LA NAISSANCE DE Le Marginal

 

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Londres, le 14 août 1995

Voici le Manifeste qui établit les Piliers de Le Marginal.

Jeune ou Vieux, Nouveau ou Ancien, Bizarre ou Conventionnel, Innovateur ou Déjà vu, Humble ou Prétentieux, Fier ou Fière, Piteux ou Piteuse, Anarchique ou Mainstream, Multilingue ou Espéranto, Connaisseur ou Ignorant, Ouvert ou Fermé d'Esprit, Sans Limite ou Borné, Dans tous les Sens ou En un seul Sens, En un seul morceau ou disparate, Signé ou Sous Pseudonyme, Primaire, Secondaire, Lycéen, Collégial, Universitaire, Au-Delà, Génération Y, Génération X, Boomers, Vieillards, l'Au-delà, l'Art avec un grand A ou l'art avec un petit a, À bas la Censure et les On-dit et les Qu'en-dira-t-on, Remises en Question ou Non, Possible ou Impossible, Risqué ou Sécuritaire, Universel ou Particulier, Sans Critères ni Ligne Directrice, Sans Frontières ni Lieu d'Origine, Évident ou Mystique, Drôle ou Grave, dans la Grâce ou l'Écrasement, Livres, Magazines, Pièces de Théâtre, Productions Musicales, Musique, Films, et cætera. Le Marginal est tout à la fois et rien à la fois. Aucune définition ne saurait définir correctement la finalité de Le Marginal et c'est pourquoi ce manifeste se termine par trois points de suspension...

 

London, 14 August 1995

 

Here is the Manifesto that establishes the Pillars of The Marginal.

Young or Old, New or Ancient, Bizarre or Conventional, Innovator or Already seen, Shy or Pretentious, Proud or Humble, Anarchic or Mainstream, Multilingual or Espéranto, Connoisseur or Ignorant, Open or Closed Minded, Without Limit or Staked, Down one avenue or Down many, Solid or Shattered, Signed or Under Pseudonym, Primary, Junior, Secondary, Collegiate, University, Beyond, Generation Y, Generation X, Boomers, OAP's, Beyond, the Art with a great A or the art with a small a, Fuck the Censorship, Fuck Rumor and Fuck anyone's opinion, Possible or Impossible, Risky or Safe, Universal or Particular, Without Criteria neither a Main Idea, Without Frontiers nor Place of Origin, Evident or Mystical, Funny or Serious, Clumsely or Gracefully, Books, Magazines, Theatre, Musical Productions, Music, Films, etc. The Marginal is evreything and nothing at the same time. No definition would define correctly the finality of The Marginal and this is why this manifesto ends by three suspension points...

Vôtre / Yours
Roland Michel Tremblay

 

Philosophie de Le Marginal

Tous les textes suivants ont été protégés sous les lois du Copyright avec une agence à Paris. Toutefois, il est permis de les lire en entier, d'inviter qui que ce soit à les lire, de les copier sur disque ou de tout autre façon, de les donner à qui s'y intéresse. En l'an 2000, l'ère virtuelle signifie accès gratuit à tout. C'est triste pour l'art diront certains, mais il faudra en venir à ça. Si vous désirez personnellement aider les auteurs ou si votre sentiment de culpabilité ne vous permet pas de lire sans payer, envoyez un chèque personnellement à l'auteur ou l'auteure. La seule interdiction est celle de publier ces textes avec l'intention de faire de l'argent sans la permission de Le Marginal ou pour un quelconque autre intérêt étrangé à celui de Le Marginal et de ses auteurs et auteures. Demandez et vous recevrez l'Anarchiste a dit! Bonne lecture!


Philosophy of The Marginal

The following texts have been protected under the law of copyrights with an agency in Paris. But you can still read them for free, copy them as much as you want and give copies to anyone who could be interested. In the year 2000, virtual reality means free access to everything. The only thing you cannot do is to publish any of this in the purpose of making money without the consent of The Marginal and the authors. In any cases, contact us and everything should be fine. Good reading!


 

(Inutile de dire que rien de tout ce qui suit n'a débouché, à part le site Internet, un miracle par lui-même…)


Londres, le 18 août 1995


Salut Patrice Bégin,

Salut Natali Leduc,

Salut Franck Meyrous,


Je vous salue amis, pleins de grâce.


Introduction


Le petit manifeste d'introduction indique que les limites de l'Anarchiste sont plutôt larges, mais malgré tout, la cible visée est jeune et universitaire. Disons en bas de 32 ans, un créneau tout à fait oublié du monde des arts et surtout littéraire.

Il m'est important aujourd'hui de vous faire connaître mes intentions pour que vous puissiez voir les démarches que je compte accomplir en le nom de Le Marginal, qui sied, je crois, à notre génération. Je pensais à Les Téméraires, et Natali m'a suggéré La Vache qui pisse, ou encore Le Sabot à moustache radioactif suspendu, mais Le Marginal d'Antonin Artaud me semble adéquat. À moins que vous n'ayez de meilleures idées à me proposer.

Je sais, c'est vos vies que vous embarquez dans ce projet, ce premier livre qui a demandé entre deux ans et cinq ans de travail en moyenne chacun. De plus, l'institution d'une entreprise d'édition n'est pas donnée, ça coûte 700 francs au départ à la Chambre de Commerce de Paris, mais à chaque trois mois, sécurité sociale oblige, c'est 5000 francs qu'il faut fournir au gouvernement. Ce qui représente un grand risque. Un prêt bancaire pourrait être octroyé, même à travers différents organismes tels que la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris et surtout par l'Agence Nationale pour la Création d'Entreprise (ASPAC, Centre d'Affaires). Il n'y a donc pas chance au niaisage, il faut se faire connaître et vite. Je nous donne un an pour arriver à faire un quelconque profit. Les auteurs recevront dans un premier temps 10 % du prix de vente de chaque livre vendu, comme la majorité des auteurs du Québec et de la France. Mon but n'est pas la réussite de Le Marginal, mais plutôt la réussite de chacun des quatre premiers auteurs. L'organisation idéale serait de partager les profits restants - après le distributeur (entre 17 % et 20 %) et le détaillant (40 %) - 50-50 entre l'auteur et l'Anarchiste. Bien sûr, tout cela reste à considérer en fonction des coûts de l'entreprise et des succès éventuels de nos démarches. Somme toute, pour l'instant, l'entreprise me semble coûteuse et risque fort de ne pas rentrer dans son argent. Davantage si elle doit tenter de faire survivre un employé à temps plein, moi, ce qui serait déjà miraculeux au début. Mais je ne demande pas d'argent aux auteurs. Il s'agit d'une maison d'édition autonome et non du compte d'auteur. N'ayez pas honte de le crier partout, c'est très important pour votre crédibilité.

 

Qu'est-ce que Le Marginal, quels sont ses objectifs à atteindre

 

Le Marginal, comme vous l'avez lu, est une entreprise d'art, et non pas une maison d'édition simple. Ainsi il se pourrait que je lance sur le marché un magazine qui pourrait incorporer à chaque édition un de nos livres (sous le nom de Le Marginal Magazine). Il s'agirait d'un genre de lancement de livre. La revue permettrait également à nous tous de nous exprimer directement et plus rapidement (en des articles) à un certain public, les familiarisant avec le nom de l'organisation. Surtout, de laisser parler les lecteurs, publier leurs articles qu'ils nous enverront. Il faudrait des articles étudiants des quatre coins du monde français.

Oui, je ne veux pas être limité. Natali et Patrice sont des artistes au sens large, à l'encontre de Franck et RM. Ils s'affairent dans plusieurs domaines et je veux que l'organisation puisse être présente en plusieurs endroits. Je veux être présent lors des grands colloques, comme celui de la Pataphysique qui avait lieu à Québec voilà quelque temps. Je veux que l'on puisse organiser un vernissage de tableaux en même temps que l'on lance un livre. Pouvoir présenter un film, sinon aller chercher des fonds et le produire. Je veux pouvoir monter une pièce de théâtre en le nom de Le Marginal, comme de pouvoir lancer une cassette de musique sur le marché. Commanditer le théâtre et donner l'impression que nous sommes impliqués dans tout. Tout cela est à moyen terme, bien sûr. Chaque chose en son temps. Mais je veux Le Marginal partout : festival de musique, Gala pour le Sida, actif dans le monde gay, même chez les féministes s'il faut. Nous sommes le reflet d'une autre génération et nous serons ceux qui rempliront la scène de demain.

Les objectifs sont donc de devenir le leader de l'art de notre génération. Être présents dans les universités et montrer que nous sommes là pour les appuyer et pour les produire. Les aider et les soutenir. Sans oublier de pointer du doigt les méchantes grosses institutions qui n'en ont rien à foutre de la relève et qui ne nous laissent aucune liberté artistique. Il serait absurde d'imposer à Natali ou à Patrice une couverture de livre, eux-mêmes sont capables de les créer et ont probablement déjà une idée claire du résultat. Il faut cette liberté, non pas comme un éditeur qui vend les droits d'un livre à l'insu de l'auteur(e). Il faut garder chez nous nos oeuvres, les protéger d'acheteurs éventuels qui n'achètent que pour empêcher les autres de produire. Ainsi, la propriété littéraire de l'auteur appartient encore à l'auteur. Si Patrice veut faire un film de son roman, il n'a pas à demander la permission à Mme "Y" des éditions "X", qui lui répondra que les droits littéraires de l'oeuvre ne leur appartiennent même plus.

 

Quelles sont les démarches pour que l'entreprise naisse vraiment

 

Pour l'instant, je désire les manuscrits pour les corriger, me renseigner avec un imprimeur sur les possibilités d'imprimer entre 300 et 500 copies de chacun des quatre livres. (Un cinquième livre sera probablement publié, d'un Français, histoire de montrer que notre maison est autant française que québécoise). J'aurais voulu mettre mon nom à ce projet, et si je le peux, je le ferai. Mais ma demande de Carte de commerçant étranger me parviendra d'ici un an, et peut-être même pas. Alors c'est Franck qui signe (car il est français), mais c'est lui et moi qui sommes à la tête de l'entreprise. On signera un contrat comme quoi les décisions se prennent 50-50 entre lui et moi. Mais nous sommes d'avis que la maison d'édition doit surtout écouter ses auteurs, les aider plutôt que leur nuire. Je le répète, il s'agit de notre réussite à nous quatre, et non la réussite de la maison d'édition.) Enfin, 300 à 500 copies selon les coûts pour la première édition. Ce seront des livres de poche mais avec papier blanc de qualité (pas de papier journal, et oui oui, sur papier recyclé). Quarante ou cinquante autres copies seront de luxe et se vendront plus cher. Ce sera en quelque sorte pour la famille, les amis et les lancements de livres. Idée de faire un peu de profit en commençant. Ces copies auront une valeur bibliophilique. Ce sont les auteurs, je crois, qui les auront à la maison. Le seul critère commun aux quatre livres, c'est la dimension en longueur et en largeur. C'est normal, il faut pouvoir insérer les livres dans une bibliothèque sans que ça ait l'air disparate, encore que... Mais la couverture et l'aspect, c'est l'auteur qui décide ce qu'il veut. Ainsi, les démarches sont les suivantes :

1- Lorsque l'on est enfin prêt, avec les livres imprimés, il faut s'inscrire à la Chambre de Commerce de Paris. Peu de temps après, on est prêt à lancer les livres sur le marché. Il faudra trouver un distributeur qui peut s'occuper de la France et du Québec.

2- Il faut s'occuper de certaines démarches relatives au dépôt légal, qui consistent à envoyer des livres à la Bibliothèque Nationale et au gouvernement français. Je m'en charge.

3- Il s'agit de faire un lancement de livre, avec invitations aux amis, parents, professeurs, etc. Pour Patrice, je suppose Montréal et Jonquière (deux lancements s'il faut). Pour Natali, Ottawa, Hull ou Aylmer. Pour moi, Jonquière, probablement, ou même pas du tout peut-être s'il s'agit de l'Underground. Pour Franck, ce sera à Paris. Mais à chaque lancement de livre, il s'agit aussi du lancement de Le Marginal. Alors les autres auteurs peuvent être présents s'ils le désirent, avec leur livre. Donc, il est probable que Natali viendra à Montréal, moi de même, et que je serai à Paris avec Franck. Et puis si ça intéresse Nat et Pat, ils pourront venir à Paris où on invitera les gens de la Délégation du Québec, Anne Hébert, et pourquoi pas l'éditrice du Seuil, Mme Blaise. S'arranger pour avoir un journaliste aussi, du Devoir ou de la Presse. Au Québec (et peut-être à Paris), la représentante de Le Marginal sera Céline Larouche (ma marraine, elle a environ une quarantaine d'années). C'est une femme jeune, intelligente, active; bref, la meilleure crédibilité que l'on pourrait avoir face aux journalistes.

4- Il s'agit ensuite de s'occuper du marketing, de la promotion. Je compte sur les auteurs d'une certaine manière pour promouvoir leur livre de leur côté, c'est normal et ce sera de toute manière instinctif. Le Marginal, de son côté, dans un premier temps, fera une brochure en couleur de quatre ou six pages qui présentera Le Marginal, les livres et les auteurs. Brochure qui sera envoyée partout où il sera possible de l'envoyer. Partout où il y aura un événement littéraire, un colloque ou une conférence importante, Le Marginal a l'intention d'y être. Il y a surtout les Salons du Livre en France et au Québec, dont il faudra chercher à y participer, jusqu'à faire des alliances avec d'autres maisons pour avoir des étagères et des places pour présenter les auteurs. Un certain nombre de livres seront envoyés à la presse en général ainsi qu'aux magazines. J'espère faire de la publicité partout où ça peut être gratuit, j'escompte même payer de la publicité si les choses vont bien. Eh puis, puisque notre clientèle est le monde universitaire, il me semble que les universités elles-mêmes, les collèges et même les écoles secondaires à la limite (pas pour l'Underground, bien sûr), me semblent être la place où commencer. La tournée des universités, des journaux étudiants et des radios étudiantes s'impose. L'organisation de conférences est une possibilité réaliste si les auteurs sont intéressés. À Jonquière, avec une bonne complicité des professeurs, les étudiants avaient lu le livre d'avance et posaient des questions aux auteurs. Et puis, pour le reste, toute idée est ouverte, toute occasion est à prendre. J'ai l'intention d'y être l'employé à temps plein, s'ingéniant à promouvoir les oeuvres.

Un projet qui me tient à coeur, c'est de trouver un traducteur ou une traductrice qui pourra nous ouvrir le marché américain et anglais. Il (ou elle) sera payé selon un pourcentage sur les ventes. À ce moment, je crois qu'il serait bien de s'installer sur Internet et d'ouvrir notre petit espace de débats. Nous aurons alors accès à un marché impressionnant. On pourra leur faire lire certaines pages de nos oeuvres et ils pourront commander les livres ensuite. Il faut représenter une nouvelle génération, en être le porte-parole. Le magazine pourrait devenir nécessaire à cet effet. Un magazine en communication avec le monde universitaire et collégial. Autant en France qu'au Québec, qu'en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Peut-être même que l'univers français de l'autoroute électronique est prêt à recevoir Le Marginal en français.

Oui, je vois large, ça semble utopique, mais on se lance en affaire ou on pourrit chez soi. Et moi je crois que l'on peut aller loin parce que nos produits sont de qualité, et c'est ça qui compte (voyez, je parle déjà en signe de dollars, de livres sterling plutôt, à moins que ce ne soit en francs ?). Il y a de l'intelligence dans l'oeuvre de Patrice, autant que dans l'oeuvre de Natali, et l'oeuvre de Franck est un chef-d'oeuvre de monde romanesque. Moi, je ne puis me glorifier, mais Pat et Franck, dans la mesure où je peux les croire, ont vivement été intéressés par l'Underground. Nos quatre livres sont différents l'un de l'autre, et c'est ça le coup de génie de Le Marginal. C'est que cela ne fonctionne pas comme un autre éditeur où il faut tellement que ce soit uniforme à la collection, que tu ne peux écrire qu'en fonction de leurs lignes directrices. Moi je veux pouvoir promouvoir n'importe quel projet en lequel je crois et qui me semble innovateur. Le livre interactif sur ordinateur, moi je veux en faire partie. L'Internet, au prix que ça coûte d'avoir une entreprise, faut y être et vite. Il n'y aura pas de siège social à Le Marginal. C'est autant au Québec, qu'à Paris, qu'à Londres ou à New York. Il y aura une case postale à Paris et une autre à Montréal, où on me redirigera ma poste où je serai. Je me suis renseigné, il y a des organisations qui font ça pour pas cher (ASPAC). Mais les livres seront imprimés en France, et effectivement, il s'agira d'une entreprise française. Je vous présente la chance de naître, noblement. Cela vaut-il la peine de continuer à se débattre inutilement, à espérer atteindre les marchés avec le soutient des autres ? Eh bien si oui, les autres, c'est moi, et je vous respecte davantage que ne le pourrait n'importe quelle autre maison qui n'en aura rien à foutre de ses nouveaux auteurs. Moi je vois grand, les éditeurs du Québec meurent au Québec. Michel Tremblay n'a aucun de ses livres à la FNAC ou chez Gibert Joseph en France. Ils ne sortent pas du Québec, et parfois j'ai l'impression qu'ils se contentent vainement de s'allier à de grandes maisons parisiennes qui ne font aucun effort pour eux. Ma classe de la Sorbonne n'a jamais entendu parler d'aucun auteur québécois, sauf dans le monde gay où on connaît bien Being at Home with Claude et les Feluettes. Ça passe mieux les frontières dans l'univers gay.

 

Quand devrait naître Le Marginal ?

 

Le Marginal naîtra lorsque les quatre premiers livres seront corrigés et revus par les auteurs et moi. Aucune faute de français ne doit apparaître, ce serait la fin du monde. Franck, je crois, m'aidera dans ce volet correction. Ainsi, mes intentions seraient de pouvoir lancer le tout juste avant Noël, sinon juste après. Ça semble vite, mais si je m'y active plein temps, ça ne prend pas des siècles à accomplir l'imprimerie de quatre livres. La période des fêtes est également importante puisque c'est la réunion des familles et que l'on a la chance de vendre plusieurs livres et de faire un peu de publicité.

 

Quel est le marché visé, dans quels pays

 

Le marché visé, c'est notre génération. En France et au Québec en un premier temps, Belgique aussi, pourquoi pas. Dans un deuxième temps j'espère viser les États-Unis et l'Angleterre. Mais j'ignore encore pour l'instant à quoi m'en tenir, cela sera seulement dans un deuxième temps. L'idéal, ce serait que le nom de Le Marginal ait un peu le statut de la bière Black Label, avant qu'elle ne devienne une bière publicisée. Une connotation plutôt Underground, comme la clientèle artistique habituelle que l'on retrouve dans les cafés alternatifs universitaires. Un peu à l'image de Natali en fait. (Vous avais-je dit que Nat a les cheveux verts et des pantalons faits de pièces rapiécées ? Elle travaillait chez les soeurs lorsque nous allions à l'université ensemble...) (As-tu encore les cheveux verts, Nat ?) Bref, il faut que les gens envient Le Marginal (oui, je sais, j'ai l'air de tenter de convaincre une gang de morveux qu'il faut convaincre les enfants qu'il n'y a rien de mieux au monde que Ronald McDonald et que Ronald McDonald est synonyme de Big Mac). Mais je veux un statut culte de Le Marginal. À ce propos, Patrice, si tu as le temps, j'aimerais beaucoup que tu me dessines un logo sur ordinateur. Je t'enverrai une photo du caducée. C'est le dessin qu'utilisent les médecins et les pharmaciens. Il y a un sceptre de Mercure avec deux serpents qui montent en tournant autour, comme la structure de l'ADN. En haut du sceptre, il y a une boule et deux grandes ailes. Ce que je veux, c'est qu'à la place de la boule, il y ait une tête d'anarchiste couronné. Cette tête seule pourra se retrouver comme symbole directement sur les livres. Le caducée est le symbole hermétique de la connaissance, ça montre le cheminement de l'initié sur la voie de la connaissance et de l'expérience. Le Mercure de France devait à l'origine avoir cette connotation mystique, car ils utilisent un caducée mal formé sur leurs lettres d'envois. Mon caducée est différent du leur et je crois qu'on peut le prendre sans problème puisqu'il s'agit d'un insigne général que l'on retrouve même sur les sacs de chez Pharmaprix.

 

Conclusion

 

Voilà, j'espère vous avoir convaincu que l'on peut atteindre nos objectifs, que l'on peut publier nos oeuvres, commencer à se faire connaître et avoir un peu moins l'impression de travailler pour soi-même uniquement. Et puis, si cette étape n'est que pour nous emmener à une autre étape plus importante, ne vaudrait-il pas la peine de tenter notre chance ? Je suis motivé, davantage motivé que jamais je n'aurais pu l'être, comme jamais je ne l'ai été. J'attends donc vos nouvelles, vous souhaite une bonne fin d'été, et si vous embarquez avec moi dans Le Marginal, je vous serais gré de me faire parvenir rapidement un disque sur IBM, WordPerfect 5.2 ou version inférieure, sur disque 1.44 Meg si possible. Je vous renverrai les quelques corrections et vous me confirmerez les changements ou me direz que vous voulez garder cette tournure comme elle était. Je serai large, car, bien que sachant que certaines tournures pourraient être mieux dites selon la grammaire traditionnelle de la Sorbonne et la nouvelle grammaire à but lucratif des profs de l'U. (F.) O., je crois, moi, à la poésie instantanée et aux lectures répétées du livre qui font que l'auteur est incapable de changer ce mot ou cette phrase qu'il a été habitué à savourer tel quel. Vous me comprenez ? Je veux dire que je ne vais pas me battre pour vous imposer des corrections ou faire comme les éditions Boréal, obliger deux fois Daniel Poliquin à réécrire l'Écureuil Noir. Enfin, j'espère que tout ira bien et que cette entreprise nous permettra de nous faire connaître et nous permettra de consacrer notre vie, que dis-je, de mourir étouffé dans l'art de faire de l'art. Des commentaires, suggestions, interrogations ou objections ? Faites-les-moi connaître.

 

NOTES

 

Il faudra me dire si vous désirez :

1- Une préface - écrite par moi, par vous, par un ou une ami(e).

2- Une brève description de vous et vos projets accomplis - écrite par moi, par vous, par un ou une ami(e).

3- Une photo de vous sur le livre ou à l'intérieur - en avez-vous une de vous que vous aimez ?

4- Tout autre chose (prologue, dossier, ajouts, CV, etc.)

 

De toute manière, que ce soit dans le livre ou non, il me faudra (fourni par vous ou par moi) :

1- Un court résumé de votre livre

2- Un genre de texte incitatif et informatif (sur le livre, sur vous, sur votre vie), prompt à intéresser un lecteur qui ne connaît rien de vous.

3- Un extrait représentatif du livre qui obligera le lecteur éventuel à sauter sur le livre pour lire le contenu.

Ces informations paraîtront dans la brochure et peut-être dans les livres des autres (selon les accords des auteurs).

 

Résumés sommaires des livres de chacun et de Le Marginal d'Artaud

 

HÉLIOGABALE ou Le Marginal, Antonin Artaud

 

Ce livre d'Antonin Artaud a été publié en 1934 pour la première fois aux éditions Denoël et Steele. Aujourd'hui vous retrouverez ce livre dans les Oeuvres complètes d'Antonin Artaud, Tôme VII, Gallimard, Paris, 1982. Le livre relate l'histoire d'Élagabal (Sextus Varius Avitius Bassianus), fils et prêtre du Soleil (alors appelé Héliogabale et étant monothéiste), qui était roi d'Émèse en Syrie et qui est devenu empereur romain (218-222) avant de se faire assassiner. L'idée d'Artaud c'est que les historiens l'ont décrit comme un monstre, un empereur roi, qui, de 14 ans à 18 ans, s'adonnait à l'anarchie la plus complète en des orgies sexuelles effrayantes et des pratiques assez dégueulasses comme la castration des hommes qui l'entouraient. En plus il était homosexuel, alors les historiens avaient tout pour cracher dessus, incapables de comprendre pourtant qu'il se soit marié à deux reprises. Selon Artaud, l'anarchie d'Héliogabale n'en était pas une, elle visait l'unité d'une autre anarchie, l'anarchie romaine (qui s'étendait dans tous les sens, était polythéiste, gisait dans la multiplicité humaine). Héliogabale, en tant qu'initié à la religion du Soleil, semblait poursuivre des buts précis, en des rites précis que l'histoire trouvait être de l'anarchie. La morale : qu'est-ce qui est anarchique ? Réduire et détruire la multiplicité humaine pour la ramener à l'unité (ce que faisait Héliogabale et ce que font les éditeurs aujourd'hui), ou bien détruire l'unité pour engendrer la multiplicité humaine (ce que l'on veut faire) ? Ce que je veux dire, c'est que l'on peut vite accuser d'anarchie lorsque les saintes règles du monde artistique sont remises en question, voire même oubliées. Mais ces sacro-saintes lois sont le résultat de la réduction de la liberté artistique, et cette destruction de la créativité pourrait bien s'appeler de l'anarchie (selon le point de vue des historiens du moins).

 

L'ENVERS DE LA PHILHARMONIQUE D'ANVERS, Patrice Bégin

 

Une trianguliste de Liège, Simone, décide qu'elle deviendra une musicienne virtuose et sera bientôt célèbre. Cependant, dans la philharmonique d'Anvers où elle performe, elle est victime de la raillerie de ces confrères, eux-mêmes divisés par des problèmes internes en partie dus à leur différence linguistique (français et flamand). Ces divisions achèvent de détruire la réputation de la philharmonique jusqu'au point où le public désintéressé obligera la formation à abandonner ses activités. Simone, dont la place dans l'orchestre avait été achetée par un mécène (son confesseur), s'endort sur scène et par cette bévue deviendra célèbre dans toute la Belgique du jour au lendemain. Elle devient maintenant Pataude la Virtuose, attirant les foules par ses actions extravagantes telles que de nouveaux costumes à froufrou et des nouvelles partitions de triangle dans des oeuvres qui n'en soupçonnaient même pas l'existence. Elle découvre certaines informations qui lui permettent de prendre le contrôle de l'organisation et de dévoiler l'envers de la philharmonique d'Anvers. D'opprimée, elle devient maintenant tortionnaire, même avec ses nombreux amants. En voie de conquérir l'Europe avec l'aide de son orchestre ressuscité, jusqu'où notre petite trianguliste qui habitait chez les soeurs peut-elle aller ?

L'Envers de la Philharmonique d'Anvers est intelligent, drôle, philosophique par endroit, documenté et s'apparente aux romans que le public connaît bien. C'est un livre que je juge génial et je suis convaincu que les critiques ne pourront affirmer le contraire. Il faudra envoyer les livres à des concours, et je crois que ce livre a de bonnes chances d'en remporter quelques-uns.

 

LE SCRATIPOIND ou L'HISTOIRE D'UNE CUILLÈRE À THÉ, Natali

 

Le Scratipoind est une histoire loufoque qui remet toutes les conventions littéraires en question. C'est franchement une réussite de satire de tous les genres littéraires. Inspirée de Boris Vian et de la Pataphysique d'Alfred Jarry, Natali nous offre l'histoire d'une cuillère à thé et d'un Scratipoind (un gros pied noir) qui traversent de nombreuses aventures bizarres. Le tout enrobé d'une imagination qui semble directement puisée à même le ciel, tant jusqu'à la fin on n'en finit pas de découvrir des passages surprenants. Toute la chronologie et l'espace sont éclatés, en des prouesses d'écriture que je n'ai même pas rencontrées en cinq années d'études en littérature à l'université. Les idées et l'imagination que transpire cette oeuvre me font croire qu'elle pourrait révolutionner un certain secteur de la littérature dont j'ignore même s'il existe. S'il n'existe pas, ce sera très innovateur. Bref, ce sera le livre le plus anarchique de la maison d'édition, et de par le fait même, celui qui justifie son nom.

 

KY761, Franck Meyrous

 

KY761 est un roman bizarre où la folie du personnage principal, Cayenne, finit par se refléter dans la structure du livre. Tous les moyens romanesques pour captiver le lecteur sont en place, l'univers de la grande Horque (une baie maudite sur le bord de la mer), devient très réel et nostalgique. Cayenne trouve un enfant sur le bord de l'eau et il décide de le garder sans avertir les autorités. Une femme étrange, que seuls lui et l'enfant peuvent voir, apparaît et disparaît, remplissant leur univers fantasmagorique. Après des discussions toujours intéressantes, suivent des actions encore plus surprenantes. Cayenne est pris de folie et finit par tuer l'enfant, de sang-froid. Puis l'histoire se continue en une fuite un peu bizarre, qui se termine par l'arrestation de Cayenne et la psychanalyse du personnage par le docteur Edward Karl Longe. Ce médecin psychanalyse le dossier KY761, c'est-à-dire à la fois Cayenne et ses actions, mais également le roman. Je n'ai point été capable de lâcher le livre une fois que je l'ai pris dans mes mains.

 

UNDERGROUND, Roland Michel Tremblay

 

L'Underground est une fiction inspirée de la vie de l'auteur. Il s'agit d'un jeune étudiant qui achève ses études à l'Université d'Ottawa et qui rêve de Paris et New York. Il tentera de bénéficier de l'assurance sociale après un emploi d'été qui s'avérera désastreux, puis se retrouvera enfin à Paris pour continuer ses études. C'est alors qu'il découvre une société secrète qui s'active à l'intérieur d'une station de métro désaffectée près des catacombes sous le parc Montsouris. (Peut-être devrais-je publier un autre de mes livres à la place, genre La Révolution ?)

 

***

 

Mot de la fin

 

Voilà, j'espère vous avoir convaincu qu'il s'agit de quatre livres impressionnants et de qualité, qui n'attendent que d'être lancés sur le marché. Je dirais que j'ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes et de lire les bonnes choses. Comme toute maison d'édition à ces débuts, il est vrai qu'il y aura une évolution, et je suppose qu'avant la première année d'activité, chacun de nous aura un deuxième livre publié, ou du moins, d'autres auteurs s'ajouteront à la liste (géniaux seulement, je ne veux pas publier n'importe quoi, et je serai très strict là-dessus). Avec plusieurs livres à nos noms, je crois que l'on peut aisément, sous la couverture de Le Marginal, avec le temps, devenir de très grands écrivains, ou du moins des écrivains qui auront quelque peu influencé le monde de la littérature française et peut-être même anglaise. Vous voulez parier ? Les enjeux sont ouverts.

 

R.M.

 

***

 

Londres, le 11 septembre 1995

 

Salut Patrice,

 

Ici à Londres tout va bien, j'ignore encore si on retourne à Paris au mois d'octobre. Pour l'instant on travaille, c'est tout ce que je peux dire. À la première lecture de ta lettre, je t'avoue que j'ai explosé. Ton réalisme, de mon point de vue, se rattache à un cynisme qui n'était pas trop bon pour la santé de mon entreprise. Parce que, si je commence à douter de moi et de mes projets, tout risque de s'écrouler. Avant de commencer un projet d'envergure, est-ce que l'on doit regarder le tout et se dire, mon Dieu, il va falloir faire tout cela ? Je pense pour ma part qu'il faut se lancer dans le projet d'envergure la tête pleine d'idéaux avec la ferme intention d'arriver à bon port. C'est vrai que j'ai cette tendance à vouloir aller vite, mais toi-même tu le sais et le dis, ça peut prendre de deux à cinq ans pour accomplir un projet. Avec la nette intention d'aller de l'avant, on arrive à croire que le projet pourrait être terminé entre six mois et un an. C'est difficile de commencer un nouveau roman lorsque l'on sait que l'on ignore où il va nous mener, et quand il sera terminé. Pour ma part je me donne sans cesse l'impression que c'est presque terminé, ainsi j'ai la motivation pour continuer à y travailler. C'est un peu la même chose pour Le Marginal. Je dis que peu après Noël cela devrait voir le jour, pour Noël ce serait encore mieux, mais bien sûr que je considère nettement la possibilité que cela prenne un an, peut-être même deux si je vais à New York. De toute manière je ne perds pas mon temps puisque je continue à écrire. Mais je ne veux pas m'avouer ces choses, sinon je commence à fainéanter, comme tu dis, à me dire que j'ai encore bien du temps devant moi. J'ai toujours eu cette conscience que l'on n'aurait pas assez de temps pour tout accomplir et je ne veux pas m'éterniser des années sur des projets comme j'ai fait dans le passé. Je m'excuse si je t'ai brusqué, je te dis maintenant qu'il faut prendre cela avec un grain de sel. Moi-même je ne désire pas briser notre amitié là-dessus. En ce qui concerne la nécessité de pouvoir corriger maintenant les manuscrits, c'est qu'il s'agit d'un travail long et fastidieux, qui peut s'étendre sur six mois. Mais bien entendu, si tu me dis que ces chapitres vont changer encore, il ne faut pas me les envoyer. J'avais cru comprendre que tu les avais beaucoup travaillés et que tu les considérais terminés dans leur ensemble.

Je suis tout à fait d'accord avec toi que tu veuilles publier avec une plus grande maison d'édition déjà connue. Bien sûr, on n'appartient pas à la même famille littéraire, ton oeuvre elle-même ferait tourner le ventre de Mme Blaise aux éditions du Seuil. Elle te brandirait peut-être un contrat et je dois t'avouer que j'ai été bien tenté de lui donner la copie que j'avais de l'Envers du Philharmonique d'Anvers. Mais je crois que tu voudras attendre d'avoir une copie plus définitive, alors je serai à ta disposition pour te mettre en contact avec elle. Mais comme tu me dis que ta carrière en littérature semble venir après celle en cinéma dans le moment, j'aurais bien envie de lui envoyer la copie que j'ai, pour avoir ses impressions. D'autant plus que peu importent les changements que tu pourrais y apporter, ils ne seront jamais si grands pour qu'ils fassent une nette différence aux yeux de Mme Blaise. Mais je ne fais rien à ce propos sans ta demande express. Je te dis que je cherche ta réussite et non celle de l'Anarchiste. Si je peux t'aider à entrer au Seuil, ce but sera accompli. Et puis je t'avoue que jamais je ne prendrais le manuscrit d'un ami pour le présenter à Mme Blaise, parce que c'était bien souffrant de la rencontrer dans son bureau au Seuil sur la rue Jacob. Je le ferais pour toi parce que je crois en ton livre et que j'ai l'impression qu'elle ne pourrait dire non.

D'autre part, je n'ai plus l'intention de laisser mourir mes projets même si tu n'embarques pas. Lorsque tu verras que tout fonctionne, peut-être seras-tu davantage intéressé et que tu auras plus de temps ? Je ne voyais pas très bien comment partir une maison d'édition avec seulement trois livres, mais je vais faire un appel aux étudiants de quelques universités pour qu'ils m'envoient des manuscrits, et dès lors je verrai s'il n'y en a pas d'autres comme toi et moi qui auraient des choses intéressantes à publier. Pour le financement, le gouvernement du Québec me le garantit, selon les papiers que j'ai reçus. Je n'ai qu'à faire la demande, je crois bien que ce serait positif. Mais le Québec c'est dans un deuxième ressort, seulement si ça ne fonctionne pas à Paris. Selon Franck, on a une confirmation d'un gars à la société des entreprises qui nous garantit un prêt. Alors je suis optimiste. Lorsque je serai à Paris cet automne, je ferai des démarches pour trouver un distributeur. J'ai la liste de tous les distributeurs du monde français, s'il ne s'en trouve pas un seul là-dedans qui veuille nous distribuer, on avisera. Selon le gars à l'Association des Éditeurs du Québec, il y a quantité de distributeurs qui commencent et qui cherchent des maisons d'éditions nouvelles. Mais personnellement j'espère prendre le même distributeur que les grandes maisons d'éditions, si cela est possible. Mais cela reste à voir, et je ne crois pas que cela doit nécessairement venir avant les corrections de texte. Parce que des corrections c'est long, ce n'est pas inutile même si le projet ne fonctionne pas, et qu'à un moment donné il y a tant à faire qu'il faut avancer. Ça fait déjà deux mois que je me démène dans la bureaucratie, si tu veux je t'enverrai la pile d'informations et la liste des démarches que j'ai faites (pardonne-moi, je voulais t'épargner ce volet administration affreux). Tu me disais que tu aimerais peut-être laisser la maison d'édition s'occuper de tout, même de l'aspect du livre et des corrections sans te redemander ton avis. Si c'est vraiment ce que tu veux, je peux m'occuper de tout cela aussi. Dans ce cas ce serait plus simple, tous les livres se ressembleraient comme au Seuil, sauf que l'aspect serait sobre. Mais enfin bon, il m'est peut-être vain de te parler de tout cela, puisque ton livre ne sera pas terminé avant quelque temps et que tu voudras sans doute l'envoyer à des éditeurs. En ce qui concerne les concours, renseigne-toi. Les meilleurs concours à gagner sont ceux qui concernent l'après-publication. Avant la publication il y a toujours Robert Cliche, c'est avant le mois de mars qu'il faut envoyer les manuscrits. Lorsque tu seras prêt, je te communiquerai les adresses des éditeurs à Paris et au Québec, si tu veux. Ils prendront peut-être le temps de lire ton livre (à travers les 6000 manuscrits qu'ils reçoivent chaque mois, d'après ce que j'ai pu comprendre).

Ta lettre m'a rendu un peu bizarre, je ressens tout à coup le besoin de me justifier sur mes capacités de mener à bien mes projets. Écrire, c'est toute ma vie, j'ai sept livres à mon actif. Ça fait cinq ans que je me démerde avec les éditeurs. Je suis conscient du monde de l'édition, je suis toujours allé aux salons du livre, j'ai été en contact direct avec des éditeurs (Robert Yergeau aux Éditions du Nordir, Mme Blaise au Seuil, Arnaud et Thierry chez Gallimard). Tous les projets qui me tenaient à coeur je les ai menés jusqu'au bout (sauf la maîtrise, mais ce projet ne me tenait pas à coeur, tout comme le droit). Toute ma vie j'ai eu des parents sur mon dos pour me cracher dessus parce que je voulais écrire alors qu'il fallait étudier cet examen de physique ou de droit. Toute ma vie j'ai eu des parents pour m'interdire d'ouvrir l'ordinateur sous prétexte de réussir mes études et mon avenir. J'ai dû me battre pour arriver où j'en suis, et aujourd'hui j'ai au moins gagné la confiance de mes parents. Ils ont certes exprimé quelques inquiétudes comme toi sur mon projet, mais tout de suite ils ont eu l'impression que, oui, c'est logique qu'il en arrive là, et oui, il réussira. Autrement dit, mes parents sont maintenant une source d'encouragement alors qu'ils ont toujours été un obstacle. Et les obstacles, habituellement, ne sont que des gens qui ne croient pas en toi, ont un esprit plutôt régional et sont pessimistes quant à notre réussite.

Je ne retourne pas à l'université, mais en théorie oui. J'aurai des prêts probablement. Et puis ma survie, peu importe où je suis dans le monde, ne m'inquiète point. Je n'ai jamais eu de parents pour m'aider, et regarde où j'en suis. Depuis cinq ans je me suis débrouillé et mes parents ne m'ont jamais posé de question. Alors ce n'est pas cette année que l'on me retrouvera en train de mendier dans la rue. Et puis non, je ne minimise aucunement l'importance de chacune des variables de mon projet (argent, impression et distribution). Mais n'est-il pas normal avant de faire toutes ces démarches de savoir si les gens dont tu veux t'occuper sont intéressés ? Je considère ta réponse comme un non, ou alors un oui à moyen ou long terme. J'ignore encore la réponse de Nathalie, bien qu'elle semble comme toi intéressée. Pourquoi demanderais-je de l'argent si dans le fond vous me dites non dès le départ ? Il me faut au moins savoir si les gens que je veux publier veulent effectivement que je les publie.

Vois-tu Patrice, je n'ai jamais eu une ribambelle de gens autour de moi qui m'admirait, qui croyait en moi, qui m'encourageait. En tout temps je n'ai eu que des commentaires négatifs qui toujours me freinaient dans mon élan. Eh bien moi je n'ai pas envie de me laisser freiner dans mon élan et moi je veux faire ce que je veux faire. À aucun prix, cependant, je ne voudrais sacrifier notre amitié. Je ne t'en veux pas si tu n'embarques pas dans le projet, je veux que tu comprennes cela, je suis sincère. Je l'attendais ta lettre, je m'étais préparé psychologiquement à ta réponse. J'avais accepté que tu veuilles essayer ailleurs avant ou que tu veuilles t'occuper d'autres projets. Mais ce que je n'avais pas prévu, c'est les attaques concrètes sur le projet que je veux monter. Toi tu te démènes dans les bourses pour scénario, les équipes complètes de productions et les commanditaires, moi ce sera la même chose et j'en suis très conscient. Et si le projet t'intéresse toujours, le jour où tout sera concret, c'est-à-dire des livres déjà publiés, et peut-être même un peu de succès, et bien tu seras le bienvenu. Mais ton roman ne sera publié que bien plus tard, parce que c'est beaucoup de travail, alors que tout sera déjà en action. J'ignore donc comment tout ira, mais sois certain que je mettrai un point d'honneur à ton travail, parce que moi j'y crois. Je trouve seulement un peu triste que nous n'aurons pas une telle oeuvre à présenter en commençant la maison, car ça apporte une certaine crédibilité. En ce qui te concerne, donc, je mets tout sur HOLD, et j'attends que tu m'en donnes des nouvelles. Pendant ce temps je vais tout de même te tenir au courant de mes démarches.

Pour la deuxième partie de ta lettre, je m'étais résolu à ne pas la lire, j'avais peur que tu détruises mon idée de scénario. J'ai même eu honte de t'avoir parlé de Denys Arcand, cette phrase qui t'a inévitablement fait sourire. Aucun doute, à tes yeux et à mes lettres, il y a de multiples raisons pour que tu puisses me prendre pour un jeune naïf qui bientôt s'ouvrira les yeux sur un monde sans merci où rien n'est évident. Puis j'avais peur que tu me fasses comprendre qu'il n'y avait aucun espoir avec ce scénario et qu'effectivement c'était du travail inutile. Tellement que j'en étais convaincu avant de lire ta lettre et je m'étais rangé dans mon élan, me disant que mon domaine n'était pas celui du cinéma et que je n'avais aucun espoir de faire déboucher ce projet. Encore moins de gagner l'appui d'Anne Hébert (l'éditeur ayant déjà donné le feu vert et même était prêt à me mettre en contact avec des producteurs français, de ce que j'ai pu comprendre au téléphone avec la maison d'édition). Mais au contraire, ta lettre m'a dit que ce n'était pas si pire et je te remercie d'avoir pris non seulement le temps de m'écrire tous ces commentaires, mais en plus de m'inviter dans le courant des prochains mois à t'envoyer le produit final que j'ai l'intention de faire lire à Anne Hébert. Mais pour l'instant je n'ai plus le temps, je mets cela de côté. Tes commentaires sont très justes et précis, bref, beaucoup plus constructifs que ce que je m'attendais à recevoir. Je suis cependant désolé que tu te sois senti en quelque sorte obligé de rédiger cette lettre, moi aussi je suis maintenant très mal à l'aise vis-à-vis toi. Je ne sais plus quoi penser, mais chose certaine, tu es très clair et direct, on ne peut certes pas te reprocher cette qualité. Ça évite à bien des gens de téter longuement avant de découvrir ce que l'autre pense ou veut. C'est probablement une qualité essentielle lorsque l'on est embarqué dans un projet jusqu'au cou et qu'il faille transiger avec une équipe complète de gens qui veulent imposer leurs idées. Ma tante Céline m'a dit dernièrement : " Partir en affaires avec un ami, c'est perdre un ami". Je m'inquiète de cette expression par rapport à Franck, mais maintenant je m'inquiète tout aussi bien avec les auteurs. L'avenir nous dira ce qu'il en est, mais la plupart des auteurs que j'ai rencontrés dans ma vie, pratiquement aucun ne m'a d'emblée lancé qu'il était heureux dans sa relation avec l'éditeur. Je me souviens d'une auteure en conférence au Cégep de Jonquière qui me disait que son éditeur l'obligeait à mettre un dessin d'un petit joueur de hockey dans la rue avec un gilet des Canadiens de Montréal. Il y a de quoi se tirer une balle. Ça s'est terminé en cour de justice. On ne parle pas des couvertures des livres d'Anne Hébert, ça frise l'hystérie des préjugés français sur le Canada. As-tu lu la biographie de Colette lorsqu'elle parle de Gallimard ? Tout cela m'amène à dire que je ne m'étais pas préparé à cela, mais il va me falloir négocier avec tous ces gens-là et que ce ne sera pas si facile.

Voilà, je te laisse. Enjoy Montreal as much as I enjoy London, passe un bon début d'année scolaire out of school, et bonne chance dans ton projet de scénario. Ah oui, don't be as naughty as I am now...

Roland Michel Tremblay

29 Marble House

Elgin Avenue, Maida Vale

Londres, W9 3PS

Grande-Bretagne

 

***

 

Londres, le 26 août et le 11 septembre 1995

 

Salut ô Franck, amour de ma vie, (je me pratique à t'aimer davantage, selon ma marraine, se lancer en affaires avec un ami, c'est perdre un ami. Alors on va faire des efforts pour demeurer des amis sinon ce sera la faillite.)

Franck a une seule réticence, il n'a pas le temps de se lancer dans l'aventure à 100 %. Eh bien je ne vois pas de problèmes, ce qui m'importe surtout c'est que tu mettes ton nom sur les papiers. Mais d'après les papiers que j'ai reçus du Québec (en admettant que je commencerais la maison au Québec), il me serait très simple d'avoir un prêt assez élevé qui me permettrait de faire survivre deux personnes au moins. Je suis donc convaincu qu'en France nous serons capables de nous procurer un prêt suffisamment élevé pour que nous deux puissions survivre. Mais d'accord, je crois que ce n'est peut-être pas utile dans un premier temps que nous soyons deux à travailler là-dessus à plein temps. Mais il faut suffisamment d'argent pour survivre un an ou deux, avec la chance de se payer un traducteur et publier en anglais (surtout pour l'Underground, car étant surtout gay, mon public est restreint. En anglais je peux déjà envoyer le livre aux magazines et journaux gays des États-Unis, du Canade et d'Angleterre).

Tu m'annonces encore cette idée de partir une deuxième maison d'édition plus lucrative en parallèle de la première. Je ne suis pas contre, mais comment pourrais-je trouver le temps de m'occuper de deux maisons d'édition ? Sans compter que ça implique le doublage de toutes les démarches administratives et surtout, 10 000 francs à fournir chaque mois au gouvernement. J'opterais plutôt pour ceci : d'accord pour publier des choses plus lucratives, mais je veux que ce soit fait sous le nom de Le Marginal et que ce soit suffisamment jeune, de notre génération, pour que ça ne semble pas trop disparate que l'on veuille s'occuper de ces projets. Jeux de société, je ne suis pas contre. Livres de voyages, ou documentation spécifique sur certains villages historiques, ça peut rapporter beaucoup et ça peut se faire dans une collection spéciale de notre maison. Comme, j'ai l'intention de faire un livre sur Val-Jalbert avant l'été prochain, que l'on ne vendrait qu'au village de Val-Jalbert et à quelques centres touristiques du Saguenay-Lac-St-Jean. Rassembler toutes les archives (que j'ai déjà), tout foutre ça dans un livre accompagné de ma pièce de théâtre historique qui raconte l'histoire du village. Tu ne saurais t'imaginer le nombre de touristes qui chaque année visitent le village et achètent n'importe quoi. Surtout la documentation qui concerne le village. Et pour l'instant, il n'existe rien sur le village. Et ça mettait en maudit les touristes d'être obligés de se contenter d'une petite brochure sans intérêt. Donc, oui pour s'occuper de choses plus lucratives, peut-être même des essais universitaires dont on aura la certitude que les profs feront acheter ces livres à leurs jeunes les années suivantes, mais que ça reste dans notre maison sous des collections différentes. Il y aura donc fiction et non-fiction. Dans non-fiction on retrouve voyage, essais, etc. Même que l'on pourrait peut-être inscrire notre maison sous deux noms (Le Marginal et Le Couronné), ce qui nous permettrait de faire une distinction. Je disais donc que l'on peut voir à n'importe quel projet qui nous est présenté, s'ils payent, oui bien sûr, pourquoi pas. Et même s'il faut faire quelques recherches, si c'est lucratif, pourquoi pas.

J'aimerais aussi me renseigner sur la possibilité d'acheter ou louer une machine à relier les livres, alors on pourrait faire du travail de reliure pour les autres tout en épargnant peut-être de l'argent à long terme. Faut voir à ça et se renseigner, avant tout, sur les prix des imprimeurs à Paris et la qualité qu'ils peuvent nous fournir. Vaut mieux payer plus, parce que j'ai de mauvaises expériences avec les imprimeurs de Paris, ils se foutent pas mal du produit fini, surtout les étrangers. Il faut surtout faire affaire avec des Français, et en trouver avec qui on peut parler, pas de ceux qui sont bêtes et auxquels on ne pourra rien expliquer de ce que l'on veut. Je crois qu'il faut emprunter davantage que moins. Il faut pouvoir payer les places dans les salons du livre, (1000 $ au Québec, il s'agirait alors de ne se payer que Québec et Montréal et Paris et les grandes villes françaises). Au début il faudra partager des étagères avec d'autres, car on n'aura pas suffisamment de livres. Je ne crois pas, selon les infos que j'ai reçues, que tu dois être sur le chômage pour emprunter. Ils font des démarches pour toi et prennent cinq pour cent au passage. On va essayer, je crois qu'ils garantissent le prêt (à l'ASPAC et à Paris Entreprendre). Au Québec, ce serait tellement simple ! Le gouvernement garantit le prêt à 100 % et rembourse même mes dettes d'études, tu te rends compte ? Ils veulent tellement que les jeunes partent des entreprises qu'ils sont prêts à tout pour t'aider. Je t'envoie l'information que j'ai reçue.

Le Marginal est un projet sérieux et j'aimerais bien le rendre rentable plutôt que de le financer à partir d'une autre maison parallèle. Pour ce faire, il faut de bonnes idées. Je suis cependant prêt à faire des compromis dans la mesure où il s'agit de survie et que la qualité de l'Anarchiste n'en sera pas diminuée. En ce qui concerne les livres de recettes, je ne suis pas tout à fait convaincu. Si tu m'apportes ton plan d'action et que c'est réalisable et lucratif, je ne dirai certes pas non. Mais moi personnellement si je commence à écrire des livres de recettes alors que je ne suis pas certain que ça rapportera en fin de compte... Le mieux n'est-il pas de publier ceux qui sont prêts à payer pour la publication ? Mais pas les auteurs, je parle d'organisations commerciales ou de sujets de thèses d'étudiants dont certains musées sont souvent prêts à payer pour publier. Il faudra voir à ça. Il y a des profs aussi qui bénéficient de budgets de départements scolaires pour mettre sur le marché leurs essais ou compte-rendu de conférences. Des compagnies qui doivent publier la documentation à fournir avec leurs produits (comme les livres informatiques qui accompagnent les ordinateurs). Tout ça est des idées. Crois-tu qu'il nous faille vraiment deux entreprises parallèles ? Peut-être...

Enfin, en ce qui concerne mon retour à Paris, c'est autour de la fin octobre, au plus tard en novembre. Notre bail se termine le 23 novembre (ça fera alors six mois), mais Bruno termine de travailler un mois avant cette date. Alors on verra si on peut partir avant. Encore une fois, je n'en ai que pour Paris. Être libre, je crisserais mon camp pour Paris demain matin, aujourd'hui même. Si cependant Bruno trouve un emploi à Londres ou à New York, il faudra aviser. Pour l'instant Bruno me dit qu'il ne veut pas payer pour moi aux États-Unis alors que ce sera impossible pour moi d'y trouver du travail (il paye déjà pour moi à Londres). Et dans ces conditions, comment survivrais-je, moi, à Paris ? Je n'ai pas réussi à me réinscrire à la Sorbonne, je me demande où sont les papiers d'inscription. Il me faut faire cela pour avoir un visa et peut-être trouver un emploi à Paris (j'ai le droit de travailler après un an). J'aimerais bien que notre projet ne meure pas si je ne parviens pas à habiter à Paris. Tout au plus le retarder, car j'ai confiance que je serais de retour à Paris durant la prochaine année. Au pire, je serai alors au Québec, et nous pourrons travailler chacun de notre côté. La correction des textes, la lecture des manuscrits, trouver un distributeur, cela peut se faire à distance dans une certaine limite. Alors dans un premier temps ce ne sera pas si grave si je ne suis pas à Paris. L'Aspac (ou Paris Entreprendre) peut me renvoyer la poste où je veux, c'est un service qui ne coûte pas cher. Bref, on verra en temps et lieu selon les circonstances. Pour l'instant je te souhaite de trouver un emploi qui rapporte. Si tu en es incapable, ce sera une bonne chose pour l'Anarchiste, sinon pour ton prochain roman (dont tu ne m'as plus reparlé depuis et que je serais heureux d'en entendre parler).

Je t'envoie de la lecture, les informations relatives aux nouvelles entreprises et les livres de Pat et Nat. Tu n'as pas besoin des lire, puisqu'il te faudra les relire attentivement après mes corrections. C'est juste pour que tu te fasses une idée en gros de ce que c'est. Crois-tu que c'est publiable ? En ce qui concerne Patrice, c'est certain que c'est génial. Le seul problème c'est qu'il lui reste quelques chapitres à écrire, qu'il veut même se rendre à Anvers en Belgique par souci de perfection, qu'il vient de recevoir une bourse énorme du gouvernement du Québec pour travailler sur un scénario et le tournage d'un film (qui passent avant son roman), et qu'il aimerait bien tenter sa chance chez de grands éditeurs avant de se lancer avec nous, malgré son emballement pour notre projet intéressant. Alors je crois qu'il faudra l'oublier, s'il embarque ce sera tant mieux. Tu as redemandé les livres de tes amis pour savoir s'il y avait quelque chose de génial ? N'aie pas peur de leur dire non si tu as de quelconques doutes, il faudrait se restreindre à ne publier que de la qualité sinon on ne risque pas d'aller très loin. Si tu n'es pas d'accord avec le livre de Natali, je me charge de lui dire qu'il y un comité de lecture (toi et moi) et que finalement ça ne correspond pas à notre ligne éditoriale (même si justement c'est du bizarre et du nouveau que je recherche et qu'elle a justement écrit dans ces critères...). Si on ne trouve pas d'autres auteurs dans tes amis, on pourra passer des annonces dans les universités pour trouver des gens qui ont écrit des choses intéressantes. De toute manière, on peut commencer avec trois livres à publier et ensuite publier d'autres livres. Encore une fois on avisera. Donc la marche à suivre est la suivante :

1- Je termine une version définitive de l'Underground et je te la donne pour vérification attentive (d'ici la fin du mois de septembre je te la ferai parvenir, si possible. Ça te prendra le temps qu'il faudra, ne t'inquiète pas si tu travailles, nous ne sommes pas dans le feu. Les délais que j'avais écrits dans la lettre-manifeste sont là pour nous motiver à agir, mais ne sont pas des échéances coulées dans le ciment qu'il faut absolument respecter).

2- Tu m'envoies une copie définitive de ton roman que je me charge de corriger. (Ne perds plus ton temps à le faire lire à ton entourage, ils ont tous des opinions contradictoires l'un l'autre et ne t'offrent rien de vraiment constructif.)

3- Lorsque je reçois le livre de Natali, je le corrige, tu le corriges, on lui renvoie, elle me le renvoie.

4- Si tu trouves d'autres auteurs, on corrige leurs livres. Sinon, on enclenche les recherches d'autres auteurs ou, selon les circonstances, on saute directement à l'étape suivante.

5- Lorsque l'on a nos trois livres ou plus corrigés et prêts à être imprimés, je serai probablement à Paris et on cherchera sérieusement le financement (à moins que tu n'aies réussit à régler la question entre-temps), les imprimeurs, les distributeurs.

6- On communique avec la Bibliothèque Nationale, le gouvernement français qui s'occupe du dépôt légal, puis le gouvernement en ce qui concerne l'établissement de notre maison d'édition.

7- On fait les lancements de livre, on commence la promotion comme on peut, selon notre horaire du temps.

8- En même temps on voit à d'autres auteurs, à nos futurs livres à nous, aux autres projets parallèles plus lucratifs.

Dans cette dernière possibilité, tu devras alors travailler plein-temps avec moi. Je suis convaincu que l'on pourra tous deux en vivre, et deux ce ne sera pas de trop car ce sera beaucoup de travail. Si on réussit à avoir un prêt suffisamment élevé, il faudra considérer la possibilité d'acheter un nouvel ordinateur dernier modèle compatible IBM et Apple. Ça réglerait instantanément bien des problèmes de conversion. Il faudra se renseigner à savoir sur quel modèle il vaudrait mieux travailler, et s'il y a possibilité de travailler sur l'un ou l'autre sans problème réel en ce qui concerne l'imprimeur.

Ça a l'air d'être une marche à suivre impossible à suivre, mais tout cela s'étend sur la prochaine année, alors ce n'est pas de l'ordre de l'impossible. J'espère que tu crois autant que moi à ce projet et que l'on réussira à le mener à terme. Je t'envoie le début de Denfert-Rochereau, tu me diras ce que tu penses de mon premier vrai roman. J'ai l'intention de bientôt envoyer ce début à Mme Blaise du Seuil pour avoir ses impressions, que penses-tu de cette idée ?

Ah oui ! j'ai reçu les réponses du concours pour jeunes auteurs ! Tu te souviens, j'avais envoyé trois manuscrits. Imagine-toi qu'ils donnent les livres à des adolescents dans des écoles, ils doivent donner leurs avis sur ce qu'ils ont lu (que l'on peut ensuite lire) et décident si oui ou non ça doit être lu par le comité de lecture final, c'est-à-dire la brochette d'auteurs de chez Gallimard. Encore une fois il s'agit d'un concours pour les jeunes auteurs, mais d'une littérature qui s'adresse à de jeunes lecteurs. Alors tu crois bien que je n'avais aucune chance. Ils ont tellement reçu de manuscrits que de se rendre au comité final est très difficile. Imagine-toi donc que la jeune fille qui a lu l'Underground a écrit tout le contraire de ce que j'aurais cru :

" J'ai beaucoup aimé ce texte. Il est original et bien écrit, dans un style direct et original, agréable à lire. Je pense que ce texte mérite de figurer dans la sélection finale. Mon conseil à l'auteur serait de continuer dans cette voie, en restant aussi près de ses émotions et de sa sensibilité, ce qui touche le lecteur en profondeur et lui donne envie de lire ! "

Bien sûr, je n'ai pas gagné en finale, d'aucune façon ce livre ne s'adresse à un public jeune. On me dit cependant que "cette présélection est tout de même encourageante "car il y avait une " forte concurrence".

En ce qui concerne la Révolution, c'est la mer à boire. La fille étudie dans un Lycée, je mettrais ma main au feu qu'elle n'a même pas su s'y retrouver dans la table des matières. Elle a cependant vu que le livre était très construit, qu'il se contredisait (là où elle voit de la répétition), et que l'on ne peut pas trop vite cracher sur un tel ouvrage :

" Ce long texte m'a laissé très perplexe. Il est, de toutes façons [sic], trop long. Contenu fort déconcertant, qui peut sans doute intéresser, mais qui est très répétitif. "

Ni la Révolution ni La Voix de la Vérité ne se sont rendus en finale. Une fille de 18 ans (c'est mentionné) a lu le dernier manuscrit, ainsi qu'un autre garçon du même âge je suppose. Semblerait que c'est un professeur qui rend les commentaires des jeunes :

" Ce texte très dense, à la fois philosophique et poétique, ne manque pas d'intérêt. Toutefois les adolescents qui l'ont lu l'ont trouvé très ambitieux dans son propos et un peu lourd et prétentieux dans son style. En fait, ce manuscrit est trop important pour être retenu par le Prix du Jeune écrivain. Les textes des lauréats sont publiés dans un recueil édité par Le Monde. Celui de 1994 (236 pages) contenait les 9 premières oeuvres primées. Impossible de publier vos 108 pages dans le prochain ! Peut-être un éditeur serait-il intéressé... Un texte plus court serait le bienvenu pour 1996. À votre plume ! "

Tu comprends que dans ces conditions je ne m'explique pas comment l'Underground soit parvenu en finale. Ma conclusion à tout cela, et puisque la longueur de mes textes a beaucoup joué dans leurs arguments, je crois que le Concours pour jeunes auteurs poursuit d'autres buts que de découvrir de vrais auteurs prometteurs pour l'avenir. Sinon je ne m'explique pas comment on pourrait disqualifier un texte trop long. N'est-il pas logique qu'un auteur prometteur est celui capable d'écrire plus de 20 pages ? Et ne serait-il pas important de chercher des auteurs capables d'écrire de la vraie littérature plutôt qu'un jeune qui écrit pour des jeunes, pour ne pas dire de la littérature jeunesse ? Peut-être suis-je défaitiste, mais c'est le seul concours auquel j'ai participé depuis quelque temps et franchement j'aurais dû savoir que c'était inutile dans mon cas. Il faut voir les titres qui ont gagné, c'est repoussant (Une fête familiale, Le vol du papillon, Comptine). Si j'avais su comment ça fonctionnait, jamais je n'aurais perdu autant de temps et d'argent à leur envoyer mes manuscrits, dont une version spéciale ultra-light de l'Underground. Enfin, tu me diras ce que tu penses de tout cela. On recommunique !

 

Roland Michel Tremblay

29 Marble House

Elgin Avenue, Maida Vale

Londres W9 3PS

Grande-Bretagne

 

 

14 septembre 1995

 

De nouveaux développements dans ma vie viennent de remettre bien des choses en question.

Ça remet tout en question. Tout à coup je peux repartir pour Paris, je vais repartir pour Paris avec certitude. Les temps sont proches qu'il va falloir partir d'ici. Alors il se peut que je reste encore à travailler à WHSMITH. Pourras-tu m'aider si j'ai besoin d'aide ? Je suis tellement à bout de ressources que je me demande comment je vais pouvoir atteindre Paris. Un OSNI (Objet Sous-marin Non Identifié) arrêtera Le Shuttle dans sa course sous La Manche pour me dire qu'il n'y a aucune possibilité pour moi de demeurer à Paris. Il me faudra trouver un emploi, si je ne puis vivre du prêt pour notre entreprise. Tu pourras m'aider ? J'ignore même si je pourrai payer une chambre à la Maison du Canada. S'il m'est impossible de demeurer chez toi, je crois que j'aurai le culot de frapper à la porte d'Anne Hébert. Lui demandant l'asile contre l'aider dans sa maison avec le ménage, la peinture et tout. D'ailleurs, je me demande si avant de cogner à ta porte je ne devrais pas cogner à la sienne. Il me semble que ce serait une expérience tellement extravagante, impensable, que seul moi puis l'accomplir. Oh Franck ! Je ne veux pas retourner mourir à Jonquière dans le fond du Québec! Il me faut absolument me réinscrire à la Sorbonne en octobre, directement sur place. Je suis certain que c'est possible. Bon, je te tiens au courant. Le compte à rebours de ma vie londonienne est en marche. D'ici deux mois, je l'espère, je serai à Paris. Paris, le seul amour de ma vie.

R.M.

 

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