ce rapprochement soudain. Il n'y en qu'en période de crise que l'on comprend qu'il faut aider les nôtres. Parfois il serait peut-être mieux d'être en période de crise, ainsi mes parents m'aideraient un peu dans ma période de détresse intense que je vis depuis au moins cinq ans. Ils ont tous des maisons et des voitures, des réfrigérateurs pleins à craquer, ils dépensent comme des fous partout où c'est possible de dépenser. Pendant ce temps je compte mes pennies pour prendre l'Underground. Je n'ai plus fait d'épicerie depuis un mois. Je mange la bouffe de Rick. Il me présentera bientôt ses multiples factures et me demandera la moitié de tout cela. Je vais lui rire au visage et sacrer le camp durant la nuit. Il sait où je travaille, il me poursuivra en justice. Son avocat, qu'il paie grassement, se chargera de l'affaire. Ce jeune homme me doit 300 livres sterling, fait sûr qu'il fera de la prison. Triste univers. Oh, je suis en train d'écouter Black Celebration de Dépêche Mode, ça me ramène quelques années en arrière, alors que j'écoutais cet album vingt-cinq fois par jour. Je crois avoir entendu dire à la radio que le chanteur Dave Gahan était mort d'overdose, mais je n'ai eu aucune confirmation depuis, et puis il n'y a rien de spécial à propos de Dépêche Mode chez Tower Records à Piccadilly. J'espèere qu'il n'est pas mort, j'ai besoin de leur prochain album et remixes afin de survivre. Quoiqu'ils nous laissent une discographie assez impressionnante et que Martin Gore et Alan Wilder continueront à faire de la musique intéressante.

 

My weakness

You know each and every one (it frightens me)

But I need to drink

More than you seem to think

Before I'm anyone's

 

          Extrait de A question of lust. Très profond.

 

 

          Ce matin avant de partir pour Covent Garden, j'ai décidé de mettre Beau Dommage. Je dois être le seul sur les 75 millions de personnes au Royaume-Uni qui écoute Beau Dommage ce matin. Après quelques chansons il m'a fallu l'arrêter, ça me rendait malade. Un peu de Nine Inch Nails pour me ramener sur la terre. Le Québec n'est pas mort, mais c'est tout comme. Je n'en entends jamais parler, il est à des kilomètres de moi. Beau Dommage, c'est ce que chaque chansonnier perdu dans le fond de n'importe quelle ville du Québec chante. J'ignore pourquoi ça me rend malade. Je crois que c'est parce que ça me rappelle mon enfance de calvaire dans la ville de Québec lorsque j'avais 4-5 ans. C'est les années 70, et c'est tout, sauf ma génération et mon bonheur.

 

 

          À qui je pense ce matin ? Obsédé par l'image de Jonas. Sa voix si douce, son sourire, son accent de jeune riche qui habite un château à Islington. J'ai peine à imaginer qu'il attendra la fin de ses examens pour me revoir. J'ose espérer que lui aussi pense à moi aujourd'hui. Maintenant que j'y pense, ça ne me semble vraiment pas évident d'intéresser quelqu'un sur une longue période. J'ignore ce qui se passait dans la tête de tous ceux que j'ai rencontrés, mais très peu ont fait d'efforts pour me revoir. Enfin, ce n'est pas si vrai. J'ai revu Neil plusieurs fois, Andrew également, Leigh me laisse tranquille car il ignore si moi je veux le revoir. Duane a toujours vécu sur une autre planète. Sans les crabes, peut-être serions-nous ensemble. Tout ce que j'espère, c'est de revoir Jonas et de l'accrocher pour vrai.

 

 

          Je pense que je suis allé en enfer. Ou du moins je ne puis imaginer l'enfer pire que ce que j'ai vécu ces derniers temps. Je viens de dormir douze heures, je reviens de très loin. Penser, penser et penser. Que vais-je faire ? Je suis très limité par l'argent. Oublions Paris. Les chances de trouver un emploi après avoir passé à travers le calvaire de l'immigration, à tenter de les convaincre que je suis inscrit dans une université parisienne, et je serai mort de faim. Chercher un emploi à Londres ? Je sais ce que c'est. Au moins quelques mois. Je serais dans la rue à quêter avant d'avoir mon premier chèque. Pôpa ! Ton fils a besoin d'argent ! No way, Il faudra que je sois vraiment désespéré pour lui demander quoi que ce soit, et lorsque je dis désespéré, c'est vraiment perdu dans la rue sans avoir rien mangé depuis des jours. Montréal. Habiter chez François, au moins un mois avant de trouver un emploi, ce n'est pas la joie. Toronto. Une possibilité. Ottawa, une autre. Je suis tellement écœuré de vivre dans la misère, tellement fatigué de travailler comme un malade pour en fin de compte être trop pauvre pour payer mon logement, que je suis prêt à retourner à Ottawa s'ils ont toujours un emploi pour moi.

 

          Je viens de dormir un autre quatre heures, cela fait seize heures en tout. Cet emploi m'achevait. Je suis tellement fatigué, tellement amorphe. Hier, rendu à la station d'Underground à Hounslow Central, j'ai manqué perdre connaissance. Je me suis assis sur le banc et me suis dit que ça commençait à être grave, je ne suis même plus en état de me rendre jusqu'à la station. D'habitude je monte les escaliers roulants deux marches par deux marches, maintenant je me laisse traîner jusqu'en haut et souhaite ne pas arriver pour ne pas recommencer à marcher. Je parlais avec Chuck Fournier, l'Américain de la Louisiane, c'est la même chose pour lui. Pas étonnant que je le rencontre sur Old Compton Street à trois heures du matin alors que nous travaillons tous les deux le lendemain.

 

 

          Evening Standard :

 

Emploi de rêve

Compagnie américaine de mode offre amusement, voyage et une montée rapide dans une carrière fascinante en administration. Aucune expérience nécessaire. Pour entrevue immédiate, appelez Marco et habillez-vous pour impressionner.

 

          Alors je vais arriver là demain matin avec mes bermudas noirs, mes gros souliers d'alternatif, une chemise blanche sortie de mes culottes, une cravate non attachée autour du cou, un ruban rouge qui indique que je suis gai et mes lunettes de soleil Ray Ban. Mes cheveux stylisés à l'extrême et une bouteille de Porto de qualité supérieure et deux verres à vin. Je déposerai mon CV sur la table en affirmant qu'il est inutile de le regarder, je n'ai aucune expérience. Buvons et amusons-nous, nous sommes à Londres et il y a une fin à nos vies. Je déposerai un paquet de Gauloises et trois paquets de condoms sur le bureau et j'annoncerai que je suis prêt à aller au lit. S'ils ne me donnent pas l'emploi, je me demande bien ce qu'il faut faire afin de décrocher un emploi sur cette planète. Je sais, j'ai l'air d'avoir 16 ans, mais je suis très intelligent. Donnez-moi un contrat immédiatement ou je me tire une balle dans la tête. Vous ne voulez pas avoir cela sur votre conscience, n'est-ce pas ? Je suis prêt à vous suivre n'importe où, je suis votre esclave.

 

 

          « Félicitation, vous êtes invité à une deuxième entrevue demain matin ! » Yahoo ! « Impressionnez-nous encore ! » Comment vais-je accomplir cela ? Mêmes vêtements, mais cette fois très bien arrangé. Je veux dire, je vais leur montrer le contraste. De funky, je peux avoir l'air tout à fait présentable en cinq minutes. Ça va avoir l'air bon marché, comme si je n'avais qu'un seul habillement, mais c'est le cas ! Pourrais-je vraiment avoir cet emploi ? Moi ? Ce serait trop drôle. Je retournerais demain au Box chercher mon misérable chèque de 100 livres pour deux semaines infernales de travail où j'ai été sacré dehors ensuite, pour leur annoncer, avec mes remerciements, que j'ai décroché un emploi à 25,000 livres par année, voyages dépenses payées, et que mon prochain chèque pour deux semaines de travail sera de 1500 livres. Quinze fois le salaire du Box. Quinze fois le salaire de la bitch qui m'a mis dehors, parce qu'elle a à peu près le même salaire. Trop beau pour être vrai. Mon premier chèque paiera deux fois le plafond de ma carte de crédit que je suis incapable de repayer depuis cinq ans. Ce genre de chose doit bien parfois survenir ? Ça arrive toujours aux autres cependant. Peut-être que c'est à mon tour ? Hey Poupa ! Je t'appelle de Londres, je pars à l'instant pour New York, j'ai un nouvel emploi avec la plus grande compagnie de mode du monde entier. Mon salaire ? Le même que le tient ! Sans hypothèque, sans auto, chambre bon marché, je serai riche ! C'est Marco qui m'a parlé au téléphone. Je parie que mon petit ruban rouge pour soutenir ceux qui sont HIV+ a bien marché. En plus, tous les hommes que j'ai vus là aujourd'hui sont hyper beaux. Alors si j'ai besoin de coucher avec qui que ce soit, pas de problème ! Maintenant, mon seul obstacle pourrait bien être mon visa qui va s'éteindre dans un an. J'espère qu'ils ne poseront pas la question, s'ils la posent, il me faudra les rassurer sur le fait qu'une grande compagnie comme la leur peut certainement aisément me procurer une prolongation de visa, d'autant plus que je serai un directeur. Ce sera à mon tour à faire souffrir les petits mécréants et à les mettre à la porte sans solde et sans préavis. Non, je vais tenter de rendre l'endroit vivable et sain. Jamais je ne pourrais fabriquer un enfer si c'est moi qui étais le patron. Mais il faudra que tout fonctionne et que personne ne s'en permette trop. Mais je serai large. Inutile de parler de tout cela, ils ne me prendront pas de toute manière. Mais j'ignore ce que je ferai jusqu'à demain. Je ne peux penser à autre chose. Un changement plutôt radical. Peut-être que j'ai besoin de sortir d'ici. Appeler quelqu'un, n'importe qui. Ou espérer que quelqu'un va m'appeler. Ce qui serait bien surprenant, ou ce ne seront pas les bonnes personnes.

 

          Dans un cas désespéré de ne pas demeurer seul toute la soirée, j'ai appelé Stephen, un gars que j'ai connu à l'aéroport mais que je n'ai jamais osé appeler parce qu'il était trop vieux. Eh bien, on se verra ce week-end, et comme d'habitude, quelqu'un plus vieux vient toujours avec une histoire. Il se tient avec plein de gens huppés, il se tient à Covent Garden et sur King's Road, un endroit très à la mode. Il veut me présenter à son petit univers, il semble bien connecté. Il pourrait même m'aider à trouver un emploi. Son appartement est juste de l'autre côté d'Osterley Park. Ça a au moins ça d'avantageux. J'espère juste qu'il est plus beau que le souvenir que je garde de lui. De toute manière il m'apprendra énormément de choses. J'ai appelé Mark aussi, il va me rappeler la semaine prochaine. Il est très occupé. À quoi ? Puisqu'il est sans emploi et que l'université est terminée ? À chercher de l'emploi.  Alors tu as des entrevues ? Non, mais j'espère en avoir bientôt. Pauvre lui. Moi je les collectionne les entrevue, trois en deux jours, pour deux appels téléphoniques. Mais ça ne veut pas dire que j'aurai l'emploi. Ça ressemble à quelqu'un qui ne veut pas me rencontrer. Mais c'est OK, je ne suis pas si intéressé à lui. Mon choix s'est arrêté sur Stephen avant de s'arrêter sur lui. Bien que Mark doive avoir 21 ans et que Stephen doit en avoir 31, sinon 35.

 

 

          Voilà, il est déjà l'heure de téléphoner pour apprendre la bonne nouvelle. Car que je sois choisi ou non, c'est une bonne nouvelle. C'est logique que si j'ai été sacré dehors du Box, c'est que soudainement quelque chose s'en venait. Serait-ce cet emploi ? Ou l'autre entrevue que j'ai ce soir ? Cela m'irait mieux, ils veulent des gens bilingues et ça implique certainement davantage de déplacements que cette compagnie de parfums qui fait tout son argent en volant les recettes des parfums des autres. Enfin, ce que j'ai besoin c'est un emploi dans un bureau où je n'aurais absolument rien à faire. C'est ça que je veux. Oh mon Dieu, je dois appeler. Quel calvaire. Ring... ring... « Félicitation ! Vous avez l'emploi ! » Merci, mais je vais le refuser. Je viens juste de parler avec mon père. C'est de l'engagement pyramidal, à la limite de la légalité. Ils t'engagent pour que tu vendes du parfum de 5 à 7 semaines, ensuite tu deviendrais un directeur ou quelque chose du genre, mais en fait, ce que tu fais, c'est recruter 80 personnes, ou ce que tu peux, pour vendre du parfum de 5 à 7 semaines avant qu'ils puissent eux aussi devenir des recruteurs. Voilà pourquoi c'était si jeune et que j'ai eu l'emploi et qu'on n'a pas voulu me dire combien de gens qui étaient là ont eu l'emploi. C'est clair qu'ils ont tous eu l'emploi. Je suis heureux que mon père connaisse suffisamment tout pour avoir vu, avec le peu d'information que je lui ai donné, que c'était une passe qu'ils nous faisaient. Bien sûr, il y a une limite à ce qu'ils peuvent ouvrir comme bureau. En moins d'un an, c'est sursaturé. C'est de l'exploitation pure et simple, surtout pendant l'entraînement, où je vendrai du parfum (heurk). Je n'irai même pas lundi. Je téléphonerai pour leur dire que j'ai décroché un autre emploi. Je ne vois certainement mentir à tout et chacun, leur faire miroiter un paradis qui n'existe pas. Deux jours de perdus. Mais au moins j'ai découvert un coin impressionnant, Kingston est vraiment bien. J'y retournerai un jour, en amoureux. On devrait toujours se méfier de compagnies américaines qui font trop d'argent. Espérons que ce soir ce ne sera pas la même chose avec Herbal Life.

 

 

          J'ai passé une journée merveilleuse avec Jonas. Ce jeune homme me remplit d'énergie et c'est bien la première fois que je ne puis m'empêcher de toucher quelqu'un, lui prendre la main, l'embrasser dans le cou. Partout dans Londres. Même dans le parc rempli de hétéros. Il dit qu'il aime ça, je ne voudrais pas devenir fatigant. On va se voir ce dimanche à Miss-Shapes (qui est le nom d'une chanson de Pulp) puis mercredi on va au cinéma (on a eu des billets gratuits aujourd'hui, promotion avant-première, quelque chose sur Marylin Monroe). Mais il est dur d'accès. Il n'a pas voulu venir chez moi, mais je n'ai pas du tout insisté puisqu'il m'a fallu attendre jusqu'à seize heures pour avoir mon chèque du Box et courir à la banque avant que ça ferme. Résultat, ça va prendre six jours avant que je n'aie accès à cet argent. C'est vraiment un calvaire les banques londoniennes. Je lui ai menti deux fois. Il m'a demandé si j'avais couché avec Leigh, je lui ai dit non. Il m'a même demandé si j'étais en amour avec (of course not). J'ai l'impression que des gens lui ont parlé. Je m'en fous, je peux nier toute l'histoire jusqu'au bout. Mais ce sera difficile à Miss-Shapes ce dimanche. Leigh sera là toute la soirée, peut-être même Duane et surtout Andrew. Cette histoire deviendra très complexe bientôt. Jonas me dit que le sexe ne l'intéresse pas vraiment. Ensuite il tente de me faire croire qu'il n'est pas gai. Il dit qu'il aime flirter avec les gais et coucher avec juste parce qu'il est exhibitionniste et qu'il aime qu'on le regarde et l'apprécie. Bull shit. Il était bandé comme un cheval et il a éjaculé. C'est vrai, qu'il dit. Alors il se proclame bisexuel, les filles l'attireraient davantage. J'espère que c'est faux. La deuxième fois que je lui ai menti, c'est lorsque je lui ai lancé que mon quotient intellectuel était dans le 1 % supérieur à tout le monde alors qu'en fait je suis dans le 4 % supérieur. Ça l'a bien impressionné, ils sont tellement impressionnables à 18 ans. Il m'a menti aussi lorsqu'il m'a lancé qu'il a rencontré deux fois Jarvis Cocker de Pulp. Alors, je m'en fous. Je me demande si je vais téter longtemps autour d'un jeune qui s'amuse à me faire languir. Je m'en vais te l'envoyer chier dans le prochain tournant. Là j'ai Stephen qui va me rencontrer demain probablement et j'ai le cuisinier du Box (incapable de me souvenir de son nom). Merde, pourquoi ce flot de Jonas s'amuse-t-il avec moi s'il ne veut plus coucher avec moi ? C'est moi qui joue à ces jeux stupides d'habitude. J'ai au moins la décence de ne pas vouloir rencontrer les gens avec qui je ne veux pas coucher. Je dois avoir un problème d'affection, je voudrais être sans cesse collé à quelqu'un que j'aime. L'unité, comme dirait Rod l'hindouiste.

 

 

          Un hippie, je dirais même un yuppie ou quelque chose du genre. Le genre de jeune riche qui roulait en Jaguar et qui habitait une maison gigantesque. Maintenant il roule en Renault 5 et il habite un petit appartement. Il a déjà eu des tarentules et des singes, maintenant il a trois chats burmeses dont s'était échappé hier. On n'a pas fait l'amour, parce qu'il a tellement peur de sacrifier notre amitié qu'il aimerait mieux ne pas y mêler le sexe (il sait très bien qu'à l'âge qu'il a, on ne développera certainement pas une relation). Je l'ai embrassé lors de mon départ, je suppose que maintenant il pense que l'on va faire l'amour la prochaine fois que l'on se verra. Il était supposé ne pas m'appeler ce soir, maintenant il va m'appeler. Il se dit très spirituel, mais pas vraiment. Il veut devenir végétarien, mais c'est trop difficile. Son appartement est rempli de gris-gris de toutes sortes, même des portes bonheurs Amérindiens. Un gris-gris supposé faire partir tes mauvais rêves et garder les beaux rêves. Il a un Bouddha dans sa maison, mais il n'est pas bouddhiste. Il a une passion insensée pour le bambou et le liège. Tout se veut exotique. Il va me présenter Melissa, une femme mystérieuse et extraordinaire qui est membre d'un club très Underground appelé Black. C'est dans le red light district à Soho et il n'y a aucune pancarte. C'est sur trois étages de gens hyper accueillants. Surtout des écrivains et des poètes (des ratés je suppose). Il dit qu'il va me présenter cette femme. Je suis bien curieux de la rencontrer. Elle est riche, tout comme lui-même, qu'il me dit. Je ne crois pas qu'il soit riche. Une Renault 5 ? Essayez encore ! Il dit que ça coûte cher pour être membre de ce club noir. Je serais curieux de voir à quoi ça ressemble. La personnalité de Stephen est assez impressionnante. Il m'a pratiquement envoûté. La première minute que je l'ai vu, j'ai cru apercevoir un extra-terrestre avec des lunettes Oakley. Puis dans l'automobile, je me disais, non je ne coucherai pas avec. Puis une heure plus tard, sa personnalité m'a charmé. Soudainement je le trouvais très beau. J'avoue que ça m'inquiète. Je ne voudrais pas tomber en amour avec lui. Car non seulement deux générations nous séparent, mais en plus, il est une génération en retard sur son temps (les yuppies-hippies sont morts et enterrés). Tout cela me semble bien artificiel.

 

 

          Ce que je craignais avec Rick vient juste de commencer. Il commence ses petits jeux avec moi et je sais très bien qu'il n'y a pas de porte de sortie. La semaine passée je lui ai donné 60 pence de moins car je n'avais pas de change. Il est parti en peur. Cette semaine, je lui ai donné 10 livres de moins parce que je ne peux pas toucher mon chèque avant mercredi. Aujourd'hui il a déboulé dans ma chambre, m'engueulant que c'était son argent que je lui ai volé et que maintenant j'abusais de lui parce que je mange ses choses. Fuck ! Il garde tous ses coupons de caisse, croyez-vous que je suis sans savoir qu'il va me pointer cela sur le nez bientôt ? Je n'ai jamais eu la moindre intention de ne pas payer ma juste part des choses, et je sais très bien qu'il fait un compte assez hardi de tout ce que je consomme. Il est incapable de comprendre que je n'ai plus d'emploi, il dit que ce n'est pas ses affaires. Il a une hypothèque à payer et maintenant il dit qu'il a  décidé d'augmenter le prix de mon loyer. Fuck you man ! Je  déménage le plus tôt possible et tu pourras aisément t'amuser à trouver un locataire qui voudra bien demeurer aussi loin du centre-ville et des stations d'Underground. Bonne chance avec ton hypothèque. Dorénavant il veut que l'on mange nos propres choses, que l'on achète notre propre épicerie. J'ignore pourquoi il a décidé de me tomber sur la tête aujourd'hui, sans compter son ton. Même mon père ne m'a plus parlé ainsi depuis longtemps. Pour qui se prend-t-il ? Soudainement il pense que je n'ai plus d'argent et il  a décidé de  se débarrasser de moi ? Ou cela lui donne le droit de m'insulter et de me traiter comme de la merde ? J'ai terriblement peur qu'il ne veuille pas me donner mon argent de dépôt : 185 livres. Dieu sait que j'en ai besoin et je suis convaincu, mais totalement convaincu qu'il ne me le donnera pas. Tout simplement parce qu'il n'a pas d'argent et qu'il ne peut plus payer son hypothèque. Il s'est payé des avocats pour faire de la merde à son ex et voilà que c'est à mon tour. Il fait bien trop d'heures supplémentaires, ce qui signifie qu'il ne pourra pas me payer. Nous avons signé quelque chose, je devrais le photocopier. Mais le problème c'est que je n'ai ni le temps, ni la force, ni l'énergie pour tenter, en cour de justice, de ravoir mes 185 livres. Il ne me reste plus qu'à oublier tout cela. Pourquoi ai-je autant de problèmes ? Pourquoi soudainement je n'ai plus d'emploi et en plus je dois déménager ? Ça me tue. Je ne suis plus capable de respirer. Il y a des gens sur cette planète qui sont venus au monde juste pour faire chier la planète. Par où commencer ? L'emploi ou le logement ? Le suicide peut-être. Le temps n'a jamais autant été si bien choisi.

 

          Ô Seigneur ! Je suis perdu ! Comme prévu, voilà que j'ai déménagé chez Stephen, comme si la chose était tout à fait naturelle. Ça fait très bizarre. J'ai dormi jusqu'à 11h20, ses trois chats collés sur moi. Je me sens un peu coupable de ne pas chercher d'emploi aujourd'hui ni de chambre, mais il n'y a pas grand-chose que je puis faire. Je vais me renseigner à Osterley Park s'ils ont de l'emploi. Demain j'aurai de l'argent. Ne suis-je pas trop extrême ? Déménager ainsi à la moindre petite alerte. On dirait que la crise de Rick m'a plutôt servie de prétexte à changer ma vie complètement. Et ça a marché. Mais je ne pouvais plus l'endurer. J'ai fait énormément d'efforts, mais lorsqu'il commence à me faire sa morale, il y une limite : « un jour il faudra bien que tu t'arrêtes et que tu prennes tes responsabilités ». Fuck off ! Je n'ai nul besoin de cet enfer. Il en était à vouloir m'exploiter parce que j'étais dans une mauvaise posture. Il est vraiment écœurant. Il ne méritait plus une livre de moi, à lui maintenant de peut-être me redonner de l'argent après qu'il ait calculé tout ce que je lui dois (parions que ce sera exactement 185 livres, ou pire, ce sera davantage. Je n'emporterai pas d'argent ni de chèque avec moi lorsque j'irai le rencontrer. Surtout pas ma carte de crédit, il risque de la garder jusqu'à ce que je lui apporte son argent. La première descente de bagages, il m'a redemandé mes clés en tirant mon sac à l'intérieur. Il doit être la seule personne dans le monde qui n'a pas confiance en moi, et il a eu toutes les chances de mes connaître en deux mois et demi. Je suis tellement heureux de l'avoir fait disparaître de ma vie, car avec lui il n'y a pas d'espoir. Ça s'est bien terminé je suppose, mais j'ai encore à le rencontrer. Je ne discuterai pas très longtemps avec lui. S'il a la moindre impression d'avoir perdu, il me cherchera des problèmes éventuellement. Il voulait savoir le nom de famille de Stephen, il voulait savoir s'il travaille pour British Airways. Lorsque je lui ai donné son numéro de téléphone, il s'est mis à paniquer, disant que je lui cachais son vrai numéro de téléphone, que je ne lui donnais que le numéro d'un mobile, alors il lui serait impossible de me retracer. De quoi a-t-il peur ? Pourquoi voudrait-il me retracer ? Qu'est-ce qu'il s'imagine ? Il est vraiment dangereux. Stephen n'a pas de téléphone, il n'a qu'un mobile. Et d'ailleurs, pourquoi avoir un téléphone de British Telecom si on a déjà un mobile ? Un homme appelé Stephen, travaillant au terminal 4 à Heathrow, demeurant à Osterley, Isleworth. C'est déjà plus d'informations qu'il n'en a besoin pour me retracer. J'ai intérêt à le quitter en bons termes, même si je perds tout.

 

          Stephen est un homme extraordinaire. C'est assez impressionnant comment j'ai pu changer mes préjugés après une seule rencontre. Il est un éternel enfant et oui, il est un vrai naughty boy. À 18 ans il volait une compagnie d'assurances et roulait en Jaguar. Il la stationnait dans une gigantesque maison qu'il avait achetée dans les environs. Maintenant il a un petit appartement très bien et se promène en Renault 5. C'est difficile pour son Égo, mais il survit. Bientôt il m'emmènera voir ses amis, il me paiera des restaurants, il m'emmènera au Neil's Yard, son coin favori à Covent Garden. Il est presque déjà en amour avec moi, je suis heureux qu'il soit si content que je sois ici. De mon côté je l'apprécie beaucoup, donc ce n'est pas un problème. Son âge n'est pas un obstacle, contrairement aux autres que j'ai rencontrés dernièrement. Bien sûr, il est le seul avec qui je peux faire l'amour pour le moment, je ne peux tout de même pas m'absenter une nuit. Mais c'est OK, il n'y a plus personne dans le décor de toute manière. Sa personnalité est assez impressionnante. Il sourit sans cesse, il parle toujours, il remplit tous les vides, il te fait aisément croire que là où il est, tu ne manques rien de ce qui est ailleurs. Ça fait longtemps que je voulais rencontrer quelqu'un comme ça. Si je décide de ne plus coucher avec lui après coup, je vais certainement le garder comme ami proche. J'aime l'idée qu'il se prenne pour riche et à la mode, à la limite, il est probablement riche et il semble à la mode. Et le mieux de tout cela, c'est que je n'ai pas l'impression d'être celui qui profite de lui (même si c'est le cas), mais je me vois comme son égal. Malgré tout je me sens perdu. J'habite maintenant avec un étranger, je n'ai plus d'emploi ni d'argent. Je considère cependant que la situation dans laquelle je me trouve, je l'ai en quelque sorte choisie. Je la voulais, pour apprendre des choses. Et bien sûr, ça fonctionne.

 

 

          Hier j'ai vraiment atteint le fond du baril. Vraiment, si j'avais eu à ma portée un moyen quelconque de me suicider, je n'aurais même pas hésiter. Ce matin je respire mieux, mais je ne regretterais pas d'avoir mis fin à mes jours. J'ai toujours fait ce que j'ai voulu, je me demande si je n'en viendrai pas à ça. Il me semble que c'est ma seule porte de sortie, à moins qu'il n'y en ait absolument pas. Hier j'ai vécu l'enfer. Ça a commencé à midi et demi chez Caffé Uno en face de cinéma Odéon à Marble Arch. On y rencontrait Melissa, Nigel et une amie de ses amies. Alors on a payé une fortune, 169 livres sterling, pour deux misérables pointes de pizza et un bout de cannelloni. Ils n'ont jamais arrêté de commander du vin. Ensuite nous sommes allés acheter de la bière puis on s'est retrouvé au bureau de Melissa. On a bu, on a rencontré le copain de Melissa qui lui a avoué qu'il ne pouvait pas endurer qu'elle ait des amies gais (et probablement qu'il ne pouvait pas se payer une femme aussi dispendieuse), puis on s'est retrouvé au pub au coin de la rue. Quatre Pimm's plus tard, nous étions au Hilton's Hôtel sur Hyde Park Corner, au Trader's Vic. Après nos cocktails exotiques (déjà je ne voyais plus clair), nous nous sommes ramassés dans un club sud-américain, avec musique espagnole folklorique plate en face de la station Bayswater, et quelques margueritas plus tard, j'étais complètement endormi sur le divan. Jamais dans ma vie je n'ai eu un tel mal de tête. Alors que je voulais partir, tout le monde s'est ramassé dans un restaurant chinois. Alors non seulement il me fallait endurer que l'enfant de Melissa veuille toujours s'amuser avec moi, Stephen, lui, pendant ce temps, draguait Nigel. Fuck ! Tu as le plus beau jeune homme que tu n'auras peut-être jamais plus dans ton lit, et tu trouves le moyen de draguer un plus laid qui ne s'intéresse même pas à toi, mais qui s'intéresse plutôt à ton jeune copain ? Je peux bien croire qu'il était saoul lui aussi, mais quand même. Ah oui, j'ai oublié une destination, un autre restaurant chinois durant la journée où on a encore mangé. J'ignore la chronologie des événements. Après il y a eu les discussions de mariage au Hilton. Moi et Melissa. J'ignore pourquoi elle veut se marier avec moi, elle dit que ça l'aiderait à cause de son premier mariage. Je crois plutôt qu'elle est fêlée dans la tête et que son rêve a toujours été d'épouser un gai. Elle veut qu'on la trouve extravagante, je suppose. Excentrique. Son fils disait que je serais le père parfait, que je suis le meilleur mari que sa mère pourrait avoir et qu'il fallait le croire : il a beaucoup regardé autour. C'était gentil de sa part et effectivement, je serais le père parfait pour lui, même si c'est juste pour le protéger du monde d'enfer que sa mère lui fait subir. Il nous a suivi partout où nous sommes allés, tous les clubs et tous les pubs. À la fin de la soirée, je n'en pouvais plus. Au restaurant chinois, voilà que seuls Melissa mange, M un petit quelque chose. Je commande un verre d'eau du robinet. Voilà que la carte Barclay, Master Card, de Melissa n'est pas acceptée, ils ne prennent qu'American Express (ce qui est assez surprenant). La facture, avec tout ce qu'elle a commandé pour emporter, s'élève à 46 livres. Elle n'a plus d'argent, il me reste à peine 20 livres, toute ma fortune pour survivre le plus longtemps possible. Stephen commence à faire de la marde, il dit que c'est inacceptable qu'ils ne prennent pas Master Card et demande pratiquement de partir sans payer. Le directeur a envoyé une de ses employés dans un restaurant en face afin de prendre l'argent. Cela a pris tellement de temps qu'ils ont décidé de partir sans payer et d'annuler la carte le lendemain. Là je n'étais pas de très bonne humeur. Stephen exagérait, ils rêvaient en couleur s'ils s'imaginaient qu'ils pourraient ainsi partir, et bien sûr, ils avaient torts. Bon Dieu, je suis peut-être le plus pauvre de tous, mais au moins je ne suis pas con comme ça. À la sortie on a vu une armée de Chinois se lever contre nous pour s'assurer que nous ne sortirions pas sans payer. Jamais je n'ai autant été humilié de ma vie. Finalement la fille est revenue avec la carte : sans fonds ! Alors là j'étais définitivement enragé. J'ai sorti mes derniers vingt livres et j'ai dit à Stephen de payer la différence, que je le rembourserais s'il faut : payons et sortons d'ici ! Jamais plus je ne voudrai me retrouver dans une telle situation. Et là j'ai l'autre, Nigel, qui nous invite à sa soirée ce samedi. Il s'intéresse à moi et Stephen s'intéresse à lui. Et moi je ne m'intéresse plus à personne et je suis définitivement convaincu que Londres ne me rendra jamais heureux. Eh puis, je n'ai même plus une livre. Que faire ?

 

          Je reviens de la chambre, Stephen m'a dit bonjour, mais c'était froid et il n'a pas voulu me parler davantage. Je ne sais pas à quoi m'attendre. Pourrait-il soudainement m'annoncer quelque chose de vraiment terrible ? Genre, il faut que je parte. Il n'a pas l'air de bonne humeur. Je me sens soudainement bien mal à l'aise d'être ici. Mais je n'ai plus nulle part où aller. Je n'ai plus la capacité de me rendre ne serait-ce qu'au centre de Londres.

 

 

          Tout va bien en ce moment entre moi et Stephen, mais je ne pourrai pas tenir très longtemps. Je commence à en avoir ma claque d'être obligé de l'embrasser et le sexe n'est plus ce qu'il était au début. De plus, il est vraiment bizarre. Si j'ai connu des gens qui me cachaient des choses avant, celui-là c'est le jack pot. Parce que c'est la fin du mois, il doit trouver de l'argent. Son chèque ne viendra que dans quelque temps, bien que je croyais qu'il venait juste de l'avoir. Il dit qu'il y a plusieurs possibilités de faire de l'argent, il va d'abord visiter des amis puis si ça ne fonctionne pas, alors... il ne veut pas m'en parler. Je ne serais pas surpris qu'il s'agisse de quelque chose de bien malhonnête. Il m'a avoué avoir volé une banque par un procédé assez intelligent. Sur le tiroir de dépôt à l'extérieur de la banque, ils ont placé un papier pratiquement officiel de la banque affirmant que les dépôts ce soir devaient s'effectuer dans la boîte aux lettres. Alors tous les petits magasins du coin, après leur journée de travail, ont déposé leur argent dans le mauvais tiroir. Pour atteindre cet argent ensuite, ils ont tout simplement rempli la boîte aux lettres de balles de ping-pong. Bien sûr, ce genre d'exercice n'est possible que si la banque est perdue, non surveillée, etc. Aujourd'hui ce ne serait peut-être plus possible de faire ça, trop de caméras. Mais ça ne fait pas très longtemps qu'ils ont fait leur coup, peut-être moins de deux ans, car il dit avoir acheté son automobile avec cet argent et je crois qu'elle n'a pas deux ans. Bientôt j'aurai un ami en prison. Le gars avec qui il faisait ses coups, lui, est allé en prison pour deux ans. Pas mal, deux ans de prison pour avoir profité de tout cet argent volé pendant des années. En plus, ils ne t'enlèvent même pas ton argent. Fraude d'au moins 300,000 livres sterling. Ça c'est quelque chose. Interception de lettres de compagnie en prenant leur courrier directement dans leur boîte aux lettres. Là-dedans tu as des numéros de compte de banque, des signatures, toutes les informations nécessaires pour te prendre 5,000 livres sterling en chèques de voyage, argent pris directement dans ton compte, ou le compte de la personne dont tu imiteras la signature. Si c'est au nom d'une compagnie, genre WHSmith, c'est encore mieux. Tu te fais passer pour le manager, tu appelles la banque pour voir si tes chèques de voyage sont prêts, tu paies un gars pour aller à la banque à ta place sous prétexte que tu es trop occupé. Voilà, tu as full argent. Tu veux le doubler ? Oh non ! J'ai encore perdu mes chèques de voyage. Appelle American Express, on va doubler notre argent. C'est ça le genre de business de Stephen. Assez impressionnant. Hier il me racontait comment il avait déjà tué une jeune fille au Maroc. Frappée sans faire exprès avec un camion. Il ne s'est jamais arrêté pour vérifier qu'elle était vraiment morte, parce que les prisons au Maroc, si tu en ressorts, tu es un légume accompli. Au moins il en a toujours eu des problèmes de conscience. Il dit qu'il n'était ni sous l'influence de l'alcool, ni sous celle de la drogue.

 

 

          Le petit con d'Australien m'en a fait manger toute une. On a fait l'amour en quatrième vitesse parce qu'il est arrivé très en retard, puis nous sommes ressortis avant que Stephen ne revienne. Un coup dehors, voilà qu'il me reproche d'être encore vierge (et encore, je dirais une vierge).

 

-Quoi ? Mais on vient juste de coucher ensemble !

-Mais ça ce n'est pas avoir du sexe. Ces petites choses ne sont rien. Je faisais cela lorsque j'avais 16 ans.

 

Alors le con est non seulement pas vierge, mais en plus, il voulait se faire fourrer lui aussi, tout comme Jonas, le flot de 18 ans. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir se faire pénétrer alors qu'il n'ont que 18 ans ? Et moi qui croyais que de prononcer le mot pénétration le ferait paniquer parce qu'il est encore trop pur. Trop pur mon cul, il a certainement plus d'expérience sexuelle que moi. Alors, pourquoi il ne s'est jamais fait fourrer par d'autres ? Jamais les bonnes personnes, qu'il dit. Ainsi moi je suis la bonne personne. Désolé, je vais essayer samedi prochain de t'arracher les tripes, espérant que cela fonctionnera. Je peux le faire, oui, même si ce n'est pas ce qui m'excite moi. En plus, avec des statistiques aussi élevées sur le sida, j'hésite à le faire avec tout et chacun. Je dois être dans une situation de confiance et me sentir confortable, sans compter qu'il me faut vraiment être excité. Le jeune m'a fait me sentir tellement nul, naïf et innocent, c'est incroyable. Tellement avoir eu l'air d'un fou parce que je n'ai pas su comprendre que d'avoir du sexe signifiait pénétration. J'ai tellement honte ! Et le voilà qui me reproche ensuite d'être encore vierge. Eh bien, t'avais qu'à parler, t'avais qu'à le dire que tu n'attendais que cela, que je te fourre. Tes condoms, pourquoi ne les as-tu pas sortis ? J'aurais compris. En plus j'étais assez excité pour le faire, même suffisamment excité pour qu'il me le fasse. Enfin bref, nous sommes allés finir l'échec dans la salle de thé d'Osterley House dans Osterley Park. Deux scones avec crème et confiture de fraise. Une très belle journée d'été. Maintenant j'hésite à coucher avec le monde. Ils veulent tous quelque chose que je ne puis leur offrir. Et ils me reprochent ensuite que le sexe est plat avec moi, que je ne sais pas ce que je veux, pour reprendre les paroles de Neil qui m'a d'ailleurs justement téléphoné avant-hier. Il peut aller chier celui-là. D'autant plus qu'il est peut-être celui qui m'a refilé des crabes. Eh bien je me fous de tout ce petit monde. Je n'en ai plus que pour Michael et celui-là je vais le fourrer et je vais le laisser me fourrer, quitte à réessayer chaque soir jusqu'à ce que je me sente en confiance totale. Mon jeune Australien prend de la drogue, de la marihuana fort souvent, Ecstasy de temps à autres. Michael lui est sur les speeds. Et moi, les cigarettes, le sexe spirituel, la sublimation du cul en sentiments nobles. La vie est complexe. Ne pas faire la même erreur avec Michael. Ce n'est pas sans raison que cette question est surgit très tôt en début de connaissance. Il lui importait de savoir si c'est moi qui allais le fourrer ou si c'est lui qui me fourrerait. Semble-t-il, dans une relation, ce n'est jamais aller-retour, c'est toujours sens unique. J'espère que je n'aurai pas à choisir, moi je souhaite les deux. Lui, je l'ignore. Il m'a dit qu'avec son copain d'avant, il était actif. Mais avec Nigel, il était passif. Normal, ces vieux croûtons de trente ans veulent toujours être en contrôle de la situation. Moi, c'est décidé, seuls les personnes du même âge que moi ou plus jeune vont me pénétrer. Parce que je déteste cette attitude chez les vieux qui fait que nous devrions toujours être passifs parce que nous sommes jeunes. Alors, croyez-vous que Michael veut continuer sa passivité ou il veut devenir actif ? Mystère.

 

          Ce soir c'est samedi soir, je reste seul à la maison, Stephen est allé voir ses amis. Je suis bien heureux. Mais je suis si peu habitué à me retrouver seul ici que finalement je me sens tout drôle. Je crois d'ailleurs qu'il arrive. Mais ce serait bien surprenant, il ne travaille pas demain. Il devrait normalement rentrer tard. Mais plus rien n'est normal chez quelqu'un de trente ans. Ils sont fatigués des clubs, alors tout ce qu'ils font c'est s'enfermer dans les pubs et boire jusqu'à ce qu'ils tombent ou fassent des conneries. Michael, lui, ça fait trois mois qu'à chaque soir il va s'enfermer avec Nigel à l'intérieur du bar code. J'y suis allé, c'est bien terrible comme endroit. Je ne pouvais même pas y demeurer plus d'une minute. C'est vieux, laids, musique dance effrayante, et puis on y étouffe. Michael avait besoin de moi et j'espère bien ne pas le décevoir. Voilà, je vais aller me coucher en pensant à lui. Puisque ordinairement, le samedi, il doit demeurer avec Nigel toute la journée. Une obligation. C'est assez terrible. Il dit qu'il ressent des choses pour moi. « Les sentiments que j'ai pour toi, juste à te regarder, sont différents de tout ce que j'ai expérimenté avant. » « OK. L'heure de la vérité. Je n'ai jamais senti ce que je ressens pour toi - même si je viens juste de te rencontrer. De toute manière j'ignore ce que tout cela signifie. Je sais que je ne peux m'arrêter de te regarder. Je déteste le mot amour. » « Je ressens un sentiment très fort pour toi. Je ne mens pas, tout ce que je te dis est vrai. » Serait-il possible que tout cela soit vrai ? Il faut le voir me regarder, c'est certes bien évident qu'il se passe quelque chose dans sa petite tête. Je suis tellement chanceux de pouvoir ainsi intéresser quelqu'un en si peu de temps. Le pire c'est que jamais je n'aurais cru qu'il puisse être gai. En plus il avait l'air du jeune de la place, le point central de tout, attirant toute l'attention. Alors je m'en méfiais, ignorant si je devais le craindre pour sa désinvolture ou alors m'en faire un ami. Secrètement je me demandais s'il était gai, espérant comme jamais. Il est si beau et si jeune. Souvent, lorsque je me retournais, il m'observait mais très vite il regardait ailleurs. Me regardait-il vraiment ? Serait-il gai ? Et puis je l'ai vu à la Gay Pride. À travers des dizaines de milliers de gens, je l'ai vu, et tous mes préjugés sont tombés. Soudainement il était devenu un cœur sensible, bourré de problèmes avec son copain, amoureux de moi. Ce premier lundi où nous savions, ça lui a pris tout le courage imaginable pour me demander on a date : tu vas luncher à quelle heure ? Puis il était si embarrassé et timide, qu'il n'arrêtait pas de rire, sourire, faire des faces bizarres, parler de travers, paniqué complètement. C'était on ne peut plus charment. Et il fait voir ce beau petit derrière bien rond et ce cou de petits poils blonds. J'aime ses mains, c'est important ça les mains (et les orteils). Il n'est malheureusement pas circoncis, mais enfin bon.

 

 

          Tiens, c'est la fête des Français aujourd'hui. Les pauvres, en plein dimanche, ils ne pourront profiter d'une journée de congé payée. Mais connaissant les Français, ils ont dû se débrouiller pour avoir le lendemain de congé. Stephen devient de plus en plus astucieux pour être certain que je ne vais pas sortir de la maison. Sous prétexte qu'il n'a plus une livre, il ne m'a rien laissé. De peur que je téléphone quelqu'un comme hier, qui pourrait finalement venir ici, il a emmené son téléphone portatif. En plus, pour ne rien laisser au hasard, il me dit qu'il reviendra ici cet après-midi. Ce qui est totalement faux. Son horaire de la journée est trop chargé, toutes les personnes qu'il doit rencontrer sont au centre de Londres. Il reviendra tard ce soir. En fait, il a full argent. Mais il a enfin compris que s'il me le disait, alors il devrait sans cesse me donner 10 à 20 livres par jour. C'est ce que je dépense chaque fois que je sors de la maison. Il n'a même pas voulu me donner £ 2.40 pour que je me rende au travail pour imprimer des choses avec Rachelle. Je suis son prisonnier. Exactement comme Michael l'est avec Nigel. Ils se sont pris les doigts dans le piège. Le danger lorsque l'on est vieux et que l'autre est jeune, c'est que le vieux n'a plus les mêmes intérêts que le jeune et définitivement le jeune voudra vivre autre chose. Le brimer, c'est terminer la relation. Qu'allons-nous faire moi et Michael ? Tout faire pour se sortir d'un univers où on veut nous empêcher de respirer, puis les oublier totalement. Alors qu'ils auraient pu prévoir que ça en viendrait là. Tout ce qu'ils auront fait de bien ne comptera pas dans la balance du mal qu'ils ont fait. Le moins je peux avoir Michael, le plus je le veux. C'est une situation parfaite pour tomber en amour. J'ai l'intention d'investir beaucoup dans cette relation, si l'on m'en donne la chance. En commençant par la fidélité absolue. Ce ne sera pas difficile, il est ce qu'il y a de plus beau à Londres. Fuck, je le sais, ça fait trois mois que je traîne dans les clubs et les bars, même que j'ai travaillé plein temps dans le monde gai. S'il veut de moi, j'abandonne tout pour lui. Ça n'a pas fonctionné avec Ed, non plus avec n'importe qui d'autre. J'écoute Portishead, ça me ramène à New York et à Toronto. Ahh, j'étais tellement heureux dans ma déprime, sans argent, à boire et à fumer tout le temps. Je n'ai plus cela maintenant. Londres n'a plus de secret pour moi, semble-t-il. Je m'y sens trop à l'aise. Même si je suis dans la même situation. Sans argent, même si je travaille comme un malade. Ma liberté en moins. Battersea Park, avec Michael, Victoria, dans les conférences. Vivrais-je une nouvelle ère ? Une nouvelle relation à long terme ? Il prend seulement des speeds. Il écoute de la musique pas mal triste. Dance et etc. Mais bon, je crois que l'on peut passer par-dessus cela. L'amour connaît-il la musique ? L'amour bat certainement au rythme de la musique.

 

          J'ignore si j'ai bien fait ou non, mais ce soir j'ai avoué à Stephen que j'étais tombé en amour avec quelqu'un au travail et voilà que je suis délivré de faire l'amour avec lui et qu'il ne me demande plus l'argent que je lui dois immédiatement. Ainsi il me laisse le champ libre pour déménager. C'est-à-dire que demain je pars en croisade pour trouver quelque chose près de mon travail. Je n'ai que 130 livres, plus peut-être 40 que Sébastien me donnera demain. Il me faut vraiment être désespéré pour demander à Sébastien de l'argent, moi qui ne lui ai rien demandé même dans mes pires moments à Londres. Je n'ai pas suffisamment pour déménager, mais je devrais pouvoir m'arranger avec la nouvelle place où j'habiterai. Je me demande si ce serait possible de trouver comme à Toronto des chambres à louer à la semaine. Ça m'arrangerait tellement, je crois que je suis demeuré traumatisé à l'idée d'emménager quelque part qui n'est pas chez moi avec quelqu'un qui garde tout mon argent et établit toutes les règles. D'autant plus que je n'ose rien faire, même pas sortir de ma chambre ou cuisiner. Sébastien justement m'annonçait ce soir qu'il s'ennuyait énormément. Pour la première fois il parlait de revenir avec moi. Il disait que j'étais le bienvenu chez lui et que l'on pourrait essayer de recommencer. Il dit qu'il a changé et que probablement que moi aussi. Je serais normalement plus mature. Encore lors de notre dernière conversation, il parlait de m'aider, d'habiter chez lui, mais clairement dit qu'on ne reviendrait pas ensemble automatiquement. Ce n'était que pour m'aider. Stephen ne me regarde plus, ne m'adresse plus la parole. Je ne suis plus le bienvenu chez lui. Son aide n'était donc que conditionnelle. Mais c'est vrai qu'il souffre énormément et il n'y a rien que je puis faire. C'est très difficile. J'ignore pourquoi je lui ai parlé. Mais maintenant le problème se résoudra plus facilement. Sébastien parlait de revenir avec moi, disant qu'il ne faisait même plus de cuisine. Que cela n'était intéressant qu'avec les gens que l'on aime. Quel romantique moment. C'est ce moment que j'ai choisi pour lui demander de l'argent. Dieu qu'il est réticent. Je lui demande 200, il me dit qu'il déposera 100 dollars. Sur cela je serai capable de toucher 40 livres, c'est toujours ça. Je ne crois pas qu'il ait changé tant que cela. Je ne crois pas qu'il ait changé du tout. Je crois qu'il s'emmerde parce qu'il est incapable de rencontrer quelqu'un qu'il apprécie le moindrement tout en le gardant à ses côtés plus de deux semaines. Moi je vais tenter ma chance avec Michael et si rien ne fonctionne (il n'a que dix-huit ans, il y a peu de chances que ça fonctionne), alors je retournerai peut-être avec Sébastien. Je ne sais plus quoi faire de ma peau, je ne sais plus où aller. Je n'ai plus d'attaches, plus de points de repères. Je suis perdu complètement. Je devrais arrêter de penser, ça irait mieux. Demain je dois me mettre en quête de trouver une chambre. Comment faire cela ? Où trouver l'argent ? Et je suis vraiment traumatisé maintenant. J'ai peur de d'emménager avec d'autres. Y a-t-il des endroits où je pourrais habiter seul pour pas cher ? Et encore là, il y aura un paquet de règlements à respecter. Genre, retour avant 11 heures, pas de personne qui passe la nuit là, et puis quoi encore ? Là je dois aller me coucher. J'espère que Stephen aura compris que je ne coucherais plus avec lui. Tant que je voulais faire l'amour, d'accord. Dès que je me sens obligé, ça devient de la prostitution. Alors ça, non. Sébastien m'a d'ailleurs posé la question, à savoir si je m'étais prostitué. Enfin, c'est à la limite de ressembler à cela.

 

 

          Me voilà, seul, perdu, au milieu de Londres, dans une chambre d'hôtel misérable à 84 livres la semaine, c'est à dire 25 dollars la nuit. Enfin j'ai ce petit pincement au cœur lorsque je me réveille soudain à 22h30, fatigué de ma semaine de travail et que c'est vendredi soir et que l'on peut sentir le pouls de Londres. Je sors ce soir au Popstarz, me voilà à nouveau libre. Michael est venu dans cette chambre aujourd'hui, 4G, de l'hôtel Albion, alias Bertassso, alias Southway hôtel sur Gillingham Street dans le SW1. Je me suis retrouvé en caleçon, il m'a même frotté la mauvaise place, on s'est embrassé comme des malades, je lui ai touché la bite, mais on n'a pas fait l'amour. Il m'a annoncé ensuite qu'il a compris aujourd'hui qu'il ne pourrait pas faire l'amour avec moi tant qu'il habiterait avec Nigel. Alors c'est un peu un cas désespéré. Ce soir il est allé à son éternel Bar Code à Soho. Son vendredi soir achève, alors que le mien n'est même pas encore commencé. Il me faut d'ailleurs penser à partir si je veux arriver quelque part. Mon jeune Australien a rencontré quelqu'un à Miss-Shapes ce dimanche. Alors ce soir il m'a flushé pour cet autre. Il m'affirme être encore vierge, tant pis pour lui. Jonas ne semblait pas très enjoué de me parler au téléphone ce soir. Normal, ça l'a fait chier la semaine dernière que je l'ai remplacé avec Philippe. Le problème c'est que ce soir il me faudra payer pour cela, c'est moi qui serai seul comme un rat et qui sera après lui, tentant presque de me faire pardonner. Oh oui, je me sens seul et perdu ce soir. Et j'ai bien l'impression que c'est la ma seule motivation à vivre. Triste que je n'aie pas l'argent pour me saouler complètement ce soir.

 

 

          Quelle soirée sans intérêt j'ai passée à Popstarz. Bien sûr que j'ai rencontré tous mes pseudo-amis. Mais je dois avoir une certaine façon de les considérer comme mes amis, parce que tous, plus ou moins m'ont fuient, sauf Duane, celui qui est responsable de Popstarz et qui s'attend à ce que je lui téléphone aujourd'hui ou demain. Leigh me parle, est bien gentil, mais refuse de demeurer à côté de moi. De même pour Jonas que maintenant je méprise. Mais il est vrai que je l'ai insulté dès la première minute. Il  m'a demandé s'il était plus grand maintenant qu'il avait 19 ans. Je lui ai dit que non, mais qu'il était maintenant plus stupide. Puis j'ai rencontré Rod, fallait bien s'y attendre. Il était bien gentil lui aussi, il tentait je suppose d'attirer mon attention, bien difficile de voir ce qui se passe dans sa tête. Néanmoins, je suis allé m'installer à côté de lui mais nous n'avons parlé que cinq minutes. Je n'ai pas osé l'inviter à coucher avec moi ou attendre la fin de la soirée et partir avec. Je sais qu'il n'aurait certes pas refusé, mais ça devient trop compliqué avec Michael au travail. Trop risqué que l'histoire n'explose et que je ruine mes chances avec Michael. Car si je réussis à développer quelque chose avec Michael, ce sera une relation à long terme ou du moins à moyen terme. Mais ça, c'est seulement si je désire le suivre en septembre ou en octobre là où il ira continuer ses études. Ce qui est bien difficile pour moi, car je n'aurai pas d'argent et les possibilités d'emplois ne pleuvent pas de ce temps-ci en Angleterre. Puis la soirée passa. Je m'emmerdais royalement. Alors que j'étais prêt à partir, voilà que je vois une petite tête ronde rousse. Mon Australien était là. Philip dansait seul, son ami étant déjà parti. Lorsqu'il s'est enfin assis, j'ai sauté à ses côtés en chantant Alanis Morrissette. Ses yeux se sont illuminés, il était content de me voir. Ouf, je me disais. Enfin, peut-être ma soirée ne sera pas une totale ruine à me faire rejeter par tous mes amis. Mais la musique à cette heure devient moins bonne (car ce n'est plus Leigh qui est en contrôle) et très vite on a commencé à s'emmerder à deux. À plusieurs reprises il m'a embrassé et on s'est frenché. Ce qui est très positif. Ce qui m'inquiète c'est qu'il veut que je le pénètre, et cette idée ne me ravit pas. Enfin, je suis retourné seul chez moi, ce qui est certes une bonne chose. Je crois que mon amour pour Michael, si on peut l'appeler de l'amour, ne me motive plus à aller vers personne. Ce qui est certes positif. Si seulement je pouvais le voir au moins. Mais il n'a aucune chance de se défiler de son copain. Hier, lorsque l'on a presque fait l'amour, on pouvait lire sur son visage ses regrets et son sentiment de culpabilité. Pendant deux heures il est demeuré à l'extérieur de l'édifice, marchant un peu autour. Il dit que c'est parce qu'il a énormément de problèmes et qu'il  doit réfléchir. Semble-t-il, il est en dépression. C'est peut-être parce que l'université s'en vient et qu'il sait qu'il n'aura pas l'argent et qu'il devra déménager. S'inquiète-t-il qu'il n'aura pas son degré pour justement entrer à l'université ? Il y a aussi la possibilité qu'il cherche à se sortir de cette relation pourrie avec Nigel, mais ne voit aucune solution à l'horizon. Il part pour la Finlande la semaine prochaine pour toute la semaine et c'est une libération totale tellement désirée que je ne comprends pas que Nigel ne puisse voir cela chez son copain. Je me demande combien je pèse dans la balance. Si en fait il se tracasse également parce qu'il voudrait me voir mais ne le peut pas ? Lorsqu'il me dit qu'il désire marcher avec moi de Victoria jusqu'à Charing Cross juste pour être une heure de plus avec moi, c'est assez imposant. En fait, la vie s'organise très bien. Elle a fait en sorte que personne d'autre que Michael, vraiment, ne me soit accessible. C'était ça qui était drôle hier. Mais attendre après Michael, c'est vouloir ma mort. Je n'ai aucun moyen de le voir en dehors du travail.

 

 

          Nous sommes lundi soir. Demain j'aurai enfin accès à mon stupide argent que la Royal Bank of Scotland, je ne le dirai jamais assez, retient depuis jeudi après-midi. Je suis en train de mourir de faim pour des stupides lois bureaucratiques. Tellement que je songe à toutes sortes de choses et d'idées pour réussir à m'approprier n'importe quoi à me mettre sous la dent. Il est 21h30, je crois que je vais aller marcher dans la station Victoria. Sait-on jamais, peut-être que si l'on désire quelque chose violemment, on réussit par se le procurer ? Je pourrais par exemple rencontrer quelqu'un que je connais, mais encore là, je n'oserais pas lui demander de me payer un Burger King. Je pourrais trouver de l'argent par hasard, ce qui serait possible, mais bien surprenant. Tout le monde sait que l'on trouve de l'argent seulement lorsque l'on n'en cherche pas. Je pourrais regarder dans les téléphones publics, ça ne fonctionne tellement pas à Londres que l'on trouve toujours de l'argent là-dedans. Mais la honte me rongerait. Quant aux poubelles de McDonald's, on n'y pense même pas. C'est tellement absurde cette situation. Parce que j'ai un emploi pour l'amour du bon Dieu. Qui paie plus que tout ce que j'ai eu jusqu'à maintenant dans ma vie. Mais il est vrai que je n'ai jamais autant payé pour une chambre et que je dois de l'argent à tout le monde. De plus, cette stupide qui prend des jours et des jours pour encaisser mon chèque. Fallait me voir mendier des pintes de bières au Miss-Shapes. Je n'ai plus d'orgueil. C'est même étrange de constater comment les gens hésitent à te payer un verre. Et ne t'en paieront certes pas un deuxième. On ne vit pas dans une société très sociable. L'altruisme n'existe pas vraiment. Je me suis rendu compte jusqu'à quel point mes amis à  Londres sont si éloignés de moi et ne seront jamais prêts à m'aider vraiment. Mais je parler et j'oublie que Stephen a tout fait pour me maintenir en vie ce dernier mois. Puis Michael au travail m'a payé plusieurs Filet-o-Fish chez McDonald's. Peut-être j'exige trop de la société ? Enfin, demain tout devrait rentrer dans l'ordre.

 

          Ah oui, Seigneur, j'oubliais. Jonas, hier, le jeune con de 18 ans inatteignable, m'annonce en grandes pompes qu'il est tombé en amour avec Duane, le responsable de Popstarz et Miss-Shapes. Ah bien c'est le comble. Jeune aveugle innocent, qui se réveillera je l'espère d'ici deux semaines, va dormir chez Leigh tous les jours depuis mardi. Il est en amour par-dessus la tête. Quelle insulte ! Moi qui n'ai réussit qu'à coucher avec lui une seule fois. Venez pas me faire croire que c'est la beauté et la personnalité de Leigh qui est en cause, il m'écœure et il n'a aucune éducation. Il est même incapable de s'exprimer, je ne comprends même pas son dialecte. Moi je m'en fous, mais c'est tout de même surprenant que Jonas s'intéresse à ça. Parce que lui ne jure que par la haute société, Oxford University, la grande classe. Et c'est exactement ce qu'il croit aller chercher chez Leigh et c'est exactement ce qu'il comprendra que Leigh n'est pas. Il n'est rien, il est un nobody. Il ne pourra pas emmener Jonas nulle part et en plus il n'est même pas riche. Alors j'ignore qu'est-ce que Leigh lui a inventé, moi j'ai été suffisamment lucide pour comprendre la situation et Leigh n'a pas réussi à m'en trop inventer. Mais Jonas est tellement con. Ne sait-il pas, le pauvre innocent, que me sentant coupable que Leigh me mette sur la liste des invités sans cesse, je m'organisais pour lui faire croire que j'allais coucher avec lui alors que je n'en avais aucune intention ? Ignore-t-il que Leigh répondait à mes invitations assez ouvertement et qu'il allait coucher avec moi si j'en aurais eu envie ? Ça a trente ans, c'est laid, ça réussit à se trouver des jeunes de 18 ans et en plus ils sont infidèles et prennent de la cocaïne aller-retour. Pauvre Jonas, lui qui est si pur qu'il ne boit même pas de bière, encore moins la cigarette. Je lui ai dit que j'étais tellement déçu et que c'est certain que ça ne fonctionnerait pas. Je lui ai dit que je serais là lorsque ce sera terminé. Lui avouant que je l'aimais et que je souffrais (même si ce n'est pas vrai, en fait il me fait tellement chier que je le déteste pour mourir). Je me demande comment ils ont fini par tomber en amour, où ils se sont rencontrés, comment la séduction s'est faite, et puis quoi encore. Me faire ainsi voler mon amant, par un vieux croûton laid en plus, c'est  la pire des insultes. Garde-le ton Jonas souillé ! Moi je n'ai pas envie de mettre ma bite là-dedans après Leigh. D'autant plus que le jeune doit vouloir se faire fourrer. Il est comblé le Leigh. J'espère qu'il me mettra sur la liste des invités au moins. Et je ne me sentirai pas coupable de l'appeler juste pour cela. En fait, je crois que je viens d'en finir avec Popstarz. Mais  non, innocent, attends vendredi et tu verras si tu peux te passer de musique. D'autant plus que je n'ai plus de walkman, ma vie se  passe  désespérément  sans musique, pour la première fois de ma vie depuis mes quatre ans. Une vraie cure de désintoxication de tout. Car je n'ai même pas de sexe non plus. Désespérément seul. Il est vrai que j'ai couché avec Stephen lorsqu'il est venu samedi soir. Il m'a payé deux pintes de bière, un Burger King et m'a donné cinq livres. C'est presque trente dollars. Ça valait la peine de le voir, je serai mort de faim aujourd'hui sans lui. Je ne serais pas sorti au Miss-Shapes, je n'aurais pas eu suffisamment à  boire pour m'amuser et danser et j'ignorerais la terrible nouvelle qui plane sur le ville : Jonas est amoureux de Leigh. Mais si j'ai couché avec Stephen, c'est parce que j'en avais envie, par pour son argent. Il est vrai qu'il fait vraiment pitié, parce qu'il souffre tellement de notre rupture, alors que moi je ne considère même pas qu'il y a eu une union. Mais il faut avouer une chose. Il est prêt à me donner le monde si je couche avec lui. Mais il me fait tune fasse de cochon s'il doit me donner de l'argent et que je ne couche plus avec lui. Son aide est donc conditionnelle. En plus, je vais  le rembourser et il ne refusera pas cet argent. Car chaque fois que je l'ai remboursé dans le passé, il a vite  pris l'argent. Alors c'est vraiment désolant. Et  puis lorsque je lui aurai remis 100 livres, on pourra définitivement dire que ce n'était pas de la prostitution ou que je profitais de lui. Voilà, je vais  aller  me coucher. Demain je travaille. Il est à peine 22h00, je m'emmerde pour vrai. Il est urgent que je rencontre quelqu'un. Ah oui, malgré tout ce qui se passe dans ma vie, j'ai vu entrer à Miss-Shapes le plus beau des jeunes hommes qui ait passé cette porte depuis que j'y mets les pieds. Ça devenait impossible de l'approcher parce qu'il me fallait me méfier de Leigh, de Jonas (avant que je n'apprenne la terrible nouvelle), de Philip l'Australien et de l'Espagnol qui m'a payé un verre et qui est le meilleur ami de Leigh que je lui ai avoué aimer encore et vouloir revoir. Je me demandais s'il était possible pour moi d'atteindre  le plus bel homme de la place. Eh bien, moins d'une heure après il dansait, je dansais, je l'ai regardé, fait un sourire, il m'a fait un sourire, puis un peu plus tard, je l'ai arrêté pour lui demander son nom. Moins d'une demi-heure après je l'embrassais. Mais malheureusement il m'a donné rendez-vous dimanche prochain à Miss-Shapes. Moi qui voulais justement m'épargner Miss-Shapes la semaine prochaine. Alors je vais m'emmerder toute cette semaine. Ensuite, malgré sa beauté et sa grandeur, il sort au Fridge, comme Michael. Bon Dieu, j'aime mieux quelqu'un de plus laid mais qui aime la même musique que moi et qui sort aux mêmes endroits. These is no way I will put my feet back at the fridge, the London Apprentice, Heaven or G.A.Y. Ainsi, mon jeune ami (de 24 ans peut-être), risque fort de ne pas me revoir ce dimanche prochain. Je crois que demain je vais rappeler Rod. Je me fous un peu de Michael, il me semble tellement soumis à son Nigel que j'en ai ma claque. Je ne vais pas attendre le mois d'octobre pour pouvoir le prendre dans mes bras. Il y a une limite. J'éprouve peut-être quelque chose pour lui, mais je ne suis pas prêt à devenir un martyr. Ah Dieu que je m'ennuie de Val-JAlan ! C'est l'été. Je voudrais tellement planter ma tente là-bas et aller me baigner dans le Lac-St-Jean chaque jour ! Je me demande si je ne devrais pas repartir  pour le Toronto en passant par Val-JAlan d'abord. Et que penser de l'idée de me prendre mon propre appartement à Chicoutimi et de continuer mes études en septembre ? M'ennuirais-je énormément de Londres ? Je l'ignore, pour l'instant je suis sursaturé.

 

 

          Moi qui m'ennuie du Lac-St-Jean, le voilà inondé. Alors je n'ai plus à m'en faire, je ne manque rien. D'autant plus que je viens de parler avec Sébastien, j'ai juste eu le temps d'entendre qu'à l'arrière il y avait du monde ou au moins une personne, puis voilà qu'à ma deuxième, puis troisième tentative d'établir la communication, il m'a placé sur son répondeur. C'est une véritable insulte. Ça m'a presque enragé. D'accord s'il prépare des poulets cassoulets avec des Charlottes pour un nouveau venu qu'il a rencontré ce samedi et qu'il ne reverra plus dans deux semaines, mais ça ne lui permet pas de me manquer de respect ainsi. Si c'est le 100 $ qu'il m'a donné qui le fatigue à un tel point qu'il aime mieux ne plus me parler, fine, il ne mérite peut-être pas que je le rappelle. Oh God, il trouve encore le moyen de me faire chier et nous ne sommes même plus ensemble. Et vous croyez que je pourrais retourner avec lui ? Hypocrite, infidèle, en manque de sexe et d'amis comme c'est pas possible alors que je suis là juste à côté de lui. Plus jamais personne ne me fera sentir ainsi. Plus jamais il ne me refera sentir comme un moins que rien, un poids sur son dos. Ça va m'en prendre du temps avant de le rappeler celui-là. Mais qu'est-ce que tout le monde a ces temps-ci ? Tout le monde me rejette systématiquement sauf Stephen. J'essaie de voir où cela me conduit, à quoi cela me prépare. Je croyais que c'était pour Michael. Mais Michael s'envole pour Helsinki en Finlande et refuse même de me donner un petit baiser. Qu'il crève le con. En plus je lui ai donné mes lunettes de soleil Ray Ban. Mon avant-dernière possession s'est envolée. Maintenant il ne me reste plus que mon ordinateur. J'ai d'ailleurs l'étrange sensation que je vais le perdre également. C'est la dernière chose qu'il me reste. J'ai beau regarder tous mes bagages, j'ai tout perdu. Il ne me reste que des papiers de formalités, deux livres usagés sans intérêt. Tous mes T-shirt sons ruinés par la folle du lavage qui a mis de l'eau de Javel et voilà que je me retrouve presque nu dans un hôtel misérable de Londres, avec comme d'habitude, aucun argent pour survivre. Aujourd'hui j'ai dépensé cinq livres pour nourrir Michael chez McDonald's. Un Big Value Meal Big Mac + un autre Big Mac, les deux complètement nature. Maintenant il me reste cinq livres pour survivre jusqu'à mardi. Nous sommes jeudi. Oh mon Dieu, encore une semaine de calvaire sans manger, sans boire et sans fumer. À moins que je parte effectivement pour Paris demain avec Stephen. Il paye pour tout, nous y allons pour le week-end. Ne me dites pas que c'est pour me garder avec Stephen que plus personne d'autre dans ma vie n'est accessible. Étrangement, Rod serait accessible, mais une force inconnue m'a poussée, dans les deux dernières semaines, à ne pas l'appeler. Alors que bien souvent, j'en ai eu bien envie. Stephen voulait me présenter Omar, un Arabe-Libanais plus que millionnaire, supposé m'aider avec ma carrière. Mais je vais le manquer à cause de Paris. Il repart bientôt. Il est à Londres pour partir une compagnie de montres avec Melissa. Ils ont engagé Stephen pour atteindre les marchés londoniens. C'est une entreprise qui me semble vouée à la faillite. Ils veulent d'ailleurs m'engager comme modèle pour des photos. Je vais promouvoir la montre Slag, spécifiquement dessinée pour atteindre le monde gai. Ce sera un gros flop. Il y en a qui ont des millions à perdre. Tant mieux pour eux. Je me demande combien d'argent ils investiront dans la publicité. Ils ont dit prendre une agence pour ce faire, alors pourquoi m'engager comme modèle ? Il me semble que c'est peu professionnel de prendre des amis comme modèles là où une quantité incroyable de gens expérimentés et bien plus beaux que moi feraient l'affaire. Où finiront ces photos ? Dans des magazines, des affiches dans les rues londoniennes ? Au prix que cela coûte, je me demande si j'en vaux la peine. Je suppose qu'ils savent ce qu'ils veulent, je suppose que j'ai une image trop négative de moi-même. Je vaux peut-être ces hommes incroyables qui annoncent pour Calvin Klein, qui sait ?

 

 

          Où suis-je ? Est-ce que j'ai un avenir ? Ma vie semble s'en aller nulle part. Je rencontre des amis pourtant. J'ai fait l'amour avec un gars de Newcastle avant-hier que j'ai ramassé à  Popstarz. Hier j'ai pris un café et une bière chez Harvey Nicols. Avec des gens qui veulent ta présence, te paye le repas, puis ne peuvent avoir la décence de s'empêcher de te faire sentir coupable ou de montrer leur dégoût face au fait qu'ils leur faillent payer pour toi. Dans  ces conditions, fuck off ! Et ne m'invitez plus. En plus, M. Rinan, riche comme crésus, gras comme Bacchus, ose flirter avec moi.

 

-Mais je suis inatteignable moi monsieur.

-Personne ne m'est inatteignable. C'est parce que tu ne me connais pas encore.

-L'argent ne m'est d'aucun intérêt.

-Ne me lance pas un défi...

 

          Non  mais, que me veut ce porc gras Libanais qui se nourrit de Kebab ? C'est riche et ça croit posséder le monde ? Ils me veulent encore aujourd'hui, je crois. Je dois appeler Stephen cet après-midi pour savoir où ils se rencontrent et si c'est autre chose que de business qu'ils vont parler. Alors ils m'inviteront et cette fois je me saoulerai et je mangerai. Ne faut-il pas profiter de  la vie  et de la  richesse des autres ? La vie m'est bien pénible dans le  moment. Rien à manger, quêtant deux livres à Stephen qui me les donnent à contrecœur, s'imagine que si je suis venu hier c'est pour ce deux livres et non pour le voir. Je fais mon lavage à la main avec des cristaux de soda qui m'ont coûté à peine 59 pence mais qui ne fonctionnent pas du tout. Je me demande s'ils vont nettoyer ma chambre un jour, le tapis est tellement rempli de graines et mes draps sont assez sales. Je me demande s'ils ont fait le ménage avant que je n'emménage voilà presque deux semaines. La fin de l'été s'en vient. Je suis inscris pour aller à l'université à Chicoutimi, je risque d'avoir un emploi à Toronto et je puis demeurer ici. Que vais-je faire ? Sans compter que si Sébastien commence déjà à me courtiser au téléphone pour que je revienne, c'est qu'à la fin d'août il s'attend vraiment à ce que je revienne. Et si je ne reviens pas alors, je risque fort de ne plus jamais pouvoir revenir. En moins d'un mois à Toronto j'ai rencontré Julian et nous avons développé quelque chose qui semblait durable. À Londres, depuis quatre mois, je n'ai pas été foutu de rencontrer quelqu'un d'aussi intéressant que Julian, et je n'ai jamais été dans la capacité de garder ces personnes plus de quelques nuits. C'est peut-être une bonne chose si je ne rencontre personne. Alors je pourrai peut-être plus facilement repartir pour le Canada à la fin de l'été. Je sais qu'en un mois à Londres, me mêlant à tout le monde comme je le fais, quelque chose risque de survenir. Je le souhaite. Mais je n'y crois guère. Comme disait Rod, il semblerait qu'à Londres rien ne t'arrive. C'est toi même qui doit tout provoquer, et encore, ça ne t'emmène jamais très loin. Mais je déteste Toronto. Il n'y a pas une ville plus dépressive que Toronto. Tout le monde le sait, tout le monde le dit. Je n'ai rencontré personne en Europe qui n'ait vu Toronto sans dire que c'était plat. Londres ne me rend pas plus heureux, mais au moins Londres ne m'emmène pas dans les affres de la dépression. Car habiter le Canada me rend malade. Je le sais, je l'ai expérimenté pendant quatre mois cette année. Le cœur me lâche, chaque matin je suis incapable  de respirer, je veux mourir. Cette réaction est tellement étrange, est-ce vraiment le fruit de ma faillite totales dans la vie sociale, ma carrière ? Ou est-ce tout simplement l'air canadien qui ne me fait pas ? À Londres je ne connais pas de  telles sensations horribles. Avant de repartir, je devrai y repenser à deux fois. Avec Sébastien cependant, je mangerais c'est certain. J'aurais un bel appartement à Toronto. Une maison éventuellement en banlieue. Puis certainement le meilleur sexe que je n'aurai jamais avec aucun Anglais. Car je dois avouer que je n'ai jamais rencontré plus beau que Sébastien et que je n'ai jamais autant joui qu'avec lui. Et puis toutes ces sorties et ces voyages et ses souvenirs depuis quatre ans, tout cela est impossible à oublier. C'est plus qu'un ami, c'est plus qu'un frère. Si c'était le répondeur que j'avais l'autre soir, ce n'est pas qu'il avait débranché, c'est qu'il essayait de m'appeler. Je l'ai mal jugé, mais c'est que l'on m'a tellement fait chier ces derniers temps à Londres, à m'ignorer dans les bars pour peu importent les raisons, Rick, mon ancien propriétaire, qui me redirigeait à son répondeur pour éviter de me donner l'argent qu'il me devait et puis quoi encore. Je n'ai pas d'amis à Londres. Je veux dire, de vrais amis où le seul intérêt n'est que l'amitié, ta présence, puis c'est tout. Il n'y a toujours que le sexe qui guide le monde. Aussitôt que le sexe n'est plus dans  le décor, les amitiés se défont, n'existent plus. Sinon, il y a la souffrance, la frustration, et puis toutes ces choses. Stephen est encore plus dégoûtant chaque jour. Je ne peux même pas m'imaginer que je vais encore coucher avec lui. Il va essayer aujourd'hui, je me demande si je pourrai inventer quelque chose pour l'empêcher. Vaut mieux alors ne pas le voir. Mais aller manger avec ses amis, boire et sortir de cette chambre pourrie n'est  pas pour me déplaire. Que faire ? J'ai besoin de quelqu'un et je sais maintenant que ce ne sera pas Michael. Quelqu'un de beau, jeune, intelligent et avec moi assez souvent. Michael s'est volatilisé ce vendredi au travail. Pendant deux heures il est disparu et n'est jamais revenu, laissant toutes ces choses sur son bureau. Quel embarras à 17h30, lorsque Elisa ramassait ses choses que je tentais de lui expliquer que Michael avait beaucoup de problèmes en ce moment. Mais lesquels ? Je n'en ai aucune idée. Où est-il ? Je n'en ai pas la moindre idée. Reviendra-t-il ? Alors là j'ai la nette impression qu'il n'aura pas besoin de se faire mettre dehors, je crois qu'il va lui-même quitter cet emploi. Je serais  bien surpris si je le revois revenir à son retour de Finlande la semaine prochaine. On lui a donné la pire des listes à faire puis toute sa motivation s'est désintégrée. Ainsi je comprends  comment les  gens  finissent  par  lâcher  cet emploi. C'est qu'à un moment on se coince les doigts pendant deux semaines avec des listes impossibles  à rechercher puis on en a  assez. On lâche notre emploi. Car c'est beaucoup de stress de réussir à maintenir leur taux de succès, qui est d'ailleurs impossible à atteindre. Je l'ai fait cette semaine, avec beaucoup de chance (j'ai eu une liste facile), mais aussi, beaucoup de tricherie. J'ai joué avec tous mes chiffres, mentant à tour de bras sur mon véritable emploi du temps. Et c'est grave,  car je charge davantage d'heures à certains départements alors que c'est à d'autres que je devrais charger.

 

          Voilà, Stephen m'a téléphoné, on sort au cinéma, puis on mangera, il me paiera des bières, il voudra faire l'amour, on fera l'amour, je lui demanderai cinq livres, je sortirai à Miss-Shapes, tentant de rencontrer la personne que je veux rencontrer. Il semble considérer qu'entre lui et moi c'est reparti, juste parce que Michael est en dehors du décor. Ce qu'il ne comprend pas c'est que même si Michael n'est pas dans le décor, je ne veux rien savoir de coucher avec lui.

 

 

          Dieu que je m'emmerde cet été ! Pourtant je suis à Londres, j'ai un très bon emploi qui ne paie pas, je sors chaque semaine au moins trois fois, je bois en masse, je mange comme je peux, je fais mon lavage à la main, je couche par-ci par-là avec de beaux jeunes hommes, pourtant je m'emmerde. Je sors encore ce soir à Popstarz, tout juste de quoi me payer trois bières. Demain c'est le festival gai à Kennington dans le SE11. Tout juste les trois livres qu'il  me faut pour aller là et revenir. Boire ?  Pas de mon vocabulaire. Ce soir je suis déterminé à rencontrer quelqu'un de durable, et puis j'aurai toujours le jeune arrangeur de lumière qui part pour Edinburgh si jamais ça flanche. Tout le reste m'ignorera encore et j'en souffrirai. Jonas, Leigh, et puis c'est tout, l'Australien est reparti (enfin, quand je pense que la semaine passée il m'a clairement dit qu'il avait besoin de faire l'amour avec quelqu'un de nouveau et que ce quelqu'un de nouveau c'était Stephen, ce gars qui m'écœurait mais avec qui j'ai couché voilà un mois et demi. Il est très beau, il n'y a pas à dire, mais pas du tout mon style. Enfin, peut-être que Phillip a trouvé cela plus intéressant que moi. J'espère qu'il n'a pas été déviergé par lui, parce qu'il avait une méchante grosse bite. Michael revient lundi. Quelque chose me dit qu'il ne reviendra pas au bureau. Le crétin de Chris a fait courir dans tout le bureau qu'il avait été mis dehors, ça m'a flanqué la trouille. Mais semble-t-il, il ignorait que cette semaine il devait aller en Finlande et il se basait sur un téléphone d'Elisa à l'agence qui emploi Michael pour en déduire qu'il ne reviendra pas. Mmh, c'est possible. Mais ce qui est également possible, c'est qu'elle a appelé l'agence pour avoir d'autres employés, parce qu'il y en a un paquet de nouveaux. Mais cela est également un mauvais signe, un nouveau est maintenant assis au bureau de Michael. Enfin, je serai fixé dans trois jours. Moi ce serait du genre qu'il m'a tellement manqué que je lui sauterais dans les bras en lui offrant ma vie pour l'éternité. Je suppose que lui sera soudainement bien distancé et qu'il aura pris certaines vagues décisions entre lui et Nigel et moi et lui. Il a dit qu'il réfléchirait et qu'il prendrait du recul. Qu'il aurait le temps de décanter et reviendrait transformé. Je le crois, après une semaine de bonheur libre en Finlande, Helsinki. Depuis trois mois qu'il suit à la queue leu leu son Nigel et qu'il ne déroge jamais de son devoir conjugal. Souffrant de ne pouvoir aller se reposer  à la maison si son  copain veut aller au Bar Code et également souffrant de ne plus jamais sortir dans les clubs. J'en pense qu'il aura effectivement pris une décision en ce qui concerne Nigel, mais j'ai peur qu'il m'ait mis dans le même bateau. C'est-à-dire que s'il s'en sort d'avec Nigel, ce n'est pas pour revivre la même chose avec moi. Il me disait qu'il vivait un vrai cauchemar. Le soir c'était Nigel, le jour c'était moi. Je faisais donc partie de son cauchemar. Je contribuais à rendre sa vie infernale. Alors, il n'y a pas grand-chose à espérer de ça. D'ailleurs il ne reviendra peut-être plus au travail. Je soupçonne même qu'il pourrait lui-même avoir quitté son emploi. De toute manière il part dans moins d'un mois et sa dernière liste des PR du monde entier l'a tellement écœuré  que je ne serai pas surpris qu'il ne veuille revenir. S'il n'est pas là lundi, je pourrai commencer à aller avec Ed prendre une bière au pub chaque jour. J'aurai aussi la chance de cruiser tous les gais du bureau, au moins une dizaine déjà identifiés. Alex est un cas bien spécial. Il est à la tête de notre département avec Elisa, même plus haut qu'elle. Il est pourtant en bas de 25 ans. Il est un peu efféminé et jamais il n'a osé m'adresser la parole. Pourtant je le rencontre chaque semaine à Popstarz. En plus, une petite queen noire a commencé à travailler la semaine passée et déjà elle est bonne amie avec Alex. Faut croire qu'il a plus de facilité avec les efféminés qu'avec les petits Indie comme moi. Car j'ai l'étiquette Indie, je suis un label Independent. Alors je n'ai pas besoin d'Alex, qui lui, est un vieux de la vieille qui passe ses soirées dans la salle des 1980. Nous sommes en 1990, non de Dieu ! Et d'ailleurs, à la fin. Nous sommes en l'an 2000, nom de Dieu ! Il est 18h30, j'ai commencé à boire du vin, je m'allume une cigarette à l'instant, et je me fais davantage de fun que lorsque je serai là ce soir à Popstarz. Dieu merci l'Espagnol était là les deux dernières semaines à Miss-Shapes, avec lui je me fais vraiment du fun. Pourquoi ne vient-il plus à Popstarz ?

 

 

          Londres, c'est petit, petit, petit. Hier j'ai rencontré : Leigh, Duane, Gabriel, Rod, Christine, Andy, sa femme, Stewart, Jeff, l'Allemand, et puis qui d'autre, j'en oublie tellement. C'est vrai qu'il s'agissait d'un événement important, le Summer Rites 96, appelé à devenir un festival gai d'importance dans le futur. C'était la première année et ce fut un énorme succès. Il n'y avait même pas de place pour marcher dans tout le périmètre de Kennington Park. J'y suis allé avec Stephen, on a bu et je me suis vraiment amusé. Nous sommes même sortis au club Heaven. J'ignore pourquoi je désirais y aller. J'ai la mémoire courte semble-t-il, elle m'est vite revenue une fois à l'intérieur. Nous sommes demeurés moins de quinze minutes, tout juste le temps de découvrir une file d'attente phénoménale. Comme si tous, après le festival, c'était donné rendez-vous au Heaven. La personne que je m'attendais le moins de rencontrer, c'était Tim. Je savais que je rencontrerais au moins une personne du bureau, genre, dans la tente de Fist, c'est normal de rencontrer ton patron habillé en cuir avec le fouet. Ça confirme qu'il est gai, il était aux premières loges de la scène principale. Il m'a regardé, on s'est sourit, et puis comme avec Michael, on se reparlera lundi. Le pire c'est qu'il m'a insulté l'autre jour, affirmant devant tout le monde en face de l'ascenseur que j'étais gai. Curieusement, apparemment, je suis le seul à ne pas l'avoir entendu. Alors,  comment peut-il m'insulter ainsi si lui-même est gai ? Très bizarre. Il prend beaucoup trop de drogues, il a l'air malade, d'ailleurs il est malade. Il prend des médicaments très forts et je crois qu'il est drogué en permanence au bureau. Il est mon seul élément négatif au bureau et j'espère maintenant que ça va changer. Il ne semblait pas m'aimer beaucoup, mais pourquoi cela changerait-il ? Parce qu'il savait déjà que j'étais gai. La seule chose qui est changée, c'est que je sais qu'il l'est également. Alex non plus ne semble pas m'aimer beaucoup. Suis-je donc une menace ? Il est vrai qu'Elisa est partie en peur au début, me vantant trop pour des qualités que je ne possédais même pas, du moins durant les trois premières semaines. Maintenant ça semble se stabiliser, j'atteins toujours mon taux de succès. Peut-être qu'Alex s'est senti attaqué ou a développé des sentiments contre moi parce qu'Elisa m'aime bien. Quant à Tim, peut-être est-il jaloux parce que c'est avec Michael que je suis sans cesse et qu'il sait que je ne m'intéresse pas à lui. Maintenant que j'y pense, il a tenté de communiquer avec nous, il a voulu nous le dire qu'il était gai. Il s'est même permis de se rapprocher de moi suffisamment près qu'il m'a fallut m'éloigner pour assurer Michael que je ne m'intéressais pas à Tim. Ah Michael, demain je le verrai peut-être, à moins qu'il n'ait été mis à la  porte ou qu'il ait quitté. Je me souviens de nos longues heures de travail où on se regardait dans les yeux, incapables de regarder ailleurs. Ses yeux charmeurs de jeune homme en amour, son sourire innocent, voilà de bons souvenirs. Il ne peut pas m'avoir oublié si vite. Je mourrais pour être dans ses bras, je tomberais en amour par-dessus la tête. Il est le seul capable en ce moment de provoquer de quelconques sentiments en moi. Avec lui je me laisserais pénétrer et je le pénètrerais. Je lui jurerais même fidélité et ce serait certes facile, avec une beauté pareille. Ô Michael ! Je me refuse à voir Rod aujourd'hui juste au cas où tu reviendrais tout amoureux et déterminé à passer du temps avec moi. Ne me déçois pas ! J'ai tellement besoin de stabilité, de me retrouver avec la même personne, ne plus attendre ou espérer inutilement. Nous ne sommes pas encore ensemble, déjà tu me fais souffrir. Me permettre ainsi de te prendre dans mes bras à plusieurs reprises, venir chez moi, jusqu'à me laisser te toucher là où ta culpabilité s'en ressent le plus, et puis tout couper. Me fuir comme si j'étais un paria. Éviter même de m'embrasser. J'aime bien t'embrasser, toucher tes doigts, tes cheveux blonds, ton visage simple et naïf, mais à la fois intelligent. Seras-tu là demain ? Me fuiras-tu à 17h30 comme d'habitude ? Et qu'en sera-t-il du lendemain ? C'est stupide, il me semble que je devrais téléphoner Rod aujourd'hui. Il dit qu'il m'a laissé deux messages à l'hôtel pour décommander son rendez-vous, ils ne me sont jamais parvenus. Avec Michael je n'ai pas ce problème, il ne peut même pas garder mon numéro de téléphone sur lui, de peur que Nigel le trouve. Voilà que je me remets dans le bassin. Demain on verra. Pour l'instant, ce soir il y a Miss-Shapes. Mais je n'y vais pas. C'est la première fois que je manque Miss-Shapes depuis longtemps. Bien, j'ai soufert là-bas. Que faire ? Une marche dans Battersea Park seul, ou avec Rod ? Je n'ai plus besoin de sexe, j'en ai fait une surdose. Mais, ai-je besoin d'un ami autre que Stephen ?

 

 

          Hier, j'étais avec Rod. On a passé une très belle soirée sauf qu'il est un vrai alcoolique et on a trop bu. Nous étions à Q-Dos puis à Paradise. Pendant un instant j'ai cru qu'il ne voulait pas faire l'amour, mais à Paradise il m'a carrément embrassé. C'était le feu vert, il a couché chez moi. Mais je n'ai pas bandé. On a fait l'amour le lendemain matin. Il a une bite aussi grosse qu'un concombre. Je suis bien mal à l'aise avec une telle chose. Mais j'aime le fait qu'il soit très grand, et il est tellement beau, nu surtout. Je suis très bien dans ses bras. Puis il a un très beau visage, d'un jeune de 21 ans. Il a les yeux bleus et il a les cheveux blond foncés. Certainement le plus bel homme avec qui j'ai eu la chance de coucher. Puis il n'est pas comme Jonas et compagnie. Il est très mature. Mais ça se comprend, il a un jeune garçon de trois ans et demi qu'il a eu avec Tania, la fille avec qui il est sorti pendant cinq ans et qu'il a planté là à Sheffield dans le nord de l'Angleterre. Elle habite encore l'appartement de Rod et les quatre grands-parents aident la jeune fille. Il aime beaucoup son fils, il dit que c'est la plus belle erreur de sa vie. Il en faut du courage pour affirmer une telle chose à 21 ans, lorsque son fils est aveugle et plein de problèmes. Il est toujours malade et risque de mourir bientôt. Chaque année qu'il survit, c'est un cadeau. Ils doivent lui procurer des soins spécialisés en permanence.  Il a tout laissé derrière lui voilà six mois pour vivre sa vie à Londres. Son automobile, son très bon emploi également. Il faut vouloir la vivre sa vie gaie pour agir ainsi. Et c'est moi qui l'avais hier dans mon lit. Il parle en dormant, mais c'est incompréhensible. J'ai distingué un mot : drugs. Il prend de la drogue, deux jours avant il était sur l'acide. Mais ça l'a presque tué qu'il dit. Car 24 heures plus tard, lorsqu'il a fini de voir des étoiles et l'univers totalement en mouvement, c'est la mort en pilule qu'il souffre. Comme si quelqu'un lui plantait un couteau dans la nuque. Huit heures durant il est demeuré immobile sur son sofa à pratiquement vouloir pleurer. Est-ce que ça vaut la peine ? Maintenant il dit qu'il va se contenter de fumer des joints. Sa Tania prend beaucoup de drogues également, plus spécifiquement lorsqu'ils avaient 17, 18 ans, c'est-à-dire lorsque Leonardo est venu au monde. Je n'ai pas voulu demander si c'était une conséquence des drogues si l'enfant était venu au monde dans des conditions plutôt précaires. Si oui, c'est criminel. Mais allez savoir qu'elle était enceinte. Il a annulé notre dernière rencontre car il a dû entrer d'urgence à Sheffield parce que son fils était en état critique. C'est touchant. Je suis bien heureux avec lui. D'autant plus qu'il dit ne pas être capable de se faire fourrer, il a essayé une fois et c'était trop souffrant. Ensuite, il ne semble pas vouloir s'attendre à me fourrer. Avec une bite si grosse de toute manière, ce serait de la folie d'essayer, à moins de vouloir me détruire l'intérieur. Bref, on se reverra très bientôt, et ça m'embête, parce que Marl est toujours dans le décor. Mais il est hors de question que je me débarrasse de Stephen, il m'a été d'une aide essentielle ces dernières semaines où j'ai littéralement crevé de faim. Et je sais que ce n'est pas terminé. Encore que, au travail aujourd'hui Rachelle m'annonçait le départ de huit personnes d'ici un mois. Elle m'exhortait à aller voir la femme au bout du couloir, pour lui demander par exemple un emploi dans le département du service à la clientèle. Ça a tellement bien tombé, car je n'osais pas trop passer par-dessus Elisa, d'autant plus que ce serait à elle de faire une appréciation de moi. Surtout qu'elle a mis Michael à la porte, je n'étais même pas assuré de mon emploi. Or, voilà qu'elle vient me voir aujourd'hui pour m'annoncer une entrevue prochaine avec le mec en haut qui s'occupe du département du service à la clientèle. Paraît que c'est pas mal mieux payé, je signe un vrai contrat et j'ai des bénéfices qui vont avec. Ça fonctionne au bonus également, mais ce système je n'ai croit guère car les bonus sont inatteignables. Ce  n'est plus une motivation car il est déjà bien stressant d'atteindre le taux de succès minimum qu'ils demandent. Paraît que c'est plus de boulot, ça non plus je n'y crois guère. Mais j'ignore en quoi ça consiste encore. Répondre au téléphone, je crois. Contacter les conférenciers peut-être, dealer avec les paiements des invités. J'espère que le tout se déroulera vite. Entrevue demain, commence le jour même. Alors c'est certain que je demeure au sein de cette compagnie au moins six mois, pour ensuite tenter d'être basculer dans un meilleur département ou même, dans leurs bureaux de Toronto. Je savais que quelque chose allait se produire, mais je me demandais si cela devait venir de moi ou d'ailleurs. Le monde évolue, semble-t-il. Michael fait le mort, c'est un peu malheureux. Mais c'est peut-être mieux ainsi. Stephen est bien heureux de cela. Il ignore que Rod est dans le décor. Ce n'est pas moi qui le lui dirai, ce serait trop souffrant inutilement. De toute manière, je lui ai dit que j'avais passé la soirée avec lui hier, mais j'ajoute toujours Christine, qui, bien sûr, n'était pas là. Rod ne voit plus tellement Michael et Nigel, mais il les rencontre parfois au Brief Encounter. Il m'a fallu bien du courage pour demander à Elisa ce qu'il était advenu de Michael. Elle semblait désolée pour moi, elle m'a même dit qu'elle téléphonerait l'agence pour avoir son numéro de téléphone. Aujourd'hui elle m'a appris que l'agence avait refusé de le lui donner. Elle m'a alors fait une face de pitié avec un sourire, m'affirmant qu'elle comprenait entièrement que c'était mes sentiments qui me poussaient à communiquer avec lui. C'était donc fort évident pour tout le monde ce qui nous unissait moi et Michael. Mais on se regardait dans le blanc des yeux pendant des heures. C'est certes une bonne chose qu'Elisa sache que je suis gai. C'est nécessaire à mon avancement dans cette compagnie où un très grand nombre d'employés sont gais. En commençant par Graham Hill, celui qui va me faire passer l'entrevue pour le service à la clientèle. Elisa m'offrait d'écrire une lettre à Michael qu'elle ferait suivre à l'agence qui la ferait suivre à Michael. Je lui ai dit que je savais où sortait Michael, que je m'arrangerais plutôt pour le rencontrer. Mais cela est une mission impossible, il  ne sort jamais sans son Nigel. Paraît qu'il est thick. En bon français québécois, un christ d'épais. Selon Rod, il a un beau physique. Il fallait bien, pour que Michael soit avec lui alors que onze années les séparent. Cette histoire devient très complexe et implique bien des gens. Elisa est une vraie fag hag. Tous ces petits gais qui lui tournent autour. Elle doit se sentir bien coupable pour avoir mis à la porte mon amant. C'est grâce à  mon français que je vais enfin décoller dans cette compagnie avant tous ces autres qui étouffent encore après un an sans jamais avoir monté plus haut que team leader, ce qui ne les paie même pas davantage que nous. Moi, au customer services, je me ferais le même salaire qu'Elisa. C'est tout dire. Environ de 13,000 à 15,000 livres par an, selon Rachelle. Mais j'ai de la misère à concevoir un tel salaire. Il doit y avoir une attrape.

 

 

          Par où commencer le récit de mes deux dernières semaines ? Je n'écris plus, je ne lis plus, je ne fais que sortir, boire à me saouler, travailler, me battre pour m'acheter un œuf McMuffin™®© à £ 1.59 le matin avec un hash brown™®© et un café McDonald's™®©. Car nous sommes jeudi et je n'ai déjà plus d'argent. C'est-à-dire que je vais crever de faim jusqu'à mercredi prochain, sans compter que je ne pourrai pas boire cette fin de semaine (sauf samedi, Stephen m'invite, en retour d'une partie de fesses). Je ne suis pas fidèle, le sait-il ? Nous ne sommes pas dans une relation, le comprend-t-il ? Si j'avais quelqu'un d'autre, je le planterais là, s'en doute-t-il ? Son amie Melissa fait bien pire en ce moment avec son jeune italien de Milan, 22 ans, elle lui paie chaque soir un restaurant luxueux, elle y met le paquet. Alors je ne devrais pas me sentir coupable lorsque Stephen me paie un Bean Burger™®© chez Burger King™®©. Voyez, je mendie des burgers au coin de la rue. Londres m'a emmené bien bas. Mais je dormais dans les bras d'un jeune de 19 ans vendredi passé. Nous avons fait l'amour deux fois en deux heures. Je ne l'ai même pas rappelé. Plus tard je m'en mordrai les doigts. Mais je suis tellement dans la misère que rien ne me tente. Sauf qu'hier je suis allé voir Rod travailler au Paradise. Je me suis retrouvé saoul mort à Substation jusqu'à quatre heures du matin. Aujourd'hui au travail c'était l'enfer. Ma vie est un enfer, je voudrais m'en sortir. Mais comment ? Cette chambre d'hôtel ne fait que m'inviter à sortir. Nous sommes le 15 août. J'ai un retour pour le Canada dans cinq jours. Ça te tente de quêter trois livres pour te rendre à Heathrow ? Pour aller où ? Chez Sébastien à Toronto ? Comme je serai malheureux, je le sens. Je ne suis pas encore prêt à retourner. Je suppose qu'il me faudrait manger encore plus de misère. Mais j'en mangerais à Toronto également. Quelle erreur ce serait de vivre sur le dos de Sébastien, ça le fatiguerait énormément. Puis j'ai l'impression que je ne reviendrais que pour lui enlever sa liberté de sortir à Boots chaque fin de semaine. Le pire bar que j'aie vu dans ma vie en ce qui concerne la drague. Bonjour Sébastien, tu paies pour moi, tu ne sors plus sans moi, tu ne regardes plus les autres comme si tu étais une vache en chaleur qui manque de sexe devant moi, je reprends maintenant toute la place dans ta vie. Comment pourrais-je croire que cela fonctionnera ? Sans compter qu'il risque de me lancer en pleine face que l'on refait une tentative, which mean que l'on peut coucher encore avec d'autres. Fuck man, vaut mieux pourrir à Londres. Ce n'est pas à Toronto que l'on rencontre ces jeunes de 18 ans qui ressemblent à des dieux et qui veulent se faire fourrer. Dans les deux dernières semaines, je suis pratiquement sorti tous les soirs. Jeudi soir passé j'ai bu avec Stephen, puis je suis allé à Raw, un club Indie hétéro où la bière était à 50 pence. Résultat, j'ai dragué inutilement toute la soirée, puis la police m'a retrouvé dans St James's Park à cinq heures du matin, penché seul au-dessus d'une maigre corde, la tête prête à m'emporter dans la rivière. Ils croyaient que je voulais me suicider, mais j'étais bien trop saoul pour penser à cela. Je serai tout simplement tomber et on aurait pu dire que c'était alors inconscient. Ils m'ont assis sur le banc, m'ont demandé où j'habitais, je leur ai dit que je demeurais en arrière de la station Victoria, ils ont du croire que je vivais dans la rue. J'ai ajouté que je travaillais dans moins de trois heures. La femme police semblait ne pas vouloir en revenir. D'autant plus qu'ils semblaient me regarder en se demandant quel âge j'avais pour être aussi saoul en plein milieu d'un parc de Londres la nuit. J'ai l'air d'avoir dix-sept ans, on n'arrête pas de me le dire. Pendant un instant j'ai cru qu'ils allaient m'emmener. Même, juste pour me ramener chez moi, de peur d'avoir ma mort sur leur conscience. J'ai dormi chez Rod avant hier, très bel appartement à New Cross Gate. Dieu que j'étais bien dans ses bras. Le Français d'hier me disait que Rod disait de moi que je n'étais que son sex toy. Il pensait m'insulter, au contraire, ça m'a ravis. Peu de gens peuvent ainsi se vanter d'être le sex toy d'un si beau jeune homme. Ah, quelle horreur, dimanche passé j'ai couché avec le meilleur ami de Leigh, l'Espagnol. Je crains d'avoir bousillé mes chances avec lui, mais il semble l'ignorer encore, on se verra dans le courant de la semaine prochaine. Ma vie est tellement remplie que je me demande comment le fossé entre ma vie d'avant et ma vie actuelle est possible. Pourtant je ne demande pas une telle vie. Je veux une relation stable et durable. Avec Sébastien ? Dieu merci, je n'ai plus de cigarettes. J'achève de me brûler l'intérieur au complet. Je fume ces cigarettes américaines appelées Kent, fabriquées en Belgique, alors c'est encore français. Mais elles sont vraiment fortes.

 

 

          Je ne puis plus supporter Popstarz, non plus les gens qui sortent là, non plus Miss-Shapes. Ce qui me faisait songer que mon billet d'avion, c'est pour dans deux jours. Ainsi je me retrouvais encore face à cette idée de changer radicalement ma vie dans un autre pays. Repartir pour Toronto. Je suis sur les montagnes russes. Chaque six heures je change de décision. Maintenant je crois que j'en suis venu à un compromis, repousser mon départ jusqu'à la fin août. La vie londonienne s'organise bien. Alors que j'ai perdu tout espoir et que les seules personnes que je souhaitaient avoir se sont tout simplement évaporées dans le néant, voilà que hier avec Marc, après avoir vu la pièce de théâtre de Sam Shepard, on rencontre Aldo avec Chris au Q-Dos et qu'en plus ils se sont assis devant nous et on a parlé pendant au moins 45 minutes. Mais on n'a aucun moyen de rentrer en contact à nouveau. Sauf qu'ils seront à DTPM ce soir et que nous sommes invités. Stephen dit qu'il est prêt à m'y emmener. Alors allons-y ! Mais ça  reste à voir. Le bar le plus techno en ville, le plus drogué aussi. Mais c'est à titre sociologique que j'y vais, pour y étudier l'espèce humaine, en particulier Aldo sur la drogue. Ça faisait drôle de les voir là à nouveau. Des gens avec qui j'ai travaillé au Box et avec qui j'ai eu bien du fun. Stephen les a tout de suite adorer, on comprend bien, ils ont expérimenté les mêmes choses : la drogue au Trade et au DTPM Mais le clou de la soirée, juste en face de Charing Cross station, qui on rencontre ? Michael ! Michael ! Michael ! Avec son éternel Nigel ! Heurk ! Un ours, un hippopotame, un porc, un monstre ! Poilu, gras, beaucoup plus épais que Michael ne me le laissait supposer. Un gros sourire mongolien, il s'est même mis à me draguer dans la face de Michael ! Pouvez-vous croire !

 

          -Aha, Aha, Aha... tu es tellement beau, Dieu, tu es tellement, mais tellement beau... Aha, Aha, Aha...

 

          Avec des  yeux qui en disaient long. Bon Dieu ! Trop con pour faire le lien entre moi et la lettre qu'il a trouvée dans les pantalons de Michael ! Dieu que je m'inquiétais pour rien. Ce gars-là ne sera jamais jaloux si je suis en sa présence, il voudrait sans doute justement encourager que Michael couche avec moi dans l'espoir de coucher avec moi aussi. Avoir su je me serais rendu au Bar Code avant. Je me suis enfin décidé vendredi à y aller pour la première fois, croyant que Nigel sans doute ne me reconnaîtrait pas. Et comment, moi qui avait peur de me retrouver avec un œil au beurre noir et qui tremblais là-bas à les attendre inutilement. J'ai parlé avec Michael ! Après l'avoir vu souvent en cauchemar, où il était dans mes rêves sans que je puisse lui parler ou même l'atteindre. Il a trouvé un autre emploi misérable dans un bar, puis il a quitté le jour même de notre nouvelle rencontre. Il paniquait à cause de son Nigel, mais c'était inutile, Nigel lui-même a dit :

 

          -Laisse les filles parler !

 

          Puis Stephen aussi a été compréhensif, il s'est mis à parler avec eux. C'était inespéré, certes pas une coïncidence alors que je promettais justement de repartir au Canada dans moins de deux jours. C'est drôle comment soudain les événements peuvent tourner aussitôt qu'un danger guette ce que le destin nous réserve. Semble-t-il, il me faudrait demeurer encore à Londres. Mais alors, vaut mieux qu'il m'appelle ce crétin ce  lundi au travail. Sinon je vais te le hanter au Bar Code tous les soirs. Stephen a été doublement compréhensif car je lui ai annoncé mon départ prochain. Alors il a vu en Michael quelqu'un susceptible de me garder ici plus longtemps. Selon Stephen d'ailleurs, Nigel est un de ces êtres immondes qui n'a rien dans la cervelle. Et c'est tellement vrai ! Ce qu'il a dit ?

 

          -Nous retournons tous à la maison pour une orgie.

 

          Il y avait deux autres personnes avec eux. Vont-ils vraiment le faire à quatre ? On en apprend des choses soudainement ! Pauvre Michael. Dieu qu'on le plaignait soudainement. Il est profondément enfoncé. Stephen cherchait à comprendre, mais ce n'est pas moi qui pouvais lui expliquer pourquoi ils étaient encore ensemble, ça ressemblait trop à notre propre histoire. Un drame d'horreur. Un vieux qui a de l'argent qui entretient un plus jeune instable qui n'a nulle part où aller. Bref, une soirée très mouvementée en l'occurrence.

 

 

          Je suis encore à Londres, risquant la perte de mon billet de retour. Seul à Victoria, la soirée m'a semblée bien longue. J'ai une toux de tous les diables, semble-t-il à cause de ces cigarettes. Je n'ai plus de Walkman, je suis allé le retourner chez Argos (magasin genre Distribution aux Consommateurs) aujourd'hui, dans l'espoir de pouvoir m'en acheter un meilleur d'ici peu. Mais le problème est que je dépense trop et je vais vite me retrouver sans argent pour m'acheter même la moins cher des radios. Je passe mes journées à sillonner l'Internet pour trouver les adresses de compagnies diverses, hier j'ai ressorti les données de Microsoft dans le monde entier. Il va me falloir téléphoner tout ce monde-là. Parfois je me demande ce que Stephen fait lorsque nous ne sommes pas ensemble. Je ne serais pas très surpris que lui-même ait du sexe avec d'autres. Il n'ose jamais aborder la question, à savoir si moi-même je couche avec d'autres. De peur, peut-être que je ne lui redemande. Je ne lui ai jamais menti, s'il demande, je lui avouerai. Il m'a lancé une de ses pointes hier en affirmant qu'il y en avait de ces gens-là qui étaient tes bons amis tant que tu as de l'argent et que le jour où tu n'en as plus, pfuit, ils disparaissent. Je n'ai pas su quoi répondre. Ça ressemblait fort à ce que Leigh disait lorsque je me cherchais un emploi. Il m'a lancé en pleine face que lorsqu'un vieil ami comme celui qui était sur la deuxième ligne te rappelait après deux ans d'absence, c'est qu'il devait vouloir quelque chose de toi, genre un emploi. C'est très bien messieurs de me faire remarquer que je profite de vous, moi au moins j'ai la décence de ne pas vous faire remarquer que vous êtes  payé en retour par le sexe avec un beau jeune homme. Je vous épargne les détails dégueulasses que la prostitution implique. Et  c'est triste, parce que j'ai ma fierté et qu'aussitôt que les  choses iront mieux dans ma vie, effectivement, il va me falloir me débarrasser de mes clients pourvoyeurs, plutôt que de simples amis comme j'avais la stupide tendance à vous considérer. Car des amis s'entraident de bon cœur, mais des sugar daddy, même s'ils sont jeunes, c'est insupportable. J'ignore pourquoi Stephen m'a lancé une telle chose, ça m'a coincé les tripes et ça m'a juste donné l'envie de courir, de le planter là et de lui dire qu'il valait mieux en rester là. Comme il aurait été fier après cela de m'avoir reprocher de vivre dépendant de lui. D'autant plus que moi sortir tous les soirs comme lui pour me saouler et fumer, ça n'a jamais vraiment été mon rythme de vie. Voyez, on a exagéré et maintenant je crache des caillots de sang. Ce n'est pas vrai, mais presque. Duane m'a téléphoné aujourd'hui pour me dire qu'on ne pourrait se voir avant la semaine prochaine. Mais on voit qu'il est sincère, qu'il veut me voir, autrement il ne m'aurait même pas appelé. Alors il y a peut-être de l'espoir de ce côté. Rod m'a fait chier comme ce n'est pas possible voilà deux jours. Je me suis rendu à notre rendez-vous, il était complètement saoul. Il était là depuis trois heures de l'après-midi et il m'annonce que dans moins d'une heure il va rencontrer les gars avec qui ils déménagent dans un mois pour finaliser les détails de la location de leur maison. Alors il m'a littéralement flushé pour aller boire encore  et probablement prendre des drogues avec ses amis. En plus il était incapable de me parler, trop saoul. Plus tard, je suis entré au Village Soho parce que je ne savais plus quoi faire et que je ne voulais pas retourner à l'hôtel. Ils étaient là à une table, mais heureusement, ils ne m'ont pas vu. Là j'ai rencontré le plus beau jeune homme jamais vu. Il vient de Manchester, 22 ans, avocat. Ça fait un peu lourd tout ça. Je l'ai sauvé d'un vieux laid qui lui parlait. On est sorti au Freedom puis au Box. Rien ne s'est finalement passé entre lui et moi car son copain de 20 ans l'attend patiemment à l'appartement à Manchester où il retourne d'ailleurs dans deux jours. Alors pourquoi sortir seul, imbécile ! Ainsi, je crois que le Rod je peux faire une croix dessus. Et parfois je me demande si ce n'est pas ce stupide Français, avec qui Rod travaille, qui ne lui a pas monté la tête pour ainsi pouvoir accéder à moi. Pauvre tarte, jamais je ne m'intéresserai à toi, plutôt mourir. Maintenant que j'y pense, je n'ai jamais couché avec un Français, oups, j'oublie que Sébastien est genre français d'origine. D'ailleurs il me reveut au Canada, celui-là, mais seulement quand un de ses amis, qui vient à Toronto pour travailler et se chercher un appartement, sera parti de chez lui. Ainsi il me demande d'attendre encore un mois, peut-être. Ça semble le brûler pour vrai que je revienne à Toronto, il ne me semble pas très convainquant. Je suppose qu'il y a quelqu'un d'autre dans le décor. Et dans ce cas, son Toronto, il peut se le garder. J'en ai un mauvais souvenir, où j'ai souffert l'enfer dans une relation morte en une température de congélateur. Mais je garde de bons souvenirs de Michael. Ce jeune blond aux yeux bleus à moitié Irlandais. Il me faudrait retourner au Canada pour lui, et non pas pour Sébastien. Mais que dis-je, je prendrai Sébastien comme mari et Michael comme amant. Car je ne crois plus que Sébastien puisse être fidèle. Pauvre Michael, il devra endurer toute la merde qui vient avec les tricheries de couples. Il aimait me sucer une heure durant, affirmant : « Je pourrais faire cela comme emploi à temps plein ». Mon Dieu, est-ce  que ça fonctionnerait vraiment entre  moi et Sébastien ? Pourquoi reviendrions-nous ensemble ?

 

 

          Stephen est venu ce soir. Il m'a ramené un cadeau, une paire de jeans noire, celle qu'il avait et que je portais lorsque j'habitais avec lui. Elles me vont très bien car elles sont serrées et ça met en valeur mes longues  jambes, autrement mieux que mes trois autres paires qui s'en vont chez le diable et qui sont bouffantes, faisant de moi un véritable bouffon. Il m'a ramené du Brie  avec des  biscuits, puis, après avoir payé pour mon lavage au Laundrette du coin de la  rue, il m'a invité à manger chez Mövenpick, ce restaurant suisse très bon à côté d'où je travaille sur entre Buckingham Palace Road et Victoria Road. J'ai mangé une assiette de pâtes pas très bonne, plutôt que mon habituelle quiche imbattable. Tout va trop bien dans ma vie, mais je n'ai plus l'amour de ma vie, c'est-à-dire Jason, mon jeune de 19 ans qui pourri encore à Stockport dans un emploi minable à la quincaillerie du coin : Do it all, à £ 4.50 de l'heure. Qu'est-ce qui le retient là ? Il est en amour, le con. Et je l'ai vu son amour, Anthony, dans les manèges du Mardi Gras. Comprenant son état, je crois l'avoir aidé en me présentant à Anthony et en lui disant que Jason voulait le revoir, qu'il devrait donc l'appeler. J'espère ne pas avoir ruiné ses chances, mais de toute manière, c'est moi que je veux qu'il regarde. Mais j'avoue que nous sommes loin. Et qu'un retour à Manchester me coûterait au moins 100 livres, car je devrais me payer une chambre à 18 livres la nuit à l'UMIST, l'Université de Manchester Institute of Sciences and Technology, ou quelque chose du genre. C'est une bonne chose que j'aie couché avec le vieux laid là-bas, je sais maintenant où j'habiterai lorsque j'y retournerai. Jason dit qu'il viendra à Londres après le 15 septembre, car alors il sera payé. Il veut emporter sa petite amie, grosse, jeune et fatigante. D'accords, je la supporterai, en autant que je puisse me retrouver dans ses bras. Ce fut très difficile au début dans le bar New York New York. Il disait que ses parents revenaient ce soir des États-Unis et qu'il ignorait quand. Puis après que l'on se soit embrassé, il m'a avoué que ce n'était pas vrai et que je pouvais aller dormir chez lui. Mais en cours de route il se met à paniquer, à m'affirmer qu'il n'a couché qu'avec deux personnes et qu'il ne veut pas faire l'amour avec moi (ce qu'il ne m'avoue pas, c'est qu'il est en amour avec Anthony). Mais on arrive au Two Thumbs à Stockport, un pub hétéro don le responsable est gai, et les employés là-bas commencent à faire des blagues comme de quoi il couche avec un nouveau chaque semaine. Mais je ne crois pas que ce soit vrai. Puis on est allé dans un pub gai où tout le monde qu'il connaît va chaque jour. Deux jeunes hommes seulement à travers une bande de vieux laids dont plusieurs se sont liés d'amitié avec Jason. Puis là il se met à me manger sur place, en face de la table de billards, où tout le monde nous regarde comme ce n'est pas possible. Et il veut que je lui fasse une grosse sucette dans le cou, pour qu'il puisse se promener fièrement ensuite dans les rues du quartier. J'avoue que c'était bien difficile pour moi de comprendre la situation. Mais il disait fièrement à tout le monde que nous allions coucher ensemble, pour se revaloriser aux yeux de tous, mais d'un autre côté il m'affirmait que nous n'allions pas faire l'amour. Le lendemain, son ami Dennis au Two Thumbs était plein de sucettes dans le cou, alors voilà pourquoi mon jeunet en voulait une grosse que j'espère d'ailleurs qu'il ne regrettera pas (elle est assez impressionnante). Puis il m'a avoué avoir couché avec les deux jeunes du pub gai, alors c'était une façon de les rendre jaloux de m'embrasser ainsi devant tout le monde. Ainsi, même les jeunes de 19 ans se servent de moi pour leurs propres intérêts. But who cares quand ils sont des Dieux de jeunesse et de pureté. Le tenir dans mes bras était toute une expérience, je me  rends compte qu'avec les autres, il n'y a plus aucun intérêt. Je tomberais amoureux facilement de lui ! Mais le lit fut une autre histoire. Bien que nous sommes demeurés nus toute la nuit dans les bras l'un de l'autre et que nous ayons fait l'amour pendant deux heures sans éjaculer, ce qui a ruiné le tout c'est lorsqu'il m'a lancé en pleine face, exactement comme l'autre jeune dont je ne me souviens même plus qui : nous n'allons pas le faire, n'est-ce pas ? Alors dormons. Pour qui ils se prennent ces jeunes fluets qui te lancent en pleine face qu'ils sont trop purs pour coucher avec toi, et qui un coup dans le lit, te font chier parce que tu ne veux pas les fourrer. En plus, il était prêt à le faire sans condom ! J'en avais, mais finalement il m'a proposé d'attendre le matin. Et le matin, lorsque l'on a commencé à faire l'amour, je me suis levé pour aller me brosser les dents et lorsque je suis revenu, il s'était rhabillé. Je ne ferai plus jamais cette erreur d'aller me brosser les dents en plein milieu du sexe, d'autant plus qu'il m'excite tellement que de le fourrer, j'en aurais certes pris plaisir. Je regrette de ne pas l'avoir fait la nuit même lorsqu'il insistait tant qu'il m'écrabouillait le pénis tant qu'il pouvait. Ah oui, c'est le stupide Australien qui m'a également fait chier en me lançant après que tout soit fini : eh bien, je suis encore vierge ! Ça les fâche que je ne veuille pas les fourrer et après ils sont prêts à ne plus le refaire avec moi, parce qu'ils savent qu'ils peuvent aller chercher ailleurs cet essentiel élément du sexe. Néanmoins, on a passé de très bonnes heures ensemble avant que je ne retourne à Londres, à s'embrasser partout lors du Mardi Gras de Manchester. Et qui sait, on se reverra peut-être, et cette fois je lui mettrai ma bite dans le cul. Au moins avec les vieux, ils sont si contents que tu couches avec eux, qu'ils ne songent pas une minute à te reprocher quoi que ce soit. Ils adorent cela, eux, au moins. Tout ça me fait paniquer, je devrais me rentrer dans le cerveau la prochaine fois que je dois le faire absolument, sinon c'est terminé. Comme Neil d'ailleurs qui s'est assis avec moi après la première fois pour me dire que, sans doute parce que j'étais trop jeune (et je suis un an plus vieux que lui), que je ne savais pas ce que je voulais et que j'étais « boring » dans le lit. Demandez donc à mon ex-Sébastien et à Stephen ce qu'ils pensent de cela. Tombez donc en amour avec moi et vous verrez que le sexe sera bien mieux. Et revenez donc plus d'une fois, et déjà je me sentirai beaucoup plus à l'aise pour vous faire monter au plafond. Bande de taupes. Je ne voudrais tout de même pas passer pour cette femme frigide qui a peur de se faire pénétrer. D'autant plus que je les suce, je les mange, les avale, leur fait le 69, puis quoi encore ? Suis-je donc si à chier juste parce qu'il n'y a pas pénétration ? Alors il faut vraiment que je me guérisse de mon problème psychologique en rapport à cela. Mais j'aimerais attendre d'avoir un vrai copain pour cela. Le problème c'est qu'il est impossible de se faire un copain si justement ils craignent que cela pourrait ne jamais se produire dans le futur. Je ne serais pas surpris que ça ait fait fuir le petit Michael également, d'autant plus qu'il préfère son gorille à moi. Rod j'espère qu'il te défoncera les tripes, ton vieux singe ! Non, je ne le pense pas, mais tout presque. Demain Stephen m'emmène visiter tous ses amis, pour la première fois. C'est l'anniversaire de deux d'entres eux et ils vont sortir quelque part. Comme c'est drôle qu'ils célèbrent cela un mercredi, alors que tout le monde travaille le lendemain. Peu importe, je vais faire la connaissance de Johnny, un des DJ les plus connus de Londres, qui a 39 ans, qui est sorti pendant douze ans avec la même fille et qui vient de se déclarer gai. Peu de temps après il avait un nouveau copain de 20 ans, une beauté qu'il a rencontré au Trade, mais que maintenant il regrette car l'autre n'est là que pour voler son argent pour la cocaïne. Je n'aime guère que Stephen m'en parle, car ça me rappelle vaguement quelque chose, moi et lui par exemple. Mais je serais incapable de coucher avec Stephen juste pour ce qu'il m'apporte. Le sexe était très bien ce soir, mieux qu'avec le jeune Jason, malgré sa jeune beauté. Mais seulement parce que je suis inconfortable lorsque c'est les premières fois. Et puis si j'aurais voulu, Patrick, propriétaire du The Box, ou même Leigh, celui qui fait rouler Popstarz et même Popstatic à Manchester, auraient été bien mieux. Patrick est bien plus beau et il est vraiment riche. En plus il n'aurait jamais été question d'une relation dans la fidélité. Alors je n'aurais pas eu à tout cacher, comme avec Stephen. Mais celui-là est sorti seul samedi soir au G.A.Y. puis seul à Popstarz Vendredi soir. Ne venez pas me faire croire qu'il n'a pas ramassé quelqu'un. Du moins au G.A.Y., l'endroit où c'est le plus facile de rencontrer quelqu'un en ville. J'ignore d'où me vient mon sentiment de jalousie, regardez ce que moi je fais dans son dos. Je ne peux surtout pas lui poser de question, car alors c'en est fait, il me posera lui-même des questions, à savoir, suis-je fidèle ? Heureusement qu'il n'a pas osé me demander si j'avais coucher avec quelqu'un à Manchester, je lui aurais avoué le jeune Jason. Car autant qu'il le sache, nous ne sortons pas ensemble, même si toutes les apparences en surface vont dans le sens contraire. J'espère que ses amis ne seront pas sur la coke demain, car moi j'en ai ma claque de ses drogués qui vivent à un autre niveau que soit. Il fallait nous voir courir les vendeurs de drogues de Manchester. Je suis arrivé en plein milieu d'une transaction entre mes deux amis et un noir qui craignait la police. Heureusement j'ai tout de suite compris de ce quoi il s'agissait et j'ai vite prétexter devoir aller aux toilettes dans un pub à côté. Enfin bref, à nouveau ma vie est remplie. Et puis j'ai un nouvel ami, David, un gars pas mal fucké avec qui j'ai passé une partie de la journée du dimanche et la soirée au Popstatic. C'est le plus bizarre de tout Popstarz, et il fallait bien juste que l'on se retrouve à Manchester pour que l'on se parle. Il n'y a pas à dire, cette nuit à Popstatic a provoqué des liens privilégiés entre moi et tous ceux qui venaient de Londres. Ça a renforcit ceux avec Leigh également. Un paquet de coïncidences m'ont emporté à Manchester, un vrai aveugle qui suit sa destinée sans s'en rendre compte. Mais ça a changé beaucoup de choses dans les mondes subtils. En commençant par Stephen qui m'offre sa plus belle paire de pantalons, il s'est énormément ennuyé. Et maintenant, triste à dire, il est prêt à dépenser encore plus pour moi sans regarder à la dépense. Ce pauvre diable, ce n'est pas pour rien qu'il est sorti partout sans moi, plus spécifiquement au Popstarz. C'est qu'il me cherchait sans doute, ou qu'il voulait éviter de trop s'ennuyer pendant qu'il savait que je me faisais du fun à Manchester. Il n'est pas dupe, il sait que je couche avec d'autres, et s'il évite de demander, c'est pour éviter de lui-même souffrir, ou éviter d'être obligé de me dire qu'il couche avec d'autres lui aussi. Cette disparition soudaine dans le nord lui a fait réaliser mon départ prochain pour le Canada. Cette idée le rend malade. Que voulez-vous que j'y fasse. J'ai quitté de bien meilleurs amis que lui. Je ne dirais pas de bien meilleurs amis, mais plutôt de bien plus appétissants. Car Stephen est certainement le seul vrai ami que j'ai rencontré, celui qui a tout fait pour m'aider et qui ferait n'importe quoi pour moi. Toujours sous condition que l'on fasse l'amour je suppose, mais je crois que même si je lui disais que le sexe c'est terminé, il serait encore là. Mon amitié, dit-il, est encore plus importante pour lui. Car il souffrirait bien davantage à ne plus me revoir qu'à ne plus avoir de sexe. C'est complexe la vie à Londres, et je suis en plein milieu de tout cet univers. Demain je vais rencontrer le centre de Londres en dehors du monde Indie, dont plusieurs personnes de chez London Records. Ah, si seulement j'avais cette stupide cassette de Sébastien.  Il manque toutes ses chances le con. Pourquoi le lui ai-je donné cette stupide cassette à Toronto ? Je suppose que ce qui est, est ce qui doit être. Ainsi je ne devrais pas m'inquiéter. Il semble bien motiver à y travailler dans le moment, il m'en parle sans cesse. Peut-être cela débouchera-t-il à Toronto ? Peut-être reviendra-t-il à Londres, ou reviendrons-nous à Londres avec une meilleure cassette et alors c'est là que tout va déboucher ? Parce que définitivement, notre vie ensemble serait bien différente s'il revenait à Londres comme il me disait qu'il voulait. Car moi je n'arrêterais pas de vivre pour lui et j'ai maintenant de très bons amis bien placés. Malheureusement, je ne compose pas de musique. Quelques paroles tout au plus. Londres n'a rien à m'apporter de ce côté, mais tout à apporter à Sébastien. Travaillerais-je donc pour lui, ici, seul à Londres ?

 

 

          E. Mon premier Ecstacy, ce samedi soir avec Stephen. Je n'ai pas écouté la musique, je l'ai vécue. Ou du moins je l'ai entendue d'une manière bien différente. Nine Inch Nails, The Downward Spiral, en particulier les trois dernières chansons en bonus que le CD en Angleterre possède. Ensuite Portishead, un incroyable album que ce Dummy. Puis Tory Amos, Boys for Peel, Marianne Faithfull, Radiohead, The Bends. Voilà pour la musique. Pour le buzz, voyons voir si je peux décrire en mots cette expérience. Pendant un bon moment, je me voyais vraiment dans l'espace. Y étais-je ou alors ce n'est que mon imagination ? Peu importe, j'étais dans le néant total et c'était bien. Une conscience absolue de tout. Ce n'était pas de l'héroïne ou du LSD, comme Stephen me disait que soudainement il y avait des animaux autour de lui et qu'il pouvait ressentir ce qu'ils ressentaient. J'avais l'impression qu'il y avait quelque chose là à ma portée et qu'à me concentrer davantage, j'aurais pu l'atteindre, voir plus loin, communiquer avec quelque chose ou quelqu'un ailleurs, dans un autre monde. Mais n'était-ce qu'une impression ? Je me suis soudain senti tellement stupide d'ignorer cet autre univers. Mon trip n'a pas été des plus hyper. Je ne me suis pas mis à danser comme un malade, au contraire, je suis demeuré sept  heures dans les bras de Stephen, les yeux fermer, à parler comme jamais on avait parler. Mon trip a surtout été intellectuel. Après coup, lorsque je me suis retrouvé seul sans musique, je pouvais entendre des chansons entières dans ma tête, comme si j'avais moi-même été un lecteur de CD. Entendant tous les bruits et les instruments au complet dans ma tête, et des images accompagnaient le tout au gré de mon imagination. Ma mémoire était définitivement décuplée. Comment expliquer cela ? Des visages inconnus, des images déformées diverses, une femme même que j'ai eu l'impression que je tuais assez sauvagement. Puis Stephen, lui il a été comme moi, plutôt affectueux. Sauf qu'il était très excité physiquement, il a éjaculé trois fois alors que moi, bien que je bandais, je n'ai jamais été capable d'éjaculer. Mais c'est surtout la longue discussion que l'on a eue sur le E. Toute la vérité est sortie. Dieu que ça a fait mal, dans les deux sens. Je lui ai répété plusieurs fois que je  l'aimais, et sincèrement, je le croyais. Aujourd'hui je suis encore sur le choc et j'ai l'impression que je l'aime pour vrai. Il me faudrait faire attention, car c'est connu que l'Ecstasy décuple les sentiments, et l'effet dur quelque temps par la suite. Je lui ai avoué tous les gens avec qui j'avais couché. Dieu, il y en avait ! Et lui, il m'a enfin dit son âge. Il n'a pas 29 ans, il en a 36 ! Ça m'a littéralement traumatisé. Et il m'a avoué ses coups criminels, genre, accompagner dans sa propre voiture des gars qui transportent des grosses quantités de drogues dans une autre auto. Si la police les arrête, c'est à lui de foncer dans la voiture de police pour attirer l'attention sur lui et non sur les autres gars. Puis ces lunettes volées où il travaille, qu'il tente par tous les moyens de se faire rembourser chez Selfridge sans coupon de caisse. Et ces histoires de ventes d'héroïne, oh misère, voulez-vous bien me dire ce que je fais là ? Le cœur me débat encore et j'ai l'impression que je confonds cela avec l'amour. Je lui ai dit que je l'aimais vraiment et que je devrais revenir habiter chez lui. Que Dorénavant il pourrait dire à tout le monde que je suis son vrai chum et qu'à l'avenir je serai fidèle. Encore vendredi soir passé, un gars avec qui je travaille est venu me demander s'il y avait des pubs gais autour de Victoria. Je lui ai répondu que non, mais qu'au bout de Buckingham Palace Road, à Trafalgar Square, il y avait Q-Dos, Halfway to Heaven et Paradise. Une demi-heure plus tard nous buvions, une heure trente plus tard nous couchions ensemble. Je suis venu dans la douche. Celui-là a vraiment 29 ans, et il est exactement mon style. Grand mince avec une grosse poche. Aujourd'hui il avait un concert et demain j'ai l'impression qu'il voudra peut-être me  voir. Mais demain je dois moralement voir Stephen. Après demain seulement je pourrai le rencontrer. Mais si j'emménage chez Stephen, c'est hors de question. Puis ce sera bien difficile de justifier à Stephen que je ne rentre pas un soir. Il saura que je coucherai avec quelqu'un, il souffrira et moi je me sentirai coupable au possible. Je crois que le plus simple serait de ne pas revenir chez lui. C'est beau la volonté de fidélité, mais il a 36 ans et c'est surtout morale mon amour, pas physique. En plus, je lui dirai qu'il n'est aucunement question de fidélité entre lui et moi, bien que je n'aie pas du tout l'intention de coucher à droite et à gauche. Il souffrira, mais ce sera clair. Bon, il semble que j'aie pris ma décision. C'était aussi une question d'argent, j'économiserais 85 livres, c'est quelque chose. Mais le train me coûterait déjà 40 livres par semaine. Puis il y a la nourriture aussi. Là-bas je peux manger quelque chose de chaud. Et je puis prendre un bain, écouter des vidéocassettes, dormir dans un vrai lit. Que faire mon Dieu ? Puis j'aime sa compagnie de toute manière. C'est plus facile dans ma chambre, car on sort le soir, on s'amuse, puis on revient dans ma chambre, on fait l'amour et il s'en va. Chez lui c'est plus compliqué. Je dois le confronter sans cesse, soutenir ses regards lorsqu'il se met à trop rêver ou à me déclarer son amour. Puis il veut toujours faire l'amour. Le problème c'est qu'il ne m'excite pas tant que cela, à comparer à tous ces jeunes que j'ai eu dernièrement. Il me faudrait passer davantage de temps chez lui, mais alors, est-ce que ça vaut la peine d'avoir une chambre d'hôtel ? Puis il y a autre chose, mon retour prochain au Canada (et même une possibilité d'aller travailler à Bruxelles, la femme va me rappeler demain). Peut-être serait-il bien de tout simplement aller demeurer avec Stephen, quitte à d'ici un mois déménager au Canada. Ça me permettra de ramasser de l'argent et je pourrais tout de même me tenir tranquille pendant quelques semaines. Ce n'est pas la fin du monde. D'autant plus que question sexe dans le moment, il n'y a que le nouveau au travail et je ne suis même pas certain que l'on va recoucher ensemble. Car je n'insisterai pas et j'ignore si lui ira de l'avant. Puis il y en a un que j'ai dragué au Popstarz ce vendredi, mais il  ne semble pas décidé. Misère de misère. Et je ne parle pas des amis de Stephen qui ne cessent de nous parler ironiquement de leurs deux autres amis gais de quarante ans qui ont tous deux des copains de 19 et 21 ans. Toute une gang de drogués en plus. Ils ne croyaient pas que j'avais 23 ans, ils croyaient jusqu'à ce que je montre mon passeport que je n'avais que 17 ans. Je vois d'ici les conversations qu'ils ont eues. D'autant plus qu'ils doivent bien savoir que Stephen me paie tout, partout où on va. Encore 10 livres ce matin. Lorsque je vais repartir de Londres, Stephen sera anéanti. Je le détruirai en entier, car il est vraiment en amour par-dessus la tête. Que puis-je faire ?

 

 

          Je suis seul à Bruxelles et je m'ennuie grandement. Pas un seul ami. Ce soir j'ai fait le tour des bars, je n'ai osé entrer que dans deux. Tous les autres étaient  trop vides et trop vieux. Et quand je dis vieux, c'est 50 en montant. Bref, il n'y a pas de club, juste des petits bars grands comme ma main. Aucun journal ou guide du monde gai de la ville, rien qui puisse m'orienter le moindrement. Heureusement j'ai trouvé une liste sommaire des bars de la ville sur Internet. Je sens que je vais m'emmerder au possible. J'attends patiemment que Stephen vienne, je n'en puis plus d'attendre qu'il arrive samedi prochain. Il sera avec moi huit jours, grâce, je n'aurai  jamais été aussi heureux de le voir. Il faudrait que je me garde de l'argent que je retourne en visite à Londres la semaine d'après, ou deux semaines après. Car je ne crois plus que je me ferai des amis ici. Je viens de me rendre compte de  la  chance que j'ai eu cet été de pouvoir coucher avec tout ce  beau monde, car maintenant tout est fini. À un feu rouge, où il n'y avait aucune voiture, j'ai traversé la rue. Une toute petite rue, en trois secondes j'étais de l'autre côté. Soudainement, par un gros haut-parleur, une voix m'a soulevé de terre : le feu était rouge ! Était-ce pour moi ? Soudainement un camion de police fait sonner ses terribles sirènes et se  lance à  ma  poursuite. J'ai perdu patience, je leur ai crié en pleine face ma façon de penser, et pendant un instant j'ai cru qu'ils allaient m'embarquer. Je leur ai lancé qu'hier je me suis fait attaquer par trois jeunes qui m'ont volé 1700 francs belges, et qu'aujourd'hui je me fais arrêter par la police parce que je traverse la rue sur un feu rouge. Là ils se sont mis à paniquer, m'affirmant qu'ils n'étaient pas la police, mais bien la gendarmerie de Bruxelles. Quelle est la différence ? leur ai-je demandé. Et plutôt que de me répondre, il m'a dit que c'était bien différent. Tant mieux, et christ ton camp mon tabarnack. Occupez-vous donc de ceux qui se font voler ou violer dans les places publiques plutôt que de perdre vingt minutes à me faire la morale parce que j'ai marché sur un feu rouge. Le pire de toute cette histoire, c'est que j'ai  eu davantage peur d'eux que des trois voleurs de la veille qui auraient bien pu me frapper et même me tuer. Lorsque je le gars de la gendarmerie m'a demandé pourquoi je n'avais pas déposer plainte, je leur ai répondu que j'ignorais où était les  postes de police, que je n'avais pas trois jours à perdre en dépositions, discussions et puis quoi encore, juste pour 1700 francs. Ce que j'ai omis de dire c'est que j'ai davantage peur de la  police que de trois flots cons de la rue qui me volent en fait 200 francs belges. Demain mardi. Que vais-je faire en attendant que Stephen arrive ? J'ai l'impression que tous les gais de Bruxelles ont déjà sacré le camp à Amsterdam. D'autant plus que la majorité parle déjà à moitié cette langue bizarre. Alors voulez-vous bien me dire ce que je fais ici ? Aucun doute, Bruxelles, c'est vraiment la même atmosphère que Paris. Et je viens de me rendre compte que j'aime mieux vivre en anglais et que j'adore définitivement Londres. Parfois en prenant le métro, ça me fait penser à Toronto. Ce qui me fait penser que Sébastien m'attend d'ici un mois ou deux. Ce qui me fait penser que je crois bien que je vais retourner à Londres. C'est ma drogue, je ne peux plus vivre sans. Partout ailleurs je ne serai pas heureux, je vais vivre dans l'attente d'y retourner, je ne ferai que regretter de ne pas y être. Je serais mieux d'aller au lit, demain je me lève à six heures et c'est en fait cinq heures par rapport à Londres. Ils ne prennent même pas de pause et ils espèreraient que je n'en prenne pas. Fuck off, je ne suis pas payé £ 19,000 par année, moi.

 

 

          Verlaine a beau avoir tiré une balle sur Rimbaud à quelques rues de mon hôtel Dolphy en face de la gare du midi, moi en Belgique je vis une misère terrible et solitaire. Je dois avouer que Stephen est venu passer huit jours ici et que ça a été très bien. On a visité Bruges (Brugge), Anvers (Antwerpen) et Liège. Définitivement, j'aime Stephen. Et ça devient de plus en plus problématique du fait que Sébastien m'a téléphoné aujourd'hui de Toronto. Or je prévois encore demeurer à Bruxelles pendant un bon mois, même si je suis pour en souffrir tout le calvaire du monde. Puis mes intentions sont un retour à Londres, pas à  Toronto. Il s'ennuie à Toronto  le  pauvre. Parfois j'ai peur de le perdre si je ne  reviens  pas  très bientôt. Il  risquera de rencontrer un autre amour important, qui sait. Mais il m'a tant fait souffert. Et si j'ai vraiment peur de me retrouver avec lui à Toronto à m'emmerder. Surtout à m'ennuyer de Londres au possible. Tant que j'aurai Londres, la vie sera viable. Je ne peux pas en dire autant de Toronto, avec un Sébastien qui risquera de sauter dans la rue pour rencontrer des copains on the rock. Me refusant affection pendant des semaines voire même des  mois. Je n'ai pas connu le même Londres avec et sans Sébastien. Je l'aime, mais je ne suis pas prêt à souffrir pour lui. D'autant plus que j'ai un Stephen tellement affectueux qui est  prêt à me  suivre en Nouvelle-Zélande. Bon Dieu qu'il fait froid dans cette chambre d'hôtel. Mes doigts craquent sur l'ordinateur, ça devient grave en ce premier octobre. Je suis à quinze jours de mes 24 ans. Un anniversaire seul perdu dans les rues de Bruxelles. Il fait si froid que mon walkman et mon ordinateur prennent une demi-heure avant de se mettre à fonctionner de façon convenable. Il est vrai que pour e prix que je paye, mais tout de même, c'est plus de la moitié de mon salaire qui y passe. En plus je travaille avec des misérables qui n'arrêtent pas de se lamenter. Une femme avec deux enfants, Arabe, avec un diplôme d'ingénieure mécanique qui se tue pour des cacahuètes. Je suis tout de même sorti voilà deux semaines. J'y ai rencontré une bande de vieux en manque de sexe intéressant qui couchent avec tout ce qui bouge et qui se paient les saunas aller-retour. J'ai même attrapé des crabes avec l'un d'eux, qui devait bien avoir au-dessus de quarante ans. Je me décourage moi-même. Je devais vraiment être en manque, d'autant plus que Stephen arrivait le lendemain et que je lui ai tout avoué avant même que l'on découvre les petites bêtes. Dumpas, le crétin avec qui j'ai couché m'a lancé une série de mensonges pour arriver à dormir avec moi. Croyais-je vraiment retirer de quelconques avantages avec lui ou bien il était là dans ma chambre pour prendre mes livres et que finalement j'avais envie de le prendre dans mes bras ? Bref, il aurait déjà publié quatre livres chez Gallimard, il serait directeur d'un comité de lecture pour cette même compagnie. Or, l'ordinateur de la FNAC me confirme que ce nom n'existe pas, Gallimard que j'ai téléphoné à Paris n'a jamais entendu parler de lui et même son numéro de téléphone était faux. Jamais dans ma vie je n'ai été si bien trompé. C'est un art chez certains. Je crois encore qu'il me dit la vérité tellement il sait bien mentir, bien que j'aie toutes les preuves du contraire et qu'en bonus j'ai eu des crabes de lui. Ça fait une bonne réputation des directeurs de comité de lecture de chez Gallimard. En plus il ne s'est pas arrêté là. Il me dit appartenir à la Franc-maçonnerie, m'a montré deux petites bagues qui confirment son trente-troisième degré dans la hiérarchie, le dernier niveau qui le fait fils du Soleil. (Une petite bague en or avec des petites croix gravées tout autour qui reflètent la lumière tels des diamants. Puis une autre en argent avec son nom initiatique écrit dessus. Quand on peut aller aussi loin dans ses mensonges, la vie ne peut être que belle, vivre dans un monde d'illusions. Lorsque la vérité éclate avec évidences moins de trois jours après, c'est plus compliqué. D'autant plus qu'il est tout à fait hors de question que quelqu'un qui appartiendrait à la franc-maçonnerie en inventerait ainsi pour le plaisir de coucher avec quelqu'un. Sinon on a plus la franc-maçonnerie que l'on avait. Il voudrait m'y initier d'ailleurs, je l'ai pratiquement insulté en lui disant que ça ne m'intéressait pas. Demain il va m'appeler, je vais aller prendre un café avec lui, évitant de lui toucher mêmes les mains de peur de reprendre ses petites bêtes. Je me demande jusqu'où il poussera la sottise humaine, et moi jusqu'où je l'endurerai avant d'exploser et de lui demander un compte-rendu de la vérité dans toute sa bull shit. La vie est décourageante. Et bien que Bruxelles soit d'un dépressif impressionnant, j'arrive à m'y retrouver et à m'y plaire. J'ai marché suffisamment dans le centre-ville pour déjà comprendre que cela me manquera un jour et qu'il me faudra y revenir (mais pas seul, seulement avec l'amour de ma vie). Mais c'est définitivement dangereux. Avec Stephen un soir, en marchant sur la rue du Midi, on a entendu des cris d'une femme et d'une bande de jeunes arabes. On s'est retourné, il était déjà trop tard. Un vieux couple de touristes flamands venait de se faire voler tout leur argent de vacances, la femme le visage gisant dans le sang. Nous les avons emporter au poste de police tout près, s'inquiétant que même avec la police peut-être n'étaient-ils pas en sécurité ? D'autant plus que ces policiers ne semblaient pas tellement se préoccuper de nos deux touristes. Enfin  bref, je prends le tram autant que je peux et j'évite de sortir. Ce n'est pas bien difficile, il n'y a rien à voir et à faire en ville. Même les vendredi et samedi. C'est vide et la musique est loin d'être celle que j'écoutais à Londres.

 

 

          Voilà, c'est définitif, je repars pour Londres ou bien vendredi ou bien mercredi de la semaine prochaine, dépendant de si Stephen a déjà acheté ses billets de train pour venir quelques jours. Il était temps que je parte, aujourd'hui la grosse Isabelle s'est assise avec moi pour discuter tous les problèmes que j'ai causés la semaine passée et s'assurée que cela ne se reproduirait plus. Cause toujours vieille peau, moi je roule vers Londres. Je quitte surtout à cause de l'argent et de la solitude. Je n'ai rencontré aucun ami potable et les bars sont de ce qu'il y a de plus ennuyants. La preuve, je m'enferme dans ma chambre tous les soirs. C'est assez impressionnant pour quelqu'un qui voilà pas très longtemps sortait tous les soirs, même quand il travaillait le lendemain. Je vais tenter de survivre un peu à Londres et quand j'en aurai ma claque, je retourne avec Sébastien à Toronto. S'il ne veut plus de moi, alors je reste en Europe. J'aimerais bien qu'il ne soit pas là à m'attendre. Il ruine mon séjour en Europe. Je dois par tous les moyens me convaincre que la vie était infernale avec lui et que je m'en vais m'emmerder à Toronto avec lui. Comme c'est drôle, si Sébastien me disait Viens, je te paye tout, j'hésiterais encore. Si Edward à New York me disait la même chose, dans une heure je serais dans l'avion qui m'emmènerait à JFK. Pourtant, c'est avec Sébastien que je retournerai. Mais si je tarde trop à revenir, j'ai l'impression qu'il ne voudra plus de moi. Il aura rencontré quelqu'un d'autres, qui sait. Ça m'a fait chier lorsqu'il me racontait son amitié avec le petit blond. Il me disait qu'il ne mangeait rien lui non plus, de toute sa cuisine. Ainsi ils se sont retrouvés en amoureux ensemble, à se cuisiner des petits plats, puis à faire l'amour ensuite. Et tous ces crétins seront encore là en tant qu'amis lorsque je débarquerai. Et chaque fois que Sébastien ne rentrera pas, je me poserai mille et une questions à savoir où il est, avec quelle pétasse il couche. Et même si ce n'est pas le cas, ce sera ce qui me rongera l'intérieur. Quelle sorte de vie cela sera-t-il ? Car je ne lui fais plus confiance. Et dans ce cas, moi-même n'ai même pas envie d'être fidèle. Mon petit Michael, je le reverrai. Alors dans ces conditions, pourquoi retourner ? D'autant plus que je ne puis plus confronter les parents de Sébastien, depuis que j'ai tout coulé la Sorbonne. Ils me considèrent comme un trou sans fond, une épave humaine (et ils ont bien raison, voilà pourquoi c'est si terrible de les confronter). Je  me répète sans cesse : retourne à Londres, puis là tu verras. Si tu t'emmerdes, alors pars. Si tu es heureux, alors reste. La vie pourrait-elle être aussi simple ? Pas vraiment. La Banque Royale du Canada me cherche. Elle veut que je recommence a rembourser mes dettes d'études. Or, je ne fais même pas suffisamment d'argent pour manger à ma faim (demain c'est le jeûne absolu), alors croient-ils que je pourrai les rembourser ? Et ils ont passé une nouvelle loi, les étudiants n'ont pas  le droit de déclarer faillite. Eh bien, que vais-je faire ? De la prison ? Aujourd'hui, cette idée suffisait à me rendre dépressif à mourir. Je ne sais plus où aller, je ne crois pas que je serai heureux dans aucun endroit, je suis misérable à mourir sans aucune possibilité d'améliorer mon sort, et voilà que ces dettes me tombent sur le dos. Il ne me reste plus qu'à mourir, mais ce n'est pas la quarantaine de pilules que j'ai dans ma chambre qui suffiraient. Puis me lancer par la fenêtre me semble bien héroïque. There is no way out. J'ai beau fuir jusqu'en Belgique, ma misère me court après et ne me laisse aucun répit. Au moins mon estomac ne se tord plus comme autrefois, bien qu'aujourd'hui c'est exactement ce qu'il voulait faire. À Toronto, c'est certain que chaque jour je vais me réveiller avec un point terrible dans le cœur. Et je le sais, cela serait suffisant pour me tuer. Londres m'a sauvé en quelque sorte. Car lorsque je me lève le matin, ce n'est pas à tous ces problèmes et à ma misère que je pense. Mais il me faudra bien confronter la vie un jour ou l'autre. LE problème c'est que j'ignore comment et je ne vois aucune solution à mes problèmes. Londres me fera sans doute du bien, mais la routine terrible de la compagnie me rend déjà malade. Le train à prendre chaque matin de Isleworth jusqu'à Victoria via Clapham Junction, avec tous ces travailleurs encore plus misérables que moi, il n'y a rien de pire. Au moins je me suis organisé pour ne travailler que quatre jours. J'ignore encore ce que dira Stephen, je l'ai fait pour lui, pour être ses deux jours de congé ensemble. Mais peut-être verra-t-il cela comme de l'exploitation de ma part. De la vacheté, et il sera trop poli pour me dire quoi que ce soit à propos de ma paresse. S'il n'est pas content, je repars pour le Canada. Et c'est ça le problème, c'est que je le menace sans cesse de partir pour Victoria, Bruxelles, la Nouvelle-Zélande ou le Canada. Oh Dieu, allons dormir, demain je me lève à 5h30 du matin. Et mon ventre va gargouiller si fort que le monde de Bruxelles en sera soulevé de terre.

 

 

          Je m'emmerde. En plus je n'ai plus motivation à rien. Ce qui n'est pas nouveau. Être en Belgique ou à Londres me laisse tout à fait indifférent. Comme de visiter Gand, Bruges, Anvers, les plages belges. Cela me fait ni chaud ni froid. Le problème c'est lorsque je reviens au Canada, dans le fond de ma région perdue. Alors là je sens le poids de la vie m'écraser. Je ne suis plus du tout indifférent, je souffre chaque jour davantage. Alors je ne suis peut-être pas si indifférent que cela à la vie. Le problème c'est que pour m'en rendre compte, il me faut retourner au Canada. Je vais longtemps me souvenir du quartier Montgomery de Bruxelles. Quel beau coin, quel beau parc aussi. Puis les sandwiches gruyère vont me manquer. Les bruxellois, eux, ne me manqueront pas.  Il faut creuser loin pour en trouver des potables, je vous jure. C'est vrai que c'est  à peine si j'ai fait des efforts. Je repars de la Belgique avec tous mes préjugés tout à fait intacts. Vous voulez pariez que si j'avais au moins rencontré un de ces beaux mecs que l'on a vu au Brupark, Bruxelles aurait pour moi représenté tout. Malchance. Je repars, mais cette fois je reviendrai avec une certaine nostalgie d'un coin que j'ai habité suffisamment longtemps pour m'être développé de bons souvenirs. Le retour à Londres est-il une régression ? Si c'est pour retourner exactement comme j'étais avant, oui, bien sûr, quelle régression. C'est pourquoi Toronto me semble prévisible pour dans quelques semaines. Mais chaque fois que je  suis parti et que j'ai cru revenir dans une certaine stagnation, c'est une vie tout à fait différente qui m'attendait. Et puis la vie avec Stephen sera  certes déjà  bien différente. Encore que, n'ai-je pas déjà vécu là pendant quelque temps ? Et le Saguenay et Londres ont complètement changé lorsque je suis retourné une deuxième fois. J'ignore à quoi m'attendre. J'ignore même dans quel pays je vais aller me retrouver. Qui sait ce que Stephen me prépare,  avec lui je peux m'attendre à tout. Et il est si amoureux qu'il ne regarde jamais à la dépense. Et ce n'est pas Sébastien, il ne me présentera jamais la facture ensuite. Par contre, lorsque je serai vraiment disparu de sa vie, j'ai comme l'impression qu'il va lui un rester un goût amer de tout ce qu'il a osé faire pour moi alors qu'il était aveuglé par l'amour. Je l'entends déjà dire qu'il a fait ceci, qu'il a fait cela, et que je n'étais là que pour ces avantages et puis voyez comme je ne l'aimais pas malgré ce que j'ai osé lui dire, je suis déjà parti pour la Belgique et bientôt ce sera le Canada. Il souffrira, ses amis amplifieront comment immoral j'ai été et combien stupide il a su faire profiter de lui. Est-ce que tout cela est vrai ? Encore une série de faits qui sont difficiles à contredire. En fait, une donnée explique le tout. C'est qu'en pratique, semblerait qu'effectivement je ne suis qu'un profiteur qui détruira Stephen éventuellement, avec cruauté si possible. Sauf qu'en pratique, il existe un paquet de nuances. Les événements se succèdent sans planification, sans désir réel de ma part ou de la part de Stephen. Le tout se décide sur le pouce, selon les possibilités. Ou bien je repars pour le Canada, ou bien Stephen m'aide. S'il me l'offre et que cela me décourage d'accepter, bien sûr je me laisserai convaincre et oui je profiterai en un sens de lui. Puis je l'aime, c'est vrai, mais est-ce que je l'aime suffisamment pour finir mes jours avec lui ? Est-ce que je n'aime pas davantage Ed ou Sébastien ? Même ça je l'ignore. Chose certaine, il faudra bien que quelque chose change. Car aller travailler chaque matin, aller prendre quelques pintes de bière tous les soirs dans les pubs du coin ou du centre-ville, sortir à Popstarz malgré la bonne musique, puis Miss-Shapes, vous savez, ça ne me motive plus du tout. Et puis il y a là une petite marmaille qui se prend pour le nombril du monde et que je ne puis plus sentir. J'aurais besoin d'évoluer un peu, sinon avoir l'impression que j'évolue. Le problème, encore une fois, c'est que j'ignore en quoi je puis évoluer, qu'est-ce qui pourrait me donner l'impression que j'évolue. Que faire ? Ou cela arrive par lui-même. Ah, j'ai définitivement un problème. Six mois est la période maximale avant que je ne me mette à paniquer, à tourner dans tous les sens jusqu'à ce que j'éclate et qu'une ouverture me permette de changer radicalement ma vie. À moins que tout ne change à mon retour à Londres, je crois bien que la prochaine grande étape est la confrontation de Toronto et la confrontation en un retour avec Sébastien. Bien sûr, Bruxelles m'a renforcit. Je me sens très fort, peu de chose réussit à m'atteindre aujourd'hui. Je ne prends rien très au sérieux non plus. Si parfois je donne l'impression de me tracasser et que cela me rend d'une humeur très basse, une heure après je suis tout à fait libérer et prêt à confronter la planète entière. Peut-être encore plus motivé à me battre avec l'Univers. Est-ce que j'aurai une vie normale un jour ? Ma mère est bien découragée. Elle ne sait plus quoi dire pour me calmer et me ramener à des valeurs et à une vie plus communes, plus normales. Mais pire, serai-je heureux un jour ?

 

 

          Voilà, je suis de retour à Londres. C'est presque la fin du mois d'octobre, je brasse vaguement des idées de repartir vers le Canada, mais comme je vois cette décision très loin et qu'en fait, c'est très près, je doute que soudainement comme cela je reparte vers le Canada. Pendant que j'étais en Belgique, Stephen s'est mis à boire comme un fou, Vodka. Ainsi il aurait empiré son état d'alcoolisme immanent. Ce n'est pas très difficile dans son milieu, tous ses amis sont des alcooliques invétérés qui passent davantage de temps dans les pubs que n'importe où ailleurs. Hier il m'a lancé qu'il avait définitivement un problème d'alcoolisme et me demande de l'aider dans son processus de désintoxication. Il dit qu'il sera de mauvaise humeur et bête mais que ça n'a rien à voir avec moi. Au travail il n'a jamais eu autant de stress ces temps-ci. Alors moi je ne sais plus où me mettre. Je recommence à travailler dans quelques jours, ça aussi j'ignore à quoi m'attendre. C'est drôle qu'avant  je savais bien qu'il prenait bien trop d'alcool, continuant bien longtemps après que j'aie décidé moi-même d'arrêter. Je disais toujours à la blague qu'il était un alcoolique parce que même à deux heures de l'après-midi il commençait à boire. Mais jamais il m'était venu à l'esprit qu'effectivement c'était un problème. Je voyais cela comme normal. Trente-six ans de vie poussée aux limites, ce sont les résultats que cela apporte, tout de même banal comparé à sa vie de drogué invétéré, aux prises avec l'héroïne. Quand on regarde le film Basketball Diaries ou Trainspotting, et qu'il me dit qu'il est passé par tout cela et que ça lui fait plaisir de voir qu'il n'est pas le seul, ouf !, je vous jure ! Bref, maintenant qu'il l'a affirmé comme un problème, voilà que je comprends qu'il s'agit vraiment d'un problème avec lequel il va falloir vivre. Or, moi ça me débalance complètement. Je n'aime pas l'idée que l'alcool puisse être un problème. Mais il m'a dit que ça affectait son emploi. Il perdait patience trop rapidement maintenant et cela rend ses relations avec ses supérieurs assez difficiles. Je ne voudrais pas qu'il décide de couper l'alcool complètement, mais du moins qu'il se modère, ça oui, c'est une bonne idée. Il m'aurait dit simplement qu'il faudrait faire attention à ne pas trop boire dans le futur que j'aurais dit oui et n'aurais pas réagis. Maintenant, c'est différent. Je vis avec un alcoolique, ex-drogué, criminel, tueur. On me balancerait cela en cour de justice que je ne pourrais pas le nier, bien qu'en réalité les choses semblent être à nuancer de façon assez importantes. Et je ne crois pas qu'il m'ait dit toute la vérité, je dirais qu'un humain raconte en moyenne 50 % de la vérité. Bon, tueur, j'exagère, c'est un accident de voiture. Mais il a fui sur le spot. Bon, on comprend qu'au Maroc tu n'as pas intérêt à être dans une de leur prison, d'autant plus qu'ils devaient avoir sur eux de la drogue et que peut-être qu'ils étaient sous l'influence des drogues ou de moins de l'alcool. Il y a un petit article sur le mur qui dit que son copain, lorsqu'il a été arrêté, il l'accusait de fraude atteignant 300 000 livres sterling. Or, Stephen m'a affirmé qu'il s'agit d'un montant que l'on peut multiplié par cinq facilement. Ils volaient des banques ! Des vols que l'on entend même pas parler dans les journaux, mais dont certains très ingénieux ont terminés en première page de tous les journaux londoniens. On passe devant les banques et voilà qu'il me dit : on a volé cette banque. Est-ce la raison pour laquelle je l'apprécie ? J'aime certainement son côté Street Kid qu'il a gardé même à trente-six ans. Il croit qu'il est en sécurité maintenant. Il rêve. Il n'est jamais trop tard pour te faire payer tes fautes. Je suis son opposé absolu. Je ne volerais même pas 10 pence à qui que ce soit, même pas au gouvernement alors que le gouvernement, au rythme où il nous vole, je devrais avoir une conscience claire. (Je considère que le  gouvernement nous vole parce qu'il prend abusivement et ne fait pas une utilisation intelligente de cet argent.) Je n'ai qu'une vague idée de la vraie personnalité de Stephen. Parce qu'il m'aime tant qu'il est tout à fait différent avec moi que lorsque je suis absent. Il a un très mauvais tempérament, toujours prêt à tout confronter, à se battre s'il faut. Les années l'ont assagies, mais il en reste beaucoup à assagir. Il ne prend de merde de personne et il a développé l'art de se procurer tout ce qu'il veut par la confrontation. Une des lois les plus simples de la  nature. En société, on a été peu habitué à ce genre de confrontation. Lorsque tu vois un homme dans une banque qui fait toute une scène pour encaisser des chèques de voyages, qu'il demande à parler au manager, qu'il crie, panique, effraie tout  le monde, tu lui donnes  ce qu'il veut et il repart ensuite. Tu réalises ensuite qu'il vient de te voler 10,000 livres.

 

 

          Moi et Stephen on ne s'entend plus très bien. Souvent je fais la tête et il panique pour le reste de la journée. Peut-être parce que je ne suis plus libre de faire ce que je veux, peut-être passons-nous trop de temps ensemble. Ma vie est un vrai cauchemar en ce moment. Elle ne s'en va nulle part et je ne vois pas de porte de sortie. J'ai déjà 24 ans, et si en 24 années tu n'as encore rien accompli de concret, comment veux-tu que cinq ou dix années de plus fassent toute la différence ? Je pourrais oublier toute idée d'accomplir quelque chose de concret, retourner au Canada et vivre une petite routine bien ordinaire. Lorsque tu acceptes cet état de fait, je suppose que la vie se digère mieux. Le petit mécréant au travail, m'a fait comprendre qu'il avait déjà quelqu'un dans sa vie et qu'il veut pousser cela plus loin. Ainsi il me fuit un peu et il ne veut qu'une amitié. Cela est arrivé vendredi, une journée chargée en l'occurrence. Après le travail je suis allé prendre un verre avec les français puis on s'est retrouvé au Flanagan's Wake à Victoria, où toute la compagnie prenait une bière après le travail. Pratiquement une soirée de Noël, ce qui me fait me demander pourquoi on en a deux dans les deux prochaines semaines. Le problème c'est que j'étais saoul et que j'ai trop parlé. J'ai dragué certaines personnes de mon département, avoué à plusieurs autres que j'étais gai. Sincèrement, je me serais passé d'une telle stupidité. Je suis sorti au Popstarz ensuite, sans Stephen. Je n'ai pas vraiment dragué, plutôt perdu mon temps. Puis j'ai attrapé une grippe à marcher dans le froid. Je suis entré pour gratuit, ce qui est une bonne chose, Leigh était bien heureux de me voir, il m'a payé une bière, la fille également. Jonas m'a sauté dans les bras, m'avouant que ce n'est qu'après mon départ qu'il s'est rendu compte comment je lui manquais. Cela ne veut pas dire que soudainement il veut coucher avec moi, alors qu'il aille se faire foutre. Et même s'il voulait faire l'amour, qu'il aille se faire foutre. L'autre petit Tom y était aussi, pas très heureux de me voir, mais demandant pour ses deux livres qu'il m'avait prêtés. Enfin, la musique était la même que cet été, signe de problème dans un club. Pas d'innovation, pas de nouvelles chansons, juste une stagnation. Stephen n'est plus très heureux avec moi, j'ignore si c'est effectivement ma faute ou si c'est lui le problème. C'est vrai que je déprime un peu ces temps-ci. Je sais qu'il m'aime trop pour vouloir une séparation, mais en même temps il nous rend la vie misérable avec sa mauvaise humeur. Tellement que des jours comme aujourd'hui je me demande si je devrais retourner au Canada. Le problème c'est que je crois bien retrouver le même style de vie monotone avec Sébastien à Toronto. Sans compter que celui-là risque de m'offrir bien plus de souffrances à cause de toutes ses relations  à droite et à gauche. Je n'ai pas envie de souffrir cela. Je n'ai plus envie  de souffrir. Je ne sais plus quoi faire de ma vie, mon travail est nul, je n'en puis plus. J'ai atteint un point où même la richesse et la reconnaissance d'autrui ne me rendraient heureux. Je croyais que Londres me rendait heureux, en fait, Londres ne me rend pas heureux. Il ne fait que me soutenir un peu plus dans ma détresse. C'est-à-dire qu'il rend  ma misère un peu plus soutenable. Mais il vient un temps où tout s'écroule et que même Londres n'u peut plus rien. Un retour au Canada, dans ces conditions, serait le coup de grâce. L'an passé à pareille date j'étais à Jonquière, sortant tous les soirs au 2741 et au Caméléon, puis dormant ensuite chez mon petit Gabriel qui m'a renié pour son propre orgueil. C'était bien, même si c'était terrible à la fois. Car l'ombre du départ planait toujours. Puis il a eu les problèmes avec Alice et le copain de ma sœur, tous deux incapables de me supporter dans leur petite maison qui est l'accomplissement de toute une vie. Puis il y a eu New York après le nouvel an, Toronto, le nord du Québec, puis le retour à Jonquière jusqu'à ce que le tout explose. Curieusement parce que je demandais trop la voiture et que je ne rentrais plus le soir, et puis quoi encore, tout cela n'est que du vent de toute manière. La jalousie d'Alice, le désir de tranquillité du copain de ma soeur dans leur maison aux murs de papier. Je n'avais de place ni à Montréal chez François, ni à New York chez Ed, ni chez Sébastien et ma tante à Toronto, ni chez Marie dans le nord, perdue dans sa méditation et son silence de cimetière. Il  me fallait mon propre chez moi, mais on ne se construit pas un nid dans une nouvelle ville en deux semaines, d'autant plus qu'un nouvel emploi peut prendre jusqu'à deux mois avant de te payer une première fois, si tu réussis à en trouver un en un mois, ce qui s'est avéré impossible à Toronto. Je ne fais qu'exister et les gens finissent par exploser. À Londres, j'étais de trop chez Rick, même en payant 54 livres  par semaine. Stephen commence à ressentir le poids d'une présence permanente dans son petit appartement vide et froid, je crois qu'il aimerait bien savourer un peu sa vie de célibataire d'antan, mais souffre dès que je ne suis pas là pour une soirée. Comme vendredi où il m'a attendu jusqu'à cinq heures et demie du matin et qu'il dit avoir compris comment il m'aimait et combien il importait que l'on trouve un moyen pour moi de demeurer en Angleterre au-delà du mois de mai prochain. Mon petit poste d'assistant en marketing vient de prendre le bord. Ce n'est pas trois personnes qui sont dans la course, c'est une dizaine. Ce n'est plus la décision de celle qui m'a fait passer trois entrevues déjà, mais une autre du département du personnel, Lara, la bitch qui me disait qu'aller en Belgique était impossible et que finalement c'était possible. John, celui qui est maintenant à la tête du département, Dieu sait comment, veut cet emploi, il a fait l'examen qu'il faut maintenant passer. Il a eu 100 % dans la partie mathématique et il a une formation de marketing. Ça n'est que un sur les dix qui veulent le poste. Alors je ne rêve plus en couleur, d'autant plus que maintenant l'examen propose une partie grammaire anglaise et correction de texte. Je suis nul en anglais écrit. Mais on me dit de garder espoir juste parce qu'Elisa disait au téléphone, probablement à la mauvaise personne, que dans tout ceux qui courraient pour l'emploi, je suis le plus qualifié et le plus performant. John me disait que j'étais le meilleur de tout le département de recherche. Ce qui ne me fait pas un pli sur les fesses. Je méprise tous ces gens, je méprise cet emploi et cette petite hypocrisie de bas de clocher pour avoir une position qui donne à peine 50 pence de plus par heure et qui te demande trois à quatre soirs de temps supplémentaires par semaine. Sans ces heures supplémentaires, je me retrouverais à gagner moins qu'en ce moment à cause de mon 25 livres de bonus que je réussis à avoir en mentant comme un déchaîné sur ma feuille de temps à ka fin de la semaine. Je n'ai d'ailleurs aucun complexe, c'est très clair que je raconte de la merde à tour de bras. Cinq heures de données perdues la semaine passée, additionné d'un six heures d'imprimerie. Qui est assez fou ou aveugle pour avaler cela ? Voilà comment on réussit à devenir le meilleur de son département. Et c'est comme cela que ça marche dans le gouvernement. On pense que tel ministre à bien réussit parce que ceci ou cela puis on se rend qu'en pratique tout flanche, la pauvreté est immanente et les gouvernements bien inutiles. Bien sûr, donnez-moi un budget de 100 millions, à la fin de l'année j'aurai tout dépensé. Mais qu'aurai-je fait ? Rien pour vous aider vous. Que fait la ville avec les taxes qu'elle ramasse ? Elle organise des événements qui ne concerneront toujours qu'une minorité. Elle a des centres de loisirs qui ne concerneront toujours qu'une minorité. Enfin, elle asphalte à nouveau ses rues chaque année à coup de milliards alors que c'est prouvé qu'il existe une nouvelle sorte de ciment qui coûte plus cher à court terme, mais économiserait des milliards au bout de 100 ans parce qu'au moins cela dur plus que quatre ans, c'est-à-dire le temps d'un mandat en politique. Il ne faudrait jamais accordé de budget à qui que ce soit en lui disant, voilà, dépense tout, mais du mieux que tu peux. On ne devrait qu'avoir un fond pour payer l'essentiel avec personne pour tout dépenser dans le vide. On ressent chaque jour un peu plus le fardeau de cette dette qui paralysera la planète entière dans moins de quelques années.

 

 

          Sans le vouloir, je crois que je suis devenu très proche de Stephen. Je dis que je serais prêt à repartir n'importe quand, même si je n'en ai pas l'intention, mais je suis loin de me rendre compte que je suis attaché à lui et que de partir ne ferait que provoquer un retour précipité. Ce soir nous avons vu Jaz et William. Ce dernier me semble gai, davantage depuis que l'on m'a raconté certaines histoires. Leur vie sexuelle est nulle dans le moment. Jaz s'est presque déjà désistée pour notre mariage. Je suppose que mon retour au Canada sera plus facile lorsque l'immigration m'obligera à partir. Nous avons vu des photos ce soir, l'ex-copain de Stephen y était, Douglas, personne n'a osé me le pointer. C'est maintenant ici que Stephen vient de me l'avouer. Trop tard, je ne l'ai pas vu. Tout ce que je peux me souvenir c'est d'avoir vu des grands bien bâtis dont aucun ne me semblait si beau, mais Stephen m'affirme qu'il était vraiment beau. Jaz passait rapidement sur certaines photos, voilà sans doute pourquoi je n'ai rien vu. C'est toujours souffrant de voir que la personne que l'on aime a un passé heureux et amoureux et qu'elle souffre encore de cette relation qui s'est terminée selon le vouloir de l'autre. Stephen a beau me dire qu'il m'aime comme il a jamais aimé personne et que je suis cent fois mieux qu'un homme qu'il a tant désiré mais qu'il a eu seulement quelques fois, alors qu'ils étaient bien drogués et saouls. Suis-je vraiment à la hauteur ? Au travail je ne le suis certes pas. J'ai passé l'examen de marketing supposé prouver notre bonne connaissance des mathématiques, d'Excel et de l'anglais. Eh bien, je l'ai raté cet examen. Non seulement je n'ai pas eu le temps de terminer, mais elle va bien voir que mon anglais est celui d'un primate, même si je le parle très bien jusque dans les moindres expressions que le British moyen emploi à tour de bras. Le pire, j'arrive dans les toilettes et Bill m'annonce que si je désire vérifier mes réponses avec le corrigé, il en a une copie. Quoi ? Le p'tit christ de con de John a eu 100 % dans l'examen, voilà pourquoi il a eu l'emploi que je reluquais avant même que je ne passe le test et tout cela par tricherie ? Elle pouvait bien être impressionnée par de tels résultats, tellement qu'elle ne m'a même pas laissée ma chance, la vieille peau de Lara. Inutile de dire que j'ai sauté dans son bureau pour lui affirmer qu'elle ne devrait pas trop se fier aux résultats d'un examen qui circule depuis six mois dans tous les départements et dont tout le monde a une copie. Ce genre de dénonciation habituellement n'aide jamais celui qui ose parler. Mais je n'avais rien à perdre. Cet examen est si important qu'il me fallait tout faire pour le discréditer. J'ignore où tout cela va me mener, mais encore une fois, d'ici cinq mois je suis parti. Comme je voudrais me rendre à New York plutôt que Toronto ! Mais comment faire ? Le mépris à la compagnie a atteint son paroxysme. Lorsque tu te contentes d'être dans le département de la recherche, tu le ressens déjà, mais tu es tout de même capable de venir, accomplir ta journée, repartir. Moi je travaille pour les Tailor Made, j'établis la Mail Merge de la recherche directe de chaque producteur de conférence. Ainsi je dois chaque jour aller dans tous les départements et souffrir un mépris qui est tout simplement inexplicable. Lorsque tu rencontres une conasse qui, par mépris, ne te salue même pas et dont cela t'enrage tellement que l'on puisse te prendre pour si bas que tu te sens obligé de la détester pour ne pas t'enfoncer davantage. C'est ce regard que je ne peux plus supporter. Le plus grand des stress est aussi celui de tous ces cons qui ont eu des promotions, qui sont fiers d'être plus haut, sur d'autres étages avec des contrats signés par la compagnie pendant que toi tu pourris encore dans un emploi qui ne te permet pas de t'offrir deux bières lorsque tu sors avec eux. Elisa a même promu Justin à la place de John à la tête du département. Justin plutôt que moi. Il n'est pas ici depuis deux mois, il ignore encore comment faire sa feuille de temps à la fin de la semaine, il n'a jamais été capable d'atteindre son taux de succès. Comment voulez-vous que je me rende au travail et subir une telle humiliation ? Je me suis dit qu'il me fallait trouver un autre emploi autour de l'aéroport par exemple. Plusieurs compagnies ont leurs quartiers généraux européens ici à Hounslow. Mais je me rends compte que de trouver un autre emploi n'est pas si simple, sans compter que de trouver quelque chose qui me paierait mieux que ce que j'ai en ce moment, cela relève du miracle. Ainsi, en plus de souffrir un mépris et une humiliation sans borne, il me faudrait les remercier à genoux de me laisser cet emploi minable insupportable. J'ai rendu service à Elisa en lui offrant une montre Dunhill à plus que moitié prix, au lieu de m'être reconnaissant, on dirait qu'elle évite de m'aider de peur que les autres croient au favoritisme. Dans ces conditions j'aurais dû l'envoyer promener, on aurait tout aussi bien pu vendre cette montre à n'importe qui d'autres pour le même prix. Comble de malheur, Mary, la conne qui m'a tout de même choisi pour TM, n'arrête pas de se lamenter que son travail ne paie pas et que l'on est misérable. Toute la journée, une telle source de négativité ne peut faire autrement que de te convaincre que tu es le dernier des misérables sur cette planète. Comme c'est drôle que partout autour de moi les gens aient tellement de chance. Ils gagnent toutes sortes de choses, ils obtiennent des emplois incroyables, ils bénéficient de faveurs presque miraculeuses et moi, de telles choses ne m'arrivent jamais. Je suppose que je vois tout du mauvais angle. On pourrait me croire heureux d'être à Londres, en fait c'est tout ce qui importe. Et j'avoue que je dois me le répéter dort souvent pour  accepter ma condition. Seulement dans cinq mois cela sera fini et déjà cela me démotive tellement que je serais tenté de partir plus vite juste parce que je me demande sincèrement pourquoi je dois retarder quelque chose d'inévitable. Mais je reste, je me dis qu'il me faut durer le plus longtemps possible. Car je regretterai ce départ, je le sais trop bien. Si c'est un départ obligé, la décision ne m'appartient plus et les regrets disparaissent. Tous mes rêves d'être écrivain un jour ont disparus. Mes derniers manuscrits se font tous refusés chez les éditeurs et je crois que pour la première fois de ma vie j'arrive à comprendre qu'un jour il faudra que j'abandonne. D'ailleurs je n'ai plus la motivation d'écrire, j'ai deux livres commencés qui sont tout simplement en jachère permanente. Je n'en vois plus l'utilité. À force de vouloir plaire, on fini par écrire des conneries qui n'offrent aucune motivation. En plus on ne plaît pas davantage. C'est clair que toute critique est archi fausse, elle cache les vraies raisons du refus. Ça me fait penser à la femme qui reçoit une lettre de son amant lui expliquant pourquoi la relation doit se terminer. Elle lit le tout et perd sa vie pendant deux ans à analyser des justifications qui n'ont rien à voir avec les vraies motivations de la rupture de son amant. Ainsi mon rêve de pouvoir être si mois à Paris ou à New York à travailler dans ma littérature s'évapore. Il me faudra bel et bien travailler de 8 à 4 sept jours par semaine pour des compagnies comme celle pour laquelle je travaille, dans des villes où je n'ai nullement l'envie d'habiter. Ainsi, tous les sacrifices que j'ai fait à ma littérature, tout cela ne portera jamais fruit et n'est que pour rendre mon échec encore plus éclatant. Mes parents avaient donc raison dès le départ. Et je ne peux même pas apprécier l'idée que l'on pourra me reconnaître en tant qu'écrivain une fois que je serai mort, car même mort, personne ne voudra me publier, d'ailleurs personne ne ferait l'effort de tenter de faire publier mes livres après ma mort. J'ai donc bien perdu les sept dernières années de ma vie et maintenant j'ai bien l'intention de commencer à vivre et d'oublier l'écriture. Stephen est bien pour cela, il ne peut demeurer en place. Il est toujours prêt à sortir de l'appartement pour faire quelque chose. Il est toujours rempli d'idées. Donc je n'ai plus le temps d'écrire de toute manière. Jamais je n'aurais cru possible que l'écriture qui m'était un si grand besoin, même s'il était bien pénible, puisse me passer un jour. C'est comme de se désoler de Rimbaud qui n'a écrit que deux ou trois années de sa vie. On est désolé, mais ce que les gens ne comprennent pas c'est que s'il avait continué à écrire, Rimbaud ne serait pas Rimbaud, il serait autre chose de peut-être bien moins mystique et profond. Ce n'est donc pas une perte. Et puis on est passé bien près de jamais en entendre parler de ce Rimbaud, si Verlaine n'avait pas envoyé un de ses poèmes bien longtemps après à un magazine qui a bien voulu le publier presque par charité. Combien de ses Rimbaud construit étouffe-t-on chaque jour ? Parce que Rimbaud est définitivement une construction. En lui-même il est bien insignifiant, pour employer un terme de Roland Barthes. Tant qu'à moi, j'estime laisser derrière moi une œuvre suffisante. Ajouter deux ou trois livres à cela ne serait que parler pour parler. De bonnes trouvailles peut-être, mais nullement essentielles à mon œuvre. Sans doute je me trompe. Le jour où je publierais un livre, je pourrais commencer une grande carrière d'écrivain et publier des œuvres impressionnantes qui vaudront tout comparées au reste de mon œuvre actuelle. Sans doute aussi on peut rêver des années à ce genre de choses et détruire sa vie en illusions. Peut-être ai-je également de la difficulté à accepter qu'en fait, c'est ce petit espoir qui m'a gardé en vie si longtemps. La fin n'est pas le suicide, ou plutôt oui, le suicide de ma carrière d'écrivain. Une vraie libération demanderait que je brûle mes huit ou neuf livres. J'y ai réellement sérieusement songé. Et c'est un geste si grandiose que je me promettais bien de ne jamais le regretter. Car j'ai accordé une trop grande valeur à ces  futilités depuis tant d'années que cette bêtise mériterait de se terminer par une autre bêtise. Si un jour tout cela devient connu, et bien sûr je l'ai encore à l'esprit, on verra ceci comme des menaces. Pas du tout, j'en suis vraiment à ce point. Si bas et si désespéré que finalement j'en ai la conscience que tout ce travail est bien vain et toute cette œuvre bien ridicule. Je pourrai toujours me dire à moi-même combien au moins ce ridicule m'a bien motivé toutes ces années.

 

 

          Je suis entré dans le mois de mars avec une idée effrayante et voilà qu'aujourd'hui je m'en vais à  Camden pour fixer la date de mon mariage pour dans trois semaines si possible. Si je peux avoir l'Église à Soho, ce sera un vrai mariage, sinon le tout sera civil. Je vais même regarder aux bagues de fiançailles et les robes de mariées. Samedi j'y retourne avec France, ma future femme. Dans un monde de bureaucratie, il fait employer tous les moyens pour contourner les lois. Une entreprise n'arrivera jamais au sommet sans cette incroyable capacité de contourner les lois. C'est implicite, c'est dans la Constitution. Je vais rester à Londres et je vais m'assurer un avenir en Europe. Mes seules chaînes étant Sébastien et ma famille. Ainsi je n'ai aucune chaîne. Ma seule question est, va-t-elle m'emporter un mois de mars débouchant dans le mois d'avril d'enfer ? Ce pourrait bien être ma pire erreur, la chose que je n'aurais jamais dû faire. Eh bien, il faut être prêt aux risques et je ne crois pas que ce puisse être si terrible. Mais  sa motivation est celle de soutirer de l'argent à la ville, avoir son propre appartement avec deux chambres, tous frais payés et louer la deuxième chambre à quelqu'un d'autres. Ainsi se faire de l'argent sur le dos des contribuables. Je n'irais jamais jusque là et je crois même que cela ne fonctionnera pas. Mais c'est sa motivation et je la respecte. D'autant plus que cela est suffisamment gros qu'elle ne se désistera pas une journée avant le mariage. C'est beaucoup d'argent de perdu, ma nouvelle carte de crédit Star Trek de la Bank of Scotland va amortir le choc de mon porte-monnaie, rendre le mariage possible, je n'aurai qu'à vivre avec mes dettes ensuite. Mais 1250 livres de plus à tout ce que je dois, qu'est-ce que c'est ? Ce que j'aime, c'est qu'elle est française. Elle veut porter mon nom. Elle porte même le nom de la France. Elle a son domicile en Normandie. Je crois bien qu'elle du sexe féminin, mais je ne pourrai jamais confirmer ce fait de façon certaine. Mais sincèrement, je crois qu'elle a le cœur à la bonne place et que ses problèmes de drogues ne sont pas vraiment des problèmes majeurs. Tout devrait bien aller.

 

          Voilà, je suis au bout du rouleau. Le mariage a eu lieu voilà à peine quatre jours que ma femme m’a déjà menacé trois fois de courir à l’ambassade de France pour annuler notre union. Ne fais pas la folle que je lui ai dit, nous avons fait quelque chose d’illégal et tu seras dans le trouble. La première erreur c’est d’avoir aveuglément signé mon nom pour avoir un compte de banque conjoint avec son compte de banque avec la Barclays. Or, soyons réaliste, son solde est à moins 600 livres et la banque lui a redemandé sa carte et son carnet de chèque. J’ai signé, pour aller annuler le lendemain. Pour me justifier j’ai dû inventer une histoire de fou comme quoi ma banque au Canada me demandait 1250 livres tout de suite pour remboursement de mes études depuis janvier. Ensuite j’ai abordé la question des impôts sur le revenu. Je ne veux pas de compte jumelé où je perdrais tout car partagé entre l’épouse et le mari. Ce fut la crise ! Et puis le pire c’est que pour justifier mes décisions j’ai dû lui dire que je faisais face à la faillite. Qu’il me faudrait signer tous les papiers. Mais ça l’a effrayée plus que tout car soudainement elle ne voyait plus comment elle aurait son visa, car il est impossible qu’elle ait un quelconque visa ou que moi je puisse demeurer en Europe si un des deux reçoit de l’aide financière à n’importe quel niveau ou qu’il a des problèmes d’argent. Ainsi ce mariage est totalement inutile puisque qu’il est impossible de prouver qu’elle puisse me soutenir si je perdais mon emploi. Ainsi je dois reposer mes espoirs sur ce visa de travail que ma compagnie m’a promis, mais ça n’a pas l’air qu’ils font quelque chose, d’autant plus qu’ils savent que je suis marié avec elle et qu’ils ont l’impression que le reste se fait tout automatique. Le problème avec toute cette merde du mariage c’est qu’il me faut toute sa coopération et que cette coopération, elle ne peut même pas me la garantir. Au contraire, elle me menace sans cesse de tout dénoncer et je la crois capable de le faire si cela signifie qu’elle vont te la parachuter en France en même temps qu’ils vont m’emporter à l’aéroport d’Heathrow pour me catapulter sur un avion d’Air Canada (et encore, ce sera un de ces avions pour groupes étudiants qui ne coûtent rien mais dont à chaque voyage l’avion perds des morceaux). Sans  compter que Stephen, avec son contrat d’Halifax (une sorte de banque qui fait encore des millions sur le dos de tout le monde), il lui est impossible de sous-louer et même d’avoir quelqu’un d’autre qui habite la place et paye. Ainsi c’est sa place mais il ne peut rien faire. La seule solution c’est de trouver un appartement à deux chambres où elle habiterait et sous-louerait l’autre chambre, mais tout cela coûterait au-dessus de 1500 livres avec les dépôts. Avant de déclarer ce mariage une faillite, je crois qu’il me faut laisser le tout reposer et voir plus tard ce que cela emmènera. Pour l’instant, dans moins de trois heures et demie il y a un livre à Montréal qui sera lancé avec huit pages que j’ai écrites. C’est ma première publication, la première fois que le public entendra parler de moi. Je devrais m’en réjouir, mais au contraire j’ai l’impression que ça va mourir là et que dans le fond c’est plus une honte qu’autre chose. Parce que c’est le livre complet qui devrait être publié et tous mes autres livres qui devraient être lus par d’autre monde que les comités de lecture de ces maisons d’éditions. Sincèrement je suis convaincu que je n’aurais aucun feed-back de cette publication, puisque personne n’a jamais entendu parler de ce magazine-livre déjà sur le marché depuis deux ans, je crois, et que finalement, qui lit ces foutaises ? J’aimerais croire que ce sera là le début d’une grande carrière d’écrivain, que les gens appelleront pour en savoir plus sur mon compte, voudront lire le livre, qu’ils décideront de publier le livre au complet et que voilà, une étoile est née exactement comme Rimbaud est né après la publication de quelques poèmes envoyé par Verlaine à un magazine. Mais franchement, ça relèverait du miracle. D’autant plus que pour un Rimbaud découvert, il y en mille autres qui meurt dans le silence absolu. Même s’ils ont écrit une douzaine de livres comme moi.

 

         

          Je sens qu’aujourd’hui sera une journée terrible avec Stephen. Je suis pratiquement enragé moi-même et lui ne sait plus contrôler ses humeurs. Lundi passé a été un désastre, il m’a fallu aller marcher dans le parc après lui avoir dit que je déménagerais bientôt hors de son appartement. Il me reproche tous ses problèmes d’argent en premier lieu l’épicerie et donc le fait que l’on mange trop. Pendant que je croyais que l’histoire de trop manger ne tenait qu’à l’argent, je comprends maintenant que son problème est que je suis gros et qu’il n’a jamais eu un copain gros dans le passé. Il a toujours eu ces grands minces avec un beau petit nombril de bébé qui ressort comme une bille sur la bedaine au duvet blondinet. Tabarnaaaaaaaaaaaaack ! Moins bien sûr j’ai deux petites boules de quilles de chaque côté et bien que ce ne soit pas critique et que je ne paraisse pas si gros, il est vrai que sexuellement ça manque d’attirance. Surtout si on a été habitué à tous ces beaux minces veloutés drogués à pleine capacité, ce qui explique une certaine ligne du corps. Bon Dieu, parfois je me demande si je ne suis pas avec Stephen justement parce que je croyais qu’un homme de 37 ans, avec une petite bedaine lui-même, ne pourrait refuser un jeune de 24 ans pétillant de santé. Or, il ne me montre pas la porte, mais il me fait fuir inconsciemment par tous les moyens. Il me met à la diète, mais lui continue à manger du chocolat et des Pop Corn dans ma face. Il m’interdit de cuisiner et me fait des crises, mais il ne se passe pas deux jours avant qu’il ne me demande de cuisiner quelque chose. Il voudrait aller au sauna tous les lundis alors que je travaille, mais je n’aime pas cette idée. Alors il y va tout de même mais ne me le dit plus. Comme il dit, il ne me ment pas, il fait juste ne pas divulguer volontairement les informations. Il est toujours de mauvaise humeur et j’en suis au point où tout ce qu’il dit je dois dire, oui maître, et embarquer dans ses projets tout aussitôt. Sinon c’est la crise pour le reste de la journée. Il y a une centaine de films et une centaine de pièces de théâtre que l’on pourrait aller voir ce soir à  Londres, eh bien celui-là choisirait Arnold Schwarzenegger et Marcel Marceau le clown français qui mime des choses aussi stupides que quelqu’un qui chie sur les toilettes. Mon Dieu, qu’est-ce que je vais faire de lui ? D’autant plus que c’est également clair que si je le laisse, c’est sa crise existentielle que je lui donne. Il a mis deux ans à se remettre de la fin de sa relation avec Douglas, il a même fuit jusqu’au Maroc pour oublier, là où il a rencontré Melissa et qu’ils ont commencé à vivre comme des défoncés. Or, il m’affirme que je suis son meilleur copain, qu’avec moi c’est le meilleur sexe qu’il n’a jamais eu et qu’il n’a jamais autant aimé quelqu’un comme il m’aime. Je pourrais rejeter tout ça en bloc, mais comment pourrait-il mentir sur cela et soudainement, sur tout autre sujet délicat, ne veut plus répondre plutôt que de mentir, cherche à changer le sujet ou à me faire comprendre qu’il vaut mieux ne pas en parler. D’autant plus que je suis parti quelques mois en Belgique et Monsieur est devenu un véritable alcoolique, à la Vodka en plus. Et puis, il a peut-être eu des bedons en velours satiné, mais aujourd’hui il a tout de même 37 ans le cancrelat, il peut tout de même pas être si exigeant et en même temps se foutre de son image personnelle. J’ai bien l’impression que ça achève cette histoire. Je n’en peux plus de supporter sa mauvaise humeur, son indifférence (il me refuse maintenant l’affection que je demande en permanence), ses caprices d’homme qui était riche, célibataire qui a droit à tout et ses idées de ce qu’est d'avoir du bon temps. Je suis debout à 5h30 ce matin parce qu’hier, après qu’il m’ait lancé tout ça en pleine face, et la diète forcée et tout, j’ai fumé deux paquets de cigarettes en entier. Alors ce matin je toussais comme un malade vers 5h et Stephen m’a forcé à quitter le lit. Lorsque je suis revenu chercher quelque chose de plus chaud à mettre sur mon dos, il avait un air un rien plus mielleux. J’aimerais bien que les gens, plutôt que de regretter et de vivre dans la culpabilité le reste de leurs jours, réfléchissent deux petites minutes avant d’agir. Je ne veux pas des parents et des amis qui vivent dans la culpabilité pour ce qu’ils m’ont fait ou justement pas fait, mais je voudrais un peu de compréhension et d’acceptation. Parce qu’hier c’était la fête de Sébastien à Toronto et que celui-là je l’avais oublié complètement (son anniversaire). On se parlait comme si on sortait encore ensemble, même si on a été séparé depuis un an et demi. On parlait de projets de revenir ensemble, ce que je ne récuse pas, mais m’acceptera-t-il plus qu’avant ou il deviendra exactement le monstre que Stephen est en ce moment ? Et si je regarde autour de moi, les autres couples, tout le monde argumentent et viennent qu’à ne plus s’entendre. Ce n’est donc pas moi, c’est un fait humain. Parfois je me demande si je ne devrais pas apprendre à vivre seul, du moins pour quelque temps. Mais ça aussi c’est difficile et parfois fatal. Sébastien regrettait surtout la période où j’étais moi-même à Toronto. Le salaud, je peux comprendre. J’étais là pour lui, au-dessus de deux mois, et il se forçait pour me voir, moins d’une fois par semaine. Je ne pouvais même pas lui prendre la main, il évitait que l’on se retrouve seuls quelque part, il ne voulait même pas me voir plus de deux heures. Et Dieu que ces deux heures étaient souffrantes. Mais ensuite, je crois que c’était encore pire. Je sombrais dans un tourbillon, perdu dans Toronto à me demander ce que j’allais faire de ma vie, et si ça en valait encore la peine. Faut-il encore mentionner que je vivais sans argent et que plusieurs jours je ne mangeais pas, et que malgré mes insistances pour qu’il m’aide, me dépanne de deux dollars, il refusait obstinément alors qu je venais juste de lui rembourser 2000 dollars que je lui devais, argent de mon prêt étudiant ? Quelle sorte de monstre est capable de tant d’atrocités ? Oh, bien sûr qu’il y a toujours moyen de tout déformer hors contexte, il n’est pas si pire, et certainement pas un monstre. Il a un cœur, il était mon gros toutou que j’ai aimé pendant quatre ans et que j’aime encore, malgré tout. Il faut comprendre sa situation (et quand je pense en plus qu’il a dépanné son ami Richard de 100 ou 200 dollars alors que je ne demandais que deux dollars pour m’acheter un pain...) vaut mieux enterrer tout cela derrière. Les relations avec autrui sont très difficiles, si difficiles que je me demande parfois comment le tout peut encore fonctionner dans une illusion de tranquillité. Je me surprends que le tout n’éclate pas dans l’atmosphère avec toute cette tension prête à sauter n’importe quand. Maintenant je vais aller prendre un bain. Stephen se lèvera bientôt et demandera pour aller à la piscine. Or, je suis déjà de mauvaise humeur et la piscine ça ne me tente pas. Ainsi va commencer notre journée d’enfer et Dieu seul sait où elle se terminera.  

 

 

          Comme c’est drôle qu’une administration si grasse que peut être l’immigration anglaise soit incapable d’agir pendant un an pour me donner un visa et que pendant cette année je suis prisonnier de ce pays, sans passeport pour entrer et sortir et que soudainement, après m’avoir dit que si je voulais ravoir mon passeport en annulant toutes les procédures, je n’avais qu’à leur confirmer par écrit et que le lendemain j’aurais mon passeport, comme c’est drôle que soudainement ils aient parler avec ma femme et que, même sans confirmer quoi que ce soit par écrit, la femme m’a tout renvoyé. Je dis que France lui a confirmé qu’elle voulait tout annuler et qu’elle m’a bien joué la salope. Ainsi je n’ai plus le choix, je pars pour le Canada dans un mois et je risque gros de ne plus être capable de revenir. Ce sera à l’aéroport de Gatwick que l’on signera mon arrêt de mort ou à l’Ambassade anglaise au Canada où l’on refusera de me donner le visa de famille nécessaire pour que je revienne au pays. Comme c’est drôle également qu’ils aient appelé France et que je ne sois pas au travail aujourd’hui pour avoir répondu au téléphone à sa place. C’est plus la destinée qui me pousse vers le Canada que mes actions. Il faut que j’y aille, c’est certain, mais j’ignore pourquoi et j’ignore même s’il s’agit de mes propres intérêts ou ceux d’autrui. Sans mariage, je n’aurais pu rester à Londres jusqu’à maintenant, je n’aurais pas pu soudainement canceller la demande du visa de famille et je n’aurais pu revenir à Londres. Maintenant, je pourrai probablement revenir à Londres et attendre un visa de travail d’où je travaille. Voilà pourquoi je me demandais pourquoi il semblait si difficile de demeurer à Londres et que soudainement j’avais deux  chances d’y demeurer. Pourquoi deux moyens lorsqu’il ne m’en faut qu’un ? Parce que le premier me permettait d’aller au Canada et que le  second me permettait de demeurer au pays ensuite. La question maintenant c’est, que va-t-il arriver au Canada ? N’empêche que la  France s’enligne pour me causer bien du trouble avec cette annulation du mariage et que j’ignore où cela nous conduira, même si ce sera possible de l’annuler. De  toute manière, je n’ai plus aucun intérêt en ce mariage, ce ne sera plus possible d’avoir un visa par la suite. Autant pouvoir terminer cette union sans trop verser de sang.

 

 

Salut François, je t’écris aujourd’hui parce que je me morfonds tout simplement dans la  chaleur de l’été londonien. Je ne sais plus quoi faire de ma vie alors que voilà pas longtemps, à travailler plein temps, j’étais tellement plus productif. Je devrais travailler à la traduction de mes textes, au moins l’Anarchiste, mais je n’ai  aucune motivation. Je devrais extirper de mon journal Mind The Gap et No Way Out pour suivre la tradition de l’Underground, puis les transposer en des romans ordinaires hétérosexuels comme ce qui a donné L’Attente de Paris, mais j’ai l’impression que c’est vain et inutile. Il me faudrait terminer ce stupide roman Le Box sur le Seven Dials à Londres, mais même si c’était publié, je n’en verrai pas l’intérêt. La seule chose qui me motivait encore, c’était d’écrire Éclectique dont j’ai déjà 70 pages (ce qui donne plus qu’une centaine de pages), à ce niveau d’habitude j’en vois la fin et j’y travaille tous les jours, mais cette fois-ci je  pense réellement à arrêter d’écrire complètement. Je suis prêt à reprendre un stupide emploi comme en marketing pour des conférences. Cette idée à elle seule me tue d’autant plus. Mais sinon, que faire ? Mes journées sont  absolument vides, alors que c’est ce que j’ai toujours souhaité. Peu importe ce qui se passe dans  ma  vie, j’ai l’impression de perdre mon  temps. Mais  voilà, comment est-il possible de perdre son temps ? Puisqu’il me  semble que nous soyons sur la terre justement juste pour passer le temps avant la mort. J’espère que ta pièce de théâtre va bien, que tu joues le bon rôle et que ce sera un succès. Moi je  semble incapable d’atteindre qui que ce soit et mes projets n’intéressent personne. J’ai, semble-t-il, déjà tout abandonné. Je me complais même à lire des livres de Star Trek et à regarder tous les épisodes à la télé, songeant que tout cela est tellement de travail et que le résultat est tellement futile que ça me décourage encore plus. Mon problème est peut-être celui d’être coincé à Londres, à attendre que Stephen revienne du travail, juste pour entendre ses lamentations et ses problèmes. Son stupide tempérament et ses reproches s’il s’avère qu’il n’y a plus de café, de lait, de beurre, d’œufs. Il est maintenant obsédé par l’argent  et la bouffe, on dirait qu’il faudrait que l’on arrête de manger. Sans compter qu’il m’arrive avec ses idées de fraudes où il pourrait se faire 60000 dollars du jour au lendemain  et que je lui reproche que s’il se ramasse en prison, ça n’aidera rien. Alors je me sens encore coupable de l’empêcher de  devenir riche. Sébastien m’a téléphoné hier, je ne suis pas certain si ce serait mieux avec lui. Il est encore bien centré sur lui-même et ses petits problèmes, mais il a son groupe de musique, il a son premier concert rock-punk bientôt et je suis convaincu que du jour au lendemain il signera un contrat et deviendra automatiquement riche et reconnu. Alors pourquoi ne suis-je pas avec lui ? La vie serait peut-être tout aussi pénible même s’il était riche. Puis il a ce copain d’Hamilton qui le fait marcher et souffrir. Il est en amour le pauvre con, davantage qu’il ne l’a jamais été avec moi. Il pleure, le con. Tu penses que ça ne me fait pas chier ? L’autre, Andy, semble l’utiliser juste lorsque soudainement il est en manque de sexe et que Sébastien par hasard a encore loué une voiture pour aller le rejoindre à une heure de Toronto. Pendant ce temps j’ai les papiers pour m’inscrire dans une université londonienne, Birbeck College, et faire ma maîtrise à temps partiel pendant deux ans. Mais ça, c’est encore pire  que tout ce que tu peux imaginer. Non seulement ça me coûtera près de 3000 dollars par année (12,000 $ à temps plein), mais le formulaire d’inscription est bourré d’embûches qui semblent non seulement faire tout leurs pouvoir pour que je ne puisse m’inscrire, mais un coup inscrit, je risque d’être balayé du jour au lendemain peu importe si j’ai payé. Je dois prouver que j’ai un visa de travail pour étudier  à temps partiel, ce que je n’ai pas, depuis que France a sacré le camp en France sans laisser d’adresse ni de numéro de téléphone, me laissant seul avec l’impossibilité de travailler et même de rester à Londres. Sans compter que je ne sais plus ce qui se passe avec l’annulation du mariage ou le divorce, encore moins si elle n’a pas l’intention de mettre mon nom comme père de son enfant. En plus, l’Université demande que je travaille à temps  plein, sinon, impossible d’étudier à temps partiel. Quelle connerie ! Maintenant, pour payer pour une éducation, il faut remplir des exigences tout à fait impossibles ! Je ne travailler pas, je ne sais même  pas si je peux travailler et j’ignore si je pourrais même trouver du travail. Ce  projet est une faillite  complète. Je me demande pourquoi je voudrais me donner tant de mal pour un diplôme que je n’aurai jamais. Et tu imagines ces  heures de classes à ronfler pendant qu’un professeur radote la  vie  d’André  Gide pour demander ensuite un travail de 25 pages chaque semaine et des examens de trois heures  et puis quoi encore ? Tout ça me rend malade. Mais tout me rend malade. Seul Jonquière pourrait me revigorer un peu, mais j’ai déjà tenté l’expérience, après trois mois l’an passé, j’étais prêt à repartir pour Tombouctou ou la Sibérie. C’est simple, peut importe où je vis, peu importe ce que je fais, peu importe la situation mondiale, je n’ai plus aucune motivation. N’as-tu pas une lueur d’espoir à me donner ? Une drogue peut-être ? Je suis prêt à tout.

 

 

          Je suis si découragé de cette vie de misère. Incapable de trouver un emploi depuis un mois et demi, avec de mauvaises perspectives pour mon visa et des études de deux ans pour une maîtrise dont je suis certain de ne pouvoir accomplir après avoir payer les yeux de la tête. Et Stephen. Stephen qui semble répéter les mêmes erreurs que dans son passé, je ne suis que le double de ce Douglas qui l’a tant affecté. Aujourd’hui j’ai sauté dans les lettres qu’il a écrites à Stephen voilà quatre ans. Je n’ai plus le choix de tenter de voir plus loin dans le passé de Stephen car ce n’est plus moi qui pourra régler ses problèmes avec l’enfer du quotidien. C’est enfermé dans son passé dont il ne veut rien me révéler. J’ai vu des photos effrayantes de fêtes où il était complètement hors de sa tête, drogué à pleine capacité. Son petit Douglas de 19 ans qu’il a tenté par tous les moyens de freiner dans son avènement dans le monde, après lui avoir offert une brochette d’amis avec qui le pauvre a appris à prendre des drogues et à vivre dans les clubs. Le jeune me ressemblait, exactement né en 1972 comme moi, un peu moins expérimenté que moi peut-être, de son propre aveu. C’est que hier nous sommes allés au pub du vendredi, le Town Wharf à Isleworth, et son copain Charles avait de la cocaïne, et Stephen aussi. Ainsi de ma perspective je n’aurais rien su si Elizabeth ne m’avait pas dit comme cela que son copain Philip était dans les toilettes à sniffer une ligne. Il était clair dans ma tête que Stephen en avait pris aussi et au retour à l’appartement je lui ai dit : alors, c’était bien la coke ce soir ? Il n’a pas nié pour la simple raison qu’il croyait que quelqu’un me l’avait dit. J’ai fais une crise monumentale que je ne regrette pas. Il ne se débarrassera pas de son passé d’alcoolique et de drogué pour moi, mais malheureusement, s’il ne comprend pas maintenant, je disparaîtrai et sa peine d’amour durera aussi longtemps que celle qu’il a subie pendant deux ans à cause de Douglas d’Uxbridge. Qu’il prenne une sacrée sniffé de coke n’est pas le point de notre discussion, mais qu’il me mente, fasse cela dans mon dos, alors que je suis le seul à l’ignorer, j’ai l’impression d’être trahis, et maintenant je regarde dans le passé et une seule question me parvient : combien de fois il était sur la drogue sans me l’avoir dit alors que tout le monde le savait mais que tout le monde avait été averti de ne rien me dire ? Je suis un con, un naïf de premier ordre, ridiculisé au maximum par mes opinions sur les drogues. Alors je l’ai menacé de sacrer le camp, que je ne pouvais plus lui faire confiance parce que à chaque fois que l’on va se retrouver avec ses amis, ses petits jeux vont recommencer et je serai encore le dindon de la farce. Mais je vois clair, rien ne changera. C’est à moi de l’accepter et à continuer de vivre ma vie comme si rien n’était. Ou alors trouver ce foutu emploi et déguerpir pour le laisser sombrer dans la Vodka et probablement les drogues, de désespoir. Il faut dire qu’il ne m’aide pas. Si Douglas semblait plutôt frigide au lit et Stephen toujours prêt à faire l’amour, avec moi c’est un peu différent. Je supplie pour un peu d’affection et dois attendre une éternité pour enfin faire l’amour. Il me faut lui tordre le bras et je n’en peux plus. Ses sautes d’humeur par ce que ça va mal au travail, ça non plus je ne puis plus le supporter. Ne manqueraient plus que les reproches parce que je ne travaille pas et ça c’est déjà là sur la toile de fond. C’est qu’il ne peut pas trop paniquer, je cherche comme un malade, à plus de deux entrevues par jour depuis un mois et demi. Il va arriver bientôt de sa journée à l’aéroport et j’ignore comment agir. Continuer mes jeux et le repousser de la main ? Ou bien être affectif et de lui pardonner ? En fait, je voudrais bien être indifférent. C’est ses damnés problèmes au travail qui le pousse dans les drogues et l’alcool et moi je ne pourrai pas supporter cela trop longtemps. Voilà pourquoi pour la première fois en un an et demi j’ai enfin ouvert un tiroir pour lire ses lettres (il y avait un vrai gros coffre au trésor dans l’armoire que j’ai ouvert également, mais malheureusement pour moi il n’y avait là que des livres sur les lézards et les hamsters). J’ai appris que Stephen a menacé d’envoyer les Dogs après Douglas s’il ne lui remboursait pas l’argent qu’il lui devait (drogues peut-être ?) Les Dogs sont ses amis de la maffia de Feltham/Hanworth qui en ont envoyé plus d’un à l’hôpital dans un piteux état, la fin d’une vie, d’une carrière, d’une famille. C’est ça les Dogs, et Stephen les a envoyés pour un autre de leur ami et Douglas croyait fermement que si Stephen avait osé faire ça à cet homme, il oserait certainement faire cela à lui-même. Qu’est-ce que ça me fait d’apprendre cela ? Douglas, dans chaque lettre, mentionnait qu’il le paierait le plus tôt possible, une somme de 186 livres. Quoi ? 186 livres ! Stephen allait détruire sa vie pour un montant aussi ridicule ? Je dois bien davantage à Stephen depuis quelques mois déjà, il n’a jamais utilisé ses menaces encore pour la simple raison que je suis encore là dans son lit, alors qu’avec Douglas c’est le sexe qui manquait. Douglas s’était tapé de fraîches jeunes filles et Stephen ne l’aurait pas digéré. Je vis avec un monstre ! Et le monstre revient du travail et je dois prétendre que tout va bien ! Il m’a portant offert un briquet Dunhill de 370 livres pour mes 25 ans, il l’a gagné à Noël, alors ça perd sa signification. Je pense d’ailleurs à le vendre pour une centaine de livres sur le marché noir... non, je blague. Mais je pourrais bien en arriver là un jour, tout vendre, avec ma montre de 875 livres et mon imprimante de 1000 livres pour disparaître loin d’ici à la sauvette avant que l’on ne me retrouve mort dans mon sommeil. Et encore, fuir sera mon arrêt de mort, il va m’envoyer ses Dogs peu importe où je suis. La maffia est une organisation interplanétaire aujourd’hui, où l’on se rend service d’un coin du monde à l’autre par purs principes incompréhensibles à autrui. Eh bien moi, ses Dogs, je les recevrai à bras ouverts, ils me déchireront le trou du cul, les tripes, la gorge, et s’ils me dévisagent, je porterai à jamais la marque de ce qu’est la réalité dans ce bas monde. Et cela ne sera rien en comparaison de la conscience de Stephen, que je torturerai pendant des années après coup. Mais a-t-il seulement une conscience ? Mes armes ont toujours été les mots et j’ai toujours eu confiance en le Verbe, il n’y a rien de plus puissant. Même s’il sert à fabriquer et à façonner de nouvelles consciences. Les erreurs argumentatives, c’est mon point fort. Je sais comment tout tourner à mon avantage, même lorsque je suis tout à fait en dehors du sujet. Je ferais un trop bon politicien, on m’enverrait les Dogs pour m’intimider et encore, je dénoncerais le tout, que ça se sache tout ce qui se passe dans les coulisses du théâtre ! Je suis un redoutable adversaire, car ce que j’ai à perdre, pour ce que cela vaut, je suis prêt à le perdre. Je ne reçois que des menaces de partout, surtout des gouvernements, alors je ne m’en fais point, tout cela me semble bien naturel dans la jungle. Je ne suis pas le plus fort, je ne serai jamais le plus fort, mais je causerai des dommages avant de sombrer et j’éclairerai de nouvelles voies à suivre. Sinon j’éclaircirai les manigances d’autrui, si l’opinion publique existe encore et la volonté d’une révolte, alors il existe peut-être encore un petit espoir.

         

 

          Qui eut cru que ça prenait trois mois à trouver un emploi. Chaque jour j’envoie six lettres, j’ai des entrevues tous les jours depuis deux mois, parfois deux par jour, et il existe toujours un problème. Le plus souvent est que j’ai des aptitudes, non pas d’expérience. Ils pensent que je m’ennuierais trop vite et que six mois plus tard ils devront me remplacer. Bande de cons, d’habitude c’est le contraire, je suis trop crétin pour être employé. Si j’avais mis autant d’énergie à être publié, je serais certainement publié à l’heure actuelle. Mais c’est Stephen mon vrai problème. L’argent pour ne pas en dire plus. Il n’est pas heureux au travail et maintenant c’est la crise en permanence. Il m’accuse à tort de toute sorte de chose, je ne sais plus où donner de la tête. C’est Sleeping with my ennemy revisité. Ce film avec Julia Roberts qui vit avec un maniaque de la propreté qui veut que tout soit plus qu’en ordre. Chaque objet à sa place, chaque canne de soupe rangée, tout éclatant de propreté. Je travaille comme un malade, mais ce n’est jamais suffisant. Il trouvera toujours un détail pour que la crise éclate parce que le problème est ailleurs. Malheureusement il ne sait pas le voir. La semaine passée j’étais prêt à quitter l’appartement, hier je suis parti trois heures à l’avance pour une entrevue dans le Canary Wharf parce que je n’en pouvais plus de le supporter. Maintenant j’ai passer la balayeuse, repasser les chemises, je vais nettoyer la salle de bain de bord en bord puis je vais travailler à envoyer des CV aussitôt qu’il rentrera. Tout pour qu’il ne trouve rien à me reprocher, surtout pas l’idée que je n’ai rien foutu de la journée, d’autant plus que j’ai eu deux entrevues aujourd’hui, pour BSI, the British Standards Institution. Hier c’était SMi Conférences dans de luxueux bureaux genre taverne juste à côté du Tower Bridge et du Tower of London, alors que ça me prendrait une heure trente pour arriver au travail chaque jour, dont trente minutes de marche pour arriver à la station de train et de marcher à l’autre bout jusqu’à Concordia Wharf. Eh bien, avec tout cet accomplissement qui a commencé à 7h20 ce matin, l’heure où il part et que j’attends avant de me lever pour l’éviter, il reviendra en crise du travail et me reprochera mille et une choses. Malgré toute ma prévoyance, c’est tout inutile. Peut-on vivre ainsi ? Avant je me sentais coupable, maintenant j’en suis à m’insurger contre l’ennemi. Bon Dieu, ce n’est pas comme si je n’essayais pas de trouver de l’emploi, je vais tout ce que je peux. Mais il est en train de tout détruire, je le déteste encore plus que Sébastien lors de nos derniers jours à Londres. Il est toujours grincheux et il m’est impossible d’avoir de l’affection, sans mentionner que l’on ne fait plus l’amour. Pourtant s’il me perd, ce sera la fin du monde pour lui, si j’en crois mono expérience passée. La question maintenant c’est, même si je trouve un emploi, ¸a prendra du temps avoir d’être enfin payé une fois et peut-être même qu’il ne changera pas ? Les crises que l’on a aujourd’hui, nous les avions également lorsque je travaillais, mais moins souvent. Je dois être prêt à m’inventer une raison pour sortir de l’appartement ce soir lorsqu’il reviendra. J’irai prendre un café si je puis trouver la livre nécessaire pour ce café. Mon Dieu, que faire ? J’ai même gratté le bain en entier, le lavabo, les robinets, j’y ai passé  trois heures. Le verra-t-il ? Cela  changera-t-il quelque chose ? J’en doute.

 

 

Bonjour tout le monde,

 

          Cette lettre n’est pas personnalisée parce que le temps me manque énormément. Où suis-je,  que fais-je, que se passe-t-il dans ma vie ? Voilà ce que je vais tenter de répondre. Ça fait probablement longtemps que l’on ne s’est pas parlé, c’est que je suis toujours à Londres et qu’il semblerait que je pourrai y demeurer au-delà de l’expiration de mon visa dans trois mois. En effet, ma compagnie est en train de remplir les formulaires pour un visa de travail et je me marie le 4 avril prochain. Je vis encore à Isleworth avec Stephen, près de l’aéroport d’Heathrow, et je vais travailler chaque jour en train jusqu’à Victoria. Voilà pour l’introduction, les détails sur ma vie suivent.

 

Mes études en France

 

          Après le désastre de mes études en France dû au fait d’un décalage entre les institutions françaises et canadiennes, je suis parti, comme plusieurs le savent déjà, à Londres. Je dirais qu’il m’était impossible d’apprendre le latin de A jusqu’à Z au niveau de professionnalisme qu’ils me demandaient, cela, en moins de 10 mois. Non plus j’avais la capacité d’apprendre par cœur la grammaire entière de chaque siècle depuis le début de la grammaire, ni les différentes définitions que tous les mots du dictionnaire ont pris depuis avant Jules César. Ainsi j’aurais eu besoin d’une deuxième année, mais que voulez-vous, les lois d’immigration française sont si chiantes et les Français si chiants que j’étais bien content de quitter pour Londres. Je vivais à la Maison des Étudiants Canadiens, une bande de séparatistes mal placés qui étaient partis en guerre contre la directrice de la maison. Je vous jure que ça ne valait pas la peine de voir ce que sera la haute société de demain, car ils étaient tous en maîtrise ou au doctorat. Ma chambre par contre me semblait confortable. J’avais un lit simple avec un bureau sur lequel mon ordinateur et mon imprimante fonctionnaient à pleine capacité toute la journée. J’écrivais matin, soir et nuit, sans cesse. Et lorsque Sébastien est venu me rejoindre et que nous avons eu une plus grande chambre à l’avant du bâtiment, ma place de prédilection était devenue la librairie aux grandes fenêtres superbes qui donnent sur la terrasse de la Maison. Une vraie petite villa et toute la nuit la librairie m’appartenait. C’est dans la grande salle à côté qu’ils tenaient leur cinq à sept, là où j’ai été initié à la bière d’Alsace. Un petit goût terrible, en petite bouteille de 250 ml, mais qui avec le temps devient une obsession. Si l’on me croyait prétentieux, je puis vous garantir qu’à ces 5 à 7 on rencontre les cieux mêmes. La directrice, Mme Claudette Hould, est une femme charmante. Elle est mariée à un homme riche d’Outremont et ils ont de la classe. Ils accomplissent un peu le rôle d’ambassadeur québécois et eux aussi ils sont séparatistes, bien qu’au moins ils aient une tête sur les épaules et que leurs intérêts soient davantage justifiés que ceux des étudiants qui, à force de vivre dans leur petite chambre, arrivent à ne plus voir clair et à ne plus se comprendre. Sébastien a donné son premier concert de piano dans la grande salle, sur un Steinway qui a été donné par l’Ambassade du Canada. Mlle Anne Hébert, l’auteure célèbre qui est devenue notre grande amie après que j’aie été au lancement de son livre, est venue au concert et on a terminé la soirée au Champagne dans les appartements de la Directrice. Et puis Paris a son charme que Londres n’a pas, le cœur m’en souffre chaque fois que j’y marche dans son architecture, ou que je prends le métropolitain pour me rendre à Saint-Michel. Je n’exclus certes pas la possibilité d’y vivre un jour et mon mariage avec France va me permettre cette alliance avec Paris, tout comme elle aura la chance de vivre au Canada un jour. Je dois avouer que la misère dans laquelle je vivais à Paris, me la fait détester, malgré les deux romans que j’ai écrits pendant que j’y étais, en m’inspirant des Jardins du Luxembourg et du Parc Montsouris, deux merveilles en soi. Je n’avais pas suffisamment d’argent et la faillite dans mes études me rongeait l’estomac au point où j’ai cru en mourir plusieurs fois tôt le matin où je me réveillais en crise. C’est que j’ai en moi ancré l’idée de la réussite que mon père a su si bien implanter en moi et qu’il regretterait certes aujourd’hui cette obstination si j’avais mis à exécution mes idées de suicide. Ma sœur au moins a réussi et j’ose croire qu’elle est heureuse, bien que j’aie la certitude que d’être ingénieure ne l’a pas rendu plus heureuse. Elle est aussi atteinte de cette maladie de réussite. Enfin, tout est bien qui finit bien et aujourd’hui je vois une lueur à l’horizon. Je réussirai dans l’écriture et n’ayant que 24 ans, j’ai encore beaucoup de temps devant moi.

 

 

Mon premier séjour à Londres

 

          Londres était encore mieux que tout ce que j’avais espéré. Totalement différent que les sites touristiques que j’avais vite visité à mon premier voyage en 1990. J’y vivais, j’y respirais, j’y rencontrais du monde, j’y avais mon appartement et mon adresse faisait sonner les cloches dans mes oreilles. Ce n’était plus 29 boul. Jourdan, 75014 Paris, mais 29 Marble House, Elgin Avenue, Maida Vale, London, W9. J’y vivais heureux avec Sébastien et un colocataire qui venait de Wales. Je travaillais à l’aéroport d’Heathrow dans un WHSmith avec une bande de jeunes branchés qui riaient et s’amusaient toute la journée. Certains de nos patrons étaient terribles, mais en fin de compte tout s’arrangeait. Je travaillais dans six branches différentes, Air Side ou Land Side. C’est-à-dire avant et après les douanes. Je rencontrais des touristes du monde entier, qui parlaient toutes les langues du monde et payaient avec 36 différentes monnaies étrangères. Ma place privilégiée était aux arrivées du Terminal 4 où je travaillais souvent seul le soir. Tellement d’événements sont survenus, il me serait impossible de tous les décrire ici. Des histoires de vol d’au-dessus de 250 livres où tout le monde était accusé, même moi, des alertes à la bombe où on a retrouvé cinq bombes non explosées dans le plafond du magasin central où je travaillais, des clients Indiens avec qui je me suis littéralement battus parce qu’ils prenaient leur air autoritaire affirmant que je n’étais qu’un enfant et qu’ils étaient mon père. Et puis quoi encore. Je me suis lié d’amitié avec quatre Indiennes d’Hounslow, toutes de la même famille, qui ont une personnalité extraordinaire. On a travaillé ensemble pendant plus d’un an et je me souviendrai toujours comment elles m’ont supporté dans ma détresse en tout temps. J’étais un parfait étranger, mais elles lisaient dans mon cœur et elles me connaissaient mieux que personne ne m’a connu. Elles m’auraient donné le monde et tout l’argent qu’elles possédaient et Dieu merci je n’ai eu besoin ni du monde ni de leur argent. Nous avons été voir KD Lang en concert à Wimbledon, à deux reprises, et ça aussi c’était émouvant. Il fallait nous voir courir dans l’Underground et sur les étages du stade. Et KD Lang est une fière canadienne, j’ai énormément de choses en commun avec elle et le végétarisme et l’Alberta où j’étais pendant un semestre lors de mes quinze ans sont les moindres. Parfois je m’asseyais à l’extérieur pour observer les gros avions de British Airways, l’univers d’un aéroport pourrait sembler stérile à certains, c’est vrai que c’est d’une propreté éclatante. D’autant plus que BAA considère ses aéroports comme des centres d’achats luxueux. Ainsi, entre Harrod’s, Dunhill et la maison du Caviar, un plancher miroir immaculé s’étend du comptoir 1 jusqu’au Concorde Lounge, où les Concordes volent vers Paris et John F. Kennedy Airport à New York. Semble tout désigné pour moi ces concordes, mais à cinq mille dollars le vol (et paraît que ça vaut la peine de payer ce prix selon les hôtesses) je ne crois pas que cela arrivera. Le grand manager, M. Hervey, était trop gentil. Mais il savait se faire respecter. Sheila, la décrépie, celle-là on l’avait dans notre poche. Elle n’avait même pas besoin d’avoir le dos tourné que déjà on arrêtait de placer les barres de chocolats de sur les étagères et on parlait de mille et une choses, comme des Îles de Madeira un peu au large du Portugal, là d’où venait une des filles. Une autre directrice faisait tellement chier que l’on a toujours cru qu’elle était dans ses  périodes 365 jours par année. Une vague ressemblance avec un dinosaure qui crache du feu nous est également venue à l’esprit pour la définir. Et la plus grosse, celle-là serait celle qui volait de l’argent depuis deux ans et qu’ils n’ont jamais été capables de prouver. Elle aurait même tenté de me faire accuser d’un vol assez impressionnant. Cela a ruiné mes derniers jours à Londres. Être sous investigation, se faire interroger trois fois par semaine par un inspecteur et l’avant-dernière journée sous surveillance évidente par deux inspecteurs. Mais enfin, ils ont bien dû se rendre compte que je n’avais rien à voir avec ces vols puisqu’ils m’ont repris quatre mois plus tard lorsque je suis revenu du Canada. Mais à cette époque j’avais Sébastien qui s’éloignait de moi et notre retour au Canada fut son retour à Ottawa puis à Toronto. Moi, à Jonquière.

 

Mon retour au Canada

 

          Je suis arrivé à Jonquière vidé complètement. Pour la première fois je pouvais faire un vrai bilan. Des études inutiles en littérature et en philosophie. Des sacrifices immenses à une littérature qui ne déboucherait jamais. Aucune expérience d’emploi, la dernière qui s’est terminée en fiasco monstre, comme si on était bien heureux de se débarrasser d’un voleur et enfin je me retrouvais seul. Comme Raymond à Toronto me l’a si bien fait comprendre, ma vie, sur les trois plans principaux, venait de prendre le bord. Je n’avais aucune sécurité financière, aucune stabilité de logement et une vie affective comme un trou noir qui aurait tout aspiré. Et  puis un retour à Jonquière avait pour moi toute la notion d’une régression, je croyais revenir en arrière, retourner au même point misérable où j’étais avant de partir étudier à Ottawa. Mais au contraire, je me retrouvais dans un nouveau Jonquière. Plus rien de ce que j’avais connu n'existait, tous mes amis étaient partis vers Montréal, je me suis donc fait de nouveaux amis et connu une région différente. La nouvelle maison de ma sœur était une nouveauté attirante et je m’y sentais chez  moi. Je ne crois pas qu’ils aient pu comprendre comment l’impeccabilité de cette maison et  la clarté a fait le ménage dans mon cerveau et m’a inspiré plusieurs pages. Mon père avait aussi une nouvelle maison et là aussi j’ai développé certaines familiarité avec les lieux qui aujourd’hui me rendent nostalgique. C’était la première fois en cinq ans où je pouvais enfin jouer de la musique très forte, de quoi faire sauter le quartier. Et jamais je n’aurais cru que cela puisse me manquer. La  maison de ma mère, cependant, c’est autre chose. C’est un endroit plus que privilégié pour moi parce que j’y ai grandi. Je me souviens de marcher dans la rue pendant que la neige tombait, il faisait si froid mais comme je n’avais pas expérimenté l’hiver depuis longtemps, c’était pour moi un plaisir immense. J’ai découvert que j’étais vraiment canadien et que l’hiver m’affectait positivement. Évidemment, c’est le printemps qui nous tue, car l’hiver, c’est bien beau, mais ça ne veut plus finir. Mais il y avait autre chose qui ne voulait pas s’éteindre. C’est mon désir de partir. Je me suis tellement ennuyé de Londres que c’est indescriptible. Chaque chanson m’y ramenait, chaque vidéo m’en présentait les images. Soudainement la crise des Beatles revenait, avec un nouveau vidéo-clip où on me montrait en entier mon existence des derniers mois. Et puis lorsque je suis tombé sur Duran Duran, The Chauffeur, et que je reconnais les images de Paddington où je vivais, c’en était trop. Tous les soirs je rêvais d’y repartir. Je n’arrivais pas à saisir pourquoi il était si impossible de repartir et même, comment j’avais réussi à y aller une première fois. Le tout me semblait comme un rêve qui peut-être n’était jamais survenu. Il s’agissait du résultat d’un enchaînement d’événements et bien sûr, tous les derniers événements m’emmenaient si loin d’un départ, j’étais déjà inscrit à l’Université de Chicoutimi et même que j’avais assisté à un cour d’une platitude extraordinaire où la seule chose dont je me souvienne c’est le  nom de l’auteur qu’on allait disséquer, un certain Roussel, un auteur raté qui a tout publié à compte d’auteur. Oh mon Dieu, je n’avais pas besoin de cela pour confirmer mon échec. Et puis je revenais de Londres, de Paris, d’Ottawa même, et voilà que j’étais à Chicoutimi avec des jeunes qui attendent encore une porte de sortie, qui espère un jour accomplir ce que moi je venais de terminer. Ainsi il ne semblait plus y avoir grand-chose au programme. J’étais au même point qu’eux, moins les espérances de partir pour la  France qui peuvent motiver quelqu’un. Ainsi, et j’ignore encore comment, j’ai réussi à partir pour New York.

 

Mon séjour à New York

 

          Qui a dit que la vie ne pouvait pas encore nous divertir ? Et si vous aviez la moindre idée comment tout cela était prévu et que rien n’a été laissé au hasard, parfois je me demande pourquoi toutes ces décisions ont  été si difficiles à prendre alors qu’il semblait si évident qu’il me fallait les  prendre, ou que j’allais les prendre. Le plan de mon roman, Denfert-Rochereau, avait été écrit une année avant. Là dedans j’avais Paris, Londres, Paris, Londres, Jonquière, New York et Londres à nouveau. C’était l’ordre dans lequel tous les événements allaient se développer. Or, je venais d’arriver à  Paris lorsque ce  plan a  été fait. Et toute ma  vie s’est organisée presque inconsciemment en fonction de ce roman. C’est un peu triste à dire, d’autant plus que le roman n’a pas remporté de grands succès auprès des éditeurs (il est vrai que je ne leur ai envoyé que les 25 premières pages et qu’il est inconcevable que je puisse payer pour leur envoyer davantage). Il est vrai que ce roman ne sortira  peut-être jamais de la mémoire de mon ordinateur et pire encore, tout cela ne semble qu’être du vent, que des petits points noirs sur un écran. Ce n’est pas un film, ni une peinture, ni un disque, ce n’est pas concret de prime abord. Ainsi ça semble vraiment désolant de voir une vie sacrifiée à l’avènement d’un roman ou deux. Un jour peut-être j’espère que je pourrai dire que tous ces sacrifices n’auront pas été vains, aujourd’hui je ne peux que pleurer et tenter de voir qu’il y a autre chose et que ma vie en a tout de même été changée. Lorsque je construis un roman, c’est moi que je construis, c’est moi que j’apprends à comprendre et c’est moi qui s’en retrouve grandi avec de nouvelles expériences et prêt à confronter la planète entière. Pas aux dépends des autres cependant, et je ne crois pas que je pourrai faire disparaître mon sentiment de culpabilité envers mon père, pour tout l’argent qu’il  m’a donné et que je compte bien lui rendre au double sinon au triple plus tard. Pour Sébastien, je ne lui dois plus rien. Je lui ai tout rendu jusqu’au dernier dollar et j’en suis bien heureux. Pour le Banque Royale du Canada et le gouvernement du Québec, eux ils peuvent aller au diable avec leur facture de 25 000 dollars pour des études insipides. J’ai vu en France un système assez impressionnant qui garanti un emploi à l’étudiant qui termine ses études. Et même que cet étudiant sera payé à rien faire si le gouvernement ne lui trouve rien. Et  les  études sont gratuites. En fait, bien qu’au début je croyais le système français et de  la Belgique totalement fou, sur tous les points de vue, sur chaque détail, j’ai appris à découvrir qu’ils ont raison sur tout. Les conditions de travail, les  lois, l’organisation de leurs institutions, leur immense bureaucratie, leurs bizarres coutumes, leur impossible système scolaire, leurs politiques intérieures, je crois que le Canada a beaucoup à apprendre des pays latins. Le Québec a peut-être gardé la langue, la littérature et la musique de ses ancêtres français, mais ça s’arrête là. Même en Angleterre c’est  général  et reconnu, la France fait toujours mieux, elle est meilleure à tous les points de vue et j’avoue qu’à un certain niveau ça fait chier. Parce qu’ils sont prétentieux et rejettent systématiquement toute notre façon de faire. De toute manière je ne suis pas prêt à dire qu’il faut adopter la manière de faire française, il est vrai que les résultats sont indiscutables, mais la fin ne devrait jamais justifier les moyens. Les études par exemple. Sans doute si j’avais été habitué à un tel régime dès mon enfance j’aurais pu accomplir quelque chose à l’Université, mais j’ai vu l’aliénation là-dedans. Des jeunes qui essayaient et réessayaient de réussir leur cours de grammaire depuis trois ans alors que seulement 20 % passeraient. Alors bien sûr que l’on produit des spécialistes qui connaissent tout de la littérature, mais qui ignore tout du reste et qui n’ont pas de vie sociale. Bien à eux s’ils peuvent se satisfaire de leurs titres. Enfin, je parlais de New York, retrouver mon ami Ed qui m’a fait découvrir un univers que je croyais n’avoir rien à m’apprendre après Paris et Londres. Au contraire, j’y ai développé des nostalgies très puissantes, que je ne croirais pas possible d’expérimenter à nouveau. Ce simple petit appartement sur la 88ième rue de Manhattan avait un parfum qui m’a inspiré plusieurs chapitres. Le thé à la vanille à lui seul y est pour quelque chose. Comme le shampoing aux pommes me ramènent sur Cambridge Street à Medicine Hat en Alberta (ne me demandez pas pourquoi). J’y ai vu des restaurants, des cafés, des amis, un Londonien entre autres qui allait me recevoir chez lui à Londres quelques mois plus tard. Drôle de coïncidence qu’il me fallait venir à New York pour provoquer le retour à Londres, ou le rendre possible. Ed m’a fait découvrir un livre qui a changé bien des chapitres dans Denfert-Rochereau et m’a permis de le terminer ou presque. The Celestine Prophecy de James Redfield. Non pas que j’accorde une grande croyance aux chapitres mêmes de ce livre, je dis simplement que ce ramassis d’informations trouvées un peu partout dans plusieurs livres de psychologie m’a nourrit amplement pour élaborer l’histoire de mon roman. Mais le plus beau de mon voyage à New York, c’est un petit restaurant sur la 10ième avenue, The Black Café, ou quelque chose du genre. J’y ai travaillé pendant quelque temps et j’y ai découvert deux employés avec qui j’ai partagé une expérience irremplaçable. Puis le patron et sa femme, ça valait le détour. L’homme faisait partie de la maffia et ses deux cuisiniers ne parlaient que l’espagnol. J’aurais donné cher pour savoir ce qui se tramait dans le sous-sol du restaurant, là où c’était interdit d’aller mais où le patron recevait énormément de gens. Sans même que l’on sache par où ils entraient et sortaient. La volonté d’acquérir de l’expérience, quand bien même l’inhibiteur serait d’écrire de la bonne littérature, je dois admettre que ça m’a rendu très fort. Si fort que je suis prêt à souffrir de vivre dans une simple chambre d’hôtel en décomposition avec aucun argent pour manger pendant des semaines juste pour la volonté d’acquérir toutes sortes d’expériences. Et en fin de compte, je ne souffre pas, c’est pour moi la seule façon d’être heureux. L’insécurité absolue, c’est pour moi, c’est mon tremplin vers l’Univers.

 

Mon premier séjour à Toronto

 

          Alors que je croyais retourner à Toronto pour Sébastien, c’est là où j’ai compris que la vie s’organisait très bien pour m’emmener là où elle croyait que c’était le mieux pour moi d’aller. À moins que tout simplement je sais profiter de toutes les circonstances et que c’est seulement lorsque l’on agit que tout se présente à nous. Encore faut-il pouvoir foncer, voir, découvrir et apprendre. Ainsi Sébastien a été un grand absent. Je ne l’ai point vu, enfin presque. J’ai plutôt découvert deux joyaux de la famille dont je dirais que la distance a préservé leurs qualités. J’ai renoué les liens avec la famille d’Italiens dont j’ai adoré les coutumes. On peut grincher un peu sur l’attitude incompréhensible de la famille de Rosario, moi j’ai su comprendre et apprécier. J’ai été initié à un univers dont je n’avais pas la conscience. J’ai rencontré la mère de Rosario et on a discuté de langage, de coutumes familiales, on a pris un verre de Cinzano ou quelque chose du genre et cela a eu pour moi une signification franchement spéciale. La mentalité italienne me semble ressembler à la mentalité juive et je pense que nous en tant que québécois nous sommes encore très loin de les comprendre. Puis j’ai eu de longues conversations avec Charlotte, et ça, c’est la rencontre de ma vie. Ne me demandez pas de quoi nous avons parlé, cela n’a pas d’importance, c’est tout l’effet de cette rencontre qui doit être pris en compte. Elle a lu Denfert-Rochereau, l’a pris comme quelque chose de concret, elle l’a vécu comme moi j’arrive à le vivre lorsque j’y suis et que je l’écris. Mon père a toujours eu une haute opinion de sa sœur Charlotte, ma mère l’adore, surtout que Charlotte a été son professeure lorsqu’elle était jeune, mais moi je n’avais jamais eu la chance d’être avec elle, de lui parler en profondeur, de comprendre bien des choses qui ne me seraient jamais venues à l’esprit. Et ça c’est essentiel non seulement pour les livres que j’écris mais aussi pour le développement de ma vie, que parfois j’ai un peu l’impression de considérer comme une construction. Je suis jeune, 24 ans, elle est une ou deux générations au-dessus de moi. Alors pour moi ça représente énormément de voir que je puis prendre toute son attention, avoir sa confiance et pouvoir apprendre d’elle. Et puis j’étais dans cette maison vingt ans auparavant, on avait été à Toronto alors que j’avais à peine 4 ou 5 ans. Eh bien, je ne reconnaissais pas la maison. Par contre, soudainement, comme un déclic, un flash, tout m’est revenu. Je me souvenais de tout, comme si c’était hier. Alors j’ai su apprécier à cet instant la redécouverte d’un lieu 20 ans plus tard. Alors que je croyais avoir fait la découverte d’une vie, voilà qu’il m’en tombe un second du ciel. Raymond, l’autre aîné de la famille. Avec lui, croyez-le ou non, je me suis amusé. Et j’ai découvert la vie torontoise, quelques-unes de ses amies et puis un tout nouvel univers. Comment décrire ce qui reste de ces rencontres. C’est un grand sentiment de nostalgie rempli de chaleur et de vie. Entouré d’une expérience complète, de vies qui ont été vécues loin du Lac-St-Jean et qui soudainement m’ont été transférées en l’instant d’un mois et demi. Partiellement sans doute, mais au moins c’est là et j’ai l’impression d’avoir partagé plusieurs années de leur vie. Prenez n’importe qui de votre entourage, allez prendre un café avec comme je l’ai fait avec Raymond ou que je le prenais dans le salon avec Charlotte, et je suis convaincu que vous ne pourriez comprendre l’effet que cela peut avoir. Mais je crois que cette nostalgie se retrouve chez Charlotte et Raymond, je crois qu’ils m’ont bien apprécié et qu’ils étaient désolés de me voir repartir pour Londres. J’ai bien aimé également mes deux petites chambres d’hôtel misérables à Toronto, même si la famille a eu de la misère à comprendre pourquoi je tenais à habiter là où l’action se passait. Il est bien de n’être dépendant de personne, de vivre dans son trou où l’on peut écrire et vivre selon ses propres lois. J’ai rarement eu cette chance, j’ai toujours habité chez les autres et je crois que c’est connu que je ne suis pas si facile à vivre avec. C’est que les gens sont habitués à vivre dans leurs petites habitudes et que moi j’ai les miennes également et que souvent le tout n’est pas compatible. Un jour sans doute j’aurai mon propre chez moi et je ferai mes propres lois et ce jour, j’ignore vraiment quand il sera. Peut-être plus vite que je ne le pense. Toronto a eu un autre effet sur moi, c’est Sébastien qui en est la cause. J’ai beaucoup souffert d’avoir perdu son amitié, que l’on puisse voir son meilleur ami, avec qui on a toujours tout partagé, soudainement nous ignorer totalement alors que l’on a franchi des océans et des pays entiers pour aller les rejoindre, cela peut sembler incompréhensible. Mais je vois aujourd’hui que je devenais un obstacle à sa carrière en musique. Qu’il devait se faire de nouveaux contacts et que maintenant il semble sur la bonne voie. Un jour peut-être vous entendrez ce qu’il est capable de créer et vous saurez qu’il y a beaucoup de moi là-dedans, à tous les niveaux. Nous sommes encore en contact, nous sommes encore bons amis aujourd’hui et nous comptons revenir ensemble un jour, en des temps plus appropriés. J’aurais pu retourner à Toronto voilà longtemps, mais ça ne m’a jamais semblé être le bon moment. En ce moment la vie évolue d’une façon bien différente. Me voilà Coordinateur en marketing avec possibilité de devenir directeur de marketing bientôt, marié et à Londres. Mais qui me dira quelle est la meilleure des évolutions ? Celle où je serai heureux sans doute. Le problème c’est que ce qui me rend heureux aujourd’hui, peut changer six mois plus tard. Il faudrait plutôt agir sur ce qui semble être approprié pour le moment en question.

 

Mon séjour à Granada (nord du Québec)

 

          Enfin, après ce premier séjour à Toronto, j’avais comme envie d’éviter un retour trop rapide vers Jonquière. J’étais déjà parti une fois, ça m’avait tellement pris de courage et de détermination (ce qui a été la plus difficile décision de ma vie, car lorsque tu as un papier d’acceptation pour une Université, tout le monde accepte ton départ. Même pour Londres, Sébastien avait un contrat pour travailler à la BNR à Maidenhead, alors on se sentait justifié d’y aller). Alors revenir trop rapidement allait me remettre dans la même position. Et puis j’avais le cerveau plein, en fusion absolu, de tous les derniers événements. C’est alors que je me lisais The Celestine Prophecy et l’idée d’une vie plus spirituelle. Alors, même si je n’avais jamais eu une quelconque idée de vivre une vie plus spirituelle, le déroulement de ma littérature m’ouvrait cette porte grande ouverte et j’avais soif d’en apprendre plus long sur le sujet. Mais il est clair que là où j’en étais dans ma vie, un retour à une vie plus simple, dans le nord du Québec, m’était souhaitable. Partager la vie de gens qui ne se compliquent pas l’existence à l’extrême comme seul moi peut le faire, cela allait renouer certains liens avec un côté de moi plus spirituel qui atteint son apogée alors que je suis inspiré pour écrire. Car il s’agit presque d’un rituel, croyez-moi, et fort souvent j’ai la conviction que ce n’est pas moi qui écrit, et souvent lorsque je me relis je vois bien davantage que ce que j’avais d’abord cru y mettre. Enfin, je suis allé retrouver Joseph et Marie dans leur petit sanctuaire situé tout près d’un lac d’une beauté incroyable, même en hiver. Jamais je n’aurais cru possible de découvrir un lieu si paisible si au nord du Québec. J’entendais les histoires de grand-papa Girard lorsqu’il allait dans le nord et je me disais dans quel trou perdu il s’en va encore travailler. Mais au contraire, il devait retrouver là-bas un univers bien particulier. La nature, les arbres, les forêts. Mais c’est bien plus que ce que j’arrive à dire. Un lieu particulier nous parle, vie comme nous, devient un avec nous-mêmes et on s’y sent tellement à l’aise qu’on voudrait y mourir. Enfin, c’est ce que j’ai trouvé dans le réconfort de la maison de Joseph et de Marie. Et c’est un mode de vie que j’adore, le silence comme personne ne sait l’apprécier. Pourquoi il faut toujours une radio ou une télévision qui fonctionne full blast, alors qu’il existe ce silence qui me semble une denrée si rare. Réussir à recréer les émotions et les sentiments que j’ai vécus là-bas, je ne suis pas certain d’en être capable. Eh puis nous avons eu de grandes conversations passionnantes, avec eux aussi j’ai énormément appris et c’est certainement à long terme que je découvrirai encore davantage tout l’impact que cette rencontre a eux sur ma personne. Je n’oublierai jamais Joseph et Edith que je considère comme mes grands amis proches et dont je suis fier d’avoir leur confiance. (Soudainement je me demande si je devrais envoyer cette lettre collective, je devrais peut-être garder le silence, le tout à l’intérieur de moi, ou écrire une petite lettre qui ne dit rien, comme à mon habitude, mais peut-être alors vous ne verriez pas comment je peux apprécier une rencontre, peut-être penseriez-vous que je suis ingrat, j’arrive dans votre vie, je prends ce que je veux puis je disparais pour revenir cinq ans plus tard, et peut-être même pas ? Je crois que j’ai une bonne idée du déroulement de la vie. Je crois voir enfin qu’il y a une fin aux relations que l’on partage avec autrui et je crois qu’il est important de communiquer ce qui est. Et je vous en prie, il est très important que vous tous sachiez que je sais que c’est bizarre et difficile à comprendre pourquoi j’emprunte un tel chemin dans ma littérature. Peut-être me faut-il terminer ce que j’ai commencé, peut-être que je tente de rejoindre un certain mythe de Rimbaud, je ne sais pas, mais ne laissez pas détruire ce que nous avons construit sur de simples pages qui ne reflètent en rien ce que je pense ou vit. J’espère ne pas heurter personne, surtout Sébastien, je l’estime trop pour cela et le tout n’en vaut peut-être la peine en fin de compte. Mais qui sait où cela m’emmènera, nous emmènera. Bref, j’avais besoin de renouer avec Joseph et Marie et j’espère pouvoir les revoir bientôt. Ce qui me fait songer à Véronique à Québec. La seule avec qui je ne suis pas entré en contact à mon retour. J’ignore si c’est parce que c’est ma marraine, mais j’ai aussi beaucoup d’affection pour elle. J’ai la chance de connaître des gens vraiment spéciaux, mais la malchance de ne pas pouvoir les voir plus souvent. Mais c’est peut-être ce qui construit la magie de nos rencontres. On se dit tout ce que l’on a à se dire puis on retourne vivre davantage avec un plus grand bagage d’expériences qui nous emmènera encore plus loin.

         

Mon retour à Jonquière

 

          Après cela, inutile de vous dire que je ne pouvais demeurer à Jonquière bien tranquillement. Un tour autour du Québec peut m’apporter tant, alors qu’à Jonquière je stagne un peu. Puis j’avais encore Sébastien qui semblait me vouloir à Toronto sans crier trop fort. J’ai quand même renoué les liens avec la famille immédiate et je dois dire que c’est là que je me sens le plus à l’aise, un peu trop à l’aise cependant. Mais j’aime bien l’atmosphère de la famille. Lorsque l’on joue des jeux où que l’on écoute la télévision, je dois admettre que nous avons de très bonnes conversations, même si mon père et ma sœur m’attaquent plus souvent qu’autrement, mais je les attaque également sur leur vie et c’est ce que la famille est. Il n’y a rien comme la famille directe. Mon père, ma mère et ma sœur, c’est une relation tout à fait différent, où on est libre de tout dire sans être poli et c’est cela qui nous unis d’une façon si particulière. Ainsi ils ne me connaîtront peut-être jamais comme Charlotte, Véronique, Raymond, Joseph et Marie me connaissent. Parfois j’ai l’impression qu’il existe plusieurs versions de moi-même et que finalement personne ne connaît la même personne. Peut-être ai-je une aptitude pour m’adapter, qui sait. Parfois la crise semble éclater, puis tous on se sent un peu coupable, on pense que certaines paroles ont pu influencer des choses. Comme ma mère qui se sent responsable si je suis si loin dans un autre pays. Je regrette de dire que j’ai su profiter de sentiment de culpabilité de certaines situations dans le sens où cela me justifiait de partir si loin, car bien sûr que personne ne voudrait me voir si loin et que ma famille m’aime énormément, comme je les aime énormément, ainsi ils s’interposeraient et m’empêcheraient de partir. Mais je serais parti tout de même, la décision n’aurait été que plus difficile à faire. Alors vous pouvez oublier vos sentiments de culpabilité, je ne suis pas en Europe à cause de vous, j’y suis parce que j’y suis heureux. Que si j’ai failli à devenir un avocat ou un ingénieur, au moins la poésie d’être à Londres ou a Paris plutôt qu’à Montréal me maintient en vie. J’ai beaucoup parlé avec Alice et ironiquement un soir on s’est assis et elle a fait le point sur ma vie. Où m’en allais-je, qu’allais-je faire de ma vie ? C’est bien beau tout cela, mais je n’ai pas d’études en cours, il n’y a pas d’emploi au Saguenay, ma littérature ne vaut rien puisque rien n’est publié et que ça ne rapporte pas d’argent. Elle m’a fait comprendre que j’avais un espoir avec Sébastien et qu’il me fallait poursuivre cet espoir. Et je me suis senti bien privilégié de partager sa propre expérience et j’ai cru voir bien des similitudes entre nos vies. Effectivement, il me fallait retourner à Toronto. Mais peut-être pas pour voir Sébastien, mais plutôt continuer cette conversation avec une extension d’elle-même qui connaît un autre côté de la médaille. Son frère Raymond à Toronto qui lui ressemble beaucoup.

 

          Mon second séjour à Toronto

 

          De toutes les personnes que j’ai rencontrées, tous sont sensées, bien éduquées, mais bien ancrées dans leur vie stable et sécuritaire. Or moi je suis insensé et tout le contraire d’eux. Comment toutes ces personnes sensées peuvent-elles influencer ce que j’ai de profondément ancré en moi ? Je les écoute, j’assimile, j’apprends et je prends des décisions. Or, Raymond est la seule personne insensée qu’il m’ait été donné de rencontrer. L’excentrique de la famille, celui qui est parti pour New York à je ne sais plus quel âge et qui vit maintenant à Toronto par son bon vouloir. Le petit étudiant artiste idéaliste qui a étudié à Laval à Québec et qui semble avoir partagé le même désir de vivre que moi. Avec lui, plutôt que de refouler ce que je voulais vraiment faire lorsque j’ai vraiment découvert que Sébastien et moi ça ne fonctionnerait pas, il m’a carrément dit : écoute, tu as la chance de partir pour Londres, tu le désires ardemment, prends-en mon expérience, si j’étais toi et que j’avais ton âge, je partirais. Alors maintenant vous savez qui est le vrai responsable. Mais ne lui en voulez pas trop, en fait j’ignore comment je pourrai le remercier. Il est la seule personne sur cette planète qui a vraiment entendu mon message de détresse, et qui, au lieu de me dire que c’était mal, m’a fait comprendre que c’était bien. Je me réveillais le matin à Toronto avec les tripes qui voulaient exploser et un regard vide face à ces édifices qui ne me disaient rien. Et à ce niveau Sébastien n’avait plus rien à faire avec ces émotions. Il s’agissait de ma vie et du point où j’en étais. Et Londres m’a ramené la vitalité et la joie. Le piquant dans ma vie. C’est triste que ce ne soit qu’après la décision prise et le billet d’avion acheté que j’aurais avoué à ma famille que je repartais. Il est clair qu’ils étaient l’obstacle, j’avais peur de les décevoir et je voulais m’épargner tous leurs arguments. Comme lorsque j’ai quitté le droit pour la littérature. Mais Charlotte a vendu la mèche. Heureusement que Toronto ne semblait pas m’offrir d’emploi alors qu’à Londres j’en avais un garanti. Ainsi, avec la main sur le cœur, je m’en allais rejoindre Anne Hébert en suivant ses traces en Europe. Une auteure qui pour moi est un modèle parfait. La plus grande influence sur mon œuvre, sur ma vie, et encore, il faut lui avoir parlé pour comprendre. Car ça c’est vraiment la rencontre d’une vie.

 

Mon retour à Londres

 

          Mon Dieu que j’étais perdu. À mon arrivée à Paris j’étais avec Sébastien pour les deux premières semaines. À mon arrivée à Londres la première fois, j’y ai déménagé avec Sébastien. Cette fois j’y étais seul et maintes fois dans l’avion d’Air Canada je me demandais ce que je faisais, mais j’étais vraiment heureux. J’arriverais où ? Chez Marc, l’ami d’un ami (Ed) que j’ai rencontré à New York une seule fois. En plus il allait venir me chercher à minuit à une station de l’Underground perdue dans le sud de Londres appelée Clapham South. J’ignorais alors qu’il possédait un café appelé The Box au Seven Dials et que j’y travaillerais et que j’en écrirais un roman (que je n’ai pas encore terminé). Où travaillerais-je ? À l’aéroport, là où l’avant-dernière journée j’avais deux inspecteurs qui me surveillaient pour être certains que je ne volerais pas leur livres sterling. Où allais-je habiter ? Eh bien, Patrick possédait également, ô coïncidence, une agence au sous-sol de son café qui s’occupe de trouver des chambres pour le monde. Ainsi je ne pouvais mieux tomber. Toutes les variables non identifiées se sont avérées résolues sans même que je n’aie à faire d’efforts, comme quoi, les pires projets qui donneraient des cauchemars à tout le monde, ont toujours un paquet de solutions dans le prochain tournant et qu’il fallait juste tourner le coin de la rue pour voir un peu plus loin, alors que trop souvent les gens ne tourneront jamais le coin de la rue, de peur de découvrir on ne sait quoi. Alors très vite j’ai emménagé à Heston à Hounslow et j’ai commencé à apprécier ma vie de célibataire qui soudainement me laissait bien du temps libre pour écrire.

 

Le premier appartement sur Old Park Mews à Hounslow, le travail à l’aéroport

 

          J’ai découvert un club qui s’appelle Popstarz et où on joue de la musique Indie (pour Independent Label, Groupes de musique qui n'ont signé avec des maisons de disques indépendantes et qui n’auront jamais la chance de réussir en dehors de Londres). La musique a redonné un sens à ma vie, la musique Indie a fait de moi un Indie Kid. J’étais devenu un vrai petit londonien en puissance, m’habillant comme eux, me liant d’amitié avec un certain Jonas avec qui j’ai redécouvert un Londres que je ne connaissais pas. Je revenais le soir à ma chambre sur Old Park Mews et le plus beau c’est que je devais traverser un grand parc pour me rendre de la station jusqu’à l’appartement. C’était devenu mon parc, Lampton Park, et mon coin, Hounslow (un peu en retrait de Londres, près de l’aéroport d’Heathrow). Puis à un moment donné Patrick m’a offert un emploi comme serveur au Box. Moi qui avais déjà commencé mon roman, comment pouvais-je refuser ? Ainsi c’est son histoire que je peints dans ce roman. À Covent Garden, en plein centre de Londres, il y a sept rues qui se rejoignent. Au milieu il y a un monument avec sept petits cadrans solaires qui donnent sur chaque rue. Les chiffres sur les Seven Dials sont arrangés pour que peu importe où est le Soleil, elles indiquent toutes la même heure. J’ai donc repris la vie de Marc, devenu maintenant Raymond, qui aura sept chances d’améliorer son sort. Mais alors qu’il pense améliorer son sort avec une meilleure position sociale, plus de prestige, plus d’argent et de succès avec son café juste autour du Seven Dials, il apprend à voir que c’est  justement ses relations avec autrui qu’il doit régler. Un peu l’histoire de mon expérience, mais certainement rien à voir avec ma vie. (Vous comprendrez peut-être un jour). Enfin, la manager du Box ne m’a pas trop aimé et elle m’a mis dehors après un mois et demi. Mais ça n’avait plus d’importance car j’avais appris tout ce que j’avais à apprendre et j’ai accepté le tout avec philosophie. Par contre, sur Old Park Mews, j’ai commencé à avoir des problèmes avec le propriétaire. Parce que je lui ai donné dix livres en moins sur mon loyer à un moment donné et que je lui devais déjà trente livres pour la bouffe, il s’est mis à paniquer et s’est imaginé que je ne pouvais plus payer mon loyer. Non seulement il a soudainement augmenté le prix du loyer juste comme ça, mais il m’a fait une crise hors de proportion et j’ai vraiment eu peur. Pendant un instant j’ai cru qu’il allait me battre. J’en ai parlé avec un ami avec qui je travaillais à l’aéroport, Stephen, et le soir même j’emménageais chez lui, il habitait juste de l’autre côté du Park Osterley, un autre Park qui m’a énormément marqué. Avec un château au centre et une grande rivière (et je pense à écrire une série télévisée en ce moment un peu à la Sherlock Holmes, mais les mystères de la maison Osterley, parce que j’ai rencontré un gars de la BBC (l’équivalent de Radio-Canada) qui veut des idées de mini-séries et qui veut des résumés traduits de ce que j’ai déjà écrit).

 

Stephen. Isleworth, Osterley

 

          Stephen était juste un bon ami à cette époque et peu longtemps après avoir emménagé chez lui, j’ai rencontré une fille dans l’Underground qui était allé chercher un canadien à l’aéroport (il avait des drapeaux canadiens partout, un vrai nationaliste). Naturellement nous avons commencé à parler, puis elle m’a donné ses coordonnées au travail. Semblerait qu’elle pourrait m’avoir un emploi dans le merveilleux monde des conférences. Moins d’une semaine après je me retrouvais à Victoria avec un emploi meilleur que tous ceux que j’avais eu auparavant. Ainsi tout s’arrange toujours dans la vie. J’étais dans le département de la recherche, je téléphonais dans le monde entier pour trouver les bonnes personnes susceptibles de venir à Londres pour assister à nos conférences. Un bureau assez moderne et luxueux, je travaillais au sixième étage. La fenêtre donnait une vue superbe sur Londres et la  location est  premium. Les jardins de la Reine Élizabeth II, c’est notre vue directe. On a pensé à inviter notre voisine à  prendre le thé avec nous, et considérant qu’elle est toujours partout, elle pourrait peut-être un jour accepter notre invitation. Buckingham Palace est au bout de la rue, parfois on la voit arriver en hélicoptère ou alors en automobile avec une armée pour la protéger. Mon département n’était pas si bien vu et les gens s’habillaient plutôt en jeans. C’est que nous étions  les seuls à ne pas  être permanents. Demain matin, s’il n’y avait plus de travail ou si nous n’étions pas si bons, ils pouvaient nous mettre à la porte. Mais c’est faux. Il y avait tant de travail que nous ne suffisions pas à la tâche. Il y avait des bonus de 25 livres par semaine que j’ai toujours eus et un bonus de 50 livres à la fin du mois que pratiquement tout le monde avait. Tous nous avions notre ordinateur, et au centre, il y avait Elisa. La directrice. Belle blonde qui fait tourner la tête à tous les hommes (et même à ma future femme) mais qui sait très bien devenir suffisante. À la fin il était vraiment temps que je monte un étage plus haut avec ma promotion, car elle devenait très familière et sans cesse elle m’attaquait. C’est qu’on finit par s’ennuyer et qu’à un moment donné, il ne reste plus qu’à parler de banalités et de vanités. J’avais une ennemie, elle m’a fait plusieurs coups chiens, heureusement je n’ai plus rien à voir avec elle, elle aurait sans doute réussi à me faire mettre à la porte. Mary a signifié à Elisa que j’utilisais les ordinateurs à d’autres fins que le travail, et c’était vrai, parfois j’imprimais, parfois je retravaillais des textes, mais toujours sur mes heures de pause. Enfin, je n’ai plus rien à voir avec elles. Et maintenant je ne prends plus aucun risque, depuis que j’ai racheté dernièrement une imprimante usagée pour prévenir toute tentation.

 

La chambre d’hôtel à Victoria

 

          J’ai ensuite emménagé dans une minable chambre en arrière de la station de train à Victoria. Ça me coûtait si cher que pendant des semaines je ne mangeais pas. Je ne faisais que payer ma chambre et manger les trois premiers jours de la semaine. Ensuite je comptais sur mes amis et Dieu merci, j’en avais de bons. Je m’en gardais un peu en réserve pour de la bière au pub avec mes amis, mais ça,  que vous le  vouliez ou non, surtout lorsque nous sommes dans une telle situation, c’est aussi essentiel sinon davantage que la  bouffe. J’aurais pu me retrouver une chambre pour bien moins cher qu’un hôtel, mais l’autre  propriétaire a volé mon dépôt et je n’avais plus l’avance pour me procurer une nouvelle chambre. Stephen avait déjà suffisamment fait et j’hésitais à redéposer un autre 200 livres que je ne reverrais peut-être jamais. Malgré toutes les difficultés endurées, et la chambre en décrépitude absolue (probablement pleine de bibittes de toutes sortes), j’ai de remarquables souvenirs de toute cette époque. C’était l’été, c’était Victoria, entre le Big Ben et St. James’s Park, c’était tous les touristes à la station, pour moi, cela représentait la vraie vie, à la dure. Plus je souffrais, moins je mangeais, plus je jouissais. Puis un jour j’en ai eu assez. C’était la fin de l’été, le cycle semblait être passé, il me fallait agir, changer ma vie radicalement. Or, comment changer radicalement ma vie ? J’ai trouvé une liste des numéros de fax de toutes les différentes branches de la compagnie dans le monde entier et j’ai faxé mon CV partout. Le premier qui me répondait et m’offrait un emploi, je partais. J’étais prêt pour la Nouvelle-Zélande et Singapore, finalement il y en avait trois en liste. France, New York et la Belgique. Tous trois j’aurais pu pousser jusqu’au bout et probablement j’aurais eu la chance d’aller où je voulais. Mais je connaissais déjà New York et Paris, il me semblait approprié, malgré tous mes préjugés, de partir pour la Belgique. Et je ne regrette rien.

 

Le départ pour la Belgique

 

          La compagnie en Belgique avait des bureaux assez luxueux situés à Montgomery, à l’ouest dans Bruxelles. J’ai fait la découverte des Flamands et de leur différence linguistique avec les Français. Je me suis bien amusé et j’ai surtout bien appris quelque chose. C’est drôle qu’en Belgique ce  sont  les Français qui ont écrasé les Flamands, ce sont eux qui étaient la famille royale et qui contrôlaient tout, enfin, ils sont les monstres que nous au Québec on considère être les Anglais. Alors j’ai bien sympathisé avec la cause flamande, de toute manière je n’avais pas le choix, le bureau en entier n’était composé que de Flamands, sauf la femme qui m’a engagé et j’ai bien compris que la seule façon qu’elle avait d’emmener quelqu’un qui n’était ni Flamand ni Français, était d’importer un Québécois-Londonien, spécialiste dans la langue anglaise. Je dois admettre que bien qu’ils étaient exquis, il y avait bien des frictions. Mais c’est bien moins les Français qui en souffrent que les Flamands. Eux je dirais qu’ils souffrent énormément de xénophobie, une sorte de racisme. Mais comme il n’y a que les Flamands qui soient prêts à apprendre le français, ils ont plus de chances de trouver un emploi. Ils souhaitent une sorte d’indépendance et moi, je la leur donnerais. Ce qui me fait penser qu’ainsi je serais prêt à donner l’indépendance au Québec. Vaut mieux en demeurer là, je ne veux pas commencer un discours constitutionnel ici. Il y avait un gigantesque et incroyable parc juste en face de nos bureaux, le parc Montgomery, et j’y allais tous les jours avec mon sandwich gruyère, ils m’ont tellement manqués depuis que j’ai quitté Paris. J’avais  l’impression d’être à Paris parce que toutes leurs institutions, leur cuisine, leur architecture, leur culture, tout cela est français. J’étais au paradis et ça a été un changement important de Londres. Je me suis rendu compte que j’avais besoin de ce dépaysement, que j’ai besoin de Paris. J’ai profité de quelques journées où pour 10 dollars tu peux prendre le train pour aller n’importe où en Belgique. J’ai visité les plages belges, Gand, Anvers, Bruges  et tout le reste. C’est vraiment impressionnant. Mais le coin où j’habitais à la gare du Midi, c’était le coin des immigrants et des Algériens. Très dangereux et je me suis d’ailleurs fait attaquer par trois jeunes la première journée de mon arrivée. Je me souviens d’en avoir parlé immédiatement avec mon père et Alice au téléphone, je paniquais, j’étais dans une station de tramway et je surveillais partout autour, j’étais convaincu que quelqu’un allait encore m’attaquer à tout instant. Je me suis enfermé dans ma petite chambre d’hôtel (qui me coûtait la même chose qu’à Londres sauf que j’avais ma salle de bain avec douche et que c’était plus propre) et il m’a fallu attendre que Stephen vienne me visiter de Londres avant que je me décide à ressortir le soir après 8 heures. Deux mois plus tard, toute peur était disparue. Là encore je n’avais pas suffisamment d’argent pour vivre et à la fin c’est ce qui m’a fait revenir à Londres.

 

Le retour à Londres à Isleworth avec Stephen

 

          Stephen m’a offert d’habiter chez lui et j’y suis encore en ce moment. Je n’ai pas davantage d’argent, malgré ma promotion, mais au moins je mange à ma faim et j’ai acquis une certaine stabilité/sécurité. Je peux maintenant aller au cinéma et j’ai même assisté à un musical (Les Misérables) et quelques pièces d’Oscar Wilde. Mais souvent nous avons les tickets gratuits par des amis. Son appartement n’est pas si grand, les murs sont bruns foncés avec un genre de tuile en carton et il y a deux portes dans le salon qui donnent directement dans un petit jardin. Il y a onze autres appartements dans le bloc, six en haut à deux étages, six en bas avec accès à un petit morceau de terrain. À côté nous avons des problèmes avec une femme un peu folle qui appelle la police à chaque instant et qui a trois chats qu’elle maltraite. Heureusement on ne se mêle pas trop de ses affaires, ainsi on peut encore respirer. J’ai repris le travail dans les conférences, comme si rien n’avait changé, sauf que plutôt que  d’être à la recherche, je suis devenu un TM. Je faisais des Tailor Made. Il s’agissait d’envoyer des lettres aux personnes qui ont participé à la recherche avec les producteurs des conférences, pour les inviter à venir. Ma vie à ce moment était depuis longtemps devenu très tranquille. Je ne sortais plus du tout, me rendre au centre-ville me semblait souffrant et on a passé bien des mois à écouter Star Trek en vidéo loué chez Block Buster. Enfin, une vie tranquille jusqu’à ce qu’on me propose un projet de marketing et que je rencontre France.

 

Mon nouvel emploi

Mon mariage avec France, une Française

 

          Ainsi j’ai passé au travers un foutu projet de marketing sensé me faire devenir un manager en marketing avant la fin de l’année, possiblement avant six mois lorsqu’ils vont élargir le département des Télécommunications, Broadcasting and Technology. Pour l’instant j’apprends la besogne et j’ai le titre de Coordinateur en marketing. Ça ne me paye pas tellement plus cher qu’à la recherche, comme j’ai déjà dit, mais au moins c’est permanent, j’ai un contrat, je suis payé si je suis malade, ainsi c’est mieux et ça promet pour l’avenir. Ma nouvelle patronne est aussi une belle blonde un peu moins pouponnée qui est stricte et qui veut le travail fait toujours durant la journée. Elle a gagné le Award de la meilleure employée à travers toute la compagnie dans le monde entier, alors j’attache ma ceinture et j’attends les montagnes russes. J’ai maintenant mon propre bureau avec des tiroirs et tous les outils nécessaires pour faire du bricolage, comme à la maternelle. Dès qu’elles auront le dos tourné, je crois que je vais construire des chats en carton. Le problème c’est que j’ai le bureau du grand patron régional juste en face de moi et que ça c’est un stress infernal. Chaque fois que je ne fous rien, le voilà qui sort de son bureau et qui me regarde. Puis il y a le grand directeur général de la compagnie à Londres qui tourne autour de nous comme une mouche ces temps-ci et lui je suis incapable de rire de ses blagues. Enfin, j’ai tout de même une vue superbe sur Buckingham Palace, ma petite carte de sécurité et je travaille très fort malgré les apparences. Je vais toujours en pause avec France qui a accepté de m’épouser, elle travaille à la recherche. Jusqu’ici ce mariage m’a coûté une fortune, mais rien à comparé du petit Indien en face de moi qui se marie deux semaines après mois et qui a déjà dépensé 20 000 dollars. Moi au moins ça ne m’a rien coûté pour la salle de réception et la nuit de noce (il n’y en aura pas). Et la robe a coûté 400 dollars plutôt que 2000. Nous allons nous marier à Camden, au Camden Old Town Hall et c’est la place la plus à la mode de Londres. La réception se fera au Black Cap, la place la plus à la mode de tout Camden, de tout Londres. Il y a de quoi être fier, même s’il s’agit peut-être (probablement) de la pire erreur de ma vie. Je suppose que tous les hommes qui se marient doivent à peu près éprouver ces mêmes sentiments. Il y aura un contrat prénuptial signé au Consulat Français à South Kensington et bien que ça coûte 200 dollars, au moins c’est moins cher que chez un notaire. Enfin, je ne vous assommerai pas avec les chiffres, je peux juste dire que tout semble indiquer qu’il s’agit d’un mariage heureux où les intérêts de chacun des partis seront comblés. Mais c’est sûr que c’est une grande décision et qu’il me faudra vivre avec jusqu’à la fin de mes jours. Elle parle même de se prendre une hypothèque (ils en donnent maintenant même si nous n’avons pas de dépôt), je possèderais donc mon appartement à Londres. Mais je la laisse rêver, lorsqu’ils verront l’état de mes comptes, je ne crois pas qu’ils vont accepter. Vous n’avez pas besoin de me dire de me méfier et de tout calculer, je crois que toutes les précautions ont été prises et j’espère juste que tout ira bien. En cours de justice, il n’y a pas de pitié pour l’homme et il y l’amnistie pour la femme. Et si je deviens un écrivain reconnu (ce qui relèverait du miracle), Dieu sait ce qui arrivera. Peu importe, il est presque trop tard pour changer d’avis, et probablement trop tard pour changer d’avis à l’heure où vous lirez ces lignes. Je m’excuse de partager avec vous mes peurs avant le mariage, je suppose que si vous êtes mariés vous avez dû éprouver les mêmes tracas, malheureusement je n’ai personne à qui en parler, je n’ai que la mère de Stephen pour me pointer tous les cas de divorces de l’Angleterre (elle est juge), alors que mon problème sera justement celui de cette impossibilité du divorce. Enfin, voilà la conclusion.

 

Le futur

Conclusion

 

          Eh bien, c’était le résumé de ma vie de ces deux dernières années. Si vous voulez plus de détails, je puis vous envoyer la version allongée (trois mille pages contenues dans Underground, Mind The Gap et No Way Out qui ont chacun une version romancée à la troisième personne où Sébastien devient Clélia). Je vois le futur s’ouvrir devant moi avec une perception bien différente. J’ai vingt-quatre ans et c’est peut-être la première fois que j’en prends conscience. J’ignore si c’est positif ou négatif. Mais ce n’est probablement pas une question d’âge, c’est plutôt que je me marie, je serai directeur de marketing, j’habite définitivement à Londres (j’ai déjà perdu mon billet de retour pour le Canada, c’était ouvert sur un an, vous avez passé un bon Noël ?), et je serai publié pour la première fois le 8 avril dans les Saisons Littéraires par les Éditions Guérin. Je suppose qu’il s’agit là d’une nouvelle ère et je la prends avec modération et sérénité. Je suis paisible, il est vrai. Ce qui est bien étrange pour un mois de mars. Je vous souhaite une bonne vie et j’espère vous voir bientôt. (J’ai plus de chances de vous voir si vous venez à Londres, car moi je ne crois pas pouvoir retourner au Canada de sitôt).

 

 

                                                                   Bye ! Et soyez heureux !

                            

         

Bonjour tout le monde !

 

          Enfin des nouvelles de moi. Encore une fois cette lettre sera collective parce que ma base de données au cours des ans et des nombreux pays que j’ai visités et habités, ne me permet pas d’écrire à chacun. D’autant plus que je n’ai plus le temps de voir ma vie passer de toute manière (mais avec l’Internet c’est tout autre chose, je vais communiquer beaucoup plus souvent). Enfin, cette mi-novembre semble être un tournant décisif dans mon existence puisque étrangement j’ai réussi à changer ma vie londonienne du tout au tout depuis mon mariage. Ma femme habite maintenant la Normandie jusqu’à ce qu’elle ait son fils au mois de février (non, je ne suis pas le père, et apparemment elle a accouché hier) et moi j’ai entrepris des études et j’ai trouvé un nouvel emploi. Sous les prétextes de mon visa expiré et les rumeurs sur notre mariage, là où je travaillais, cette compagnie de conférences, n’était que trop heureuse de se débarrasser de moi (l’histoire de mon visa est réglée, ce qui est d’autant plus incroyable). Ainsi, après une recherche intensive de trois mois (jour et nuit et ça a tout de même prit trois mois), je commence dans deux jours à travailler pour Campbell Distillers, une compagnie qui vend de l’alcool et du jus, dont Jameson, Pernod et Orangina. Je suis un administrateur de marketing (mais je commence bientôt un nouvel emploi comme producteur de conférences). Je vais remplir des factures et des commandes, faire des mémos, fabriquer des posters que les gens de la promotion vont placer dans les clubs de nuit et je vais m’assurer qu’ils ont tout ce qu’ils ont besoin côté promotion. Je m’occuperai également des présentations sur Power Point des différents Quarter meeting (dont justement j’arrive de Dublin où j’étais responsable de tout ça). Les bureaux sont bien situés, à Brentford, Middlesex, ce qui signifie que je n’aurai plus besoin d’aller à Londres et dépenser 2500 $ en train et Underground, je vais marcher pour aller au travail (et dire que je retourne maintenant travailler à Londres, en plein centre). Je croyais que je n’aurais pas l’emploi parce que j’ai fait une gaffe monumentale à la fin de ma troisième entrevue avec la compagnie, je suis entré directement dans le bureau du grand Chairman de la compagnie, pensant y trouver l’escalier de service pour sortir de l’édifice. Enfin, je dois tout de même commuter à Londres deux soirs par semaine où pendant toute cette année et l’année prochaine je vais enfin terminer ma maîtrise en littérature française à temps partiel à Birkeck College, University of London. J’aime les cours, j’aime les profs, j’aime les étudiants, j’ai déjà lu bien des livres, c’est facile sans trop demander de travail, j’ai donc l’impression que cette fois ça y est. J’ai la sécurité financière et je ne suis pas perdu comme je l’étais à Paris où on me demandait l’impossible. En effet, je n’ai pas à Londres à apprendre par cœur tout le langage latin et ses sources et ses différentes branches et différentes inclinations selon les siècles depuis 1000 ans avant J.-C. et non plus apprendre la grammaire française et tous les mots du dictionnaire de tous les siècles depuis le Moyen-Âge. Mais je dois avouer que cet échec à Paris me poursuit toujours. J’ai encore ce noeud dans le cœur qui se noue et qui me fait tant souffrir, et je croyais pouvoir oublier ce sentiment d’avoir tout raté dans ma vie alors que je fais enfin ma maîtrise à Londres et qu’il est hors de question de laisser tomber cette fois. Dussé-je mourir, je vais terminer cette maîtrise. Mais Paris ne s’effacera jamais de ma mémoire. Je souffre tant que je me demande si c’est la nostalgie de la vie que j’y ai vécue qui me rappelle à Paris ou cet échec qui me le fait détester à mourir. Pourtant, alors que je lisais Balzac, les Illusions Perdues, l’illumination s’est faite. Il semblerait que le tout s’enrobe dans un paquet et que la nostalgie m’étouffe, une nostalgie mythifiée qui ne serait plus seulement en littérature puisque j’ai vécu moi la même chose que ce petit Julien d’Angoulême qui arrive de province pour s’installer à Paris avec sous le bras son premier roman et son premier recueil de poème et qui s’imagine qu’il aura le succès et la richesse du jour au lendemain. La lettre que ce Julien envoie à sa sœur, j’aurais pu l’envoyer intégrale à ma sœur. Tout y est. Je me suis retrouvé moi aussi à Paris à l’hôtel de Cluny (ou quelque chose du genre) rue de la Sorbonne lors de mon arrivée, dans une misérable chambre du quatrième étage si je me souviens bien. J’étais vraiment mal habillé, je crois avoir fait honte au Canada et au Québec avec mes jeans là où on ne s’habille qu’en costume à la dernière mode. Sur la place même de la Sorbonne il n’y avait pas de restaurant Flicoteaux, mais certainement ce Bakers Dozen où j’achetais mes sandwiches gruyère à prix de fou. Et mon espresso tôt le matin au café de la place avant d’aller souffrir dans mon cours de Latin. Et c’est vrai que ce pays est celui des écrivains, des penseurs, des poètes et qu’à Paris, il y a dans l’air et dans les moindres détails un esprit qui se respire et s’empreint dans les créations littéraires. Je m’ennuie de Paris terriblement, mais je n’ai pas tellement eu le choix de partir, l’immigration était devenue paranoïaque et me traitait comme le dernier des déchets parce que je n’avais pas faits mes examens finaux. Enfin, on m’a jeté en dehors du pays à coup de pied au cul. Et voilà que je me retrouve à Londres, entouré d’anglophones qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’est la littérature française. Bien que je sois mieux ici qu’au Canada, croyez-moi, je suis coincé en Angleterre ! Immigration encore une fois, je n’oserai plus sortir du pays jusqu’à ce que mes études soient terminées, sinon ce sera 5000 $ dans le feu, je ne pourrai plus jamais revenir au pays avec mon visa temporaire obtenu au Canada cet été (encore une fois tout ça est maintenant réglé).

 

À trois heures de train avec le tunnel sous la Manche, Paris m’est encore inatteignable, comme si l’année que j’y ai vécue, elle n’aurait existé que dans mes rêves, que dans mes romans Denfert-Rochereau et l’Attente de Paris. Un jour sans doute, comme Lucien, je perdrai mes illusions. Mais au moins je vis à Londres, et ce n’est que lorsque je me suis remis aux études que j’ai finalement compris que Paris me manquait, jamais auparavant je considérais Londres comme une solution de rechange, un pâle substitut. Au contraire, Londres, c’est tout un univers, celui de la musique.

 

          Mais je ne vais pas me plaindre de ma condition et partager avec vous ma nostalgie de Paris. La plupart de ceux qui recevront cette lettre sont tous déjà allés à Paris (sauf pour ma sœur) et sans doute ils ne comprennent pas ma nostalgie. C’est que c’est le mythe de Paris que j’ai d’ancré dans ma tête, celui qu’on a construit dans la littérature, en particulier cet Honoré de Balzac qui, même dans ses romans de provinces, a toujours son petit étudiant innocent écrivain qui arrive à Paris et qui espère atteindre les sommets de la vie sociale (c’est du masochisme que de lire ces livres en ce qui me concerne, mais c’est aussi l’élément déclencheur qui me fait écrire cette lettre).

 

          Il me faudrait parler de moi et de Stephen je suppose, mais il ne se passe pas grand-chose. Nous ne sortons jamais, et c’est probablement plus mon choix que le sien. Parfois c’est l’anniversaire de l’un de ses amis, ils sont devenus mes amis également, ils sont biens. Ils sont tous connectés à de grandes maisons de disques et des clubs londoniens, ce qui n’est pas pour m’aider dans mon entreprise d’édition. Il y en a même une qui travaille chez Warner Brothers, mais je ne suis pas dans le cinéma non plus. Bien que François se promène quelque part en Europe pour l’instant (Napoli, Italie) et que je l’attende ici à Londres aux environs de mars prochain. Puis une autre amie, Caroline, qui me tombe du ciel et qui est venue s’installer dans le nord londonien avec son copain pour au moins un an ou deux. Bientôt il ne manquera plus que Christine et Alexis et nous serons tous réunis à Londres comme dans le bon vieux temps à Jonquière. Où l’on s’enfermait dans ma chambre avec Dépêche Mode et Erasure au maximum à boire notre bouteille de vin à bon marché avant d’aller finir la soirée au 37.2, ce bar de la St-Dominique (voyez, j’arrive presque à écrire comme Balzac). En fait j’aurais pu dire : ...où on crissait la musiq’ full blast à boére not’ vin cheap avant d’aller finir d’se saoûler ‘a gueule su’a maine. Oui, ça faisait longtemps que je l’avais pas vue la Isabelle qui a eu le temps d’aller rencontrer son copain en Israël avant de faire la moitié de la France en vélo et de venir me rejoindre dans les bas-fonds londoniens avec son petit Working Holiday Visa obtenu à Ottawa et valide pour deux ans. Dernier bien fait de la vie coloniale en Amérique que l’obtention de ce visa de travail, par contre Isabelle se fait exploiter complètement à travailler dans un café comme serveuse, sept jours sur sept, à 60 heures, payée trois livres de l’heure. En comparaison, je serai payé 7.50 livres de l’heure, + benefits, + 200 livres en bouteilles d’alcool diverses en bonus. Pourtant, avec ce salaire de 14500 livres par année, on vit tout de même pauvre à Londres. Alors elle va vivre la misère londonienne comme je l’ai vécue et j’espère qu’elle saura en tirer profit comme je l’ai fait en transposant le tout en littérature. Je devrais les revoir bientôt, elle et son copain qui vient de Wales.

 

          Aussitôt que je pourrai, je devrais être sur l’Internet, même que probablement que cette fois au travail j’aurai les emails. Alors, si vous avez une quelconque adresse où nous pourrons communiquer via l’Internet, il faut me le communiquer. Je devrais d’ailleurs bientôt avoir mon petit site de l’Anarchiste Couronné, cette maison d’édition que je projette de mettre sur pieds et qui pourra pour l’instant être virtuelle sur l’autoroute électronique (j’ai 10 mégabits de mémoire pour ce site sur Virgin). Qui sait, ce sera peut-être là que je me ferai ces amis parisiens qui étaient supposés m’aider et qui n’ont rien pu faire pour moi. Je vous tiens au courant !

 

          J’aime bien recevoir vos nouvelles, certaines lettres du Québec me réconfortent et m’aident à comprendre mes origines, mes racines, car je me réveille encore parfois le matin à Londres me demandant ce que je fais ici. Il est toujours difficile de conceptualiser ces choses. (L’Internet a été un gros avantage, figurez-vous qu’hier je lisais le Progrès Dimanche et le Quotidien via l’Internet. Ça faisait drôle de lire les publicités de Potvin Bouchard et Perron Auto ou quelque chose du genre). Je suis encore en contact avec Sébastien à Toronto et nous parlons d’un retour ensemble, à Toronto ou à Londres. Il est maintenant dans un groupe de musique, ils font des concerts à Toronto et qui sait bientôt il sera un nouveau Elton John. Mais je suis avec Stephen pour l’instant et cela est bien également. L’avenir appartient au futur et aucun signe ne semble me venir du ciel pour m’indiquer la route à suivre, alors je continue ici. Cela me plaît, me donne l’impression d’évoluer vers quelque chose, même si d’aller deux fois par semaine le soir à Londres pour ces cours longs et plats est souffrant. Le problème c’est que je ne fais pas un MBA, BBA ou ces programmes sérieux et que je n’aurai pas de débouchés ensuite, sinon la faculté et les aptitudes d’un meilleur écrivain. J’écris encore, moins souvent cependant. Je suis en perte de vitesse et surtout de motivation. Si j’avais l’impression que ce serait publié, j’y travaillerais jour et nuit. Pour l’instant ma seule porte de sortie est de partir ma propre maison d’éditions. Ce sont mes objectifs, trouver un emploi, ramasser l’argent et publier mes livres et ceux d’autres. Une écriture étrange, nouvelle, originale, je vais offrir à la postérité une brochette de nouveaux auteurs qui révolutionneront peut-être le monde de la littérature française et anglaise.

 

L’Éclectisme est ce sur quoi je travaille ces temps-ci (ce livre est enfin terminé, encore un peu de correction, mais c’est tout), c’est une écriture très près de moi qui donne des explications sur mes sentiments un peu désespérés des derniers temps. L’Éclectisme est une sorte de parodie de l’Existentialisme de Jean-Paul Sartre, bien que je suis loin d’inventer mon propre dictionnaire de la philosophie, au contraire, ma philosophie est celle de l’éclectique et qu’ainsi dire, personne ne saurait définir une quelconque philosophie valable pour l’éternité. Toujours quelqu’un sera là pour contredire le tout. Je m’amuse encore une fois, avec un livre tout à fait impubliable, mais comme les auteurs du Nouveau Roman, je ne vais pas changer mon style et écrire du Balzac alors que ma seule motivation est la recherche d’une nouvelle écriture. Je suis pourtant bien parti en ce qui concerne mon nouveau vrai roman appelé Le Box sur le Seven Dials à Covent Gardens. C’est un roman comme tant d’autres, j’ai eu un paquet de bonnes idées, le plan en entier est fait, j’ai même plus d’une centaine de pages d’écrites. Je pourrais le terminer en trois semaines de travail acharné, parfois je pense que même trois jours suffiraient si je me convaincs que je puis prendre le rythme de Balzac. Mais je n’en ai pas la moindre motivation. Ce ne sera pas publié, ça me prendrait une éternité pour le corriger, puis je m’emmerde à écrire ces romans d’action et d’amour, cette littérature à un seul niveau de compréhension, cette littérature tout à fait non inspirée. J’y perds la grâce du mouvement, la satisfaction de me relire ne serait-ce qu’une troisième fois. Enfin bref, il me faudrait faire reconnaître le style RM, et l’Internet sera peut-être l’endroit, d’autant plus si je peux trouver un traducteur ou une traductrice pour quelques-unes  de mes œuvres, avis aux intéressés...

 

 

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