Retour à la Bio-Bibliographie

Imprimez et lisez ces pages à partir d'une des versions à télécharger :

 

   Underground Uncut:                 Tous les Livres de RM:                Les Applications:

   Acrobat Reader (PDF)            Acrobat Reader (PDF) (EXE)                Get Acrobat Reader

      MS Word (DOC)                      MS Word (DOC) (EXE)                      Get Acrobat eBook Reader

      MS Reader (LIT)                     MS Reader (LIT) (EXE)                     

 

 

Téléchargez la version coupée et corrigée de l'Underground:

Acrobat Reader (PDF)

MS Word (DOC)

MS Reader (LIT)

 

Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

 

 

UNDERGROUND UNCUT

Plus Long, Pas Corrigé et Pas Coupé

 

 

 

La version roman (l'Attente de Paris) a été publiée chez :

 

 

Roland Michel Tremblay

 

 

44E The Grove, Isleworth, Middlesex, Londres, TW7 4JF, UK

Tél./Fax: +44 (0) 20 8847 5586     Mobile: +44 (0) 794 127 1010

rm@themarginal.com     www.lemarginal.com

- 1 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

 

L'Attente de Paris, Version Roman de l'Underground

 

L'Attente de Paris présente un jeune homme amoureux de deux femmes à la fois (dans Underground il est amoureux de deux hommes). Entre Ottawa, Paris et New York, il doit faire des choix et tenter de réaliser ses rêves.

C'est donc l'histoire traditionnelle d'un jeune Québécois qui ne vit que pour Paris et qui fera tout pour y arriver, jusqu'au jour où finalement ça y est: il est parachuté directement entre les murs de la Sorbonne de Paris. Cependant le choc culturel est un peu gros, c'est une faillite absolue. Les rêves sont si simples pourtant, un idéal qui ne soupçonnait rien des obstacles et de la bureaucratie des gouvernements et des universités. Mais ça construit de belles histoires, surtout lorsque l'émotion, l'ironie et le sarcasme se trouvent au rendez-vous.

L'Attente de Paris a été écrit dans un style franc et direct, c'est d'emblée le livre le plus accessible de toute l'œuvre de l'auteur. Un seul niveau d'interprétation (ou presque) et par endroit d'un comique surprenant. Une œuvre instantanée écrite avant et après le départ de l'auteur pour Paris.

Dans sa version originale (Underground), le livre a été finaliste du Concours pour Jeunes Auteurs de la Banque Nationale de Paris organisé par le Journal Le Monde et Gallimard.

 

ISBN : 2-7479-0018-5        Prix public : 109FF / 17 Euros

En téléchargement gratuit sur www.idlivre.com/rolandmichel.tremblay

Achetez-le sur le site Le Livre Français :

www.livre-francais.com/?tliv=11&idliv=2-7479-0018-5

 

Note : Underground contient certains passages en anglais, ils ont été traduits en français dans la version roman l'Attente de Paris.

- 2 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

 

UNDERGROUND UNCUT

 

Début décembre 1992, Dans un cours de Philo médiévale

Il n'y a pas que mon âme qui pense.

Je rêve de crisser mon camp d'ici, d'aller rêver sur un terrain vague avec du gazon, de m'écraser là, de plonger dans l'eau, de nager nu alors qu'une seule personne m'observerait peut-être, je m'en fous.

Je suis seul, heureux, je nage, je m'assis au bord de l'eau, sur le sable ou le gazon, je rêve de ne pas avoir d'obligations et de devoirs, j'aimerais me lancer dans un gouffre, ma vie serait autre, la peur me motiverait à vivre...

J'aimerais me lancer du haut d'une montagne très haute, dans le vide, et ne jamais atteindre le sol. J'aimerais aller au centre d'achats en bas de la ville où je restais. J'aimerais sortir de cette ville et m'isoler sur une route perdue comme je faisais jadis. Je jouis à penser que la Turquie existe encore et qu'elle m'attend. Que j'y rencontrerai Roger, cet acteur Anglais, et que nous rêverons une existence parfaite sur les plages de sel bizarres. Je voudrais une preuve concrète qu'il existe autre chose que mon cours de philo je veux une illumination de la part de dieu qui me motivera à vivre je veux pas aller chez nous je veux pas rentrer chez moi je veux pas être trop loin de mon lit sinon je fatigue je souhaiterais voir une forêt en neige qui m'ouvrirait à la vie

Tous les hommes sont misérables et moi de même, meuhh! c'est horrible, je souhaite la mort.

PS: Le pire c'est que j'ai l'amour et que ça ne pourrait aller mieux!

- 3 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

 

(Les deux prochaines lettres datent de mars 1993)

Entends le cri du chêne à travers le vent

Il reste si simple

Il dit regarde la profondeur

La base de cette union fut jetée bien avant

Et futiles les raisons qui la briseraient

Comparé à ce doux sentiment grandissant

Car faut-il détruire les maisons de pierres?

Les seules qui tiennent indéfiniment

Puisqu'il faut les habiter un jour

C'est sérieux la vie, dit le chêne

Suffisamment pour que le vent ne puisse

En ébranler les constructions solides

Les vois-tu ces murs de pierre?

Tu les pleures pourtant

Et tu les pleureras longtemps

Puisque que tu as connu les murs de carton

Peut-on envisager la vie sans maison?

Puisque la vie c'est maitenant

Et les arbres qui ne sont pas heureux

Ne devraient pas en blâmer le soleil

Mais cet argument est de taille

Que fait Dieu devant sa créature qui lui dit:

Je ne suis pas heureux!

Il pleure, car il a failli

- 4 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Mais la créature devrait se demander

Ce qui pourrait la rendre heureuse

Et regarder si elle serait vraiment heureuse

Car le bonheur est en elle

Oublie tes peines, ouvre ton coeur

Et la maison s'y bâtira

Sera l'Homme de ma Vie celui qui:

-M'aimera tout naturellement plus que tout

-Voudra partager ses moments avec moi, sans regret

-Sera fier de moi devant ses amis,

et voudra bien de ma présence

-Cherchera mille et une occasions de me voir,

malgré les contraintes de la vie

-Ne manquera pas une occasion de se rapprocher de moi

-Souhaitera vraiment partir autour du monde avec moi

-Après un an et demi, saura bien que je suis la seule personne

avec qui il veut terminer ses jours

-Ne doutera pas de ses sentiments

-Sera Heureux avec moi

 

Je ne crois pas que ses choses entre personnes qui s'aiment soient difficiles à accomplir, car elles sont les signes évidents de leur Amour. Il ne faut surtout pas y voir des reproches, mais une constatation à l'Échec d'une relation.

- 5 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

7 mars 1994

La mécanique des événements ne prend même plus la peine de cacher son jeu, ses coïncidences nous frappent et l'on se demande encore s'il peut s'agir de coïncidences. Ainsi je risque mon avenir pour la France et j'y rencontre Edwin Kuester the Third. Bruno en est jaloux, on dirait l'intuition. Bref, j'en reparle dans les piliers, mon corps à Val-Jalbert, mon coeur à Paris, mes deux amours se payeront les bons temps without me, speaking english for the cause, both liking French. Mais prévoir qu'un an plus tard, the Third will came to Bruno's place, is something strange. But at the time, he was not knowing that we were gays. Finally, Bruno told him, and ô surprise, he his. So he came back to Ottawa, slept in my room. The inevitable happen. Les humains n'ont aucune volonté, placez-les dans une situation telle qu'un Edwin presque nu à côté, voulant certainement faire des choses, et ils ne pourront résister. Tout le monde retrouve son change dans cette relation. Edwin est prêt à faire n'importe quoi pour se rapprocher de la culture francophone, il adore Montréal, grâce à nous il a découvert un nouvel Univers. Moi j'ai retrouvé mes nostalgies de Paris, et Bruno aura besoin d'un endroit où demeurer à New York lorsqu'il devra essayer de trouver un agent pour entrer en contact avec une maison de disque.

Ed est étrange. Il ne me semblait pas si expérimenté, sexuellement surtout, et plutôt maigrichon. Mais son parfum a eu raison de mes passions, je lui ai sauté dans les bras, ô misère, mais quel bonheur. Que je regretterais de ne pas l'avoir fait, et quelle soudaine sensation de libération. Certainly a big line of my existence, I cannot stop thinking about it, it's now a necessity for me to write about it, just to try to understand all the elements in action. I learn that my possessivity for a pure Bruno is injustify, if he wants to sleep with someone else, I will less care now. I learn that Bruno is really beautiful, more than Ed et others. And the worse, sleeping with Ed was like sleeping with Bruno, it feels the same, and they looks the same on lots of points. Same skin, and that surprise me because one is American and the other is French. Bref, j'ai été surpris de savoir qu'Ed n'était pas innocent, il a déjà couché avec cinq gars, dont moi, et je suppose que le chiffre est supérieur (c'est vrai que les

- 6 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gays ont une facilité à mentir, plus spécifiquement sur leur âge). Il est fort, ses bras assez musclés et ses épaules larges. Lorsqu'il s'est approché trop près, j'ai changé de lit, et l'incroyable s'est produit. Je le sentais partout, plaçais mon visage dans son cou, et lorsque j'approchais de son oreille, il atteingnait un degré de jouissance que je n'avais jamais vu. Il gémissait comme une femme fragile qui s'abandonne à l'homme, le tout agrémenté d'une sensation de remords qui paralysait. Est-ce cette impression de faire le mal qui faisait mes membres shaker, me rendait malade, ou est-ce la beauté d'Ed et un sentiment quelconque pour lui? Certainement les deux. J'y pense encore, je me demande ce que sera ma prochaine rencontre avec Bruno. Il est la Vitalité, tandis que Bruno est l'Ours, selon les dires mêmes d'Ed (moi, ce n'est pas nouveau, il m'a qualifié d'écureuil, comme David jadis). L'Ours me semble la comparaison parfaite pour parler de Bruno. Peu importe l'heure, il est fatigué, il ne pense qu'à dormir pour être en forme le lendemain. C'est son obsession, dormir, et la fatigue. Le matin, it's even worse. He's unable to get out of bed, I cannot touch him, and he always feels like if he did not get enough sleep. The problem is that I am high in the morning, like Edwin, and Bruno he's high at night. Do I really want to finish my days with a Bear? A bear and a Squirrel (Squeerel in the occurancy)... and why not? Is it true that you're going to sleep with someone else if you don't really like your boyfriend? Well, I wanted since a long time to experiment someone else, and I have wait for the right time, the right person. It finally came, and I can do comparison now. The only problem is, do it change something in my mind, about Bruno? Do I will love him as much as before, more, or maybe less? Dans la dernière situation, will I leave Bruno? And what I am gonna do? Go to US find Ed? What's telling me that he wants a relationship, and that he will be stable, not sleeping around (and is that really important for me now)? I don't want to try someone else, I'm not feeling for that. I love Bruno, and I want to know if something will change in my sentiments for him. Too bad, each time we are sleeping together, he starts to masturbate, he can't help it, and ten minutes later it's finished. Edwin likes to that that in four hours! God, and he is usally coming five times! Il m'est arrivé une seule fois de venir quatre fois avec Bruno, si je me souviens bien. Et trois fois, assez souvent, en début de relation. We are not doing that anymore, because Bruno is always tired, he used to come tree times too. Another problem, Edwin has

- 7 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

a girlfriend, can you believe it? Not because he loves her, but for sex! He tells me that is never coming more than one time with girls. Quand on est entré dans un magasin de films porno pour gays à Montréal, il avait déjà vu plus de la moitié des films, connaissait les titres et noms d'acteurs! What the hell is that? I always thought that a porno movie is like another, no difference, and it was fake names on generic, without any popularity. It does not seems so. Pauvre fille, Cathrine qu'elle s'appelle, comme elle va souffrir un jour! Comme il se joue d'elle, aucun remords pour la tromper à droite et à gauche (ce qui devrait me faire réfléchir sur l'histoire de ma propre infidélité), is he with her for the image?

Pourquoi cela est-il arrivé? I have this impression that Bruno will know about it, and then something will maybe change radically in my life, or something will be different. No matter if I love Bruno more now, and I dont really want to do that again, I dont really physically want to sleep with Ed again, nor someone else d'ailleurs. Cela ne m'empêche pas d'admirer Ed, il est plus fort que je ne le croyais, il est un peu adipeux, mais beau. J'en garderai un souvenir inoubliable, c'est la réconciliation du passé et du présent. Reste maintenant le futur. Mais je suis prêt à l'affronter, dussé-je souffrir, et espérer que Bruno n'en souffrira pas, car c'est là mon unique préoccupation, empêcher Bruno de souffrir à cause de moi. Parce que s'il devait souffrir, je souffrirai tout autant sinon plus. I really love him. [This paragraphe was wrote before the half of the one before].

I know that if Ed was around, I will sleep again with him. What does that mean if I'm really loving Bruno? Je devrais reprendre toutes les questions des pages avant et tenter d'y répondre. Cela sera fait dans ma littérature. J'accuse à ce propos une critique assez destructive des gens du milieu à Montréal. Rien n'y fait, ils ne sont même pas indifférents, ils sont frustrés. Leurs commentaires s'enchaînent, ils utilisent le même vocabulaire, c'est à croire qu'ils ont été à la même école. Et lorsque je sais que ma pièce a un problème, les corrections que je voudrais appliquer vont carrément à l'encontre de ce que les critiques me conseillent. J'ai payé 75$ au Centre des Auteurs Dramatiques de Montréal pour me faire lancer de la Bullshit pendant deux pages. Comme le théâtre de 4'sous, ils recherchent des personnages consistants (Lorraine Pintal aussi du TNM (Théâte du Nouveau Monde) me dit ça), une mon

- 8 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tée dramatique suivie d'un climax époustouflant. Bref, il y en a même un pour qualifier le tout de Téléromanesque et non théâtral. Well, je vais m'en tenir à ma première idée, je vais réécrire la pièce selon le point de vue d'Antoine, avec une réalité morcelée, laquelle il pourra modifier. Mais pas avant cet été, et je vais garder cette pièce dans mes tiroirs jusqu'au jour où je pourrai la monter moi-même, et là ce sera beau. La critique semble rechercher un texte qui se modèle sur les règles théâtrale établies, ou du moins, selon les règles théâtrales du Théâtre Québécois (qui somme toute, occupe une place bizarre dans le répertoire international). Tout cela me décourage (ne m'outrage pas du moins, ça fait longtemps que je sais passer par-dessus la critique, et je réécris toujours mes choses selon les conseils reçus et que je trouve constructifs; ce qui n'est pas le cas actuel, aucun critique est dans la capacité de me dire là, concrètement, ce que je devrais changer ou faire, et je ne vais pas ajouter une montée dramatique à ma pièce avec un climax sur le top et le bel enchaînement avec le dénouement). Enfin, cela me donne l'impression que je devrais abandonner l'écriture, ou de ne plus penser à écrire en fonction d'être lu, mais n'est-ce pas déjà le problème? Comme dirait le gars du CEAD, on dirait que l'auteur se fait plaisir. Et puis, j'ai l'impression qu'ils ajouteraient que je suis prétentieux. Well, fuck that, they doesn't seem to read the same way as me. They are able to see everything in a paper, cry for some good lines, make a big deal of nothing. Comme cette remarque surprenante de Joël Beddows à propos de LE MARCHAND DE VENISE À AUSCHWITZ, «C'est pas souvent que l'on assiste à une l'éxécution de dix personnes sur une scène.» Peut-être suis-je de la génération de l'audiovisuel, où tout est banalisé par les médias, puisque pour moi, dix personnes qui se font tuer sur une scène, ça passe comme du beurre. Et si cela agit quelque part, c'est loin dans mon cerveau. J'ai plutôt besoin d'une bonne hache lancée par la tête pour me sensibiliser et m'émouvoir. J'ai assisté à une pièce quand j'étais jeune. Une grosse poule a passé une heure à nous faire comprendre qu'il fallait que l'on pondent des oeufs, c'est-à-dire, que l'on fasse des enfants (plus tard, j'imagine, lorsque nous serions des adultes). Eh bien, je peux vous jurer que jamais cela aurait pu me convaincre de quoi que ce soit. Peut-être juste de me déguiser en poule, pour la sensation. Mais ma critique n'est pas d'accord avec ce qu'elle juge de l'exagération. Ils n'ont pas le même adage que Ginette Munger: «C'est pas avec des chuchotements que l'on réveille

- 9 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

un peuple!» Et la petite élite fort intellectuelle (j'en suis ravi d'ailleurs, je ne croyais pas que les directeurs artistiques au Québec écrivaient si bien, et savaient exactement ce qu'ils voulaient), bref, cette élite qui ne voit que trop bien les mécanismes du texte, perde de vue l'ensemble, ou plutôt, ils recherchent trop ce sens que je dissimule. Et si quelques personnages ne semblent apporter quoi que ce soit à l'évolution dramatique de la pièce, c'est peut-être que l'évolution de la pièce est déjà un trop gros mot pour le peuple. Et dire que je croyais écrire pour d'autres gens que le peuple. Je n'atteins même pas l'élite. Et pourquoi? Parce que toute oeuvre doit être imposée pour être reconnue. Ce n'est pas pour rien que la publicité fait tout dans notre société. Céline Dion est numéro au Billboard Américain depuis une couple de mois, ce n'est pas là le fruit de ses qualités, bien qu'elle doit tout de même en avoir du talent, mais bien le produit d'une campagne de publicité à l'échelle des États-Unis, et merveilleusement bien orchestrée. On achètera le plus possible d'apparitions aux shows américains les plus connus, on la fera chanter en duo avec les grands noms, on la fait apparaître sur la connerie du siècle, le spectacle spécial de Michael Jackson sur le réseau Américain, qui essaye de nous convaincre d'acheter encore ses disques, même s'il est accusé de pédophilie. Je n'ai pas besoin de savoir que l'auteur d'une chanson est pédophile ou non, s'il porte des caleçons rouge ou bleu, pour apprécier sa musique. Céline Dion, celle qui achète le succès! Comme tous les autres d'ailleurs. Et moi je dois m'en remettre à une petite élite fermée qui décide tout pour ses lecteurs. La preuve, une maison d'Édition est si fermée dans ce qu'elle publie, qu'il est rare d'y voir apparaître plus de trois catégories de livres différentes, et encore, celles-ci sont déjà fort spécialisées, ce qui implique que l'on doit écrire en fonction de ces catégories. Même l'histoire de l'Art se répète. On est pas plus ouvert aujourd'hui qu'on l'était voilà 200 ans. Un Rimbaud aujourd'hui passerait probablement inaperçu, et sa mort ne confirmerait que son oubli le plus total. Et l'élite qui s'imagine que l'on lit Rimbaud sans y rien comprendre, est probablement plus prétentieuse que je ne le suis. Et puis après, vive la prétention!

8 Mars 1994

Sans trop m'en rendre compte, c'est encore au mois de mars que le besoin d'écrire

- 10 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mon journal se fait sentir. Cette fois-ci, Ed peut en être la raison, mais certainement pas le Bruno. Sa crise à lui devrait venir avec le changement de température plus tard durant le mois. Il se mettra à paniquer jusqu'à ce qu'il s'achète des billets pour aller quelque part. Je pense encore à Ed, et c'est plutôt stupide, je n'ai pas aimé extraordinairement faire l'amour avec. C'est son absence tout court qui m'ennuie. Mais j'ai encore cette envie de le prendre dans mes bras, sentir son parfum, et l'embrasser, chose que je n'ai pas faite lorsqu'il était ici (le frencher).

Bruno me dit souvent que j'ai autour de moi, juste par les gens que je connais, matière à écrire un roman complet. C'est vrai, mais comment pourrais-je écrire sur mon oncle Jean-Paul, à propos qu'il est l'homme de la maison et que sa maison, avec les quatre enfants, est une porcherie permanente? Sans dire en plus, qu'il fait partie, comme Mario et Michel, d'une sorte de religion (?) bizarre. Les Rosicruciens en ce qui concerne J-Py, et la Fraternité Blanche en ce qui a trait à Mario. Michel, je ne sais pas. Et moi, dans la même veine, je suis devenu végétarien, sans pour autant en être venu à ces religions. Quoique que j'ai lu avec passion LA COSMOGONIE DES ROSE-CROIX, et m'en suis inspiré pour la troisième partie de LA RÉVOLUTION, René l'Illuminé. Il existe certainement beaucoup de sagesse dans ce livre, et je soupçonne que les sources ont été puisé un peu partout. Il y a bien 6 000 ans de réflexions là-dedans, si on nous avait assommer avec ce livre plutôt qu'une fausse bible déformée, peut-être la religion jouerait un rôle plus important dans nos vies, et peut-être serions-nous plus heureux. Mais je ne crois pas qu'une religion puisse rendre heureux en tant que tel, ni même la prière. En fait, les explications fournies, et la logique ou raison des arguments qui justifient toutes les contradictions de l'histoire, sans compter une description de la mécanique de l'existence qui n'oublie absolument rien au passage, auraient pu m'amener à la philosophie. J'y suis tout de même, j'ai lu le livre, il me serait bien difficile de le contredire sur aucun point. Bien au contraire, qu'il s'agisse là de niaiseries ne me tracasserait nullement, ces enseignements m'aideront à vivre de toute façon. Et la vie est suffisamment pénible pour je me permette de lui apposer un sens. Ce sens, on le retrouve dans PHILOSOPHIE DE RENÉ DE L'AVENTURE (qui sera renommé PHILOSOPHIE DE LA RÉ

- 11 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

VOLUTION), et on le retrouve un peu épars dans René de l'Aventure, René l'Illuminé et LES LETTRES DE R.M. Je ne saurais dire exactement jusqu'à quel point mes idées d'alors provenaient de LA COSMOGONIE DES ROSE-CROIX. Je n'avais pas lu tout le livre dans le temps, et surtout par la partie qui en parlait. J'ai plutôt analysé René de l'Aventure pour en arriver à écrire LA PHILOSOPHIE, aussi, j'ai été surpris de retrouver dans LES ROSE-CROIX à peu près les mêmes choses, sauf qu'eux, ils ajoutaient la réincarnation, et j'avoue que cela ajoute beaucoup de sens à mes idées. Ce qui est bien, c'est qu'après avoir lu le livre, je n'ai pas jugé qu'il me fallait changer quoi que ce soit à ce que j'avais écrit avant. Ainsi LES ROSE-CROIX ne semble pas avoir joué un grand rôle sur ma littérature, quoique qu'ils abordent les mêmes sujets. Je serais toutefois dans le tort d'avouer que de voir en Dieu la Terre et le Soleil, provient de mes idées. Il s'agit là de conversation avec mon oncle Mario, et peut-être même qu'avec lui j'ai inconsciemment acquis plusieurs connaissances. It's too bad that he thinks that to be gay is so wrong that I should change right now. He thinks that my life is a waste, and I will suffer après la vie. Il s'agit donc de dire que je suis immoral et que je brûle la chandelle par les deux bouts. Eh bien, j'ai eu un chum Bruno, j'ai couché avec Martin (avant Bruno), un quart avec Leblanc (arrêté par les remords), et Edwin (continué malgré les remords). Les remords disparaissent, mais pas les regrets (de ne pas avoir été plus loin). Je suppose que la vie de Mario était déjà plus chargée lorsqu'il avait 21 ans. Juste à considérer ma soeur, elle a bien couché au minimum avec une trentaine de gars, il est vrai qu'elle n'en a jamais trompé un seul. Mais mon père trompe sa femme depuis la nuit des temps, et maintenant qu'ils sont séparés, il trompe ses blondes. La société est un gros melting pot, la non-vertu se retrouve un peu partout, et il serait vint de mal juger une catégorie sous prétexte qu'elle ne fait pas partie de la majorité. Mais ses raisons, à Mario, vont plus loin. Cela remonte à Sodome et Gomorrhe. Mais moi, de ce que j'en ai lu, il ne s'agit point là de parler que des homosexuels, mais bien d'une société devenue très promiscious, c'est-à-dire, qui couche avec tout le monde, sans fin. Eh bien, aujourd'hui on pourrait pointer Amsterdam, et se demander quand donc elle sera détruite. Ou même Paris ou New York. J'ajouterais que ces endroits plutôt ouverts par rapport au sexe ne m'intéressent nullement (sauf Paris, et pas pour le sexe). Je serais le premier surpris si je devais aller à Amsterdam, et je me permets de croire que ce ne sera point là ma seule décision si j'y vais, probablement pas dans le but de

- 12 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

coucher avec plein de gens. Mais je ne cacherai pas que le sexe est important pour moi, comme pour tout le monde d'ailleurs. Ceux qui le refoule aux yeux des autres, en arrivent certainement à la jalousie, et à crier à la non-vertu ou au jugement, seul moyen pour croire que notre sacrifice ne servira pas à rien. Moi j'ai pour idée que rien n'est mal jusqu'à ce que quelqu'un souffre physiquement ou moralement. Alors coucher avec Ed est mal, car Bruno pourrait en souffrir. Et connaissant la mécanique des événements, il le saura un jour, et il souffrira. Je continuerai à regarder les gens qui m'entourent un autre jour.

9 Mars 1994

Ma confidente Mireille reçoit ce mot dans la classe de Mme Nicole Bourbonnais à l'Université:

-J'ai couché avec Edwin Kuester the Third, j'ai couché avec un Américain.

-Bruno le sait?

-Non

-Comment as-tu rencontré ce gars?

-À Paris voilà un an. Je pense à lui depuis ce temps. J'en avais parlé dans mes écrits.

-Veux-tu le revoir?

-Oui

-C'est pour ça ta dépression?

-Oui, je ne peux penser à autre chose.

-Je ne comprends pas: tu te morfonds de remords?

-Oui, plus les regrets qu'Ed soit parti.

-Comment penses-tu que ta relation avec Bruno puisse continuer?

-Ed est loin, et j'aime Bruno.

-C'est son titre qui t'a impressionné?

-Non. J'ai dû écrire une vingtaine de pages de journal pour me comprendre. C'est sûrement un tournant important dans ma vie. Je suis incapable de faire un move, je ne fais qu'y pen

- 13 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ser. Je suis en léthargie.

-Il parle français? sûrement pas.

-Oui, il capote sur le français.

-Je suis ébahie! Je ne sais que dire: tu me surprends. Mais si tu crois vraiment aimer Ed, tu devrais poursuivre cette relation et laisser Bruno.

-Impossible, il a une blonde et reste à New York.

-Si tu restes avec Bruno, tu devrais couper tous liens avec Ed.

-Que me reste-t-il d'autre à faire? Sexuellement j'aime mieux Bruno. Moralement, je ne sais pas. Ça va s'estomper j'imagine.

-Pardonne-moi, je porte un jugement sévère et ce n'est pas dans mes habitudes de prêcher. Avez-vous des intérêts communs?

-La France.

-Que fait-il dans la vie?

-Université.

-C'est lui qui était venu te voir au mois de novembre?

-Oui

-Quelque chose a dû se passer?

-Non. Mais je ne regrette pas. Je recommencerais, mais pas avec n'importe qui. Je ne vais pas tromper Bruno encore. Lui, j'éprouvais quelque chose envers lui...

Analyse:

Mireille a laissé son chum voilà un an et demi, parce qu'elle ne voulait pas d'une vie de couple dont l'avenir est déjà tout prévu. Elle a couché avec deux gars avant d'en trouver un troisième et de l'emmener chez-elle. Nedko vient de la Bulgarie et a les cheveux long. Une semaine plus tard, Mireille avait son billet pour le Down Town Ottawa. Elle déménagea un ou deux mois après, pour un avenir moins que certain avec Nedko. Et comme Bruno (Roumain aux cheveux courts), la vérité a pris du temps avant de faire surface. Et les problèmes refont encore surface. Et j'ai toutes les raisons de croire que le pire n'est pas encore

- 14 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

parvenu à la surface. Enfin, tout ça pour dire que l'on peut changer sa vie, coucher avec d'autres comme ma soeur ne compte plus le nombre de personnes avec qui elle a couché, et tout cela la conscience claire. Elles ne sont pas folles, elles crissent leur chum là avant d'aller voir ailleurs. Ô misère! Et moi qui a 21 ans! Que se passerait-il si je n'avais pas vécu? Dring! Le réveil sonne, j'ai 35 ans, seul, impossible d'attirer qui que ce soit. Comme cela me fait du bien d'entendre Edwin me dire que ce fut extraordinaire le week-end passé (je l'ai appelé ce soir (10 mars, après avoir écrit tout ce qu'on peut lire sous ce 9 mars et 10 mars). Je lui parle, il bande. Malheur, il me compare encore à un écureuil, mais il trouve ça tellement cute les écureuils, ça lui donne envie de le prendre dans ses bras et l'écrapoutir. (Moi j'ajoute qu'un des écureuils finit toujours par se faire écraser de toute façon, ou pire, demeure à des kilomètres de l'autre.)) Laisser Bruno, c'est lui offrir une inspiration certaine pour sa musique. Deuxièmement, il s'en remettra, trouvera quelqu'un d'autre. Et puis, je n'en peux plus d'espérer qu'il réussisse dans la musique alors que moi-même j'en ai assez de me tracasser avec une éventuelle publication. Paris, next destination, first objective, to write my life. Un jeune homme du Canada qui débarque à Paris avec le seul Père Goriot et qui s'imagine qu'il deviendra un Balzac.

Où es-tu ce soir? Perdu dans l'Université d'Oswego, tu portes une de tes chemises en flanelle, et ton parfum français... Entouré d'amis ou seul avec ta blonde. Elle te serrera dans ses bras, t'embrassera dans le cou, et vous vous embrasserez à la française. Où es-tu ce soir? Devant un ordinateur. Ou seul a marcher à l'extérieur, pensant à moi peut-être. Je t'embrassais derrière l'oreille et tu jouissais fort. Quel effet je te fais on dirait. Et si Diane aurait été absente de la maison, comme nous y aurions été fort. Lunatique de l'Univers, je vous ai compris! Je suis en léthargie complète, malade moralement, séduit au sang, déchiré entre deux hommes. Tu me prenais la main, me parlais de très près, et comme Bruno tu m'as dit que j'étais la première personne avec qui tu aimais être aspergé de mon... Ton visage, c'est la joie, l'expression du bonheur, la folie, le prêt à faire n'importe quoi, même à sacrifier des choses, mais certainement aussi porté à ne pas manquer une chance d'avoir du plaisir, et cela inclu l'infidélité. Ainsi nous ne serons jamais en relation long-terme. Mais plutôt des

- 15 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

amis long-terme qui coucherons ensemble à l'occasion... (quelle non-vertu, comment puis-je ne pas m'indigner en disant cela)... l'Amour Christ! J't'aime, et ma peur c'est de découvrir que je t'aime plus que le Bruno. Et dans ce cas, je sacrifierais tout. Je ne resterai pas avec quelqu'un que je n'aime pas. Mais maintenant je me vois incapable de distinguer mes sentiments, c'est là le fruit du mois de mars. Chacun se réveille à la vie, mais doit d'abord traverser la période du réveil, là où on est ordinairement mêlé. Ah Ed, j'aimerais te revoir pour apprendre à te connaître davantage. Ouvre-moi ton passé, j'y devine l'opposé de Bruno en personnalité. Et j'y soupçonne encore bien de l'admiration. Que je tomberais amoureux facilement avec toi!

La fin du monde est à nos portes! Le mois de mars m'apporte à nouveau la joie des échéances! Rapport d'impôt, formule de prêt et bourse, demandes aux universités, travaux longs, livres à lire, rêves à réaliser... je crisserais mon camp pour la France aujourd'hui! Paris Paris Paris! Cette ville m'appelle à elle, comme jadis elle appelait à elle les artistes des quatre coins de l'Europe. Un grand cri languissant au-dessus de l'océan, quand bien même il s'agirait d'une vie de misère, une misère à Paris, c'est une littérature pour l'éternité! Comme dit la préface de Cyrano: «Est-il possible d'imaginer autrement un auteur écrire ses premiers poèmes dans une chambre de misère, le ventre vide si possible?» Moi, c'est tout ça, mais à Ottawa! Ma misère est sans avenir! Comme dit Dominique Lafon, parfois une ville abrite plusieurs grands auteurs sous une même époque, je me demande quels grands auteurs mon époque décellera? Et moi dans tout cela? Je n'ai qu'à continuer mon cheminement, écrire ce que je veux, ne pas arrêter et l'on verra. Bon Dieu, il est probablement trop tard pour aller étudier à Paris! Paris, Paris, Paris même s'il s'agit d'y laisser Bruno derrière, s'il m'aime, il me suivra, sinon, je trouverai quelqu'un d'autre. Wow, quelle libération! Vive Ed, pour m'avoir ouvert les yeux sur l'asservissment qui m'assaille. Pour Bruno je mourrais à Ottawa? Bruno partira jamais seul, il faut le forcer à me suivre. Peut-être viendra-t-il? Il est français, c'est déjà ça, moi, je vais faire des démarches pour crisser le camp d'ici! Ma crise commence, imaginons celle de Bruno qui s'en vient.

- 16 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Ô Ed, tu me rappelles Paris, tu es la misère que je veux vivre, rue des Bernardins, quartier Latin, le site de ma nouvelle inspiration. Ces derniers temps j'ai expérimenté ces sortes de vertiges-fatigues qui me rendent prêt à perdre connaissance. Si je repars pour Paris seul, je me trouverai vite des amis. Comment faire avaler ça à mes parents? Fuck them, j'y vas cet été! J'y resterai le plus longtemps possible, sur place je ferai des démarches pour y rester. Et pourquoi pas Montréal au pire allé? No way! Les Montréalais se prennent pour d'autres et s'enferment dans leur petit univers, ils y crèveront. «Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, tu vois, je n'ai pas oublié. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi! Et le vent du nord les emporte...» Prévert's poetry, musique de Kosma (?), chanté par (?). Comment un auteur devient-il connu? Cela est-il long? Impossible? Doit-on imposer nos choses et espérer qu'un jour, quelqu'un écrira dessus et enclenchera le processus? Un de mes livres pourra-t-il connaître du succès? Ou même être publié? 1- Vers et verts les champs - bof. 2- La révolution - (?). 3- Les Quatre Piliers - (non). 4- Antoine - (à oublier). 5- Val-Jalbert - (?). 6- Les lettres de R.M. - (non).

1er livre Vers et verts les Champs 90 pages

Les lettres de R.M. 60 pages

Les Quatre Piliers 45 pages

total : 200 pages

2ième livre La Révolution 150 pages

3ième livre La Légende de Val-Jalbert 60 pages

Antoine, Amour et Médiocrité 50 pages

total : 110 pages

10 mars 1994

- 17 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

J'ai téléphoné à l'Ambassade de France, demain ils vont me rappeler. Je veux faire des études supérieures à paris, je suis prêt à partir au mois d'avril! J'espère qu'il n'est pas trop tard!

Hier Bruno m'a parlé de ses idées futures. Je croyais être désespéré, mais Bruno me le semble davantage. Hier j'ai compris des choses, et s'il ne m'avait pas dit qu'au moins il aurait bientôt un diplôme universitaire, j'aurais été tenté d'avouer qu'il avait raté sa vie. Plusieurs mauvais choix, le voilà sans avenir. Et je dois avouer que cela m'a affecté. Quoi? Moi qui prône le changement de ce mauvais système - comme mme de Beauséant du père Goriot qui connaît l'horreur des rouages de la société aristocratique et bourgeoise, les accepte et joue le jeu - me voilà qui veut me lancer dans des études supérieures alors que j'aimerais bien prendre une année sabbatique à Paris, tout vendre, même mes cd's, et partir. Mais comme je me sentirais perdu en faisant cela. Et aucune aide à attendre de mes parents, je me retrouverais vite à mendier, pleurant comme celui que j'ai rencontré dans les bouches de métro à Chatelet-Les Halles.

Bruno en est déjà à sa deuxième expérience en affaire. Une vague histoire d'entretient d'automobiles à 17 ans, presqu'une faillite, avec publicité et enregistrement au gouvernement. Et l'histoire des crayons avec noms des compagnies, sa propre compagnie à 22 ans, qu'il a parti avec nul autre qu'Éric. Encore des vérités qui reviennent à la surface, ce n'était pas le moment, moi qui me pose tant de questions. Le voilà encore qui veut s'embarquer dans une campagne vouée non seulement à la faillite, mais qui lui coûtera tant en temps que cela ne servira pas sa carrière en musique. Le pire c'est qu'il veut embarquer sa mère et ses fonds, et moi! Moi, étudiant à temps plein, écrivain à temps plein, je m'en irais construire des hommes nus en plâtres faisant office de lampe pour satisfaire une minorité gay, alors qu'elle même est une minorité de la société? Je me demande s'il est si intelligent que cela! Une histoire de crayons fait faillite absolue, le voilà avec une idée aussi pire, sauf que cette fois-ci, il veut y engouffrer la petite fortune de sa mère. Voilà un homme qui n'a

- 18 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pas achevé sa Chimie, fait trois ans en économie pour rien, pour dire qu'il a un diplôme, et qui ne veut plus mettre à exécution ses plans de poursuivre en Génie. Que lui reste-t-il donc? Un travail de misère à la BNR, 33 000$ par année, sans possibilité d'avancement, risque probable de perdre son emploi, et impossibilité de trouver un autre emploi qui paye un peu plus que le salaire minimum. Il lui reste son espoir en musique, et moi dit-il! Je l'admirais, sachant toute cette situation à l'avance, mais lui se déteste, se voit comme un moins que rien, et il m'a convaincu. Je n'ai rien contre le fait qu'il pourrait n'être rien, ce n'est pas ce qui m'arrête, c'est plutôt son désespoir, il s'accroche maintenant à moi (non, c'est fort). Je ne pense pas ce que je dis, je rétracte tout ce paragraphe, ça n'a pas rapport, j'étais au courant de tout cela, c'est son désespoir qui m'afflige. Qu'il arrête donc, il a de l'avenir dans la musique. Il veut partir une compagnie? Fine, mais qu'il joue sur des valeurs sûres! Et qu'il veuille partir cela avec sa maman? D'accord, je l'aiderai peut-être.

Parfois je me demande ce que je veux aller chercher à Paris. Peut-être que je m'imagine retrouver Ed, ou son pareil? Mais je me souviens ce rêve à mon retour de Paris. J'y étais retourné et il n'y avait plus ni Edwin ni Bruno, et j'étais désespéré. C'est là que j'ai écrit: «Il faut revenir, il faut m'avouer des choses!» Un an plus tard c'était fait, mais à quel prix? Hier je ne pensais qu'à lui, couché dans le lit de Bruno, alors il téléphona! Mon coeur battait, je lui ai parlé un peu, incapable, il a dû croire que je ne voulais rien savoir de lui! Il faut que ce soit clair, Paris c'est le brainwash complet, c'est le renouveau absolu.

Pauvre Bruno, je suis dur avec lui en mes idées. Je l'aime. J'aimerais qu'il me suive à Paris. J'ai parlé avec la femme de l'Ambassade, mes chances sont grandes d'être accepté qu'elle a dit, même à la Sorbonne. Me voilà déjà dans l'avion, prêt à partir, les études supérieures à Paris, c'est être étudiant à 21 ans à Paris, mais plus, car j'ai déjà ma license du 2ième cycle, en 11 mois j'aurai terminé ma maîtrise à Paris! Avec ça je peux déjà faire quelque chose. Moi et Paris, une misère qui n'en est pas une. YA YA YA (it seems that i'm already there!) Si je suis accepté, je crisse le camp au plus vite. En juillet ou début août? Je n'emporte que deux valises, and that's it! Faudrait que Bruno travaille tout l'été, que l'on

- 19 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

parte ensemble à Paris, qu'il prenne son année sabbatique, et emporte son synthétiseur. Il pourra trouver un travail là-bas, il a la nationalité française.

Je ne veux plus de ces rêves qui n'aboutissent jamais. Paris m'appartient, la décision ne sera pas difficile à prendre lorsqu'ils me diront oui. J'espère juste que mon père y verra son intérêt, lui qui se dorait de voir sa fille ingénieure, et son garçon en droit. Une lueur reviendra-t-elle dans ses yeux? Mon fils en maîtrise à Paris? ou plutôt, le christ, se serait si simple d'étudier à Montréal ou Ottawa...

Première Lettre à Edwin Kuester The Third:

- 20 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Ottawa, 11 mars 1994

Cher Edwin Kuester The Third, mes sentiments sont actuellement ambigus, et c'est peut-être une bonne chose. Le mieux serait que je me réveille et voit en Bruno la seule personne que j'aime. Je le souhaite. Mes prochaines lettres t'en diront davantage à ce propos. Pour l'instant, voici la meilleure lettre que je puis écrire, c'est directement tiré de mon journal. Ce ne sont que des passages de mon journal, les parties qui t'intéresseront. C'est plutôt long, bonne lecture. Notre Amour est Impossible!

7 mars 1994

La mécanique des événements ne prend même plus la peine de cacher son jeu, ses coïncidences nous frappent et l'on se demande encore s'il peut s'agir de coïncidences. Ainsi je risque mon avenir pour la France et j'y rencontre Edwin Kuester the Third. Bruno en est jaloux, on dirait l'intuition. Bref, j'en reparle dans les Piliers (mon livre), mon corps à Val-Jalbert (village autour du Lac-St-Jean), mon coeur à Paris, mes deux amours se payeront les bons temps without me, speaking english for the cause, both liking French. Mais prévoir qu'un an plus tard, the Third will came to Bruno's place, is something strange. But at the time, he was not knowing that we were gays. Finally, Bruno told him, and ô surprise, he his. So he came back to Ottawa, slept in my room. The inevitable happen. Les humains n'ont aucune volonté, placez-les dans une situation telle qu'un Edwin presque nu à côté, voulant certainement faire des choses, et ils ne pourront résister.

Ed est étrange. Il ne me semblait pas si expérimenté, sexuellement surtout, et plutôt maigrichon. Mais son parfum a eu raison de mes passions, je lui ai sauté dans les bras, ô misère,

mais quel bonheur. Que je regretterais de ne pas l'avoir fait, et quelle soudaine sensation de

- 21 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

libération. Certainly a big line of my existence, I cannot stop thinking about it, it's now a necessity for me to write about it, just to try to understand all the elements in action. I learn that my possessivity for a pure Bruno is injustify, if he wants to sleep with someone else, I will less care now.

Edwin est fort, ses bras assez musclés et ses épaules larges. Lorsqu'il s'est approché trop près, j'ai changé de lit, et l'incroyable s'est produit. Je le sentais partout, plaçais mon visage dans son cou, et lorsque j'approchais de son oreille, il atteignait un degré de jouissance que je n'avais jamais vu. Il gémissait comme quelqu'un qui s'abandonne à un autre, le tout agrémenté d'une sensation de remords qui paralysait. Est-ce cette impression de faire le mal qui faisait mes membres shaker, me rendait malade, ou est-ce la beauté d'Ed et un sentiment quelconque pour lui? Certainement les deux. J'y pense encore, je me demande ce que sera ma prochaine rencontre avec Bruno. Ed est la Vitalité, tandis que Bruno est l'Ours, selon les dires mêmes d'Ed (moi, ce n'est pas nouveau, il m'a qualifié d'écureuil).

Is it true that you're going to sleep with someone else if you don't really love your boyfriend? Well, I wanted since a long time to experiment someone else, and I have wait for the right time, the right person. It finally came, and I can do comparison now. The only problem is, do it change something in my mind, about Bruno? Do I will love him as much as before, more, or maybe less? Dans la dernière situation, will I leave Bruno? And what am I gonna do? Go to U.S. find Ed? What's telling me that he wants a relationship? Is there anything possible in there?

Cela ne m'empêche pas d'admirer Ed, il est beau. J'en garderai un souvenir inoubliable, c'est la réconciliation du

passé et du présent. Reste maintenant le futur. Mais je suis prêt à l'affronter, dussé-je souffrir, et espérer que Bruno n'en souffrira pas, car c'est là mon unique préoccupation, empê

- 22 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

cher Bruno de souffrir à cause de moi. Parce que s'il devait souffrir, je souffrirai tout autant sinon plus. I really love him.

I know that if Ed was around, I will sleep again with him. What does that mean if I'm really loving Bruno? Je devrais reprendre toutes les questions des pages avant et tenter d'y répondre. Cela sera fait dans ma littérature future.

8 Mars 1994

Sans trop m'en rendre compte, c'est encore au mois de mars que le besoin d'écrire mon journal se fait sentir. Cette fois-ci, Ed peut en être la raison, mais certainement pas le Bruno. Sa crise à lui devrait venir avec le changement de température plus tard durant le mois. Il se mettra à paniquer jusqu'à ce qu'il s'achète des billets pour aller quelque part. Je pense encore à Ed, et c'est plutôt stupide. C'est son absence tout court qui m'ennuie. Mais j'ai encore cette envie de le prendre dans mes bras, sentir son parfum, et l'embrasser, chose que je n'ai pas fait lorsqu'il était ici (le frencher).

9 Mars 1994

[Ma confidente Mireille reçoit ce mot dans la classe de Mme Nicole Bourbonnais à l'Université:]

-J'ai couché avec Edwin Kuester the Third, j'ai couché avec un Américain.

-Bruno le sait?

-Non

-Comment as-tu rencontré ce gars?

- 23 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

-À Paris voilà un an. Je pense à lui depuis ce temps. J'en avais parlé dans mes écrits.

-Veux-tu le revoir?

-Oui

-C'est pour ça ta dépression?

-Oui, je ne peux penser à autre chose.

-Je ne comprends pas: tu te morfonds de remords?

-Oui, plus les regrets qu'Ed soit parti.

-Comment penses-tu que ta relation avec Bruno puisse continuer?

-Ed est loin, et j'aime Bruno.

-C'est son titre qui t'a impressionné?

-Non. J'ai dû écrire une vingtaine de pages de journal pour me comprendre. C'est sûrement un tournant important dans ma vie. Je suis incapable de faire un move, je ne fais qu'y penser. Je suis en léthargie.

-Il parle français? sûrement pas.

-Oui, il capote sur le français.

-Je suis ébahie! Je ne sais que dire: tu me surprends. Mais si tu crois vraiment aimer Ed, tu devrais poursuivre cette relation et laisser Bruno.

-Impossible, il a une blonde et reste à New York.

-Si tu restes avec Bruno, tu devrais couper tous liens avec Ed.

-Que me reste-t-il d'autre à faire? Ça va s'estomper peut-être.

-Pardonne-moi, je porte un jugement sévère et ce n'est pas dans mes habitudes de prêcher. Avez-vous des intérêts communs?

-La France.

-Que fait-il dans la vie?

-Université.

-C'est lui qui était venu te voir au mois de novembre?

-Oui

-Quelque chose a dû se passer?

-Non. Mais je ne regrette pas. Je recommencerais, mais pas avec n'importe qui. Je ne vais

- 24 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pas tromper Bruno encore. Ed, j'éprouve quelque chose pour lui...

[suite de mon journal (Mireille n'a pas lu la suite)]

Enfin, tout ça pour dire que l'on peut changer sa vie, coucher avec d'autres comme ma soeur ne compte plus le nombre de personnes avec qui elle a couché, et tout cela la conscience claire. Elles ne sont pas folles (ma soeur et Mireille), elles crissent leur chum là avant d'aller voir ailleurs. Ô misère! Et moi qui a 21 ans! Que se passerait-il si je n'avais pas vécu? Dring! Le réveil sonne, j'ai 35 ans, seul, impossible d'attirer qui que ce soit. Comme cela me fait du bien d'entendre Edwin me dire que ce fut extraordinaire le week-end passé [je l'ai appelé ce soir (11 mars). Je lui parle, il bande. Malheur, il me compare encore à un écureuil, mais il trouve ça tellement cute les écureuils, ça lui donne envie de le prendre dans ses bras et l'écrapoutir. (Moi j'ajoute qu'un des écureuils finit toujours par se faire écraser de toute façon, ou pire, il demeure à des kilomètres de l'autre.)] Laisser Bruno, c'est lui offrir une inspiration certaine pour sa musique. Deuxièmement, il s'en remettra, trouvera quelqu'un d'autre. Et puis, je n'en peux plus d'espérer qu'il réussisse dans la musique alors que moi-même j'en ai assez de me tracasser avec une éventuelle publication. Paris, next destination, first objective, to write my life. Un jeune homme du Canada qui débarque à Paris avec le seul livre LE PÈRE GORIOT et qui s'imagine qu'il deviendra aussi grand que Balzac.

Où es-tu ce soir? Perdu dans l'Université d'Oswego, tu portes une de tes chemises en flanelle, et ton parfum français... Entouré d'amis ou seul avec ta blonde. Elle te serrera dans ses bras, t'embrassera dans le cou, et vous vous embrasserez à la française. Où es-tu ce soir? Devant un ordinateur. Ou seul a marcher à l'extérieur, pensant à moi peut-être. Je t'embrassais derrière l'oreille et tu jouissais fort. Quel effet je te fais on dirait. Et si Diane aurait été absente de la maison, comme nous y aurions été fort. Lunatique de l'Univers, je vous ai compris! Je

- 25 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

suis en léthargie complète, malade moralement, séduit au sang, déchiré entre deux hommes. Tu me prenais la main, me parlais de très près, et comme Bruno tu m'as dit que j'étais la première personne avec qui tu aimais être aspergé de mon... Ton visage, c'est la joie, l'expression du bonheur, la folie, le prêt à faire n'importe quoi, même à sacrifier des choses, mais certainement aussi porté à ne pas manquer une chance d'avoir du plaisir, et cela inclu l'infidélité. Ainsi nous ne serons jamais en relation long-terme. Mais plutôt des amis long-terme qui coucheront ensemble à l'occasion... (quelle non-vertu, comment puis-je ne pas m'indigner en disant cela)... l'Amour Christ! J't'aime, et ma peur c'est de découvrir que je t'aime plus que le Bruno. Et dans ce cas, je sacrifierais tout. Je ne resterai pas avec quelqu'un que je n'aime pas. Mais maintenant je me vois incapable de distinguer mes sentiments, c'est là le fruit du mois de mars. Ah Ed, j'aimerais te revoir pour apprendre à te connaître davantage. Ouvre-moi ton passé, j'y devine l'opposé de Bruno en personnalité. Et j'y soupçonne encore bien de l'admiration. Que je tomberais amoureux facilement avec toi!

10 mars 1994

Ô Ed, tu me rappelles Paris, tu es la misère que je veux vivre, rue des Bernardins, quartier Latin, le site de ma nouvelle inspiration. Si je repars pour Paris seul, trouverai-je des amis? «Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, tu vois, je n'ai pas oublié. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi! Et le vent du nord les emporte...» Prévert's poetry!

Parfois je me demande ce que je veux aller chercher à Paris. Peut-être que je m'imagine retrouver Ed, ou son pareil? Mais je me souviens ce rêve à mon retour de Paris. J'y étais retourné et il n'y avait plus ni Edwin ni Bruno, et j'étais désespéré. C'est

là que j'ai écrit: «Il faut revenir, il faut m'avouer des choses!» Un an plus tard c'était fait,

- 26 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mais à quel prix? Hier je ne pensais qu'à lui, couché dans le lit de Bruno, alors il téléphona! Mon coeur battait, je lui ai parlé un peu, incapable, il a dû croire que je ne voulais rien savoir de lui! Il faut que ce soit clair, Paris c'est le brainwash complet, c'est le renouveau absolu...

* * *

Voilà Ed. C'est tout. J'ai été assez franc dans les passages donnés. À la prochaine,

Vôtre,

Roland-Michel Alexandre Tremblay (The Second)

(mon père s'appelle Roland Tremblay)

12 mars 1994

J'ai lu la petite brique du THÉÂTRE ET SON DOUBLE d'Antonin Artaud cet après-midi. Tout ça est très bien, le résultat de ses pièces devaient être extra. Je serais porté à suivre ses conseils pour ANTOINE AMOUR ET MÉDIOCRITÉ, c'est d'ailleurs exactement ce que je désirais faire avant même de lire le livre. Sauf que j'oublie la pantomime et les personnages de X mètres de haut. Nous avons un bel exemple de société qui sait développer chaque concept, écrire indéfiniment sur certains sujets, jusqu'à ce qu'ils soient épuisés complètement. Ça nous manque au Québec cette métaphysique de la vérité ou intellectualisation de chaque nouvelle idée. J'avais déjà remarqué chez les anglais cette façon de tout réduire et de banaliser les choses que j'étais encore à essayer de comprendre. C'est décevant de voir que je puis écrire des choses qui sont si communes dans les préfaces de certains livres. Comme de celle de NOTES ET CONTRE-NOTES de Ionesco que je lisais aujourd'hui. Comme il dit, il est dangereux d'écrire sur un sujet sans avoir lu ce que la planète en a dit depuis quatre millénaires, en commençant par Aristote et Platon. Aof, je verrai ce que l'on en dira.

- 27 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Bruno est venu ce soir. On a fait l'amour pour la deuxième fois depuis le départ de Ed. C'était mieux que voilà trois jours, mais il manque cet effet piquant comme lorsque Ed est avec moi. J'ai peur. Peur de ne plus l'aimer, sans pour autant avoir Ed, et sans pour autant savoir si j'aimerais Ed. Je me suis vu si libre en le reconduisant à sa voiture. Pour la première fois, je me sentais comme quelqu'un qui faisait sa jeunesse, ou qui allait la faire. Je me voyais parti pour Paris, non pris dans une relation, libre de jouir de la vie comme je l'entends, acquérir l'expérience la plus bizarre avec les gens les plus variés, pour ne pas dire avariés. Ouais. Moi qui capotait de voir que Bruno avait couché avec au moins huit personnes, voilà Ed qui couche avec sa blonde, couche avec un gars probablement écoeurant la veille à Montréal, le lendemain, le voilà dans mon lit, alors que je sors avec Bruno. Quelle histoire, digne du Vaudeville Parisien! Ah, je me délecterai de ce théâtre de boulevard lorsque je serai à Paris. J'aimerais revoir Edwin pour comparer avec Bruno. Cette nuit furtive n'a peut-être pas été concluante. Seulement au niveau de la brisure de mon asservissement envers Bruno, si je puis m'exprimer ainsi. Il me fait de l'effet, mais pourrais-je l'aimer? Et Bruno, ah que la vie est difficile parfois.

Je n'aime pas le message que Ed m'a laissé. Il a signé un billet de un dollar américain et a écrit: To R.M., there is a real american dollar from your American friend, Ed de NY. Semble-t-il, il joue sur le fait qu'il soit Américain, comme si l'on était en admiration envers ce fait. Ne sait-il donc pas que la planète déteste les Américains? Même si l'on ne peut critiquer le fait qu'ils sont absolument nécessaires à un équilibre mondial dans la balance du pouvoir. Mais encore, on connaît ses tares, ses contradictions, etc. Peut-on être fier d'être Américain? Quand je vois les chartes musicales ou de cinéma à travers l'Europe et que je constate que dans le top 10, il y a huit films Américains traduits, j'ai envie de pleurer. Quel viol au niveau culturel! Cela ne m'empêchera pas d'apprécier ces films, ces acteurs, cette musique, que voulez-vous, nous sommes brainwashés. Je me demande juste comment leur monopole ou réussite peut être si absolue.

Mais Edwin a raison, il existe tout de même une jeune génération à travers l'Europe,

- 28 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

plus spécifiquement à Paris, qui adore les États-Unis. Et pour paraphraser Jacques Godbout et UNE HISTOIRE AMÉRICAINE, le mythe se construit dans les laboratoires de la Californie. New York en tire son profit. Et puis ça impressionne d'être New Yorkais. Moi-même, j'étais fier d'avoir couché avec un Américain. Où s'arrêtera donc la bêtise? Et quelle est donc la sensation que l'on ressent lorsque l'on couche avec un Allemand? Un juif? Je n'en dis pas davantage. Mais s'il existe une différence entre Bruno et Edwin, elle est psychologique, et mes sentiments pour l'un et l'autre semblent indépendants de ma volonté.

Quelle extraordinaireté que de croire qu'Ed soit straight, puis de finalement savoir qu'il est gai, puis de coucher avec. Jamais je n'aurais osé croire qu'il était comme moi, et qu'il me tiendrait dans ses bras un jour. Comme je l'appellerais tout de suite et l'inviterais à retourner à Paris. Mais n'aimerais-je pas mieux m'assurer un avenir avec Bruno? He's still very beautiful, especially when he's nude. Je ne peux en dire autant de Ed. Mais Edwin en caleçon et T-Shirt, avec son bedon qui se voit un peu, c'est incroyable. J'explorerais son corps de A à Z s'il revenait. Mais il m'a bien spécifié qu'il ne recoucherait pas avec moi, car Bruno est son ami... et c'est vrai qu'il serait définitivement immorale de bâtir une double relation dans le dos de Bruno. Mais devrais-je le laisser là? What a tricky situation. And what about if I had never slept with Edwin? Je sais que mes regrets auraient été énormes. Mais j'aurais peut-être oublié plus vite cette aventure. À moins que je me serais mis à souhaiter son retour dans l'espoir que la chose se produise? Il m'arrivait de me poser la question à savoir si j'en arriverais à coucher avec Neil un jour. Plus spécifiquement qu'il dort souvent ici et que nous sommes seuls dans la maison le matin. Je sais qu'il s'exhiberait un peu plus s'il en avait la chance, et qu'il brûle peut-être de me voir m'exhiber. Il lui est arrivé à deux reprises d'entrer dans ma chambre sans frapper, chose qu'il n'avait jamais fait depuis les deux dernières années. Mais après l'histoire d'Edwin, je comprends que tout cela était futile, même, je n'y aucun intérêt. La séduction est impossible, et dangereuse. Qui me dira si cela ne se retournera pas contre moi? Je réentends Ed me dire: «I tried so hard to resist you!» J'imagine qu'il voulait dire qu'il avait essayé un peu plus que s'il n'y avait eu aucune barrière. Car tout s'est passé si rapidement. Quelle expérience! Je me revois allumer la

- 29 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

lumière, le voir étendu sur le lit, me coller contre lui. D'avoir sa bouche contre la mienne. Chacun des détails de sa personnalité refait surface. Son petit case où il range sa brosse à dent, sa soie dentaire. Sa voiture, ses cassettes, on me dirait en admiration totale. Ô Edwin, je revois même le gros ED écrit au crayon feutre sur ta tasse. Si tu a pu sentir que j'étais en érection lorsque je t'ai pris dans mes bras à l'Hôtel des Gouverneurs à Montréal, cela ne me surprends pas. Je pense même que Bruno l'a remarqué, il s'est retourné deux fois pour regarder. Tant pis, j'ai tant besoin de cela, je ne pourrais même pas reprocher à qui que ce soit la tournure des événements. Serait-ce là l'âme soeur? Je n'ai pas choisi Bruno que je sache. J'ai bien pris un an et demi pour ressentir un sentiment qui ressemblait à de l'amour, sans toutefois me transporter à la passion. Que dis-je, j'ai aimé me retrouver dans ses bras ce soir. Si Ed dispaissait, je continuerais très bien avec Bruno. Je vais essayer de ne plus y penser. Ed serait-il l'âme soeur? J'espère que non.

14 mars 1994

J'ai enfin passé à travers le calvaire de Ionesco ou presque. Dieu qu'il se répète, et cela me donne un avant-goût de la France. J'y distingue déjà ce que j'omettrai de mes livres déjà écrits. J'ai aussi enfin posté toutes mes demandes d'Universités, en particulier celles de Paris. Mais je suis trop fatigué pour l'apprécier, et découragé de savoir que je suis peut-être trop tard. Edwin m'a téléphoné hier soir. Bruno était en dépression, mais Ed a rappelé un peu plus tard. On s'est masturbé au téléphone! Mais je ne suis pas venu, et Edwin semblait déçu. Il interprête peut-être ça comme s'il ne me faisait pas d'effets, et cela m'affecte. Mais je suis tant fatigué ces temps-ci. Le temps passe vite, c'est indéniable, il me reste moins d'un mois d'école. Mais le physique en prend tout de même pour son rhume. Bientôt les rhumatismes, je le sens. C'est la première fois de ma vie que je ne désire pas finir l'année scolaire. Je n'ai rien à attendre de l'été, plutôt le désert et l'insécurité. Vais-je travailler? M'ennuyer? Repartir pour Jonquière? Demeurer ici pour Bruno? Et comment va aller notre relation alors? Et Ed dans tout cela? Je le répète, un coup venu, cela m'écoeurait un peu d'attendre qu'Ed vienne à son tour. Je sais cependant que la prochaine fois je serai en monde

- 30 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

connu, et que j'en ferai plus, le sucer entre autres choses. Je bande à y penser. Il est certain que je voudrais le revoir. Je voudrais même lui parler ce soir. D'où mon besoin d'écrire dans ce journal. J'ai hâte qu'il reçoive ma lettre, en attendant, je souhaite en recevoir une de lui. Le problème c'est aussi que j'ai de la misère à le conceptualiser. Même son visage, je dois faire un effort pour m'en souvenir dans ses moindres traits. Il m'a dit avoir fait un rêve la semaine passée, très réel. J'étais nu dans ses bras, il sentait mes jambes contre les siennes, et il s'est réveillé en sursaut avec un oreiller dans les bras. Est-ce possible? Maybe he's becoming Newyorkais crazy? Mais j'y crois, et je peux apercevoir jusqu'à quel point j'ai laissé ma marque sur ce jeune homme. Comme il est bien de se flatter ainsi. Un jour je ne le pourrai plus, profitons-en. Surtout lorsque je sais que personne ne lira ce journal, mais je serai bien naïf de le croire. Je suis comme André Gide, je n'ai pas d'amour propre. Je laisserais ce journal se faire publier, si cela n'en tenait pas aux gens auxquels je fais mention. Mais à moins de le perdre dans les méandres de l'informatique, ce journal sera publié un jour. Peu importe, je parlais d'Edwin, le beau jeune homme qui n'a plus aucun intérêt pour Cathrine sa copine. Il l'a rencontrée avant hier, et lui a fait comprendre que c'était fini. Il insiste auprès de moi qu'il ne voudrait jamais que par sa faute, moi et Bruno on se laisse. Mais pour moi, il a enfin compris qu'une femme dans sa vie, c'est pas le paradis. C'est triste d'ailleurs, mais ça en prendrait beaucoup pour m'en convaincre définitivement. Car les anciens de l'Université d'Ottawa, que je téléphone en ce moment pour demander de l'argent pour l'Université; Dieu qu'ils semblent avoir une vie plate. Encore que, ma définition de ce qu'est une vie plate prend des proportions inquiétantes. En effet, rien ne va me satisfaire je crois. Ma crucifixion par les critiques, si un jour j'arrive à publier quoi que ce soit, sera peut-être d'un intérêt, mais à entendre Eugène Ionesco, c'est plat. Le succès, c'est plat. Le sexe, c'est plat. Il existe une vie après le succès, et c'est plat. Seul l'argent devient intéressant, et seulement dans le sens où il me permettra de vivre sans faire des choses encore plus plates que ce qui est plat. Paris me réveillera-t-il? Même psychologiquement? Et si Paris était plat? Si je m'écoutais, je prendrais une chire (?) sur la drogue, dure en l'occurrence. On attend tellement de choses de la vie, pourquoi ne nous a-t-on pas dit qu'il n'y avait rien de plus que notre quotidien actuel? Même le sexe ne contente pas!

- 31 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Monsieur Vandendorpe sera dans mes rêves cette nuit. Mais il ne sera pas nu avec sa chose entre mes jambes. Il sera devant son ordinateur à me réclamer trois mois de travaux hebdomadaires en retard. Je me déshabillerai alors, lui carresserai le crâne dégarni, et le bedon trop gros, et il me suggèrera d'oublier les futilités du cours. Adieu! monsieur Vandendorpe. Je suis Eugène de Rastignac (pas Eugène Ionesco), et je m'en vais me confronter à Paris tout entier. Je me vois déjà le porte-parole des Québécois en France. Leur rappelant qu'il en existe tout de même huit millions et que ce chiffre, il ne pourront plus l'ignorer trop longtemps. Ah ça oui, ils l'ignorent, et pour cause. Ils s'imaginent que nous sommes semi-français, et encore, des habitants. Les grands auteurs Québécois sont publiés au Seuil, Gallimard et cie, et l'on oublie qu'ils sont Québécois. De toute façon ils sont déjà bien suffisamment Français, et c'est là une preuve que la littérature du Québec n'est pas une branche de la littérature française, mais bien une partie intégrée. Godbout, Hébert, Beauchemin, Thériault, (Tremblay? Bouchard?), ce n'est pas la littérature qui manque.

Et moi, le pauvre, qui nage à contre-courant. Qui est d'avant-garde peut-être, mais peut-être davantage de l'arrière-garde comme dirait éventuellement Ionesco dans ses presque 400 pages de bullshit-justifications. S'il existe des règles en littérature, je suis celui qui vient de les apprendre, et celui qui les a vite oubliées. Dieu merci, je déteste avoir une marche à suivre. C'est plus de travail, et inutile peut-être. Tient, ça me tente de relire René le Bon Gars...

15 mars 1994

J'ai certainement des problèmes psychologiques de ce temps-ci. Je me demande bien ce qui peut me pousser à écrire autant au mois de mars. Hier j'ai encore fait des folies. J'ai bu la moitié de la bouteille de vin que Bruno avait laissée par hasard, et j'ai téléphoné le Edwin à Oswego. Le problème c'est que cette fois-ci je suis venu. Je commence à me sentir vraiment coupable, de tous les sens. Il me semble que je me joue de Bruno, qui parle mainte

- 32 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

nant un peu plus de me suivre à Paris, de même, je me joue d'Edwin, puisque je vais demeurer avec Bruno. J'amplifie un sentiment qu'il a pour moi, pour rien. Je lui ai dit que je l'aimais hier, il m'a dit de même, en spécifiant qu'il s'agissait d'un trop gros mot. Jusqu'où ira la bêtise? Est-ce que les gens straigt se foutent aussi dans des situations comme cela? Je n'en doute pas, le frère de Sherry entre autres, avait deux blondes en même temps, et je le soupçonne de ne pas s'être posé la question, à savoir, était-il bien de se jouer des gens ainsi. Et si j'en crois ma pseudo-philosophie sur le bien et l'expérience, c'est indéniable que je vais apprendre beaucoup, à faire la distinction du bien et du mal entre autres, mais en faisant le mal. Et le problème commence là où je me sens comme si j'avais outrepassé les limites et qu'il n'y avait plus de retour possible. Comme si j'avais failli totalement et qu'il ne me restait plus qu'à oublier ma philosophie. Mais je crois que ce paradoxe n'en est pas un. L'expérience se fout pas mal de l'humain, de ce qu'il est capable de faire. Coucher avec une ou dix personnes, ou mille, ne changera rien. C'est la souffrance que l'on cause qui compte, et celle que l'on reçoit ou en mesure de percevoir. Le problème aussi c'est lorsque je me mettrais à coucher à tort et à travers, sans m'attacher à personne ni connaître personne. Ce serait là une stagnation, une non-possibilité d'avancement sur la ligne de l'expérience. Les interractions entre moi et Bruno, moi et Edwin, Edwin et Bruno, sont déjà forts complexes. Sinon je n'en écrirais pas autant de pages de journal. Et peut-être éventuellement je serai davantage en mesure de distinguer ce que je dois apprendre là-dedans. Encore qu'il s'agit peut-être de m'orienter vers des décisions plus importantes, comme le départ pour Paris. Si tout semble évident en ce qui concerne le futur, je dois cependant avouer qu'il risque de changer encore. Ne serait-ce que les choses tournent et qu'on ne sait jamais si la meilleure solution qui se présente pour l'avenir consistera bien en la meilleure solution dans six mois. Mais pour l'instant, ce n'est pas inutilement si Bruno a la nationnalité française et qu'il se retrouve devant un vide dans sa vie pour septembre prochain. Je vois bien qu'il me suivra en France, il en rêvait, il en a la possibilité, il en a le désir, encore deux semaines de mars, il dira oui, je pars. Et j'avoue que ce serait bien. J'ose croire que je vais oublier Edwin, arrêter de lui dire des choses qui le feront rêver ou espérer, et me concentrer pour raviver la flamme avec Bruno. De toute façon, j'ai de bonnes raisons de croire qu'elle ne sera pas difficile à rallumer, et je crois que l'étape Edwin est accomplie: me faire rêver à la

- 33 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

France, me faire courir à l'Ambassade, me tiendre en haleine jusqu'à ce que j'aie posté les lettres de demandes d'admissions. Mais l'avenir m'en dira tant. Il n'y a pas que moi à soutirer des avantages ou désavantages dans tout cela. En attendant, Edwin lui-même traverse une drôle de passe avec sa blonde... il n'y a que Bruno qui semble en retard sur les événements, je ne doute pas que la crise s'en vient.

Mon premier cinq minutes à l'Université fut un rêve. Mais la première heure, un vrai calvaire. La secrétaire du département me connaît si bien qu'elle m'a dit que j'avais un paquet au département. Je dis bonjour à M. Simard, il était de bonne humeur. Je rencontre Pierre-Louis Vaillancourt, il est encore positif relatif au fait qu'il doive m'écrire des lettres de références. Je lui mentionne Paris, et là, la transformation-métamorphose, digne du christianisme, se produisit. «Si tu as besoin de lettres de références, viens me voir!» Ainsi, j'aurai non seulement deux bonnes lettres de références, mais en plus, provenant des deux pires ennemis au département. Ainsi Dominique et Pierre-Louis se détestent, se battent pour la présidence je crois, se cherchent des poux, et voilà qu'ils ne pourront se contredirent sur mon cas, puisque chacun devra normalement prendre ma défense.

En ce moment j'écoute une fille me faire le résumé de Don Quichotte, et Dieu que c'est plate! Il est midi, vais-je survivre jusqu'à 20h30? Impossible. Et le pire, j'ai rien fait à propos de mes travaux pour le cours de Vandendorpe. J'ai un test demain matin plus le plan du travail final en théâtre. Mais demain, il y a mieux: Danielle Forget, à l'intérieur de son cour de stylistique, fera lire mon texte LE PRINCIPE avec l'Hilda la Dame, pour que les gens de la classe l'analysent. Et je dirai ce que j'avais en tête lorsque j'ai écrit ces deux pages. Je serai bien embêté d'ailleurs. Je suis d'abord parti de la théorie des contraires de Socrate: les contraires s'attirent, la vie entraîne la mort, et la mort appelle la vie. Ainsi, tout est doublé pour montrer la dialectique, le mouvement double, avec comme parallèle, la misère appelle la réussite et vice versa. Mais ce n'est pas le cas de l'Hilda la Dame. Cette dernière en plus, est un mélange de moi et de Coco, Claudia qui travaillait à la cafétéria de l'Université. En plus que je substitue Claudia à ma mère, et moi à son fils.

- 34 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Si Joël savait à propos de bien des choses. Et je n'ose même pas en parler ici. Cinquante ans après l'Holocauste, je n'ose même pas parler des juifs. Et ce n'est pas comme si je parlais des noirs (d'eux, je n'en parle pas de peur que l'on me taxe de racisme, pire, de peur que je m'accuse moi-même de racisme), mais plutôt que le racisme envers les juifs est encore virulant et effrayant. Et quand je pense que Joël est non seulement juif, mais qu'il est homosexuel en plus, je me demande quels peuvent être ses espoirs de traverser la vie sans rencontrer de problèmes. Il veut repartir pour Jérusalem, ou du moins Israël, il finira en prison, ou mieux, on l'assassinera. L'homophobie est plus inquiétante que l'anti-sémitisme à l'heure actuelle, car aucune charte des droits et des libertés n'interdit à quiconque d'être juifs. Et plusieurs États américains ainsi que la Chine entre autres, nous disent illégaux explicitement. Mes propres voisins ne m'acceptent pas. Je suis jugé telle une menace constante pour les valeurs de la société, jugé et pendu avant même de naître. Cet idiotisme est surprenant, et à les entendre aujourd'hui, sans les lois, on nous tuerait tous sur-le-champ. Mais sur quoi reposent-ils qu'être homosexuel puisse être illégal? Ou plutôt, sur quels principes interdisent-ils qu'il est illégal d'avoir des relations homosexuelles? En quoi cela les concerne? N'est-ce pas une violation de mon être? M'en vais-je chez mes voisins leur dire ce qu'ils sont en droit de faire lorsqu'ils font l'amour? Pire, est-ce que je m'en vais explicitement écrire dans la charte des droits et libertés qu'il leur est interdit de faire l'amour si ce n'est pas dans le but exclusif de faire un enfant? Pauvres Chinois, ils ont droit à un enfant, ils ne feront l'amour qu'une seule fois dans leur vie, peut-être deux si cela ne fonctionne pas, et dans ce cas, ce serait déjà illégal. Mais leurs principes découlent-ils de la bible? Sodome et Gomorrhe? Pas en Chine en tout cas. Eh bien, en ce qui concerne ceux qui ont une charte où c'est dit qu'on ne peut pas discriminer en rapport à l'orientation sexuelle, ceux là, s'ils ne peuvent comprendre le non-sens de leur sentiment, peut-être finiront-ils par le comprendre de force? Non. C'est sans espoir, la bible a laissé sa marque indélibile dans les guerres planétaires, et cela non plus ils ne le comprendront jamais. Il faut peut-être continuer la sensibilisation, Michel Tremblay l'a compris, il va nous laisser toute une littérature sur le sujet. Michel Marc Bouchard aussi, moi de même probablement, si j'ai la chance. C'est impossible de croire que je pourrais me taire sur le sujet. Le crétinisme des sociétés

- 35 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

est sans borne, surtout lorsque celui-ci a été imposé dès l'enfance et fait encore office d'enseignements. Lorsque l'on se décidera à tuer tous les homosexuels de la planète, ce sera 700 millions de personnes minimum que l'on tuera, et ce, à l'intérieur de chaque société ou religion. Autant prendre un humain et lui arracher 10% de son cerveau. Pas de problème, c'est juste 10%, mais le cerveau fonctionnera-t-il très bien après cela? Je n'en doute pas. Et si l'on me réfute encore ce 10% d'homosexuels, j'attaquerai en disant que chez la plupart des gais, il est impossible de voir à l'oeil nu qu'ils le sont. Et dans tous les groupes d'étudiants que j'ai fréquentés en vingt ans, j'ai toujours pu en identifier un où c'était évident. Toujours. Et même deux parfois. Sans compter que je l'étais moi-même, il y a donc toujours ou presque eu deux homosexuels connus de moi, en chaque groupe de 22 à 30 élèves. Nous sommes déjà près du 10%. En comptant maintenant ceux dont j'ignore qu'ils le sont, on saute certainement le 10%. C'est que ce sujet est tellement tabou. Jamais au téléphone ou en un quelconque sondage, je ne divulguerais une telle information. C'est comme l'histoire des femmes battues dont les sondages estimaient leur nombre à 1% avant de se rendre compte qu'avec un sondage anonyme, on récoltait 16% (En France, article intitulé VIVE LES SCÈNES DE MÉNAGE! de Gérard Petitjean dans le Nouvel Observateur, 3-9 avril 1987). Notons aussi ceux qui ne se l'avoueront qu'à 25, 35, 45 ans, ou même jamais! Ce que le lavage de cerveau peut faire, comme ils souffrent, mon Dieu. Montrez-moi une famille de 10 enfants, et je vous jure qu'il y en a au moins un (souvent deux) qui sont gais là-dedans. J'ai connaissance de plusieurs familles de 15 enfants qui contiennent deux et trois gais ouvertement déclarés. Dans la famille de mon père, 16 enfants, je sais qu'il en existe un qui s'est exilé à l'extérieur de la province d'ailleurs. Mais je pense en connaître un deuxième qui pourrait bien se réveiller un jour, peut-être même qu'il possède sa deuxième vie en parallèle de la première, qu'il jouerait bien son jeu. La famille de ma mère cochonne (Ginette), un ou deux se sont déclarés ouvertement. Celui dont je suis certain, racontais la façon dont on l'a battu à Montréal à cause de son orientation sexuelle. J'en aurais d'ailleurs long à dire sur certains de mes amis qui se sont fait suivre ou battre à la sortie d'un bar (je ne parle pas de ceux (que je ne connais pas) qui se sont fait assassiner à chaque mois, on ne s'en sortirait plus (une quinzaine juste à Montréal, depuis 1990). Prenons juste un autre exemple. Dans ma classe actuelle, mon cours de ce matin, avec M. Lemoine, sur 13 étudiants, quatre le

- 36 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

sont officiellement (moi inclu). Eh bien, 4/13 nous donne 31% d'homosexuels dans ma classe. Mais nous sommes en Art, paraît-il, il existe davantage d'homosexuels en art. Prenons donc mon ancienne classe de droit, je ne sais plus combien nous étions, et je connaissais peu de gens. Mais j'ai connaissance de deux autres qui le sont, puis des rumeurs pour quelques autres. Sans compter ceux qui se l'avoueront bientôt, et ceux qui le sont mais dont j'ignore l'existence. On dépasse certainement le 10%. Des professeurs à l'Université? J'en ai connu au moins quatre qui l'étaient, et dont les gens en parlent. Même chose au Collège. J'ai même parlé directement avec eux, ou rencontrer dans les bars gais, ou mes amis les ont rencontrés. Vous voyez, une personne sur dix qui est homosexuelle, est un chiffre réaliste, et minimal. Si les tabous disparaissent un jour, la population comprendra enfin qu'elle ne peut s'amputer d'un 10% de la population. Et même, si elle ne le comprend pas, nous, serons dans la capacité de les rendre impuissants face à nous! [23 mars 1994: J'ai parlé avec Joël à propos du pourcentage de gais, il m'a dit qu'il croyait qu'au Québec ce pourcentage selon lui dépasse le 40%. Dans sa classe de séminaire, il a couché avec six gars sur 22. Mais cela est juste un exemple, on pourrait rétorquer que plusieurs gais prennent le chemin des séminaires, bien que ce ne soit pas là un fait vérifiable, c'est habituellement les parents qui décident pour les enfants. Mais enfin, on pourrait rétorquer que ces hommes qui se retrouvent ensemble finissent par se désirer l'un l'autre, mais à ma connaissance, je ne finirai pas par désirer les filles si l'on me place dans un groupe de filles pour cinq ans. On est gai où on l'est pas, puis il y a les degrés entre l'être ou le pas être... bref, partout Joël constate qu'il y en a beaucoup, et selon lui 40% de la population au Québec. Et cela est possible, si héréditaire. Mon grand père l'est, il ne faut plus me le cacher, il loue des films porno gais depuis 10 ans, il se faisait sucer par les petits gars dans le bois, le sujet est tabou, mais j'en ai su suffisamment. Pour Bruno, c'est la même chose, son grand-père, sa mère croit qu'il était gai. Si au Québec les premiers arrivants étaient gais, il est possible qu'un plus haut pourcentage de gens soit homosexuel. J'ai d'ailleurs vu des statistiques, paraît-il, plus de 50% des hommes au Québec ont déjà eu une relation homosexuel au moins une fois dans leur vie. Edwin nous disait que Montréal était reconnu pour être une ville gai fort intéressante en Amérique du Nord, et plus intéressante que New York. Je suis d'ailleurs toujours surpris de voir cette

- 37 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

communauté gai à Montréal, ils vivent sans se cacher, aux yeux de tout le monde, ils ont leur magasins, leurs bars, et ce n'est peut-être pas comme cela partout. À Ottawa c'est déjà beaucoup plus caché. Le Tactiks, le 380 Bank et le B, ont tous les trois des entrées cachées ou entrées arrières, ce qui est plus dangereux. Mais bon, je ne vais pas commencer à faire des statistiques, mentionnons toutefois qu'il n'est plus possible de parler d'un simple 3% de la population qui serait gai, ils sont au moins 1 sur 10 au minimum, et il faut bien être gai pour s'en rendre compte.]

Le message de Dieu, épuré et se limitant à l'amour, est le plus beau cadeau que l'on peut offrir à l'humanité. Mais la religion est le pire des poisons que l'on peut offrir à l'humanité. John Lennon l'a dit, il en est peut-être mort. Je vois aussi en les États-Unis d'Amérique un pays fort intolérant. Cette terre de liberté, une fumisterie gigantesque, l'est seulement pour l'homme et la femme de race blanche d'origine Anglaise, et encore, ils ne me semblent pas être libre d'être libre.

J'ai avoué à Joël que j'avais couché avec Edwin. Je me demande comment le gros message moraliste qui précède pourra passer entre deux discours sur l'infidélité. Je réponds que l'infidélité est commune à plusieurs humains, gais ou straigt. Mon père lui-même et la quinzaine minimum de femme mariées avec qui il a couché me le prouve. Bref, j'ai dit à Joël... et on dirait que ça me rapproche d'Edwin. Je crois que je m'en vais maintenant atteindre un comble en disant que moi et Joël on parlait d'une éventuelle relation entre lui et le Sylvain Simard, notre prof commun. C'est vrai qu'il est bel homme, mais straigt. N'empêche qu'après sa mort, on n'entendra pas parler de lui. Malgré qu'il est en première page du journal le Devoir de voilà deux ou trois semaines à Montréal. Histoire de scandale de voyage-pot-de-vin en remerciement de quelque chose en rapport avec le parti du Bloc Québécois. Tient, c'est rare que je parle de politique canadienne-québécoise dans mes écrits. Et il est marié à Dominique Lafon, qui en est déjà à son troisième mari aux départements de théâtre et de littérature. Je me demande s'il y a eu sexe (consommation) avant le mariage. Mais que puis-je lui reprocher si pour faire taire les bruits elle s'est remariée sans cesse? Comme elle

- 38 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

fulminerait en lisant ceci! C'est de toute façon ne pas lui rendre justice en parlant ainsi. Je ne rends d'ailleurs justice à personne lorsque j'écris ici. Et je n'en ai nul besoin puisqu'il s'agit de pensées, et que l'on ne peut empêcher les gens de penser sous les lois actuelles de notre actuel gouvernement (je crois). Et je ne crois pas que les pensées des autres se distinguent par une vertu exemplaire. La seule chose que l'on pourrait me reprocher, c'est d'écrire ce que je pense, alors qu'il faudrait le taire. Mais remarquez qu'à l'origine, je ne désire pas publier ce journal, après ma mort peut-être, car il fera tout de même réfléchir les quelques personnes qui le liront, et cela aidera peut-être à comprendre des choses. Ça est important (la littérature).

J'ai rencontré Vandendorpe au Pivik. God! C'est fait exprès! Je devrais l'accuser: «Il fait exprès!» Mais comme je me raccroche à la destinée, cette rencontre était donc prédestinée. Comme je pourrais être à côté de la track avec ma belle philosophie un peu pas mal à la Rose-Croix. Le secret, c'est de se remettre sans cesse en question. S'enfermer dans une idéologie, c'est la mort assurée. Et comme dit Ionesco, quand un mouvement devient trop généralisé, c'est le temps de le remettre en question et de regarder à côté.

Edwin me disait hier qu'il voudrait faire l'amour pendant quatre heures avec moi, prendre son bain/douche avec moi, se retrouver dans mes bras, là mon rêve. Oui oui oui! Quel doux souvenir je garde de lui. Et il voudrait devenir végétarien, trop beau pour être vrai. En effet, Bruno m'a téléphoné ce soir. Pauvre lui. Comme il semble dépressif, il se rend compte que je l'aime moins de ce temps-ci. Ça m'a donné un choc, je crois que je l'aime. Je souhaite qu'il devienne un rien plus nostalgique-romantique, pour que je puisse revenir à lui plus facilement. Je suis déjà si loin. Mais chaque fois que je le reverrai, je me rapprocherai de lui. En attendant, je me demande si je vais poster la lettre suivante à Edwin? (Je crois que oui.)

Deuxième lettre à Edwin

- 39 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

15 mars 94

Salut ô Ed!

La vie est plate. Je suis dans mon cours de M. Vandendorpe, ça dure trois heures et je lutte pour ne pas ronfler. Dans ces temps je ne fais que penser à toi. Dans tes lettres, parle-moi de ton passé. D'où tu viens, qui tu es, pourquoi toi et ta soeur étudiez à Oswego et non à New York, etc. Pourquoi tu étudies la littérature française? Pourquoi ne resterons-nous jamais dans la même ville? Sinon Paris? Tu ne pourras pas trouver un travail en passant par les autres (Alban, ton prof à la Sorbonne). Tu dois trouver toi-même du travail en France. Mais pour être professeur, ce sera difficile. Peut-être tu peux t'inscrire à l'Université de Paris? Quand donc te reverrai-je? Tu m'as promis de faire l'amour pendant quatre heures, puis de prendre un bain avec moi. Je ne peux penser à autre chose, mais tu sais, je me contenterais de ta présence, ta senteur, et de te prendre dans mes bras. Ah! Si je pouvais ressentir la même chose avec Bruno... Quand donc vas-tu revenir? Et serons-nous seuls? Bruno se rendra-t-il compte de quelque chose? La solution serait de laisser Bruno, j'en serais incapable, sauf si je me rends compte que tu es mieux (je dois te revoir pour cela) et aussi, je dois pouvoir te voir souvent, ce qui me semble impossible. Il nous faut nous contenter d'une relation d'amitié à distance. Et espérer se voir quand il est possible. Si tu reviens, cela ne me surprendrait pas que Bruno veuille que tu ailles chez-lui. Ah, Ed, tout nous sépare, et j'ignore quels pourraient-être mes sentiments envers toi.

Tu imagines, si nous serions tout les deux à Paris? Ce serait merveilleux. Ô Ed, j'aime tout en toi. La vie est cruelle, je suis face à un avenir incertain, je ne sais plus quelle place occupera Bruno, mais je sais que je veux être ton ami, mais pas un ami comme les autres. Jamais je ne voudrais que tu te forces à m'écrire ou m'appeler. Moi aussi j'ai en moi un endroit qui t'es réservé, et chaque fois que l'on se verra, mon coeur battra plus fort. Trouvons un terme approprié: nous sommes special-friend, des amis spéciaux. En français on dira aussi special-friend. So you're my special-friend, ô Ed, pour longtemps j'espère. Il est tellement rare de rencontrer la bonne personne. Moi aussi j'ai gardé ce souvenir lorsque je t'aidais

- 40 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

en grammaire à Paris. Comme j'étais déçu lorsque tu m'as montré la photo de ta blonde, en plus, je la trouvais laide (excuse-moi, c'est sûrement la jalousie). Mais que vient faire la jalousie là-dedans. Tu as droit à ta vie, et moi la mienne (malheureusement). Il me faut te voir au plus vite, je veux te voir! Reviens bientôt, invente-toi un prétexte, ou viens à l'insu de Bruno... Je veux me retrouver avec toi, en caleçon et T-shirts, puis nus. Edwin, je voudrais t'embrasser, dans le cou, toucher ta peau, te flatter le menton, te regarder l'intérieur de la bouche, voir ma réflexion sur tes dents, et puis le reste, je te laisse l'imaginer. Je te laisse, je t'aime (le gros mot) ô toi my special-friend,

Bye!

(19, rue Lathoap street, 13126, Oswego, New York, U.S.A.)

(315) 342-4348 (Oswego) (914) 968-6495 (New York)

16 mars 1994

Comme cette lettre est puérile. C'est la première fois que j'utilise ce mot, mais aucun autre n'aurait ici sa place. On accuse souvent à la puérilité, l'innocence, la naïveté, l'inexpérience, etc. Mais lorsque nous en sommes conscients, les accusations tiennent-elles encore? Conscient et ne rien changer à ses actions, qu'est-ce que cela signifie? Vive la puérilité!

Je suis d'humeur massacrante. John m'a reproché des banalités, je lui ai presque sauté au coup (pour l'égorger). Ses banalités, qu'il les garde donc. Lui qui ne parle jamais, je le sais très bien que lorsqu'il parle, c'est que le problème est beaucoup plus généralisé, et surtout, ailleurs. Et le problème n'est pas dur à voir. Il n'en veut plus de ses roomates qui détruisent sa maison. Et puis, son copain Neil voudrait nous sortir de la maison. Il prendrait ma chambre? C'est définitivement la fin de mon bail, à la fin de l'été, Paris ou non, I'm out of the house. Non pas que je ne veux plus affronter les problèmes, mais que j'accepte le fait que cela fait plus d'un an que John cherche à se débarrasser de sa visite, et que c'est le temps que je le comprenne. Il n'a jamais osé faire l'amour avec Neil while we were here. They absolutly need everyone to be out of the house. Is this because he's Italian? Catholic maybe?

- 41 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Non, j'exagère, mais il est tout de même prude le John, et c'est aussi la première fois que j'utilise ce mot. Mais vaut mieux être puéril et conscient que prude et inconscient! Bon, les vacances sont finies.

Dur à croire? Il me reste deux semaines de cours, plus une demie. Les gens commencent à espérer la fin. Moi je m'en fous. Je ne vois pas très bien comment je vais faire tout ce que j'ai à faire, et je ne sais pas ce que je vais faire lorsque ce sera fini. On dirait que je ne puis attendre pour partir vers Paris, mais je dois avouer que je suis conscient que je serai déçu. Que je me réveille à Paris ou Ottawa ou Montréal, n'est-ce pas la même chose? Plus de chance de réussir à Paris peut-être, même pas, et certainement bien des dépressions. Paris is maybe not that good, and that's what I'm going to discover. So I shouldn't be that impatient to go there. Just see things when they come. Cette nouvelle passivité sur ma vie, qui me permet d'arrêter de penser, et de me lancer et subir l'environnement, en espérant qu'un jour cela va se terminer, I'm sick. Sick sick sick. Je n'ai pas même cette impression d'avoir terminé quelque chose avec mes études. Et même si cette année ce serait le Doctorat que l'on me donnerait, cela ne changerait rien. Quel est donc mon problème? Je veux rien savoir de la société, je ne veux que m'isoler loin, très loin. Retour autour du Lac-St-Jean peut-être, hors de ville ou village, ça c'est de l'isolement. J'en ai assez de tous ces gens que je rencontre chaque jour, que je téléphone sans cesse, j'apprends peut-être des choses, et je n'en vois pas le but. Le bien, le mal, fuck it. 21 ans à essayer de faire le bien pour finalement aller tromper Bruno. Que me voilà donc bien préparer pour ma vie de Saint homme. «Mais la contradiction est saine pour celui qui essaye d'adapter l'Univers à ses principes.»

Et si je me tirais une balle ce soir?

17 mars 1994

Fuck que les jours passent vite. Hier j'ai entendu un méchant discours de Monsieur Ahmed Sdiri, notre poète Marocain. Selon lui et une autre étudiante, les Français n'auraient

- 42 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

jamais rien inventé, ils auraient puisé leurs sources dans la littérature Allemande. En particulier Sartre. Cela me désole, j'aimerais croire le contraire, d'ailleurs, on peut s'inspirer de sources, et extrapoler davantage, on a encore du mérite. Mais en un autre sens, cela m'encourage. Ils ne sont pas mieux que moi. Si je n'ai pas la culture Allemande en arrière, ou si peu, ils n'ont pas non plus des qualités extravagantes que je ne puis atteindre. La France, mon nom y ressortira un jour. Mais mon seul avantage est d'avoir pu en vivre, m'y consacrer chaque jour. J'ai pour mon dire que pour écrire une grande oeuvre, il faut avoir lu sur un sujet en particulier. Travail de résumé et de synthèse, mais certainement une nouvelle ouverture sur le sujet, plusieurs si possible. J'ai beaucoup à lire, mais j'ai déjà une bonne base. Et si je n'ai que 21 ans, au moins, je pourrai écrire directement dans la fiction sans connaître la planète et ses écrits.

18 mars 1993

J'ai dormi chez Bruno. On a fait l'amour comme deux déchaînés deux fois. Cela me redonne-t-il espoir à Bruno? Je crois que oui. Je vois de moins en moins, peut-être que j'essaie de m'en convaincre et cela ne change rien, à moins que de me mentir soit inutile, mais je vois de moins en moins ce que j'ai à attendre, pour l'instant, d'Edwin. Il me décourage un peu plus chaque jour par son éloignement, cela me facilite la tâche pour l'oublier. Entre autres, je peux me rabaisser sur le fait qu'il a couché avec trop de monde, embrassé six gars en un seul soir à Montréal. Il a couché avec un christ de laite, une LOQUE Humaine! (Je ne l'ai jamais vu.) Et que dirais-je encore pour l'oublier... rien à faire, j'ai toujours ce petit espoir de le revoir. Mais Bruno m'est devenu soudain moins important, j'ai même besoin d'un éloignement (je n'arrive pas à croire que je puisse penser cela). Je crois que je vais partir pour Jonquière cet été. Même si alors il me faudra être loin et de Bruno et de Ed. Et s'il m'écrivait une lettre?

Comme l'été me sera pénible à Jonquière! Mon père me reprochera chaque jour de ne pas me chercher un travail, et moi, je ne veux pas passer mon été à chercher un emploi,

- 43 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

surtout que je retourne à Jonquière pour éviter de travailler ici à Ottawa. Et puis surtout, je dois écrire un chef d'oeuvre cet été (tu parles!). Loin de Bruno et Edwin? Près de mes rêves et ma muse. Monter moi-même ma pièce de théâtre cet été à Alma? Des projets de fous, sans argent, sans espérance d'en retirer de l'argent.

J'ai parlé avec des filles de mes cours, au 216, cela me redonne confiance en l'avenir. Mes écrits ont peut-être un intérêt au-delà du bureau de M. Yergeau (là, ils retournent à la Terre). Le coup d'envoi fut donné dans le cours de Mme Forget, on parle de moi, de mon texte, avant-goût de mes délires elliptiques à la Cendrars peut-être comme dit Joël. Voici une conversation échangée avec Mireille dans le cours de Mme Bourbonnais (faut croire, on travaille pas fort là-dedans):

(17 mars, Mireille commence à parler)

-Je suis allée chez le médecin hier:

otite

virus bactérien

rhume de cerveau

infection vaginale

-Il devait être content, tu ne lui a pas fait perdre son temps. Je t'envie, j'ai toujours voulu être aussi malade. (Je suis romantique, je dois mourir à la fin de mon oeuvre). Malheureusement, je ne peux que me plaindre sans raison. Profites-en pour te lamenter, tu ne seras peut-être pas toujours aussi malade. Entre autres cet été... (Elle veut laisser son chum Nedko et retourner chez ses parents. Elle hésite.) Rien de grave j'espère?

-Non. Malheureusement.

-Tu as déjà lu ma petite nouvelle «Le Principe» à propos de l'Hilda la Dame? Je voulais faire un exposé là-dessus dans le cours de Mme Forget. Mais elle a plutôt voulu le remettre aux gens (ce mercredi), l'analyser avec les étudiants, puis j'en ai parlé après. Beaucoup de retentissement, on parle encore de moi au département. Beaucoup trouvent ça fort intéressant, et ce n'est pas un éditeur qui parle...

- 44 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

-Wow!

(Fin de message)

J'ai parlé avec Sylvie et Adeline (une française). Cette dernière veut venir au théâtre ce soir ou demain avec moi et Bruno. Ionesco, le Roi se meurt, ce n'est pas peu dire, le nom écrase mes neurones, mes nerfs se verdissent, les tempes de mon cerveau disparaissent. Je m'en vais assister à la naissance du néant, l'incarnation de l'absence. Ionesco m'en voudrait s'il m'entendait penser cela. Je brûle de lire l'oeuvre de Ionesco, mais je n'en ferai rien. Je vais lire Rhinocéros et allez voir la pièce du Roi qui se meurt. J'en aurai une bonne idée, puisque j'ai vu la Cantatrice Chauve et la Leçon au théâtre la Huchette à Paris. C'était la première fois que le théâtre me faisait me lever de ma chaise. J'ai applaudi (moi qui en ai perdu l'habitude et qui m'est devenu maintenant un exercice souffrant). J'en suis ressorti la tête pleine d'idéaux, mais cette motivation s'est perdue loin de l'Absurde, en admettant que Ionesco ne se retournera pas dans sa tombe à la prononciation de ce mot. Parfois j'ai de la misère à croire qu'il est encore vivant. Motivé peut-être pour La Légende de Val-Jalbert, sûrement pour les Piliers peut-être, encore que j'en reste à la motivation, pas l'inspiration. Puis-je écrire de l'Absurde? Ai-je vraiment besoin de me poser la question? L'oeuvre elle-même que je veux écrire me dictera sa voie. C'est stupide, c'est seulement en 4ième année de littérature que je me rends compte qu'il y avait des gens intéressants là-dedans. Je pense à Nathalie Petit, Joël Cyr, Adeline, Sylvie, Nathalie Leduc. Cette dernière est un cas particulier. J'ai toujours voulu m'en rapprocher. Elle avait ou a beaucoup à m'apprendre, mais dirait-on, on a jamais eu le temps. Bizarre comme elle l'est, cheveux longs jaunes au printemps, verts en été, orange à l'automne, culottes entièrement faite de pièces rapiécées. Sa littérature à la Boris Vian ou à la pataphysique d'Alfred Jarry, me montre une voie. Mais n'ai-je pas trouvé ma voie moi-même? M'inspirer de la Pataphysique, je ne suis pas certain. Je peux admirer l'histoire du Scratipoint de Natali, car je ne cherche pas à faire la même chose et n'en suis pas jaloux. Au contraire, cela me motive. Et l'inspiration que je peux y trouver me dicte surtout que je peux écrire n'importe quoi, n'importe comment. Aucune limite ou barrière ou système. Mais chaque idée doit être élaborée en elle-même et compor

- 45 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ter un message symbolique original (je ne veux pas me limiter à ça, mais pour mon prochain livre, oui).

Il me serait peut-être important d'esquisser les bases du genre que j'écris, veux écrire et écrirai. Si je veux élaborer et aller au-delà de ce que je fais.

Les Piliers

Les piliers me semblent être forts symboliquement et réussis en rapport à ce que je cherchais à faire. Les piliers sont déjà les écrits bibliques, les livres religieux, les livres de lois, la voix des autorités, des médias, de la littérature, puis de l'écrivain en lui-même. Le voilà confronté à autrui, à son passé, puis doit tenter, comme dans l'essai, d'exprimer des opinions et sentiments. L'ironie est que les Quatre Piliers se contredisent, parlent à tort et à travers, et proviennent tous de la même source, l'auteur. Comment donc faire la justice dans tout cela? Contexte enlevé, référents partis, nous n'avons que les conclusions-affirmations venues de nulle part. Quand bien même nous aurions eu le contexte, comment aurions-nous pu juger, interpréter les dires. Personne ne saura vraiment ce qui a été dit, et les interprétaions possibles à ce qui a été dit. Et les Quatre Piliers représentent ces voix que l'on entend, et l'épilogue montre cette impossibilité de faire justice sur les piliers et par conséquent, la stupidité d'essayer d'analyser le contenu, et surtout, de l'utiliser à des fins personnelles ou collectives. Je pense aux religions, aux courants idéologiques et politiques. En fait, il faut toujours prendre une distance avant de juger, de critiquer ou d'employer des écrits à titre d'arguments ou de justifications. Je ne saurais ne pas mentionner que les Piliers sont une réponse à tout ce que l'on pourra dire d'une quelconque lecture ou analyse de La Révolution, la trilogie de René.

20 mars 1994

J'ai beaucoup de choses à discuter. À tel point que je me demande si ce n'est là le fruit du mois de mars ou le conditionnement de parler de chaque chose qui m'arrive, que

- 46 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

d'avoir autant de chose à dire ou à analyser. Je devrais toujours tenir un journal. Cela m'aide à comprendre des choses, et m'inspirera pour ma littérature à venir. Pour en revenir à Ionesco, il parle d'avion dans sa pièce, et l'on nous a ramené une chaise roulante. J'ai failli crier à l'anachronisme! Je ne pourrais dire que la pièce n'est pas bonne, car bien intelligente. La mise en scène, je vois difficilement comment elle pourrait être mieux ne connaissant rien à cet art. Les comédiens overeacted et cela ne m'amuse pas. Le théâtre à l'Université d'Ottawa ne changera pas de sitôt, on y apprend comment faire avec le théâtre, du théâtre. Je ne voudrais pas sombrer dans le réalisme, mais l'artifice des acteurs me rappelle que des enfants inexpérimentés pourraient peut-être en arriver à un résultat même. Mais je ne dirais pas cela tout haut. Car point certain de mes dires et puis, le théâtre c'est difficile. Mais la réussite tient en la multitude des détails et le rythme. La pièce avait ses longueurs, et si je n'ai pas été soulevé de ma chaise comme lors de la Cantatrice Chauve, j'ai bien souvent regardé ma montre pour en voir la fin. Je n'accuse pas Ionesco, ou du moins, je ne veux l'accuser. Ce que dit Claire Faubert au département de théâtre et directrice du Trillium, que les gens ne sont plus capables de durer un spectacle d'une heure trente, est faux. Les gens ne sont pas capables de durer une heure si le spectacle est trop fade pour les tenir en haleine. Le problème c'est qu'Hollywood pousse cette idée à l'extrême. Hollywood et les règles classiques du théâtre, qui, si elles ont éclatées avec le théâtre de l'absurde, sont d'un côté encore bien présentes en l'esprit des metteurs en scène Québécois (Théâtre du Nouveau Monde, Quat'sous, CEAD), et d'un autre côté conduisent à l'ennui total. J'ai vu ce à quoi Ionesco s'insurgeait dans Notes et contre-note à propos du théâtre de son temps. Et j'ai eu l'impression que de rendre les discours absurde ou sans sens, faire éclater le temps et l'espace ne suffisait pas, qu'à la limite, il n'y avait aucun changement d'avec les autres pièces, à l'oeil. Je pourrais l'accuser de théâtre didactique. Mais le texte est génial, il n'y a pas à hésiter. Je veux revoir cette pièce par une équipe professionnelle, je suis convaincu que ce sera aussi bon que la Cantatrice Chauve à Paris. Il manquait les décors qui devaient disparaître à ce que l'on m'avait dit dans les pièces originales. On peut changer une mise en scène, mais pas en la régression. Les acteurs se sont trompés un peu, je m'en fous, c'est du théâtre, et universitaire. Je donne un B, comme c'est la mode chez mes professeurs. Non, je ne juge pas ou ne veux pas juger, je réfléchis.

- 47 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

J'ai vu dans le journal puis dans une description de ce qui s'en vient au département, deux pièces qui reprennent, et même pas symboliquement, l'absurde de deux comédiens placés sur une scène, enfermés, et réduits à leur plus simple expression de comédiens qui doivent faire un spectacle. Pastiche de Beckett ou de Ionesco? En sommes-nous réduit à subir le mise en abyme jusqu'à ce que le théâtre n'en porte plus aucun intérêt? Lafon le disait, quand un théâtre commence à se questionner sur lui-même, ou sur le genre qu'il fait, c'est la fin. Oh, me voilà devenu le pire des critiques. Heureusement, je n'écrirai jamais publiquement des critiques comme cela, et je ne voudrais pas que l'on puisse dire ces choses dans un quelconque journal ou critique à propos de ces pièces. Cela enfermerait l'esprit, détruirait le travail honnête des gens qui ont travaillé au projet. Si je ne vois pas l'intérêt de réécrire En attendant Godot, c'est que je l'ai surétudié. Mais qui ne connaît pas Beckett, appréciera le spectacle. Laissons les gens entendre et voir ce qu'ils veulent, ce qu'ils cherchent. Orientons les peut-être, mais pas dans l'abyme, vers une meilleure compréhension peut-être, mais pas de destruction ou de réduction de sens. Je n'ai même pas digéré le paragraphe explicatif de la pièce Le roi se meurt de Jérôme St-Denis, le metteur en scène. S'il avait lu le livre de Ionesco notes et contre-notes, il aurait mieux dit, et moins réduit. Ce qui me fait voir que tout est important. Si on leur donne un seul moyen de nous critiquer, nous sommes fichus, ils ne manqueront pas leur chance, ils veulent de la perfection, rien de moins. C'est lorsqu'ils n'ont plus rien à redire qu'ils n'ont plus le choix de crier ou d'admettre la réussite. Et encore, si les préjugés n'avaient pas déjà écrit la critique avant même de voir la pièce. Je suis entré avec une attente impatiente de découvrir Ionesco et l'Absurde, et je donne raison à Ionesco: on a un peu oublié la pièce en tant que tel dans la littérature qui accompagne la pièce.

Nous avons été prendre un café moi, Bruno, Nathalie Petit et Adeline. Au café Nicole. Ce fut bien, nous avons bien ri, parlé de tout sauf de la pièce de Ionesco. J'espère qu'aucune de ces filles ne s'intéresseront éventuellement à moi, mais notre conversation fut intéressante. Je ne sais pas ce qu'elles pensent, j'espère aussi qu'aucune ne croit que je m'intéresse peut-être à l'une ou l'autre. Peut-on encore parler avec une fille sans qu'elle s'imagine

- 48 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que l'on pourrait être intéressé? Je n'en sais rien. Mais Nathalie aurait de bonnes chances de le croire. Sans m'en rendre compte j'ai dit des choses comme quoi elle m'intéressait. L'ambiguité provient toutefois que c'est comme amie qu'elle m'intéresse, pas par amour ou désir. Mais j'avoue que c'est le genre de fille que je voudrais si je n'étais pas gai. Mais il n'y aucune possibilité que je pourrais la désirer sexuellement. Comme un homme straight qui pourrait admirer un autre homme straight, pour certaines raisons, comme par exemple, si l'autre représente ce que l'on voudrait faire ou être, sans en avoir le courage ou la possibilité. J'aime le côté sportif et courageux de Nathalie. Prête à partir en bicyclette autour des Pays-Bas, God, elle a bien pu en plus y rencontrer un bel homme, encore perdu aux Payx-Bas. Le pauvre et la pauvre.

Hier j'ai été dans un party chez Cameroun avec Bruno. C'était la fête de ce gars qui s'intéresse à Bruno. Deux gars portaient des kilts, ces petits jupes écossaises, et nus en dessous, pour qu'à l'occasion on puisse voir leurs parties. Oh mon Dieu, Edwin et Bruno ont pris le bord, j'ai bondi au plafond. Me voilà devenu digne de Sodome et Gomorrhe, j'aurais sauté sur Cameroun, là, dans sa chambre, ou même devant tout le monde. Aujourd'hui j'y pense déjà un peu moins. Il s'agit de sexe, et rien d'autre. Quoique les sentiments viendraient rapidement, je le sais. Mais pour l'instant, moi, je n'ai aucun moyen pour les mythifier, me les rendre nostalgique. Edwin j'ai la France, Paris. Et même les États-Unis, New York. Voilà donc le triangle de l'Histoire Américaine. Quelles sont donc les interractions entre la France, les États-Unis et le Canada? Tombe t-on amoureux de quelqu'un parce que l'on aime tel pays? Edwin m'a répété qu'il aimait mon côté Français, que je suis comme les gens en France (!), et qu'il avait découvert en Montréal ce qu'il recherchait, et même mieux que la France (!). Que le mythe devient séduisant. J'ai couché avec un Américain, et qui parle français. Une contradiction vivante. De voir que je pourrais coucher avec une multitude me fait comprendre que c'est pas mal tout du pareil au même. Lorsque j'ai couché avec Edwin, mes sentiments étaient confus. Je tenais un autre corps que celui de Bruno. J'ai fini par oublier le parfum avec le temps. Jamais je n'aurais cru que le parfum puisse être si aphrodisiaque. Je n'ai même pas une photo d'Edwin. Mais j'ai l'impression de toucher la

- 49 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

multitude, d'atteindre le monde et l'humanité. Comment dire, se sentir dans l'action. Se débarrasser de cette impression solitaire, de rejeté, loin du monde et incompris, me voilà qui va vers les gens, qui vois en chaque rencontre, une banque d'informations, d'expériences, qui me font du sens. Quelle sensation j'ai depuis un temps, de vouloir sauter dans les airs, exploser, crier partout, une joie de vivre, ou un désir de vivre, qui se compense par l'échange avec les gens. Enfin, je m'autosuffis, sans attendre de quelqu'un un quelconque salut. Je vois Adeline qui s'accroche à nous, veut des amis, Edwin qui me dit ce que l'on me répète depuis longtemps, avec moi, on ne s'ennui pas, on voit en moi celui qui apporte l'action, the entertainer. Ma soeur est du style aussi à rendre aux soirées plates, un intérêt qui fait que l'on attend plus de l'extérieur un sauveur. J'ai longtemps cherché un Luc Villeneuve qui s'autosuffit, qui donne l'impression qu'en étant avec lui, on ne manque rien de ce qui se passe ailleurs. Je suis donc cet ailleurs, à m'autosuffire, Dieu peut mourir. Encore que j'ai l'impression d'en manquer des choses. Bruno ne remplit pas ce vide, et moi je ne puis le remplir pour moi. Edwin? Ça reste à voir. Cette personne existe-t-elle? En la multiplicité peut-être? Sur l'instant, Untel remplira le vide? Ce Untel changera avec le temps? Qu'ai-je donc à attendre de la vie? D'autrui?

Sylvie, on me la répété plusieurs fois, elle-même le dit sans cesse, se cherche. La femme de 35 ans, aux enfants de 10 et 13 ans, divorcée, qui n'en peut plus d'attendre sa liberté pour vivre, voyager, étudier à Paris peut-être, et qui se cherche. Elle n'en peut plus d'attendre, elle a 35 ans, elle doit absolument faire ce qu'elle doit et veut faire, elle a 35 ans et n'a plus de temps à perdre. La limite est atteinte, le gouffre s'en vient, vite-vite-vite, il me semble voir là la façon la plus rapide d'atteindre le ravin. Elle se cherche. Et que veut dire cette expression? Elle est en crise d'identité, and so we are, en crise d'identité. Le gros mot. Le Québec se cherche, les Franco-Ontariens se cherchent, la France se cherche, les États-Unis se cherchent, se trouvent peut-être aussi, en la multitude. Ceux qui se trouvent, souhaitent détruire ceux qui se cherchent, ce qui n'est pas pour régler le problème de ces derniers. Ku Klux Klan, nous savons qui nous sommes, nous savons qui vous êtes, nous allons nous débarrasser de vous, car il est important que nous puissions demeurer ce que nous sommes, puisque nous avons découvert qui nous étions, et rien n'est pire que de se chercher

- 50 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

une identité. Les juifs trouveront leur voie si ce n'est déjà fait. Ils ont l'étiquette, ils sont juifs, à anéantir, et sans raison? Ils possèdent dit-on, ils manipulent dit-on, ils ont un pouvoir sur l'économie dit-on, sur les gouvernements, dit-on peut-être (je suis loin du problème). Sylvie se cherche, so do I. Et les Ku Klux Klan ne se chercheraient pas? Une gang de suiveux, de conformistes à un chef peut-être, se laisser entraîner à tuer pour aller pourrir en prison ensuite? Suivre des chefs peu subtils, criant à qui veut l'entendre qu'ils tueront tout le monde, comment alors se croire en sûreté et capacité d'accomplir notre mission? Propagande nécessaire pour attirer de nouveaux moutons. Mais ces moutons, ne se cherchent-ils pas? Quelle peur les pousse à suivre ces chefs, à agir par admiration ou peur de ces chefs. Et ces chefs, d'où provient cette haine pour toute une collectivité? Ne provient-elle pas d'expériences personnelles et isolées qui n'ont rien à faire avec l'humanité? Le gars prêt à faire sauter la planète parce qu'il a essuyé un petit échec dans une cabane à patates frites? Tout les moyens sont bons pour soutirer de l'argent, ou avoir des pouvoirs, se croire important (base de nos sociétés, la compétition pour la richesse et le prestige). Et nous serions surpris d'avoir élevé des prêts à tuer tout le monde pour se faire servir et admirer par une gang apeurée? Avouer ses échecs, avouer ou chercher ses vraies motivations, voilà déjà un bon pas pour l'humanité. Se comprendre d'abord! Comprendre les autres ensuite. Le seul message que j'aurais pour ces membres du Ku Klux Klan, c'est celui de se demander ce qu'ils cherchent vraiment, le pourquoi de leur mouvement, leur motivation ou problème en cause. Une haine, ça se justifie, rationnellement. Si leur seule motivation est de s'approprier le pouvoir, la richesse, la servitude, leur haine est injustifiée. On déteste pour que les gens détestent, pour faciliter l'action. En fait, les motivations sont ailleurs, et les moutons ignorent ces motivations. Ou au contraire, en sont trop conscients. Vivre et laisser vivre, quelle belle expression qui n'a jamais été entendu de personne. D'aucun peuple ou pays, et surtout pas des États-Unis. Qu'avons-nous à attendre d'autrui? La servitude certains pensent. Eh bien pas moi! Je tuerai moi aussi, non, je serai plus subtil et j'atteindrai mes fins. En attendant, qu'ai-je donc à attendre d'autrui? En attendant, je pourrais vivre et laisser vivre. Ainsi donc, il ne me reste qu'à me chercher.

Voilà que je rentre en dépression. Je viens de téléphoner Edwin. Il n'a pas reçu ma

- 51 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

lettre, un de ses amis est arrivé chez-lui, d'Allemagne, il est là jusqu'au quatre avril, empêche Ed de m'écrire, de me parler... je dépressionne sans raison, je ne peux rien attendre d'Edwin, mais il s'est justifié pendant cinq minutes à propos de ce qu'il ne m'avait pas téléphoné et me disant qu'il n'avait pas arrêté de penser à moi. Les justifications détruisent tout. Elles font penser qu'il a des comptes à rendre, alors que je ne peux rien exiger de lui. Cela me fait penser que je lui reproche des choses alors que ce n'est pas le cas. Et je ne veux pas de rôle du gars qui veut une lettre, qui vont qu'on l'appelle, qui ne veut pas être négligé et quoi encore. Je pense que je vais arrêter d'appeler Edwin, et attendre ses contacts. Il va m'appeler ce soir il dit. Je n'ai pas hâte. Se sent-il trop obligé envers ses amis? Ce qui m'inquiète, c'est qu'il m'oublie je pense. Oh, Ed, que fais-tu? Dépassé par les événements, je n'existe plus? Quel affront, je me retourne vers Bruno, je n'en veux plus de cette multiplicité de relations. Je veux un Bruno, ne pas souffrir, observer chez les autres l'expérience qu'ils en retirent. Je vais me mettre à lire, on apprend beaucoup par les livres je pense. Qu'ai-je à aller chercher ailleurs que ce que j'ai en Bruno. Je ne vais que m'attirer des problèmes, souffrir souffrir souffrir. Ne souffre-je pas déjà? Jusque où cela ira-t-il? Jusqu'où cela pourrait-il aller? Quel serait donc les pires scénarios? Les plus beaux? Ô Gwendoline, pure beauty, attends-moi à Cythère, je t'y retrouverai après mon shift de télémarketing. Ô Edwin, pure beauty, laisse-moi un demi siècle et je te retrouverai dans mon lit. Dear God, je suis venu sur cette planète parce que, me disait-on, il y avait beaucoup à apprendre. Un édifice complet m'est tombé sur la tête ce mois de mars, et je ne distingue pas ce que j'ai appris. Croyez bien que je désespère d'en voir davantage et pour l'instant, je ne peux attendre de me retrouver dans les bras de quelques humanoïdes que j'ai connus. Veuillez me faire parvenir immédiatement la marche à suivre pour trouver la sortie du labyrinthe, j'attends la réponse vers neuf heures ce soir, après le travail. Et puis tant qu'à bien faire, agréez, dear God, mes salutations distinguées. Vôtre, RM.

Apprendre par soi-même n'est-il pas plus passionnant que d'apprendre par les autres? Et ce que les autres vivent et que l'on entend a t-il autant d'impact que si on le vivait soi-même?

- 52 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Je repense aux membres du KKK, si les groupes voués à l'anéantissement ne leur provoquaient qu'une indifférence, ce serait déjà normal. Leur provoquer de l'intérêt est déjà plus énigmatique, et de la haine, j'y vois un paradoxe. Ce paradoxe, le voici: il existe une raison au pourquoi un sujet provoque de la haine et du dégoût, et c'est cette raison qui n'est pas claire. J'ose croire que le pouvoir et la richesse peuvent être de bonnes motivations, mais que dire de l'homophobie? L'homme a peur d'être comparé à la femme, car la femme est un être jugé faible. On ne gagne pas une guerre avec des faibles. La question n'est pas ici de savoir si les femmes et les homosexuels masculins sont faibles, mais de comprendre le point de vue des homophobes. Les blancs suprémacistes veulent une société à 100% composée d'hommes blancs (et de femmes blanches je suppose) tous riches, plein de pouvoirs, hétérosexuels qui se reproduisent. Voyez-vous le genre de société que cela donnerait? On ne peut pas dire qu'ils ne veulent rien des autres puisqu'ils n'auraient qu'à s'isoler dans leur cours ou ailleurs et oublier ces autres. Non, il s'agit de tuer les autres jusqu'au dernier, c'est le paradoxe à la Staline. De quoi servent les sujets, que leur apportent-ils de plus? On se débarrasse de la moitié du pays en l'envoyant dans les camps de concentration en Syrie, on force l'autre moitié à nous admirer et nous aimer (!), et l'on se met à jouir de la vie et à être heureux (ce qui ne peut être, Staline devenait paranoïaque de peur qu'on le trompe)? Qu'est-ce que cela apporte d'être riche à craquer et seul au monde? Prestige, admiration, envie? Qu'est-ce que cela rapporte de contrôler 100, 10 000, 7 millards d'humains, particulièrement lorsqu'ils ne sont plus humains, déshumanisés à l'extrême? Un petit feeling intérieur? Une petite satisfaction personnelle? Je ne doute pas qu'Hitler aurait été fier de lancer la bombe nucléaire et faire sauter la planète. Mais qu'aurait-il fait lorsqu'il n'y aurait resté que lui? N'aurait-il pas été mieux de se construire une cabane dans les bois et y demeurer seul, même avec sa femme? Comme les membres du KKK d'ailleurs. Lorsqu'ils souhaitent tuer tout ce qui n'est pas exactement comme eux, n'en viendraient-ils pas à s'entretuer ensuite? Car personne n'est exactement comme soi à la limite. Et quand bien même on en arriverait à ce qu'il ne reste plus qu'eux, c'est-à-dire, j'imagine, les 100% de race blanches descendants d'Angleterre, que feront-ils? Quels seraient les changements tant attendus? Des terrains plus grands? Davantage d'espace pour les édifices vides? La fierté à la possession d'un morceau de planète? Et combien leur en faut-il d'espace, et qu'escomp

- 53 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tent-ils en faire de cet espace? Mais tuent-ils vraiment les gens pour l'espace ou pour autre chose? Je parle, leur finalité à atteindre, on ne tue quand même pas sans raison, pour avoir une société uniforme tout de même, en croyant que de là émergera une société intelligente et puissante. J'aimerais que l'on m'éclaire.

Aujourd'hui on parlait au travail, Frédéric Lavau disait qu'à continuer comme cela, je suppose qu'il parlait de la surpopulation mondiale, il faudrait qu'il arrive quelque chose de toute façon. Je suppose encore qu'il parlait d'une genre de catastrophe gigantesque comme un tremblement de terre ou une guerre nucléaire ou chimique, on parlait de Tchernobyl et les prédictions de Nostradamus. La venue d'un troisième Antéchrist, probablement juif que les interprétations ont conclu, qui émergerait d'Israël (il est drôle de voir que les juifs se sont justement formés une armée, et qu'en plus, un groupe terroriste est né et a déjà tué 50 muslims dans une mosquée si je me souviens bien, mais cela, je n'encourage pas cela). Frédéric Grignon disait que c'était très anti-sémite cette interprétation des prédictions de Nostradamus. Pas vraiment. Quoique j'avoue que j'ignore d'où provient l'interprétation et j'ose souhaiter qu'elle n'est pas établie dans le but de nuire au peuple le plus meurtri que la planète ait porté après les homosexuels peut-être, si ceux-là on pouvait les appeler peuple. Les gens n'aiment pas les comparaisons entre les souffrances juives et homosexuelles, eh bien tant pis, les deux ont souffert injustement, en particulier durant l'holocauste (en fait, les juifs sont prêts à tuer les homosexuels et ne manquent pas une occasion des condamner). Souffre-t-on davantage d'être juif ou homosexuel? Je ne pourrais dire, j'ignore le nombre d'homosexuels tués à chaque année, et le nombre tués au cours de l'histoire. Et si le chiffre de 6 millions est très significatifs pour les juifs, Sodome et Gomorrhe l'est aussi, en admettant que ce conte ait autre chose à faire que d'être une fiction mythique franchement malhonnête et sournoise, persverse, mal, si seulement la portée de ces trois seuls lettres pouvaient frapper en plein visage 6 000 ans de fanatisme religieux... je calcule peut-être un chiffre aussi impressionnant d'homosexuels tués au cours de l'histoire, nous ignorons tout à ce sujet (j'ai appris vers le début juin dans le citizen qu'on estime qu'il pourrait y avoir eu un million d'homosexuels tués pendant l'holocauste de 39-45; certains affirment qu'il y en

- 54 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

a au moins 500 000 et tout le monde semblent s'accorder sur un chiffre minimum de 220 000). Et je puis déjà dire qu'il m'est déjà bien insupportable de vivre, comme tous ces gens d'ailleurs. On avoue plus facilement être juif, et avec fierté, que d'être homosexuel. Et on souffre en christ, hier, aujourd'hui, et demain. Je dévie du sujet. Je ne cherche qu'à prouver jusqu'à quel point les homosexuels sont injustement traités encore aujourd'hui. Dans quelles conditions on nous laisse respirer et souffrir, sortir de l'ombre si on en a la chance ou autant de volonté qu'il en faudrait, se décider à trouver quelqu'un, de vivre comme il est notre seule façon d'être pour être heureux, je m'excuse, on ne peut changer sa nature. Ceux qui semblent y réussir souffrent plus que tous et ne peuvent se l'admettre peut-être, et surtout pas l'admettre aux autres. Et si les bisexuels, puisqu'ils semblent exister pour vrai, peuvent tout aussi bien se trouver quelqu'un du sexe opposé et être heureux, qu'ils ne viennent pas dire aux homosexuels qu'ils peuvent changer. Je n'en crois rien, et pas un homosexuel en croirait quelque chose. (Lorsque je parle d'homosexuel, j'aimerais que l'on considère que je parle autant des lesbiennes, des bisexuels et bisexuelles. On a toujours tendance à ne compter que les gais masculins, puisque c'est surtout après eux que les gens en ont, je pense. Il est peut-être aussi plus facile pour une femme lesbienne de se marier et avoir des enfants et souffrir sa vie durant si la religion était forte dans sa jeunesse. Mais je sais qu'il existe un très grand nombre de lesbiennes, et que l'on aurait tort de les oublier ou de réduire l'homosexualité à l'homme. À ce sujet je trouve bizarre que n'importe lequel film porno puisse nous montrer deux femmes en train de s'embrasser et se lécher, bref, de faire l'amour, sans scandaliser personne. Alors que deux hommes qui feraient cela implique tout de suite que le film est gai. Cela montre les mentalités et la tolérance par rapport au sexe, et explique que l'on omet souvent les lesbiennes). Je n'essaie pas de banaliser ce qui est arrivé aux juifs! Je montre que si l'on s'indigne sur ces atrocités, c'est le temps que l'on se réveille, et que l'on comprenne qu'il existe toute une partie de la collectivité qui nous entoure qui souffre tout autant et qui a souffert tout autant dans son histoire. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, je ne m'adresse pas aux chefs ou membres du Ku Klux Klan, mais à la petite mémère et au petit pépère lavés du cerveau par leur religion et qui en arrive à affirmer la phrase maintenant classique que le Sida est un cadeau de Dieu pour nous débarrasser des homosexuels! Calice, quelle sorte de Dieu avez-vous donc pour chercher à se débarrasser

- 55 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

comme cela d'un groupe de gens, et qu'avez-vous donc à espérer d'un Dieu comme ça? Un Dieu qui est amour? Et vous, juste à penser une telle chose, avez-vous vraiment une quelconque espérance d'aller au ciel? Laissez-moi rire! Un jour je vais faire du Voltaire, je me payerai la bible, les 300 versions différentes qui existent s'il le faut, juste pour vous en ressortir les choses les plus inconcevables qui se puissent exister. Et que l'on m'apporte encore une de ces phrases bibliques à la noix qui puisse s'interpréter pour aider à l'anéantissement de tout un peuple. Votre Ku Klux Klan, étudié le bien. Il ne diffère pas beaucoup de certains partis politiques, de certains gouvernements, et peut-être pas du tout de plusieurs mouvements religieux. Dieu merci, la France elle a compris. Elle s'est vite laïcisée. Et si le Canada n'a encore rien compris, c'est qu'il souffre encore de ce que le colonisateur a bien voulu faire de lui. Relisez, ou plutôt lisez André Gide, Voltaire, Rousseau, ou même, lisez-la votre bible, et pas n'importe laquelle version. Avant de commencer à la citer à tort et à travers comme si elle faisait office de loi divine, vous serez peut-être surpris d'y lire que vous êtes condamnés. Je croyais que les sociétés évoluaient, je pensais que lorsqu'un auteur comme Rousseau avait écrit ses briques, on avait plus besoin de les répéter. Eh bien non, il faut sans cesse reconstruire les consciences, laver le cerveau des gens dans un but un peu plus humanitaire, recommencer la sensibilisation. Comme il est difficile pour quelqu'un de se croire libre de penser avec tout un bagage de croyances implanté dans son cerveau. Ces gens ne sont même pas capables de revenir sur leur idéologie pour se demander s'ils ont peut-être tort. Pas du tout, et tout jugement par la suite devra aller en fonction de ce savoir qui ne leur appartient pas. Alléluia! Fêtons la mort du Christ puisque personne n'a compris son message!

J'ai parlé avec Edwin. Comme il est bizarre d'alterner les grosse discussions sociologiques et politiques et militantes et religieuses, avec les puérilités de l'amour. Cela montre que mon cerveau fonctionne fort de ce temps-ci. Et me fait me demander s'il ne fonctionne pas toujours aussi fort en temps normal. Bref, j'ai parlé avec Edwin. On s'est répété les traditionnels bonjour et discours presqu'amoureux, on se verra vers la mi-avril. Ô horreur, cela est long, mais comme il dit, moi au moins j'ai Bruno pour me contenter. J'ajouterais même que je ne devrais qu'avoir Bruno pour bonheur. Et si j'en profitais pour me conditionner à ne

- 56 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pas coucher avec quand il viendra, et même, souhaiter qu'il ne viendra pas? On verra. En attendant, c'est vrai que lui doit souffrir de n'avoir personne avec qui coucher. Mais peut-être couche-t-il avec d'autres et qu'il n'ose pas me le dire. Je le souhaite, ainsi il ne souffrira pas trop. Mais il disait à la blague qu'un coup à Ottawa, il chercherait un mec avec qui passer la nuit. Je lui ai dit non, eh, il vient pour moi, pas pour que je souffre de la voir coucher avec un autre, comme ce serait cruel, sans perdre de vue que Bruno ignore cette histoire et qu'ainsi, l'histoire n'est pas encore cruelle. Mais ne sais-je donc pas que je n'ai rien à attendre dans cette histoire, et surtout pas de la pitié ni de la compassion? Bruno me téléphone pour me dire qu'il m'aime, il est 12h38 du soir, j'arrête d'écrire, c'est sûrement un signe...

21 mars 1994

Bon Dieu que j'ai écrit hier! Depuis le 7 mars, qu'est-ce qui se passe. Et j'entendais Benoit Leblanc le prof me dire qu'il avait ce désir d'écrire mais qu'il n'avait rien à dire. Encore un obnubilé par les chefs d'oeuvre, mais les chefs d'oeuvre, ils ne viennent pas en série! Un auteur aura peut-être un, deux ou trois chefs d'oeuvre sur vingt-cinq livres. Le pire, si je regarde Ionesco, ses chefs d'oeuvres ne semblent avoir été choisi qu'en fonction de l'histoire que l'on a bien voulu faire du théâtre contemporain. Assez d'écriture sur le théâtre! Rhinocéros est mieux. Mais je ne l'ai pas lu. Je le veux mieux, voilà.

Nathalie Petit était dépressive avant. Quatre à cinq mois de dépression à ne plus être capable de se remettre sur pieds. Solution? Le Soleil! Qu'elle me rendrait jaloux si elle était ma blonde, je lui ai dit. Tous les gars lui tournent autour. L'autre sportif entre autres, celui qui reste en shorts, arrive en bicyclette, mange des ragoûts maison à la limite du végétarisme (ça viendra). Et il pense avoir un droit sur elle parce qu'elle aussi fait du sport et mange des ragoûts maison bizarre. Eh bien oui, nous sommes différents, le différend, Adieu, je ne mérite peut-être pas une amitié avec toi. Mais je vois bien que tu as cette volonté de me parler davantage. Je t'ai vaguement laissé entendre que mes problèmes venaient en partie de Bruno, et tu m'as dit avoir piqué ta curiosité. Tu veux en savoir plus maintenant.

- 57 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

«Tu n'aimes pas mieux en parler avec des gens qu'avec un journal?» Mais d'où donc sort cette fille? Origine Mongolienne, créée en France, déménagée au Canada, esprit voyageur, avec ses ragoûts, bon Dieu que je rencontre des gens bizarres ces temps-ci. Et tous ces français qui m'entourent, avec Adeline, Frédéric Lavau, Olivier à Versabec voilà trois mois, Bruno François et sa famille, l'Ambassade de France, mes téléphones aux Universités de Paris, et d'autres Français dans mes cours, dont plusieurs profs, Mme Kaye, Swiderski, Lafon, Maser, Bourbonnais (?), M. Vaillancourt je pense (non), Gallays peut-être (non)(s'ils ne sont pas Français, ils ont étudié là-bas et se donnent le genre). Que font-ils donc ici? Des perdus. Si c'est en France que cela se passe, s'ils ne jurent que par la France, que font-ils à pourrir ici? Petit me disait que ses parents étaient venus pour posséder une terre. Encore une question d'espace. Kaye et Swiderski disent qu'il y avait l'opportunité à l'emploi, elles sont venues, c'est tout. Les parents de Bruno fuyaient une famille devenue imposante, et une troisième guerre mondiale hypothétique d'après ce que j'ai pu comprendre. Jamais je n'aurais pu côtoyer ces gens à Montréal. Je suis bien préparé pour la France.

22 mars 1994

Mes opinions changent comme la température. Une lecture du Voir, journal de la ville de Montréal, et me voilà converti à la culture québécoise. Je regretterai un jour de ne pas avoir passé par Montréal, peut-être. La petite élite de Montréal que j'accusais dernièrement, n'est peut-être pas si petite ni ridicule. Quel est ce mythe en moi de voir en Montréal une ville que je n'aime pas? C'est le mythe des années 70 je crois, et l'histoire de la révolution tranquille que je ne digère pas. J'ai idéalisé un faux Québec, un faux Montréal. Chaque fois que j'y vais, je me retourne et me dis, mon Dieu, est-ce possible, une ville si grande et francophone en Amérique? Puis c'est l'extase, j'aimerais davantage conquérir Montréal que Paris, c'est chez-moi en fait. Je serais l'élite, bien plus rapidement que je voudrais le croire, et en fait, il en faut toujours une élite. Que deviendraient les arts si Jurassic Park auraient gagné sept oscars avec 12 nominations au lieu de Schinder's list? Trois oscars avec trois nominations pour Jurassic Park, c'est déjà beaucoup pour Spielberg. Si la masse ne lisait

- 58 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que Stephen King, on passerait peut-être à côté de... je cherche un bon auteur contemporain... impossible. Voilà, on passe déjà à côté des bons auteurs contemporains. Et vive Stephen King! Il en faut une élite, mais je ne veux pas en être. Ni en France, ni au Québec. I want to be out of the scene. Qu'ils se débattent peut-être avec mon oeuvre, mais qu'ils ne m'en demandent pas d'en dire plus que l'oeuvre elle-même. Mais comme dit Ryngaert, saurais-je résister et ne pas donner clés en mains l'univers de ma littérature? Il me serait si simple, en une page, de vendre La Révolution. Quelle erreur ce serait. Mais que vont-ils y comprendre? J'ai l'expérience, les comités de lecture n'ont pas dépassé les dix premières pages de La Finalité. Ils ont cru que je cherchais à les convertir à Dieu, ils se sont sentis frustrés ou trahis. Qu'ai-je donc à espérer de La Réussite? Ils croiront que j'essaie de leur vendre l'anarchie avant la huitième page. Il faut au moins une lettre d'accompagnement pour les mettre en garde contre les jugements trop rapides. Mais je me demande pourquoi je m'inquiète, ils ont déjà lu, en théorie, La Finalité. Je ne peux donc plus leur envoyer les trois parties, La Révolution. Ce livre ne pourra donc être publié qu'en France. C'est triste. Mais c'est peut-être mieux pour moi. En fait, j'aime bien Montréal, mais si je veux faire différent, il est bien de vivre au Saguenay-Lac-St-Jean et à Ottawa. I'm out of space, j'appartiens à toutes les époques de la littérature dans mes cours. Et je peux quand même apprécier le talent québécois. Les Portes Tournantes, c'est quelque chose comme film. Jésus de Montréal aussi j'imagine. Qui je n'aime pas, bien que je n'aie jamais assisté à aucun de leur spectacle, c'est Messier (celui de Broue), Patrice l'Écuyer, Rémy Girard, etc. Ils ont beaucoup de talents, c'est indéniable, ils font de belles choses, c'est bien, mais on ne voit qu'eux! Et je ne veux pas immortaliser la culture québécoise dans ces quelques comédiens du temps. Je n'ai vraiement pas l'impression de vivre en une époque fertile en films et littérature. C'est peut-être faux, I'm out of space. C'est le temps que je fasse mon entrée dans la civilisation si je veux me défaire de mes préjugés. J'apprécie Ottawa pour son unique caractéristique, que pour une région de plus d'un million d'habitants, la culture est complètement inexistante. Tout provient d'ailleurs, par bribes, Montréal ou Toronto, et pour peu que l'on lise The Citizen d'Ottawa et que la sous-culture anglophone ne nous intéresse pas, we are free of influence, almost.

- 59 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Je termine à peine le visionnement du film Pump up the Volume, film Américain, cela va de soi, et j'ai enfin compris le film (c'est la dixième fois que je l'écoute). La génération X. C'est moi ça? La génération X, qui n'a rien à attendre de la politique ni des institutions, mais qui doit elle-même prendre la voix des ondes, des médias, et prendre le contrôle pour à son tour écraser une autre génération. N'en avais-je pas déjà parlé? Je ne me souviens plus. J'avais cette impression qu'il était vrai que c'était à nous d'agir, mais c'est vrai qu'il est impossible d'agir si ceux qui sont en contrôle ne nous en donne pas la chance. Mais n'est-il pas normal de ne pas vouloir céder sa place lorsque tout va bien? Combien d'entre-vous laissera son travail d'ingénieur pour permettre à un plus jeune de travailler, même à la limite de l'âge qu'habituellement on croit la retraite normale? Personne, et c'est normal. Je ne le ferais pas non plus. C'est donc que nous devons leur rentrer dedans. Prendre d'assaut les maisons d'éditions, se bâtir les nôtres, publier nos choses, écrire dans les journaux, mais pas pour sa génération, l'autre génération, celle qui travaille et qui vieillit. J'ai longtemps souffert à lire quelque fois les journaux du Québec et comprendre que ces beaux articles dénonciateurs des actions contre les Francophones ne seraient lus que par des Francophones. Pendant ce temps, les Anglophones se délectent de Mordicaï Richler, celui qui dénonce les tares québécoises, chez les Anglais, y compris les Américains semblent-ils, ils ont entendu le message, nous sommes la petite Allemagne de 39 à 45, les nouveaux nazis sur la planète. Parlons donc là où il faut. Et encore, à ce rythme là, c'est vrai que je ne serai pas entendu ni cette année, ni l'année prochaine, ni l'année après celle de l'année prochaine, ni l'autre d'après... j'avoue bien franchement que je ne peux faire davantage que ce que j'ai fait pour me faire publier. Pas avant cinq ans, je me demande encore là si j'aurais une quelconque chance. Cela m'importe moins maintenant. Je survivrais même si je dois n'être jamais publié, et surtout, j'écrirai toute ma vie. Je pourrais publier à Saint-Germain-des-Prés à Paris, et j'avoue que cela me tente. Vente par souscription, meilleur moyen d'être entendu, on s'impose de force. Oeuvre lancée un peu en scandale (je ne saurais calculer la portée que pourrait avoir La Révolution), quarante personnes à trouver pour acheter une copie de luxe à 50 ou 60 dollars. Et hypothéquer mon avenir en littérature, après cela, aucun moyen de se

- 60 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

faire entendre. Ils sont pas fous les éditeurs, leurs institutions sont merveilleusement contrôlées: tout livre à compte d'auteur ou vente par souscription est considéré tel un navet sans intérêt; un livre qui n'a pas su trouver un éditeur est certainement sans valeur. C'est mon problème. Mais je n'écris pas ce que l'on cherche, ce qui est publiable. Aucune maison d'édition n'a de collection où peut s'insérer La Révolution, et j'avoue qu'il leur serait difficile de la vendre dans ces conditions. Valeur à scandale, c'est déjà plus intéressant, je vais essayer de le publier en France, personne n'aura encore lu cette version définitive de 150 pages. Mais je me demande s'il ne vaudrait pas mieux passer directement chez Saint-Germain-des-Prés. Je ne veux plus perdre un an ou deux, des lettre d'éditeurs dont je sais que la réponse sera négative. Entre vous et moi, aucun éditeur n'acceptera La Révolution. Et ce n'est pas là le fruit de la génération X, c'est une littérature différente, et encore là, je ne la crois pas si différente de ce qui a pu se faire. Mais c'est vrai que ce n'est pas un roman à la mode de notre siècle. En fait, à court terme, le seul projet qui pourrait déboucher c'est la pièce de théâtre sur Val-Jalbert, et les troupes de théâtre du Sagenay-Lac-St-Jean sont plutôt peu nombreuses et déjà engagées en d'autres projets. Peut-être cela débouchera à l'été 1995. Autant mourir, si j'attendais après cela. C'est vrai que Paris sera un nice change. À défaut de publier, j'y trouverai un air différent, et plus près de la littérature que perdu à Ottawa. J'ai bien l'intention de m'impliquer dans un journal étudiant. Je vais atteindre les masses, j'aimerais mieux être journaliste que professeur. Journaliste et écrivain libre. Pour un retour à l'objectivité peut-être, l'anti-destruction. Je vais monter lentement dans la hiérarchie, mais comme dirait René l'Illuminé, il y a peut-être un intérêt à tenter l'ascension de la société, surtout pour quelqu'un qui ne prend pas cela trop à coeur et n'a pas peur de l'échec. Après en avoir tant parlé, l'échec est apprivoisé. Parlant de rite initiatique, il est tellement vrai que la trilogie de René est un vrai exorcisme. René qui a les yeux fermé avec tout un savoir qu'il rejette. Il s'embarque sur l'océan, c'est le lavage de cerveau complet, le néant. Vient ensuite la sagesse, la connaissance, le vrai être, celui qui voit en chaque chose la futilité, un intérêt en chaque chose, pris au deuxième niveau. Mais encore là, ce serait peut-être se tromper. Je n'encourage pas plus la spiritualité que la nage dans le marasme de la hiérarchie sociale. Peut-on s'en soustraire vraiment? En fait, si René à trouver sa voie et

- 61 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

qu'il devient le Soleil, ce qui sera, je pense, le comble de l'idiotie pour le lecteur, l'auteur lui, en est au stade du lavage de cerveau, la tête vide, qui ne sait plus trop où s'embarquer. Voilà tout le message de l'absurde. Et il ne me semble pas que ni Ionesco ni Beckett aient trouvé leur voie dans la littérature. La tendance vers le néant ou l'absence d'idéologie prévaut, et c'est peut-être mieux ainsi de toute manière.

Je multiplie les «je pense», les «je crois», les «peut-être», voyez, je n'ose pas affirmer. Je suis conscient que chaque phrase que je dis sera contredite. Ionesco en parle beaucoup dans Notes et contre Notes, ce qui me fait penser que ce livre me suivra longtemps. En fait, il faut tout de même affirmer des choses, ne serait-ce que pour provoquer les débats. Et surtout, ne pas avoir peur de revenir sur ses idée, ses dires même. Bon Dieu, j'ai manqué cinq cours aujourd'hui pour faire mes travaux pour Vandendorpe, j'ai rien foutu. Sauf écrire ce stupide journal, et écrire deux pages de La Révolution. Il n'y a plus rien qui fonctionne. Je vais téléphoner Joël Cyr, sait-on jamais, le salut viendra peut-être de lui.

Une heure au téléphone, j'ai appris que notre Sylvain Simard va passer à l'histoire. Notre bon Jacques Parizeau, chef du Parti Québécois, voit en Simard un futur ministre, de la culture probablement, aussi, ils vont le parachuter dans le comté Richelieu, puisqu'il n'y a aucun moyen de gagner un siège dans la région de la Capitale Nationale. Je n'aime pas cette façon de prendre un contact brutal avec la vie. Moi qui étais loin de l'holocauste, loin de la politique, surtout au Québec, me voilà qui côtoie des gens très près de ces milieux, m'entraînant dans leur ronde et discussion. J'avoue que j'y vais à contre-coeur, je devrais peut-être m'y engouffrer de plein fouet, ainsi je ne serai pas à côté de la track en tant qu'écrivain. Mais je ne peux m'en défaire, ces sujets ne m'intéressent pas. Ils sont ceux du moment, ce sont les seuls qui font l'actualité, tout est déjà analysé en première page, et je déteste le fanatisme politique et religieux. Je ne veux donc pas m'en mêler, ou sinon, de loin. Ce n'est pas pour rien que l'on va me parachuter à Paris bientôt, il faut me préserver de tous ces mouvements qui m'entourent.

- 62 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Il m'est passé par la tête dernièrement, d'établir la liste de tous les gens que j'ai connus et dont je peux me rappeler au moment où je ferais la liste. Même si je devais juste les définir qualitativement. J'ai vite compris que cette liste me prendrait beaucoup de temps à établir. Prenons juste les personnes que j'ai nommées dans ce journal cette année. Et c'est rien, j'en passe tant que je ne nomme pas. J'ai compté une fois que j'avais parlé avec au moins 1000 personnes en une journée lorsque je travaillais à la cafétéria, la caisse enregistrait le nombre de transactions. Encore que plusieurs passaient deux fois à la caisse. Disons entre 500 et 700 personnes. Aussi, un jour que je suis descendu à Jonquière, dans la même journée j'ai parlé quand même assez longtemps avec un peu plus de 50 personnes différentes, entre Ottawa et Jonquière, en passant par Montréal, Québec et Chicoutimi. Qui sont donc tous ces individus, qui ont leur vie propre, et qui se côtoient comme cela, en paix? Ont-ils tous une chambre, un toit, une automobile, un amant, une garde-manger, un réfrigérateur, etc.? Mais pourquoi donc n'existe-t-il pas davantage de facilités (facilités est un anglicisme et je l'utilise avec fierté, pour ceux qui cherchent le mot exacte, ce serait services) entre toutes ces personnes? Pourquoi ont-ils tous besoins d'avoir une automobile, un toit, un réfrigérateur, etc.? Juste au niveau des étudiants, il me semble que l'on devrait construire des facilités plus grandes, un genre de coopérative, plus de logements avec chambres et cafétéria abordable. C'est ça le vrai rôle des associations étudiantes. Prenons CNOUS et CROUS en France, eux ça fonctionne. Nous, on meurt sous le poids de compagnies qui font de l'argent sur notre dos. Il n'y a rien de plus pauvre sur la planète qu'un étudiant. Ils sont en voient de devenir les riches de demain et vivent pour cela plusieurs années sous le seuil de pauvreté. Les libraries nous vendent des livres avec un profit qui dépasse probablement les 40%, la cafétéria nous coûte minimum 8$ par repas, et encore, nous n'avons pas de dessert à ce prix, puis les logements sont introuvables, hors de prix, infestés d'insectes comme les coquerelles. Si c'est cela tout ce que les associations étudiantes ont réussi à nous gagner, je m'inquiète sincèrement à propos de la société de demain. Le problème en Ontario, c'est que l'on augmenterait les taxes de 5 000$ cette année et les gens râleraient trois jours pour finalement accepter l'injustice. Car il s'agit bien d'injustices, si l'on constate les millions jetés à droite et à gauche. Prenons par exemple la simple petite bureaucratie de l'Université

- 63 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

d'Ottawa. Après avoir travaillé à la cafétéria aux Caterings, et après avoir constaté comment pouvait coûter la livraison sur le campus de deux petits plateaux à sandwichs avec 25 cafés et une dizaine de cannes de cokes, je vois déjà plusieurs milliers de dollars dépensés pour rien. Cette petite livraison, habituellement plus grande, reviendrait à environ 350$, et des livraisons comme cela, il y en a une à deux par heure, parfois plus, de 7H le matin à 9h le soir. Le pire c'est que souvent, ce goûter n'est même pas touché. Il y en a du gros surplus à faire sauter et le problème c'est que lorsqu'il y a des coupures, c'est jamais au bon endroit, c'est toujours dadns l'essentiel. Mais qui donc est en charge de ces factures? Comment peuvent-ils tolérer ça? Quelqu'un qui se fout des finances de l'Univerité en tout cas. Les étudiants devraient négocier tout ça, ce qu'ils essayent de faire d'ailleurs. Et employer les étudiants étrangers puisqu'ils ne peuvent travailler que sur le campus (ce qui est d'ailleurs très discriminitaoire, c'est dire que les gens ne sont pas égaux).

23 mars 1994

Encore une journée, puis une autre, puis une autre, c'est merveilleux, ce journal à fait passer le mois à une vitesse surprenante, tout juste si je me souviens d'avoir dormi. J'ai perdu la notion du temps, il me semble que cela fait une semaine qu'Edwin est parti.

Comme j'aurais toujours voulu faire de la musique et non de la littérature. Avec la musique tu peux dire des niasieries, la musique transforme, transporte, transpose le tout. J'ai toujours mis la musique au premier plan dans l'art, il m'a toujours semblé que c'était là une chose que je ne pouvais faire et impossible à faire. Mais dernièrement je suis revenu sur cela. En ouvrant René l'Illuminé je me suis rendu compte qu'une bonne littérature valait bien un bon groupe de musique. Et même, a plus de portée en un sens puisque l'on s'attarde davantage au contenu et à l'analyse. Peut aussi traverser les décennies plus facilement qu'un album. Mais il s'agit encore là d'être dans les meilleurs, sinon plus rien ne vaut dans cela. La musique est plus accessible, fait des millions, est adulée, moi, on ne risque jamais de me reconnaître dans la rue, en admettant que l'on puisse reconnaître mon seul nom. Et

- 64 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

c'est bien, je n'en suis pas désolé.

Troisième Lettre à Edwin: voir 6diary94 (c'est la lettre au complet)

- 65 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Les Feuilles Mortes

Oh je voudrais tant que tu te souviennes

Des jours heureux où nous étions amis

En ce temps-là la vie était plus belle

Et le Soleil plus brûlant qu'aujourd'hui

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle

Tu vois, je n'ai pas oublié

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle

Les souvenirs et les regrets aussi

Et le vent du nord les emporte

Dans la nuit froide de l'oubli

Tu vois, je n'ai pas oublié

La chanson que tu me chantais

C'est une chanson

Qui nous ressemble

Toi tu m'aimais

Et je t'aimais

Nous vivions tous les deux ensemble

Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais

Mais la vie sépare ceux qui s'aiment

Tout doucement, sans faire de bruit

Et la mer efface sur le sable

Le pas des amants désunis

- 66 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

23 mars 1994

For the Citizen

Ottawa south, mai 27 1994

Adam et Steve

I think we had touch an essential truth of our society. A thruth that we won't be able to hide forever. We might want it or not, for this reason or other, but Adam et Steve exist, and there is a lots of them.

If it's not out in the open, it's hidden. They then built a second life, a second personality in parallel of they're first exemplary life in the image of what society wants.

But a society is not just the white heterosexual descendant of England or France, it's a multiplicity of people, and a society should respond to all it's constituents.

Inside any groups I have been through, I always spot at least one or two persons that were homosexuals, and I had talk to them. So I always had the knowledge that there was at least 10% in any group that was homosexual. From that number, I'm not counting the ones that I dont know they are, and also the ones, of course, that will accept themselves only in a few years because of the education and values they got. We need to face it, at least one person on ten is homosexual and maybe 90% of these people are living a hidden life. So hidden than if they suffer from beating or discrimination, they won't go to the police or complain, they will just walk away.

There is no way I will ever tell anyone I'm homosexual, especially in any form of sondage. Dont do that mistake about the 1% of woman we though they were beaten until we find out this pourcentage became 16% when anonymous (Nouvel Observateur, 3-9 april 1987, p.4).

It's time to stop people from thinking and deciding for us, especially when we cannot

- 67 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

change our mind. If some bisexuals are able to find someone from the opposite sex and be happy, then they should'nt come to the homosexuals and tell them they can change, and, the religious organisations (or the Ku Klux Klan), should'nt try to convince us of things we already know about. We know, and we are the best ones to know about it, than that's impossible to change. And we dont want to change, in majority, we just want to be able to breath, to survive, to tell people who we really are. If only we were able to get out of the closet.

We have to fight a group that judge us immoral and wants our disparition, or if not, wants us to continue to live hidden life. I dont believe it's to help a society to save the appearances, hide the thruth. Adam and Steve have the rights to live, and the bible is probably the worse autority we can use to teach us anything in our actual society. There is many versions of the bible, and it's a big weapon to justify lots of atrocities. If you are a bit human, you will understand that the only morale law is to let people be happy, with no pain, as long as it doesn't hurt you.

The conformism time is over, we are not what you want us to be. Acceptation, tolerance, that does not remembering you something? I will have the courage to sign my letter (it's the only way to publish it), because someone has to do something. You know, it's dangerous to be homosexual here and one of the problem is maybe because it's taboo.

Homophoby is as bad as racism, maybe worse, because to not be the same colour as the majority is not illegal, and still in the world there is place like China and some states where a relationship between same-sex couple is. It's a good thing the government is not going to your bedroom to tell you that if it's not to conceive a child, you should'nt have sex. Poor chinese people, they will be allowed to have sex one time in their life.

Let us be a part of the society! Let us bring things to wolrd! Let us have a family! Let us live!

R.M. Tremblay

(2316, Ryder Street

Ottawa, Ontario

K1H 6X5, 521-8906)

- 68 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

* * *

Mon anglais est tellement mauvais, probablement parce que j'ai traduit mot pour mot du français à l'anglais, chose qu'il ne faut pas faire paraît-il. Je ne vais pas envoyer cet article. Je vais le lire en français à Bruno et il l'écrira directement en Anglais. Ce sera plus facile de corriger ça. Pour ce faire, je vais retraduire cet anglais au français pour permettre une meilleure traduction en anglais puisque cette version est meilleure que l'ancienne version française. Parfois la vie semble plus compliquée qu'elle ne l'est. Bruno ne veut pas que j'envoie cet article, il juge que c'est trop dangereux. Je vais être sur des listes noires de mouvements religieux et de Skin Heads et white supremacists.

En parlant de vie compliquée, je me suis payé 1 heure 30 minutes de parlotte avec Sylvie, la fille de trente-cinq ans, encore au 216. La famille symbolique. La fille qui, à 13 ans, écrit des lettres à Dieu, qu'elle brûle ensuite pour permettre la sublimation jusqu'au ciel. Quelle intelligence! Quelle enfant à 7-8 ans penserait à faire une chose pareille? C'est peut-être bien de l'imitation. En fait, la question n'est peut-être pas à se demander comment une jeune fille peut être aussi intelligente, mais plutôt, qui peut être aussi innocent dans les deux sens du terme pour agir de la sorte et montrer l'exemple à une jeune fille qui aurait pu sacrer le feu à la maison? J'espère que Dieu a entendu son dernier message: «Cela ne me dérange pas de souffrir maintenant, si après je suis pour être heureuse le reste de mes jours». Qu'est-ce que je retiens de notre conversation. Elle veut devenir une intellectuelle. Cela m'a obligé à me demander à moi-même si je désirais éventuellement devenir un intellectuel, et même, si je ne me considérais pas déjà comme tel. J'avoue que je n'ai pas trouvé de réponse spontanée à mes questions. Je remets cela à plus tard, car pour répondre à la question, il me faudrait d'abord définir ce qu'est être un intellectuel, et alors là, ça pourrait

- 69 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ouvrir tout un débat. Mais cette seule question en elle-même n'est-elle pas déjà révélatrice? Un intellectuel, à mon avis, c'est quelqu'un qui va mourir dans ses idées. Et au stade où j'en suis, c'est-à-dire, au niveau de Zombi, il n'y a pas à hésiter, je suis un intellectuel! Ma tête n'arrête pas de penser et d'écrire! Mais peu importe. Chose qu'elle n'avouerait pas trop fort, elle veut écrire et en vivre. Elle est déjà en train d'écrire des nouvelles. Elle tente dans ses écrits de déconstruire les structures établies. Lesquelles structures? Dieu, les religions, les gouvernements, les idéologies, les courants philosophiques, etc. Ce qui me fait me demander si je ne suis pas aussi en train d'essayer de déconstruire tout cela moi aussi. C'est une bonne question. Il serait plat d'amplifier les structures existantes. Comme il ne serait pas nouveau d'élaborer davantage un courant existant ou de détruire certaines structures. Et détruire n'implique-t-il pas une reconstruction? Je le lui ai fait remarqué et elle m'a dit que non. Pour l'instant elle en était à la destruction, elle rejette tout, elle se cherche. Elle pense qu'elle se trouvera dans la littérature. Curieusement, c'est après avoir lu LA VIE DEVANT SOI de Romain Gary, qu'elle a décidé de laisser son mari. Elle a pleuré comme un veau. La même année, la famille symbolique frappait encore, son frère se suicidait le jour de pâques, à 23 ans, le 3 avril 1983. Sans croire à la chrétienté plus qu'il ne faut, il s'abandonne au jour J de Jésus Christ. Quel message, et quelle matière à penser pour les restes de la famille. Tout cela à cause d'un père abusif et d'une mère trop psychologue. C'est drôle, en écrivant ces choses ici, cela me force à y réfléchir, à me rappeler chaque détail de la conversation, de les écrire, et m'y faire réfléchir. Alors qu'en temps normal, il m'aurait peut-être fallut rencontrer une autre personne pour me répéter une chose similaire et que je fasse le lien entre sa situation et celle de Sylvie, et qu'enfin je me mette à y réfléchir. Peut-être même qu'il m'aurait fallu passer à travers les mêmes choses et puis me souvenir de ma conversation avec Sylvie. Cela est certainement bien pour mon expérience. Et de toute façon, la seule raison pourquoi je voulais lui parler, c'était justement parce que j'essaye de comprendre des choses pour les écrire ici ensuite et même terminer La RÉVOLUTION. Elle m'a raconté sa mauvaise entente avec sa bell- mère. Elle lui avait même avoué à la fin qu'elle l'a détestait peut-être plus que son mari. Aujourd'hui, Sylvie a apprivoisé sa belle-mère, elle va y faire le ménage à 16$ de l'heure deux heures par semaine. C'est son seul travail. Mais pour réussir à apprivoiser sa belle-mère, il a fallu la cause désespérée, elle se

- 70 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

meurt d'un cancer. Elle a donc eu besoin de pleurer dans les bras de quelqu'un, Sylvie en l'occurrence. La vie est injuste, a-t-elle dit lorsqu'elle parlait d'une jeune fille de 22 ans qui venait de mourir du cancer à l'hôpital. Et par transpossition, comme la vie est injuste de me faire mourir moi! La vie est-elle injuste? La vie est la vie. Sylvie a vu au moins 5 ou 6 de ses proches mourir. Elle a maintenant apprivoisé la mort, elle ne s'en fait plus avec cela. Ce qui me surprend d'ailleurs. Elle est heureuse dit-elle, elle semble heureuse, mais je sais qu'elle doit passer des moments très difficiles, et pas toujours heureux. Mais comme elle dit, il y a eu métamorphose, et je ne pourrais pas accuser Romain Gary de cela (curieusement, celui-ci s'est suicidé parce qu'il allait mourir d'un cancer), bonjour le symbolisme. La vie est-elle injuste?

24 mars 1994

La température est à la pluie, je suis dépressif. J'ai discuté avec Joël Cyr, bon Dieu, il a couché avec la moitié des gars de son dortoir au séminaire. De bons souvenirs; derrière des rideaux de théâtre, la nuit dans les dortoirs, mon coeur se débat juste à y penser. Il y en avait un qu'ils dénigraient, ils l'appelaient le fefi, même si ceux-là mêmes avaient couché avec le fefi. Joël a de gros remords au sujet de ce gars-là, de très gros remords. Paraît-il, même un professeur était entré dans la ronde de la ridiculisation. Cela me fait rappeler mon enfance, dont le calvaire a atteint son climax en secondaire II. J'aurais cependant tendance à dire que c'est en secondaire IV que le point culmine. J'avais toute la classe contre moi, on me traitait de cave, de poire, on riait de moi (encore chanceux que l'on m'appelait pas le fefi, encore que j'ignore ce que l'on disait de moi dans mon dos). On jouait au Volleyball et je n'étais pas si mauvais, une erreur à l'occasion, cela suffisait à me dévaloriser aux yeux de mes coéquipiers. L'équipe adverse disait qu'il fallait m'envoyer le ballon pour ainsi faire le point. Il me fut possible d'affronter ces attaques et j'étais fier, mais après 5 ou 6 attaques il me semblait normal de manquer, moi qui n'étais pas déjà très grand ni sportif, en plus que deux ans avant je n'avais aucune motivation, mes bras ne bougaient pas. Eh bien, pas une seule personne m'a épargné son commentaire, sauf deux. Le professeur et Christian Gagnon dit le Boxeur, celui qui s'est fait sucer par Annick Ainsley alors qu'il était tout jeune, celle

- 71 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

qui plus tard me sucait à mon tour (j'avais 15 ans alors, et cette ralation m'a fait paniquer, peur de ne pas bander, peur du condom, etc.). Et si Christian ne prenait pas ma défense, du moins il me laissait tranquille, peut-être davantage pour cause des lois inhérentes aux vrais sportifs (le respect de l'autre, qu'il se faisait un devoir de suivre à la lettre). De plus, sa fausse modestie cachait une forte prétention qui lui dictait de montrer l'exemple, aussi il se prenait pour la sagesse même. Il n'a cependant pas su résister ce jour-là, il m'a finalement ridiculisé à son tour devant tout le monde. Je lui ai dit sur place, je lui ai fait remarquer sa déviance, le seul que je me suis senti obligé de lui dire, il en a eu des remords. Après le cours il est venu s'excuser et voulait me serrer la main. J'ai peut-être manqué ma chance de m'en faire un ami, peut-être aurait-il prit ma défense ensuite? mais je n'y croyais pas, et je n'en avais nul besoin. Parfois l'indifférence fait encore plus mal que la mauvaise action. Y a-t-il un esti de prof qui s'est levé pour arrêter la destruction qui me rongeait, pour dire que cela suffisait? Jamais en cinq années de secondaire. Ah si, une fois ou deux lorsque le mouvement était trop généralisé et que le choix d'intervenir devenait une obligation, donc pas pour me défendre, mais pour l'ordre et le contrôle. C'est un mouvement comme celui-là qui prenait place ce jour-là, mais le professeur a fait bien pire que ce en quoi je n'osais à peine penser, il m'a carréement abaissé, ridiculisé devant tout le monde, me criant que j'étais cave, cela était injustifié, injuste. Ainsi il n'y aurait plus de salut. Alors lorsque Christian s'est approché pour s'excuser, ma réaction fut spontanée, comme si n'ayant plus rien à attendre de rien, aucun pardon n'était possible. Il m'avait abaissé, qu'il vienne s'excuser ensuite ne change rien à son action, il ne reprendra pas l'humiliation que j'ai subi sur le coup, encore que, un élément d'un groupe qui t'humilie ne devient-il pas secondaire? Non. J'ai refusé de lui donner la main. Il m'a répondu que je venais de construire un mur entre nous. Je lui ai rétorqué que je me demandais bien qui l'avait construit ce mur. Alors on a vu sa nature et sa motivation, il a dit que cela ne le dérangeait pas, qu'il serait gagnant au bout de la ligne puisqu'il avait plus de popularité que moi. And so what? Je lui ai dit: «C'est pas parce que ta photo est chaque semaine dans le journal le Réveil de Jonquière que tu vas commencer à te prendre pour un autre». Et je l'ai bien ébranlé je crois. Sûrement une ligne importante de se vie. Un de ses amis est allé le voir après et lui a dit que je ne valais pas la peine

- 72 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que l'on se tracasse à propos de moi (que j'étais un moins que rien autrement dit, une forme inférieure d'humain). Aucune conscience. Et le pire, c'est que le seul qui avait une conscience, je l'ai atteint en plein coeur, il a payé pour tous les autres. Est-ce que je regrette? J'aurais dû accepter son pardon, cela m'a semblé trop facile pour lui de m'humilier aux yeux de tous, et venir se faire pardonner ensuite à l'insu de tous. Mais on aurait bâti l'avenir sur une note positive, et cela importait peut-être plus. Et Joël qui a des remords encore aujourd'hui, les autres en auraient-ils aussi? J'en doute et je m'en fous. Une des conséquences directes de ce calvaire c'est le repliement sur moi-même, ma nonchalance, insolence et surtout, ma prétention. Mais cette dernière est nécessaire, sans elle j'aurais perdu toute confiance et je me serais suicidé. J'ai plusieurs fois pensé à le faire, réfléchi aux moyens, et l'écriture ainsi que la programmation sur ordinateur des aventures illustrées m'en ont chaque fois aidé à en sortir. Le suicide, c'était en plus amplifié par le fait que j'étais homosexuel et que je croyais que j'étais seull au monde, ou que je mourrais seul dans mon coin car jamais je n'aurais eu le courage d'en parler ou de me renseigner.

Je suis prétentieux, j'en souffre. Il me faudrait me corriger, mais comment? La misanthropie encore? En quoi suis-je prétentieux? Lorsque je parle de moi Joël dit. Ainsi je devrais arrêter de parler de moi et d'intervenir en classe. Je vois que deux semaines avant la fin, ça ne vaut plus la peine de changer. Prenons en leçon pour Paris. Ne plus parler de moi ni intervenir en classe... En attendant je vais faire attention à cela, après ce cours, on va justement au 216 (j'écris ce journal dans le cours de M. Simard). Je suis un monstre de prétention (j'exagère), un être affreux qui devrait s'isoler et ne plus parler! Me retrouver seul avec moi-même, cacher une telle personnalité. Et le paradoxe c'est que les gens semblent m'apprécier. Il n'y a pas à dire, les leaders doivent être du genre prétentieux ou ont de la gueule et une personnalité, mais cela est peut-être nécessaire à mon bonheur (me donner l'impression d'être au-dessus de tout? Banaliser la réalité pour la rendre acceptable?). Soyons prétentieux donc? Cela m'aide à acquérir une grande confiance, ce qui me permet d'oser agir (et écrire). Je sais qu'il ne me reste rien à attendre de la vie que je n'aie déjà. En effet, qu'ai-je donc à vouloir me payer toute la littérature de la planète et de laisser à l'humanité

- 73 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

une couple de livres de plus? Aucun intérêt. J'aime écire et si je pouvais en vivre, ce serait mieux que de travailler à quelque chose que je n'aime pas, particulièrement en un endoit fixe.

Notre conversation au 216, quel calvaire! Je souffre en collectivité, je souffre tout court. Je pense que ces derniers temps je me suis trop mêlé des choses et événements extérieurs, il me faudrait revenir à moi-même. Je pense étrangement à Edwin, je m'ennuie vraiment, je voudrais le revoir, vais-je pouvoir attendre jusqu'au 15-17 avril? Bruno ne me contente-t-il pas? Je constate que le printemps m'affecte au point de vue de Bruno. Je me rappelle des événements des deux printemps passés où il m'a carrément laissé-là. Mais je vois aussi l'après, l'été où il était beau en bermudas et T-shirt, ça me revigore un peu. Je voudrais le voir ce soir. Mais j'aimerais me retrouver dans les bras d'un autre. Edwin par exemple. Je me sens vraiment mal, j'ai des remords parce que je ne vais pas travailler ce soir. En fait j'ai déporté ce soir à lundi prochain. Mais je n'aurais pas le temps de travailler lundi prochain, trop de choses à faire! I better go to work tonight. Vandendorpe first. Et si j'avais de la poste? Des nouvelles positives d'une maison d'Édition quelconque? Serait-ce seulement possible? Où donc se situe le problème? Combien de chose vais-je écrire avant d'être publié? J'ai bien l'impresiion que je pourrais en écrire éternellement. Comme le père Ubu, sans se faire imposer et têter Lugné Poe, jamais Jarry n'aurait passé à l'histoire. Ah! je pense que je ne vais pas être en mesure de survivre au cours de Mme Bourbonnais. Lundi je manquerai le cours de Mme Lafon, ainsi je respirerai un peu. Il me faudrait finir la session comme je l'ai commencée, manquer les deux dernières semaines. Je vais manger du pain ce soir. Cela fait au moins deux mois que je n'ai pas fait d'épicerie. Je n'ai plus rien à manger, j'ai même dégusté une boîte de fèves à la sauce tomate, découverte dans le fond de l'armoire à ma grande stupeur. Elle devait trainer là depuis au moins trois ans. Et à vrai dire je n'ai pas faim. J'en arrive à ma dernière tasse de café ce soir, je vais me mettre au thé. Jamais je n'aurais cru être capable de survivre aussi longtemps sans faire l'épicerie. Et ce qui est bien là-dedans, c'est que je n'ai plus besoin de faire attention à ce que je mange, je n'ai pas le choix. J'en arrive à la limite, les cannes de soupe bizarre et le riz. Et encore, je n'en ai plus pour longtemps. C'est avec mon dernier 10$ que j'ai acheté du lait et un pain hier, c'est

- 74 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

presque le bonheur. J'apprends à apprécier des choses aussi futiles que le pain alors que je n'ai plus rien à mettre dessus. Je termine la marmelade que je n'aimais pas, et j'ai peur de mon Cheez whiz de trois ans, il a dû produire des petits amis depuis le temps. Je voulais acheter du beurre d'arachide, à 5$ j'ai laissé faire. Mais cette misère n'en est pas une. Je ne peux être désespéré car je sais qu'il ne peut rien m'arriver. J'ai la possibilité d'aller chercher de l'aide un peu partout, mais je n'en demande pas. Il me semble que je ne peux m'endetter davantage ou demander davantage. Je n'ai plus aucune motivation. C'est l'heure des dead lines.

«À l'intérieur, c'est plein de papillons», l'homme est en amour. Drôle d'expression. Moi ma bedaine est pleine de chenilles! Il me faudrait faire un kermess pour les métamorphoser en papillons. Joël Cyr aussi écrivait des lettres à la Vierge Marie et les brûlait. C'est donc que c'était une pratique courante, ô mon Dieu. Je devrais brûler mon journal et attendre une quelconque réponse du ciel par la poste. Peut-être la réponse sera positive, juste pour faire contraste avec les Éditeurs. Je viens de me retourner (on est dans le cours de la Bourbon), Alec me regardait. À la dernière session je rêvais de lui, je lui ai parlé, il ne m'a jamais donné aucun indice sur son homosexualité. Son intérêt n'était, assez surprenant, que celui de l'amitié. J'ai dû m'y résoudre. Encore l'infidélité! De tous les livres qui ont fait le sujet d'un exposé dans ce cours, les deux tiers portaient sur l'infidélité, et l'autre tier l'avait en thème secondaire. Même l'Immortalité de Kundéra parle de ce sujet. C'est une constante qui reflète bien la conscience d'une collectivité. Tout le monde se trompe l'un l'autre, et en souffre. Si je devais me faire un nouveau chum, je crois que ce sera clair dès le début: je ne vais pas chercher les moyens de coucher avec d'autres, mais si le contexte s'y prête, je ne pourrai et voudrai résister. Et ainsi il n'y aura plus de mensonge ni de remord. La collectivité pourrait-elle en venir à ça? Non, ça sonne trop immoral une relation ouverte, et c'est le chaos en un sens. Imaginons un instant une société qui accepte la relation à droite et à gauche, avec plus aucune stabilité «apparente», en une activité bien en delà du message religieux. Ça, ce ne sera pas généralisé, même si tout le monde couche déjà avec tout le monde, même les plus Chrétiens. Il faut le dire, c'est une mani chez les hommes de tenter de

- 75 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

se rendre coupable et se faire du tort mentalement, sans raison. On aime ça la flagellation psychologique, on est masochiste. Je me rappelle Suzanne, l'amie de Raymonde (qui couchait avec mon père), me disait que Dieu demeurait son maître mais qu'elle ne s'empêcherait pas de vivre comme elle l'entendait. À ce propos, c'est d'ailleurs fort intéressant de constater que les quatre belles-soeurs de Suzanne trompent toutes leur mari. Pas besoin de se demander si les maris trompent leur femme. Quoique le mari de Suzanne est impuissant. Et tout ce petit monde croit en Dieu et au purgatoire et juge et condamne les homosexuels. C'est beau l'altruisme.

Si je pouvais tuer, je tuerais! Je peux tuer, je tue, je tue le Vandendorpe ici dans mon journal, le crisse! Ah, tout a été très bien organisé. Je le rencontre au Pivik, le monsieur me fait une remarque, cela lui permet dans son bureau de me dire qu'il m'avait averti à plusieurs reprises. J'ai cinq travaux en retard? Fine, mais la moitié du groupe à en moyenne 2 à 3 travaux en retard aussi. Monsieur est fier de son calice de programme d'informatique (Communication écrite). Je viens de perdre six heures à chevaucher à travers les bugs pour rien! Six heures à jeter au feu! Avec aucune preuve de combien de temps j'ai fucké là-dessus! (Là, j'ai déchiré la feuille sur laquelle j'écrivais, avec le crayon, et tout le monde me regarde dans l'autobus, je suis chaque jour plus près de l'asile...)

Je me suis trompé à propos de M. Vandendorpe. Il ne me demandera pas trois mois de travaux hebdomadaires en retard, il m'a clairement spécifié qu'il va me faire couler. Me voilà donc dans la même situation que Caroline-Anne Coulombe lorsque je lui ai dit que c'était normal qu'elle coule le cours de M. Vallancourt si elle n'y avait pas été une seule fois. Il me faut donc comprendre que je mérite de reprendre un cours cet été. Et qu'est-ce que j'en ai à foutre? Son cours de 3 heures qui m'en semblait 6, et qui était mon quatrième cours de la journée et mon sixième cours de la session, il m'était impossible de passer au travers. Ne mérite-je donc pas de prendre un cours cet été? Et pourquoi pas. Même les larmes ne lui font pas. Je lui ai raconté une histoire à pleurer, comme quoi je travaillais 30 heures par semaine (sic, j'en travaille à peine huit), je lui ai dit aussi que j'avais des problèmes person

- 76 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

nels, etc. il m'a répondu qu'il s'en foutait. Je vais répliquer avec une lettre. Le salaud, il m'a si bien jugé à partir de son cours qu'il m'a carrément dit que je n'étais pas prêt pour la maîtrise. Qu'il aille chier, cela fait je ne sais plus combien de cours je suis, avec tout de même de bons résultats. Qu'est-ce qu'il en sait? Et il serait capable de parler contre moi au département. J'espère que Dominique se lèvera et parlera, et de toute façon, je m'en fous. J'aimerais bien qu'il me refuse et que la Sorbonne m'accepte, cela montrerait tout leur syndrome du professeur un peu frustré, qui exige alors que c'est nous qui payons et qui s'endettons. Eux, ils ont eu l'école gratuite en France. Il fallait travailler dure pour passer une année. C'est pas comme cela que ça marche en Amérique Christ! Ici, avec l'argent, il faut quelque chose au boutte! Surtout lorsqu'il s'agit d'une hypothèque dont le montant sera quadruplé avec les années.

25 mars 1994

Retour sur le 216. Everything makes me sick. Je suis tellement malade! Dans la tête aussi. Je ne serais pas surpris que l'on finisse par m'enfermer, comme Artaud. Joël s'est mis à pleurer «comme un bébé» avant hier au travail. Est-ce si difficile cette passion pour Jake? Prétextant l'école, il a fait une méchante crise. Ainsi tous les étudiants sont dans la même situation que moi. Et moi je ne pleure pas. En attendant, je retombe en amour avec Bruno, hier c'était incroyable, il est beau, a son charme, c'est n'est pour rien que cela fait deux ans et demie que l'on est ensemble. Je regarde par la fenêtre, j'aurais envie de partir dans le ciel, mais je m'écraserais sur le trottoir. Pourquoi? À cause de mes problèmes de conscience, pas Bruno, mais mes travaux d'école. Que la vie peut être exécrable parfois, et fort souvent. Je regarde les édifices, cela s'écroulerait et rien ne changerait, il me faudrait tout de même lire 2000 pages et en écrire une centaine d'ici à Mercredi prochain, jeudi.

Le 216. Adeline, un intérêt plat. Sylvie, une crisse de fatigante, Nathalie Petit? Si j'étais straight, elle serait conquise, et je serais heureux ou malheureux plus probablement avec cette fille. Je suis homosexuel, un intérêt plat. Sébastien (?), lui il vit dans un autre univers, pas mal plat. Le «beau presque gros hétérosexuel white man with his girlfriend» (je

- 77 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ne connais pas son nom), son pseudonyme en dit suffisamment long pour justifier mes vomissements. La vie de tout le monde me fait dégueuler!

Je souhaiterais n'avoir jamais entrepris l'étude de la langue française, il n'y a pas pire calvaire sur la planète. Si je passe à travers ma session, je jure de remercier le ciel et d'écrire une lettre au bon Dieu, pour le remercier (une lettre à la Terre en l'occurrence, il me faudra donc l'enterrer au lieu de la brûler? Bof, je vais la brûler, les cendres ou les molécules changées risquent davantage de retomber sur la Terre que d'aller au ciel. Quand je dis qu'il est temps venu de m'enfermer!): Dear God! Do something or I'm gonna kill someone. I'm not going to wait until they figure out I'm crazy OK? I want to see Bruno! Bruno Bruno Bruno Bruno Bruno Bruno Bruno..................

J'en ai encore pour de 3 à 6 heures à passer sur Communication écrite de Vandendorpe + ces cinq travaux, qui une fois comptés, donne en fait sept travaux. Ô misère! Sans compter mes deux exposés oraux, Tardieu et Erman Broch - dérivé de l'Enéide, oh my God, oh my gods! Plus les cinq travaux longs finaux. Lafon, Bourbonnais, Forget sont intraitables. Me le faut donner la semaine prochaine. Simard et Lemoine, la semaine d'après only!

Joël a des problèmes psychologiques. Il arrête pas de faire des clins d'oeil. C'est très significatif ça. Un clin d'oeil inspire une complicité, une relation privilégiée, mais après le cinquième clin d'oeil, la séduction se transforme en analyse ou en colère de ma part. Aujourd'hui c'est l'analyse: il a des problèmes psychologiques. Le pire c'est qu'il n'est pas si laid, beau même, mais tant qu'à coucher avec lui, j'aime autant Bruno. Je ne pense pas être porté vers l'infidélité généralisée. En fait, je mérite peut-être encore Bruno, si je pense à le tromper, je n'en ferai tout de même rien. Seul Edwin, et je sais que j'avais vraiment des sentiments pour lui. Heureusement, j'aime mieux Bruno je crois. C'est peut-être une idéalisation, j'aime Edwin moralement? Mais surtout lorsqu'il est là. Physiquement aussi donc. Ça aussi ça pèse sur mes épaules. Tout le monde a-t-il son petit Jake qu'il souhaite tenir dans ses bras éventuellement, et qu'il se rend malheureux pour ça? C'est déjà bien assez...

- 78 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

29 mars 1994

(Voir 5diary94)

30 mars 1994

J'ai avoué à Nathalie que j'étais... avec Bruno. Elle s'en doutait m'a t-elle dit. Peut-être aurait-elle dû dire qu'elle y avait songé, et à peine.

Je veux partir sur une brosse de malade. Encore deux semaines à vivre sans sous. J'ai fait une épicerie de 60$, en trois jours j'aurai passé au travers. Après cela je vais continuer à gruger le fond des armoires. Non, j'exagère, j'en ai encore pour une semaine avant de recommencer à gruger. C'est drôle, je vois davantage à ne plus gaspiller. Je vais dorénavant,

comme je l'ai déjà dit, manger jusqu'à la dernière tranche de pain.

Avant dernier jour de mars. Bruno s'inquiète que je pourrais partir pour Paris et qu'on se laisserait. Peut-il être si aveugle? N'a t-il pas compris que si moi, suis capable de prendre une telle décision c'est que quelque chose a changé? J'y vais avec le sourire à Paris, avec la nette intention de rencontrer quelqu'un sur place. Moi, un an sans affection? Incapable. Comme ce serait cruel de laisser croire à Bruno que je sors avec pendant que j'ai quelqu'un en Europe. N'ai-je donc plus de sentiments pour lui? On a fait l'amour ce matin, on ne l'aurait pas fait et ce serait du pareil au même. Il est beau, mais il m'excite moins. Mais Edwin non plus, je l'ai finalement oublié si on regarde les pages de ce journal. La vie scolaire et du département, et la pensée d'aller à Paris, me nourrisent amplement. Mais peut-on voir clair pendant le mois de mars? Spécialement à la fin? Surtout que, par expérience, il déborde dans le mois d'avril. Que je suis las, las de tout. La vie me traverse sans que je m'en rende compte. Je prends des décisions directement par la raison je serais porté à dire, mais c'est le coeur. Je suis en amour avec Paris, le même sentiment que lorsque je voyais mon départ pour Ottawa comme une délivrance. Un sentiment plus fort, parce que j'étais davantage au désesppoir en ce temps, je souhaitais qu'Ottawa soit une délivrance sans y croire assuré

- 79 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ment. En fait, Ottawa fut une délivrance. Qu'ai-je à attendre de Paris maintenant? Un RM en transition, constamment en transition, transition encore et encore...

Mireille veut laisser son copain, le summum est atteint, elle va se sortir de son marasme. Elle compte beaucoup sur moi, c'est moi qui lui aurai tout conseillé: de le crisser là, de déménager, etc. Peut-être ne se rappelle-t-elle pas qu'à l'origine c'est moi qui l'ai encouragée à déménager de chez elle et d'aller demeurer avec Nedko. J'ai de la misère à m'avouer cela, mais je n'ai pas fait d'objection proprement dit. Je reparlerai un autre jour de sa relation avec ce Bulgarien.

29 mars 1994

Rimbaud, Une saison en enfer (La descente aux enfers), L'Illumination (René l'Illuminé). Oops, voilà que je reprends des titres de Rimbaud sans m'en rendre compte. Je me demande si je reprends un peu sa structure: l'enfer de la réussite suivi du bonheur (bof) de l'Illumination? Quels liens peut-on en tirer? Quels liens peut-on faire entre moi et Rimbaud? Jeune homme homosexuel en révolte? De toute manière, j'aime mieux être comparé à lui qu'à Michel Tremblay (et le pire c'est que celui-là porte mon nom, ou plutôt, c'est lui qui porte mon nom). Si Michel Tremblay a été la voix d'un peuple dans les années 70, qu'il a aidé à la Révolution Tranquille à quelque part, s'il a été le porte-parole du féminisme (le gros mot), tant mieux pour lui. Moi je crache sur les années 70, j'en garde le plus mauvais des arrières goûts. Une histoire comme celle-là, je ne veux pas y être associé, et encore moins réaliser leurs rêves d'enfants. Les clichés qui sont parvenus jusqu'à nous, effrayants. J'ai déjà parlé de mes faux préjugés à propos de Montréal... Leur look idiots, la caricature qu'en font les comédiens d'aujourd'hui alors que c'était comme cela qu'ils étaient... l'histoire n'a rien d'intéressant, pas un avant gardiste en plus. Artaud m'est beaucoup plus contemporain, Jarry aussi. Comme c'est drôle, j'analyserai un autre jour cette mauvaise image que je garde des années 70. Revenons-en à Rimbaud. Entre moi et lui, il existe une marge. Je ne voudrais pas que l'on me compare trop à lui. Bien que ce soit l'auteur que j'aime peut-

- 80 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

être le plus (il me reste beaucoup de choses à lire). Il m'a probablement inspiré inconsciemment (plutôt motivé), les lettres de RM plus particulièrement. Mais enfin bon...

Encore une semaine de cours et je serai déjà plus libre. Quatre jours de congé cette fin de semaine, vive la mort du Christ! Après la session, j'aurais envie de tout abandonner et faire comme si je n'avais aucune éducation. Partir de par le monde, me perdre dans les taudis, les lits des étrangers, communiquer avec l'ensemble. Paris sera un pas de plus vers cette liberté. La publication à succès (une chose impossible) est peut-être ma seule voie d'accès. On est encore mardi. Je ne pense pas que je vais survivre! Je me suis couché à 4h00 du matin, levé à 7h30, j'ai travaillé pour Vandendorpe comme un déchaîné. Trois jours pour compléter trois mois d'études, il faut qu'il accepte mes travaux, j'ai même été raconter de la broue au médecin pour avoir un billet médical. Je vous jure que cela était un tour de force. Combien cette consultation éclair coûtera aux contribuables? Les médecins ne sont pas payés à l'heure, ils sont payés à la seconde, au mot prononcé. Le pire c'est qu'il me faudra passer un dernier mardi la semaine prochaine. Vais-je survivre? En plus de mon exposé pour Lemoine et mes six travaux longs à remettre... Quel calvaire! Cela va-t-il finir?

M. Simard a gagné son investiture dans le comté Richelieu. Il sera probablement député, et si le PQ rentre aux prochaines élections, il sera ministre. C'est beaucoup de «si» cela. Il devient pourtant chaque jour un peu plus calme. Heureusement je me suis mis à l'écart. C'est moi qui l'ai interpelé (il nous devançait de quelques dix mètres) puis il est venu à nous. C'est la première fois que je réussissais à me taire, et encore, je lui ai dit ce que j'en pensais: J'ai toujours cru que la politique devait se faire par derrière, dans l'ombre. Publiquement il n'y a rien de pire, on se fait détruire par les autres et cela n'a pas d'avenir. Il a acquiescé à cela, pouvez-vous le croire? Il me pense naïf et innocent, jeune ignorant, qui est tellement loin du monde, que cela fait peur. Mais je me demande qui de lui ou moi est plus près des tares de la société. Lequel pense chaque jour aux façons d'améliorer la condition du peuple, et surtout, lequel de nous deux est vraiment objectif? Je serais tenté, sans le savoir vraiment je l'avoue, de dire que le Parti Québécois tient davantage de l'éthique de convic

- 81 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tion que de l'éthique de responsabilité, pour reprendre Max Weber dans son traité de politique à propos de [deux morales]. Perdre tant d'énergie et d'argent sur des questions de constitutions et d'idéologies, à se chercher une identité... cela est important peut-être, mais cela vaut-il les millions, que dis-je, les billions qu'on y a engouffrés? Sans parler du temps accordé à cela, les ressources qui auraient pu servir à atteindre, peut-être autant sinon davantage, les mêmes objectifs, de façon concrète. Citons Les Années de Rêves, le film (sic, des années 70) qui montre que ce n'est pas une guerre d'idéologie que l'on a besoin, mais d'une transformation à d'autres niveaux (dans le film on parle de la dramaturgie de Michel Tremblay (sic) comme d'une voix, qui commence dans le coeur, et qui nous montre la voie à suivre). Multiplicité de détails qui vont dans le même sens, et surtout, qui aidera la cause de l'humanité. Je comprends qu'il faille bâtir un fossé entre les Anglais et les Français pour arriver à des fins plutôt ambiguës, mais à quel prix ces sensibilisations? Et ce n'est que sur les prochaines générations que l'on verra le produit de leur histoire. Ceci dit, peut-être que la séparation du Québec est nécessaire et souhaitable puisque les Anglais seront presque la majorité à Montréal en l'an deux mille, ce qui serait désolant pour la cause du français en Amérique. Mais je ne saurais juger et ne veux me prononcer là-dessus. À me renseigner un peu plus sur le sujet, je crois que je souhaiterais la séparation, pour en finir avec le marasme de misère que cette union a su provoquer. Aux origines, il n'y avait rien à l'avantage du Québec là-dedans, au contraire, l'union n'avait qu'un seul but, nous assimiler, nous anéantir. Serait-il possible qu'aujourd'hui on puisse tirer des avantages de cette union? Sûrement, mais, je ne suis plus certain. Peut-être vaut-il mieux être un pays fort mondialement, mais peut-être faut-il sauver la langue au Québec et éliminer le doule gouvernement qui coûte une fortune? Mais est-ce bien là les vraies raisons qui font des séparatistes-souverainistes des gens qui veulent la séparation? Il est là le problème. Quelles sont les motivations réelles derrière celles que l'on entend? Du reste, il me surprendrait grandement que Sylvain Simard ait des intentions humanitaires définies afin d'aider la nation, le pays, la planète. Je voterais pour lui? Peut-être parce que je le connais, comprends à moitié, ses motivations mêlées d'ambitions, sais qu'il sera compétent comme ministre de la culture, il est le type parfait du bureaucrate pourri qui voudra tout institutionnaliser, tout le

- 82 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

contraire de sa femme Dominique. Elle qui est contre l'institutionnalisation, au théâtre du moins, ainsi qu'au département. Elle est maintenant présidente du comité du baccalauréat, la voilà enfin au pouvoir dans l'administration, elle pourra peut-être enfin mettre sur pieds son cours sur la bande dessinée (Tintin et son homosexualité, j'imagine, comme elle nous en avait déjà parlé). L'autre aspire à mieux, même s'il n'apportera rien de nouveau je crois, le pouvoir sur le peuple, pas sur le marasme de misère du département de Lettres. Mais le peuple est pire que le département, malgré les chicanes de l'autre jour aux réunions pour l'amélioration du programme. Marie Couillard contre Lafon, Lafon c. le chef du dép., Vaillancourt c. Lafon. RM c. Vaillancourt, RM c. Marie Couillard, Gallays c. Vaillancourt, RM c. (?): l'ennemi qui en a inventé à Daniel Poliquin pour se venger de je ne sais trop quoi (on aurait dit à Poliquin des choses que j'aurais dites et que je n'ai pas dites). Il s'agit peut-être d'un étudiant qui cherche à me causer du trouble, mais ce pourrait très bien être un prof maintenant que je connais leur vraie nature. Et cela fait pitié car ce ne sont ni des enfants ni des étudiants, mais des adultes qui se battent pour leur crédibilité, leurs opinions, leur place dans la société, la hiérarchie, et c'est là la jungle, la nature, la loi du plus fort, c'est-à-dire de celui qui se gagnera le plus d'alliés pour arriver à des fins obscures, le pouvoir probablement. J'espère ne jamais en arriver là un jour, je fuirais. Je n'ai rien à gagner là-dedans, et j'ai ou j'aurai l'avantage de m'en remettre à mes vrais projets, l'écriture. Un poste de prof à l'Université ne m'est aucunement essentiel. Mais je parle, et mon seul premier livre, la Révolution, fera peut-être parler la critique, je me débattrais alors dans leur incompréhension, les interprétations qui seront probablement à côté des objectifs du livre. Je pense essayer de les laisser se débattre entre-eux, mais il m'en serait peut-être impossible? J'espère juste pouvoir leur répondre à l'aide de ma littérature même, m'inspirer à écrire en même temps, qu'ils me montrent une voie à suivre...

Victoire le Vandendorpe! Il m'a fait peur pour rien. Je n'ai qu'un exercice de plus à faire, une aberration! Quoi? Un étudiant manque plus de la moitié de ses cours, fout rien de la session, ne remet aucun des travaux, des rares fois où il vient il fout le camp à deux reprises lors de la pause, et il réussira avec B? Ça me rappelle le cours avec M. Lemieux. J'ai

- 83 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dû assister à quatre cours sur vingt-six, fini avec un A. Jusqu'où puis-je donc pousser l'audace? Next level? Comment m'abstraire de mes travaux finaux en soutirant tout de même de bons résultats? Cela me tente de dire que dans la vie il y a toujours un moyen de s'en sortir. Au pire allé, je n'avais qu'à suivre un cours cet été. Reste la Télé-Université, un autre coup de maître? Faire augmenter un C à C+, un an après avoir terminé le cours? I hope so, cos I don't want to do another class just for 2 or 3 points. En insolent je dirais, donnez-moi ce que je veux, et on me le donne, c'est ça le pire. Maintenant je dois cependant travailler sur mes travaux finaux, never stop, never enough, until death, courage, c'est la fin. Ce cours de trois heures est un vrai calvaire. Et le pire, je dois le subir à nouveau mardi soir prochain. J'ai bien envie de le skipper le Vandendorpe, comme je le disais à Mireille:

-Le Roi ne se meurt plus, il est mort! (Ionesco) C'est bien beau l'histoire de Vandendorpe, mais je suis incapable d'aller à son cours, ni ce soir ni la semaine prochaine. Penses-tu que je peux les skipper? Y'a un gars au département qui est tout timide et cela fait deux sourires qu'il me fait. Qu'est-ce que ça veut dire? 1- He might be gay, 2- he wants friends (he is always alone), 3- I have just look at him and his smile means I should be worried about my onions! (It seem that Mireille didn't answer me that day, à partir d'ici j'étais frustré et je ne lui ai pas fait lire le prochain bloc.) Bof, dans le fond, réponds-moi pas, ça sert à rien, toi tu es pure, pure comme la rivière qui conduit à l'océan... j'ai envie de faire comme toi voilà un an ou deux, laisser qui tu sais et coucher avec trois personnes en ligne avant d'aller m'établir avec le troisième... (Elle commençait à dire à la classe qu'elle trouvait le livre de Marie Laberge disgusting parce que ça semblait promouvoir une idée non-morale, c'est-à-dire une relation à trois personnes où les deux femmes qui se font mutuellement trompées souffrent. Par la suite elle m'a dit qu'elle voulait tromper son chum avec son meilleur copain (aussi Bulgarien), qui est souvent à l'appartement et dont il s'est passé des choses un peu bizarre. Semblerait qu'elle pourrait faire de telle chose mais ne pas être en encore avec le fait d'en écrire une belle histoire. Ah la Mireille, à l'image de notre société qui ferme les yeux sur le pire, et se scandalise pour les niaiseries. La suite, Mireille l'a lue:) Marie Laberge - mon ennemie! Celle qui «a écrit» une oeuvre collective sur Val-Jalbert... faire l'amour avec cette fille qui parle, j'aurais peur de la casser! «Çaaa vaaa bien-ien-ien-ien, ça va si bien...!» Elle me fait

- 84 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

penser à Katleen! On peux-tu faire l'amour avec un cancéreux sans attraper le cancer? Une saleté? L'homme est une saleté, vaut mieux être heureux justement - égoïsme peut-être? (Fin de la conversation à sens unique avec Mireille.)

Timide le garçon, je l'ai à peine regardé au 216 l'autre jour, il lisait le Fulcrum, puis me fit un sourire. Aujourd'hui encore dans les escaliers du pavillon Simard, un sourire imperceptible, mais fort clair, j'ai perçu. Si ce jeudi il sera au 216, j'y serai aussi et l'interpellerai et lui demanderai pourquoi il est si seul, s'il étudie en littérature, sinon, pourquoi il n'étudie pas en littérature, et si oui, comment cela se fait-il que je ne l'avais jamais vu auparavant dans mes cours, puis je lui donnerai mon numéro de téléphone, il attendra deux jours avant de me téléphoner, on se rencontrera, on se sautera dans les bras et cela finira dans le lit. La vie pourrait être si simple si on faisait un effort! Mais là j'en serais à ma deuxième infidélité, vous vous en rendez compte? Il me faudrait considérer laisser Bruno. Ô my God, et je pense que cela serait aussi simple? Et de toute façon, cet inconnu, je ne le connais pas. On verra en temps et lieu, et je doute fort qu'il sera au 216, mais s'il n'est pas fou, après ses sourires, et s'il s'intéresse le moindrement, il sera là. Sinon, je peux en conclure qu'il n'est pas intéressé. Se souvient-il seulement que c'était un jeudi?

31 mars 1994

Et si la société ne produisait plus que des surbébés qui, à la naissance, n'auraient qu'un désir, celui de mordre leur maman jusqu'à ce qu'elles en meurent? Quelle horreur pour la mère d'accoucher alors. Une toute nouvelle génération de méchants enfants qu'on aurait à coeur de laver du cerveau et de gagner à n'importe laquelle cause. Je m'en inspirerai pour la Révolution.

Ne pas sous-estimer l'influence parentale, les pères de famille continuent à promulguer des valeurs effrayantes et désuètes des religions bizarres. Le père de Nedko qui traite son fils de lâche parce que c'est lui et non sa blonde Mireille qui se lève pour aller chercher une tranche de pain! Ça fait peur. Il faut que j'en parle aussi du rôle de la femme et des gais

- 85 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dans La Révolution, et les enfants à exploiter - Gabrielle Roy - Ces enfants de ma vie. Suprématie de l'homme, la loi du plus fort, la nature créée par Dieu (j'en connais une gang qui vont lever six pieds au-dessus de la Terre).

On a parlé avec la grosse Sophie Palluc, celle qui est lesbienne. Qu'elle est fatigante, elle m'a fatiguée. Sucer mon énergie. Me racontant que ses goûts, c'était Dominique Lafon. Qu'elle la voyait très bien habillée en cuir avec le fouet (moi aussi je le vois très bien cela). Elle parle de son homosexualité comme cela, sans complexe, comme Joël. Une fille dans son cours aujourd'hui lui a carrément demandé s'il était homosexuel (avec son maudit foulard rose, fallait bien qu'il s'y attende), eh bien il lui a répondu que oui. La fille s'est mise à le crier à tout le monde. Bravo, et moi là-dedans? Tout le département est-il maintenant au courant? Sûrement. Si le gouvernement Réformiste de Preston Manning venait qu'à prendre le pouvoir, je ne serais pas long à traquer, on me jetterait vite en prison, à moins qu'il mette à éxécution son projet de réinstaller la peine capitale, on me décapiterait donc, à moins qu'il n'ait déjà pensé à la chambre à gaz, et pourquoi pas le four crématoire comme les Nazis, ça au moins ça vaut la peine, on y passe en série. À ce propos, je pense que le nombre de gais qui y ont passé lors de l'holocauste est peu important comparé à celui des juifs. Il est donc vrai que la comparaison est difficile (faux, j'ai appris les chiffres au début de juin, ils peuvent aller jusu'à un million). Mais les gais se sont toujours cachés, même les membres de leur famille ignorent qu'ils le sont. Un juif marche encore dans la rue avec fierté, et pourquoi ne le ferait-il pas. Lui on le passe au bûcher pour s'approprier ses biens (?), les homosexuels, c'est pour autre chose?

1er avril 1994

Mon calvaire se terminerait-il aujourd'hui?

3 avril 1994

- 86 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

La descente aux enfers commence. Je croyais avoir vu mon calvaire de près, je me trompais. Hier au lit chez Bruno, j'ai eu, et personne ne me dira si c'était là une bonne idée ou non, de regarder les numéros de téléphones qui avaient appelés, je le fais souvent non pas pour vérifier ou surveiller des choses, mais parce que c'est un gadget intéressant. Quoique je me pose toujours des questions à savoir qui sont ces numéros, et peut-être bien qu'à la limite c'est parce que je m'inquiète. Eh bien, un numéro qui commence pas 567, c'est-à-dire dans le secteur autour de l'Université d'Ottawa ou Downtown, avait la mention 24, ce qui signifie que la personne avait appelée 24 fois. Même moi n'avait téléphoné que 4 fois. J'ai demandé comme cela à Bruno, sans trop m'attendre à de réponses, je ne lui demandait pas plus que ça d'informations là-dessus, je pensais même que l'appareil était détraqué. Je shake au moment où j'écris ces lignes. Comme hier. Bruno m'a alors dit qu'il ne savait pas qui c'était. Puis il m'a avoué que Glenn avait trouvé son numéro dans l'annuaire puis qu'il n'arrêtait pas de l'appeler depuis. D'accord, cela ne me dérangeait pas. Mais il avait sur le coeur cette chose qu'il devait m'avouer, alors il m'a dit avoir rencontré Glenn à l'Université d'Ottawa et qu'ils étaient passés à l'appartement de Glenn. Bruno s'excusait, s'excusait de ne pas me l'avoir dit. Fine, j'm'en fous. Mais j'ai bien compris qu'il avait davantage de choses à se faire excuser. Il m'a enfin dit ce qu'il avait à dire: Glenn lui aurait sauter dans les bras, puis s'est frotté contre Bruno. Un peu plus tard, il avait même frotté la mauvaise place, bien qu'ils étaient habillés. Je voulais mourir. J'ai eu beau me dire que j'avais fait pire avec Edwin, impossible. Je shake en ce moment, je shakais là, je suis alors allé à la salle de bain. Maintenant, j'essayais de voir jusqu'où c'était allé. Eh bien Glenn avait ouvert ses pantalons, puis avait ouvert ceux de Bruno. Ils se sont masturbés, ils sont venus. Ils ne se seraient pas embrassés. Je suis retourné à la salle de bain. Cette épreuve fut pire que celle de mon infidélité contre Bruno. Je n'ai point été capable de le juger, étant dans la même situation. Je ne lui ai pourtant pas dit l'histoire avec Edwin. Car alors il n'aurait plus été à New York, n'aurait plus parler à Edwin, Ed m'en aurait voulu et n'aurait pu revenir à Ottawa.

Si l'épisode de Edwin ne se serait pas produit, la rupture entre moi et Brunoo aurait été instantanée. Aucun pardon possible. Sans compter cette peur qu'il recommence, qu'il couche avec Glenn en cachette, double relation humiliante. Edwin est loin lui. Et s'il ne

- 87 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

l'était pas, je ne suis pas certain si je voudrais coucher avec lui. Bruno me dit qu'il ne veut plus recoucher avec Glenn, il le connaît maintenant, il n'est pas si bien. Mais qu'est-ce que cela veut dire? Jusqu'où vont les mensonges? Cela m'a pris deux heures pour arriver à connaître la vérité, sans quoi, sot que je suis, je ne saurais que l'aspect visite chez Glenn. Je l'ai poussé en prenant pour acquis dès le début qu'il avait couché avec. Ainsi, avec 24 téléphones, peut-être que la rencontre à l'Université est une invention? Bruno est tout simplement allé directement chez Glenn, sachant exactement ce qu'il allait y chercher? Je les ai bien vus au Tactiks, j'ai alors souffert de les voir ensemble, ils m'ont, comme par hasard, perdu dans la brume pendant 45 minutes. D'autres mensonges? Ils vont recoucher ensemble, c'est certain. L'autre continue d'appeler sans arrêt, ils discutent sûrement, on ne couche pas avec quelqu'un sans développer une sorte de complicité. Et ainsi, moi et Bruno, sommes aussi pire que tout le reste.

Je ne suis pas assez fou pour ne pas voir que cette similitude entre mes actioons et celles de Bruno sont significatives à plusieurs niveaux. Premièrement elle signale un problème dans notre relation, ou du moins, un désir de bien voir si la relation existe bien, ou si son avenir est à remettre en cause. Deuxièmement, j'ai souffert tout le mal que je cause ou pourrais éventuellement causer à Bruno en couchant avec Edwin, puis en lui avouant ensuite. J'ai tant eu mal, que je ne lui dirai pas pour Ed. Mieux vaut lui éviter cette crise, même si cela pouvait le soulager de comprendre qu'il n'est pas seul à avoir triché. Peut-être pense-t-il le contraire? Puisqu'à ses yeux, Bruno se considère de bien supérieur à Edwin, à la limite, cela passerait mieux pour lui. Moi ça m'a détruit complètement. Il se pourrait que Glenn soit plus beau que moi aux yeux de Bruno. Mais pourquoi donc ne s'est-il pas arrêté? Plus fort que lui? Pourquoi jouait-il tout son avenir avec moi, pensait-il trouver mieux en Glenn? Les mêmes questions à propos de Edwin deviennent intéressantes. Pourquoi donc ne me suis-je pas arrêté? J'ai tout fait pour m'arrêter, cela ne s'est pas fait spontanément, deux ou trois heures avant que je tombe dans ses bras, après avoir tant voulu rien faire. Bruno n'a eu les remords qu'après être venu. Pas hésité une seconde avant de passser à l'acte. Lequel est le mieux? Moi qui a eu le temps d'y penser, d'en prendre conscience, ou lui

- 88 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

qui n'a pas réfléchi, geste spontané? Lui est davantage excusable je pense. Mais moi je voulais connaître ce que c'était qu'un autre homme, cette expérience qu'il me manquait, mais que lui a déjà bien expérimenté avec ses 10 à 15 derniers partenaires, à moins que ce ne soit davantage, et je le crois bien maintenant.

Que tout est à remettre en question maintenant! Comment le laisser? Impossible. Comment l'aimer? Difficile. Comment lui faire confiance? Quel calvaire. Et que cela soudainement m'ouvre toutes les portes vers l'infidélité en série. J'ai téléphoné le jeune Philip, avec l'espoir de le voir. Même s'il ne m'intéresse pas. Le gars de 16 ans est retourné vivre chez son chum Mark (qui le trompe avec son roomate d'ailleurs), et est revenu à ses habitudes pantouflardes, son chum ne lui laissant aucune liberté. J'ai bien regardé Neil, jamais je n'aurais le courage de lui sauter dessus comme a fait Glenn avec Bruno. Et pourquoi vouloir détruire sa relation avec John? En plus que ce dernier viendrait qu'à le savoir, l'hônnêteté de Neil n'est plus à prouver, on me jetterait à la rue. Et puis je ne veux rien savoir de personne. Mon sentiment est la jalousie. Moi aussi j'aurais aimé le faire avec Glenn, on auait même pu le faire à trois, et comme cela aurait facile à digérer. Mais les choses se sont passées pour multiplier les parallèles et me faire comprendre les implications de ma relation avec Edwin. Puis-je en vouloir à Bruno? Je lui en veux, comme il m'en voudrait s'il savait. Lorsque j'imagine la fameuse scène, j'ai envie de pleurer. Semble que je l'aimais le Bruno. Moi qui m'ai tant posé la question. Je suis certainement dû pour la dépression jusqu'à la fin du mois d'avril, et après, le Soleil ne se montrera guère, je ne sais plus où j'en suis, ce que je veux, attends...

Essayons de voir quelles sont les chances que Bruno récidive. Première question, se sont-ils bien rencontrés à l'Université? Quel jour exactement, à quel moment de la journée? Et pourquoi ont-ils été chez Glenn? Bruno ne sait-il jamais douté que celui-ci avait des intentions? Quand donc Glenn a commencé à appeler Bruno, avant ou après leur rencontre? Combien de fois Bruno et Glenn ont-ils parlé au téléphone? Longtemps? Glenn a-t-il rappelé dernièrement? Est-il au courant que je sais? Si Bruno voulait recommencer, voudrait-il m'y inclure? Et voudrais-je m'y inclure? Peut-être le lui faire croire, pour une sécurité. Au moins,

- 89 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

s'il désire vraiment coucher avec encore, au moins il aura une porte de sortie. Il me semble avoir bien grandement pesé la question. Ce qui revient à dire qu'il considère la possibilité de coucher avec à nouveau. Il aimerait bien en tout cas, et pourquoi pas. Comme moi avec Edwin. Je ne suis plus en état de penser.

5 avril 1994

(Conversation avec Joël Cyr dans mon cours avec M. Simard:)

-Conseille-moi, je ne puis puis l'aimer comme avant, je ne puis non plus le laisser, je ne peux me retrouver seul en ce moment, et surtout me trouver quelqu'un d'autre. Il me dit que c'est une erreur, qu'il m'aime, ne veut pas me perdre, ne recommencera pas (et toute la bullshit qui habituellement va avec ça). En tout cas, comme j'aurais eu regret de pas avoir été jusqu'au bout avec Ed. Je ne sais plus où j'en suis, mais maintenant je ne m'empêcherai plus jamais d'agir comme je l'entends, dans n'importe laquelle relation. Tu t'imagines? J'aurais pu coucher avec Phil, un superbe beau jeune homme de 16 ans, Tchéchoslovaque et romantique... mais...

Tes livres sur le comment faire un scénario sont merveilleux, il me faudra les acheter. Je vais certainement passer au travers avant d'écrire un scénario. Je t'avais dit que mon ami Patrice à Montréal sort de cinéma (directeur) et qu'il est celui qui a pproduit le plus grosse production à l'UQAM de l'histoire. Il sort cette année, et à moyen terme, j'aimerais bien faire équipe avec lui. Pour l'instant, mais ce ne sont que des idées, j'aimerais bien écrire des scénarios pour «Les enfants du Sabbat» d'Anne Hébert, «Une Histoire Américaine» de Jacques Godbout et même la vie d'Alfred Jarry autour d'Ubu Roi. Maintenant je te laisse me désillusionner.

Arrête de me regarder avec un grand sourire, le prof se sent menacé, il pense que l'on parle de son futur en politique. Ah, je suis dépressif, je ne veux pas être seul dans ma dépression, dis donc à Jake que tu l'aimes à mourir! Il te crissera là et tu souffriras moins après la crise. Quand je pense qu'il ignore tes sentiments, ce qui me fait penser à notre relation.

- 90 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

J'espère juste, de tout coeur, et je ne saurais trop t'éviter des souffrances, que je ne m'intéresse à personne qui demeure au Canada, même pas juste pour le sexe, ma psychologie est malade. Ainsi donc je suis ouvert à Edwin, et encore, et peut-être Paris dans le courant de l'année prochaine. Je t'avoue bien franchement que coucher avec quelqu'un d'autre d'ici à la fin de l'été, me serait fatal pour l'opinion que je me fais de moi. Il s'en est déjà trop passé... tu n'es pas fâché de mes paroles? Enfin, j'aime mieux l'honnêteté, j'ai tendance à faire souffrir les gens sans m'en rendre compte.

J'ai juste peur que tu penses que l'amitié que j'ai pour toi puisse dépassser l'amitié. C'est hypothétique, mais j'aime meiux prévenir. Au titre d'ami d'ailleurs, tu es vraiment spécial pour moi, il est rare que des gens nous apporte quelque chose, et j'ai beaucoup à apprendre de toi. Je dois te sembler bien naïf, tant pis. J'espère juste que je t'apporte aussi quelque chose, ou apporterai. Où seras-tu cet été? Et mon René l'Illuminé, tu veux garder les vingt premières pages jusqu'à Jeudi? J'ai l'impression de parler seul!

(Il se met à parler enfin, les parenthèses sont de moi:)

-S.V.P. Ne me met pas sur un socle, je n'en vaux pas la peine. (Encore un qui s'imagine qu'il ne lui reste qu'à mourir.) Pour toi je ne ressens que de la sincère amitié. (C'est pour ça qu'il n'arrête pas de me prendre les mains.) Le «ne que» n'est pas diminutif, mais il se présente plutôt comme un bouclier vis-à-vis les intentions que tu sembles me prêter. (N'en pouvant plus, il avoue:) Je te trouve bien séduisant et surtout charmant (le «mais» s'en vient) mais, j'écarte tout désir de mes sentiments (y réussirait-il? j'en doute) car je crois deviner que toute autre relation pourrait être néfaste à notre amitié qui me satisfait grandement (un autre qui se contente de désirer sans sauter sur la personne). La seule chose à laquelle (j'ose) aspire (r) un peu plus à chaque fois que je te vois, c'est te connaître davantage (et au diable la connaissance du corps puisque je suis bouché). Et ce, dans un seul but, apprendre dans l'agrément (quoi, mais de quoi parle-t-il? c'est la seule finale qu'il a pu trouver à cette belle déclaration d'amour étouffée?)

- 91 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Or, pour ce qui est de tes amours tumultueuses (heek!), je ne crois pas te fournir la panacée. Cependant, dis-toi une chose, c'est que la mouvance appartient au monde des sentiments, et des raltions avec les autres. Ça m'écoeure, mais c'est comme ça. Celui que j'aime aujourd'hui, je vais l'ignorer demain, ou peut-être même l'haïr. De plus, et crois-moi, ces métamorphoses s'accélèrent avec l'âge (comme Bruno, à 28 ans il a déjà l'impression d'en avoir 45, et dites-moi que ce n'est pas là un stupide sentiment transmis par les baby-boomers qui ont bien vu et nous ont répété à tort et à travers qu'ils pognaient plus rien de beau et jeune...) Le vieux que je suis en sait quelque chose! (!) (il vient de couper tous les fantasmes que j'aurais pu avoir avec lui, il m'a convaincu qu'il ne valait plus rien, à 28 ans, oh my god, il ne me reste que cinq ans à vivre! En admettant que sa crise existentielle n'ait pas commencée à 22 ans.) Autre chose, l'hypocrisie est ce qui est de plus vitiolique dans l'amour! (Avoue donc à Bruno que tu as couché avec Edwin! Et deviens ainsi aussi libre que le vent et prêt à me sauter dans les bras!) On se parle franchement (tu parles) ou (et?) on se quitte, sinon le jeu devient trop sérieux, il ne débouche sur rien (un jeu doit-il déboucher sur quelque chose?) et il s'avère à chaque fois néfaste...

Pour ce qui est de Jake, il y a là de quoi se marrer (tu parles). Je nage en plein drame Cornélien (mais pas du tout mon ami): Jake regarde langoureusement un type et je me doute de quelque chose... Ce type s'intéresse à une fille qui... me voue une admiration qui me gêne. Que faire...? En rire sans doute! (Et le sarcasme ou cynisme entre en jeu, on aura tout entendu.) Pourtant je me jetterais sous un train si Jake me le demandait (and how about me? Joël, je le veux, je le désir, jette-toi sous un train, et ça c'est pas Cornélien, c'est Toïlstoien...)

(Fin de la conversation interractive doublée).

* * *

Me voilà au café alternatif, seul. Qui est là? Le gars du 216! Il me regarde à l'occasion, je suis en train de paniquer, il me sera impossible d'aller lui parler, il le faudrait pour

- 92 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tant. Le pire qu'il pourrait arriver c'est qu'il me rejette en bloc. Il me regarde furtivement, il s'en va, quelle horreur! Vais-je assister à son départ sans agir? Oui!

* * *

Je l'ai devancé un peu, rencontré un demi palier d'escalier plus haut, il m'a regardé puis a continué son chemin.

* * *

Deux heure plus tard il sortait du pavillon Simard en même temps que j'entrais. Il a fait semblant de pas me voir. Je pense qu'il n'y a plus rien à attendre de lui, il est traumatisé je crois. Sinon, il est trop coincé, moi je ne peux lui en signifier davantage.

* * *

Je savais qu'en passant au Centre Universitaire j'allais rencontrer Glenn Strange (c'est son nom. Un autre tour de force: 569-3306, c'est son numéro.) Je lui ai donc parlé. Dit que je savais ce qui s'était produit, raconté un peu la situation, voir s'il n'en ajouterait pas quelque chose: j'ai appris entre autre que Bruno savait ce qu'il allait chercher dans l'appartement de Glenn, qu'ils en avaient donc parler de faire l'amour avant et qu'ils allaient là pour coucher ensemble. Ce n'était donc pas un coup de tête, Bruno n'a pas été pris par surprise et cela a probablement durer plus que quinze minutes. En plus, Glenn a dit que Bruno n'avait jamais vraiement parler de moi, qu'il voïdait le sujet pour se laisser le champ libre avec Glenn. Ainsi c'est délibérément que Bruno a voulu me tromper. Cela me rassure (!)(en un sens) il est donc comme moi. S'aurait peut-être été pire s'il avait été séduit sur le coup du moment, ce qui est dangereux pour l'avenir, il coucherait donc avec n'importe qui, mais c'est aussi pire dans l'autre sens, pourquoi donc cherchait-il à coucher avec l'autre, que dois-je comprendre? S'il s'est donc produit quelque chose, Bruno a voulu que ça arrive, le souhai

- 93 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tait, et puis c'est arrivé. Avait-il besoin de me comparer avec le jeune Glenn (21 ans, comme moi). Puis ayant découvert que j'étais mieux, le voilà revenu? Comment cela ne me ferait-il pas avoir envie de courir loin de Bruno, en dépit de ce que j'ai fait avec Edwin... N'est-il donc plus sûr de moi? Je prends cela tel un rejet, comme s'il ne m'appréciait plus, ou avait des doutes. Il m'est donc difficile de continuer cette relation. Même si j'ai couché avec Edwin, je gardais un complicité avec Bruno. Maintenant, que j'aie couché ou non avec Ed, la complicité est rompue. Bruno se place au même niveau que tous les autres, il ne m'appartient plus, je ne lui appartient plus. Plus particulièrement dans cette période de transition. Tout est changé, peut-être parce que je veux que cela soit ainsi? La communication a été rapide entre Glenn et Bruno après ma discussion avec le Stranger. Moins d'une heure après notre conversation, Bruno était au courant. Bruno me l'a reproché, ils se sont entendus sur des mesures à prendre. Bruno m'a dit que Glenne ne voulait plus se mêler de nos affaires, qu'il ne voulait plus communiquer avec Bruno. Je ne sais pas pourquoi, ce n'est pas possible. Pourquoi donc Glenne ne voudrait plus parler à Bruno? Et quel intérêt Bruno a-t-il à vouloir me faire croire cela? Me montrer que les liens seront définitivement coupés? Il me répète encore que ce serait injuste que je le laisse, que je serais stupide. Mais d'où ça sort ça? Croit-il que l'épisode avec le prof de français, alors qu'il m'ait pardonné, je devrais lui pardonner? S'est0il appuyé là-dessus pour se convaincre qu'il pouvait coucher avec Glenn sans que je réagisse? Avait-il garder en mémoire qu'il pourrait me tromper, a attendu l'occasion, puis s'est dit que je lui pardonnerais, prétextant que je n'avais pas le choix parce qu'il m'avait pardonné deux ans auparavant? I'm not that stupid! En plus, s'il m'a trompé là, il m'a peut-être trompé ailleurs. La seule chose qui fait qu'il me l'ait avoué c'est qu'il croyait que Glenn le dirait à Joël puisqu'ils sont amis, et lorsque je lui ai dit que Joël avait quelque chose d'important à me dire (et je ne sais d'ailleurs toujours pas ce que c'est), Bruno s'est mis à paniquer, m'a tout avoué. Et les années passées, lorsqu'ils voulaient me laisser, y avait-il quelqu'un d'autre là-dedans? Mike peut-être, à la limite? Crisse que j'aurais alors été stupide, ils avaient même des soupers à la chandelle pour fêter leur anniversaire... He thinks I should get over it (l'histoire de Glenn), fuck you man! Juste pour lui faire comprendre, j'aurais envie de le laisser là, au moins pour quelques temps. Mais je ne le ferai pas, garderai tout de même mes distances, parce que je ne puis faire autrement, je souffre trop. J'ai d'ailleurs

- 94 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

davantage envie d'aller voir ailleurs, mais je ne suis pas dana la position, ne le temps, la possibilité... Edwin était de loin moins bien que Bruno, surtout que j'étais paralysé par ma conscience (et dire que Bruno lui, se portait très bien dans ses actions). J'aimerais vraiment au moins pouvoir le comparer avec mieux que lui. Et c'est le temps ou jamais. Peut-être encore avec Edwin au pire allé, Gabriel peut-être. Je ne sais plus où j'en suis! Je ne sais plus quoi faire!

6 avril 1994

Bon, Bruno avait désirer Glenn au même point que moi Edwin. Je commence à accepter ce fait. J'espère que cette idée de sauter dans la rue et rencontrer cette personne magique me passsera. Hier j'ai couché avec Bruno. Crisse qu'il beau. Plus beau que n'importe qui. Qu'ai-je donc à vouloir aller ailleurs? J'ai éjaculé trois fois en trois heures, en ces temps, ça veut dire que je suis en manque. Je vais m'orienter vers le retour complet à Bruno. Je ne vais pas cherche à coucher avec Edwin s'il revient. Si cela arrive, cela arrivera, mais je ne ferai pas d'efforts en ce sens. Alléluia, Dieu me guide enfin sur le bon chemin. (Je serais stupide de la croire, surtout que je suis toujours homosexuel, mais les gens perdent leurs proches dans des incendies, accidents d'auto, et réussissent tout de même à glorifier Dieu ensuite. Prétextant peut-être la grâce de ne pas avoir été frappé à la place de l'autre? Ce qui serait déjà très égoïste. Ou prétextant que les choses devaient se passer ainsi. Sans comprendre pourquoi, sans même se poser la question. Moi, dans ces cas, et je le remarque en ce moment même, je m'exerce à voir les conséquences de tel événement et j'essaie d'y voir du positif. Peut-être pour me contenter, qui sait? Mais à croire à un genre de destinée, et à agir en fonction de cela, voilà déjà un certain contrôle sur l'existence (pourrais-je croire cela?). L'épisode de Glenn est fort concluant. J'étais certain de le rencontrer au centre Universitaire, le timing était extraordinaire. Je n'ai même pas eu à me dépêcher, je savais que le temps de ma marche, l'attente aux lumières, tout était calcul. pour que je le rencontre. Il y a eu séduction entre eux deux, Bruno m'a dit, et Bruno a embarqué. Il en voulait à Glenn qu'il m'ait dit que Bruno voulait coucher avec, et qu'ils soient allés à l'appartement sous le

- 95 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

prétexte de coucher ensemble et non sous un faux prétexte inventé par Glenn. I have to stop these litle conversation with myself, I'm getting really depress...

7 avril 1994

Conversation avec Mireille dans la classe de la Bourbon:

-Bruno a couché avec Glenn Strange (c'est son nom), et ce, sans qu'il sache l'histoire d'Edwin, qu'il ne sait toujours pas d'ailleurs. J'ai cru mourir lorsqu'il me l'a avoué. Crois-moi, tromper son chum est une chose, se faire tromper par son chum en est une autre plus terrible. C'est un paradoxe tu croiras, puisque j'ai fait la même chose. Mais c'est pas là mon impression. L'autre appelle tout le temps chez Bruno, and I don't know what's going on! Bruno ment comme un déchaîné, mais il veut rester avec moi, veut pas me perdre (la bullshit habituelle qu'on est en droit de s'attendre suivant une telle confession). Edwin m'a juste permis de pas laisser Bruno sur le coup, je te jure que je l'aurais laissé.

-Tu devrais peut-être lui avouer à Bruno. Jette tes cartes sur la table toi aussi.

-Quelles seraient les conséquences? Il serait content, penserait que tout s'annulerait alors que ce n'est pas le cas, je considère Paris, l'été à Jonquière... et en plus, si je peux lui épargner cette souffrance que j'ai souffert, je le ferai.

(Fin de la conversation.)

La vie n'est qu'une série de formalités auxquelles on se tue pour arriver à s'en sortir. J'ai passé l'avant-midi, de 7h à 9h, à aider une amie Chinoise (Wang Ynan) à comprendre son français. Puis j'ai passé une heure à chercher des papiers qui indiquaient le nombre d'heures que j'avais travaillées voilà 3 mois: l'assurance-chômage, auquel j'ai remplit plus de formalités qu'un premier ministre en remplirait en cinq ans, a bloqué à quelque part. Cela fait depuis le 22 novembre que j'essaye d'avoir de l'assurance-chômage, et on appelle cela une sécurité sociale? J'ai eu le temps de mourir de faim trois fois. Ensuite j'ai passé au bureau de l'A.-C. de 10h à 14h. Puis une heure à l'ambassade de France, enocre des tas de formalités qu'il m'est impossible de remplir, tant d'efforts pour rien! Ils me renvoient tous les papiers que j'ai tant eu de peine à amasser, ne me disent presque rien, je dois déduire leur petits

- 96 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dessins et flèches sur des feuilles d'informations générales. Au moins ils me répondent et je pense quelques heures avec Mme Migneault à l'ambassade à essayer de figurer what's going on in there, le gouvernement lui, réussit à m'oublier dans ses dossiers informatiques, et j'ai de bonnes raisons de croire qu'ils le font exprès. Sont pas là pour nous aider, mais nous décourager, nous achever. L'altruisme ne devrait-il pas commencer par les institutions gouvernementales? Mais bien sûr que non... (m'en inspirer pour les germes de René the illuminated). N'est-ce pas dans ces endroits que l'on tâte le poul de la collectivité? Il m'aurait fallu une arme pour aller là, seul moyen pour qu'enfin on agisse. Le seul problème c'est que l'on agirait très vite, pour m'emmener en prison. J'ai donc manqué le dernier cours de M. Simard, fuck it. Trente minutes en retard au cours de la Bourbonnais. Je dois aller la convaincre de me laisser une prolongation pour le travail sur Ducharme. Ce qui est un autre tour de force. Ma vie n'est qu'une série de tours de force de calvaire, mon but consiste à m'enfoncer dans un trou le plus possible, puis tout faire pour m'en sortir avant d'en crever. Ainsi je l'ai eu mon C+ à la Télé-Université. Et si je réussis à faire les travaux de mes six cours, tout sera, je l'espère!, enfin fini. Mais je n'y crois pas, à la dernière minute une soucoupe volante détruira mon diplôme qui plus est, ne vaut absolument rien. Un diplôme de quatre années d'études à l'Université en littérature? Bullshit, on se trouve même pas un travail, et si oui, à salaire minimum. En fait, ce diplôme n'est qu'une formalité pour m'ouvrir à la multiplicité des formalités, mais à Paris. Eh bien, si cela m'ouvre la porte, allons-y! Ce n'est plus le Bruno qui m'empêcherait d'agir... même si j'ai l'intention de continuer à sortir avec ême si nous sommes séparés de 5 à 6 fuseaux horaires. Mais qu'est-ce que cela signifie vraiment, si j'ai pas l'intention de m'empêcher de vivre sur place, et que je souffrirais si lui couchait avec d'autres ici, et même si it's not an open relationship, it will be an hidden open relationship, car je ne m'inquiète plus pour lui, il ne passera pas un an à m'attendre à se masturber, il agira. Et j'accepte tout cela. I must be very «strange» right now. Mais mon Dieu, quel calvaire, ce mois de mars-avril me semble être le pire qui me soit arrivé depuis quatre ans. Qu'en pensez-vous, vous qui avez les Lettres de R.M., mon journal de 1992 (en mars 1991 et 1993, mon journal c'est les Lettres de R.M.). Quatre mars en ligne de calvaire qui débouchent dans le mois d'avril. «Est-ce que j'en sortirai grandit?» pour reprendre les Ritas Mitsouko. Il me faut encore passer au département vérifier mes horaires d'examens, puis

- 97 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

passer au travail clarifier mon horaire pour les trois prochaines semaines, puis retourner chez-moi lire Herman Broch, La Mort de Virgile, j'ai un exposé demain.

8 avril 1994

Je souffre. Je panique. Je semble accepter l'idée de retourner avec Bruno à 100% et je ne me méfie pas suffisamment. Avant-hier, on arrive chez lui à 12h30 de la nuit, le téléphone sonne, c'est Glenn. Quelle dépression. Mais le meilleur, c'est hier. Moi et Bruno on se rencontre pour aller prendre un café, il veut absolument passer par le Centre-Rideau alors qu'il fait si beau dehors, en plus, il insiste pour passer par le Eaton alors que je ne voulais pas, cet endroit me fait chier parce qu'il y a tout plein de gais qui travaillent là ou à La Baie, et en ce moment, ça m'est un calvaire d'en rencontrer. Mais enfin, on est passé par là et devinez qui on rencontre? Bruno voulait se cacher, j'ai dit que ça donnait rien, il nous avait déjà vus. Mais Glenn à vite tourné, il a pris l'escalier roulant qui montait (le pauvre, il s'est probablement retrouvé à la morgue de Eaton, l'endroit où l'on place les choses non vendues depuis des millénaires). Et encore, quel calvaire! Bruno se demandait comment il pouvait si peu chanceux, y'a de la destinée là-dessus, je l'ai compris qu'il y avait un message à comprendre! Mais lequel? Et le pire, c'est moi la cause de ces stupides situations, quelle humiliation qu'il faille fuir en ma présence, ou se cacher pour cause de ma présence. Si je n'avais pas été là, ils se seraient parlés sans problèmes, peut-être même auraient-ils retourné à l'appartement de Glenn? Le trompé doit être tenu dans le noir, l'ignorance des événements. Et s'ils se parlaient? Ça va toujours en deux temps en plus, et moi, toujours avant: Bruno m'a trompé? Je l'ai devancé de deux semaines. Glenn téléphone en ma présence? Edwin m'a téléphoné deux heures avant en la présence de Bruno. On rencontre Glenn? Deux heures avant on rencontrait le petit gars timide sur le campus, qui me fait des sourires imperceptibles que je perçois: je l'ai conté à Bruno ça, il ne m'en a même pas reparlé. Bruno pense que je vais le tromper bientôt et il accepte ça, même s'il m'a avoué qu'il souffrirait en crisse. Or, je n'ai pas l'intention de le tromper finalement. Peut-être Edwin s'il vient (j'en doute d'ailleurs), et encore, Bruuno sera présent tout le temps pour sûr désormais. Et même si je

- 98 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

couchais avec Ed, je ne pourrais le dire à Bruno pour les raisons nommées avant.

12 avril 1994

Hier j'ai parlé avec Edwin, il est allé à Montréal comme prévus, a rencontré un gars au K.O.X., a passé la journée du lendemain avec. Ses idées sont: est-il bien gai? Ou est-il amoureux? J'avais osé lui dire un petit je t'aime l'autre jour, et tout de suite réprimé. Hier c'était le gros RM!, je t'adore! N'a-t-on pas skippé une étape ici? Pendant que je l'oubliais, car pas de photos, pas de lettres et pas de communication, lui il se rapprochait de moi d'une façon radicale, en traînant ma photo découpée danas son porte-feuille et mes lettres, qu'il relit sans cesse, dans ses poches. The result, he's very close from my emotions, but the ones of the last month! Il veut venir cette fin de semaine, j'appréhende les complications: Bruno est en pleine crise existentielle, lui il vit aussi dans mes émotions, mais celles de dans quatre mois! C'est-à-dire mon hypothétique départ pour Paris, peut-être synonyme de la fin de notre relation. Il n'y a que moi, semble-t-il, qui ne vive pas dans mes émotions, je vis plutôt à l'heure de la transition qui se démène à l'intérieur de la Révolution. En effet, Bruno m'a rendu dépressif samedi soir (le 9 avril), ça m'a inspiré les germes, le feu et la couche atomique. Je me surprends encore de la qualité, à mes yeux, de ce passage en comparaison avec le reste. Heureusement je réagis aux crise et je recrache le tout dans mes livres. La Révolution sera un oubli complet d'un jeune innocent, une explosion littéraire, ou le simple lancement d'un livre. Si ce n'est pas ce livre qui déclenchera le processus, et ce ne sera sûrement pas La Légende de Val-Jalbert même si elle était montée, peut-être que le livre que je souhaite écrire cet été sur la Chine et la vie de Wang Ynan donnera des résultats? The plain novel based on a true story, Hollywood just bought it, soon on screen (in 25 years). Le hic, c'est que ce livre me prendra au moins un an à écrire et demandera de la recherche. Je peux passer l'été juste à construire le plan et amasser de l'information. Il suffira d'amplifier et de faire de l'expansion (ou est mon dictionnaire Robert?). Qui sait, je l'écrirai peut-être à Paris? Il me faut au moins de 200 à 300 pages, j'en aurais des choses à radoter! Mais pas question de la faire revivre sur place. C'est en un contexte de narrateur véridique que j'écrirai, je ne transposerai jamais Ynan en Chine, puisqu'incapable de voir ce que c'est. Je

- 99 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

n'emmènerai pas le lecteur en un lieu où je n'ai jamais été. Je peux juste citer Ynan, expliquer le contexte de notre amitié à la cafétéria, il y aura d'ailleurs sa vie ici et celle de son passé. Nos conversations peuvent donc être retransmises, il y aura du dialogue. Tous les procédés techniques seront clairement dits aux lecteurs, je n'ai pas l'intention de refaire parler René Lévesque en des conversations qui n'ont jamais eues lieu, ça fait bien trop artificiel. Plan sommaire:

- Ma situation de narrateur. Ce que je fais à Ottawa, parler de la multiplicité des races (le multi-culturalisme), mes impressions, mes préjugés transmis par la société, les derniers articles dans les journaux (vols dans les sécurités sociales, pertes d'emplois au profit des immigrants, chauffeur de taxi tué, bataille d'enfants somaliens et blancs à Nepean) puis la diversité des races juste à la cafétéria de l'Université (décrire sitaution qu'ils n'ont droit de travailler que sur le campus).

- Tous les chinois avec lesquels j'ai travaillé, mon intérêt par rapport à leur culture, les quelques mots que j'ai appris.

- Ma rencontre avec Wang Ynan, les mots échangés, le genre de coup de foudre... the secret place, divergence de langues, je suis avant tout québécois, ses cours de langues en français, son intérêt par rapport à quelqu'un qui souhaite apprendre le chinois, (il est pas normal - ce qui m'a pris aussi), etc.

-Le contexte de la présence de Wang Ynan tel que je le connaissais au début. On commence surtout par parler de son arrivée ici, comment elle vit les différences du système social, capitalisme (c. socialisme, mentionner que j'en reparlerai plus tard de cela), Comment elle s'est adaptée, son arrivée (on ne parle pas encore de ses motivations réelles, je peux le mentionner que je ne le savais pas à ce niveau de notre amitié). Ses amis, son mari là-bas...

-Les problèmes à la cafétéria continuent. Décrire tout cela en rapport avec Ynan, comment cette société capitaliste qui ne vise que le profit traite ses employés, se débat à coups d'avocats avec les syndicats, crache sur ses employés à temps partiels non syndiqués qui devraient l'être d'ailleurs, etc. Et plus les problèmes grandissent, plus on se rapproche, complicité du français qui s'apprête à commencer sa vie dans le système capitaliste et la chi

- 100 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

noise fatiguée du socialisme qui cherche à s'en sauver - mise en commun du constat d'échec de ses entreprises-machines à dépression. Elle s'est mise à fumer comme une déchaînée, je la surprends à pleurer, elle ne veut rien me dire.

- Je lui annonce que je vais devoir quitter le travail, l'administration a réussit, malgré mon entrée dans les syndicats, à me mettre dehors. On se rapproche davantage l'un de l'autre, elle ne veut pas vivre le calvaire seule, bien qu'elle ait tout de même des amis qui travaillent à la caf, Wei Jai avec qui je travaillais à faire des pizzas et des clubs. On se rapproche parce que je commence à lui dire ce qui se passe dans ma vie et qu'elle n'a plus de raison de se sentir menacée par moi. Au contraire, mon homosexualité me livre enfin un gros morceau de sa vie. Son premier chum, homo en Chine et sa crise... en rapport à cela. Les lois, c'est illéagl sur place, feel sorry for me, but it's not illegal here, but maybe worse, no one can talk about it. Peut-être que c'est mieux qu'en Chine, mais pas tant que cela (faire le gros parallèle sans trop diverger, il faut que je revienne à la situation de Wang Ynan et son copain.) Ensuite, la fin de cette relation auquel le gars qui était obligé pour son image de se faire une copine, refusait encore le mariage mais ça s'en venait, elle l'a surpris avec un autre homme, l'a crissé là, a pris le premier homme du bord qui semblait avoir de l'argent, en a fait son mari. Confession: on n'aime qu'un seul homme dans sa vie, l'homosexuel en l'occurrence. Et voilà où la société se détruit, par les apparences, les tabous, ses traditions et valeurs qui ne peuvent s'adapter à tous.

- Les vraies raisons de son départ pour la Canada. Les prooblèmes avec son mari, elle est professeur (en profondeur, parler de sa situation, le minable salaire, le système socialiste qui octroit une maison, ils ont une voiture, ce qui est rare, bussiness de son mari, jamais d'argent, problèmes de gouvernement, prise de partout, pense trouver la liberté et la joie au Canada. Ce qui l'attendait ici, (parallèle entre les gouverenements, lutte entre français et anglophones (parallèle Cantonese et Mandarins), les politiques d'immigration, le racisme, ne se sent pas chez elle, on réussit à lui faire comprendre qu'elle n'a pas le droit de vivre ici, ce n'est pas chez elle, la vieille folle chez qui elle restait et les enfants, exploitation, le couple de vieux, everything as a price, où en est-elle? Les autres problèmes en Chine (à voir selon le résultat de mes recherches et ce qu'elle m'en dira par la suite).

- 101 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

-Les cours de français, ma relation, ses opinions sur la mariage et la liberté sexuelle, (je devrais partir pour Paris, je suis trop jeune pour être dans une relation (après trois ans de vie avec un autre à 21 ans).

-Ce qui se passera cet été, ou d'ici jusqu'à ce que je termine le livre. Penser à une conclusion.

Troisième lettre envoyée à Edwin.

- 102 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

12 mars 1994

Bruno est venu ce soir. On a fait l'amour pour la deuxième fois depuis le départ de Ed. C'était mieux que voilà trois jours, mais il manque cet effet piquant comme lorsque Ed est avec moi. J'ai peur. Peur de ne plus l'aimer, sans pour autant avoir Ed, et sans pour autant savoir si j'aimerais Ed. Je me suis vu si libre en le reconduisant à sa voiture. Pour la première fois, je me sentais comme quelqu'un qui faisait sa jeunesse, ou qui allait la faire. Je me voyais parti pour Paris, non pris dans une relation, libre de jouir de la vie comme je l'entends, acquérir l'expérience la plus bizarre avec les gens les plus variés. Ouais. Quelle histoire, digne du Vaudeville Parisien! Ah, je me délecterai de ce théâtre de boulevard lorsque je serai à Paris. J'aimerais revoir Edwin pour comparer avec Bruno. Cette nuit furtive n'a peut-être pas été concluante. Seulement au niveau de la brisure de mon asservissement envers Bruno, si je puis m'exprimer ainsi. Il me fait de l'effet, mais pourrais-je l'aimer? Et Bruno, ah que la vie est difficile parfois.

[...]

Mais Edwin a raison, il existe tout de même une jeune génération à travers l'Europe, plus spécifiquement à Paris, qui adore les États-Unis. Et pour paraphraser Jacques Godbout et UNE HISTOIRE AMÉRICAINE, le mythe se construit dans les laboratoires de la Californie. New York en tire son profit. Et puis ça impressionne d'être New Yorkais. Moi-même, j'étais fier d'avoir couché avec un Américain. Où s'arrêtera donc la bêtise? Et quelle est donc la sensation que l'on ressent lorsque l'on couche avec un Allemand? Un Australien? Mais s'il existe une différence entre Bruno et Edwin, elle est psychologique, et mes sentiments pour l'un et l'autre me semblent indépendants de ma volonté.

Quelle extraordinaireté de croire qu'Ed soit straight, puis de finalement savoir qu'il est gai, puis de coucher avec. Jamais je n'aurais osé croire qu'il était comme moi, et qu'il me tiendrait dans ses bras un jour. Comme je l'appellerais tout de suite et l'inviterais à retourner à Paris. Mais n'aimerais-je pas mieux m'assurer un avenir avec Bruno? He's still very

- 103 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

beautiful, especially when he's nude. Mais Edwin en caleçon et T-Shirt, avec son bedon qui se voit un peu, c'est incroyable. J'explorerais son corps de A à Z s'il revenait. Mais il m'a bien spécifié qu'il ne recoucherait pas avec moi, car Bruno est son ami... et c'est vrai qu'il serait définitivement immorale de bâtir une double relation dans le dos de Bruno. Mais devrais-je le laisser là? What a tricky situation. And what about if I had never slept with Edwin? Je sais que mes regrets auraient été énormes. Mais j'aurais peut-être oublié plus vite cette aventure. À moins que je me serais mis à souhaiter son retour dans l'espoir que la chose se produise? Je réentends Ed me dire: «I tried so hard to resist you!» J'imagine qu'il voulait dire qu'il avait essayé un peu plus que s'il n'y avait eu aucune barrière. Car tout s'est passé si rapidement. Quelle expérience! Je me revois allumer la lumière, le voir étendu sur le lit, me coller contre lui. D'avoir sa bouche contre la mienne. Chacun des détails de sa personnalité refait surface. Son petit case où il range sa brosse à dent, sa soie dentaire. Sa voiture, ses cassettes, on me dirait en admiration totale. Ô Edwin, je revois même le gros ED écrit au crayon feutre sur ta tasse. Si tu a pu sentir que j'étais en érection lorsque je t'ai pris dans mes bras à l'Hôtel des Gouverneurs à Montréal, cela ne me surprends pas. Je pense même que Bruno l'a remarqué, il s'est retourné deux fois pour regarder. Tant pis, j'ai tant besoin de cela, je ne pourrais même pas reprocher à qui que ce soit la tournure des événements. Serait-ce là l'âme soeur? Je n'ai pas choisi Bruno que je sache. J'ai bien pris un an et demi pour ressentir un sentiment qui ressemblait à de l'amour, sans toutefois me transporter à la passion. Que dis-je, j'ai aimé me retrouver dans ses bras ce soir. Si Ed dispaissait, je continuerais très bien avec Bruno. Je vais essayer de ne plus y penser. Ed serait-il l'âme soeur?

14 mars 1994

J'ai enfin passé à travers le calvaire de Ionesco ou presque. Dieu qu'il se répète, et cela me donne un avant-goût de la France. J'y distingue déjà ce que j'omettrai de mes livres déjà écrits. J'ai aussi enfin posté toutes mes demandes d'Universités, en particulier celles de Paris. Mais je suis trop fatigué pour l'apprécier, et découragé de savoir que je suis peut-

- 104 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

être trop tard. Edwin m'a téléphoné hier soir. Bruno était en dépression, mais Ed a rappelé un peu plus tard. On s'est masturbé au téléphone! Mais je ne suis pas venu, et Edwin semblait déçu. Il interprête peut-être ça comme s'il ne me faisait pas d'effets, et cela m'affecte. Mais je suis tant fatigué ces temps-ci. Le temps passe vite, c'est indéniable, il me reste moins d'un mois d'école. Mais le physique en prend tout de même pour son rhume. Bientôt les rhumatismes, je le sens. C'est la première fois de ma vie que je ne désire pas finir l'année scolaire. Je n'ai rien à attendre de l'été, plutôt le désert et l'insécurité. Vais-je travailler? M'ennuyer? Repartir pour Jonquière? Demeurer ici pour Bruno? Et comment va aller notre relation alors? Et Ed dans tout cela? Je sais que la prochaine fois je serai en monde connu, et que j'en ferai plus, le sucer entre autres choses. Je bande à y penser. Il est certain que je voudrais le revoir. Je voudrais même lui parler ce soir. D'où mon besoin d'écrire dans ce journal. J'ai hâte qu'il reçoive ma lettre, en attendant, je souhaite en recevoir une de lui. Il m'a dit avoir fait un rêve la semaine passée, très réel. J'étais nu dans ses bras, il sentait mes jambes contre les siennes, et il s'est réveillé en sursaut avec un oreiller dans les bras. Est-ce possible? Maybe he's becoming Newyorkais crazy? Mais j'y crois, et je peux apercevoir jusqu'à quel point j'ai laissé ma marque sur ce jeune homme. Comme il est bien de se flatter ainsi. Un jour je ne le pourrai plus, profitons-en. Surtout lorsque je sais que personne ne lira ce journal, mais je serais bien naïf de le croire. Je suis comme André Gide, je n'ai pas d'amour propre. Je laisserais ce journal se faire publier, si cela n'en tenait pas aux gens auxquels je fais mention. Peu importe, je parlais de Edwin, le beau jeune homme qui n'a plus aucun intérêt pour Cathrine sa copine. Il l'a rencontrée avant hier, et lui a fait comprendre que c'était fini. Il insiste auprès de moi qu'il ne voudrait jamais que par sa faute, moi et Bruno on se laisse. Mais pour moi, il a enfin compris qu'une femme dans sa vie, c'est pas le paradis. C'est triste d'ailleurs, mais ça en prendrait beaucoup pour m'en convaincre définitivement. Car les anciens de l'Université d'Ottawa, que je téléphone en ce moment pour demander de l'argent pour l'Université; Dieu qu'ils semblent avoir une vie plate. Encore que, ma définition de ce qu'est une vie plate prend des proportions inquiétantes. En effet, rien ne va me satisfaire je crois. Paris me réveillera-t-il? Même psychologiquement? Et si Paris était plat? Si je m'écoutais, je prendrais une chire (?) sur la drogue, dure en l'occurrence. On attend tellement de choses de la vie, pourquoi ne nous a-t-on pas dit qu'il n'y avait rien de plus que

- 105 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

notre quotidien actuel?

Monsieur Vandendorpe sera dans mes rêves cette nuit. Mais il ne sera pas nu avec sa chose entre mes jambes. Il sera devant son ordinateur à me réclamer trois mois de travaux hebdomadaires en retard. Je me déshabillerai alors, lui carresserai le crâne dégarni, et le bedon trop gros, et il me suggèrera d'oublier les futilités du cours. Adieu! monsieur Vandendorpe. Je suis Eugène de Rastignac (pas Eugène Ionesco), et je m'en vais me confronter à Paris tout entier. Je me vois déjà le porte parole des Québécois en France. Leur rappelant qu'il en existe tout de même huit millions et que ce chiffre, il ne pourront plus l'ignorer trop longtemps. Ah ça oui, ils l'ignorent, et pour cause. Ils s'imaginent que nous sommes semi-français, et encore, des habitants. Les grands auteurs Québécois sont publiés au Seuil, Gallimard et cie, et l'on oublie qu'ils sont Québécois. De toute façon ils sont déjà bien suffisamment Français, et c'est là une preuve que la littérature du Québec n'est pas une branche de la littérature française, mais bien une partie intégrée. Godbout, Hébert, Beauchemin, Thériault, (Tremblay? Bouchard?), ce n'est pas la littérature qui manque.

15 mars 1994

J'ai certainement des problèmes psychologiques de ce temps-ci. Je me demande bien ce qui peut me pousser à écrire autant au mois de mars. Hier j'ai encore fait des folies. J'ai bu la moitié de la bouteille de vin que Bruno avait laissée par hasard, et j'ai téléphoné le Edwin à Oswego. Le problème c'est que cette fois-ci je suis venu (j'ai éjaculé). Je commence à me sentir vraiment coupable, de tous les sens. Il me semble que je me joue de Bruno, qui parle maintenant un peu plus de me suivre à Paris, de même, je me joue de Edwin, puisque je vais demeurer avec Bruno. J'amplifie un sentiment qu'il a pour moi, pour rien. Je lui ai dit que je l'aimais hier, il m'a dit de même, en spécifiant qu'il s'agissait d'un trop gros mot. Le problème c'est si je me mettais à coucher à tort et à travers, sans m'attacher à personne ni connaître personne. Ce serait là une stagnation, une non-possibilité d'avancement pour l'expérience. Les interractions entre moi et Bruno, moi et Edwin, Edwin et Bruno, sont déjà forts complexes. Sinon je n'en écrirais pas autant de pages de journal. Et peut-être éventuelle

- 106 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ment je serai davantage en mesure de distinguer ce que je dois apprendre là-dedans. Encore qu'il s'agit peut-être de m'orienter vers des décisions plus importantes, comme le départ pour Paris. Si tout semble évident en ce qui concerne le futur, je dois cependant avouer qu'il risque de changer encore. Ne serait-ce que les choses tournent et qu'on ne sait jamais si la meilleure solution qui se présente pour l'avenir consistera bien en la meilleure solution dans six mois. Je crois que l'étape Edwin est accomplie: me faire rêver à la France, me faire courir à l'Ambassade, me tiendre en haleine jusqu'à ce que j'aie posté les lettres de demandes d'admissions. Mais l'avenir m'en dira tant. Il n'y a pas que moi à soutirer des avantages ou désavantages dans tout cela. En attendant, Edwin lui-même traverse une drôle de passe avec sa blonde... il n'y a que Bruno qui semble en retard sur les événements, je ne doute pas que la crise s'en vient.

J'ai avoué à Joël que j'avais couché avec Edwin, et on dirait que ça me rapproche d'Edwin. Il me disait hier qu'il voudrait faire l'amour pendant quatre heures avec moi, prendre son bain/douche avec moi, se retrouver dans mes bras, là mon rêve. Oui oui oui! Quel doux souvenir je garde de lui. Et il voudrait devenir végétarien, trop beau pour être vrai. En effet, Bruno m'a téléphoné ce soir. Pauvre lui. Comme il semble dépressif, il se rend compte que je l'aime moins de ce temps-ci. Ça m'a donné un choc, je crois que je l'aime. Je souhaite qu'il devienne un rien plus nostalgique-romantique, pour que je puisse revenir à lui plus facilement. Je suis déjà si loin. Mais chaque fois que je le reverrai, je me rapprocherai de lui.

20 mars 1994

Edwin et la France, Paris. Et même les États-Unis, New York. Voilà donc le triangle de l'Histoire Américaine. Quelles sont donc les interractions entre la France, les États-Unis et le Canada? Tombe t-on amoureux de quelqu'un parce que l'on aime tel pays? Edwin m'a répété qu'il aimait mon côté français, que je suis comme les gens en France (!), et qu'il avait découvert en Montréal ce qu'il recherchait, et même mieux que la France (!). Que le mythe devient séduisant. J'ai couché avec un Américain, et qui parle français. Une contradiction vivante. Lorsque j'ai couché avec Edwin, mes sentiments étaient confus. Je tenais un autre

- 107 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

corps que celui de Bruno. Jamais je n'aurais cru que le parfum puisse être si aphrodisiaque. Je n'ai même pas une photo de Edwin. Mais j'ai l'impression de toucher la multitude, d'atteindre le monde et l'humanité. Comment dire, se sentir dans l'action. Se débarrasser de cette impression solitaire, de rejeté, loin du monde et incompris, me voilà qui va vers les gens, qui vois en chaque rencontre, une banque d'informations, d'expériences, qui me font du sens. Quelle sensation j'ai depuis un temps, de vouloir sauter dans les airs, exploser, crier partout, une joie de vivre, ou un désir de vivre, qui se compense par l'échange avec les gens. Enfin, je m'autosuffis, sans attendre de quelqu'un un quelconque salut. Je vois Adeline qui s'accroche à nous, veut des amis, Edwin qui me dit ce que l'on me répète depuis longtemps, avec moi, on ne s'ennui pas, on voit en moi celui qui apporte l'action, the entertainer. Ma soeur est du style aussi à rendre aux soirées plates, un intérêt qui fait que l'on attend plus de l'extérieur un sauveur. J'ai longtemps cherché un Luc Villeneuve qui s'autosuffit, qui donne l'impression qu'en étant avec lui, on ne manque rien de ce qui se passe ailleurs. Je suis donc cet ailleurs, à m'autosuffire, Dieu peut mourir. Encore que j'ai l'impression d'en manquer des choses. Bruno ne remplit pas ce vide, et moi je ne puis le remplir pour moi. Edwin? Cette personne existe-t-elle? En la multiplicité peut-être? Sur l'instant, untel remplira le vide? Ce untel changera avec le temps? Qu'ai-je donc à attendre de la vie? D'autrui?

Voilà que j'entre en dépression. Je viens de téléphoner Edwin. Il n'a pas reçu ma lettre, un de ses amis est arrivé chez-lui, d'Allemagne, il est là jusqu'au quatre avril, empêche Ed de m'écrire, de me parler... je dépressionne sans raison, je ne peux rien attendre de Edwin, mais il s'est justifié pendant cinq minutes à propos de ce qu'il ne m'avait pas téléphoné et me disant qu'il n'avait pas arrêté de penser à moi. Les justifications détruisent tout. Elles font penser qu'il a des comptes à rendre, alors que je ne peux rien exiger de lui. Cela me fait penser que je lui reproche des choses alors que ce n'est pas le cas. Et je ne veux pas de rôle du gars qui veut une lettre, qui vont qu'on l'appelle, qui ne veut pas être négligé et quoi encore. Je pense que je vais arrêter d'appeler Edwin, et attendre ses contacts. Il va m'appeler ce soir il dit. Se sent-il trop obligé envers ses amis? Ce qui m'inquiète, c'est qu'il m'oublie je pense. Oh, Ed, que fais-tu? Es-tu dépassé par les événements? Ô Gwendoline, pure beauty, attends-moi à Cythère, je t'y retrouverai après mon shift de télémarketing. Ô

- 108 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Edwin, pure beauty, laisse-moi un demi siècle et je te retrouverai dans mon lit. Dear God, je suis venu sur cette planète parce que, me disait-on, il y avait beaucoup à apprendre. Un édifice complet m'est tombé sur la tête ce mois de mars, et je ne distingue pas ce que j'ai appris. Croyez bien que je désespère d'en voir davantage et pour l'instant, je ne peux attendre de me retrouver dans les bras d'un humanoïde que j'ai connu. Veuillez me faire parvenir immédiatement la marche à suivre pour trouver la sortie du labyrinthe, j'attends la réponse vers neuf heures ce soir, après le travail. Et puis tant qu'à bien faire, agréez, dear God, mes salutations distinguées. Vôtre, RM.

J'ai parlé avec Edwin. On s'est répété les traditionnels bonjour et discours presqu'amoureux, on se verra vers la mi-avril. Ô horreur, cela est long, mais comme il dit, moi au moins j'ai Bruno pour me contenter. C'est vrai que lui doit souffrir de n'avoir personne avec qui coucher. Mais peut-être couche-t-il avec d'autres et qu'il n'ose pas me le dire. Je le souhaite, ainsi il ne souffrira pas trop. Mais il disait à la blague qu'un coup à Ottawa, il chercherait un mec avec qui passer la nuit. Je lui ai dit non, eh, il vient pour moi, pas pour que je souffre de la voir coucher avec un autre!

22 mars 1994

Mes opinions changent comme la température. Une lecture du Voir, journal de la ville de Montréal, et me voilà converti à la culture québécoise. Je regretterai un jour de ne pas avoir passé par Montréal, peut-être. En fait, j'aime bien Montréal, mais si je veux faire différent, il est bien de vivre au Saguenay-Lac-St-Jean et à Ottawa. I'm out of space, j'appartiens à toutes les époques de la littérature dans mes cours. Et je peux quand même apprécier le talent québécois. Les Portes Tournantes, c'est quelque chose comme film. Jésus de Montréal aussi j'imagine. I'm out of space. C'est le temps que je fasse mon entrée dans la civilisation si je veux me défaire de mes préjugés. J'apprécie Ottawa pour son unique caractéristique, que pour une région de plus d'un million d'habitants, la culture est complètement inexistante. Tout provient d'ailleurs, par bribes, Montréal ou Toronto, et pour peu que l'on lise The Citizen d'Ottawa et que la sous-culture anglophone ne nous intéresse pas, we are

- 109 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

free of influence, almost.

24 mars 1994

«À l'intérieur, c'est plein de papillons», l'homme est en amour. Drôle d'expression. Moi ma bedaine est pleine de chenilles! Il me faudrait faire un kermess pour les métamorphoser en papillons. Joël Cyr aussi écrivait des lettres à la Vierge Marie et les brûlait. C'est donc que c'était une pratique courante, ô mon Dieu. Je devrais brûler mon journal et attendre une quelconque réponse du ciel par la poste. Peut-être la réponse sera positive, juste pour faire contraste avec les Éditeurs.

L'infidélité! De tous les livres qui ont fait sujets d'exposé dans ce cours de mme Bourbonnais, les deux tiers portaient sur l'infidélité, et l'autre tiers l'avait en thème secondaire. Même l'Immortalité de Kundéra parle de ce sujet. C'est une constante qui reflète bien la conscience d'une collectivité. Tout le monde se trompe l'un l'autre, et en souffre. Si je devais me faire un nouveau chum, je crois que ce sera clair dès le début: je ne vais pas chercher les moyens de coucher avec d'autres, mais si le contexte s'y prête, je ne pourrai et voudrai résister. Et ainsi il n'y aura plus de mensonge ni de remord. La collectivité pourrait-elle en venir à ça? Non, ça sonne trop immoral une relation ouverte, et c'est le chaos en un sens. Imaginons un instant une société qui accepte la relation à droite et à gauche, avec plus aucune stabilité «apparente», en une activité bien en delà du message religieux. Ça, ce ne sera pas généralisé, même si tout le monde couche déjà avec tout le monde, même les plus Chrétiens. Il faut le dire, c'est une mani chez les hommes de tenter de se rendre coupable et se faire du tort mentalement, sans raison. On aime ça la flagellation psychologique, on est masochiste. Et tout ce petit monde croit en Dieu et au purgatoire et juge et condamne les homosexuels. C'est beau l'altruisme.

25 mars 1994

Retour sur le 216. Everything makes me sick. Je suis tellement malade! Dans la tête

- 110 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

aussi. Je ne serais pas surpris que l'on finisse par m'enfermer, comme Artaud. Joël s'est mis à pleurer «comme un bébé» avant hier au travail. Est-ce si difficile cette passion pour Jake? Prétextant l'école, il a fait une méchante crise. Ainsi tous les étudiants sont dans la même situation que moi. Et moi je ne pleure pas. Je regarde par la fenêtre, j'aurais envie de partir dans le ciel, mais je m'écraserais sur le trottoir. Pourquoi? À cause de mes problèmes de conscience, pas Bruno, mais mes travaux d'école. Que la vie peut être exécrable parfois, et fort souvent. Je regarde les édifices, cela s'écroulerait et rien ne changerait, il me faudrait tout de même lire 2000 pages et en écrire une centaine d'ici Mercredi prochain. Je souhaiterais n'avoir jamais entrepris l'étude de la langue française, il n'y a pas pire calvaire sur la planète. Si je passe à travers ma session, je jure de remercier le ciel et d'écrire une lettre au bon Dieu, pour le remercier (une lettre à la Terre en l'occurrence, il me faudra donc l'enterrer au lieu de la brûler? Bof, je vais la brûler, les cendres ou les molécules changées risquent davantage de retomber sur la Terre que d'aller au ciel. Quand je dis qu'il est temps venu de m'enfermer!): Dear God! Do something or I'm gonna kill someone. I'm not going to wait until they figure out I'm crazy OK? I want to see Edwin Edwin Edwin Edwin Edwin Edwin Edwin Edwin Edwin Edwin Edwin Edwin.................. C'est peut-être une idéalisation, j'aime Edwin moralement? Mais surtout lorsqu'il est là. Physiquement aussi donc. Ça aussi ça pèse sur mes épaules. Tout le monde a-t-il son petit Edwin qu'il souhaite tenir dans ses bras éventuellement, et qu'il se rend malheureux pour ça? C'est déjà bien assez...

30 mars 1994

Je veux partir sur une brosse de malade. Encore deux semaines à vivre sans sous. J'ai fait une épicerie de 60$, en trois jours j'aurai passé au travers. Après cela je vais continuer à gruger le fond des armoires. Non, j'exagère, j'en ai encore pour une semaine avant de recommencer à gruger. C'est drôle, je vois davantage à ne plus gaspiller. Je vais dorénavant, comme je l'ai déjà dit, manger jusqu'à la dernière tranche de pain.

Peut-on voir clair pendant le mois de mars? Spécialement à la fin? Surtout que, par expérience, il déborde dans le mois d'avril. Que je suis las, las de tout. La vie me traverse

- 111 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

sans que je m'en rende compte. Je prend des décisions directement par la raison je serais porté à dire, mais c'est le coeur. Je suis en amour avec Paris, le même sentiment que lorsque je voyais mon départ pour Ottawa comme une délivrance. Un sentiment plus fort, parce que j'étais davantage au désesppoir en ce temps, je souhaitais qu'Ottawa soit une délivrance sans y croire assurément. En fait, Ottawa fut une délivrance. Qu'ai-je à attendre de Paris maintenant? Un RM en transition, constamment en transition, transition encore et encore...

1er avril 1994

Mon calvaire se terminerait-il aujourd'hui?

3 avril 1994

La descente aux enfers commence. Je croyais avoir vu mon calvaire de près, je me trompais. Hier au lit chez Bruno, j'ai eu l'idée de regarder les numéros de téléphones qui avaient appelés, je le fais souvent non pas pour vérifier ou surveiller des choses, mais parce que c'est un gadget intéressant. Quoique je me pose toujours des questions à savoir qui sont ces numéros, et peut-être bien qu'à la limite c'est parce que je m'inquiète. Eh bien, un numéro qui commence par 567, c'est-à-dire dans le secteur autour de l'Université d'Ottawa ou Downtown, avait la mention 24, ce qui signifie que la personne avait appelée 24 fois. Même moi n'avais téléphoné que 4 fois. J'ai demandé comme cela à Bruno, sans trop m'attendre à de réponses, je ne lui demandais pas plus que ça d'informations là-dessus, je pensais même que l'appareil était détraqué. Je shake au moment où j'écris ces lignes. Comme hier. Bruno m'a alors dit qu'il ne savait pas qui c'était. Puis il m'a avoué que Glenn avait trouvé son numéro dans l'annuaire puis qu'il n'arrêtait pas de l'appeler depuis. D'accord, cela ne me dérangeait pas. Mais il avait sur le coeur cette chose qu'il devait m'avouer, alors il m'a dit avoir rencontré Glenn à l'Université d'Ottawa et qu'ils étaient passés à l'appartement de Glenn. Bruno s'excusait, s'excusait de ne pas me l'avoir dit. Fine, j'm'en fous. Mais j'ai bien compris qu'il avait davantage de choses à se faire excuser. Il m'a enfin dit ce qu'il avait à dire: Glenn lui aurait sauter dans les bras, puis s'est frotté contre Bruno. Un peu plus tard, il

- 112 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

avait même frotté la mauvaise place, bien qu'ils étaient habillés. Je voulais mourir. J'ai eu beau me dire que j'avais fait pire avec Edwin, impossible. Je shake en ce moment, je shakais là, je suis alors allé à la salle de bain. Maintenant, j'essayais de voir jusqu'où c'était allé. Eh bien Glenn avait ouvert ses pantalons, puis avait ouvert ceux de Bruno. Ils se sont masturbés, ils sont venus. Ils ne se seraient pas embrassés. Je suis retourné à la salle de bain. Cette épreuve fut pire que celle de mon infidélité contre Bruno. Je n'ai point été capable de le juger, étant dans la même situation. Je ne lui ai pourtant pas dit l'histoire avec Edwin. Car alors il n'aurait plus été à New York, n'aurait plus parler à Edwin, Ed m'en aurait voulu et n'aurait pu revenir à Ottawa.

Si l'épisode de Edwin ne se serait pas produit, la rupture entre moi et Bruno aurait été instantanée. Aucun pardon possible. Sans compter cette peur qu'il recommence, qu'il couche avec Glenn en cachette, double relation humiliante. Edwin est loin lui. Bruno me dit qu'il ne veut plus recoucher avec Glenn, il le connaît maintenant, il n'est pas si bien. Mais qu'est-ce que cela veut dire? Jusqu'où vont les mensonges? Cela m'a pris deux heures pour arriver à connaître la vérité, sans quoi, sot que je suis, je ne saurais que l'aspect visite chez Glenn. Je l'ai poussé en prenant pour acquis dès le début qu'il avait couché avec. Ainsi, avec 24 téléphones, peut-être que la rencontre à l'Université est une invention? Bruno est tout simplement allé directement chez Glenn, sachant exactement ce qu'il allait y chercher? Je les ai bien vus au Tactiks, j'ai alors souffert de les voir ensemble, ils m'ont, comme par hasard, perdu dans la brume pendant 45 minutes. D'autres mensonges? Ils vont recoucher ensemble, c'est certain. L'autre continue d'appeler sans arrêt, ils discutent sûrement, on ne couche pas avec quelqu'un sans développer une sorte de complicité. Et ainsi, moi et Bruno, sommes aussi pire que tout le reste.

Je ne suis pas assez fou pour ne pas voir que cette similitude entre mes actions et celles de Bruno ne sont pas significatives à plusieurs niveaux. Premièrement elle signale un problème dans notre relation, ou du moins, un désir de bien voir si la relation existe bien, ou si son avenir est à remettre en cause. Deuxièmement, j'ai souffert tout le mal que je cause ou pourrais éventuellement causer à Bruno en couchant avec Edwin, puis en lui avouant

- 113 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ensuite. J'ai tant eu mal, que je ne lui dirai pas pour Ed. Mieux vaut lui éviter cette crise, même si cela pouvait le soulager de comprendre qu'il n'est pas seul à avoir triché. Peut-être pense-t-il le contraire? Ça m'a détruit complètement. Il se pourrait que Glenn soit plus beau que moi aux yeux de Bruno. Mais pourquoi donc ne s'est-il pas arrêté? Plus fort que lui? Pourquoi jouait-il tout son avenir avec moi, pensait-il trouver mieux en Glenn? Les mêmes questions à propos de Edwin deviennent intéressantes. Pourquoi donc ne me suis-je pas arrêté? J'ai tout fait pour m'arrêter, cela ne s'est pas fait spontanément, deux ou trois heures avant que je tombe dans ses bras, après avoir tant voulu rien faire. Bruno n'a eu les remords qu'après être venu. Pas hésité une seconde avant de passser à l'acte. Lequel est le mieux? Moi qui a eu le temps d'y penser, d'en prendre conscience, ou lui qui n'a pas réfléchi, geste spontané? Mais moi je voulais connaître ce que c'était qu'un autre homme, cette expérience qu'il me manquait, mais que lui a déjà bien expérimenté avec ses 10 à 15 derniers partenaires, à moins que ce ne soit davantage?

Que tout est à remettre en question maintenant! Comment le laisser? Impossible. Comment l'aimer? Difficile. Comment lui faire confiance? Quel calvaire. Et que cela soudainement m'ouvre toutes les portes vers l'infidélité en série. J'ai téléphoné le jeune Philip, avec l'espoir de le voir. Même s'il ne m'intéresse pas. Le gars de 16 ans est retourné vivre chez son chum Mark (Mark qui trompe Phil avec son roomate d'ailleurs), et est revenu à ses habitudes pantouflardes, son chum ne lui laissant aucune liberté. J'ai bien regardé Neil, jamais je n'aurais le courage de lui sauter dessus comme a fait Glenn avec Bruno. Et pourquoi vouloir détruire sa relation avec John? En plus que ce dernier viendrait qu'à le savoir, l'hônnêteté de Neil n'est plus à prouver, on me jetterait à la rue. Et puis je ne veux rien savoir de personne. Mon sentiment est la jalousie. Moi aussi j'aurais aimé le faire avec Glenn, on aurait même pu le faire à trois, et comme cela aurait été facile à digérer. Mais les choses se sont passées pour multiplier les parallèles et me faire comprendre les implications de ma relation avec Edwin. Puis-je en vouloir à Bruno? Je lui en veux, comme il m'en voudrait s'il savait. Lorsque j'imagine la fameuse scène, j'ai envie de pleurer. Semble que je l'aimais le Bruno. Moi qui m'ai tant posé la question. Je suis certainement dû pour la dépression jusqu'à la fin du mois d'avril, et après, le Soleil ne se montrera guère, je ne sais plus

- 114 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

où j'en suis, ce que je veux, attends...

En fait je n'aurais qu'un désir, celui de voir Edwin et lui faire l'amour sans aucune contrainte psychologique, aucun remords, pendant quatre heures (un rêve).

* * *

Edwin, voici la cassette de chansons françaises promise, et les extraits de mon journal. Je pense sans cesse à toi, surtout en ce moment. Tu viens bientôt j'espère? La feuille suivante c'est la première chanson de la cassette. Cette chanson sera la nôtre, à toi et à moi, elle décrit exactement notre relation. Vôtre, RM.

- 115 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Les Feuilles Mortes

Oh je voudrais tant que tu te souviennes

Des jours heureux où nous étions amis

En ce temps-là la vie était plus belle

Et le Soleil plus brûlant qu'aujourd'hui

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle

Tu vois, je n'ai pas oublié

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle

Les souvenirs et les regrets aussi

Et le vent du nord les emporte

Dans la nuit froide de l'oubli

Tu vois, je n'ai pas oublié

La chanson que tu me chantais

C'est une chanson qui nous ressemble

Toi tu m'aimais et je t'aimais

Nous vivions tous les deux ensemble

Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais

Mais la vie sépare ceux qui s'aiment

Tout doucement, sans faire de bruit

Et la mer efface sur le sable

Les pas des amants désunis

- 116 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

8 mai 1994

J'ai encore eu la même conversation avec Bruno qu'on a once in a while quand je commence à manquer de confiance en ce que j'écris et que je réussis à me convaincre que c'est pourris complètement. Il me dit alors d'écrire un vrai roman comme tout le monde, que je n'ai qu'à puiser dans ma famille, il y a là matière pour un roman plein de personnages significatifs; en commençant par mon grand-père religieux à planche accusé de pas trop être chrétien en pratique, Jean-Paul, homme de maison, quatre enfants, saleté incorporée à chaque objet qui entre dans la maison. Et pourquoi pas y ajouter l'histoire de nos infidélités? J'aimerais mieux abandonner l'écriture. J'y pense d'ailleurs. Pire, je pense même m'en aller en génie électrique en septembre. Porte de sortie à ma non-acceptation en maîtrise, et même si j'étais accepté. Y'a pas d'avenir là-dedans. J'oublie l'histoire de la Chine, Bruno m'a convaincu que j'étais trop ignorant pour ça et j'Avoue sincèrement que ça me tente pas d'écrire ça. Manquerait la poésie, le second et troisième niveau d'interprétation, ressemblerait trop à un roman, je n'aurais aucun intérêt à le relire. Enfin, n'importe qui pourrait l'écrire, on aurait qu'à passer une annonce dans le journal: «Recherche auteur moyen pour écrire l'histoire d'une chinoise perdue en Amérique du nord, qui croyait trouver le paradis et qui a été bien déçue». On aurait qu'à lui laisser un mois et demi, les 400 pages seraient à oublier dans une bibliothèque après avoir peut-être fait l'objet d'un article dans le journal.

Revenons plutôt à quelque chose de mieux. L'Univers Artaudien, véritable voyage initiatique à travers la Cruauté, pour conduire à? Il me faut premièrement prouver qu'Artaud a bel et bien passer à travers une inititation (à la vie peut-être), que tous les ritèmes, à travers ses oeuvres, sont présents; qu'il y a bien une légende basale (celle de l'Amérique du Sud, peut-être orientale); prouver qu'il y a un jour, une nuit, une renaissance, etc. Dans un deuxième temps, il me faut voir où cette initiation a conduit, quel en était le but: découvrir l'essence des choses, de la vie? Quel bilan on retire de ce voyage initiatique où on l'a accusé de folie lors de ses égarements? Prouver qu'il y a bien un videment de cerveau qui s'accomplit lorsqu'on le retrouve entre autres errant perdu dans une ville en Irelande (je crois), voir une déstructuration, un décret et un serment, une restructuration ensuite (de quoi, qui

- 117 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mène où?). J'en ferais le sujet de ma thèse.

17 mai 1994

Hier je pensais au suicide. C'est drôle, je n'avais pas de tendances suicidaires depuis longtemps, Kurt Cobain me ferait réfléchir? Réfléchir sur le sens que je peux donnner à l'existence, en admettant que le sens est facultatif, je me demandais quel objectif valait encore la peine d'être suivi, laquelle chose était encore importante qu'il faille que je reste en vie. Il est certainement normal que je me sente entre ciel et terre, l'Université d'Ottawa n'est pas capable de prendre décision avec mon cas, j'ai aucune nouvelles des Universités de Paris (ils sont tellement cons, Paris 7 m'a renvoyé ma lettre pour la deuxième fois, Paris 3 pour la première fois, j'ai l'impression que Paris 4 va me renvoyer mes choses, dans ces conditions, j'abandonne. Un pays capable de se perdre dans sa bureaucratie au point de me retourner deux fois une demande d'admission via l'océan, ça fait peur et c'est certainement pire que le Canada question formalités, et rien ne m'écoeure plus que la bureaucratie. Je refuse de lutter contre ça, surtout s'il s'agit de mesure de découragement. Je me suis inscrit en Génie (!), échec lamentable en littérature, je vais devenir ingénieur. Le pire c'est que j'ai choisi mes 6 cours de philosophie que je vais suivre en septembre si je ne suis pas accepté en maîtrise (je ne peux pas les suivre, si j'ai mon diplôme de littérature, il me faudra en faire 10 au lieu de 6, vive la bureaucratie). Voilà où j'en suis, sans trop savoir où je serai dans quatre mois, sans même avoir de travail à l'heure actuelle, avec l'impression nette de perdre mon temps. J'ai relu La Révolution, ça m'a laissé un goût amer. Un autre livre impubliable qui sera pas publié, je vais même pas l'envoyer chez les éditeurs. André Montmorency vient de me téléphoner, il m'avait gelé l'autre jour quand je l'ai appelé pour de l'aide, il voulait que je le rappelle avant de lui envoyer mes pièces de théâtre, il était tellement bête, que j'ai décidé de lui envoyer sans le rappeler. Il m'a dit qu'il était frustré à cause de ça, il a lu Antoine, il m'a dit d'arrêter de faire lire ça, que ce n'étais pas une pièce de théâtre, que ça ne lui disait rien, que c'était immontable. Il m'a cependant invité à lle rappeler à la fin juin, il aura alors lu La Légende de Val-Jalbert, et que si je passse à Montréal, de lui lancer un coup de fil, de passer chez lui, il me montrerait des choses. Ne me dites pas que les homosexuels se tien

- 118 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

draient entre eux? Comme les juifs? Je sais qu'il n'a aucun intérêt en moi, à moins d'être pervers, il a 54 ans (je veux dire qu'à cet âge, jamais je croirais qu'il penserait que je pourrais m'intéresser à lui). Parlant de perversité, moi et Edwin on s'était entendu pour qu'il vienne hier. Au début ça me tentait pas trop, je l'invitais à contre-coeur, regrettais même de lui avoir dit de venir. Il croyait que je ne pensais plus à lui, ce qui est presque vrai d'ailleurs, je ne croyais pas qu'il viendrait. Je pense qu'il me serait aussi difficile de le refaire que la première fois. Mais il n'est finalement pas venu. Par respect pour Bruno, son ami. Ou plutôt par peur du mensonge, il se fait toujours fourrer à ce jeu. Si ce n'était pas Bruno mon chum, si c'était un inconnu pour lui, il dit qu'il n'hésiterait pas à venir. Il trompais ses blondes aller-retour, quelle morale peut-il m'enseigner? Tout à coup monsieur devient morale, laissez-moi rire. Il a plutôt l'impression qu'il est encore dans l'estime de Bruno (ce qui est totalement faux (faites-vous tromper par quelqu'un et restez ami avec pour voir)) et il a peur que je le redise à Bruno s'il arrivait quelque chose. À moins qu'il ait peur de tomber sur Bruno en venant ici, il dit qu'il est du genre comme ça, à dire à un ami qu'il pourra pas sortir, aller dans New York et paf, toomber sur cette ami. Il dit qu'il viendra peut-être plus tard. Le pire c'est que c'est lui qui en souffre le plus, c'est lui qui tuerait pour me voir, moi il m'a fallu un conditionnement de trois jours pour enfin avoir vraiment envie de le revoir, souhaiter coucher avec lui. Premièrement il fallait que je me dise que je ne dois pas m'empêcher de vivre pour Bruno, il ne s'empêchera pas lui. Un gars qui couche comme ça avec un autre, pour le trip, c'est dangereux. Il le refera s'il en a l'opportunité, c'est certain. Avec l'âge, il pense qu'il pourra plus bientôt en profiter, alors il manque aucune chance. D'ailleurs j'ai pas digéré le fait qu'il savait que Glenn était en Lituanie, c'est significatif qu'il avait garder contacte avec lui. I have a big problem of trust right now, I guess I wouldn't be able to stay with Bruno, surtout when I'm unable de le tromper à nouveau, que je ne le veux pas. Ce sera peut-être la même chose avec quelqu'un d'autre, je m'en fous. John est entré dans ma chambre presque en pleurant hier, il shakait comme c'est pas possible, il m'a dit qu'il a fait tellement de choses pour moi, qu'il m'avait reconduit une fois à la station d'autobus, qu'il m'avait garder ma chambre pendant l'été passé sans que je paye, et une autre chose que je me souviens plus et qui était encore plus délirante, il dit qu'il fait beaucoup pour moi et que moi je n'ai aucun respect pour lui, pourquoi? Parce que voilà un an et demi, son père est venu et

- 119 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que moi et Bruno on a fait l'amour ensemble et que son père ne doit pas le savoir que John est gai. Premièrement, John qui m'exploite maintenant depuis deux ans (j'achève de payer sa maison), libre à lui de croire qu'il fait tant de choses pour moi, mais pour ma part, il ne fait absolument rien pour moi. Pire, il me rend coupable de vivre, j'ai de la misère à prendre un bain, je ne peux faire mon lavage, je n'ose pas toucher au chauffage, chaque fois que je fais la cuisine j'ai l'impression qu'il me regarde en souhaitant se débarrasser de son roomate, si je lis le journal, je me sens comme quelqu'un qui perd son temps et qui n'a pas d'avenir. Surout que là je suis chômeur professionnel, je suis ici en permanence. Je me sens coupable de vivre! Hey, il m'a reconduit à l'autobus voilà 1 an et quelque, je ne peux croire qu'il ait pu dire ça. Ses anciennes roomates, il leur prêtait l'automobile, ils allaient faire leur épicerie ensemble, je n'ai jamais eu cette sorte d'aide. Il m'a reconduit une fois, fine, mais combien de fois j'aurais eu besoin qu'il m'y conduise, les taxis que j'ai pris, les autobus avec des gros paquets, des sacs plein. La société est-elle rendue si basse que si on se fait reconduire une fois en deux ans sur 350 voyages aller ou retour, it means that «I do so much for you»? Pire, son loyer gratuit durant l'été, peut-être a-t-il perdu la mémoire? Je lui avait dit de trouver quelqu'un pour l'été, qu'au pire allé je me trouverais quelque chose d'autre en septembre. Il avait même trouvé quelqu'un, Song Pai, il voulait justement demeuré là pour l'été, mais il voulait la paix, il voulait avoir un roomate de moins, c'est la seule raison pourquoi il m'a pas fait payer, surtout que moi j'aurais alors crisser le camp. Il y a un boutte à payer quatre mois de loyer dans le beurre. Il a dit que je lui avait menti en lui disant que cela me surprenait que j'avais fait des choses avec Bruno while his father were here. J'arrivais pas à me souvenir, cela faisait un an et quelque. Après il m'a accusé to try to deny it. Le con, il se rend pas compte que quand cela fait si longtemp, que je suis déja en christ contre lui parce que vivre ici c'est pire que chez mes parents, ça devient embarrassant de se faire faire une morale comme ça, devant tout le monde (devant son ami Rob et Bruno)? J'essayais pas to deny it, je'l'sais que j'ai fait l'amour avec Bruno, j'essaye de me justifier, impossible. OOn a fait l'amour sur le plancher, à cinq heure du matin, pendant que son père ronflait assez fort pour tenir toute la maison réveillée! Je n'arrive pas encore à comprendre comment John ait pu nous entendre (c'est peut-être dans son imagination, à moins que c'est vrai que cet esti de plancher là craque pour une mouche qui s'y pose) il fallait qu'il ait les oreilles rivées au

- 120 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

plancher. Je le soupçonne d'avoir entendu un craquement, d'en avoir déduit qu'il se passait des choses, de monter un bateau ensuite, à un an et quelque d'intervalle. Esti que j'en peux pu. Je pense que j'atteins la fin du rouleau. Quand bien même on voudrait me presser pour faire sortir le jus qui reste, y'en a pu. Y'a pu rien pour me motiver à continuer.

Quatrième lettre à Edwin

- 121 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

5 avril 1994

(Conversation avec Joël Cyr dans mon cours avec M. Simard:)

-Conseille-moi, je ne puis plus l'aimer comme avant, je ne puis non plus le laisser, je ne peux me retrouver seul en ce moment, et surtout me trouver quelqu'un d'autre. Il me dit que c'est une erreur, qu'il m'aime, ne veut pas me perdre, ne recommencera pas (et toute la bullshit qui habituellement va avec ça). En tout cas, comme j'aurais eu regret de pas avoir été jusqu'au bout avec Ed. Je ne sais plus où j'en suis, mais maintenant je ne m'empêcherai plus jamais d'agir comme je l'entends, dans n'importe laquelle relation.

Je savais qu'en passant au Centre Universitaire j'allais rencontrer Glenn Strange (c'est son nom. Un autre tour de force: 569-3306, c'est son numéro.) Je lui ai donc parlé. Dis que je savais ce qui s'était produit, raconté un peu la situation, voir s'il n'en ajouterait pas quelque chose: j'ai appris entre autres que Bruno savait ce qu'il allait chercher dans l'appartement de Glenn, qu'ils en avaient donc parler de faire l'amour avant et qu'ils allaient là pour coucher ensemble. Ce n'était donc pas un coup de tête, Bruno n'a pas été pris par surprise et cela a probablement duré plus que quinze minutes. En plus, Glenn a dit que Bruno n'avait jamais vraiment parler de moi, qu'il voïdait le sujet pour se laisser le champ libre avec Glenn. Ainsi c'est délibérément que Bruno a voulu me tromper. Cela me rassure (!)(en un sens) il est donc comme moi. Ç'aurait peut-être été pire s'il avait été séduit sur le coup du moment, ce qui est dangereux pour l'avenir, il coucherait donc avec n'importe qui, mais c'est aussi pire dans l'autre sens, pourquoi donc cherchait-il à coucher avec l'autre, que dois-je comprendre? S'il s'est donc produit quelque chose, Bruno a voulu que ça arrive, le souhaitait, et puis c'est arrivé. Avait-il besoin de me comparer avec le jeune Glenn (21 ans, comme moi). Puis ayant découvert que j'étais mieux, le voilà revenu? Comment cela ne me ferait-il pas avoir envie de courir loin de Bruno, en dépit de ce que j'ai fait avec Edwin... N'est-il donc plus sûr de moi? Je prends cela tel un rejet, comme s'il ne m'appréciait plus, ou avait des doutes. Il m'est donc difficile de continuer cette relation. Même si j'ai couché avec Edwin, je gardais une complicité avec Bruno. Maintenant, que j'aie couché ou non avec Ed, la complicité est rompue. Bruno se place au même niveau que tous les autres, il ne m'appartient plus,

- 122 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

je ne lui appartiens plus. Plus particulièrement dans cette période de transition. Tout est changé, peut-être parce que je veux que cela soit ainsi? La communication a été rapide entre Glenn et Bruno après ma discussion avec le Stranger. Moins d'une heure après notre conversation, Bruno était au courant. Bruno me l'a reproché, ils se sont entendus sur des mesures à prendre. Bruno m'a dit que Glenn ne voulait plus se mêler de nos affaires, qu'il ne voulait plus communiquer avec Bruno. Je ne sais pas pourquoi, ce n'est pas possible. Pourquoi donc Glenn ne voudrait plus parler à Bruno? Et quel intérêt Bruno a-t-il à vouloir me faire croire cela? Me montrer que les liens seront définitivement coupés? Il me répète encore que ce serait injuste que je le laisse, que je serais stupide. Mais d'où ça sort ça? Croit-il que l'épisode avec le prof de français, alors qu'il m'ait pardonné, je devrais lui pardonner? S'est-il appuyé là-dessus pour se convaincre qu'il pouvait coucher avec Glenn sans que je réagisse? Avait-il garder en mémoire qu'il pourrait me tromper, a attendu l'occasion, puis s'est dit que je lui pardonnerais, prétextant que je n'avais pas le choix parce qu'il m'avait pardonné deux ans auparavant? I'm not that stupid! En plus, s'il m'a trompé là, il m'a peut-être trompé ailleurs. La seule chose qui fait qu'il me l'ait avoué c'est qu'il croyait que Glenn le dirait à Joël puisqu'ils sont amis, et lorsque je lui ai dit que Joël avait quelque chose d'important à me dire (et je ne sais d'ailleurs toujours pas ce que c'est), Bruno s'est mis à paniquer, m'a tout avoué. Et les années passées, lorsqu'ils voulaient me laisser, y avait-il quelqu'un d'autre là-dedans? Mike peut-être, à la limite? Crisse que j'aurais alors été stupide, ils avaient même des soupers à la chandelle pour fêter leur anniversaire... He thinks I should get over it (l'histoire de Glenn), fuck you man! Juste pour lui faire comprendre, j'aurais envie de le laisser là, au moins pour quelques temps. Mais je ne le ferai pas, garderai tout de même mes distances, parce que je ne puis faire autrement, je souffre trop. J'ai d'ailleurs davantage envie d'aller voir ailleurs, mais je ne suis pas dans la position, ni le temps, la possibilité... avec Edwin, j'étais paralysé par ma conscience (et dire que Bruno lui, se portait très bien dans ses actions). Peut-être voudrais-je coucher encore avec Edwin. Je ne sais plus où j'en suis! Je ne sais plus quoi faire!

6 avril 1994

- 123 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Bon, Bruno avait désirer Glenn au même point que moi Edwin. Je commence à accepter ce fait. J'espère que cette idée de sauter dans la rue et rencontrer cette personne magique me passsera. Hier j'ai couché avec Bruno. Crisse qu'il est beau. Qu'ai-je donc à vouloir aller ailleurs? J'ai éjaculé trois fois en trois heures, en ces temps, ça veut dire que je suis en manque. Je vais m'orienter vers le retour complet à Bruno. Je ne vais pas chercher à coucher avec Edwin s'il revient. Si cela arrive, cela arrivera, mais je ne ferai pas d'efforts en ce sens. Alléluia, Dieu me guide enfin sur le bon chemin. (Je serais stupide de la croire, surtout que je suis toujours homosexuel, mais les gens perdent leurs proches dans des incendies, accidents d'auto, et réussissent tout de même à glorifier Dieu ensuite. Prétextant peut-être la grâce de ne pas avoir été frappé à la place de l'autre? Ce qui serait déjà très égoïste. Ou prétextant que les choses devaient se passer ainsi. Sans comprendre pourquoi, sans même se poser la question. Moi, dans ces cas, et je le remarque en ce moment même, je m'exerce à voir les conséquences de tel événement et j'essaie d'y voir du positif. Peut-être pour me contenter, qui sait? Mais à croire à un genre de destinée, et à agir en fonction de cela, voilà déjà un certain contrôle sur l'existence (pourrais-je croire cela?). L'épisode de Glenn est fort concluant. J'étais certain de le rencontrer au centre Universitaire, le timing était extraordinaire. Je n'ai même pas eu à me dépêcher, je savais que le temps de ma marche, l'attente aux lumières, tout était calculé pour que je le rencontre. Il y a eu séduction entre eux deux, Bruno m'a dit, et Bruno a embarqué. Il en voulait à Glenn qu'il m'ait dit que Bruno voulait coucher avec, et qu'ils soient allés à l'appartement sous le prétexte de coucher ensemble et non sous un faux prétexte inventé par Glenn. I have to stop these little conversation with myself, I'm getting really depress...

7 avril 1994

Conversation avec Mireille dans la classe de la Bourbon:

-Bruno a couché avec Glenn Strange (c'est son nom), et ce, sans qu'il sache l'histoire d'Edwin, qu'il ne sait toujours pas d'ailleurs. J'ai cru mourir lorsqu'il me l'a avoué. Crois-moi, tromper son chum est une chose, se faire tromper par son chum en est une autre plus terrible. C'est un paradoxe tu croiras, puisque j'ai fait la même chose. Mais c'est pas là mon

- 124 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

impression. L'autre appelle tout le temps chez Bruno, and I don't know what's going on! Bruno ment comme un déchaîné, mais il veut rester avec moi, veut pas me perdre (la bullshit habituelle qu'on est en droit de s'attendre suivant une telle confession). Edwin m'a juste permis de pas laisser Bruno sur le coup, je te jure que je l'aurais laissé.

-Tu devrais peut-être lui avouer à Bruno. Jette tes cartes sur la table toi aussi.

-Quelles seraient les conséquences? Il serait content, penserait que tout s'annulerait alors que ce n'est pas le cas, je considère Paris, l'été à Jonquière... et en plus, si je peux lui épargner cette souffrance que j'ai souffert, je le ferai.

(Fin de la conversation.)

8 avril 1994

Je souffre. Je panique. Je semble accepter l'idée de retourner avec Bruno à 100% et je ne me méfie pas suffisamment. Avant-hier, on arrive chez lui à 12h30 de la nuit, le téléphone sonne, c'est Glenn. Quelle dépression. Mais le meilleur, c'est hier. Moi et Bruno on se rencontre pour aller prendre un café, il veut absolument passer par le Centre-Rideau alors qu'il fait si beau dehors, en plus, il insiste pour passer par le Eaton alors que je ne voulais pas, cet endroit me fait chier parce qu'il y a tout plein de gais qui travaillent là ou à La Baie, et en ce moment, ça m'est un calvaire d'en rencontrer. Mais enfin, on est passé par là et devinez qui on rencontre? Bruno voulait se cacher, j'ai dit que ça donnait rien, il nous avait déjà vus. Mais Glenn à vite tourné, il a pris l'escalier roulant qui montait (le pauvre, il s'est probablement retrouvé à la morgue de Eaton, l'endroit où l'on place les choses non vendues depuis des millénaires). Et encore, quel calvaire! Bruno se demandait comment il pouvait être si peu chanceux, y'a de la destinée là-dessus, je l'ai compris qu'il y avait un message à comprendre! Mais lequel? Et le pire, c'est moi la cause de ces stupides situations, quelle humiliation qu'il faille fuir en ma présence, ou se cacher pour cause de ma présence. Si je n'avais pas été là, ils se seraient parlés sans problèmes, peut-être même auraient-ils retourné à l'appartement de Glenn? Le trompé doit être tenu dans le noir, l'ignorance des événements. Et s'ils se parlaient? Ça va toujours en deux temps en plus, et moi, toujours avant: Bruno m'a trompé? Je l'ai devancé de deux semaines. Glenn téléphone en ma pré

- 125 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

sence? Edwin m'a téléphoné deux heures avant en la présence de Bruno. On rencontre Glenn? Deux heures avant on rencontrait le petit gars timide sur le campus, qui me fait des sourires imperceptibles que je perçois: je l'ai conté à Bruno ça, il ne m'en a même pas reparlé. Bruno pense que je vais le tromper bientôt et il accepte ça, même s'il m'a avoué qu'il souffrirait en crisse. Or, je n'ai pas l'intention de le tromper finalement. Peut-être Edwin s'il vient (je doute qu'il vienne d'ailleurs), et encore, Bruno sera présent tout le temps pour sûr désormais. Et même si je couchais avec Ed, je ne pourrais le dire à Bruno pour les raisons nommées avant.

12 avril 1994

Hier j'ai parlé avec Edwin, il est allé à Montréal comme prévu, a rencontré un gars au K.O.X., a passé la journée du lendemain avec. Ses idées sont: est-il bien gai? Ou est-il amoureux? J'avais osé lui dire un petit je t'aime l'autre jour, et tout de suite réprimé. Hier c'était le gros RM!, je t'adore! N'a-t-on pas skippé une étape ici? Pendant que je l'oubliais, car pas de photos, pas de lettres et pas de communication, lui il se rapprochait de moi d'une façon radicale, en traînant ma photo découpée danas son porte-feuilles et mes lettres, qu'il relit sans cesse, dans ses poches. The result, he's very close from my emotions, but the ones of the last month! Il veut venir cette fin de semaine, j'appréhende les complications: Bruno est en pleine crise existentielle, lui il vit aussi dans mes émotions, mais celles de dans quatre mois! C'est-à-dire mon hypothétique départ pour Paris, peut-être synonyme de la fin de notre relation. Il n'y a que moi, semble-t-il, qui ne vive pas dans mes émotions, je vis plutôt à l'heure de la transition qui se démène à l'intérieur de la Révolution. En effet, Bruno m'a rendu dépressif samedi soir (le 9 avril), ça m'a inspiré les germes, le feu et la couche atomique. Je me surprends encore de la qualité, à mes yeux, de ce passage en comparaison avec le reste. Heureusement je réagis aux crise et je recrache le tout dans mes livres. La Révolution sera un oubli complet d'un jeune innocent, une explosion littéraire, ou le simple lancement d'un livre.

17 avril 1994

- 126 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Que ma vie s'en va chez le diable! J'ai avoué à Bruno que j'avais couché avec Ed. Ma motivation? Après avoir vu le film de Denys Arcand, Love and Human Remains, je me sentais si bizarre... de toute manière ça n'allait plus. Je n'étais plus capable de dire à Bruno que je l'aimais. J'avais toujours ces arrières pensées pour chaque parole qu'il me disait. Lorsque je lui ai dit, dans mon lit, ô ironie, il se demandait s'il fallait rire, pleurer ou se suicider. Puis il m'a sauté dans les bras après s'être déshabillé, je n'avais pas envie de faire l'amour. Je lui ai dit ça comme si je lui disais que c'était fini entre nous. J'espérais cependant que les choses allaient se replacer, c'était soit que je le laissais sans lui rien dire, ou que je lui avouais et observais les événements. Eh bien, il semble heureux. Notre faute s'annule semble-t-il et nous pouvons recommencer à nous aimer encore plus fort qu'avant.

Je ne sais plus où j'en suis, c'est récurant. Plus particulièrement que j'ai parlé avec Edwin. Il est maintenant en totale dépression. Il se sent coupable de tout, il shakait. Il a de gros sentiments pour moi, sentiments qu'ils n'acceptent pas. Il ne peut s'avouer être gai, il ne le veut pas, se dit pas prêt pour une relation. J'ai débalancé sa vie, tout est devenu un bordel dans sa vie depuis qu'on s'est revu. Il veut pas perdre mon amitié, dépress parce qu'il pense avoir perdu l'amitié de Bruno. Il ne pense plus pouvoir venir à Ottawa, c'était prévisible. Il m'aime je pense, et moi aussi je l'aime. Comme je suis pogné dans ma vie actuelle. Est-ce que j'aime vraiment Bruno? Aurais-je vraiment de la misère à le laisser? Je n'aurais plus cette peur de le faire souffrir, même s'il souffrirait. Il m'a trompé, c'est significatif qu'il s'en sortirait sans trop de problèmes et souffrances je pense. En fait, cela m'affecterait moins de le faire souffrir. Depuis que je connais Edwin à Paris, je pense à lui, lorsqu'il m'a dit que c'était la même chose pour lui, il y a eu ce déclic. Et j'aimerais l'approfondir ce déclic, voir jusqu'où il conduirait. Et s'il pouvait venir à Paris en septembre? Alors je laisserais Bruno officiellement. Comme la vie est compliquée.

C'est la première fois de ma vie que quelqu'un éprouve de tels sentiments envers moi et qu'il me les communique avec autant de passion que cela me touche. Il est si loin, imaginons s'il m'avait fait ces déclarations en personne, je serais mort, on se serait laissé tombé

- 127 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dans nos bras, et une longue nuit d'amour aurait suivie. Vivement qu'il m'envoie ses lettres et les photos, si possible, il m'a dit qu'il y penserait à s'il m'enverrait les lettres. Hé, je lui disais que je voulais les lire, que ce n'était pas juste, il avait eu mon journal et moi rien, ma photo et moi rien. Cela ne l'a pas convaincu. Il dit qu'il ne s'est jamais ouvert comme cela à quelqu'un pendant ses 23 années, avec ces 15 blondes et ces 5 one night stand, et qu'il ne veut plus me faire parvenir ses lettres, il en a honte. Il a fallu que je lui dise alors que pour mon journal, ces lettres seront importantes si je devais écrire un roman ou un livre sur notre relation, alors seulement il m'a dit qu'il réfléchirait à savoir s'il me donnerait les lettres. Que la vie est compliquée. And how about to come here without telling Bruno? This little motel called Motor inn at Nepean, sounds interesting, just to see Ed, be with him, help him, sleep with him... il a cru pendant un instant que je m'intéressais à lui juste pour le sexe, mais que mes lettres lui disent le contraire. J'ai besoin d'une bonne bière. (Maintenant chose faite.) J'ai envie de le rappeler, lui dire non! Ne souffre pas, je n'ai jamais souhaité que ton bonheur! Je n'ai voulu que me rapprocher de toi, voir si mes sentiments iraient plus loin, si je t'aimerais comme jamais je n'ai aimé personne! Pauvre Edwin, hey! Je suis là, viens me retrouver, viens dans mes bras, je vais te consoler! Quel bonheur ce serait, si seulement j'en avais la chance, et encore, la distance c'est un, Bruno c'est deux, mes examens et le travail c'est trois et quatre, mon livre La Révoltuion c'est cinq. Ce dernier peut attendre, mais je serais porté en ce moment, dans mon impossibilité à agir, à ne travailler que là-dessus. Surtout que j'en arrive à la fin. Trois ans de travail acharné pour 150 misérables petites pages. Mais quel brique, si les éditeurs passent encore à côté de cela, j'abandonne, je n'écrirais plus que pour moi. J'enverrai comme cela quatre ou cinq copies et les oublierai tout aussitôt, pour me consacrer à un autre projet. C'est d'ailleurs ce qui va arriver avec la Révolution. Je n'ai aucune raison de croire que cela pourra déboucher, et je n'ai pas la force de le poster à des éditeurs pour voir leur réponse négative. La vie est compliquée. Je me sens encore plus coupable de ce que j'ai fait à Edwin qu'à Bruno. Et Edwin est si loin de moi. Je l'ai pourtant su que j'avais des sentiments pendant qu'il était là et les jours suivants. Et j'en ai, c'est certain. Il écoute ma cassette vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours par semaine, il relit encore mes lettres, je suis tout à fait responsable de sa crise. Et je viens de détruire ses rêves, je viens de l'achever. Et j'ai besoin d'une deuxième bière et

- 128 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

d'une cigarette. Si je pouvais le voir au moins. Je saurais à quoi m'en tenir en ce qui concerne mes émotions.

10h50

Ynan Wang à la rescousse! Elle m'a téléphoné, elle vient me chercher... elle aussi est débordée dans ses devoirs.

11h50

J'ai dit à Bruno que j'avais dit à Ed qu'il savait que Bruno savait. Bruno était en crisse contre moi, il voulait continuer à être ami avec Edwin en feignant d'ignorer les choses et ainsi aller aux USA cet été. Maintenant il pourra plus, il va se sentir trop bizarre. Pendant notre appel, Ed a téléphoné, Oh my God! Lui qui paniquait déjà. Bruno m'a demandé ensuite si c'était lui, je lui ai répondu que c'était Joël Cyr. Bruno appelle maintenant Edwin... Oh my God! I'm gonna die. How come all this happen to me while I have all these things to do. It seems that I'll never be able to finish my semester. What are they going to talk about? I told Bruno that I wanted to continue to talk with Ed anyway, he said «No way, he was my friend and now he's no more, and he will be yours? Maybe you want to leave me for him?» Will he find out I wrote 3 letters to Ed? What does he going to know that he'll say I'd lie for? Stupid telephone, I'm here waiting for the call of Bruno, and I will talk with Ed after for sure, it might be the end of my relationship with Bruno tonight. Cos I'm not accepting anything more, bullshit, can he tell me what to do after the Glenn story? What does he thinks and is going to tell Ed about? It might be the end of our relationship.

18 avril 1994

Two hours later, Bruno finally called. I was something between the zombi and the plant. Je n'arrivais plus à penser à rien, une passivité effrayante, mais Bruno finally called. No problem, it doesn't seems that bad. He said that Edwin told him everything, I said well,

- 129 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

what can he tell you more that I already said? Then he was talking about all the scene in bed, every move, etc. He wanted to know more about it, I said no, I'm not talking about it anymore. I just though he wants some contradiction to suffer a bit more. And still I'm not sure if he doesn't know stuff I don't know he knows, and I just dont care. The phone call just finish with I LOVE YOU that doesn't mean anything anymore. Et ça, ça m'inquiète.

Est-il possible qu'un homme là quelque part puisse m'aimer tant qu'il regarde ma photo tout le temps? Ses sentiments se communiquent trop bien, notre téléphone d'après fut bizarre, mais bien. Une atmosphère de détente régnait, comme après la guerre, le nuage était tombé. Je lui ai dit: «Je t'aime» et pour la première fois, je le disais et cela m'affectait. Il ne faut pas sous-estimer la portée de cette phrase, même si la littérature et le cinéma et la télévision l'ont dénaturée complètement au point qu'Ed a honte du mot. J'ai bandé à l'instant où j'ai prononcé le mot, lui de même, c'est inquiétant. Il m'a dit: «Je pense, que, enfin, je crois que moi aussi, oui ce doit être ça, je t'aime». Après j'aurais tant voulu qu'il me le répète au moins une deuxième fois, pour calculer l'impact que cela aurait. Ed serait-il l'âme soeur? Il me serait si simple d'étouffer tout sentiment. Mais non, je veux pousser ça jusqu'au bout, comme je semble me complaire à obliger les gens à faire face à des réalités auxquelles ils ne veulent faire face. Quel est donc le but que je poursuis en avouant à tout le monde n'importe quoi? Pourquoi ai-je poussé les choses aux événements d'hier? C'est déjà bien que j'aie souffert, sinon, ç'aurait été pur méchanceté, il n'y aurait eu que moi pour ne pas souffrir. Mais peut-on parler de masochisme? Une vie si plate que je me trouve les moyens d'y mettre de la couleur? Mais non. Tout cela sans cesse part d'un bon sentiment. Simple justice, j'ai reproché à Bruno sa relation avec Glenn pendant deux semaines et j'avais l'impression qu'il avait droit à son mot par rapport à ce qui c'était produit. Mais là, je me suis retrouvé à faire souffrir Edwin. Mais le pire c'est que cela a multiplié mes sentiments pour lui, maintenant je capote à l'idée de sombrer dans ses bras. Et je me demande à quoi cela va ressembler. Peut-être devrais-je laisser Bruno? La philosophie d'Edwin, nous serons des amis spéciaux, à distance, qui s'aiment sur plusieurs années et qui feront l'amour lorsqu'ils se verront. Sûr, c'est séduisant ça, c'est digne de la bonne littérature, et de la pourrie aussi semble-t-il.

- 130 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Edwin m'admire encore plus du fait que je lui ai dit à Bruno. Il pense que c'est un autre signe de ma personnalité qui fait de moi un honnête homme. Incapable de mensonge, je cours à Bruno pour le lui dire. C'est vrai que ma volonté me fait défaut, celle de mentir. Je croyais avoir bien appris ma leçon, se taire épargne de la souffrance, mais il faut dire que parler fait aussi avancer des choses et ouvre les yeux.

21 avril 1994

J'ai vu les quelques vidéos des Sex Pistols sur l'anarchie et le No Future for you in England. C'est drôle, chaque génération ou semi-génération a dû se lever et crier très fort pour enfin reléguer l'autre génération aux oubliettes et enfin prendre le contrôle. Le défaut de la Génération X serait sans doute de ne pas s'être levée justement, se contenter de ce que les autres ont dit ou fait, mourir un peu dans le silence. Ou peut-être que non. À quoi reconnaît-on qu'une génération se lève? Trois ou quatre groupes sautés? The Moody Blues, Beau Dommage? Semble-t-il, on a pas eu de mouvement très généralisé, juste une série de chansons pourries sans sens, pratiquement aucune littérature, un MTV Much Musique Plus qui nous aliènent à toute allure et cela semble nous suffire. De toute manière, l'autre génération est déjà à la retraite, désolé, vous avez manqué votre chance de vous défouler, meilleure chance dans une autre vie. Je me demande ce que sera la nostalgie de ma génération? Pet Shop Boys, oh my god... Nirvana? Kurt Cobain se suicide à la grande joie d'une génération en manque d'idole qui feront disparaître une génération. Le contrôle viendra de toute façon, il viendra à la manière d'une révolution tranquille, avec la retraite des Boomers. Ç'aura pris plus de temps, c'est tout. Mais la dette, la dette, ça ça va faire mal pour la génération qui mangera la claque. Moi peut-être, juste à la limite en ce qui concerne les études, ce sera impossible après d'aller en littérature, trop coûteux pour aucun débouché. Bref, j'ai une hypothèque de 15 000 dollars en ce moment et un bac de 4 ans, aucun espoir de travailler. Enfin, 15 000 dollars c'est une automobile, ce n'est pas si pire... c'est pire chez nos voisins du Sud, mais encore cinq ans et nous en serons au même point.

- 131 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

25 avril 1994

Celui qui ne se fait pas d'illusions sera heureux car jamais déçu, il ne se laissera pas abattre. Celui qui n'attend rien de la vie, ne recevra peut-être rien, mais ne se sera pas compliqué l'existence inutilement. Si j'avais du caractère et de la volonté, je brûlerais mon diplôme, abandonnerais mes choses après avoir effacé le disque dur de mon ordinateur, jeté mes disquettes et mes manuscrits, et je disparaîtrais dans les bois quelque part... Je partais pour dire que je déclarerais faillite, mais c'est certainement trop de formalités que je ne pourrais supporter... J'aime mieux devenir un fugitif, mais ça aussi ce sera beaucoup de formalités un jour...

26 avril 1994

Je ne sais plus comment décrire mes sentiments, ils se définissent à mes regards vers l'infini, le néant. Je pense à Edwin, je passe ma main sur mon visage non rasé de deux jours, et soudainement je suis transporté dans son univers, passé à New York (Yonkers ça dit sur la facture de téléphone). Il a couché avec une quinzaine de filles, cinq-six gars, il va à un bal des finissants cette semaine, il a invité une fille, il dit que cela va finir dans le lit. Je suis jaloux, pas l'ombre d'un doute. Qu'il s'agisse d'une fille me dérange davantage. Appartiendrait-il à un autre univers que le mien? Lui qui pourtant m'appelle deux fois en deux jours, dit qu'il se regarde dans le miroir et que son sourire va lui faire éclater le visage, qu'il sera illuminé pour le reste de la journée. Le problème c'est que ses paroles agissent sur moi comme une séduction. Je lis l'Avalée des Avalés de Réjean Ducharme, pouvez-vous croire que lorsque Bérénice crie à son frère qu'elle l'aime alors qu'il est à distance, je me transpose à elle et voit Edwin comme mon frère? (Bérénice est à New York, son frère est à Montréal). J'ai l'impression que moi et Bruno, cela achève. Cela m'achève. Il a détruit quelques lettres qu'il m'avait écrites, dans lesquelles il dévoilait à sa grande honte ses sentiments pour un homme. Chose qu'il récusera en disant que je ne suis pas un homme en général, je suis Roland-Michel, ce n'est pas la même chose. Moi je suis cute, un petit écureuil, une chose loveable, de toute façon j'ai une certaine misère à me définir tel un homme, je me vois

- 132 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

encore tel un enfant, à 21 ans.

J'imagine Edwin comme mon frère, quel beau frère il ferait, je ne sais pas pourquoi, cette idée m'enchante, m'excite, mon Frère! Avec qui je ferais l'amour. Dirait-on, il a atteint certaines cordes que même Bruno ne semble pas avoir cherché à atteindre. Edwin me répète qu'il ne pourrait pas sortir avec un gars, pas maintenant. Bullshit, il lui suffirait d'être tout près de moi un bout de temps, il en est conscient, il voudrait passer une semaine avec moi quelque part. Le téléphone est une mauvaise invention, Bruno pourrait me suivre partout, sachant même d'où je téléphone. Les nouveaux programmes de Bell Canada va-t-il enfin remettre de l'ordre dans les vertus de ses abonnés? Je n'aurais pourtant qu'à laisser Bruno, mais c'est impossible, difficile, c'est un genre de long processus envisageable seulement si je décrisse d'ici. Mais je n'aurais aucune liberté à Jonquière, je veux donc demeurer ici cet été. Comme Bruno souffrirait, et ses parents, que diraient-ils? Bruno qui justement s'est tellement battu pour me faire accepter par sa famille. Encore la semaine passée, son père ne voulait pas que j'accompagne la famille chez un souper chez Fred, le chum de Claire-Lise (la soeur de Bruno). Ce fut la grande crise. Mais est-ce que la famille de Bruno saurait que Bruno m'a trompé et que moi de même? Non, elle saurait seulement que j'ai laissé Bruno, probablement pour quelqu'un d'autre. Vivre en fonction des autres... sans parler de ma famille. Oh, by the way, j'ai laissé Bruno, je pars à la découverte du Sida à travers le monde Gai de la planète, but ultime: coucher avec tous les beaux bébés de Paris! Les prendre dans mes bras et atteindre l'ensemble, accomplir la destinée que Dieu a tracée, mourir d'une maladie bizarre tout au bout. Là ma réussite, ma finalité, la révolution.

Edwin développe un sentiment si fort pour moi, ce me semble, cela ne pourra s'éteindre de sitôt, où cela nous conduira-t-il? Surtout si moi aussi je me retrouve amoureux désespéré. J'aime autant ne pas y penser. Sans compter que mes chances d'être accepté en maîtrise me semblent mauvaises et lui qui a terminé ses études... il n'a pas beaucoup d'ambition, comme Bruno d'ailleurs, comme le reste de la planète, auraient-ils compris que l'on va crever de toute manière? Chose que je ne semble pas vouloir comprendre, parce que moi je vis en fonction des autres crisse! Dignité, orgueil, reconnaissance, etc. bullshit, si je ne suis

- 133 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pas accepté en maîtrise, je vends toute mes choses de toute façon et je suivrai les traces du Christ sur les routes de l'univers...

28 avril 1994

Pauvres anglais, ils ne peuvent plus dire je t'aime à quelqu'un sans tomber dans le cliché effrayant. Ça me rappelle lorsque Bruno m'annonçait son infidélité et toutes ses justifications, à chaque ligne je connaissais la suite de la réplique à cause d'Hollywood. On banalise les rapports entre les humains, nous, pauvre génération cliché. On ose plus agir à cause que l'on sombre dans le déjà vu, on peut alors prévoir où cela va mener, les justifications ne fonctionnent plus parce qu'on les connait, on veut pas les entendre.

30 avril 1994

Ça a commencé avec le bonhonomme que j'ai appelé à Toronto lorsque je travaillais pour la Campagne Vision à l'Université d'Ottawa, il m'a traité d'intellectuel parce que j'avais l'air loin des séries éliminatoires du hockey et que j'étudiais en littérature. J'ai été insulté en partie, je lui ai répondu que je savais (avec le sourire hypocrite) que le Canadien avait gagné la partie d'hier, puis après le téléphone ça m'a fait réfléchir. Moi? Un intellectuel? Ça m'a fait la même chose en 1991: Moi? Un homosexuel? La réponse était claire d'emblée à l'époque (à l'époque parce que depuis, il en a coulé de la marde en dessous des éviers), pour l'intellectualité, ça m'a frappé. Un petit bac en littérature et me voilà étiquetté? À voir les filles dans mes cours, et moi-même, je ne dirais pas là, tient, nous sommes l'élite de la société. Enfin bref, je ne me considérais pas comme un intellectuel proprement dit.

Hier je suis allé au party de Joël Cyr, il m'avait dit que dans tous ses amis, il n'en connaissait qu'une qui ne prenait pas de la drogue, Mireille m'a dit la même chose voilà pas longtemps: tout le monde prend de la drogue. Hier j'allais au party à reculons, sachant qu'il y aurait de la drogue. Bruno me disait qu'il en prenait à chaque fin de semaine avant avec ses amis à l'âge de seize ans. Nous sommes arrivés en plein party séparatiste, la voilà donc

- 134 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

la génération anti-Elvis Gratton qui me fait justement penser à Elvis Gratton, voilà le paradoxe. La pipe à eau en plein centre du Salon, cette grosse cruche où l'on met le hash et peut-être des choses que l'on ignore avec le tabat au miel, et le gros bâton par lequel on fume, filtre la boucane dans l'eau. Je l'ai essayé plusieurs fois, Bruno aussi, de même que la trentaine de personnes présentes, seuls peut-être une ou deux personnes n'en ont pas pris, au moins 25 en ont pris toute la soirée, un moment donné j'ai dit à Bruno de ne plus en prendre, j'ai fait de même, je voulais partir. Je suis anti-séparatiste depuis que j'ai vu ce party là. C'est grave de dire ça. On a visionné Elvis Gratton, le gros québécois dégueulasse qui, pour ses intérêts (il veut un permis d'alcool pour son garage), veut pas la séparation. Il a tout plein de problèmes à se définir en tant que Québéois, il trippe sur les Américains, ignore tout de la politique, les magouilles entre politiciens, chérit des idées à la Hitler presque. Esti de film de propagande pourri! Si on veut me convaincre de la séparation, c'est pas avec les sentiments, les pleurs, la honte, les magouilles des politiciens, etc., etc., qu'on va me convaincre! Pis surtout pas avec un estibi d'party de drogué à la frontière du Québec et du Canada! Joël, s'il devait être intellectuel, et je pense que lui en est un vrai, avec tout le respect que j'ai pour lui, j'ai beaucoup de problèmes à comprendre son point de vue, je ne distingue que le sentiment pro-Québécois, et la haine contre les anglais et leurs attitudes. J'espère que je vais réussir à oublier cette soirée où l'on s'est payé Elvis Gratton, sur le hash, suivi d'un long intermède d'Offenbach («Petite fille, inquiète-toi pas si ton grand frère te joue avec le corps trois fois par mois») je m'aurais suicidé. J'espère juste que je vais passer à travers ça sans avoir l'impression d'être un p'tit crisse d'intellectuel brainwashé par les bonnes manières et qui à la manière des petites vieilles religieuses se scandalisent d'un party de drogue, de voir que ça génération s'en va chez le diable, drogués ben raide (au hash, tu parles, ça m'a même pas fait l'effet d'une cigarette (je ne fume jamais, alors une cigarette, et je pars)), enfin, qu'ai-je donc à attendre de la vie, d'autrui? Est-ce moi qui est à côté? Je ne mets pas de côté la séparation du Québec, je ne suis ni pour ni contre, je ne connais pas suffisamment le sujet.

4 mai 1994

- 135 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Esti qu'ils me font chier les américains qui viennent de découvrir la génération X et l'ont emmenée sur la croix en pleurant et affirmant que c'était la faute de l'autre génération! Pantoute christ! Réveillez-vous, agissez, passez donc par-dessus ce qu'ils essayent de vous faire gober, ne vous en prenez qu'à vous si rien n'a fonctionné, si vous avez été assez cave pour accepter que vous étiez niaiseux sans réagir. Pour en revenir à la génération X qui se targue d'avoir été renflouée, d'accord, ils ont pas été capables de se réveiller, de se trouver des leaders lobbyistes influents, une voix à travers les médias, se trouver des auteurs, ils en ont enfin trouver un, je ne sais pas son nom, ils l'ont élevé au rang de Dieu, Dieu merci, il appartient à la littérature, cela veut-il dire qu'ils vont commencer à lire autre chose que les revues Rock? Kurt Cobain, le néantiste, parti rejoindre le néant, s'il savait que l'on a fait de sa mort l'opportunité rêvée de dire aux jeunes de pas se suicider, message aux dépressifs: continuez donc encore un peu juste pour voir! Voir quoi? Ils ont peut-être pas compris qu'on veut pas finir dans un esti de bureau avec une petite famille et une maison et une automobile? Hollywood nous a bien trop formé! On veut de la drogue, des autos-sports, de l'argent, de la gloire, le voyage (initiatique SVP, restructuration de l'humain en Dieu), on veut du néant, du Nirvana. On veut se suicider! Mais pas avant le meurtre de la génération d'avant. Je me trompe sûrement, on veut juste une belle petite blonde dans notre lit, en espérant qu'elle ne nous trompera pas trop, un job d'administrateur dans une tour gouvernemetale dans le centre-ville, et thanks God, we'll be so happy to be alive! We need nothing more than our pay cheque, our girlfriend and the possibility sometime to fuck another one. Ça me donne envie de m'enterrer vivant dans la cour, ça se serait une vraie expérience, surtout lorsque fait à froid. Hey, je suis un drogué maintenant, comme tous mes amis du CÉGEP maintenant à Montréal. La génération X, droguée à mort, s'appitoyant sur son sort, qu'a crève! Au même titre que moi d'ailleurs. Aucun moyen de s'en sortir.

18 mai 1994

Plan de LA NOUVELLE HUMANITÉ

- 136 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

C'est d'abord la suite de LA RÉVOLUTION, ma mission n'est pas pas encore accomplie, il me faut bâtir ma nouvelle humanité ou génération à un deuxième niveau, maintenant que l'autre est morte ou trop vieille. Un simple retour aux sources? Lesquelles sources? Si les sorciers Tarahumaras eux-mêmes avaient oublié les sources, je suis libre de les réinventer aux besoins de mes nouveaux principes. Démystification donc, démystification de ce que ferait un Dieu s'il voudrait instaurer une nouvelle collectivité, principes et valeurs en fonction de ses intérêts, lesquels intérêts? L'acte de génération? Du néant il faut prendre de l'ampleur, grandir, devenir plus puissants? Se nourrir de construction imaginée, génératrice de peuples, de savoir, l'organisation d'un monde, hiérarchies universelles, entités diverses et leur but, leur raison. Comment moi pourrait à y voir clair (sans inventer)? Il me faudrait du Peyolt, drogue, pour atteindre Dieu. Ma conscience porte en elle ce que je cherche à savoir. Inexplicable en mot? Où donc me renseigner? Les Rose-Croix? Artaud? Il me faut me limiter à ça.

La naissance de la nouvelle humanité:

(Il me faudrait aller relire la Genèse, et m'assurer de m'en tenir éloigné. Je ne suis pas là pour répéter les erreurs de l'ancienne humanité.)

-La démythification de la Genèse (Rose-Croix)

-L'anti-Genèse

-Le contexte, le lieu géographique, État du monde

-Situation de l'humanité, moeurs générales, modes, coutumes, morale privée et publique

-Origines, famille, ascendants, jeunesse (Anti-humanité?)(cela est à revoir)

-descriptions physiques, Taille, dimensions (possibilités d'expansions) pieds, mains, épaules, tête, descriptions physiques?

-Vêtements, nourir, logements, armes permises.

-La femme, l'homme, dans leur individualité: nom, caractère, genre de beauté, moeurs,

-Politique, ministres, noms, caractères, fonctions, pouvoir, champ d'action

-Religion, ministres, noms, caractères, fonctions, pouvoir, champ d'action

- 137 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

-Crise permise, but, guerre permise, but, nécessités, balancement, équilibre, fêtes, lesquelles, dépenses, fleurs, nourritures, festins privés, orgies?, somptuosité de toutes sortes (Héliogabale = mauvais selon Artaud, mais la voie vers l'anti-humanité?)

-Palais, emplacement du palais, dimensions des pièces, des jardins (!)(des anti-jardins?)

-RITES - détails, ustensils du culte, des objets, prêtres, nombre, attributions

-CULTURE, théâtre?, peinture, écriture,

-Ceux qui doivent périr- nombre,

Les bases de la nouvelle humanité:

-Légende basale, le Verbe

-Buts poursuivis, finalité à l'humanité (doit être clair dès le départ et protégé de l'altération)

-Pourquoi la légende ne doit pas cadrer avec la vertu et la morale, nécessités de la finalité, de quels droits l'humanité se donnerait-elle des droits et libertés? Laissons leur le croire peut-être?

-Rites d'initiation pour qu'un coup admis, on ne veuille plus sortir, trop d'honneur, trop d'enfer, il faut que cela serve, donner des pouvoirs, promettre n'importe quoi,

L'organisation de la société:

-Des divergences? Extrême droite, gauche, conservateur?

-Système économique (de monarchie, socialiste, capitaliste? Bullshit à tous les niveaux, il faut un nouveau système, au même titre que le politique (à la lumière de la technologie?) (nos sytèmes datent d'une couple de siècles, sont gros pour rien, multiplication des pouvoirs et enchevêtrements, bureaucratie et technocratie effrayante, faillite à tous les niveaux,

- 138 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

personne se sent responsables, punitions à accorder? Dépenses inutiles à justifier? Non. Tout ça est carrément à remttre en question, les gouvernements, les compagnies, la technologie, la connaissance des phénomènes physiques (disons leur tout tout de suite) se perdre dans la physique, biologie, mathématique, philosophie, les arts, la psychologie, psychanalyse, sociologie, droit, administration, médecine, pharmacie, l'écriture, les langues, (LES LANGUES, le pourquoi, qu'est-ce que cela sert?), tous ces domaines qui se débattent à définir, à interpréter la vie, faut que ça disparaisse. Sentiments mauvais, n'existera pas. Partage implicite accompli instantanément parce que la loi de cause à effet, (retour à la nature?) (Le pourquoi des domaines de la société est la pratique de la créativité pour éventuellement devenir Dieu et créer des univers à son tour. Le domaine intellectuel est donc essentiel, mais perdu dans un champ tel que l'administration. Élargir le champ, permettre plus de possibilités, s'amuser à être Dieu en attendant, accès à plusieurs endroits, à plusieurs temps, domaine de l'esprit essentiel, création de mondes divers.

L'avenir de la nouvelle humanité:

- 139 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

24 mai 1994

Je continue ma vie de culpabilité généralisée, je souffre de pas travailler, de pas avoir d'argent, de pas chercher fort fort, de me faire rabrouer encore par ma mère qu'il fallait pas que je compte ni sur elle ni sur papa (il déménage dans sa nouvelle maison qu'il louera avec Ginette) ni sur Frédérique qui signait ce soir l'acquisition du terrain qui verra naître d'ici la mi-juillet, leur belle maison de 115 000$ Bien sûr, RM peut crever dans le fin fond d'Ottawa, le hic c'est que leur argument favoris, celui de mon ex-voyage en Europe de l'an passé, est trop loin pour servir à justifier l'abandon du fils à l'étranger (Ottawa étant en dehors du Québec). On voit bien l'altruisme familial, on m'a encore fait comprendre que ma soeur n'avait presque jamais demandé d'argent. Viarge, ils m'ont donné 600$ cette année, n'est-ce pas merveilleux? 600$, pour être honnête avec moi même, j'ajoute le 300$ que j'ai reçu à Noël. On est loin du compte des 9 000$ que le gouvernement les oblige à me donner pour m'aider dans mes études. Encore une autre autorité qui s'appuie sur des faussetés pour m'en donner un minimum (tout juste assez pour couvrir les frais de scolarité à crédit), alors qu'elle en shoot des 10 000$ par-ci, par-là, aux autres qui en plus d'en recevoir de leur parents, ont réussi à crosser le système ou leur famille est à la limite de ce qu'il faut gagner que le pauvre étudiant devienne riche. Si le gouvernement calcule qu'ils ppeuvent m'aider, ils peuvent. Et ma soeur, elle en a reçu autant que moi de l'argent: la première année le père a tout payé. Moi, le père m'a aidé la deuxième année seulement, je travaillais déjà à 25 heures par semaine minimum. La planète a arrêté de tourner, peu importe où je serai en septembre, le pire est à craindre.

Joël Cyr, je ne sais pas si je l'avais dit, a lu les 21 premières pages de La Révolution. Il a dit que c'était génial. Il est tombé dans le piège. Il a non seulement vu le Québec avec le Canada Anglais, mais en plus, il pense que le message que j'envoie en est un séparatiste, et révolutionnaire en plus. Quand il va lire jusqu'à l'explosion de l'humanité, on en reparlera. Joël Beddows a lu Antoine, il a pas aimé du tout, s'est pas expliqué encore, je suis pas sûr si je veux l'entendre à ce sujet. Déjà qu'André Montmorency m'avait fait si peur au téléphone, j'ai cru qu'il allait me mordre: «Écoute-moi là, là j'ai pas le temps de te parler, rappel-moi

- 140 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dimanche et on va discuter si oui ou non tu devrais m'envoyer tes pièces.» J'ai pas eu le courage de le rappeler, et j'ai eu le culôt de lui envoyer mes deux pièces. Il a pas aimé Antoine, il comprend que cela ait été refusé par le Cead (Centre des auteurs dramatiques (que c'é ça!)). Il dit que c'est pas du théâtre, qu'avec son expérience il est même pas capable de voir comment je vois la représentation, il me suggère de la monter moi-même avec des étudiants ou amis. On va bien voir s'ils vont dire la même chose pour Val-Jalbert, je ne m'inquiète pas, ils trouveront autres choses, d'autres défauts, d'autres problèmes, peut-être même qu'ils vont la balayer parce que la pièce arrive après celle de Marie Laberge, pardon, de la création collective des étudiants de l'Université du Québec à Chicoutimi dont on a finalement apposé le nom de Marie Laberge, à ce que l'on m'a dit. Montmorency m'a invité à aller chez lui lorsque je passerai à Montréal. Qu'est-ce que ça veut dire? Soyons anti-sémite comme m'a accusé Beddows dernièrement lorsque je lui ai dit qu'il semblerait que les homosexuels, comme les Juifs, se soutiennent entre-eux. You want to bet that if my play was not about gay stuff, he would have not invite me to his place? You want to bet that if I'm going there he's gonna bite me? There is no way I will go there. I cannot understand why he invites me, he has so much things to do. Mais quel contact ce serait. Il connaît tout le monde, m'ouvrirait-il des portes? Il semble vraiment méchant quand il veut, son téléphone m'en a donné un avant-goût. Je pense que je vais me foutre du contact, de toute façon j'ai toujours tout fait pour rencontrer personne, pour m'établir quelque part, j'ai toujours fui les contacts ou pseudos. Me disant que si c'était pas cette fois là, ce serait plus tard. Les livres resteront toujours là, même qu'à vieillir ils seront mieux. Après ma mort ils seront au summum. David de Montréal m'a fait comprendre dernièrement qu'il n'y avait rien dans mes affaires pour intéresser les autres. Ethnocentrique donc. Est-ce vrai? Eh bien je vais mourir dans ce que j'écris. Je n'ai pas une très bonne opinion de l'ensemble de mes écrits danas le moment. J'ai perdu toute confiance, tout me semble plat, plate, sans intérêts. J'en ai lu des bouts à David au téléphone, ça passait mal. J'ai relu la Révolution la dernière fois, ça m'a laissé un arrière-goût. Travailler si fort pour rien, il faut être cinglé, ou passionné. Pauvre Artaud, je m'enligne pour écrir un deuxième Anarchiste couronné, et il devrait me signifier en pleine face que son échec sera la mien. Ça sert à rien de s'encourager ou d'en parler, de se justifier, faillite totale.

- 141 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Demain j'ai une entrevue avec le musée des technologies. J'ai pas eu le job à la librairie du Musée des Beaux Arts, après deux entrevues. Deux entrevues pour se faire refuser. Faut dire que je suis arrivé 20 minutes en retard la première fois. Mais c'est pas un signe, je le dis pour les générations d'après ma mort (peut-être), arriver en retard ou non à l'entrevue change rien. La première entrevue était dans la poche, le bonhomme avait une femme Allemande, il avait lu Hermann Broch, La Mort de Virgile et je lui ai dit qu'il avait eu raison d'abandonner son B.A. Concentration en Philosophie alors qu'il ne lui manquait qu'un seul cours. Il m'a rappelé aujourd'hui pour s'excuser que j'avais pas été choisi (après deux entrevues, tu parles, la prochaine fois je vais demander toute la démarche relative aux entrevues et si c'est trop compliqué, je me réserve le droit de les envoyer royalement chier (le récipiendaire aussi a des droits vous savez?)), bref, il m'a souhaité bonne chance, et m'a encore dit qu'il était désolé que l'autre ait décider de prendre une vieille truie qui avait plus d'expérience que moi sur une caisse enregistreuse, ou une belle petite femme à jupe serrée pognée dans la craque de son derrière. Vous pensez que je suis misogyne? Bon, le deuxième qui passait l'entrevue avait l'air d'une estie de tapette, les jambes croisées (avec ça j'étais sûr d'avoir le travail, semble-t-il, il est plus masculin que je ne le suis, avec ses airs), l'autre avait l'air d'un crisse de fatigant que t'as juste envie d'y dire, fiche-moi la paix. Ils m'ont l'air de foutre pas mal rien dans leur job respective, mais ça c'est encore un préjugé. Mais enfin, vive les préjugés, c'est à cause d'eux que je réussis pas à me trouver du travail. Et gang d'hypocrites, des préjugés vous en avez plus que moi, parce que moi je fais l'effort d'arrêter de penser quand je vois la grosse truie, pis vous autres vous le pensez très bien, et vous ne l'engagez pas. Tant souffrir pour des petites jobines à salaire minimum, après quatre ans d'Université Christ. On se lamente que les jeunes connaissent rien à leur grammaire, et ceux qui s'y sont consacrer crèvent de faim. Eh bien moi je vous le dis, perdez pas votre temps avec la grammaire, vaut mieux aller en Génie puisque l'on ne jure que par les machines, c'est un domaine plus logique, concret, stable, et l'on en crève pas de faim. J'y vais d'ailleurs en Génie, on me refusera en maîtrise. Dieu que je les méprise, je les méprise tellement ces professeurs de français du département. Ma réputation est-elle, de toute façon, que dans mes propres intérêts, il ne me faut surtout pas y faire ma maîtrise. Ou alors,

- 142 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

m'effacer complètement (mais ça, je sais que c'est impossible). Se peut-il que je me retrouverais en Génie? Fier en plus, parce que certains que l'on m'a carrément rejeté et par l'Université et par les Éditeurs et le reste. Je vais être un ingénieur frustré, qui veux surtout pas avoir affaire avec les Québécois. Mais je ne suis pas dupe, je vais retrouver des cliques identiques à Paris, pire, je vais en retrouver des pires en Génie, mêlées avec les politiciens, l'homophobie, la compétition, etc. Le monde dans lequel on vit est bien noir, c'est vrai que de ne pas être naïf étouffe. J'aimerais mieux rien savoir. J'ai mangé avec une fille dernièrement, elle était dans un de mes cours (Vandendorpe). Je lui ai raconté la party chez un de mes amis (J. Cyr) et les gens qui prenaient tous de la drogue. Je pensais trouver du réconfort, en sachant que je ne suis pas le seul naïf dans la ville qui ne savait pas que sa whole génération X was on drugs, malheureusement, elle prend de la drogue chaque fin de semaine, trois à quatre fois par semaine, c'est ben normal, tous ses amis sans exceptions en prennent et j'ai pas osé lui demander si cela allait jusqu'aux drogues dures. Faut pas se leurrer, elle aurait dit, comme les autres, les drogues c'Est de temps en temps (combien de fois par mois? je veux pas le savoir). Chose certaine, ils m'auront pas. Pas parce que je suis un esti de brainwashé contre la drogue, ce qui serait peut-être vrai dans le fond, mais plutôt parce que... je pense que je suis assez découragé comme ça, assez alcoolique aussi peut-être (avec mon vin de Madère), et ça me tente vraiment pas. (Je voudrais pas projeter une image de moi comme étant alcoolique. En fait, je ne bois pas tant que cela, rarement plus d'une bière quand on mange au restaurant, trois bières quand on sort pour vrai (une fois par mois peut-être (en ce moment)) et puis once in a while, j'achète une bouteille de vin ou je finis celle que l'on buvait moi et Bruno. Pour donner une idée, j'ai peut-être acheté une dizaine de bouteilles de vin depuis un an. On peut pas dire que je suis alcoolique, quoique le titre ne me fait pas peur. J'aime boire, je bois quand je sais qu'il n'y a pas de problème, Bruno le confirmera, ça m'arrive d'être chaud, parce que ça m'en prend pas beaucoup.

Le prof de français, Benoit Leblanc, celui avec qui j'ai pas fait grand chose, mais assez pour provoquer une crise entre moi et Bruno, je l'ai rencontré deux fois dernièrement. Au Market Station, il était avec une fille, ils ont rient de moi à s'étouffer quand ils ont su que je connaissais pas le couple le plus célèbre de Paris à l'heure actuelle. Ils ont écrit des choses,

- 143 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

on m'a répété leurs noms cinq fois depuis, il m'est impossible de m'en rappeler. Essayer de me faire passer pour un jeune con qui connaît rien parce que je connais pas le couple le plus célèbre de Paris, ce par des crétins qui perdent leur temps dans le fond d'un bar gai d'Ottawa, c'est le comble de la médiocrité. Peut-on vivre tant que cela aux dépens des autres? Se peut-il, se prendre pour si hautain? Le tabarnak, ça me fait penser à M. Sylvain Simard et Joël Cyr, tous deux souhaitent l'indépendance du Québec, pourtant ils se forcent pour parler un français qui est non seulement loin du québécois normal, mais en plus, ça sort artificiel, jamais constant. J'avais peur que l'on me reproche la perte de mon accent québécois, mais je me rends compte qu'il n'y a pas de danger de le perdre, il faut se forcer pour ça. Au moins, si ça paraissait bien. Les Franco-Ontariens parlent très bien le français, j'ai l'impression qu'ils n'ont pas d'accent trop prononcé, je parle comme eux je pense, jusqu'à un certain point. Il est vrai que l'accent de Montréal et surtout de La Tuque, est effrayant, là, il est vrai que l'on pourrait faire un effort, on a de la misère à comprendre se qu'ils disent. Encore que, c'est pas moi qui leur reprocherait ça. Et puis non, vive leur accent. Mais écoeurez-moi pas avec mon accent, reprochez-moi pas de le perdre, je souhaite juste de pas avoir l'air prétentieux ou hautain, et ce, inutilement, en faisant rire de moi en plus. Du reste, je n'ai aucune fierté nationale, j'ai pas l'impression d'être plus québécois que le premier ministre, et mon goût prononcé pour la France s'estompe de jour en jour, il s'éteindra lorsqu'y débarquerai. Bref, Benoit et sa copine se sont bien ri de moi, ça leur a fait plaisir, dans le fond je les prends en pitié. Benoit aussi a longtemps eu ses espérances de publier ses poèmes, il m'a dit s'être enfin sentis heureux et libre, le jour où il a accepté qu'il ne publierait pas et qu'il a arrêté d'écrire. Alors il jouis maintenant de son après-échec. Me faut-il y comprendre quelque chose? Me faut-il suivre cette voie? On verra, pas pour l'instant en tout cas. J'aimerais au moins écrire La Nouvelle Humanité avant ainsi qu'une autre pièce de théâtre. Après je pourrai dire que j'aurai tout tenter, j'arrêterai, et encore, il faudra voir en temps et lieu. De toute façon, Benoit était plus humble lors de ma deuxième rencontre Aux Quatre Jeudis à Hull. Il m'a présenté au Barman et la Serveuse comme étant un écrivain, qui allait réussir. Il le pensait sincèrement, je me rappelerai toujours de notre conversation dans son salon, il m'a dit que j'avais beaucoup de potentiel, que j'étais capable de réussir, il le disait nostalgiquement. Un autre au salon du livre de Jonquière, voilà quatre ans (on dirait que j'essaye de me remonter

- 144 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

le morale, de toute façon c'est peine perdue) avait lu les seules trois premières lignes de la nouvelle Les Quatre Piliers: «On vient de loin pour observer et surtout écouter les piliers. C'est qu'alors la sagesse parle, et les conclusions se font. Vous dites grâce, et vous avez raison. C'est complexe la vie». Il avait dit: «Y'a du génie là-d'dans, y'va s'rendre beaucoup plus loin qu'nous autres». Le problème c'est qu'eux ont réussi à publier, moi pas. Je ne sais donc plus que croire. De toute façon il est quatre heure du matin et j'ai une entrevue pour entrer dans la vie active de la société demain, je vais peut-être devenir hôte pour accueillir les touristes pourris qui ne peuvent s'empêcher de jouir de la vie dans leur salon comme d'habitude, ils viennent s'enfermer dans les musées les pauvres.

25 mai 1994

Hier ma mère m'a appris que M. Shaw était mort. M. Shaw vient d'on sait pas trop où, il habite la maison sur le coin de la rue Lapointe et (X), il habite à côté de M. Desgagnés qui habite coin Bergeron et (X). Après la guerre, semblerait que M. Shaw soit resté ici avec sa femme. Sa femme est morte tôt, il est demeuré seul. Ne dépensant nullement (il n'avait pas d'automobile et croyez-moi, ça coûte plus cher qu'une maison) il avait stocké quelque chose comme une couple de cent mille dollars à la banque. Desgagnés, pas fou, s'est occupé de lui tant qu'il a pu, il va hériter. Tant mieux pour lui, de toute façon il le mérite. Plus que la soudaine famille de sept frères qu'on vient de découvrir et qui arrive par le prochain vol (!). Ce qui me chicote, c'est Martin Desgagnés, le fils du père. Qui n'a jamais rien foutu de sa peau, a abandonné l'école très tôt après avoir doublé toutes ses années, qui travaillais avec son père comme laitier jusqu'à ce qu'il parte sa propre ronde (à 17 ou 18 ans peut-être) et qu'il fasse autant d'argent que son père, en restant chez son père, qui s'est acheté une voiture de 25 000 ou 30 000$ l'an passé ou voilà deux ans. Bref, ce jeune vient d'hériter d'une maison, il pourra bientôt se marier avec sa charmante petite blonde qu'il sort depuis quelques années. Il a tout eu cuit dans le bec! Et moi? Et moi? Moi! Partis de chez mes parents voilà trois ans, a dû se débrouiller pour payer toutes mes études (mon père m'a aidé à vivre pendant un an), j'en ai pour 40 ans à rembourser mes études, ça débouche nulle part, je fourre le chien ben raide pour me trouver un travail à sept dollars l'heure et j'en suis

- 145 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

incapable (semblerait que je suis trop incompétent), veux continuer à la maîtrise pour continuer à m'endetter pour rien, qui arrive pas à payer son loyer, ne pense surtout pas à une voiture (je vais mourir dans les autobus, sinon écrasé sous une, après avoir tant payé pour cela), partirais pour Paris crever de faim, travaille comme un déchaîné à écrire des hostibis de livres qui seront jamais publiés, etc. M. Shaw avait une couple de cent mille à la banque, il va tout donner à Desgagnés et sa famille? Pourquoi pas. Quand je pense que mille dollars me sauverais la vie en ce moment, le jeune Desgagnés qui n'a pas besoin d'argent puisqu'il a un travail stable, que ses parents peuvent l'aider et veulent (les miens se crissent bien de moi, surtout depuis qu'ils savent qu'en littérature, s'ils commencent à m'aider aujourd'hui, c'est pour la vie), qu'il a maintenant une maison, on va aller lui jeter une couple de cent mille par la tête? Je voudrais être jaloux mais je n'en suis plus capable. Avant ça me fâchait, maintenant je suis tellement loin de tout cela. Les injustices ne me touchent plus, à chacun son univers. Personne ne dira s'il s'agit ici d'injustice. J'aurais pu aller lui parler à M. Shaw, je lui parlais souvent quand je marchais pour aller à la Polyvalente, chaque jour, quatre fois par jours, je lui disais bonjour, m'arrêtant à l'occasion pour lui parler un peu plus, jamais pplus de dix minutes cependant. Et quand bien même je me serais assis à côté de lui, lui parlant des heures, comment me serais-je sentis lorsque j'aurais appris qu'il m'a mis dans son héritage? J'aurais été si mal, même si mes intentions n'auraient pas été d'hériter. Jamais d'ailleurs j'aurais pensé qu'en dehors de sa maison il avait accumulé au-delà de 500 000, 700 000$ peut-être? PPeut-être vaut-il mnieux pour Martin que les choses tournent ainsi. Le pauvre, pour avoir tant coulé à l'école, je suppose qu'il était dyslexique, ou souffrait d'une carence marquée de motivation. Comment aurait-il pu s'en sortir si tout ne lui était pas tombé du ciel? Moi je peux me débrouiller autrement, c'est vrai qu'en fait je n'ai nul besoin que l'on m'aide. Cela me faciliterait les choses certes, mais je vais m'en sortir de toute façon. Remarqué que jusqu'à maintenant je n'ai jamais vraiment été empêché dans aucune de mes décisions. Jusqu'à mon voyage à Paris l'an passé, jusqu'à mes peut-être études à Paris. Parfois je me trouve même chanceux d'avoir un IBM portatif hypothéqué (je dois encore 2 500$ dessus, je paye 300$ par année pour ce prêt, sans même le rembourser), encore plus d'avoir ma chambre à moi seul (dans plusieurs pays on ne peut pas en dire autant (j'ai pris l'habitude de me comparer avec eux^plutôt qu'avec mes voisins)) et d'avoir

- 146 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

encore du temps pour écrire (bien que je m'organise en conséquence et Dieu sait comment je manque souvent de m'échouer pour cela). Martin Desgagnés, je te souhaite bonne vie! Maintenant je vais vite t'oublier. Je me demande ce qu'est devenu Stéphane Audet. Il est sûrement homosexuel lui aussi, avec ce qui s'est passé entre lui et moi (on a pas couché ensemble, mais on s'est masturbé quelquefois l'un à côté de l'autre). Il a sombré dans la drogue (encore un qui est de sa génération), il s'est fait prendre à voler, bref, ça me surprendrait pas qu'il soit en prison. Même chose pour Stéphane Villeneuve, je sais pas sur quelle drogue il était, mais ma mère le rencontrait à toute les réunions d'alcolo, il en est devenu schizophrène, voyait des monstres partout (ça me ressemble). Steeve Tremaine, s'il était pas sur la drogue alors que ses parents étaient reconnus pour être les drogués de la ville, ça me surprendrait. Annie Bouchard est si heureuse dans son mariage, tant mieux pour elle, ça durera peut-être pas. Je ne m'explique d'ailleurs pas pourquoi je me suis mis à pleurer comme un déchaîné au souper, j'ai été obligé de quitter tellement je pleurais à chaudes larmes. Ça m'était jamais arrivé. Phil m'a raconté que la même chose lui été arrivé lorsqu'il avait fait une fugue lorssqu'il habitait chez de la parenté en tchéchoslovaquie. Il était entré dans une église où on célébrait un mariage et il s'est mis à pleurer comme un bébé qu'il disait. Je me souviens que j'avais parlé avec l'amie de Raymonde Bouchard, Suzanne, qui m'avait raconté en long et en large son mari devenu impuissant, ces quatre belles-soeurs qui trompaient leur mari aller-retour, Raymonde et mon père, leur relation secrète d'avec ma mère, d'elle-même qui s'intéressait à mon père mais qui n'oserait jamais voler mon père à Raymonde, alors que mon père couche avec Raymonde juste pour lui faire plaisir, il m'avait raconté qu'il avait déjà couché avec une vieille, j'ai deviné qui c'était. D'un autre côté je voyais la belle Annie avec son jeune homme pur, quelle grâce, et quel calvaire s'en vient? Et moi, moi le perdu, l'homosexuel perdu dans le fond de Jonquière, convaincu que j'étais seul au monde à être gai, convaincu que j'allais mourir dans l'ascétisme involontaire le plus complet. Société pourrie qui s'offrait à mes yeux, en me crachant dessus, me croyant immoral. Je lui ai demandé à la Suzanne: et tu crois en Dieu? Elle m'a répondu la meilleure des réponses: il demeure mon maître, mais je vais profiter de la vie. Elle m'a dit aussi comment son curé en lequel elle avait tant confiance, qu'elle écoutait comme si c'était la voix de Dieu en direct, était lui aussi corrompu. Il couchait avec tout plein de femmes, il a un presbytère

- 147 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

à lui tout seul, deux servantes à tout faire, une voiture de fou, un chalet (maison secondaire), et le reste, je pense qu'elle a pas trop voulu m'en parler. Sachant cela, il se permettait encore de lui faire un morale de l'enfer. Je me demande si elle m'a rendu service en m'ouvrant les yeux au point qu'il m'en sont sortis de la tête? Comment voulez-vous qu'un jeune puisse vouloir vivre en voyant cela? Pas parce que c'est immoral, tout est bien, il s'agit de conventions. Le problème c'est que c'est tout le contraire de ce que l'on nous enseigne. C'est genre, on vous offre une morale, des valeurs, et plus tu avances, plus tu te rends compte que ça te culpabilise au maximum, tu veux mourir, et tu te rends compte qu'il n'y en a pas un crisse qui s'en préoccupe de cette morale ou ces valeurs. Je devrais m'en inspirer pour la nouvelle humanité. En tout cas, ce soir là j'ai écrit la nouvelle LES TOURS DE L'ORAGE. Tout cela je l'ai déjà dit dans mon journal. C'est une preuve que ça m'a marqué. Je me demande comment ils ont encore la force de dénoncer l'homosexualité. C'est drôle de voir comment ceux qui sont loin du problème ou ceux qui ont pas voulu le confronter sont ceux qui l'acceptent pas. Quand ton fils ou ta fille est homosexuel(le), tu l'acceptes ben assez raide, et là tu t'insurges contre les vieilles qui pensent que le sida est un cadeau de Dieu. Le dicton populaire le dit, la vie elle-même est une maladie transmissible sexuellement (offerte par Dieu). Tant qu'à moi, ma réponse et mes sentiments sont dans la Révolution.

30 mai 1994

Aurais-je une attitude défaitiste? C'est-à-dire, prompt à l'abandon, se lamente inutilement plutôt que d'agir, coonstruire moi-même mon avenir au lieu d'attendre les grâces du ciel? Où dans mon oeuvre pourrait-on m'accuser de défaitisme? Voyons le dictionnaire, défaitisme: «Manque de confiance dans l'issue victorieuse d'une guerre; opinion de ceux qui préconisent l'abandon de la lutte, la cessation des hostilités (par ext. pessimisme)». Jean-Paul Sartre aurait dit: «Je ne suis pas défaitiste: je constate la défaite». La Révolution elle-même est significative, j'accomplis la la guerre, je vais jusqu'au bout, je reconstruis la nouvelle humanité (tâche qu'il me faut ironiquement faire cet été, à cet effet, je vais relire Rousseau, Machiavel, l'Idéologie Allemande (tu parles d'une reconstruction, mais il s'agit de Marx et Engel) et Locke. Je vais essayer de pas trop débloquer comme Artaud, si je déblo

- 148 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que trop, les lecteurs vont bloquer ben raide. S'il m'était possible de voir la réaction de la Révolution, impossible. Il m'est même impossible d'avoir une seule opinion, personne ne veut le lire. J'attends encore après Joël Cyr. Il n'a pas le temps. Si je suis défaitiste, c'est en apparence, pour dénoncer la défaite qui peut être compenser par des changements, des nouvelles choses. Laquelle défaite maintenant? Ah, voici la grande question, Je lis aujourd'hui dans le journal (La Presse) que le Canada est le numéro un mondial pour la qualité des conditions de vie de ses citoyens (espérance de vie, éducation, niveau de vie). Le pire pays sur les 173 recensés est la Guinée en Afrique, où l'on ne mange pas à sa faim. «Malgré tous nos progrès technologiques (je suis le premier à dire que les progrès technologiques ne change pratiquement rien à rien ou presque), nous vivons encore dans un monde où un cinquième de la population des pays en développement ne mange pas à sa faim, un quart de la planète n'a même pas accès à des besoins essentiels comme l'eau potable, et un tiers vit dans un état de pauvreté abject». Eh bien tant pis pour eux, une coquerelle se fout bien des autres, un corbeau va se satisfaire à en crever avant de penser aux autres ce qui est paradoxale lorsqu'on les voit défendre leurs bébés et les nourrir, et pourquoi les aiderait-on? Je vous ai fait peur. Ben non! J'étais fort surpris de voir sur le guide des rapports d'impôts (encore une estibi de crisse de cochonnerie issue de notre belle société) que l'aide aux pays en développement de chacun de nos dollars était seulement de 2% contre 7% pour la défense et 13% pour les opérations gouvernementales (bullshit, les exemples qu'ils donnent sont traitements, locaux, fournitures (?)) et le pire, les frais de la dette publique à 24% (et ils osent le dire là à tout le monde? J'en aurais honte à leur place!) Alors pendant qu'ils vont se targuer d'être le numéro un aux dépens des autres, les autres vont crever de faim, et en est complètement indifférent. Hors, je ne suis ppas différent des gens qui composent ma société, je m'en crisse donc aussi, et je change de sujet.

Les journaux me semblaient être la voie de l'information par excellence, la télévision ne nous donnant que le résumé du résumé et les magazines n'étant lus que par une minorité. Hors, je suis maintenant abonné au Citizen d'Ottawa et la Presse de Montréal, et j'ai tout simplement pas l'impression de vivre dans le même âys selon le journal que je lis. Je ne lis pas les mêmes choses, pas un seul article ne fera l'un et l'autre journal, bien que les deux villes ne soient qu'à deux heures de route en auto actuellement. Et lorsqu'un arti

- 149 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

cle est si incontournable qu'il fera les deux journaux, eh bien là je m'insurge. Je ne prendrai que deux exemples. La récente visite de Lucien Bouchard à Paris ainsi que l'histoire de deux Franco-Onrtariens qui ont déposé une plainte à l'ONU en ce qui concerne la difficulté des francophones en Ontario d'avoir des écoles et surtout de gérer leurs propres affaires en matière scolaire. Dans le premier cas, on voyait bien le partis pris des jouranlistes, éditorialistes et même les articles de Presse jugés objectifs. Lucien Bouchard aurait atteint tous ses objectifs à Paris bien que rien de concret n'en est ressurgit. Tout se serait bien déroulé, on serait même surpris de la prise de position de certaines personnes tellement elles sont encouragentes. Hors, lors de sa visite avec Mittérand, on aurait prié (je ne sais pas trop, remarqué qu'en tant que lecteur je ne saurais probablement jamais ce qui s'est réellement produit) Bouchard de laisser la place au premier ministre (ou président, je ne sais pas) de la Slovaquie parce qu'on jugeait qu'il avait assez pris de temps pour répondre aux journalistes et que, finalement, il est moins important que l'autre, étant le député de l'opposition officielle, blablabla. Les journalistes québécois trouvaient ça normal, bien que je distinguais un petit embarras pour tout le monde. Dans le Citizen c'était l'enfer, il avait été ridiculisé au maximum, on lui avait montér la porte de la sortie tellement on se foutait de lui, pire on avait fait une caricature assez insulante. Bref, on reléguait encore une fois les Québécois au rang de cons, excusez-moi, j'ai beau tout faire pour pas prendre parti, j'ai eu envie de tout casser. Mais autant les journalistes anglais commencent à m'exaspérer (l'histoire des millions consacrés au bilinguisme qui sont parait-il gaspillés et dont comme par hasard on a retrouvé l'article dans les opinions des lecteurs à deux reprises à deux jours d'intervalles pour ensuite retrouver le jour d'après dans l'éditorial les mêmes propos que l'article en question: fuck, on essaies-tu de nous faire croire que tout le monde en parle alors qu'il n'y rien qu'un qui s'est exprimé sur la question et que l'éditorialiste en manque d'articles à pris d'assaut? Manipulation, maintenant tout le monde est convaincu que le programme du bilinguisme devrait être mis aux poubelles). Bref, autant les journalistes anglais commencent à m'exaspérer, autant les Français sont pires. En effet, un anglophone qui lirait la Presse (je ne parle pas du Devoir, parce que là, c'est vrai que la crise cardiaque serait proche) se scandaliserait à chaque trois pages de chaque parution. Je suis contre la loi 101, contre la volonté de se débarasser des anglophones au Québec ou de restreindre leurs droits d'une quel

- 150 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

conque façon, contre l'hypocrisie générale (la non-hônneteté), la partisannerie, le patriotisme, mais, je suis pour la séparation du Québec. Je veux quand même sauver ce qui reste de l'avenir du Québec, le français entre autres, mais pas au détriment des autres. Le fédéralisme a trop bien atteint ses objectifs de génocide, il faut que ça finisse. Il faut que les politiciens puissent s'exprimer sans une stupide ligne de parti qui les oblige à se fermer la trappe. Ou alors je suis pour une nouvelle constitution, où en premier lieu le gouvernement fédéral n'aurait des pouvoirs qu'aux questions qui touchent toutes les provinces à la fois (économie, affaires extérieures, etc.) Tout le reste va aux provinces. Je veu aussi une privatisation de tout, que le gouvernement arrêtent de surrégir toute notre vie. C'est prouvé depuis longtemps, aucun gouvernement arrivera à être rentable dans n'importe quoi qu'il entreprendra. C'est surtout une place où personne ne prend la responsabilité de rien, où plus souvent qu'autrement on se graisse la patte, etc. Une nouvelle constitution, mais aussi un nouveau système de gouvernement. Ni celui des républiques des USA ni le nôtre actuel fonctionne bien. J'aimerais tellement étudier en profondeur tous les gouvernement de la planète ainsi que les ouvrages sur le sujet, diable, pourquoi me faut-il donc faire ma thèse vainement sur Artaud, si j'avais pu la faire sur la philosophie politique aussi. Mais on ne fait pas ce que l'on veut. Je vais faire ça à mon propre compte quand j'aurais le temps et l'argent pour ne faire que cela, si je jour arrive. Pour l'instant, pour ma nouvelle humanité, je m'inspirerai de mes lectures et tenterai d'inventer comme cela le nouveau système politique que je prévois, ou faire comme d'habitude, montrer le pire système politique possible en montrant les problèmes de certaines organisations. On verra, de toute façon je n'accorderai probablement pas une grande place à cela, n'étais rien de très expert sur la question et on sait ce que la critique fait des gens qui ne savent rien sur une question et qui osent se prononccer, à les entendre il faudrait absolument être un expert pour parler de quoi que ce soit. Quand on sait quue les experts sont ceux qui nous envoient à la faillite dans tous les domaines et que leur théorie s'arrange bien mal en pratique et que finalement, tous les experts se contredisent l'un l'autre, et radicalement. Que vaut leurs opinions opposées à celle de monsieur tout le monde dans ces conditions? L'avantage qu'ils ont c'est de savoir les erreurs des autres systèmes et de ne pas se fourvoyer en affirmant quelque chose. Parce qu'ici, si une personne affirme une chose à côté de la track, elle perd toute crédibilité. Un politicien qui

- 151 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dit une seule phrase qui passe de travers peut dire adieu à sa carrière politique (quand on sait en plus que l'on vote en fonction d'un parti politique et non en fonction de la personne de notre comté qui serait le plus susceptible d'aider ou de nous aider. Il ne devrait plus y avoir de partis politiques, et les postes de ministres ne devraient pas être décidés par les leaders, plutôt selon leurs compétances par un autre comité complètement impartial et hors du gouvernement. Il faudrait surtout réduire la machine gouvernementale. La réduire le plus possible ou la redéfinir. Peut-être faudrait-il se servir de la technologie (L'autoroute électronique) pour faciliter des genres de sondages-référendum sur une multitude de questions. Encore ici il y a un problème. La charte des droits et libertés doit être respectée parce qu'à l'heure actuelle le gouvernement de l'Ontario prend des décisions qui vont à l'encontre de la charte (surtout en ALberta, la bunch de conservateur seraient prêts à se débarrasser de nous autres, tout comme Mannings d'ailleurs)) À la limite, il faudrait remplacer le gouvernemement par un ordinateur, qu'on aurait bien pris soin de programmer en fonction de la charte des droits et libertés (c'est une blague, quoique bientôt on y songera, j'en suis certain, la logique de certains paramètres à suivre ou de chartes à respecter ne ferait surgir que quelques possibilités ou même une seule voie possible à certains projets de lois ou autre chose. Les gens voudraient que l'on puisse suivre tout cela sans se poser de questions, à cause de ceci et de cela... mais il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte. La population n'est pas prête à offrir aux couples homosexuels les mêmes droits qu'aux couples hétérosexuels (c'est faux, il s'agit plutôt d'un groupe qui sait crier fort et se faire entendre, parce que leurs principes religieux sont forts). Pourraient-ils accepter que les gais se marient? Est-ce à eux autres de décider? Leurs principes peuvent-ils empêcher d'autres qui n'ont pas les mêmes principes? Que ferait la logique là-dedans? Eh bien, la logique devrait premièrement accepter que les couples homosexuels existent. Ce qui est un fait en société. À partir de ce moment, l'ordinateur n'aurait pas le choix de dire que les droits des couples hétérosexuels devraient aussi prévaloir aux couples gais. De toute façon il ne s'agit là que de régulations et de protections pour les parties contractantes. Et si l'ordinateur ne reconnaissait pas les couples gais? La logique ne fonctionne plus à ce niveau. Comme si l'ordinateur pouvait juger s'il devait envoyer une bombe nucléaire quelque part, et si tous les pays avait son petit ordinateur et une bombe au bout, et comment programmer la machine, parce

- 152 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

qu'ils s'agit bien du comment on la programme, quand doit-elle lâcher la bombe? L'humain n'est pas parfait, en groupe ils peuvent s'aider à se comprendre. Lorsqu'un seul doit prendre les décisions ça devient complexe. Mais les consensus étant rares... il faut plutôt passer au vote, aucune décision qui n'a pas une majorité de votes ne devrait être prise. Une majorité fume des drogues douces, devrait-on légaliser cela au plus sacrant? Jamais personne ne pourra se prononcer publiquement, c'est illégal! Un chef de police a attendu de ne plus être en poste pour exprimer ses opinions, et je suis certain qu'il héritera de beaucoup de problèmes pour ça. Déjà plusieurs personnes l'ont discrédité, fustigé. Encore cinq ans comme dit Joël Cyr et les jeunes auront enfin le pouvoir et changeront bien des choses. Faut-il y croire? La mentalité est certes différentes, surtout quand on sait que les jeunes ne sont plus très jeunes (35 ans en descendant), on les appelle jeune pour justement les différencier des vieux qui ont fait leur temps, et les promouvoir le cliché qu'étant jeune ils sont non-compétents, cliché répandu par les vieux croutons en décomposition (vous avez remarqué que moi aussi je me laisse aller dans les préjugés et les clichés?). Enfin, le deuxième article, les Franco-Ontariens, dans la Presse il y avait le gros article, avec tous les détails et la mise en parallèle d'Anglo-Québécois qui avaient pris le même chemin pour dénoncer la loi 101 en je ne sais pkus quelle année. Ici, rien à dire. Jusqu'à ce que je lise le même article une journée (ou deux?) plus tard dans le Citizen, ou l'objectivité avait complètement été enlevée. L'article orginal venant d'une maison de Presse avait été modifié (comme celui de la Presse l'a peut-être été d'ailleurs) et je ne lisais plus du tout la même chose. L'histoire des Franco-Ontariens a servi de prétexte pour reparler des Anglo-Québécois qui avaient été à l'ONU et par le fait même, dénoncer la loi 101 du Québec. On est passé de la dénonciation d'une injustice en Ontario pour dénoncer une injustice au Québec. On nous suggère même que l'action des Franco-Québécois à l'ONU est inutile puisque la loi 101 est toujours en place. Qu'on ne devrait donc pas leur accorder leurs écoles françaises ni la gestions de celles-ci. L'article parlait autant des Franco-Ontariens que des Anglo-Québécois, alors que ces derniers occupaient toute la fin de l'article, si bien qu'on oubliait l'objet réel de l'article. Conclusion: les journaux ne sont là que pour divertir et manipuler les opinions. D'un journal à l'autre on ne lit pas les mêmes chose, on dirige nos idées, on est tout sauf objectif, le choix des lettres ou opinions va selon les éditorialistes et les circonstances du moment. Pensons juste à mon

- 153 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

article que j'avais écrit pour répondre au journaliste de La Rotonde de l'Université d'Ottawa. Mon article n'a jamais passé, je me suis rendu pour voir ce qui se passait, imaginez-vous donc que la personne en charge de faire passer mon article c'était lui, celui dont j'essayais de détruire ses arguments. Bien sûr mon article n'aurait jamais passé. Comme celui des autres, parce que personnes ne semblent s'être prononcé contre quelqu'un qui dit que la Arts à l'université c'est superflu? Allons donc, tout le monde en a eu les jambes coupées. Les articles qui semblent dénoncer les éditorialistes, sont les moins pires, ils sont là que pour nous montrer qu'il existe une démocratie, en fait, ils sont bien choisis et ne changent rien au fait qu'on ne peut pas dénoncer adéquatement les paroles de quelqu'un dans un même journal. Et le problème que les gens ne lisent rarement plusieurs journaux. J'avoue d'ailleurs que c'est un vrai calvaire de s'obliger à lire deux journaux. Je pense à me désabonner des deux à la fois. J'aime mieux vivre dans l'ignorance et respirer un peu.

La prière est inutile. Inutile, inutile, inutile. Ma mère m'a téléphoné chez Bruno while I was on the roof working for the François Family, and she told me she was paraying for me to find a summer job. Elle s'est vite rétractée pour me dire qu'elle faisait des blagues. Mais bien sûr que non! Mais prier, quessadone quand l'autre femme avec qui j'ai parlé l'autre jour, qui n'a jamais cessé de prier, a perdu son mari écrasé sous une voiture, son fils mort noyé à la pêche, sa soeur morte intoxiquée par une mauvaise prescription de médecin et son frère mort brûlé dans un incendie causé par de l'huile à patates frites? She missed the point. Qu'est-ce qui est le mieux pour le detin de l'humanité ou le destin d'un de ses individus? L'individu l'ignore certainement si effectivement Dieu est là pour le guider. Et ses prières ne changeront rien à l'affaire. La souffrance a pour seul but, apparemment, de nous acquérir certaines connaissances, la première, celle que la prière n'influence pas les événements. J'ai demandé à la vieille dame (d'où me vient ce respect tout à coup?) qu'est-ce qu'elle avait appris là-dedans. Elle ne semble pas en être consciente, elle demeurait incertaine. Elle remerciait Dieu de l'avoir épargnée, sans comprendre pourquoi. Elle m'a non seulement raconté tous les détails de la mort de toute sa famille, mais l'a aussi raconté avant mon arrivée à tout le monde présent au souper de thanksgiving de John, et l'ami de John (le petit fils de la femme) m'a dit qu'elle n'arrêtait pas d'en parler. J'y ai d'ailleurs promis de l'emmener

- 154 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

avec moi à Paris si je devais y aller (!). Il me semble que les gens qui prient évitent les vraies questions. Évitent de voir certains avantages de moments plutôt affreux, ou du moins d'en voir les conséquences. Ils prient mais acceptent que les choses se sont passées comme elles auaraient dues, ce qui revient à dire que la prière est inutile. Et sinon, si elle influence quelque chose, par exemple en envoyant des ondes positives envers quelqu'un, alors la prière ne suffit peut-être pas. Les ondes positives... en admettant que la fatalité n'existe pas, puisqu'alors, les ondes sont inutiles. Et si tout est déterminé d'avance, qu'en tel contexte, tells choses arriveront nécessairement, la prière ne peut rien contre les déterminismes. Et exiger quelque chose de son Dieu me semble mesquin en rapport à ce qu'ils sont capables de faire pour lui et son message d'amour. Ceci dit, on peut se satisfaire à espérer que l'on ne mourra pas, espérer que Dieu existe, espérer qu'une vie meilleure nous attend, espérer que la fin du monde est toute proche, le désespoir tue.

En parlant de la famille, la petite cousine AndréAnne Girard est venue à Ottawa voilà deux semaines ou la semaine passée je crois. Elle savait que j'étais homosexuel. Un cousin très loin de moi, Sylvain Néron, le savait aussi lorsque je lui ai avoué au bar le Caméléon à Chicoutimi dans le temps de noël. Toute la famill autant chez les Girard que chez les Tremblay est au courant de mon orientation sexuelle. Le tout caché comme cela est pas possible. Taboo subject. On en parle dans mon dos, à mon insu, on ose même pas me dire qui a dit quoi à qui. J'ai fait la grosse nouvelle de la famille. Je n'entends jamais rien d'eux, je me demande souvent s'ils existent encore et voilà qu'ils m'ont tous jugés sans en savoir plus que je suis homosexuel. Ça résume tout! Voilà ce qu'il fait loin dans le fond d'Ottawa, il se cache de nous autres, il vit son homosexualité! Et eux? Ah! Ils sont hétérosexuels, ce qui explique leurs commérages! Tabou, tabou tabou, comment vais-je me sentir dans un party de noël, écoutez tous! Je suis gai, ouvertement! No way. Que ça reste tabou s'il le faut, ou qu'il vienne m'en parler individuellement. Je ne veux surtout pas que la petite crisse d'Andréanne Girard fasse au diner du jour de l'an chez la grand-mère, où elle a commencé à pointer moi et Bruno et à dire «Les deux tapettes l'autre bord de la table» et Marc-André qui a repris en disant: «Qu'est-ce que tu ferais si c'était vrai?» puis j'ai manqué le reste de la conversation, ce que je sais c'est qu'on a (qui?) dit à MAG (Marc-André) de crisser le camp chez Sonia. On

- 155 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pendait jusqu'à la venue d'Andréanne que c'était ma soeur qui avait fait l'hypocrite et avait elle-même dit «les tapettes», ensuite repris par Andréanne. Les grandes justifications de fous de ma soeur qui ont suivies nous a laissé à moi et à Bruno un goût amer, on a jamais vraiment compris ce qui s'est passé, et à dire franchement on s'en foutait pas mal. J'en reparler aujourd'hui parce que l'hypocrise de l'humain n'a pas de limite. Moi aussi je suis hypocrite, je l'avoue sans crainte, vous ne pourrez donc pas m'accuser d'accuser les autres sans m'accuser et ainsi me discréditer. Quand donc suis-je le plus hypocrite? Il me semble très difficile de ne pas être hypocrite dans la société où l'on vit. Si je garde pour moi mes mauvaises pensées, je suis hypocrites. Si je les dis à quelqu'un sans que la personne en question les entende, je suis hypocrite. Si je dis tout ce que je pense à tout le monde, je ne suis pas hypocrite, mais je n'aurai plus aucun ami, ni plus aucun crédit. Il me serait impossible d'avoir un travail ou de travailler avec qui que ce soit. Soyons hypocrite donc, à moins d'être pure, de changer toutes nos idées négatives en positives, alors il est plus facile de ne pas être hypocrite, et puis de toute façon, il est possible d'essayer d'être moins hypocrite, et c'est ce que je me propose et propose aux autres. Il est difficile de ne pas être hypocrite dans un monde d'hypocrisie, lorsque nos institutions elles-mêmes (jusqu'aux religions) sont basées sur l'hypocrisie. Je vais tout de même essayer de faire un effort.

Je suis végétarien. Comme s'il ne suffisait pas que je sois gai. Il me faut être différent jusqu'à la fin semble-t-il. Pourquoi suis-je végétarien me demande-t-on souvent (parce que cela, j'en ai moins honte que d'être gai et je l'avoue plus facilement). Je suis végétarien premièrement parce que plusieurs personnes dans ma famille, chez les Tremblay le sont. Je me suis alors posé la question à savoir pourquoi ils l'étaient. Bien sûr je ne me serais jamais posé la question tout seul. Manger de la viande m'a toujours semblé normal, j'en mangeais moi-même sans vraiment aimé cela plus qu'il faut. Même ma soeur voulait devenir végétarienne à un moment donné. Ça a duré trois mois. J'étais effectivement proche de Jean-Paul et Jacinthe, Mario et Édith, tous quatre végétariens. Puis j'ai arrêté de manger de la viande pendant un bon bout de temps, sans trop m'en rendre compte, et le jour où je m'étais fait une grosse assiette de viande à fondue chinoise, sans avoir de Ketchup ou sauce du diable pour l'accompagner, autrement dit sans les condiments ou épices, j'ai manqué mourir et là, ça

- 156 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

m'écoeurait vraiment. Graduellement j'ai arrêté d'en manger, si bien qu'après six ans, je me demande comment on fait pour manger de la viande. Je dégeulerais là si on devait m'en faire manger. J'ai pris l'autre jour un hambirger végétarien dans un restaurant (Mayflower) à Ottawa, ça ressemblait tant à du poulet, qu'après deux petites bouchées j'en pouvais pu, je l'ai pas mangé. J'y suis retourné dernièrement, l'hamburger était différent, je pense que l'on m'a fait une blague la première fois, on m'a effectivement donné du poulet. Je trouve ça incroyable que l'on puisse faire une telle chose. On sait pas ce qu'on mange, on s'en fout. À l'heure actuelle, y'a tout plein de restaurants à Montréal qui sont condamné à des montants en dessous de deux mille dollars alors qu'ils sont infestés de coquerelles et sont malpropres et qui foutent rien pour changer la situation même après trois condamnations. Et c'est Montréal, imaginez ailleurs dans le monde. À l'université d'Ottawa, on sait pas trop ce qu'il y a dans les bouillis de la cafétéria. Plusieurs religieux ne peuvent pas manger du porc ou de la vache, ils posent la question, je demande au chef, j'ai l'impression qu'il ment. Je ne me gêne pas pour dire au client qu'on peut pas faire confiance au chef qui dit qu'il n'y a pas de porc là-dedans. Je sais très bien que les bouillis, c'est pour les restes. Bref, demandez dans n'impporte quel petit restaurant s'ils utilisent de la graisse végétal ou de boeuf, une fois sur deux vous n'aurez pas la vérité. On prend ce qui est plus cheap, la graisse de boeuf. Ils se trompent, ce qui est encore plus cheap c'est de la graisse d'humain. Combien de morts au Rwanda? 500 000 aux dernières nouvelles? Exportons la graisse humaine, elle fera très bien pour frire nos patates et le reste. Un tier de la planète mange pas à sa faim? Prenons la viande où il en a! Au Rwanda. J'ai honte de le dire, mais quand j'étais jeune, ça sentait le bon steak frit, j'en avais l'eau à la bouche, avant de me rendre compte que c'était le gros bonhomme en avant de moi qui suait à grosses gouttes. Quand j'y repense, c'est de la bonne viande ce monsieur là. Je le vois très bien avec de la sauce du diable et quelques épices. Avec le temps, j'ai développé une pitié envers les animaux. Ils ont des sentiments me semblent-ils, une certaine intelligence on dirait, moyens de communication, hiérarchie sociale, système de gouvernement presque. Il est difficile de s'acheter des souliers qui ne sont pas en cuir, mais je jure de faire un effort dans le futur. Il manque tout un crédo en ce qui concerne les produits faits à partir de choses autres qu'animales. Souliers, sacs-à-main, porte-feuille, bouffe, restaurants, etc. Je mange encore du poisson, seulement quand je n'ai pas le

- 157 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

choix ou que la société qui m'entoure commence à se lamenter que je ne mange rien de ce qu'ils mangent. Mais je sais que bientôt je ne pourrai plus en manger. Et c'est vrai, j'ai de la misère à comprendre comment on peut manger de la viande. Je ne m'explique cepandnat pas pourquoi, j'en ai moi-même mangé pendant 16 ans, sans problèmes. Je ne peux pas accuser la société d'en manger non plus. Mais je sais qu'il est bénéfique de ne pas manger de l'animal, à plusieurs niveaux. Surtout au point de vue de l'environnement, et du corps humain. On a beaucoup identifié de sortes de cancer qui se développent en fonction de la viande (rouge en particulier). Mais cela ne m'empêcherait pas d'en manger. J'ai me le café et le beurre, il faut pas s'empêcher de vivre non plus. S'il m'était pénible d'être végétarien, je ne le serais pas. La religion ou les sectes comme les Rose-Croix n'ont rien à voir avec mon choix, même si c'est peut-être à cause de cela que mon oncles sont végétariens. Enfin, je trouve stupide que les gens qui aiment les animaux domestiques plus que les humains les nourrissent avec d'autres animaux. Ça aussi ça mérite d'être exploité pour faire de l'argent: du manger pour chat végétarien. Je vois déjà le ridicule de la chose, mais avec quelques millions à l'autre bout, je pourrais en aider des gens. C'est drôle à dire, mais si un jour j'ai de l'argent, je vais tout faire pour aider les autres. En commençant par aider les gens ici, pour finalement opérer un genre de transferts des fonds avec le tiers monde. Ce serait un très bon accomplissement, ça reste à voir.

- 158 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

1er juin 1994

Voici donc la version finale de mon article, une fois traduit (voir les commentaires après).

Ottawa south, may 27 1994

Adam and Steve

I think we have touched upon a well hidden truth in our society. We might not want to admit it but Adam and Steve exist, and there are lots of them. Some lead open lives, but others hide their sexual orientation. Consequently they must build a second personality, an «exemplary» image that society wants of them.

But a society is not just white heterosexual descendants of England or France. It's a myriad of people, and a society should respond to all it's constituents.

Among the groups of people I have known, I could always recognize at least one or two individuals that were gay, and I talked to them. So I always had an idea that around 10% of the people in any group were gay. And that does not include the ones who I did not recognize to be gay. 1% of women admit they are beaten. This rises to 16% when the poll is anonymous (Nouvel Observateur, 3-9 April 1987, p.4). But anonymous polls don't always work. Recently the latest stats say that only 1% of the population is gay. How can we rely on statistics when many gay people would never admit who they are? It took me years to even admit it to myself. Most gay people lead a hidden life - so hidden that if they were a victim of bashing or discrimination, they would never go to the police or complain. They just walk away.

It's time to stop people from thinking and deciding for us, especially when we can't change who we are. [There is nothing worse than when people who really don't know us, tell us to change. Religious organizations usually say we are sick, we lead an aberrant life-style and we will go to hell. Most of them have never even been friends with someone they knew to be gay. They are the most ignorant about us and yet it is they who judge us.]1 We know,

- 159 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

and we are the best ones to know about it. It has never been a choice for me. [I can never and will never change.] We just want to be able to breathe, to survive, and to tell people who we really are. [Have heterosexuals ever thought what it would be like if they had to hide all affection from public view? If they had to hold hands only behind closed doors? Well this is the life most of us live.]

We have to fight groups that want to judge us immoral and want us to disappear. Does a healthy society hide the truth? Adam and Steve have the right to live, and the Bible is probably the worst autority we can use to teach us anything about life. The Bible has often been used as a weapon to justify atrocities and hatred. The verses are often thrown at us like daggers. Sometimes, the knives are real. If you are a bit human, you will understand that the only morale law is to let people be happy as long as they're not hurting others. The time for conformity is over. We are not what you want us to be. Acceptation, tolerance: does this not remind you of anything?

[It's a good thing that the government is not going into your bedroom to tell you that if you're not going to conceive a child, you shouldn't have sex. In this case, if we can rely on statistics, you will be allowed to have sex 1.8 times in your life.]

I will have the courage to sign my letter (it's the only way to publish it), because someone has to do something. You know, it's dangerous to be homosexual here because it is such a taboo.

Let us be a part of the society! Let us contribute! Let us have a family! Let us live!

R.M. Tremblay

Ottawa south

C'est très bien. Mais on a perdu le fil de mes idées. On dirait un ramassis de cochonneries mises bout à bout. Bruno a laissé tomber bien des choses parce qu'il comprenait pas le sens de bien des choses. Il m'a cependant bien conseillé avec des choses qui étaient dites trop exagérémment, qui en aurait à coup sûr fait lever une couple de leur chaise. Le truc

- 160 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dans ce genre d'article c'est de les boucher, leur permettre aucune critique, car la moindre petite chose servira à anétantir l'ensemble des arguments. Of course, it's not the same with the Revolution, là c'est fait pour faire tomber les gens de leur chaise. J'ai longtemps douté de la portée de la Révolution, je n'en doute plus. Ça prend pas grand chose pour réveiler un peuple. J'en ai pour preuve Lucien Bouchard. Il n'a même pas dit qu'il croyait que les États-Unis pourrait vouloir s'approprier la Colombie Britannique ou/et l'Alberta, le Canada au complet s'est levé pour crier au meurtre! On a même plus besoin de parler! Imaginez. Le mythe va s'élever au-dessus du livre, on prendra même plus le temps de le lire. Ce qui m'arrangerait en fait. J'aime mieux le mythe que le livre même. D'ailleurs, le livre est facultatif, seul le mythe compte, avant, pendant et après l'écriture. Le seul danger est de ne pas être capable d'atteindre ses objectifs, c'est à dire, d'être déçu en rapport à ce qu'on cherchait à faire. Heureusement dans mon cas, je suis toujours surpris du résultat, comme si j'avais eu un coup de coeur supplémentaire à chaque fois. C'est-à-dire, le résultat final est toujours mieux que ce que j'avais d'abord imaginé. Comme si tous les éléments finissaient par s'agglomérer ensemble pour produire une oeuvre. Le seul problème c'est qu'il n'y a que moi pour l'apprécier et qu'il n'y aura peut-être que moi pour l'apprécier. Ça me fait`penser à Calvin et Hobbes, Calbvin qui disait qu'il était un misunderstood genius, why?, because nobody think he's a genius. J'ai très confiance en ce que je fais, c'est pas aujourd'hui que je vais m'appitoyer sur mon sort, surtout que je viens de me faire dire non pour un emploi au musée des technologies. Pas assez compétent pour cela non plus. J'attends des refus des universités pour la maîtrise, je commence à être habitué ces temps-ci à des refus. Un génie ne devient génie qu'un coup décrété comme tel par la critique. Avant cela, il n'est qu'un pauvre type qui se morfond dans son coin. De toute façon je ne suis pas un génie. Un grand penseur est déjà un titre qui sied bien pour ceux de la littérature (moi je me classe penseur tout court, pour l'instant). Einstein, Newton, Socrate, Platon, Descartes (même si ces trois derniers sont de grands penseurs, mais un peu plus), Léonard de Vinci, ça se sont des génies. Beckett, Kundéra, Ionesco, ça ne sont pas des génies. Il ne suffit pas de faire de la métaphysique pour être un génie, il faut faire une révolution, changer des choses, des courants, des systèmes, etc. Voltaire et Rousseau, j'aurais tendance à les classer génies, mais aujourd'hui ils ne vivent que par leurs oeuvres littéraires, pas le contenu. Bien qu'ils aient influencé la Révolution fran

- 161 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

çaise, la limite est difficile à cerner. Enfin, Virgile me semble être une construction mythique. J'aurais bien de la misère à accepter un génie coonstruit de toute pièce dans le but de faire refleurir le tout sur l'empire romain du temps. À ce sujet, n'est-il pas ironique que l'empire romain ait encore beaucoup d'influence dans le monde du point de vue religieux? Cela prouve jusqu'à quel point ils avaient les bons arguements pour convaincre tous le monde qu'ils devaient avoir tous les pouvoirs, ils ont réussi à aliéner tout le monde tout ce temps là ou presque (n'oublions pas la Réforme de l'Église). Ils sont allés chercher directement dans l'âme des gens les peurs les plus grandes et les plus mystiques qu'on oserait jamais les défier. Cela fait de l'Église le gouvernement le plus totalitaire jamais conçu sur cette planète. Ce qui explique qu'elle s'est maintenu aussi longtemps et se maintiendra encore longtemps, parce que ses sujets sont aveulges en plus. La vieille religieuse ne comprend pas que tous les problèmes ou presque de cette planète proviennent des religions, souvent même on oublie la source d'autres problèmes et en les remontant, on découvre que cela part de la religion. La vieille ne comprend pas ou ne veut pas comprendre que des millions de personnes sont mortes pour sa calice de religion pourrie jusqu'à l'os. La corruption chez les papes, c'est pas nouveaux. J'ai même été surpris de voir combien me semblaient être laïque ou athé. À lire un peu leur histoire, on a du mal à comprendre certaines choses. J'ose croire qu'ils croyaient en Dieu? Ou bien ils ne sont que des manipulés de tous les temps, des fantoches. C'est possible, rappelons-nous de la pornocratie. Les paradoxes au niveau des papes, c'est très réel. Surtout lorsqu'il faut s'adapter aux changements du temps et que la légende basale qui sert d'autorité suprême ne prône qu'une stagnation complète. La bible, les écritures saintes, c'est pire que mon histoire d'ordinateur qui prend des décisions. La logique est circulaire. Elle ne va que dans un sens. Elle discrimine en plus, et il faudrait qu'on discrimine à notre tour jusqu'à la fin des temps. Dans ces conditions, la fin des temps va arriver un jour, c'est certain. Bref, ils l'ont leur ordinateur, et tout le monde sait jusqu'à la fin des temps leur position sur tout. Et tout le monde sait que pour respecter ce que disent les écritures saintes, il faudrait que beaucoup de sang soit versé encore. Et le con qui crache sur les homosexuels, qui croit en son Dieu, en sa religion, est un très bon exemple du totalitarisme de cette institution. On ne tolère rien ni personne, pas même une opposition. Il faut se débarrasser de ce qui n'est pas naturel. La frontière de ce qui est naturel peut-elle être

- 162 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dessinée à même ce qui caractérise la majorité? J'ai lu le Corydon d'André Gide, il semble que personne n'ait lu ce livre. J'ai lu Alexis de Margurite Yourcenar, ce livre était peut-être trop sibillin pour le peuple? Je suis certain que Colette a écrit des choses importantes sur le sujet, et même moi je ne l'ai pas lu. Les gens ne lisent pas ce qu'ils critiquent, ce qu'ils dénoncent. Ils discriminent sans jamais s'être renseigné, les arguments qu'ils utilisent ont déjà été anéantis par leurs plus grands auteurs, ils s'en foutent, le savent peut-être, on comprend pourquoi, pour atteindre leurs buts ils doivent oublier les réfutations, de toute façon le peuple est facile à manipuler, il est ignorant. Venez pas me dire qu'en 1994 le peuple n'est pas ignorant! Je suis ignorant et je viens de finir un diplôme universitaire de trois ans en philosophie et littérature!

J'aime les jouranlistes honnêtes, André Pratte, Pierre Foglia, Nathalie Petrowski, tous de la Presse. Ils sont très critiques, mais toujours balancés (ou presque). C'est-à-dire qu'ils ne seront jamais pour ou contre entièrement. Il y aura la part du bien et du mauvais. Une critique de mes livres qui diraient du négatif, je l'accepterais volontier, surtout si elle est justifiée, mais une critique totalement destructive, ça reste à voir dans la justification, et totalement dithyrambique, on entre dans l'hypocrisie ou le mensonge. Bien que j'accepte qu'il y en ait qui puisse être incapable d'apprécier une seule ligne de mon livre. Quand on est parti sur une mauvaise pente avec tous les préjugés possibles après les huit premières pages, il est impossible d'apprécier quoi que ce soit ensuite. Mais alors on est déjà plus objectif, on a bloqué ou sur le contenu ou sur le contenant. De toute façon, si un de mes livres vient qu'à être publié, il me faudra me faire une carapace, parce que justement, je suis excessif et la Révolution est pratiquement donné en pâture pour les critiques ou certains groupes sociaux. En lançant des clichés usés sur l'inceste, le viol, l'homosexualité, et en restant vague sur si je partage vraiment ces idées, je permets à ces groupes de crier au meurtre, de dénoncer un tel livre qui pourrait encourager certains comportements sociaux. Le plus grand la portée sera, le plus grand ils sentiront le besoin de se prononcer contre le livre et aura la chance de parler de leurs causes. Reste à voir si la bombe fonctionnera. Pour ce faire, faut trouver un éditeur, faut éliminer toute préface, faut même signer le livre avec deux lettres seulement: RM.

- 163 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

2 juin 1994

Voilà, fallait s'y attendre, on m'a refusé en maîtrise de l'Université d'Ottawa. Alors comme tout le monde fait lorsqu'il subisse uun cuisant échec, je vais me justifier. Il le faut, l'humain qui ne se justifie pas, s'appitoie, se replie, se suicide. Moi j'ai passé par-dessus cela depuis longtemps. Après toutes les lettres de ces éditeurs qui me refusaient mes manuscrits, la lettre de M. Gallays m'a presque pas ébranlé. Je dis presque pas, mais ça m'a donné un méchant bon coup de pied. J'ai passé la journée au centre-ville à aller porter des CV dans les écoles de langues, puis je suis allé à l'admission pour m'assurer que les autres universités auraient mon bulletin et une attestation de mon diplôme d'étude. Je commence à regretter d'avoir choisi le génie électrique comme solution de rechange. Mais de toute façon mon orgueil me dicte qu'une autre session en philo pour réappliquer là où je suis à peu près certain que l'on me refusera encore, ça m'intéresse pas. C'est ailleurs ou c'est le génie pour quatre ans. Bien sûr que je suis cruche, pas plus qu'un autre. J'ai coulé une session de droit moi, et j'ai pas fait quatre ans de littérature, on m'a crédité un an de CEGEP sans me donner les 90% et 95% que j'avais alors. Ce qui fait que pour remonter une crisse de moyenne pondérée de trou de cul, c'est impossible. C'est mon style de réussir l'impossible, pas cette fois. Il fallait 6.7, j'ai 6.6. De un, notre bureaucratie est si grande qu'un point un tue, ou de deux, on respecte la bureaucratie quand ça fait notre affaire. Des petites crisses de niaiseuses et des petits christ de niaiseux, le département en a accepté beaucoup en bas du 6.7. S'agissait de prendre un ou deux cours en même temps que la maîtrise pour avoir la moyenne. Sans compter que tout le monde veut aller à Montréal, à Ottawa, on les cherche ceux qui veulent faire la maîtrise, il en manque. Moi c'est pas pareil, je paye pour mon insolence. Est-ce que je vais comprendre? Est-ce que je vais enfin revenir sur la terre? Prendre mon coin sans dire un mot? Non. C'est de famille, c'est héréditaire, j'ai toujours parlé comme une caduque, c'est même positif pour lorsque j'écris, du reste, on ne change pas sa nature. Je les aurai poussé à bout, le ton de la première lettre de Gallays aurait dû me convaincre dès le départ qu'il n'existait pas d'objectivité dans mon cas. Je croyais être intelligent en me procurant une lettre de référence de chacun des pires ennemis du département, quel erreur.

- 164 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Pierre-Louis la tapette avait déjà une idée défavorable envers moi. J'ai manqué plus de la moitié de ses cours, à deux reprises. Alors lorsqu'il est arrivé sur la table du comité, et qu'il a vu la lettre de Lafon, le mal de ventre lui a pris. Surtout avec sa mesquinerie lors de la réunion du département. Moi et Dominique on était contre lui. Je croyais qu'entre adulte on pouvait rire de cela. Je lui ai quand même demandé une lettre de référence. De toute façon, je lui avait demandé de m'en écrire une six mois avant, comment aurait-il réagit en voyant que finalement je l'avais pas choisi? Entre adultes... j'oublie justement que moi je peux rire de ces niaiseries parce que je me considère encore comme jeune et que l'Université, c'est pas ma vie. Eux, les adultes, la vie est sérieuse. C'est leur vie qu'ils jouent, leur crédibilité. C'est juste de valeur que cela fasse que je ne serai pas accepté. Le troisième sur le comité, c'est Robert Yergeau. Ô ironie! On pourrait l'appeler: celui-qui-a-refusé-un-à-un-tous-les-ma nuscrits-de-RM-et-qui-s'est-permis-à-chaque-fois-de-lui-cracher-dessus-et-d'essayer-de-le-con vaincre-que-ce-qu'il-écrivait-c'était-de-la-bullshit! C'est drôle que j'aie exactement la même opinion de la bullshit de poésie qu'il écrit! Bref, j'aimerais mieux croire que rien de tout cela n'existe pas. Que justement je ne fais que m'en inventer pour me rassurer que je ne suis pas si cruche et que dans le fond, il ne me reste qu'à me trouver un travail dans une cabane à patates frites (mais ça aussi je suis trop cruche pour ça, en fait, je ne sers à rien, ce qui extraordinaire quand on sait tout ce qu'il y a à faire dans cette ménagerie qu'est notre société!) Mais ça fait deux coups bas que je reçois de ce département, et ça me fait chier (le premier c'est l'histoire de Daniel Poliquin, le deuxième c'est la lettre de référence de Lafon qui comme par hasard ne s'était jamais rendu au bureau de Gallays; je ne suis pas assez con pour croire que c'est une erreur!) Le pire c'est que je vais être refusé à l'Université du Québec à Montréal aussi. Aussi parce que ma moyenne est pas assez forte, mais parce qu'il y en a trop au-dessus de moi avec des moyennes plus fortes. On utilisera pas le prétexte d'un demi point. Enfin, ça m'inquiète pour Paris parce que peut-être que ma moyenne ne suffit pas. Surtout que si elle suffit, elle ne suffit peut-être pas pour le doctorat; et une maîtrise, surtout en France, ça vaut pas grand chose. Aussi bien aller en Génie, eux au moins ils me refuseront pas (jamais j'créérai, ils m'ont accepté l'an passé avec une moyenne pondérée en bas de 6.0 (5.9). Dans le fond, c'est le temps d'être fataliste. Les événements s'arrangent pour m'obliger à aller à Paris ou pour m'obliger à demeurer avec Bruno et d'entrer comme lui

- 165 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

en Génie. La seule chose qu'il me faut éviter de faire, c'est de me demander pourquoi, parce qu'alors là, je me perds. En fait, c'est toujours après que l'on peut se poser la question, parce qu'enfin on sait ce qui est arrivé qui n'aurait pas arrivé si...

Le père a réaffirmé son désir de voir son fils un ingénieur. Il ne le dit pas fort cependant, et il n'encourage pas son fils sur cette voie, parce qu'il le respecte et surtout, il a peur d'influencer des décisions qui pourraient mal tourner, comme celle d'aller en droit. Bref, on m'a forcé à aller en droit. Si j'avais été directement en littérature, il n'y aurait eu aucun problème pour aller en maîtrise. De toute façon, il me suffirait de suivre deux cours de français à la session d'été et de demander une reconsidération de dossier. Je l'aurais mon 6.7 de moyenne pondérée. Mais quelque chose me dit que je ne serais pas accepté quand même. On se trouverait vite d'autres arguments et ils sont simples à cerner. Le 6.7 est un minimum pour que l'on considère un candidat. Le 6.7 ne fait pas automatiquement entrer un candidat en maîtrise, surtout pas un candidat qui manque la moitié de ses cours et qui remet ses travaux en retard. Même s'il a été se dénicher à deux reprises des papiers de médecins on ne sait trop comment! Cet étudiant ne prend pas ses études au sérieux, pire, il se fout de nous puisqu'il a eu son diplôme! Je l'avoue, c'est vrai. Mes études, je ne les ai jamais prises au sérieux. L'écriture à toujours été plus important. Et cela a longtemps fait paniquer mes parents. N'oublions pas que mon premier examen de physique que j'ai coulé (j'ai quand même eu 70% de moyenne à la fin) c'est la nuit où j'avais rien étudié et que j'ai commencé à écrire La Chanson de Roland Michel (à ce sujet il me faudrait vite brûler ce livre avant qu'il ne tombe entre de mauvaises mains, qui donc possède une copie de ce citron?)

Parlant de La Chanson de Roland Michel, j'ai vu depuis Vers et Verts les Champs que ce livre était mauvais. J'avais alors peur de découvrir avec le troisième livre que le deuxième aussi devrait prendre la poubelle. Heureusement non. Je ne suis plus capable de relire La Chanson, je ne me fatiguerai jamais de lire Les Champs Verts. Mes deux pièces de théâtre sont des choses que je ne suis pas capable de relire indéfiniment. C'est embêtant. Il me faudrait pouvoir faire une pièce que j'aimerais relire sans cesse, comme La Révolution, Les

- 166 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Quatre Piliers, Les Lettres.

Let's talk about big issues. The homosexuality of the Ontarians. Selon eux, il existe entre 1% et 4% de gays, ils semblent même s'entendre là-dessus. L'Église est arrivée en vrac là-dedans, elle qu'on croyait morte depuis des lustres. On dirait d'ailleurs une campagne d'image. Elle va aller se chercher une nouvelle génération de fidèles obnubilés sur le dos de ses enfants pauvres. Elle vient de ressusciter! Le revigorement tant souhaité! C'est merveilleux, l'édition du Citizen du 2 juin 1994 est mémorable, on a jamais autant parlé d'homosexualité dans les journaux. Le bill peut mourir, pour ce qu'il apporte de toute façon, ça ne change pas grand chose. L'important c'est qu'on en a parlé, et qu'onn reparlera lorsqu'un prochain gouvernement voudra repasser une loi similaire. On verra d'ailleurs qu'au Québec ça traînera pas. Le projet de loi va passer plus facilement, le Québec est plus tolérant. Peut-être parce que comme dit Joël Cyr, y'a plus de gay à Montréal qu'ailleurs? Non. C'est parce que ça fait plus longtemps que la société est tolérante, André Montmorency le disait le mois passé. Ainsi, la communauté s'est développée avec le temps. Il est pas surprenant que l'Ontario ait plus de problèmes. Les Anglais sont se qu'il existe de plus conservateur dans le monde (pas les Anglais d'Angleterre cependant). Un Anglais ici ça se couche à neuf heure du soir. Les enfants des Anglais se couchent à 10h30. Les restaurants ferment à 10h (sauf dans le marché, pour accomoder les touristes je suppose). Les bars ferment à 1h. Laissez-moi vous dire que ça ferme vite, 1h, c'est pas loin. Et le pire c'est que la mentalité est comme au Québec, on sort à 11h du soir dans les bars, alors ça fait seulement deus heures de boucane eet de bière, de danse et de calvaire. C'est que les anglais vont à Québec après. Mais je me demande ce que font ceux du reste de l'Ontario? Ils font probablement comme en Alberta (une autre société d'extrême droite), ils sortent à 8h du soir, alors à une heure, ils sont crevés morts. Pas comme en France, Élizabeth et Fabien nous disaient qu'ils sortaient toute la nuit, sortaient déjeuner à 6h du matin, retournaient dans le bar jusqu'à midi! Quesessa? Là, c'est trop libéral pour moi. C'est de valeur que je vais devoir quitter les Ontariens bientôt. Pour Paris justement! (Je ne sais pas hein?) Quitter un milieu si anglophone, moi qui s'y était enfin incrusté? Qui lisait The Citizen, qui pleurait au rythme des Anglo-Canadiens, qui a même pris part à leur débat sur l'homosexualité, même si j'ai l'im

- 167 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pression que mon article ne passera pas dans le journal. Encore un échec, je vais me mettre à croire que c'est vrai qu'il n'existe aucun moyen pour moi de me faire entendre. Se peut-il que je sois si à côté de la track que cela? Peut-être ai-je pogné la maladie de l'intellectuel, à trop réfléchir, on pense pas comme la masse, on ne peut se faire comprendre que d'une minorité qui pourrit dans les Universités? Non, je viens d'être refusé, ce qui signifie qu'au contraire je ne suis pas assez intellectuel. Je suis même crétin. Et comme mes préjugés me disent que le reste de la masse est elle aussi une gang de crétins et crétines, je crois qu'on devrait bien s'entendre! Mais non, je ne suis pas capable de publier ni dans la Rotonde ni dans le Citizen! Enfin, le Citizen on verra, c'est quand même juste dimanche que je l'ai posté, et comme ils réécrivent les articles en entier for the style, I'm curious to see how finally my article will look like afterone translation and one rewrite for the style and accommodation. Please! Publish it just to show me how we can difform an opinion in this society and still say that the author is the ones que ses idées was pourtant completely differents.

5 juin 1994

Mon article n'a toujours pas passé après une semaine. Disons qu'ils l'ont depuis le 31 mai, ils peuvent prendre encore une semaine et demie. Il sera trop tard peut-être, le gouvernement de l'Ontario risque de passer au vote et la loi ne passera pas. Je m'en fous, d'autres plus au courant ont réagi plus vite et mieux. C'est que moi je dénonçais l'utilisation d'Adam et Steve, pas la morale des gens qui, sous le joug d'une religion dont l'ont ne finit pas de compter les morts qu'elle a causées, prône la discrimination et l'intolérance à un niveau qui me surprend. Cela me surprend parce que le projet de loi qui serait adopté n'est que l'extension au privé, de lois déjà passées pour le secteur public. Sauf l'affaire de l'adoption je suppose (je ne connais rien ni au premier projet de loi ni au deuxième, les autres dénonciateurs non plus, et surtout pas les religieux, eux ils mentent comme ils respirent) j'entends des versions contradictoires à droite et à gauche. La ministre dit qu'individuellement, les gens peuvent adopter un enfant. La loi ferait qu'en couple homosexuel, on pourrait adopter un enfant. Ce qui revient à dire que sur le papier d'adoption, on ajouterait un nom et l'enfant aurait bel et bien deux tuteurs. Voici alors un curé ou quelque chose du genre qui se lève

- 168 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pour dire que la loi ne devrait pas passer parce que les homosexuels sont dérangeants pour les enfants, c'est irrévocable, ils seront foutus. C'est drôle comment c'est tout le contraire, une telle loi protège l'enfant, une telle loi n'empêche pas un homosexuel vivant en couple d'adopter un enfant, et des dénonciations du genre traumatise justement l'enfant homosexuel, ou l'enfant dont le parent est homosexuel. Ah, la religion, toujours numéro un pour provoquer la confusion dans le cerveau de ses enfants, ils réussissent très bien leur beau projet de société se tordant dans le conformisme puisque je lisais dans le journal aujourd'hui que 40% des enfants qui se suicident au Québec, le font parce qu'ils ne peuvent accepter leur homosexualité. D'autre chiffres sont sortis, paraîtrait que le tiers du monde du clergé sont homosexuels (!) et la moitié seraient non célibataires (!!), faut-il ajouter la liste des pédophiles au sein de l'Église? (!!!) Une telle prise de position ne conduit nulle part ailleurs. L'homme (je parle de l'homme puisque c'est surtout lui qui par la force arrive à violer quelqu'un (je suppose, j'entends rarement parler d'une femme qui aurait violé quelqu'un(?)), l'homme qui se retient toute sa vie, ne peut pas se marier, ne peut avoir de sexe, en plus qu'il ne dépenserait pas son énergie autrement, peut certainement devenir dangereux. Interdire les films pornographiques (comme un Monteigneur vient justement de démissionner parce qu'il en visionnait en plus de fumer de la drogue) est la voie vers le viol. Celui qui n'a pas de sexe et qui peut même pas s'assouvir devant sa TV avec des films de Q, je le vois très bien sauter dans la rue pour en violer une éventuellement. Parlons d'autre chose.

John Hare a écrit un article dans le Citizen (2 juin) à propos de la pièce de Joël Beddows, Provincetown Playhouse, 1919, j'avais dix-neuf ans. J'ai lu l'article. C'est très bien, je suis heurex pour Joël, content mais déçu. Qui a écrit l'article? Un prof du département. Connaissait-il la pièce? Tellement bien qu'il aurait pu ne pas assister à la pièce pour écrire l'article. Aurait0il écrit l'article si Joël s'était décidé à monter Mort Accidentelle d'un Anarchiste de Dario Fo? Mise en scène que je juge impressionnante, et sévèrement critiquée par le département qui, bien évidemment, enseigne un théâtre tout à fait contraire à cette pièce jugée de boulevard. Juge-t-on le talent ou la pièce montée? Parle-t-on d'une pièce parce que cela fait 10 ans qu'on l'enseigne et qu'on l'adore, ou parle-t-on vraiment de relève? Pire, dans l'article de La Rotonde, tout le propos de la pièce était absent. Aurait-on fait fuir les gens en

- 169 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

cachant que le propos est homosexuel? Mystère...

Mon père m'a dit de pas avoir peur de sortir de l'Université, c'est-à-dire, d'accepter le travail que l'on m'offrait dans le nord de l'Ontario, il pensait que c'était stable comme travail, or, je ne peux le faire plus de deux ans, du reste, j'ai déjà dit non à la femme. Cela me fait réfléchir. Pourquoi vouloir tant soit allé en maîtrise ou en génie? Pourquoi le génie? Suis-je tant lavé du cerveau qu'il me faille absolument réussir dans la vie? Sortir de l'Université maintenant fera que je suis certain de crever de faim pour le reste de mes jours, compter mes fins de mois, ne pas avoir de maison isolée ou d'automobiles. Suis-je donc matérialiste? Il est temps de me citer: «On peut faire partie d'un système et le critiquer, et cela ne remet pas en question le système en tant que quel, mais plutôt l'avénement de certains changements», le plus souvent dans les mentalités qui nous détruisent, si, justement, on ne réussit pas. Ceci dit, je n'ai jamais dit que je ne voulais pas réussir, ni cherchait à ne pas réussir. Je ne veux pas crever de faim et tant mieux si je deviens riche un jour. Je voudrais juste pas que les gens se suicident si ils n'ont pas la chance d'en arriver là, et ça, ça demande un changement dans les mentalités. Je m'attaque à la Réussite dans la Révolution, inconsciemment j'imagine que j'ai beaucoup souffert de croire que je ne réussirais rien. Mais si j'ai la chance de réussir, je ne dis pas non. Les gens hypocrites se cherchent de bons arguments pour protéger leurs acquis. Aussitôt que quelqu'un critique la vie en société, il devrait aussitôt abandonner cette vie en société. Quelle genre de société aurions-nous si tout le monde pensait ainsi? De toute façon, je ne réussirai jamais, je ne serai jamais en mesure de détruire tout le monde à mon avantage, couper dans les besoins essentiels plutôt que dans la bureaucratie (maintenir la bureaucratie en place est le secret de la réussite). Je commence la Réussite en disant se croire tout permis, quelle joie de dire que ce qui est nécessaire. Encore là, c'est bien ici, dans mon journal que je suis libre. Je peux exagérer à outrance, je peut être excessif, même raciste si je veux. Je serais le premier à crier à l'hypocrisie si on me reprochait ce que je vais dire: il m'est difficile en ce moment de voir un somalien dans la rue. Je ne suis pas de nature raciste habituellement, je suis ouvert à l'immigration et non pas à cause de l'opinion de la masse ou la peur du jugement de la masse. Je reconnais les somaliens parce qu'on les a vus au CNN. Traînant des Américains morts (peut-

- 170 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

être même et sûrement des Canadiens) avec des bâtons, ce, à travers les villes. Tout le peuple était alentour de ces morts, le regardant sans en être écoeuré, riant, c'en fut trop pour moi, j'ai crié au peuple barbare et primitif! Maintenant que j'y repense, je comprends que mon racisme est injustifié, même, que les Somaliens d'ici ont condamnés ces pratiques. Mais le peuple canadien et sûrement américain, les images sont demeurées gravées dans leur mémoire. Tellement que le lendemain on criait pour qu'on crisse le camp. Les Somaliens avaient tellement vus juste! Rien n'était mieux que d'atteindre l'Ego américain. L'honneur de tout un peuple est défait par la seule image d'un Américain nu en décomposition que l'on traîne dans un village. On a crié au scandale, le retrait des troupes a suivi. Comme si des millions d'Américains, soudainement, s'étaient identifiés à l'autre. Si l'humanité au complet pouvait ainsi s'identifier à n'importe lequel humain, l'humanité serait sauvée. Comme si des millions d'Américains étaient morts de la même façon. Bien sûr que non, mais combien de Somaliens sont morts à cause des Américains et des Canadiens? Ça, étrangement, on l'a pas vu aux nouvelles de CNN. Quel était donc le but de ces retransmissions? Le vrai but? (On me dirait bien de la gauche de ce temps-ci... j'aimerais bien moi aussi devenir un deuxième André Gide).

La société du Big Brother est pour bientôt, elle est même probablement déjà en place, on l'ignore tout simplement. Ceux qui veulent en parler en meurt. Les gens se taisent, pour ne pas en mourir. La Russie est prise par le crime organisé qui a mis la main sur les secrets du KGB. Le crime organisé est maître de la Grèce, de l'Italie, de partout! Combien d'Italiens réputés pour être mêlés dans la mafia se sont fait tuer à Montréal dernièrement? Trois de ma seule connaissance, depuis que je me suis abonné à la Presse. On nous parle là-dedans de plein de monde qui se sont fait tuer. Un gouvernement instable comme on le vit présentement, un faux pas, et tout ce petit monde se retrouve à la tête du pays. Ils y sont peut-être déjà, de toute façon, avec tous les pots-de-vin qu'ils peuvent offrirent, ils ont certainement déjà un bon contrôle de la situation. Imaginez, une couple de personnes sont mortes à Cornwall, parce qu'ils s'étaient mêlés du traffic de cigarettes. Le Maire de la petite ville a dû se cacher, on cherchait à l'abattre parce qu'il avait osé s'attaquer aux méchants. On achète les gens, ils se taisent parce qu'ils ont peur, on leur fait peur tout court sans les acheter et ils se

- 171 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

taisent parce qu'ils ont peur, on leur donne tout ce qu'ils veulent parce qu'on a peur, comment régler ce problème? Il faudrait voir ce que fait l'Italie. On constate que la mafia est tellement partout que je me demande comment il se pourrait qu'elle ne soit pas aussi au Vatican. Quand on sait quelle grandeur de pouvoir cela représente... (justement Gide en parlait dans Les Caves du Vatican, de la possibilité que le pape ne soit qu'un fantoche à la merci d'une autre organisation).

6 juin 1994

Me voilà dépressif aujourd'hui. J'essaie d'identifier pourquoi, j'en suis incapable. Insécurité je suppose. Ne pas savoir ce qui va se passer dans ma vie dans trois mois. Je pourrais aussi bien être à Paris qu'à Ottawa. Je viens de parler à ma mère, elle ne semble pas avoir réagit lorsque j'y ai dit que je n'avais pas été accepté en maîtrise à l'U. d'Ottawa, par contre, elle s'est mise à capoter lorsque j'y ai dit que j'irais en génie probablement: «Eh maudit, on te l'a toujours dit que tu perdais ton temps en littérature, ça va rient te donner, tu vas payer tes dettes toute ta vie!». J'ai encore dû lui dire que j'avais été en littérature pour une seule raison, apprendre à écrire, connaître ce que les autres avaient fait avant moi. Pour eux, on fait pas un bac par plaisir, on le fait pour l'avenir. C'est vrai. Maintenant que je me suis bien amusé en littérature, avec mes 13 000$ de dettes, je vais passer aux choses sérieuses. Peut-être que j'aurai réappliqué en droit si j'avais su que mes chances d'entrer en maîtrise étaient si peu certaines. Mais je ne regretterais pas le génie au droit. L'avenir du droit est plutôt maussade et quatre années en droit civil ne m'assurent de rien. Tout en me limitant au Québec. Je vais suivre les voies de Boris Vian. Cela aura peut-être un impact sur mon écriture. C'est drôle comment j'ai vite accepté l'idée d'entrer en génie. Comme si cela allait de soi après le refus de la maîtrise de l'U. d'O. Mais il reste Paris! Et là, je ne perdrais pas mon temps, j'irais. Il me faudra être fataliste si on me refuse aussi. Le destin s'arrange pour m'orienter vers le génie avec Bruno.

Je dervais relire ce journal, j'ai l'impression de me répéter plusieurs fois, de réécrire des choses déjà écrites une semaine ou deux plus tôt. J'oublie ce que j'écris. Et cela montre

- 172 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

comment mes pensées demeurent à peu près les mêmes d'une semaine à l'autre. Bien, on pourra comparer et voir ce que j'ai ajouté ou retranché de telle ou telle histoire.

8 juin 1994

Ce journal me fait me rendre compte que le temps passe et que rien ne se passe. Je ne sais pas ce que je veux on dirait. Pour une fois j'aurais le temps de faire ce que je veux, je me sens coupable de tout, d'exister, de ne rien faire, pire, je n'ai aucune motivation. S'il est est vrai que l'évolution des spirales à l'intérieur des spirales qui vont toujours en avant, et que chaque journée est différente de celle d'avant parce que déjà on est un peu plus loin sur notre déviance dans l'espace et sur la ligne de l'expérience, il me semble que l'évolution est plutôt lente. Y aurait-il un quelconque moyen de la faire aller plus vite?

Moi qui capotais à l'idée de voir ce qu'il y avait à la poste avant, depuis quatre ans j'ai fini ppar comprendre que la poste n'aporte que des mauvaises nouvelles, ou que c'est moi qui les juge mauvaises, en bon fataliste je ne devrais pas questionner ce qui est mauvais ou non. Disons du moins que les nouvelles sont pas là pour me faire avancer d'un pallier sur l'évolution de mon existence.

Je lis LE MONDE D'ANTONIN ARTAUD de Kenneth White, c'est intéressant, cela me donne des idées pour La Nouvelle Humanité. Ce ne sera plus un livre, mais la quatrième partie de la Révolution. J'oublie l'idée de placer LA VOIX DE LA VÉRITÉ avec La Révolution. Ça va juste fucker les comités de lectures qui faut pas trop fucker au risque d'être incompris et rejeté sans être lu. Moi il ne me faudrait pas être sur un comité de lecture, je serais incapable d'accepter aucun livre, il me faudrait de la métaphysique avancée (pas celle de Ionesco, de Tardieu ou de Beckett) pour que je dise oui. Et j'ai repassé au travers le livre des éditeurs parisiens de 1993, pour voir à qui je pourrai envoyer La Révolution. J'ai dénombré au dessus de 70 maisons d'Éditions. Il me faudra refaire deux et trois classages. Et j'ai eu le temps de croire à regarder ce qu'ils publiaient que je n'ai aucune chance de me faire publier. J'en suis convaincu. Je persiste à croire que ma vie n'est pas un échec mais il faudra bientôt

- 173 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

me rendre à l'évidence. Échec social, échec scolaire, échec littéraire, échec amoureux, je suis digne de René le Bon Gars. La fin de cette histoire est prévisible, elle se termine à la rivière. Je m'accroche à une couple de branches au passage, le génie, quel calvaire, et cela ne donnera rien. Je descends la pente sans même l'avoir montée, je n'ai jamais atteint ces édifices, et plus j'en approche ou j'essaye d'y entrer, plus j'ai envie de vomir, de leur cracher dessus. Et la vie pourrait être si différente. Je pourrais voir les choses d'un point de vue totalement différent. Je pourrais voir mon espoir revivre comme cela. Le pessimisme, ça se commande. L'optimisme, j'en ai encore, je ne me suicide pas. Et si je n'avais pas tenté de démystifier cette Réussite à l'intérieur de mes écrits, croyez-vous que je ne me serais pas suicidé? Il me semblerait futile de me suicider aujourd'hui, parce que ma vie n'est qu'un échec constant. Comme disait Nathalie Petit, les gens sont incapables d'apprécier une marche dans les bois, et comme dirait Artaud, les gens sont pressés et marchent dans toutes les directions, on croirait qu'ils sont prêts à construire un nouvel univers, mais non!: «Je suis foutu, com-plè-te-ment fou-tu... Regardez-moi ces gens. Qu'est-ce que c'est que ça? À quoi sert-il qu'il y ait tant d'hommes sur la terre? Vous les voyez se démener, se précipiter. On croirait qu'ils vont faire quelque chose d'intéressant. Mais pensez-vous. Ils ne pensent qu'à gagner de l'argent, à bouffer, à baiser, c'est tout. À quoi sert-il, leur vie?» Avec un tel rejet des valeurs sociétaires, on comprend qu'à vouloir se démarquer de la masse on l'ait enfermer. Était-il homosexuel? Après toutes mes lectures à son sujet, ça me donne l'impression que l'homme n'avait pas de sexualité. Ou poussé à la limite de l'idiome, il aurait utilisé toute son énergie sexuelle à tenter de sortir de son moi intérieur et de son soi. J'ai été fort surpris de constater après avoir lu sur son compte comment il était proche de mes idées de La Révolution. C'est à croire qu'il a emprunté le même chemin que moi. Un genre d'athée qui tente de démystifier et démythifier la chrétienté (la religion) ainsi que le système du savoir. C'est drôle que ce soit un fou qui arrive à nous faire comprendre que le savoir n'est qu'une convention qu'on peut rejeter, et du même coup, se faire rejeter (enfermer) pour un tel rejet. L'acteur est devenu acteur omniscient permanent. En plus qu'il disait dans Les Tarahumaras qu'il était surpris qu'ils avaient de telles connaissances avant même que les Rose-Croix établissent leur cosmologie. J'ai l'impression qu'Artaud lui-même s'est inspiré des Rose-Croix.

- 174 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Revenons en arrière, voici une conversation échangée entre moi et Joël Cyr au début de la session dans le cours de M. Simard. Ce dernier me voyait pour la première fois après que j'aie manqué les premiers cours. Il avait dit tient, Roland-Michel est là. J'avais répondu, oui j'ai finalement pris votre cours (pour justifier le fait que je m'étais absenter). Il a alors répondu qu'enfin il voyait les gens qui étaient inscrit sur les listes d'étudiants (en d'autres termes, il savait que je savais depuis longtemps que j'étais à son cours, et que j'ai manqué délibérémment). Or voici la suite sur papier (avec Joël) de cet événement:

-J'ai vraiment mauvaise réputation, que les profs ne peuvent s'empêcher de faire leurs commentairesquand ils me voient. Que faire? Il va falloir les têter, manquer aucun cours, travailler fort... autrement, et encore là, je ne pourrai jamais avoir de lettres de références et de toute façon, ils ne voudront plus de moi. Je vais être obligé d'aller à Montréal et me défendre moi-même devant les comités pour la maîtrise...

-Est-ce ainsi avec tous les profs?

-Je ne suis pas fou, je reprends pas les mêmes profs. Mais je finis et j'ai pu le choix. T'aurais dû voir sa femme Dominique Lafon hier, j'en suis encore à essayer d'interpréter ses pointes: «il se fait modeste mais je l'ai reconnu...» «c'est mon chou chou» «mais des fois il est vraiment...» «Roland-Michel vient juste de débarquer mais il a déjà une opinion arrêtée» et puis quoi encore... [peut-on imaginer un prof d'Université se laissant aller à des enfantillages comme cela? J'en viens à souhaiter un formalisme si grand dans les classes que ni moi ni le professeur pourraient s'exprimer aussi librement qu'on l'a fait (cette parenthèse ne faisait pas partie de la conversation avec Joël)] Défense de sa part? (elle se sentirait attaquée?) Taquinerie parce qu'elle m'aime? (J'en doute)

Cou donc, suis-je fou ou il répète [M. Simard] ce qu'on a entendu avec M. Lemoine... [voyage initiatique, Homère, Énéide]

-Vrai! N'est-ce pas extraordinaire! Nous n'aurons fait qu'un travail pour 2 cours!!!

-Cou donc toé, tes amours ressemblent à quoi? Ta blonde en Israël dont les beaux petits soldats qui lui auraient fait tourner la tête? We need a nice talk... arouns a beer sometimes...

-I hope so! Maybe thursday?

- 175 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Cet autre papier avait été échangé avec Joël avant le précédent:

-C'est quoi l'histoire de ta blonde? [Je n'y croyais absolument pas]

-Elle habite Israël; je n'ai pas eu de nouvelles d'elle depuis des lustres. Elle faisait son service militaire quand elle a cessé de m'écrire. [Je comprends, il m'a raconté ensuite que son chum a eu lle cerveau complètement lavé dans l'armée, il en est revenu pseudo-straight, a même battu Joël tellement il ne s'acceptait plus et qu'il voulait que Joël disparaisse! Pas de doute, en Israël, la religion, on prend ça au sérieux, ça passe par l'armée et par la Révolution intérieure de l'individu, ils en font des machines à tuer. Même chose pour les Américains, combien de fois on a entendu dire que la drogue était offerte par le gouvernement pour aidé à cette déconstruction de l'humain?] J'imagine que la proximité quotidienne de ces cohortes de jeunes tondus, lui aurait fait tourner la tête.

-C'est sûr! Et how about Jacques? [Je lui avait demandé le nom de sa blonde, il m'avait répondu Jacques.]

-Jacques est un nom ficitif. [C'est peut-être vrai, j'imagine qu'un Israëlien ne s'appellerait pas comme cela, encore que, j'ai rencontré des Vietnamiens qui s'appellent Élizabeth et Vivianne (sûrement pas leur vrai nom)]

-Alors, c'est passionnant une copine en Israël! Tu l'as ramassée sur la rue? Elle doit avoir un bizarre nom. Tu l'as rencontrée en quelle année? Avec 25 ans d'expérience, tu dois en avoir assez pour écrire un roman! [Il m'avait menti sur son âge, il m'a avoué ensuite avoir 28 ans, ce que je doute encore.]

-Mon sujet romanesque préféré n'est ni les filles, ni l'amour et encore moins l'amour [enfin un genre d'aveu]. À moins... d'écrire comme Cohen [son livre fétiche, c'est LA BELLE DU SEIGNEUR d'Albert Cohen, toutes les conversations avec Joël mènent à Cohen. Faut croire, avec 800 pages, le gars en a radoter des choses!] Et encore sa Belle et son Seigneur, ne sont que des Allégories de l'Occident et de l'Orient [il m'a jamais dit qui des deux était la Belle]. C'est la différence que je cultive et non la convergence [l'aveu complet, cacher en arrière de Cohen, aussi une révélation, puisque qu'il s'agit d'un Juif, Joël me signifiait par là même qu'il était Juif, d'ailleurs j'étais assez con pour ne pas m'en être rendu compte tout seul,

- 176 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

depuis le temps qu'il me parlait d'Israël et de l'Hébreu, c'est Bruno qui m'en a fait comprendre plus, répétons le, je suis crissement ignorant. Avant que Bruno me le dise, j'ignorais que six millions de Juifs étaient morts durant la guerre de 39 à 45. Enfin, je ne l'ignorais pas, j'avais fait une recherche là-dessus. Mais je l'avais vite oublié.]. À propos d'Israël, c'est le pays le plus intense d'Orient. Ce pays je l'ai dans la peau [qui donc peut se vanter de se sentir chez lui dans un pays où il n'est pas né? Moi je ne me sens même pas chez moi au Québec, surtout pas en France]. Par contre je n'ai pas connu de place plus hostalière [sic ou ?] que l'Iran et plus cordiale que le Kérala [?]. Tu vois quand je voyage je ne me sens pas le besoin de m'acoquiner [quel grand mot]; j'y retrouve davantage que si j'étais lié à quelqu'un. De toute façon les amitiés et les amours fugitifs sont garants des plus beaux souvenirs et de cela j'en ai à profusion.

-D'accord, Adieu! [Il m'a ensuite écrit quelque chose en Hébreu ou en Arabe, je me demande bien quoi.]

J'aimerais bien un jour aller en Israël, apprendre l'Hébreu aussi, je lirais les livres bibliques (bien qu'il faudrait aussi savoir l'araméen et le grec aussi). Je m'attaque justement à la Genèse, traduction en Français d'une traduction anglaise. Quand on se rappelle ce que disait Marguerite Yourcenar: vous savez ce qui reste d'un livre après deux traductions consécutives? Cela ne m'encourage pas. Voici les restes d'une conversation tenue avec une fille à la session automne 1993, dans les rares fois où j'ai été au cours de M. Lemieux (je ne me rappelle plus du nom de la fille en question, c'est elle qui commence à parler):

-Si je trouve un emploi à la fin de mon Bac, je vais le prendre.

-Aucun travail possible.

-Sinon, je ferai mon Bac d'un an en éducation. L'histoire c'est qu'enseigner ça ne me tente plus vraiment mais on prend ce qui passe ces temps-ci!

Oui, [elle répond à ma réplique] dans un bureau (gouvernement) la plupart du temps.

-À faire quoi?

-Rédaction, correction de textes, etc...

-T'es pas en langue...

- 177 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

-Les 2. Au début de l'été, où je travaille, il y avait 2 postes d'ouverts et ça demendait Spéc. Lett. franç.

-Hein!

-Je «capotais» parce que c'est cela que j'aime faire. Présentement, je suis moniteur de langues officielles (ma 2eième année et dernière) et je commence à trouver ça plate et long, ... à la longue. C'est toujours la même chose! [J'ai moi aussi appliqué à cela, on m'avait choisi pour travailler plein temps, on m'offrait différents postes dans le nord de l'Ontario. J'ai refusé. J'ai demandé que l'on me place sur la liste des temps partiel alors, on m'a dit que c'était maintenant impossible. Avoir été choisi si rapidement dans les temps plein et ne pouvoir être remis sur la liste des temps partiel, ça mérite ppas que je m'arrête à de telles considérations. Quand on sait que n'importe quel étudiant de première année d'Université, peu importe en quoi il ou elle étudie, va être choisi pour enseigner, je leur souhaite bonne chance. Je comprends maintenant pourquoi on ne peut pas travailler là-dedans plus de deux ans. Pas pour laisser la chance à tout le monde (dans mon cas j'ai bien vu qu'on s'en foutait, on m'a rayé de la liste comme cela), mais bien parce que c'est plate à la longue.] [Remarquez que si la conversation semble bizarre, c'est que j'ai ajouté mes commentaires sur les siens et qu'en plus, on parlait parfois, parfois on écrivait. Ici elle m'avait demandé ce que je voulais faire plus tard, alors j'ai été direct dans mes intentions pour voir ce qu'elle me dirait.]

-Moi je commencerai ma grande carrière d'écrivain!

-Je m'en doutais!

-Why?

-Au Lac-St-Jean?

-Ah, je t'en ai parlé...

-Non, quoi?

-Comment tu peux t'en douter, au Lac en plus?

-Tremblay, le petit accent... De toute façon, ceux qui viennent de là y retournent ou restent attachés à leur coin de pays, et je les comprends. Mais je ne suis pas certaine que tu viens de là... presque. Pour la carrière d'écrivain, tu as tellement défié les profs en les contredisant par des réponses logiques que la plupart du monde s'est dit: «J'ai l'impression qu'il va pousser plus loin, à l'écriture, si ce n'est déjà fait.[«]

- 178 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

-Well! J'ai plutôt l'impression que je parle trop, et que mes réponses emmerdent les profs et qu'ils viennent qu'à m'haïr. Je suis surpris de ce que tu me dis ici, mais cela n'est pas fondé. Des fois je pense que j'en parle trop, mais vaut mieux en parler si je veux que ça débouche. Mais tu dis que j'écris parce que je t'en ai parlé... (?)

-Non.

-Effectivement, j'ai écrit une pièce de théâtrequi sera montée l'été prochain à Val-Jalbert [je pensais que le projet allait se réaliser alors] (village fantôme au Lac-St-Jean). Je voudrais aller y demeurer, mais ma blonde veut mourir à Ottawa [moi aussi je mens, je suis pire que Joël! Ça ne vaut pas lorsque j'étais avec Paul Crète dans le centre-ville, qu'on a rencontré une fille que j'avais rencontré une couple de fois, et qui tout à coup lance un: comment va ta blonde? Paul comprenait plus rien.] J'aime mieux pas penser à cela pour l'instant, on sait jamais ce qui peut arriver, de toute manière je veux un chalet là-bas [comme Michel Marc Bouchard d'ailleurs, qui en a un à Saint-Coeur de Marie, juste à côté de la plage Belley où Sonia et Gaétan placent leur roulotte.] Mais pas y demeurer... [À «J'ai l'impression que je parle trop et que les profs en viennent à m'haïr...», elle répond:]

-Pas nous[,] t'as du «gots» qu'on a pas!

-Mais tu me connais à peine, je suis venu à trois cours.

-J'ai été dans 2 autres cours avec toi! [Heek! Elle l'a souligné en plus!]

-Et je t'ai même pas remarqué!?

-Attends! L'été passé, tu es venu au Lac Pink dans le Parc de la Gatineau où je travaille [avec Bruno et Élizabeth Nguyen] et je t'ai demandé si tu étais dans le cours de Yergeau (dans lequel j'étais) et tu as dit oui et «je ne savais pas que tu étais dans mon cours, je ne t'ai jamais vue [sic]!» Voilà!

-L'autre cours c'est théâtre avec Lafon?

-Ouain! Je ne l'aime vraiment mais vraiment pas!

-Elle m'a confiée [sic] que j'étais insolent et que je devais apprendre la courtoisie!!! On ne se parle plus depuis. Mais après noël [sic] je dois prendre son cours, je n'ai pas le choix. En plus, je lui ai écrit une lettre et je lui ai remis une autre pièce de théâtre que j'ai écrit. Je me demande si elle va le [sic] lire où me dire...

- 179 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

La pauvre fille, si elle savait où me conduit ma conduite, elle ne m'aurait certes pas admiré. Encore que, est-ce bien de l'admiration? Je trouve ça fort qu'elle pensait que j'écrivais. En plus, elle semble parler pour plusieurs. C'est intéressant, mais je ne saurais me complaire dans cela. J'avais pourtant l'air bien conscient au début de la session, que je ne devais pas trop m'en permettre, et diable, j'ai remis en question mon adhésion en maîtrise. Par mes notes surtout. Si j'avais voulu travailler plus fort aussi, je les aurais eu mes A, comme tout le monde qui s'y met. Et pourquoi donc je ne prends pas un ou deux cours cet été pour augmenter ma moyenne? J'ai un orgueil moi Messieurs et Mesdames les professeurs et les professeuses [sic], j'aime mieux allez pourrir en Génie que de tenter à nouveau de m'inscrire en maîtrise, parce qu'on sait très bien au département que je ne serai pas accepté à Montréal et on souhaite me faire faire d'autre cours, et donc payer plus cher, avant de m'accepter maintenant en maîtrise. Ou sinon, on ne veut carrément pas de moi et dans ce cas, quelle folie ce serait d'aller là! Gallays me ferait capoter, comme il fait avec mon ami Tchèque Jiri Satké dont j'ai réécrit en entier ses travaux pour qu'il passe sa maîtrise. Maintenant le Monsieur applique pour le docterat, bien qu'il sache écrire en français à moitié, et M. Gallays lui cherche des poux à n'en plus finir. Rien n'est jamais parfait! Un mot, qu'il est impossible de savoir lequel, cloche toujours! Ai-je vraiment envie de faire affaire avec une gang de caves qui aiment perdre leur temps? C'est sérieux la vie tabarnack [sic]! Rappelez-vous l'intermède Fabrikant à l'Université Concordia, la bureaucratie qui nous veut du mal et multiplie les injustices, finit par payer un jour! Que Monsieur Fabrikant ait tué quelques uns de ses collègues de travail qui bénéficiaient de certains avantages que lui et d'autres n'auraient jamais, est déjà une bonne justice. Mais le mieux demeure qu'aujourd'hui dans le journal on dresse enfin un tableau de la bureaucratie totalitariste de l'Université. C'est pas mal pourrie tout ça. Comme les étudiants de l'Université de Montréal qui viennent enfin de se réveiller, ils ont fait un rapport des salaires et services inutiles de gens inutiles qui font semblant de travailler quelque part dans l'administration. Des doyens qui gagnent des salaires de 150 000 plus certains avantages tels que la limousine avec chauffeur! Mais dans quelle genre de société pensent-ils qu'ils vivent? On voulait augmenter les frais de scolarité de 200% dernièrement! On les a finalement augmenté de 50% en deux ans! Le 150% viendra dans quatre ans? Ils ont déjà augmentés de 200% depuis 1989! Où donc est Karl Marx?

- 180 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Reviens vite nous redire les bases, je dis bien les bases, de ton système, le fossé entre les pauvres et les riches est revenu, plus grand que jamais! Faudra-t-il que les étudiants fassent la Révolution? Ou qu'ils attendent que ça claque? Parce que ça s'en vient! Si j'avais un conseil à donner aux riches, ce serait de vite changer leur argent canadien en argent américain, et de le placer dans une banque Suisse. Parce que l'inflation qui suivra la faillite du pays fera mal! Il est vraiment temps que l'on suive l'exemple de certains états américains, que l'on insère une loi dans la constitution qui interdit tout déficit. Je sais bien que l'on peut pas faire cela du jour au lendemain, mais au moins, parlons-en!

J'ai la suite de ma conversation avec la fille, c'est moi qui commence à parler:

-Voyons, arrête de te cacher en arrière de tes cheveux. Voici un peu de poésie à la Hébert:

Tu es mamuse

Moisie au fond d'un puits [ici elle a répondu «merci»]

De larmes le jour et la nuit

De tes prunelles crevées!

Je mamuse

parle parle parle

sinon je vais mourir

le cours est trop plate

Y radote!

-Pourquoi t'es venu d'abord?

-J'veux pas flancher non plus, c't'histoire plate

aussi, j'veux pas le frustrer...

En fait, le problème c'est que j'ai une dizaine de travaux longs à faire (en retard) et j'ai même pas le temps des faire... La vie est triste! Mais Noël s'en vient, pis après Noël: l'été, et après l'été, la mort... et puis après...

- 181 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

-C'est poétique ou réaliste? [la mort]

-La poésie se distingue-t-elle de la réalité? Aucun poète n'a tant d'imagination qu'ils peuvent [sic] se décrocher du monde.

Note: Nelligan est viré fou après avoir écrit ses choses et surtout à cause d'un conflit valeurs-religion!

-Est-ce que ta pièce pour Val-Jalbert [l'art de changer le sujet] va aboutir à quelque chose finalement?

-1. J'attends la fin du mois pour savoir si la compagnie G.A.T. Catering renouvelle son contrat, ce qui est plus que probable [ce qui était probable si un pot-de-vin bien placé n'aurait pas donné le contrat à la famille de fous qui s'occupent du téléphérique, parce qu'on me fera pas croire qu'ils ont pu soumissionner plus bas que G.A.T. avec toutes les conditions que seul un malade prêt à perdre de l'argent accepterait. Entre autres, l'achat à un prix exhorbitant d'une laveuse à vaiselle industrielle, qui devra demeurer la propriété du gouvernement lorsque le contrat sera terminé! Tout fonctionne aux pot-de-vin au Saguenay-Lac-St-Jean comme ailleurs, surtout que dans ce temps là, il y avait quatre ministres juste au Lac-St-Jean! C'est bien assez clair, qu'avec quatre ministres du cabinet Mulroney, quand on sait toute la bullshit qui s'y découvrait, que le pot-de-vin est la nouvelle loi du crime organisé du Canada! Ma soeur en a long à me dire à ce sujet.]

2. À Noël je rencontre tous les gens, on fait une lecture de la pièce, ils repartent avec et commencent à l'apprendre.

3. Je rencontre ces gens en différents temps avant fin avril et surtout après la fin avril...

J'ai appelé la femme [Ma marraine Céline] de la compagnie en fin de semaine passé [sic]. Et d'ici un mois je devrais m'assir [sic] avec le metteur en scène [Isabelle Léger de Québec ou Joël Beddows qui s'était proposé] pour figurer chaque détail.

-Super débile écoeurant. T'es chanceux quand-même [sic]!

-Si tout marche! Chanceux? Mon Dieu. C'est tellement de travail acharné d'essayer de se faire publier... il s'agit d'écrire, si tu commences, ça va finir par déboucher. Commence par un plan... [Voilà le prétentieux qui prétend pouvoir inculquer quelques notions à un autre.] L'autre maison d'édition, Saint-Germain-des-Prés à Paris, j'ai eu franchement l'intention de

- 182 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dire oui, juste 40 livres à vendre à mes amis-parents, et je suis publié. MAis on me l'a franchement déconseillé, alors j'attends les répnses d'autres éditeurs... [qui ne sont même pas encore arrivées en fait, c'est rendu qu'ils prennent plus qu'un an, c'est effrayant! Maintenant que j'y pense, les deux-tiers ne m'ont jamais reparlé après leur accusé-réception. J'imagine que c'est négatif, autrement on m'aurait contacté.]

Maudit cours long et plate!

-Il ne reste qu'une page et demie, donc 15 min. à peu près! [Pierre-Hervé Lemieux passe son temps à lire carrément le livre qu'il a écrit sur Anne Hébert, 15 ans auparavant. Le pire c'est qu'il a développé une série de tics nerveux pour briser le rythme de sa lecture, pensant peut-être qu'on est assez caves pour pas se rendre compte qu'il lit? (en fait ça m'a pris du temps pour m'en rendre compte, mais un coup que j'ai vu de mes yeux qu'il lisait son livre intégralement, ses tics me sont devenus complètement insupportables!)] Quand j'ai dit que tu étais chanceux, c'est que bien des gens bûchent toute leur vie et ne réussissent pas à être publiées [sic]. [Un fusil avec une balle avec ça?]

-C'est ce qui risque de m'arriver!

Ah, je vois que tu bois du punch au fruit [sic] Minute Maid! Ça c'est bon, mais bourré de sucre.

-Je sais mais c'est quand-même [sic] fait de jus de fruits concentré. Je suis droguée au sucre [c'est meiux que le reste de la population étudiante, qui elle, est droguée au Peytotl]. Alors ce n'est qu'une infime consommation dans ma journée. T'empêches-tu vraiment d'en prendre à cause de ça?

-Oui. Alors, tu souffres d'anémie ou de diabète? [Ou de dyslexie tant qu'à y être, comme l'autre de 1993 dans le cours de philo.] Si tu souffres de diabètes, dans 2 ans ils t'auront guéri...

-Je le pensais. Mais je ne le suis pas, Mais ce n'est pas la quantité de sucre que je mange qui me donnera le diabète, en autant que mes reins et tout le reste fonctionnent bien, parfaitement bien. Mais j'essaie de me contrôler. Ce n'est pas facile mais je suis moins pire qu'avant!

-Et t'es pas grosse avec ça? [Mais ne rend-t-elle vraiment pas compte que je déconne?]

-C'est justement! Il faut que je prenne du poids et je n'y arrive pas bien. Je brûle ce que je mange à mesure que c'est avalé. Alors, si tu as déjà remarqué, je mange presque tout le

- 183 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

temps.

-Donc tu es diabétique? [J'ai rayé ce commentaire (?)] J'ai une cousine qui te ressemble comme deux gouttes d'eau, elle aussi mange et reste mince... En plus, elle emploie les mêmes expressions, mots que toi... Elle reste à Chicoutimi au Saguenay [Christine Tremblay]...

-Comme quoi? [Les expressions.]

-Super débile, juste tantôt, et d'autres des cours d'avant [écoeurant, Ouain, capotais] Pis crisse, t'a [sic] pas besoin de savoir quelles expressions, aies [sic] la foi, crois-moi sur «parole»... mystère... [Le titre du livre que le prof a écrit sur Anne Hébert s'appelle Entre Songe et Parole et Anne Hébert a un livre qui s'appelle Le mystère de la Parole.]

-Ok! Ok! Mais je ne viens pas du Saguenay ou même du Lac-St-Jean, mais d'une région à l'autre, ça s'étend!

La suite, c'est une conversation à sens unique que j'ai eu avec Mireille dans le cours de la Bourbonnais après Noël:

-Christ que la vie est plate, j'suis découragé. Not vie découche nulle part, des crèves faim, les profs savent même pas s'il existe des débouchés, en plus, ils sont bouchés ben raides... En plus, j'déboucherai peut-être même pas en écriture et même si je débouche, ça va rien changer à ma vie.

En plus j'travaille àssoir [sic] pis j'ai plein de travaux, pis j'haïs tout le monde, I cannot stand people anymore, j'suis tanné d'ê [sic, sic, sic] hypocrite et de voir les autres de mêmes, MOURIR!

Je devais aller au déjeuné (comment ça s'écrit déjeuner? er, é, avec ou sans accent?) Mais j'ai pas pu me lever... en plus j'avais rendez-vous chez [le] médecin, un cours, entrevue avec Yergeau, etc... Anne Hébert, remis le 7 ou 8 janvier 94, et le pire c'est qu'il m'avait laissé jusqu'à la fin janvier (!) [je m'étais pressé pour rien.]

-Wow

-Hier j'ai assisté à la grosse réunion du département pour les gros changements, j'ai beaucoup parlé, Dominique Lafon était de mon bord et Mme Bourbonnaisétait plutôt contre moi... je me suis rendu compte jusqu'à quel point Lafon semble animé[e] et révolutionnaire pour

- 184 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tout changer et améliorer [et si Monsieur Sylvain Simard était comme ça aussi?], alors que les autres sont endormis-conservateurs, voient aucun problème... [La Bourbonnais entre autres en est un bel exemple de ce conservatisme qui ne produit rien, qui tue à la longue] et surtout, ne me parle plus d'Anne Hébert...

Je vais maintenant retranscrire un autre message échangé avec Mireille, qui nécessite cependant une figure de style fréquente en littérature, la prétérition. J'ai hésité avant de la retranscrire, parce que j'ai honte de ce que j'ai écrit, ce qui veut dire que cela ne réflète pas des opinions que je répèterais ou que j'accepte comme encore présentes en moi, elles ont été dites en un contexte exagéré pour l'amusement, qui reflète aussi beaucoup de jalousie et surtout de faussetés injustes. Surtout que ce ne sont que des rumeurs. Y'a des limites à vouloir être méchant pour rien, et puisque l'honnêteté est mon cheval de bataille, je vais l'écrire ce tissus de potins non fondés. Mais maintenant, je sais que ce journal ne sera publié qu'après ma mort s'il devait un jour être publié. Je ferais aussi remarqué que ce genre de commentaire est pourtant commum et courant dans la société. Lafon m'en donne un exemple lorsqu'elle parlait de Nathalie Petit à M. Gallays et que par hasard, Nathalie était en arrière de la porte. Lafon descendait alors son étudiante, la critiquuant injustement, et comme elle aurait eu honte si Nathalie aurait ouvert la porte et aurait dit qu'elle avait tout entendu (y'a des grosses chances que je l'aurais fait, au risque de couler définitivement). Il est de ce genre de commentaires qu'il faut s'efforcer de ne pas dire. Un truc c'est de toujours parler en fonction de sil y avait une bande enregistreuse dans la salle et que de la personne de qui je parle pouvait l'entendre? Appelons cela le discours politically correct. En attendant, le voici ce passage:

-Tu te souviens de Caroline-Anne Coulombe la grande poétesse? J'en ai appris des crisse de bonnes... Moi qui en pleurait [sic] de la voir publiée la maudite... Imagine-toi que Robert Yergeau, c'était (peut-être encore) son amant. Alors elle a eu très fort dans ses cours, elle a gagné 2 ou 3 années en ligne le concours de l'ambassade de France: Yergeau est le principal à choisir les gagnants, c'est pourquoi il a publié 2 livres [de Caroline]. Maintenant, le mystère du lancement de riche au CNA, ses parents à Caroline sont ultra riche (ne me demande

- 185 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pas par quelles magouilles) et devine qui était, avant de se faire sacrer dehors, un des grands responsables au CNA? Yvon Desrochers, père de Nadine Desrochers (dite la fendante). Aussi une famille de riches, en relation très bonne avec la famille Coulombe, et Nadine et Caroline = bonnes amies... il paraît que la Caroline (celle qui couche avec Yergeau) habite un château... injustice! Elle a des contacts, pas de talents hélas. Tigidou

-pleine de sous!

De qui as-tu appris tout ça??

-Un gars un peu tapette [ouh, je me décourage moi-même] cheveux blonds longs avec barbe blonde écoeurante.

-Je t'avais bien dit que ce fichu département est éllitiste [sic] au boute! pas de sous, tu n'existes pas, et tu n'as pas ta chance égale. Comment est allé ton rendez-vous avec Joël? D'autres grandes révélations [que son âge réel] j'espères! [Est-il gay autrement dit].

-J'ai manqué mon cours, donc pas vu [c'est pas nouveau].

-J'ai vu mon ex hier, et chose bizarre: mon coeur se débattait. (Pendant que sa blonde me faisait des gros yeux).

-Et lui? S'intéresse pu à toi?

Cette lettre nous indique comment notre société privilégie les contacts et non les mérites. Non pas que j'ai des mérites, mais je n'ai définitivement pas de contact. En ce qui concerne Yvon Desrochers, je n'en parle pas. Ah et puis non, j'en parle. C'est pas pour rien qu'ils l'ont crisser dehors, sans savoir toutes les magouilles qui se sont produites pendant qu'il était là, on m'a de plusieurs sources dit qu'il s'en était passé pas mal. Comment ces gens peuvent arriver à penser qu'ils peuvent tout faire sans que l'on réagisse? Ils ne se cachent même pas pour nous faire chier. Le pire c'est que ça prend toujours ben du temps pour que l'on réagisse, et même, ceux qui ont pris la décision de le mettre dehors, ignoraient qu'ils devaient lui payer une partie du salaire que Desrochers aurait dû recevoir pour les quelques années qui lui restait à faire dans son mandat. Sinon ils l'auraient pas foutu dehors. Ils auraient observer impuissants les extravagances de monsieur. Comme quelqu'un qui regarde un premier ministre tromper sa femme aller-retour, sans pouvoir parler de peur de perdre son travail ou tout crédibilité ultérieure. C'est quand les gens sont vraiment dans

- 186 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

le problème qu'enfin ils réagissent et dénoncent les autres. Parfois même fort injustement. Comme Versabec inc. à l'Université d'Ottawa. On les accuse d'avoir des coquerelles dans la bouffe? Au lieu de dire que c'est pas vrai (comme tout le monde fait d'habitude) et laisser le doute planer, ils se mettent à accuser leurs concurrents directs d'avoir le même problème! Le bar l'Équinoxe ainsi que le Presto (fédération étudiante). Esti de société pourrie. Ça me rappelle l'histoire du plus gros éditorialiste du journal Le Réveil à Jonquière. Martel. Il dénonçait chaque semaine les niaiseries du maire Marceau (aujourd'hui devenu malade et alcoolique) et puis il a suivi le conseil qu'on lui disait: si tu penses être mieux, présente-toi donc Maire! Mais vu d'un autre point de vue, c'est encore pire! Il a profité de son métier de journaliste pour détruire un honnête homme (peut-être pas, y'a-t-il un politicien d'honnête sur la planète?), dans le but de prendre sa place! Et quand il est arrivé au pouvoir, il a fait pire que Marceau. Série de dossiers controversés, décisions prises par lui seul, sans le conseil (on se demande bien pourquoi), des scandales un peu partout... c'est beau la critique ou l'opposition. C'est facile de détruire quelqu'un (moi j'en détruis pas mal dans mon journal. C'est comme l'opposition officielle dans nos gouvernements, ils sont toujours contre n'importe quel projet de lois que le parti au pouvoir présente. Quelle idiotie! Voilà pourquoi les libéraux et les conservateurs de l'Ontario ont voté oui dans le temps au projet des homosexuels dans le secteur public, et vote maintenant non avace acharnement au même projet de loi pour le secteur privé. Question de se faire un nom, une popularité, quelques votes de vieilles mémères ou vieux pépères sur les dos des gays. Et la suède qui vient d'accepter aux gays le droit de se marier! Eux ils semblent s'être débarrasser de leurs vieux conservateurs, ce qu'on réussira pas à faire avant longtemps! Parce qu'en plus, un projet passe par les sénateurs, qui sont là jusqu'à 75 ans! Bon Dieu, qu'est-ce qui les motive à pourrir là jusqu'à 75 ans si c'est pas le salaire de malade qui vient avec! Ont-ils tous une maison payée avec leur limousine et chauffeur? Je fais le serment que si un jour j'arrive en politique, on va me tuer pour les réformes que je vais accomplir. Parce que le changement, ça ne se fait pas sans sang paraît-il. Encore des paroles en l'air? C'est possible. Ceux qui parlent le même langage que moi, étrangement, se font élire, et deviennent pire que les autres. Se peut-il que même un politicien soit impuissant et qu'il doive se rabattre sur des futilités pour combler ses désirs de puissance avortés? Il y en a au Québec des gens qui ont abandonné la politique

- 187 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

parce qu'ils ont bien vu qu'il ne pourrait rien changer en étant simple député. Et pour cause, la ligne du parti doit être respectée! Que vaut un député là-dedans? Rien! Il n'est là que pour donner la majorité qui fait qu'une loi passera. Étrangement, pour les gays, le gouvernement a exceptionnellement aboli cette règle, et a opté pour le vote libre. Bien sûr, plusieurs NDP auraient démissionnés. Ce qui est plus troublant encore, c'est que les conservateurs et les libéraux, (ils sont tous les duex d'extrême droite, ne vous méprenez pas), eux, semblent avoir quand même respectés la ligne du parti, à l'unanimité ils discriminent les gays. Au moins, s'il s'agissait du mariage, je comprendrais qu'ils ne soient pas encore prêts, et qu'ils ne le seront jamais! Ah! Je suis comme Artaud, c'est tout le système qu'il faudrait changer. Quelle impossible tâche, je serais une cible bien trop facile, sans compter que je suis homosexuel, on s'en servirait contre moi, les gens ne voterait pas pour moi. La preuve, Svend Robinson, le seul député ouvertement gay est celui que le parti refuse de voir à la tête du parti NDP du Canada, parce qu'il est gay. Pas parce qu'il le juge excessif! C'est vrai qu'il est excessif, mais ils n'ont jamais critiqué cela dans le passé, au contraire, c'est le plus populaire de tout les députés. Le seul qui fait bouger des choses, et à lui seul! Même un premier ministre n'en fait pas autant. J'en peux pu.

Je regardais un de mes agends tantôt, je suis tombé sur les commentaires que j'avais écrit juste après avoir rencontré Robert Yergeau, des Éditions du Nordir, la rencontre que je parlais à Mireille plus haut. Bref, j'avais noté ce qu'il m'avait dit: Les Letttres de R.M. + Les 4 Piliers, «There's nothing to do with it, me and my comitee of lecture are unable to get into it,... no hopes... incomprehensive... no purpose... I will be too pretentious to tell you to stop writing but... you know!!! [J'avais alors commencer à parler pour moi (of course, he was speaking french): I know! René l'Illuminé (it's a promise, it's the last time I'm writing complex stuff)

J'avais ensuite tenté d'élaborer un plan pour René l'Illuminé: Je remets Léonard à plus tard! Je ne suis pas encore arrivé au moment attendu et qui sera décrit dans le livre (chu pas prêt). [J'avais ensuite tenté d'écrire un passage:] The illuminated Léonardo L'amour dans son sens le plus fort! Ce mot n'a pourtant aucune définition. L'amour comme seule

- 188 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

finalité à atteindre! Ce mot dépasse toute conception. L'amour est si grand qu'aucun humain peut prétendre l'atteindre! Ce mot tend à perdre sa signification. L'amour de Dieu! Il n'y a plus de justice, elle est périmée. L'amour! C'est l'illumination pure et simple, mais n'y cherchez pas la révolte... la révolte dans son sens le plus fort! Ce mot n'a pas de définition. La révolte comme finalité? Ce mot dépasse toute conception. La révolte est si grande... mais pas autant que l'amour. Ces mots tendent`à perdre leur signification. La révolte et Dieu. Il n'y a plus de justice! [Et le reste est rayé:] La révolte, c'est ce qui résume l'amour. Et la vie est merveilleuse, fantastique, extraordinaire, ces trois mots incroyables résument la vie!

La pge suivante enchaîne avec le désespoir: suicide suicide suicide suicide suicide suicide suicide suicide suicide (l'école, j'en peux pu!) [encore un j'en peux pu!] fini fini fini fini fini fini fini fini fini fini fini, un an de sabat [sic?] mon rêve, partir avec Elzéar [ou Azarias (biffé)] et la philosophie de René de l'Aventure, bâtir un roman de x pages... mourir mourir mourir mourir mourir je ne veux plus aller à l'école et ne veut [sic] plus travailler... je veux écrire christ, faire du théâtre maybe... ou la musique with Bruno...

[j'étais dans le cours de M. Lemoine, Gilbert venait d'affirmer à la classe qu'il avait gagner le concours de l'ambassade de France l'année d'avant:] Les p'tits christ de barbus intellectuels, ils me font chier, ils gagnent des concours, ils paprlent une langue que je ne veux pas comprendre, ils écrivent peut-être ou écriront peut-être, mais pas de la fiction. et même si c'était le cas, il me fait chier le christ, pur et parfait, les profs l'aiment et sont en extase devant lui, il mérite la mort! [Il avait fait un exposé la journée d'avant dans le cours de Lafon, et Lafon m'avait semblé exagérer les auréoles, comme s'il venait d'accomplir l'impossible, quand je pense que dans le cours de Lemoine il a carrément lu son travail de x pages, on est presque tous tombés endormis...] Ah que je suis méchant et jaloux... Ah ah, vaut mieux que je sois de la gauche que de l'extrême droite [!]. Alléluilla [sic] mes amis, les Dieux grecs me font souffrir parce que j'ai pas le temps de m'y attarder. I need a beer, some wine to finish school. Si c'était possible de m'enfermer pour 3 mois encore... il me faut m'occuper de la Légende de Val-Jalbert et manquer tous mes cours Grâce, ce sera une bonne raison... où est ma situation ds le monde? -confrontation des siècles [projet de pièce de

- 189 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

théâtre qui a avorté] -Québécois -Classicisme -Naturalisme -Symbolisme Ou vais-je? Kundéra? L'autre me fait souffrir aussi [je suppose qu'il s'agit de Joël Cyr, à chaque fois qu'il entrait en classe, le prof faisait toute une histoire du chapeau de Joël qu'il trouvait beau, et à chaque fois depuis trois cours, cela permettait à Joël de raconter tous ses voyages autour du globe, et ce stupide chapeau qu'il avait acheté à Kaboul (Afghanistan) et à chaque fois le prof nous parlait de ses voyages à lui, en plus que Joël est du type à récolter des A+ et à pleurer lorsqu'il a des A- (je peux comprendre, cela signifie la fin de ses bourses de 10 000$ à 15 000$ en montant)(monde injuste)] Crise! Crise! Crise! Crise! Crise!

Tient, j'ai même retrouvé un plan préliminaire au plan définitif de René l'Illuminé: Léonardo the Illuminated (il s'agit de la souffrance que j'ai causée à toutes mes blondes) il s'agit d'une grosse femme - Charlotte avec ses salades - très laide et méchante que j'ai tirée ds un trou après l'avoir bien ridiculisée. (1) [après ça, si on ne me taxe pas de mysoginie, il s'agit d'un miracle!] (2) Puis conscience consultée, je suis allé la sauver de son trou, personne n'y serait allé. [Cela fait penser au Père Ubu de Jarry] Et je veux son pardon, chose possible? [L'histoire de Vandendorpe, celle de Lafon et la lettre] Ainsi je souffre de cette mauvaise action, je jouis de l'avoir sorti de son trou, je me prépare à recommencer de nouvelles actions et puis je rentre bord en bord de la Terre. C'est ma recherche pour devenir un adepte et tend[s] vers vers (Dieu) Le Soleil, par la conquête de la Terre, puis l'atteinte de mes buts... [En le relisant plus tard, j'avais ajouter:] Ah Ah Ah! C'est tellement drôle! Et c'est exactement ce que je vais écrire! [Voilà, je pense avoir suffisamment prouver que je suis aussi fou qu'Artaud le mômô!]

9 juin 1994

En première page du Citizen d'Ottawa du 8 juin 1994, on voit enfin un groupe religieux qui aide la cause homosexuelle. Voici quelques propos de l'article: «The Islamic Schools Federation of Ontario plans to take the Ottawa Board of Education to court [...]», «The group will file a lawsuit and a complaint with the Ontario Human Rights Commission within the next week, said Quasem Mahmud, federation president. He said Muslims believe the board

- 190 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

has discriminated against them, and they have no choice but to take legal action.», «»We're looking for fairness and equal treatment»», «»We don't see this as a religious issue at all»», «Emilio Binavince, lawyer for the Islamic federation, said the board's decision is a potential violation of section 15 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, which prohibits discrimination on the basis of religion.» N'est-ce pas merveilleux, ils ont tous les bons arguments ici présents pour justifier l'arrêt de la discrimination envers les gays et les lesbiennes. Mais... les muslims ont annoncé voilà deux semaines qu'ils sont tout à fait contre les homosexuels, non permis par Allah, morale, bladibli bladibla... En fait, la cause qu'ils débattent, c'est qu'ils veulent que toutes les écoles de d'Ottawa (et par extension de l'Ontario) ferment les journées où les Islamiques ont des congés religieux. Ils ne représentent même pas un pour cent de la population, mais le OBE (Ottawa Board of Education) a récemment pris la décision de retarder l'entrée scolaire de tous les étudiants, une fois par quarante ans, parce que les Juifs ont une fête religieuse, à tous les 40 ans, lors de la rentrée. Les Juifs représentent aussi 1 pour cent de la population étudiante. Faites ce que je dis, et donnez-moi ce que je veux. Le message est clair! Il m'est difficile d'appuyer les muslims dans leur cause, je comprends néanmoins leurs positions. Ils ne sont qu'un pour cent, mais les gays sont entre un et dix pour cent que l'on dit maintenant dans les journaux. On ne peut donc pas discriminer sous la base de la majorité, sinon aucune minorité, quand bien même elle serait de 49%, n'aurait rien. J'appuie les Muslims dans leur cause, parce que l'OBE a accepté ces congés aux juifs, et comme leur nombre est équivalent aux muslims, cela devient discriminatoire pour les muslims. On pourrait rétorquer que cela n'arrive qu'à tous les 40 ans, c'est vrai. Aussi, je propose que les étudiants juifs, une fois les quarante ans, manquent leur premières journées d'école. Je peux de toute façon dire qu'ils ne manqueront pas grand chose. Mais je ne vais pas juger de cela, il ne m'appartient pas de faire une décision là-dessus. Mon propos est que ces religions, ou groupes religieux, crachent sur les droits des hommes quand cela ne va pas avec leurs croyances, même si ces dernières sont discriminatoires, mais lorsque l'on en arrive à les discriminer sur des choses encore plus futiles, ils vont jusqu'aux tribunaux. Eh bien, même s'ils gagnaient, je propose qu'on ne leur donne pas leurs droits, qu'on continue de les discriminer. C'est bien ce qu'ils ont dit voilà deux semaines. Malgré tous les tribunaux canadiens et mondiaux qui ont clairement signifiés que l'on

- 191 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

continuait la discrimination par un paquet de lois qui sont inconstitutionnelles de par la Charte des Droits et Libertés, personne ne bouge, même, les gens se rallient dans les Églises pour nous dénoncer. Dénoncer leur discrimination? ben non, dénoncer les quelques droits qu'on a réussit à gagner, quand on sait en plus que si Preston Manning arrivait au pouvoir, tous nos droits disparaîtraient peut-être du jour au lendemain. Aujourd'hui c'est les Muslims, demain ce seront les Catholiques et après demain ce seront les Protestants. Ils sont numéro eux dans les contradictions, je propose que l'on insère une Charte des Droits et Libertés en début de chaque Bible, Coran, Talmud, etc. Et qu'au lieu de tuer les gens qui critiquent le moindrement un petit détail (comme les muslims sont numéro pour poursuivre dans le monde entier et tuer n'importe qui qui critique leur religion ou le Coran), de tuer ceux qui vont à l'encontre de cette Charte des Droits et Libertés. Excusez-moi, je ne voulais pas dire tuer, je voulais dire couper la main droite à partir du poignet, amputer la jambe gauche jusqu'au genou. Pardonnez-moi, je voulais dire, sacrer en prison à vie! Non, en fait, je voulais dire, isoler sur une île en disant, débrouille-toi avec tes problèmes.

Juste à côté de l'article en question, un autre article en première page: «Same-sex bill opposed by majority». La population canadienne est contre le projet de loi à 41%. 38% sont pour, cela devient 54% si on enlève same-sex couples adopting children. 5% are unsure. Comment interpréter ces chiffres? On veut pas que les homosexuels élèvent des enfants? Ils sont tous pédophiles? La population sait-elle que je peux adopter un enfant en tant qu'homosexuel? Et qu'en fait, avec la loi, je pourrais juste ajouter le nom de Bruno sur le certificat d'adoption? Peut-être que la population s'imagine qu'une loi empêche un gay ou une lesbienne d'adopter un enfant sur une base individuelle. J'ai l'impression que la campagne des religieux a bien fonctionnée et que les gens, ignorants, votent à peu près. Parce qu'en plus, comme par hasard, les chiffres en Ontario sont pires, 64% s'opposent au bill. Heureusement, les jeunes canadiens sont là pour prouver qu'éventuellement, les choses vont changer. Entre 18 et 35 ans, la moitié appuie le projet de lois. Cela devient 40% pour les 35 à 55 ans, puis 20% en haut de 55 ans, ceux qui, normalement, vont encore à l'église. J'oserais pas le dire, mais vivement qu'on se débarrasse de l'ancienne génération, pour ce qu'ils nous ont laissé de dettes en plus! Ah, elle est belle leur morale: détestez votre prochain comme vous-

- 192 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mêmes et faite leur payer chèrement votre vie de roi. Parce que se marier, s'acheter une maison, posséder une voiture, tout cela c'est du passer. Quand bien même il y aurait une reprise économique, les gouvernements arriveront bientôt au bout du rouleau. Imaginez, ils projettent d'éliminer le déficit d'ici l'an deux mille, plusieurs disent que ce sera impossible. On parle de l'impossibilité d'éliminer le déficit, et la dette, on en parle même pas.

Parlant d'argent, je vais faire une syncope. Je viens de commander deux livres d'Antonin Artaud, oeuvres complètes, un des deux livres coûte 45$, et l'autre, 70$ (plus taxe, 85$). Et je ne peux pas ne pas les acheter. Premièrement je détruirais mon nom pour de futures commandes, ensuite, j'ai besoin de ces livres pour écrire La Nouvelle Humanité. Seigneur, j'ai manqué perdre connaissance. Je savais que les livres coûtaient cher, mais y'a une limite! Gallimard, pour qui se prend-t-elle? La famille d'Artaud est morte au complet, à qui profite un tel prix?

Enfin, j'ai décroché un travail non pas à 6.75$ de l'heure à pourrir à l'intérieur du National Gallery, ni à 9.40$ à étouffer à l'intérieur du musée de la technologie, mais un travail misérable de serveur au Musée des Beaux Arts (traduction française du National Gallery), pour 5.80$ de l'heure, plus les pourboires. À mon avis, cela devrait surpasser le 10$ de l'heure, comme l'été passé à Val-Jalbert, sans compter qu'à Val-Jalbert, j'avais affaire à des gens vraiment cheaps. Sans compter que les Français ne donnaient aucun tip, croyant que le service était inclu dans le prix. Même que j'ai dû faire sensation à mon entrevue, elle m'a choisi pour travailler à l'automne comme placeur au Centre National des Arts, me permettant d'assister à tous les spectacles gratuitement. Le destin s'est finalement bien débrouillé, je pense que si j'avais eu un choix à faire parmi mes quatre entrevues et mes trois emplois, j'aurais choisi celui que j'ai eu. Surtout parce qu'il est à l'extérieur, et que les horaires sont moins disparates que les deux autres. J'ai toutes mes soirées libres, congé lundi et mardi. Pas en même temps que Bruno, hélas, mais que voulez-vous. 37 heures, à 10$ = 370 par semaine, 2960$ pour l'été. 1716.80$ assuré. À mon avis, je pense pouvoir ramasser au moins 1 500$ cet été. Cela doit bien faire rire celui qui gagne 40 000$ et plus par année, même ceux qui gagnent 30 000$. Et ils sont nombreux! Mais ils sont nombreux

- 193 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

aussi ceux qui se morfondent sur les petites jobines fatigantes qui donnent des peanuts. Enfin, que voulez-vous. Moi je suis, à l'heure actuelle, le plus pauvre de la planète, parce que les pauvres que l'on rencontre dans la rue n'ont pas 13 000$ de dettes, même si comme moi, ils crèvent de faim. Je ne parle pas de ceux qui ont un million de dettes et qui mangent du filet mignon. Ils déclareraient faillite demain matin, qu'ils mangeraient encore du filet mignon la semaine prochaine. Moi du filet mignon, je n'en mangerai plus jamais; vous savez pourquoi.

J'ai menti à mon papa pour avoir l'argent nécessaire pour l'engouffrer à la Librairie de la Capitale. 132$ à peu près, taxes incluses. Moins 20$ pour l'accompte déjà donné. Je lui ai fait croire que la banque m'avait appelé pour le 60$ de mon prêt ordinateur. C'est vrai qu'elle m'a appelé, mais jeudi passé, une semaine exactement. Et cette année, au lieu de 60$ d'intérêts trimestriel, c'est 40$, ne me demandez pas pourquoi, je suis comme le canadien moyen, je paye sans trop me poser de question. Mentir, c'est l'adage de tout le monde. Le mensonge est partout présent, surtout par l'euphémisme. On amplifie ou désamplifie les événements, on cache les éléments les plus importants, on profite des autres. Ma soeur l'a fait longtemps avec ses cigarettes. Quand on sait combien cela coûtait, toute son argent devait y passer, et celle qu'elle recevait des parents. Ça m'a pris du temps pour faire comprendre ça à mes parents. Ils croyaient que leur petite fille à l'Université était pure. La pureté et le génie, laissez-moi vous dire que cela ne rime pas. Et que la petite fille en a fait du pire que le petit garçon qui lui, se payait des voyages en Europe, le con. C'est en Orient que j'aurais dû aller.

Je suis en train de lire Simone Vierne, RITE ROMAN INITIATION, et je vous avouerais bien franchement que c'est plate à mourir. Je dois passer au travers, pour que l'on me reproche pas un jour de pas connaître les diverses inititations, ou que l'on essaye de me discrédité. La prétérition, c'est la meilleure défense. J'en ai un bel exemple dans la Presse d'hier. La semaine passée, Parizeau (qui s'apprête à passer à l'histoire) avait dénoncer la banque de Montréal de faire de la politique. Il a alors craché dessus en invitant les Québécois à fermer leurs comptes. Voilà quelques années il avait fait la même chose à la Banque Royale. Il dit

- 194 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que c'est contre la loi, pour les banques, de se mêler de politique (ouf, on approche de l'état totalitaire, et j'ose à peine imaginer que pour avoir des subventions ou des contrats, les institutions et les gens vont être obligés d'être en accord avec la ligne du parti, et l'on se croirait sous Staline d'après la révolution Russe!). Or, une institution financière des États-Unis vient de remettre un rapport à la presse qui dit que l'instabilité politique au Canda est tout ce qu'il y a de plus avantageux pour les investisseurs (tout le contraire de ce que vient d'affirmer la banque de Montréal). Que fait alors Parizeau? Il arrive à l'Assemblée nationale, brandissant ce rapport et le citant. Bien sûr, ses propres députés ont commencé à freaker, l'opposition était prête à lui sauter dessus, le voilà qui cite des institutions financières qui font de la politique. Quelle contradiction, paradoxe, perte de crédibilité, etc. Moi même j'étais prêt à lui sauter à la gorge. Et là, le miracle se produisit. Il affirma, et je cite l'article: Devant quelques froncements de sourcils de la part de ses interlocuteurs, le chef péquiste a déclaré qu'il aimait mieux que les grandes institutions financières ne fassent pas de politique. «Mais si tant est que ça choque certains que je dise ça, permettez-moi de citer les institutions financières qui font mon affaire», a-t-il plaidé.

Après cela, il avait cloué le bec à tout le monde. Imaginez s'il n'avait pas ajouté cela... l'Assemblée ressemble habituellement à un poulailler à ce que la Presse en dit, c'est normal, avec autant de coqs incapables de pondre quoi que ce soit. Le reste de l'article est tellement drôle, Parizeau annonce que les personnes âgées ne seront jamais les premières cibles de compressions budgétaires, sous prétexte qu'elles n'ont pas les instruments de défense d'autres groupes de la société. Un paragraphe avant il reparle des peurs injustifiées qu'on a faites aux vieux en rapport à la souveraineté (qu'ils allaient perdre leur pension de vieillesse). Premièrement, que Parizeau se fasse soudainement le défenseur des vieux, c'est qu'il est très conscient qu'ils ont un bon pouvoir sur la société. Deuxièmement, ces vieux ont le meilleur des systèmes de défense possible en rapport au changement, la bible, l'Église. Troisièmement, j'imagine que les vieux sont pas assez innocents pour croire que Parizeau va les aider, en fait, ils ont déjà perdu une bonne partie de leur pension avec Mulroney dans le temps, et encore pire avec Chrétien dernièrment. Quatrièmement, si les vieux ne seront pas les premières cibles de compressions budgétaires, il est clair qu'ils seront les deuxiè

- 195 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mes. À ce chapitre, je trouve aberrant que le gouvernement puisse faire fi de ses contrats. Pendant que ceux qui ont eu la sagesse de se prendre des REER, vont bien vivre, ceux qui ont payé autant au gouvernement vont crever de faim. Pendant que les lois sont en train de mettre les compagnies du privé à la faillite pour cause des syndicats et services et tout, le gouvernement gèle le salaire de ses employés depuis je ne sais plus combien d'années. Ce qui fait que le privé étouffe littéralement ses employés. Les vieux ont peut-être dépensé en christ, ils sont peut-être arrièrés par rapport au changement (à les écouter jadis, on aurait pas eu d'ordinateur à notre disposition), mais un contrat, c'est un contrat! Et si on veut pas que l'anarchie s'installe dans notre système judiciaire, on serait mieux de respecter la justice.

Parlant de justice, on pourra noter dans les annales combien incroyable la justice est inaccessible. Qui donc peut se payer la justice au prix qu'elle coûte? C'est vouloir s'hypothéquer une vie. Il est temps que l'on fasse certains changements là-dedans, attentre dix ans avant d'être jugé sur une niaiserie, c'est trop fort. Et combien de causes finissent par s'éteindrent dans les dédales d'un mauvais système? Le père de Joël Beddows a abusé sexuellement ses enfants et plusieurs de ses étudiants (malheureusement pour vous, il s'agit de jeunes filles et non de jeunes garçons) et après 12 ans, il a réussi à s'en sortir à travers des détails administratifs qui fait que l'on doit changer de cours, aller en appel, et patati et patata... pendant ce temps, le monsieur continue d'être professeur, et probablement, continue d'abuser ses étudiantes.

Il me vient l'idée aujourd'hui d'ouvir un bar qui s'appellerait L'Underground et qui porterait, évidemment, comme symbole, celui de l'Underground de Londres. Juste au-dessus il me faudrait mon petit Café de la Place ou Café des Arts. Il me semble que le premier devrait laisser la place à de la musique live, l'autre, à la poésie et la littérature, lancements de livre, groupes de discussions, etc. Maintenant, où cela serait? Paris, Montréal, Ottawa? L'Underground devrait logiquement simuler être une vraie station de métro, et donc, d'être définitivement sous terre. Les bands live devraient jouer de l'autre côté de la track. Il faudrait même quelques wagons de métro pour faire vrai, et le tunnel que l'on pourrait voir

- 196 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

continuer un peu d'un côté, serait fermé à l'autre bout par un genre d'éboulements. Mon but ne serait pas de faire de l'argent, mais de ne pas en perdre.

Tient, ça m'inspire un livre avec comme titre: L'Underground. Je me demande bien ce que j'écrirais sous un tel titre. Certainement de l'alternative lifestyles. Genre la Révolution, sans je, il me faudrait être sur la drogue pour écrire un tel livre. Parler d'un jeune gay dans les bas-fonds, une couple de sugardadies qui le font dégueuler, prostitution, mais pas mal plus pousser que Being at home with Claude. Il me faudrait être croustillant, ne pas rester en surface, découvrir certains problèmes, y répondre... je pense que je vais aussi reprendre ma pièce de théâtre la confrontation des siècles. Lafon s'imagine que je ne devrais pas avoir la prétention de vouloir en montrer sur le 18ième siècle et le Moyen-Âge. Cou donc! C'est pas les experts de ça qui vont nous en faire de l'Art, eux, ils crèvent sous la paperasse de leurs pseudo-essais à la Vierne, avec cinquante-six citations par page. Pis, est-ce que c'est pour entertaining the peuple que j'écris, où pour satisfaire des intellectuels qui déjà me rejettent? Même si j'aurais beaucoup de misère à être fier de La Confrontation des Siècles, comme je suis peu fier de La Légende de Val-Jalbert, cela vaut peut-être la peine de les écrire, comme cela, en début de carrière, si cela peut aider à me faire connaître. De toute façon, c'est bien beau de vouloir donner dans le bizarre ou l'inaccessible, mais ma pièce Antoine a été rejeté d'un trait, et critiquée jusqu'à sa mort. Et la Révolution ne trouvera pas preneur. Il me serait même stupide de l'hypothéquer en publiant à Saint-Germain-des-Prés, selon le contrat de vente par souscription qu'il m'ont offert en septembre 1993. L'Underground, c'est intéressant, je m'y mettrai après La Nouvelle Humanité. Pour l'instant, je pense qu'en parallèle de ce dernier, je vais imaginer un meilleur plan pour La Confrontation. Pour l'instant, je vais essayer de passer au travers de Simone Vierne (savez-vous qu'elle a écrit une brique monstre, digne du monstre de vingt mille lieux sous les mers, en rapport à une analyse de Jules Vernes? Je me demande comment elle a survécu à ces quelque chose comme mille pages de bullshit. Et quel cave autre que quelqu'un qui chercherait à écrire un pareil travail sur un autre auteur (moi sur Artaud par exemple) aurait le courage d'avaler une telle chose, si ce n'est pour la recracher ensuite. Dans le fond, faire ma maîtrise ne serait peut-être que pure perte de temps. J'ai pas besoin d'un papier pour me certifier que j'ai eu le

- 197 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

courage de bullshiter pendant six mois sur un sujet perdu. Mais alors, j'ai pas besoin non plus d'aller doublement perdre mon temps en génie.

J'ai feuilleté mon deuxième agenda, celui d'avant Noël passé. Je m'étais vidé le coeur par rapport à toute la marde que j'ai eu à travailler chez Versabec à l'Université d'Ottawa. Ironiquement, cela m'a été essentiel pour écrire La Réussite. Cela faisait longtemps que je voulais pondre ces cinquante pages sur René le Bon Gars pour reprendre George le Bon Gars. Je n'étais pas prêt, j'écrivais dans mon carnet. C'est comme René l'Illuminé, il me fallait lire plusieurs fois La Cosmogonie des Rose-Croix, en plus de me trouver dans cet état plutôt instable de la fin d'un bac, où l'on se demande où l'on sera six mois plus tard, et que l'on pense à renaître à Paris. Sans compter que l'Actualité nous rabêchait sans cesse Adam and Steve, et que l'on avait jamais tant parler d'homosexualité, ce qui m'a fâché complètement et inspiré la violence nécessaire à la Révolution. Sans compter Sylvie, la femme de 35 ans qui me tombait du ciel pour m'inspirer une couple de pages, après toute l'imbécilité que l'on discutait à propos de la population qui croit en Dieu quand ça fait leur affaire, pour eux seulement, jusqu'à ce qu'ils se découvrent un cancer, et là, je vous jure, la planète vient enfin de faire un tour complet. Aussi la vieille dont son mari qui s'appellait René est mort, ainsi que le reste de sa famille. Et plus merveilleux que tout, Joël Cyr. C'est probablement ma plus grande source. Ainsi, lorsque j'écrivais la Révolution, j'avais en tête un combat entre les homosexuels et les hétérosexuels (religion, écritures), les Israëliens et les Islamistes, les Québécois et les Anglais. Et naturellement, Bruno est aussi un atout important, il sait tout sur tout. Mes cours aussi, ironiquement, cette session d'Université me fut essentielle! Le roman initiatique avec Lemoine me fut une mine d'or pour la Révolution. La littérature voyageuse et André Gide de M. Simard, m'ont fait comprendre bien des choses, le mythe de Chateaubriand par exemple, Jules Vernes et son voyage au centre de la Terre aussi. Lafon, c'est indéniable, à chacun de mes trois cours avec elle, j'ai fait un bond gigantesque. Mais avec Artaud, je suis rentré en transe. Il me sera très difficile de me débarrasser d'Artaud, il me restera jusqu'à la mort. Son oeuvre complète, je vais la lire au complet, l'acheter au complet, je suis tout de même heureux de voir que je peux me procurer cela, habituellement, c'est pas possible de commander ce genre de livre (même si c'est cher en

- 198 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

C...). La Bourbonnais m'était aussi intérressante, à un autre niveau que la Révolution. Avec son Balzac et Paris, elle m'a redonné le goût de partir, et la chance de vouloir renaître dans la Révolution. Et ses exposés oraux m'ont bien montré que la littérature contemporaine vascille dans le roman cheap où on y raconte des infidélités et comment les gens deal avec ça en rapport à leur morale et la religion, encore mauditement présentes au Canada. Le Vandendorpe, lui, lui, lui! Son cour est le seul qu'il m'aurait fallu garder si je n'avais dû en choisir qu'un seul. C'est le cour de grammaire/langue qui a révolutionné ma vie, mieux que le cours de Grammaire de base que j'ai passé de justesse parce que Mme Maser a été bien généreuse (en lisant La Finalité, elle a eu un pincement, elle s'imaginait que j'étais un autre Alain Fournier). Le cours avec Mme Forget, m'a beaucoup aidé au niveau de l'analyse et la réflexion sur la Révolution en tant que tel. La stylistique, ça montre certains trucs de littérature, comme celui de la tendance vers le néant en utilisant des pronoms impersonnels (Spinoza et son étymon spirituel par exemple). Bien que je le faisais déjà, il est bien d'en être plus conscient, y apposer une identification. Bref, voici le texte de mon carnet qui s'intitule Machiavel vs. Versabec: M. Lamothe sait très bien comment faire fonctionner une compagnie. D'abord il s'agit de laisser planer une terrible atmosphère qui convainc toute personne de ne pas respirer sans raison. Il faut humilier, abaisser, apeurer, faire fuir, rendre malade tout employé qui est syndiqué. Pour les autres, tous les moyens d'afflictions ou de menaces possibles sont de mise afin d'en extirper la moindre chose. Lorsque l'employé dit une seule parole, le mettre dehors aussitôt; il servira d'exemple pour les autres. [Je pense en particulier au jeune ami du jeune Latreille qui foutait rien et qui a manqué deux jours en ligne probablement sans raison. Il l'ont vite crissé dehors, mais c'était prévisible. D'autres on fait beaucoup moins et on mangé beaucoup plus de marde. Imaginez-vous donc qu'il a eu un travail au 15 Clarence, là où Joël Cyr travaille. Sa stupide boss n'a même pas voulu me rencontrer pour une entrevue juste parce que j'étais un ami de Joël, et elle a engagé celui-là. Et moi qui travaille si fort, qui dis jamais un mot au travail (tout le contraire qu'en classe). Tant pis pour elle!] L'avocat de la compagnie aidant, il s'agit également de réfuter chaque point de la convention collective et toute parole du responsable du syndicat. [Je l'ai mangé la claque quand j'ai voulu entrer dans le syndicat après que M. Lamothe m'ait dit à plusieurs reprises de faire des heures supplémentaires en plus des heures supplémentaires

- 199 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que j'avais déjà fait pour leur aider, ce, malgré mes études. Il me menaçait de me mettre dehors. Après le syndicat, ils ont eux bien des problèmes. Parce que j'aurais dû être dans le syndicat depuis le début, ils devaient donc payer toutes mes cotisations depuis ce temps (c'est moi qui aurait dû payer, mais puisque j'ignorais le tout... Imaginez, Micheline m'a téléphoné quatre fois sur mon shift à l'hôpital général sur Smyth pour me dire que selon l'avocat de la compagnie je ne suis pas obligé d'entrer dans le syndicat. Elle ne voulait pas comprendre que je voulais entrer dans le syndicat. Après ils se sont donné le mot pour que je démissionne. Ils m'ont fait beaucoup de marde, Olivier m'a tout raconté. Le pire c'est qu'ils croyaient qu'ils pouvaient me mettre dehors juste avant que l'on atteigne le mois de décembre, ils disaient que j'étais pas protégé par la convention pour les deux ans que j'avais travaillé là, mais depuis septembre 93, là où ils m'ont réengagé après l'été. Cela m'a inspiré La Vraie Réussite.] À la limite, il suffirait d'un peu de sang pour achever de convaincre chaque employé. Ces mesures, déjà avancées par Machiavel dans Le Prince, sont peut-être efficaces en temps instables ou de guerre, mais pas dans le fonctionnement d'une cafétéria, cela ne peut apporter que des problèmes. [Une frustration permanente qui déteint sur le service aux clients, à la fin, je faisais comme les autres femmes qui travaillent là: j'envoyais chier le client, je me lamentais fort des conditions de travail dans lesquelles je travaillais, je crachais sur Versabec devant chaque client. Certains commençaient à éviter de me demander comment cela allait, j'étais prompt à raconter éternellement et sans cesse tous mes problèmes du jour. Si tous les employés sont comme ça...]

Dans le temps, ça n'allait pas trop bien avec Bruno, et il y avait ce beau jeune homme dans mes cours, Alec qu'il s'appelait. Il avait manqué le cours d'avant dans le cours connerie du siècle avec M. Laroque. Je n'y étais pas non plus. J'avais alors écrit: Quand je dis: «Ah, tu n'y étais pas, j'ai bien fait de ne pas venir!» et que la seule façon d'interpréter ça c'est: «Si t'es pas là, ça vaut pas la peine de venir!» [Je lui avais dit ça!] La personne va-t-elle chercher une autre possibilité [(interprétation)]? Oui, rép.: «C'est quand même pas parce que j'étais pas là que tu es content de pas être venu?» J'ai dit: «Ben oui.» Rép.: «Parce que tu es content de pas être le seul à pas avoir manqué le cours», et ne veut plus rien entendre. Est-il possible d'avoir compris le message? Oui, pour qui veut le comprendre. Le message est-il évident? Il

- 200 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

peut être pris en joke. Que dire maintenant? «Je veux faire l'amour avec vous!» Ça crisse, c'est-tu clair? Oui, mais dangereux, et réponse certainement humiliante! Se peut-il que regarder un derrière de tête pendant trois heures puisse motiver quelqu'un à passer à travers ce trois heures? Oui, à la condition d'en rêver! [Je me demande si ce paragraphe se retrouverait un jour dans mon oeuvre complète publiée chez Gallimard? Si oui, je ne m'inquiète pas, personne n'aura l'argent nécessaire pour acheter la brique en question. Alec lui-même pourrait se demander comment j'ai pu survivre à l'écriture de la brique de peut-être mille pages?]

Tient, je viens de retrouver ce que j'ai écrit après avoir lu Les Caves du Vatican. André Gide, livre cinquième. N'est-ce pas là le type français de film que l'on retrouve lorsque écoutant un désir saugrenu de pousser Fleurissoire hors du train, Lafcadio se place en une situation tellement incertaine qu'elle provoque l'intérêt assuré? Et que Lafcadio, découvrant qu'il s'agissait là d'un homme ayant une relation avec son frère, décide de retourner le voir pour s'amuser de sa réaction à la mort de Fleurissoire? Pousser les personnages dans des situations où il devient inquiétant d'en connaître la suite. Le tout avec une morale du genre: «cave» en latin signifie: «prends garde» (au Vatican) et qu'en français signifie: «les innocents-imbéciles» (du vatican). [Mon Dieu, si Mme Bourbonnais lisait cela, elle me sermonnerait de ne pas lire suffisamment d'ouvrages critiques, en particulier les siens. Le désir saugrenu devrait être appelé Acte Gratuit. Ma maigre analyse n'apporte rien à rien. J'ai noté ce qu'il y a de tellement évident, que les gens ne prennent même plus la peine de le dire. Moi j'ajoute que lorsque l'on approche le 60 ans comme Mme Bourbonnais, il est normal de les avoir tous lu ces calice d'ouvrages critiques. Surtout qu'ironiquement, les auteurs au programme sont ceux que nos merveilleux profs ont analysés en maîtrise et docterat! Je ne serais tellement pas perdu en France, ce sont les mêmes auteurs que l'on étudie, et ce sont les mêmes choses que l'on enseigne. J'ai vu le programme de Paris VII et Paris III. Les profs ont le même bagage que les nôtres à Ottawa. Ce qui devient bien difficile de trouver quelqu'un spécialisé en Artaud ou Kundera. Surtout pas Goethe, ni Broch.]

Dans le cours de M. Lemieux, les premières fois que j'avais remarqué Nathalie Petit,

- 201 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

elle me faisait rêver. J'avais écrit: La fille du cours d'Anne Hébert, elle sort d'on ne sait où, son accent d'un autre matin, la richesse de ses vêtements [en fait, elle m'a dit qu'ils étaient très cheap, ce qui explique la suite] projette admiration plutôt que mépris habituel. Elle voyage beaucoup, KLM, ... Et jeune la fille, voix sensuelle et romantique, mature pour son âge, seris-je que j'appartiens maintenant au monde des adultes, je suis déjà trop vieux pour avoir un petit cousin là où je vais, et moi qui veux peut-être vivre ppour tant de jeunesse qui m'oblige à m'étouffer, et tuerais mon ami barbare [Bruno] que j'aime et veux mourir avec, là le paradoxe et le dilemme. Que faire? Il me faut connaître tout le monde afin de me convaincre que rien ne m'intéresse, ou oublier tout le moonde pour me consacrer à mon barbare ami. Il me faudrait coucher avec sans conséquence [avec Nathalie]. Mais c'est trop dangereux. 1- on ne peut faire confiance à personne, 2- on ne peut faire confiance à sa conscience. Je recherche ma liberté, mais elle coûte trop cher! [Ainsi je pensais coucher avec Nathalie. Je le lui avais même dit, après lui avoir avoué que j'étais gay. Elle n'a pas répondu, j'ai pas poussé plus loin. Elle aussi était en relation, à distance, avec un gars des Pays-bas. De toute façon je n'aurais pas voulu tromper Bruno, même si je l'ai fait avec Edwin. En passant, Bruno est venu ce soir, on a fait l'amour comme des déchaînés, je l'aime vraiment. Il me serait très difficile de le laisser pour Paris. Je me marierais avec, je lui ai dit ce soir! Mais cela ne garantirait en rien une fidélité mutuelle. Et la seule pensée qu'il me tromperait, m'empêche de vouloir continuer avec. Cela, évidemment, parce que moi-même je veux être fidèle. Autrement, je m'en fouterais un peu plus. Mais est-ce bien vrai? Du moins, j'endurerais qu'il me trompe. Mais je ne veux pas de ces relations. Je voudrais une maison en France, avec lui, loin de toute tapette éventuelle! (ouh, quel mot mal choisi, vulgaire, irrespectueux des gays, Écoutez! Seul un tapette a droit de rire des tapettes! Parce qu'alors il rit de lui-même, et un autre l'a déjà dit, qui sait rire de lui-même, survit plus facilement au calvaire de la vie!]

Dans mon cours avec M. Vaillancourt, Pierre-Louis, Céline juste à côté de moi lisait ce que j'écrivais sur elle et a même répondu:

-Céline passe son temps à travailler dans son livre d'italien: «Ecco il signor rinaldo! Comesta, signore?» Comme si elle devait remplir les 373 pages d'ici une semaine, et rendue à la page 27, et assistant à un cours très plate, elle aurait la prétention d'en faire la moitié ds le cours

- 202 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

de Vaillancourt où, bizarre choix, on parle beaucoup d'André Gide [Vaillancourt est homosexuel, Joël Cyr l'a rencontré au Tactiks, paraît-il, il avait un habillement pas mal flamboyant, serré, épeurant. J'en reparle dans les piliers lorsque je dis Vous êtes honteux Monsieur, on connaît votre vie intime...] Tournier: Méditerranée p.192 et Mythologie de Roland Barthes p.30. Chacun ses intérêts, moi j'aimerais voir ma poste... [Dans ce temps-là, je croyais encore que le salut viendrait de la boîte à mal!]

-Et Céline aimerait voir le nouveau gars qu'elle a rencontré hier au Vanier Optical! [Ah, c'est là où les straights font connaissance, qu'ils se marient six mois plus tard, incapables de résister plus longtemps au No Sex Until Marriage, et qu'ils divorcent un an plus tard après s'être trompé une dizaine de fois chaque! Mireille me racontait comment tous ses amis et amies se trompaient à la planche, elle reprochait aux filles de dénoncer leurs amies de filles, tandis que les gars se tiendraient toujours entre eux qu'elle dit! Moi je laisse ce débat aux straights, sans compter que moi, je me remets à peine d'une petite infidélité avec Bruno, alors l'industrie amorale straight, je n'en veux rien savoir!]

-Si elle l'a rencontré là, il est sûrement un intello-mécanico-idéolo-maniacoolcolique! et c'est sans espoir!

-Et toi, t'es quoi? Un intello-sexolo-franco-maniaco-Rollando?

-[avec flèche qui indique sexolo] Ça, c'est un peu fort! Ah, Celinas my beauty! Sexologia ista yourno fantasma? [Je pense que je dérive dans l'espagnol, et non l'italien!]

Tout cela tourne autour du 11 novembre 1993, cette suite entre autres: Que ma copine Natali Leduc ait écrit ce livre bizarre qu'est le Scratipoind, me force à écrire des choses étranges. Voilà qu'elle me nomme Boris Vian (L'automne à Pékin, L'Arrache Coeur, Le Schmurf) et Réjean Ducharme (La fille de Christophe Colomb), voilà mes nouvelles sources. Deux noms totalement absents de mes études littéraires [Jusqu'à Bourbonnais du moins, elle en a fait son cheval de bataille de Ducharme]... (?). Qu'Est-ce qui est fucké christ? J'abandonne la Confrontation des Siècles [très à propos]. Je ne sais plus si je vais écrire du théâtre ou un roman [l'éternelle question]. Mais faut du fucké Christ! [Quel langage abusif! Je vais faire fuir mes lecteurs potentiels!] Tout réside en l'idée. [Natali Leduc, je commence à plus trop être capable de l'entendre. Hypocrite! Au déjeuner de la fédération étudiante, elle a parlé

- 203 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dans mon dos avec Lafon, Gilbert et Luc. Et quand j'ai enfin été mis au courant de l'histoire Poliquin et que je l'ai appelée, elle était tout mal, elle pensait que j'en savais pas mal plus sur ce qu'elle avait dit de moi. Elle m'a avoué avoir dit des choses, elle a commencé à me désamplifier le tout, se justifiant: «Ben moi j'ai dit que c'était vrai que tu parlais vite sans toujours réfléchir, et que t'exagérais souvent!» et puis quoi encore qu'elle m'a dit, je ne m'en souviens plus, ou ne veux plus m'en souvenir. Luc et Gilbert (le petit barbu) me détestent. Les liguer contre moi avec Lafon, me laisse aucune chance. Et Natali qui ajoute son mot à dire par-dessus cela, ça ne me fait pas vouloir en être trop proche. Elle veut me voir la semaine prochaine, pas moi. Elle est encore en communication avec Luc et Gilbert, et cela, ça me fait vouloir vomir. Gilbert est marié en plus! Il y en a beaucoup des mariés dans les étudiants du département. Mentalité de Franco-Ontariens qui vivent loin des grands centres j'imagine. Yzont pas pris le tournant du free sexe jusqu'à 30 ans, avant de commencer à paniquer et de pas vouloir finir ses jours tout seul, alors on court vers le mariage avec le premier ou la première du bord, et on continue notre vie sexuelle active en parallèle de peur que ce soit la dernière fois que l'on aura du bon sexe avant de crever! À parler de bon sexe, Luc a une belle petite blonde blonde. Elle a l'air niaiseuse (c'est un sale préjugé que j'ai) mais elle est crissement belle si on se fit à l'archétype construit par Hollywood. J'espère pour elle que Luc est pas gai, ni pour l'autre que Gilbert est pas gai.]

En réponse à un article intitulé ATONISHING A dans le Citizen du mois de nov. 93 (après le 11 nov, ça c'est sûr), j'avais écrit l'article suivant qui, of course, n'est jamais sorti de mon carnet. Il s'agissait d'une liste astonishante qui présentait le nom de chaque étudiant de l'Université qui avait une moyenne de A. J'ai manqué tout casser! Mon article s'appelait The Injustice of Merits: In a society, misjudge on a data, statistics or any kind of result, can be frequent. Through the years, the universities are probably the ones who understand that very well, if we're looking to all the complexities of the processus they're using in choosing their students. First of all, an «A» doesn't mean a good mark until it is compare to the rest of the class or school [ce que j'aurais dû ajouter, c'est que si tout le monde a A, ça ne vaut plus la peine d'en parler. Mais pour cet argument plutôt médiocre qui dénote plus de jalousie que d'autre chose, ils ne m'auraient pas manqué]. Secondly, the

- 204 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

merits can go on other points, like winning prize, motivation, determination, the intellect, etc. [What am I talking about? J'ai bien peur que seul le RM d'avant 1994 pourrait comprendre l'anglais qu'on lit ici] So there is interview, auditions and at least, QI test. Depending on which branch we are looking in. [what's the point?] Thirdly, it will be interesting if in the 750 students of Carleton University who gots an «A», so many of them were working 20 to 30 hourss a week like the majority of the 22 000 others students. [À ce niveau, il y a certainement un cercle vicieux. Parce que les étudiants qui avaient de bons résultats dès le début, mérite des bourses qui leur permettent de ne pas travailler, donc, de bien réussir à l'école, et continuer à avoir leur bourse! J'accepte cependant le fait que les étudiants qui ont un A de moyenne à l'Université travaillent fort (travaillent plus que moi en tout cas, quoique des fois je me demande si ma note n'est pas proportionnelle au nombre de cours que je manque et non pas la masse de travail que je finis par fournir en bout de ligne!] Moreover, how many of them receive an 8 000 to 16 000$ of money in bursaries because of these good marks? How many of my friends are getting directly from the University lots of thousands dollars and are working very hard on their assigments, while I am working, try to not miss too much class, getting a «B». [Il est vrai que pendant mes deux ans à Versabec, j'ai toujours travaillé au-dessus de 21 heures par semaine, souvent près du trente, et fort souvent au-dessus de 24 (je le sais parce qu'il me fallait garder ne niveau d'heures pour être considéré temps plein)]. Well, no rancune, 750 of them got an «A», they are maybe working 25 hours a week, but they certainly gets lots of bursaries with that «A». So, we don't need to say that too loud, cos there is still 22 000 of them working as hard, being as good, and merits nothing. [Les Universités offrent des bourses de malade à leurs meilleurs étudiants ou aux meilleurs étudiants venant d'ailleurs, pour s'assurer une bonne réputation et ainsi attirer plus de capitaux et de monde. C'est très discriminatoire, parce qu'en bout de ligne, ce sont les étudiants qui payent pour ces autres étudiants. Car où donc l'Université prend-t-elle son argent? Dans mon 13 000$ de dettes! 3 000$ de mes dettes sont-ils vraiment allés aider Joël Cyr à payer sa seule année scolaire de 1993-94? Alors que sa mère est suffisamment riche pour lui payer un appartement de riche à Hull et un autre à Montréal (Joël a effectivement deux appartements de riches et une maison qu'il partage avec sa soeur, payés par la mère)? Un autre 3000$ de mes dettes est-il allé payer l'année scolaire de Wang Ynan, mon amie qui débar

- 205 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que de la Chine, alors que son mari est un des plus riches commerçants de la chine, un des quelques privilégiés qui possèdent une voiture, alors que j'ai crevé de faim pendant sept mois durant la présente année scolaire? Et eux, ils vont entrer en maîtrise! Eux, ils vont en faire de l'argent plus tard. Moi, mon 13 000$ il est à jeter au feu! Il deviendra 30 000$ dans quatre ans. 200 000$ d'intérêts avant que je crève! (que j'en crève!) Je comprends pourquoi en France, l'Université est gratuite, et qu'en plus, n'importe quel université, que ce soit n'importe où en France, offre le même programme et le même diplôme. Parce que là-bas, on est vraiment Égal, Libre et Fraternel. Ici on est capitalistillé jusqu'à l'os, et que dans un contexte économique comme cela, c'est-à-dire poussé à outrance, y'a le deux tiers de la population qui mangent la claque! Ordinairement les gens de la classe moyenne qui n'ont finalement pas d'argent, et les enfants de cette classe moyenne qui ne reçoivent définitivement pas d'argent de leur parents. Tout le monde en est conscient, tout le monde se satisfait quand même. Pas besoin de crier trop fort quand on a une maison (même hypothéquée), une automobile, même si les enfants crèvent de faim et crèveront de faim. Mais à quelle époque suis-je donc? Les gens après ma mort, en lisant cela, vont croire que je me suis trompé en écrivant 1994, qu'en fait, je voulais dire 1894! Ou 1794, juste après la Révolution Française, où finalement le peuple mourait encore de faim. Les parents mettent leurs enfants dehors, qu'ont-ils donc à attendre de ces enfants ensuite? Les parents se foutent de leur enfants alors que le gouvernement les aide en fonctions d'un hypothétique contribution des parents. Pourquoi donc le gouvernement ne fait-il pas la même chose avec les vieux? Les enfants devraient en théorie aider leurs parents lorsqu'ils sont à la retraite. Ainsi, les enfants pourraient plus facilement leur rendre leur amour fraternel qui unit un peuple. Voyons voir, 8 534 * 3 = 25 000$ qu'ils auraient dû me donner. Peut-être que je devrais aller en cour pour exiger cet argent de mes parents? Et dès lors, quels seraient nos relations? Alors qu'elles sont déjà si bizarres depuis que 1- ma mère m'a crissé dehors et que, 2- je leur ai avoué mon homosexualité (à huit mois de distance!)]

10 juin 1994

Aujourd'hui j'ai toutes les raisons de me réjouir, le projet de loi des NDP a été défait

- 206 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

même si on promettait de l'édulcorer en en oubliant la moitié, c'est-à-dire, en enlevant toutes les parties critiquées par l'opposition et les religieux. Eh bien, cela a été défait quand même. Aucun compromis possible, le homosexuels, on les tolère, en autant qu'ils se ferment la gueule et qu'ils s'enferment dans leur garde-robe. Sinon, ça va barder, on l'a vu. Peut-on imaginer qu'en pays de démocratie, où l'on se targue d'être les mieux sur la planète où il fait bon vivre, où l'on crie au meurtre en rapport aux droits et libertés en Chine qui ne sont pas respectés; que l'on puisse discriminer tout un groupe ici, sur des bases aussi floues que la bible? La démocratie est dangereuse aussitôt que l'éthique qui la sous-tend est religieuse. Quoi? Deux tribunaux au pays viennent de déclarer que les couples noirs n'ont pas les mêmes droits que les couples blancs, on passe une loi pour rectifier le problème, et le projet ne passe pas en assemblée? Mais mon Dieu, ils sont bouchés! On dirait qu'ils protègent ce qui reste de leur morale morcelée. Continuez d'être raciste! Mais dites le clairement que vous êtes racistes, en fonction d'une bible hypothétique qui vient d'on ne sait où, et qui s'appliquait à on ne sait qui! Et arrêtez de vous lamentez sur la Chine et la défunte Apartheid! Vous êtes aussi pires! Et arrêter vos publicités à 180 millions pour nous convaincre de pas être racistes alors que vous mêmes l'êtes! Plus que jamais aujourd'hui j'ai hâte de voir les vieux sortir des gouvernements. Plus que jamais aujourd'hui je prône la laïcisation de la planète. Plus que jamais aujourd'hui j'ai l'impression que je n'ai pas ma place dans cette société qui se dit libre. Je suggère aux trois pays qui ont déjà accordé aux homosexuels le droit au mariage (Suède, Norvège et Hollande, et l'on se demande comment!) d'arrêter tout commerce avec le Canada jusqu'à ce qu'il respecte les Droits et Libertés d'une minorité tellement replier sur elle-même qu'elle se cache dans les garde-robe pour pleurer son sort! Calmons-nous. Encore dix ans de sensibilisation (!) et ils vont bien nous aider. Me voilà prêt à me battre pour aider la prochaine génération.

L'Underground a fait des petits. J'ai pas besoin d'ouvrir le bar, j'ai besoin d'en écrire un livre. Sous la façade d'un café, il y a un bar clandestin sous la terre. Et là, ce sont les bas-fonds, drogues, rites bizarres, le livre doit être un délire complet basé sur la vie d'Artaud. Initiation à l'Univers de Dieu je suppose, on y assome les gens (drogues), ils perdent connaissance pour une dizaine de jour. On fête au-dessus d'eux autre, y'en a une couple qui meu

- 207 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

rent, la volonté de Dieu. Il ne me faudra pas me limiter aux rites. Parce que mes bas-fonds ne seront pas des Tarahumaras aveugles, qui savent pas trop ce qu'ils font, le but poursuivit sera atteint quand ils m'assomeront et que je perdrai connaissance. Je vais me retrouver en communicattion directe avec l'au-delà, les morts, connaître mon passé d'avant l'humanité, et d'avant la Terre. Mon futur aussi. Et je reviendrai transformé et initié. Faire l'amour avec les morts (les inconscients), homosexuel bien sûr. (Je me demande si j'aide bien les gays en écrivant un tel livre? Je me demande si je pourrai aider les gays après avoir écrit un tel livre?)

12 juin 1994

Enfin, le plain white heterosexual descendant of England vient de se réveiller, munis de ses mythes contre les minorités. Le titre, dans le Citizen d'Ottawa, page B7, Saturday, June 11, 1994: I don't belong to any of these groups but I feel I have my rigths too [Monsieur a peur que certains droits qu'il n'auraient pas déjà, soient offerts à d'autres sans qu'il n'y prenne part. La première phrase nous en dit long:] Have you noticed lately how many different groups are demanding their rights? [Well, it's maybe because you never ever do anything to give them the same rights that you already have since the moment of your birth!] Refugees who come here illegally seem to have rights as soon as they touch Canadian soil. [Il semble nous suggérer que le terme refugees englobe toutes les minorités qu'il dénombre ensuite.]

We frequently hear from convicted murderers, rapists and sex-offenders, homosexuals [voilà à quel rang monsieur David C Banks of Kanata relègue les homosexuels], aboriginal people, minority ethnic groups, French speaking Canadians [ouf, il fallait s'y attendre], women [là, il vient carrément d'éliminer la moitié de la planète! Viva la Révoluziona!] physically and mentally disabled groups [juste après les femmes, il faudra pas commencer à trop faire de sémiologie ici], various religious denominations [je me demande s'il inclut les Roman Catholique et les Protestants là-dedans? alors il ne resterait plus que lui!], the unemployed [qu'ont-ils à se plaindre quand le prochain group existe?], those on welfare [rien de plus écoeurant en société hein?], and seniors [j'ai honte de le dire, malgré tout ce que j'ai dit sur eux avant, mais il a aussi tort de les pointer, car ils ont raison de crier! Bref, il s'en va

- 208 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

attaquer tout ce petit monde dans son article, cherchant sans doute à defendre ce qui reste de sa société patriarcale pour blancs descendants d'Angleterre, qui ne répond plus aux besoins que d'une minorité.] Well, I don't belong to any of those groups and I am starting to feel just a little neglected because I have rights too. [We know stupid innoncent, there are rights just for you!] I haved lived in Ontario all my life, as have the last eight generations of my family [voilà qu'il justifie sa propriété par sa longue lignée, et qu'il la refutera aux Français arrivés avant les Anglais, et aux aboriginals, sous prétexte de guerres coloniales où l'on se seraait appropriés la terre des autres, ainsi que leurs âmes!] I went to university, [guess that you don't have much to pay as we do! Everything for you, nothing for he rest! (as bad as the religions)] earned two degrees and have been earning an income ever since [I guess, because if not, you will be shooting at the injustice of life! But you already do so!]. I pay over 30 000$ per year in taxes of one type or another [does he thinks we are not paying too? Does he thonks all the immigrants are not paying their taxes? On paye comme toi! Et on a pas les mêmes droits!] I am married with two children and own a house and two cars. [!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!] I am lacking nothing of importance and I don't need or want any government hand-outs.

I work hard and earn what I get, yet I am not totally happy. It's because I fell like a whore. Excuse my vulgarity but it's the best analogy I could think of). [Prostituée = qui se donne à quiconque paie (j'imagine qu'il ne s'agit pas du bon sens). Essayons plutôt: de mauvaise vie, fille publique (dont on se sert pour renier ensuite)]. I feel that the government (my pimp) only wants to keep me healthy so I can be used to continue to earn money for it to squander on programs that are not very relevant to my needs, and that my opinion doesn't matter a heck-of-a-lot. [Sure, the opinion of Monsieur is to let everyone starving, and let him become the king of the place, so he can have four or six children more, three maîtresses, six automobiles, etc. Maybe he should ask himself about what the society really gave him. Où ailleurs dans le monde, peut-on vivre aussi bien que lui? N'est-ce pas aussi un signe de la société autour? Laisse-là crever de faim, fait sauter tous les droits de tout le monde, enlève toute sécurité sociale, et vous verrez si la société serait encore capable, dans un tel chaos, de pourvoir une maison, deux enfants et deux automobiles!]

[...] I have a right to expect a society where law and order and justice will prevail. [So

- 209 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

we are! And that's the whole problem of it! Right, you now understand how we feel, us, convicted murderers, rapists and sex-offenders].

[...] I have a right to expect that my country will be unified and preserved for my children. [Sur le dos des Québécois semble-t-il, si on se réfère à la liste du début. Autrement dit, moi j'ai le droit d'obliger neuf millions à demeurer dans un pays, pour mes propres enfants, pas ceux des autres!] I want the government to work toward building a true national spirit in Canada instead of spending money to buy votes in areas that complain the loudest or make the scariest threats. [Je vois bien ici qu'il attaque indirectement les homosexuels. Parce qu'il est effectivement difficile de se faire élire dans certaines circonscriptions, parce que justement, la majorité de gens qui y vivent sont gays, et que nous ne voulons pas voter pour quelqu'un qui souhaite nous détruire! Mais j'ajouterais que c'est justement pour se gagner des votes que Lyn McLeod, leader des libéraux, a voté contre le projet de loi des gays, puisque avant, elle avait fait des efforts pour améliorer le sort des gays. Elle reprochait au gouvernement de ne pas agir pour les droits des gays, et le jour où ils arrivent avec un projet, étant toujours de l'opposition, elle s'oppose au projet. C'est le ridicule de notre système de gouvernement.]

I have a right to expect to be treated as a first-class citizen in my own country. [Peut-il vraiment ne pas avoir cette impression? Jamais! Et quel ton, my own country, comme si elle lui appartenait en main propre, à son nom!] I am not prepared to suffer a permanent guilt trip because my ancestors took control of this land from the aboriginal people of the so-called «First Nations,» who were constantly at war with each other trying to do exactly the same thing. [Le fait de le mentionner montre qu'effectivement il souffre d'un guilt trip. Daniel Poliquin en parle dans son dernier roman L'Écureuil noir. Un guild trip n'existe pas sans raison et il est normal après s'être senti coupable si longtemps, de chercher à ne plus se rendre coupable. Une autre solution cependant serait peut-être de regarder à ces minorités, et de voir enfin qu'on les considère comme des second class citizen, en leur faisant payer autant d'impôts, en les empêchant continuellement de vivre (je parle autant pour les Amérindiens et les immigrants que pour les gays et le reste).] We live in the here and now. Let's get on with it, together! [Right, mais il faudra accepter certains compromis pour cela, ce qui semble impossible pour des gens comme David C. Banks].

- 210 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

All Canadians have rights under our Charter but what bothers me is the attitude that some of us have more rights than others and that minority or individual rights seem to be more important than the rights of the majority in our democratic political system. [On voit qu'ici, il fait référence aux juifs et muslims avec leur congés religieux. De toute façon, l'idée de démocratie va bien mal avec celle de la majorité. La majorité n'est capable de voir que ses besoins. Ceux des autres n'existent pas. Et de toute façon, il n'a jamais été question dans aucun débat de donner plus de droits à une minorité quelconque. Il s'agit toujours d'une question de femmes et d'hommes égaux devant la loi, de justice.] It's like a free-for-all where rights are the prize and no one can be trusted to play by the rules unless they are coerced by the force of law. [!] [En terminant, s'il est vrai que la contradiction ou le paradoxe enlève toute crédibilité à une série d'arguments jetés en bloc, voici donc, et avec plaisir, le paragraphe final:]

Our history clearly demonstrates, time after time, that Canadians are very concerned about the rights of all people, not only in this country but throughout the world. [They are very concerned about rights in the world, a bit less at home. Le Canada fait des efforts, pas tant que cela. Les femmes sont toujours les têtes de turcs et à l'arrière-plan. La question des Premières Nations flotte sur nos têtes et donne l'impression qu'il n'existe aucune solution aux conflits qui dégénèrent de plus en plus. Les homosexuels risquent de perdre tout droit si Manning entre aux prochaines élections, ce qui est fort possible, et déjà, leurs droits sont juste, à l'heure actuelle, celle que l'on ne peut les discriminer. Ce que le gouvernement ne veut d'ailleurs pas entendre.] We don't want to have people being jailed unjustly or being physically abused. [Est-ce qu'on parle encore des homosexuels, ou est-on complètement hors sujet? Il pparle maintenant à la première personne du pluriel. Pas de doute, monsieur parle pour la majorité qui discrimine tout le moonde.] We want our seniors, veterans, disabled, diseased and unemployed to be cared for and I don't think very many of us want to see or be involved in any form of discrimination. [Ici, j'ai vraiment l'impression que l'on a pas la même définition de ce qu'est la discrimination. Peut-être dervrait-il relire les 20 premiers articles de la Charte des droits et des Libertés. Je pense qu'un immigrant qui arrive ici devrait pouvoir travailler comme tout le monde, qu'un étudiant étranger devrait pouvoir travailler n'importe où dans la ville. Sinon, c'est discriminatoire, ils ne sont pas égaux. Sommes-nous

- 211 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

égaux en fonction de citoyens d'une même nation, ou en tant qu'humains? Mais que dire du contrôle de l'immigration... mes connaissances ne me permettent pas de me prononcer là-dessus.] However, the government must stop using the law as a club and start paying more attention to the needs of the country as a whole. [Inquiète-toi pas David, c'est exactement ce qu'il fait! (We cannot see a society as a whole, voilà le problème.)].

Bon, Bruno semble partir en grand. Encore une fois. Cette fois, il a l'intention de prendrs une hypothèque de 150 000$ pour acheter un terrain dans le quartier le plus riche d'Ottawa. La maison? Pas de problèmes, moi et RM on va la construire dans trois quatre ans. Seuls les fondations et la charpente seront faites par des professionnels. Heureusement! Et encore. Je ne me sentais pas d'attaquue à construire une maison, de riche en plus! On en finit pas de faire le toit de la maison de ses parents. On dirait une façon de me garder à Ottawa. Comment vais-je me sentir après cela? Partir pour Paris? Et mon père ce soir qui m'exigeait presque de revenir à la maison cet été, et continuer mes études en génie civil à l'Université du Québec à Chicoutimi. Ma soeur, même discours. Ils doivent s'ennuyer pour vrai pour commencer à comploter comme cela. C'est risible, ils prennent des décisions sur mon avenir, je sais très bien que je n'en ferai qu'à ma tête. La meilleure c'est quand mon père a dit, tu vas entrer en système coop à Ottawa, si c'est impossible, tu t'en viens à Jonquière. Il était sérieux en plus. J'ai dû lui dire que moi et Bruno on planifiait un avenir ensemble. Il a ri. Je lui ai rétorqué que ça faisait plus longtemps que j'étais avec Bruno, que lui et Ginette, et Frédérique et Stéphane. Qu'ainsi, tout projet avec Bruno n'était pas si insensé. Et l'idée que ma vie est à Ottawa et que je ne retournerai plus à Jonquière, n'est pas si insensée. Il m'a encore dit que je n'en étais pas au stade de projeter un avenir avec Bruno, comme Frédérique en ce moment. Je lui ai répondu que ma soeur avait fini son bac et qu'elle avait trouvé un travail. Que moi j'ai fini un bac, et que je projette dans faire un autre. Cela ne me met pas pour autant sur un pied différent de celui de Frédérique. Je l'ai bouché complètement, il n'avait plus rien à dire. Le père qui n'a plus aucune autorité sur ces enfants, qui ne les aide que si peu, et cela devrait suffire pour être écouté et entendu. Je me demande si on prend au sérieux ma relation avec Bruno. Frédérique et Stéphane, on les voit déjà mariés,

- 212 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

après un an et demi ensemble. Claire-Lise et son chum, on les voit déjà mariés, après un an ensemble. Pire, le chum de Claire-Lise va payer les études en droit de sa blonde! N'empêche, j'ai pris un coup de vieux quand Bruno parlait de son terrain et notre maison. Tout à coup j'ai vu toute l'injustice du gars de l'article d'avant, où le gouvernement vient lui chercher 30 000$ en impôts chaque année, le dépense à tort et à travers (exemple, 80 millions pour des annonces publicitaires pour empêcher les jeunes de fumer, alors qu'on a prouvé que ces annonces ne fonctionnent pas, et que l'on semble ignorer que la majorité des jeunes est déjà sur la drogue!), pour ne lui offrir que de l'insécurité pour l'avenir. Je me suis vu, moi, passer de l'appartement plein de coquerelles pour la maison la plus riche en ville! C'est m'enlever d'un coup toutes les raisons que j'ai de me plaindre. Manquerait plus au tableau que les deux enfants, le chat, un travail permanent. Bien sûr, Bruno voit des signes de piasse lorsqu'ils nous voient tous les deux ingénieurs à BNR, 120 000$ par an, on serait riche. Pour que j'en arrive là, il faudrait vraiment que les circonstances m'y aient poussé. Je n'ai pas l'intention de refuser Paris, mais il me sera encore plus difficile d'abandonner Bruno. Je ne voudrai pas le laisser, mais je serai cave de penser qu'il ne me trompera pas. Pensons juste à tous ces orphelinats remplis d'enfants en temps de guerre. Les hommes sont partis? L'homme qui est resté pour une raison ou pour une autre mettra toutes les femmes enceintes. Les soldats sont arrivés en ville? Elles vont toutes les coustiser. J'exagère, mais le fond demeure vrai. Parfois il est bien de ne pas prendre de décsion, de laisser les événements décider pour soi. Mon avenir se dessine, j'y prends part et je laisse les événements m'orienter vers ce qui sera le mieux en rapport aux expériences que j'ai à acquérir. La grosse bullshit!

13 juin 1994

Mon nouveau passe-temps semble être devenu la critique des critiques de journaux. Je prends l'actualité du jour pour réfléchir sur des problèmes qui n'auront plus aucun intérêt dans 50 ou 60 ans. Quoiqu'avec l'évolution des sociétés actuelle, ce pourrait bien être encore d'actualité dans 300 ans. Je lis Artaud, et ce me semble encore plus d'actualité que l'actualité des journaux. La pièce de théâtre de Dario Fo Mort accidentelle d'un anarchiste, raconte une Italie du début du siècle, on aurait juré que la pièce avait été écrite en 1990. La

- 213 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Russie d'avant la Révolution, la Russie sous Staline, le Russie d'après Staline, l'ex-URSS, voilà bien des choses qui n'ont pas réglé les problèmes de la Russie, bien au contraire. La droite et la gauche, cela est du pareil au même. Les NDP sont au pouvoir en Ontario. Supposé être de la gauche, on nous a bien donné l'impression d'une droite presque effrayante. C'est que selon les circonstances, on ne peut plus faire ce que l'on veut, à ce qu'ils disent. Les libéraux de l'Ontario changent d'avis selon s'ils sont dans l'opposition ou non, selon la prise de position du NPD. Où donc reste la gauche ou la droite en un tel contexte. Les libéraux qui s'opposent aux droits des gays, sont-ils encore libéraux? Plutôt conservateur. On ne peut même pas se fier à leur nom de parti. Le nouveau parti démocrate, supposé nous offrir une vraie démocratie, n'est pas contre l'idée de parti qui fait que la démocratie est capout, même si cette façon de faire est souvent la seule pour faire adopter des projets de lois. Bien surprenant d'ailleurs cette vraie idée de démocratie, c'est-à-dire de vote libre, là où il ne fallait pas, pour le vote d'un projet de loi sur les gays. Là non plus la démocratie ne fonctionne pas, elle est rendue aveugle par l'Église. J'en ai pour exemple ce petit article de la Presse de ce matin:

Les Canadiens sont divisés sur la création et l'évolution de l'homme: Selon un sondage effectué récemment par l'institut Gallup, les Canadiens sont très divisés sur les théories de la création et de l'évolution des êtres humains. Trois Canadiens sur dix (30 p. cent) maintiennent la pensée biblique selon laquelle Dieu a créé les êtres humains sensiblement comme ils sont actuellement à un moment se situant au cours des derniers 10 000 ans ou environ. Une proportion un peu moindre de Canadiens (25 p. cent) sont d'opinion contraire et soutiennent que les êtres humains se sont développés au cours de millions d'années à partir de formes de vie moins évoluées mais que Dieu n'a rien eu à voir dans ce processus. [Cela ne montre-t-il pas l'ignorance des humains sur leurs origines? Cela ne montre-t-il pas combien il est absurde d'oser se prononcer sur la question? Et si Dieu était un extraterrestre? Ce qui aussi fort plausible. Et si Dieu était un humain? Et si Dieu était un fromage bleu pourri? Et la théorie de l'évolution, explique-t-elle les lois de la nature? L'organisation de l'Univers, sa création? Je serais porté à dire que Dieu a créé le tout, en avouant que j'ignore ce qu'est Dieu. Ainsi je n'ai expliqué de plus, je laisse toutes les portes ouvertes. Je pose

- 214 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ainsi une cause à tout ceci, une force (intelligente?) à l'origine de ce tout. Le fait de se poser la question à savoir s'il s'agit d'une force intelligente est peut-être déjà stupide. Partout on voit l'intelligence de l'organisation de l'Univers, se peut-il que tout cela soit le fruit d'une force inintelligente? Mais se poser cette question alors qu'on a pas la possibilité d'imaginer le tout, est probablement stupide.]

L'opinion la plus généralement partagée parmi les Canadiens est une combinaison des deux interprétations précitées. Ainsi, 38 p. cent des personnes interrogées pensent que les êtres humains se sont développés au cours de millions d'années à partir de formes de vie moins évoluées, mais que Dieu a guidé ce processus. [De quel mouvement religieux tiennent-ils cela? Plutôt les restes, sur leur inconscient, de l'enseignement d'une religion. On a bien des problèmes à se débarrasser d'un courant de pensée enseigné par les Églises (le temre Églises ici englobe n'importe quelle organisation religieuse).] Huit p. cent des répondants n'ont pas d'opinion sur la question où ne partagent pas les deux interprétations expliquées plus haut. [On serait porté à croire que ce huit pour cent est l'idéal à atteindre. Seuls huit pour cent ont la sagesse de se dire incapable de répondre à la question. Et encore, de ce huit pour cent, un certain pourcentage indique qu'ils partagent une troisième interprétation de l'origine de l'homme. J'imagine que l'on peut inclure les Hélohimes qui se font prendre ces derniers temps à encourager la masturbation chex les jeunes étudiants, encore chanceux qu'ils n'encouragent pas l'homosexualité, on aurait perdu toute crédibilité avec eux. J'admets que je ne sais pas pourquoi ils encouragent la masturbation. Peut-être qu'ils autant de bonne raison, par rapport à leurs croyances, d'encourager cela que l'Église d'encourager l'abstinence, l'ascétisme. Qui sait ce qui motive les plus obscures pratiques ou ordres.]

Il y a un an environ, en juin 1993, l'institut Gallup aux États-Unis a posé la même question à des Américains. Les données ainsi receuillies indiquent que 47 p. cent des Américains croient que Dieu a créé les êtres humains sensiblement comme ils sont actuellement, ce qui est beaucoup plus que les 30 p. cent de Candadiens qui ont la même opinion. [Gallup implique autre chose que la simple statistique qu'elle semble vouloir nous fournir. Elle implique qu'il faille expliquer comment il se peut que 17 p. cent de plus d'humains qui vivent un peu plus au Sud en arrivent à croire à la théorie de la création. Je vais y répondre.

- 215 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Il n'y a pas cinquante-six conclusions possibles, l'Église a là-bas plus d'influence qu'ici. Ou du moins, les mentalités sociales vivent encore au rythme des enseignements religieux. Autrement dit, les Américains sont encore plus prompts que les Canadiens à se faire laver du cerveau par leur société et leurs religions. Edwin en est un bel exemple. Il m'a clairement dit qu'aux États-Unis, il est impossible d'être gay. Les mentalités te font paniquer encore plus, juste à l'idée d'être gay. Tu t'acceptes pas du tout, tu te marieras avec une femme ou te suicideras. Belle terre de liberté que celle des États-Unis. Ce qui explique pourquoi New York n'est pas extraordinaire en rapport à ses bars gays. Moins de gens s'acceptent, moins de gays sortent de l'ombre. Voilà pourquoi Montréal semble être pour plusieurs, une ville où il y a plus de gays. Mais n'oublions pas que le Québec est un des seuls endroits en Amérique du nord où l'homosexualité n'est pas honteuse (ou presque) depuis les années 60 (depuis la révolution tranquille où la religion a enfin pris le bord). Voyez aussi comment les choses sont différentes trente-cinq ans plus tard. On se rend compte que le pourcentage de gays est plus grand qu'on le pense. (N'allez pas croire que cela encourage l'homosexualité, un gay est gay, il peut le réprimer ou se suicider, un hétérosexuel est hétérosexuel, il ne deviendra pas gay du jour au lendememain parce qu'il a été déçu par les gens de l'autre sexe.] De plus, cette proportion (47% qui croient en la création) est demeurée assez stable au cours de la dernière décennie, puisque 44 p. cent des Américains exprimaient le même point de vue en 1982. [Ou bien la religion est devienue plus forte, ou bien les tremblements de terre en Californie ont fait leur effet. Les gens se sont mis à croire en Dieu du jour au lendemain? Se sont du jour au lendemain mis à croire à la création plutôt qu'à l'évolution avec un Dieu pour guider le tout? Si on peut aussi facilement changer d'opinion sur le sujet, il me semble que cela est inquiétant. C'est comme le gouvernement qui change d'opinion selon ses intérêts, les élections qu'il doit gagner.] Trente-cinq p. cent des Américains croyaient en une évolution guidée par Dieu, tandis que seulement 11 p. cent des répondants croyaient en l'évolution pure et simple des êtres humains. [Bien sûr, les gens veulent donner un sens à tout cela, la théorie de l'évoltuion ne donne que le comment, n'explique rien sur les orgines (ce me semble, j'avoue n'avoir point lu sur le sujet, sauf ce petit livre que m'a donné un témoin de Jéhovah et qui s'intitule La Création ou l'Évolution? et qui comme d'habitude, ne présentait qu'un seul point de vue, celui de la Création, faux arguments poussés à l'ex

- 216 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

trême).]

Pour revenir aux données recueillies au Canada, une ventilation de celles-ci par région montre que l'interprétation privilégiant la création des êtres humains par Dieu est la plus répandue dans les provinces de l'Atlantique (45 p. cent) et la moins répandue au Québec (22 p. cent). [À relire Gobineau sur son voyage à Terre-Neuve et les provinces de l'Atlantique, on ne se surprend guerre de ces chiffres. Encore aujourd'hui, le fanatisme religieux se porte bien dans ce coin. Et il a toujours manqué ce petit regroupement d'intellectuels qui peut enfin améner sur le tapis des idées de rechanges. J'ai lu dernièrement que les bons auteurs devaient s'expatrier ailleurs, on devient vite des hérétiques dans ce coin du pays, même si l'on remporte des honneurs un peu plus à l'ouest du Canada.] Inversement, les Canadiens des provinces de l'Atlantique sont les moins susceptibles de croire à la théorrie de l'évoltuion pour expliquer l'origine des êtres humains (11 p. cent), tandis que les Québécois sont les plus suscpetibles d'être des supporters de l'évolution (36 p. cent). [Ô ironie, on parle de Québécois et de Candadiens des provinces de l'Atlantique. Heureusement, il faudrait dire Atlantéens, que l'on pourrait confondre avec les gens qui habitent l'Atlantide. Ce qui n'est sûrement pas supporter par les supporters (quel gros anglicisme) de l'Atlantique. Il faudrait une autre bonne théorie que celle de l'évolution, et je serais curiex de voir ce que deviendrait ce 36 p. cent. N'est-ce pas par défaut qu'ils croient en l'évolution? Cela devient très complexe!]. Enfin, les résidants des provinces des Prairies ont plutôt une opinion mitoyenne (44 p. cent) selon laquelle les êtres humains se sont développés au cours de millions d'années à partir de formes moins évoluées mais que Dieu a guidé ce processus. [Il manque des chiffres! Qu'en est-il de la création dans les Prairies? Qu'en est-il de la Colombie-Britannique, à moins qu'ils l'aient inclue dans les Prairies? Et l'Ontario, ma province d'adoption, celle qui est si lavée du cerveau lorsque l'on en arrive à l'homophobie, j'imagine qu'elle croit en Dieu et à la création? Qu'est-ce que ça donne de nous donner les chiffres Américains, si on a pas ceux de l'Ontario? Je comprends pourquoi ils ne nous ont pas fait un petit graphique pour mieux comprendre. Il manque tout plein de chiffres!]

Les résultats de ce sondage sont fondés sur des entrevues télépphoniques effectuées auprès de 1009 personnes entre le 2 et 9 mai. La marge d'erreur est de 3,1 p. cent, 19 fois sur 20. Au Québec, 272 entrevues seulement ont été faites et la marge d'erreur est de six p.

- 217 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

cent, 19 fois sur 20. [Mon Dieu, peut-on vraiment se fier à cela? Ces dernières constations s'appliquent-elles aux statistiques des États-Unis, 1982 et 1994? Combien de gens ont été interrogés dans les provinces de l'Atlantique, et dans les Prairies? Les gens ont-ils été interrogés en Ontario et en Colombie-Britannique? Sinon, comment peut-on parler au nom des Canadiens? Aux États-Unis, est-ce que les 50 États ont eu la chance extraordinaire d'être appellés par Gallup? Sinon, comment peut-on parler des Américains? Ça me rappelle le sondage d'une Université Américaine, qui interroge les cent ou mille premières personnes rencontrées, leur demande s'ils sont homosexuels, conclut presque qu'il n'existe aucun homosexuel dans le monde! Et quand je pense aux stupides statistques qui influent tellement les masses canadiennes en rapport aux élections. À chaque statistique que je prends connaissance, je change d'opinion à propos de la Souveraineté du Québec. À ce propos, j'ai appris voilà deux ou trois semaines qu'il n'existait aucune différence entre la souveraineté, la séparationn et la souveraineté-association. Faut le faire! pour quelqu'un qui s'en va voter pour l'une ou l'autre des possibilités! et qui aurait voté en 1980 en ce qui concerne le référendum sur la souveraineté, ou s'agit-il de l'indépendance?]

Lysiane Gagnon de la Presse, dans un article intitulé Le combat des justes, du samedi 11 juin 1994, dit des choses qui porte à réfléchir: Le propre du militant idéologique, c'est de croire dur comme fer que sa cause est la seule juste et légitime. Ceux qui n'y souscrivent pas sont ignorantss, inconscients ou englués dans des préjugés sans fondement. Ou alors, ils sont mûs par des objectifs sordides et des arrière-pensées maléfiques. Il ne viendra jamais à l'idée du militant que l'on puisse ne pas souscrire à ses idées tout en étant à al fois bien informé, indépendant d'esprit et animé de bonnes intentions. [Elle parle du PQ, de Jacques Parizeau prêt à nuire à la Banque de Montréal pour sa pprise de position politique. Elle ajoutera vers la fin de l'article:] Telle est la profondeur de conviction du militant idéologique qu'il peut accepter l'idée que les droits démocratiques les plus élémentaires soient temporairement suspendus dans la poursuite du combat pour sa juste cause. [Boudria voulait faire interdire toute parole sur l'indépendance dernièrement. Il fait parti des Libéraux fédéraux. En arriverait-on là? Parizeau est prêt à détruire quiconque parlera contre la souveraineté, sous prétexte qu'ils essaient de faire peur aux Québécois. Ben Christ, quand la

- 218 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Banque de Montréal, c'est-à-dire une institution financière québécoise, nous rend les résultats d'une étude qu'elle a faite, c'est certainement pas pour nous faire peur, c'est pour nous éclairer dans notre décision! Le contraire, s'ils se taisaient, ferait justement peur! En fait, ce n'est pas là où je voulais en venir. Il y a que lorsqu'elle a parlé de militantisme, je voyais les gays qui se battent pour les droits que leur refuse. Je me demandais si nous n'étions pas dans notre tort lorsque, effectivement, il ne nous est jamais venu à l'idée que les gens puissent ne pas souscrire à nos idées de la famille ou de l'homosexualité, tout en étant à la fois bien informé, indépendant d'esprit et animé de bonnes intentions. Il s'agit ici de comprendre le point de vue de l'ennemi. Notre cause et nos revendications sont-elles les seules juste et légitime? Ceux qui n'y souscrivent sont-ils des caves ignorants? Cela devient difficile à affairmer quand plus que la moitié de la population te crache dessus. Mais si notre cause n'est pas juste, il ne nous reste qu'à mourir! À accepter qu'ils nous écrasent! Nous tuent! puisque c'est là une pratique longtemps pratiquée dans le passé, un peu partout, si ce n'est la prison (on a qu'à penser à Oscar Wilde en Angleterre, mais c'est vrai qu'il en avait fait pas mal) car beaucoup on fait de la prison juste parce qu'ils étaient homosexuels! Et s'ils ont de bonnes intentions là, je me demande bien lesquelles. Protéger leurs enfants que l'on entend souvent. Bien sûr, nous sommes à tous les coins de rues, prêts à sauter sur le premier enfant du bord pour le violer, et sans doute celui-ci deiendra alors homosexuel! Lorsque Mme Gagnon parle du Parti Québécois, elle semble avoir raison. Lorsqu'elle parle des gays, elle semble avoir tort. Mais cela, c'est selon mon point de vue. Allons demander aux 60% d'Ontariens qui veulent rien savoir des homosexuels dans la province! Certainement, ils donneraient raison à Mme Gagnon. OOnt-ils raison? L'homosexualité est-elle répréhensible, immorale, dommageable pour l'humanité? Rappelez-vous Sodome et Gomorrhe, Dieu se réveillera bientôt pour nous foudroyer! Symboliquement parlant. En fait, il s'agit de faire pencher la balance selon la morale des Saintes Écritures, sinon l'humain devient fragile aux séismes, catastrophes naturelles. Alors je continue de croire qu'ils sont dans le tort, c'est normal, je suis gay. Ils continuent de croire que je suis dans le tort, c'est normal, ils ne sont pas gays, ils ont peur de je ne sais quoi exactement. Maintenant, si l'on pose la question au niveau du Parti Québécois, qui donc a tort? Le militant ou la journaliste? Je pense que le Parti Québécois va trop fort dans son militantisme. Je pense que le point que Gagnon soulève est celui de considé

- 219 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

rer l'autre parti comme con, ce qui n'est pas toujours le cas. Donc, 60% de la population Ontarienne n'est pas conne! Ignorante peut-être? Alors, les fédéralistes sont-ils ignorants? Non, bien sûr. Du moins, pas plus que les souverainistes. Tout le monde est-il ignorant alors? Ce qui expliquerait comment il est si difficile de prendre position et de refuser à l'un ou l'autre parti la lumière. On peut comparer les gays qui se font écraser et les Franco-Québécois et minorités francophones des autres provinces. Davic C. Banks l'a fait dans son article que j'ai cité hier. On ne peut pas dire que les Francophones ont tort de vouloir se sauver de l'assimilation complète que les Anglais projetaient à long terme. Cela continue partout dans le reste du Canada. On ne peut pas reprocher aux gays de vouloir avoir les mêmes droits que les autres. Le problème c'est lorsque que l'on exgère dans les moyens, dans les paroles. On perd alors toute crédibilité. Il ne donne rien de vouloir de débarrasser d'une force oppressive, en la remplçant par une autre. Ou même imposer de force une idée qui ne fait pas l'unanimité. Il faut plutôt perdre des années à faire comprendre aux gens qu'on a le droit de vivre, de leur faire comprendre qu'ils nous discriminent, nous vouent à la disparition, et que cela, on ne peut l'accepter. C'est pourquoi je disais dans les Piliers que je n'avais pas le courage de m'embarquer dans une telle bataille. Que j'aimais mieux souffrir dans mon garde-robe. On ne se bat jamais pour sa génération, toujours pour les suivantes. Mais cet héritage est mieux à long terme que ce que la société lègue à ses enfants, une dette impossible à payyer, des pensions de vieillesse non pas payées à même l'argent que la vieille génération a donné et qui aurait fructifié, mais à même l'argent des jeunes. Or, les jeunes sont moins nombreux que les vieux. Peut-on vraiment doublement s'amputer? Dette et vieux? N'y a-t-il pas une limite que l'on est prêt à accepter? Il n'avaient qu'à y penser avant. Mais ce ne sont pas eux le problème. Ce sont les gouvernements. Il aurait été si facile de mettre cet argent dans un fond à la banque. Il serait temps qu'on le fasse aujourd'hui! On paie pour l'idiotisme de quelques politiciens. Ou pire, quelques bureaucrates cachés dans l'ombre. C'est là où l'on pourrait commencer à parler de la théorie du Chaos. Tient, il faudrait pourvoir appliquer cette théorie à celle de l'origine de l'humain. En quels termes la débat s'inscrirait-il?]

Bruno s'est renseigné sur son terrain de riche, c'est pas 150 000$, c'est 219 000$. Voilà, il se fait des rêves, est déçu ensuite. Il va tout de se renseigner à la ville, il a l'impres

- 220 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

sion que ce terrain est vendu trop cher par rapport à sa valeur réelle. C'est toujours la même chose, Frédérique qui regardait pour un maison qui venait d'être construite avait en main que le tout avait coûté 95 000$, ils ont déposé une offre de 105 000$ qui pouvait aller jusqu'à 115 000$, Alcan, puisque c'est le propriétaire, en demande 180 000$. Sont même pas prêts à descendre en bas de 155 000$. Qu'ils la gardent leur maison et leur terrain. Je me demande si quelqu'un serait assez fish pour l'acheter à ce prix? Bien sûr. Si ça se trouve, elle est maintenant vendue. Ma soeur se fait construire une maison cet été avec Stéphane. Tant mieux pour elle. J'ai suggéré à Bruno de regarder à un autre terrain ailleurs. Pour 150 000$ on aurait quatre fois de terrain que le terrain de 219 000$ du quartier de riches, en plus, on aurait peut-être une petite maison en décomposition en bonus. Ah! Il me serait impossible de quitter Ottawa si je savais que j'aurai une petite maison en décomposition en dehors de la ville. J'entrerais en génie, je savourerais la paix. Je me désabonnerais des journaux, serait toujours à l'extérieur en train de marcher. Ici, il n'y a que des maisons, que des voisins. Que des tondeuses à gazon (bon Dieu que j'ai hâte que l'on invente les mufflers pour tondeuses à gazon), que des scies électriques qui scient je ne sais quoi! Que d'autobus de villes qui font plus de bruits qu'un enfant à moins d'un mètre de soi qui vient de décider qu'il nous conduirait à l'aliénation, qui causent plus de tremblements de maisons qu'un séisme de 5.9 sur l'échelle de Richter. Un bois en arrière d'un trou où j'aurais la paix, c'est là mon bonheur. Avec Bruno en plus, je ne pourrais demander mieux.

Je ne parle jamais de la musique populaire, Dieu sait cependant combien j'en écoute! C'est ma vie! Je consacre plus de temps à écouter de la musique qu'à écrire, est-ce possible? Si le walkman n'avait pas été inventé, je l'aurais moi-même inventé. Ainsi, The Cure, Depeche Mode et Sisters of Mercy ont été dans ma jeunesse, des groupes essentiels. Encore de l'histoire du chaos, qu'aurais-je fait s'ils n'avaient pas existés? Combien d'autres qui m'auraient été essentiels n'ont jamais vu le jour à cause de la lourdeur administrative-commerciale de la chose? Quelques chansons des Cure qui m'ont inspirées, Like Cockatoos, The same deep water as you, Harold and Joe, Babbles. Depeche Mode: Dangerous, Love in itself version blues, Black day, Shouldn't have done that, The Sun & the rainfall, the whole Black Celebration, the whole Music for the Masses, the Whole Violator, the whole Songs of faith

- 221 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

and devotion. Intarrissable, pas comme The cure, après Disintegration, ils se sont désintégrés à mes yeux. The whole Kiss me Kiss me Kiss me, jamais il ne m'aurait fallu passer à côté de cet album des Cure. Sisters of Mercy, l'album Floodland est extravagant, la chanson Alice m'a inspirée toutes mes histoires de fantômes (Ghost dance), sans Alice, ni Antoine, ni La Légende de Val-Jalbert qui en est un dérivé n'auraient vu le jour. Crash Vegas fisrt album, j'ai tellement usé le cd, je me surprends qu'il fonctionne encore. Vers mes quinze ans est venu Erasure. Suite logique des Depeche Mode. À Ottawa j'ai commencé mon bad trip sur The Smiths et Morrissey. Il y a que Morrissey et Andy Bell (Erasure) sont tous deux gays, et que leurs chansons m'ont franchement aidé à ne pas me suicider. Quelques chansons mémorables d'Erasure: Hideaway, It doesn't have to be like that, Chorus, Drama, My heart so blue. Morrissey, tous, toutes les chansons sans exceptions. Les plus mémorables: le premier album album des Smiths, Louder than bombs, I've changed my plea to guilty. Alphaville est à mentionner, Front 242 (groupe Belge!), A-HA (only Scoundrel Days, des années après leur succès) (groupe de Norvège!), Love and Rockets, R.E.M. (pas après Green), Siouxsie and the Banshees (Peepshow), Nitzer Ebb (As is), PIL (Greatest hits so far), , puis dernièrement, U2, Björk, Smashing Pumpkin, (j'aime mieux oublier mon trip sur Duran Duran et Arcadia, j'ignore pourquoi, j'en ai honte!). Voilà, pratiquement tous des groupes Anglais. D'Angleterre en plus. Des États-Unis, sont rares ceux que j'ai aimé. Suzanne Vega est la seule dont je me souvienne, ah peut-être The Doors. En français, j'ai adoré Édith Piaf, George Brassens, Jacques Brel (un belge!). Bérurier Noir, Indochine (longtemps mon groupe préféré, rappelons-nous Troisième Sexe!), Vanessa Paradis, l'album fait avec Serge Gainsbourg (Variations sur un même thème), Étienne Daho (Paris ailleurs), Niagara, peu de français donc. Les seuls Québécois que j'ai aimés sont Men Without Hats qui chantent en Anglais. Côté classique j'ai longtemps écouté Requiem de Mozart, le trame sonore de Amadéus de Milos Forman, les Quatre Saisons de Vivaldi, Renaissance Music avec The Canadian Brass (qui m'a inspiré La Chanson de Roland Michel). Question classique, je suis comme le Canadien moyen, j'ai aimé et écouté les plus classiques des classiques.

Question musique qui m'aurait inspiré quoique ce soit dans l'écriture, en plus de ceux nommés plus haut, on retrouve Je Chante ma vie, inspiré de Sing your Life de Morrissey.

- 222 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Je mentionne que Burlesque vie s'inspire de Lecomte de Lisle, et que le texte prend tout son sens à la lumière de son poème Les Elfes. Voilà. Je l'ai déjà dit, Rimbaud m'a inspiré un peu mes Lettres, j'en parle lorsque je parle de récalcitrant. Dans les Piliers, livre totalement écrit lorsque j'écoutais vingt-quatre heure sur vingt-quatre le premier album des Smiths, je parle de Rimbaud et Copée lorsque je parle des sonnets du trou (du cul). Racine, lorsque je parle de représentations où l'art vient prendre son sens parce que l'on est obligé de le subir. Les gens ne verront jamais tous les sujets que j'ai pu aborder dans les piliers. C'est incroyable. J'ai parlé de tout! Toute ma vie, chaque détail, en chaque lieu où je me suit trouvé. C'est pour moi une mine de souvenirs, et c'est pour les autres, absolument rien. La perte d'une vérité qui sous la plume de l'auteur, ne livre aucun de ses secrets.

On m'a reproché d'avoir copié certins passages à Ducharme lorsque je parle d'être avalé. À Hubert Acquin lorsque je parle des profondeurs de l'océan dans René l'Aventure, Shakespeare lorsque j'aborde de l'eau de l'eau dans René l'Aventure, une pièce Anglaise (?) dans ma pièce Antoine. Je n'ai pourtant jamais lu ces livres, du moins, avant d'avoir écrit mes choses. J'ai par la suite lu L'Avalée des Avalés et Premier Chapitre d'Acquin. J'ai trouvé fort les comparaisons. Le petit Yergeau exagère. Il me fâche lorsqu'il dit que ça ne donne rien de dire quelque chose, quand on est pour répéter ce qu'un autre a déjà dit cent fois mieux que nous. Qu'est-ce qu'il essaie d'insinuer? Lui ne prend aucune chance, la giblotte qu'il pond ne dit tellement rien, qu'il ne risque pas de se faire reprocher quoi que ce soit. J'ai déjà dit que si Rousseau avait déjà dit des belles choses, le peuple les ignore. Il est bien de rendre accessible la sagesse qui se trouve dans des ouvrages tellement théoriques que personne sauf les experts vont sauter dedans. Combien se sont jetés sur Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes plutôt que sur Les Confessions? Qui donc a lu Corydon de Gide? Et qui donc peut se rappeler tout ce qui a été dit dans Alexis de Marguerite Yourcenar. Elle a beau avoir déblatéré sur 150 pages une lettre mémorable, moi-même je ne serais pas capable de citer indirectement ne serait-ce qu'une seule ligne du livre. Je me demande de quoi je parlerais si je n'avais pas étudié la littérature? De musique populaire je suppose.

- 223 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Y'a un con en arrière de chez-nous, d'Hydro Ontario, qui achève d'abattre tous les arbres de nos voisins et les nôtres, à cause des fils électriques qui sont tellement nombreux qui ça me fait peur. J'ignorre pourquoi, ça me fait mal de le voir scier toutes les branches. Je suppose que c'est parce que j'apprécie les arbres, leur vue, l'oxygène qu'ils nous procurent, l'ombre qu'ils projettent, etc. Pourquoi un arbre serait-il sacré? Pourquoi une vache serait-elle sacrée? Pourquoi les primitifs qui s'occupaient de spiritualité et de rites bizarres étaient-ils végétariens? Pourquoi faut-il que j'aie la tête si pleine? Quels sont donc les sujets que j'ai abordés dans mon journal aujourd'hui, et dans les sept derniers jours? Ce qui m'indique franchement que la vie est pleine de signes et de chose. Elle est remplie d'une quantité de détails incalculable. Tout roman qui ne raconterait qu'une belle histoire d'amour passerait donc à côté de la vie. La réduisant à trois fois rien. Moi-même je me limite lorsque j'écris, je fais référence à bien des choses, sans en parler. Comme dans la Réussite, je disais après Aidons les religieux dans leur lutte contre les démunis et l'amour du prochain, je disais en particulier des juifs, des catholiques et des protestants. En ce qui concerne les Musulmans, aucun doute là-dessus, je les aime! Je suis bien prêt à cracher sur les peuples et les religions, mais pas à risquer ma vie! Ce passage était intéressant parce qu'il dénonçait les Musulmans qui tuent tout le monde, dernière trouvaille, une femme aurait dit que le Coran nécessiterait un retour à ses origines, qu'il serait maintenaant plus tout à fait comme il était. Elle venait de signer son arrêt de mort. Salmon Rushdie, je crois, tous ses éditeurs, famille et amis sont morts parce qu'il a écrit les Versets Sataniques. Qu'on le tue lui, est déjà inacceptable, que l'on tue tout le monde autour de lui, cela devient intolérable. Le fanatisme a des limites! J'ai fait sauter mon paragraphe parce que je n'étais pas certain si tous les gens auraient compris que je n'étais pas sérieux. En fait, je dénonce le fait que tous et chacun est prêt à détester l'autre et qu'à la limite, il faudrait se débarrasser de plus de la moitié de la planète. Je voulais y inclure les Chinois, je ne savais pas comment, leur religion étant, semble-t-il, le communisme de Staline-Lénine? De toute façon c'aurait été la première vraie référence à quelque chose, alors que je ne voulais pas enfermer mon livre dans quoi que ce soit. Malgré que j'aborde Adam et Ève ainsi que Sodome et Gomorrhe. Je n'ai pas vu comment j'aurais pu les faire sauter, puisqu'ils orientent la Révolution au complet. Faut pas se leurrer, René c'est moi à un premier niveau. Celui qui crache sur tout le

- 224 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

monde, parce que Le mépris, c'est là votre seul vrai sentiment, qu'espérez-vous donc des miens? Celui qui crache sur tout le monde, parce qu'on lui a dit que le but de l'existence c'est la réussite et que sa vie n'est qu'une série d'échecs, en particulier en amour. Évidemment, il est gay et les filles ne l'intéressent pas. C'est sur l'océan qu'il fera la connaissance de l'amour, son chêne, Bruno en l'occurrence. La Révolution arrive lorsqu'il a compris comment il a été joué de ses pairs, comment le religion a détruit sa vie à tous les niveaux. Il s'agit d'une guerre qui fait comprendre l'absurde du message biblique, la révolte qui montre où les choses en seraient si l'on devait suivre sa logique jusqu'au bout: Bienvenue dans le vrai monde, juste rétribution des actes collectifs (ceux de brimer un simple mouton noir qui n'avait jamais rien fait à personne!). Les gens y verront plutôt une banale histoire d'amour dans René l'Aventure alors qu'il s'agit d'une bataille exemplaire sur les valeurs des autres sur les siennes, un simple constat d'échec dans la Réussite alors que c'est tout un système de mentalité de société basé sur la compétition qui est remis en question, puis un simple militant Québécois qui a décidé d'en finir avec le reste du Canada dans la Révolution. En ce qui concerne La Nouvelle Humanité, je n'ai que les grandes lignes en tête. Le but final de cette quatrième partie ne se comprendra que lorsque tout sera terminé. Je ne sais pas encore lesquels embranchements je vais suivre, quel sera le ton. Quel genre de nouvelle humanité je souhaiterais construire, si j'utilserai l'ironie plutôt que la morale directe. Chose sûre, il ne me faudrait peut-être pas répéter l'erreur de l'anarchiste couronné d'Artaud, dans son Héliogabale, les gens n'ont pas compris l'ironie d'Artaud. Peut-être que les trois livres que j'ai pris et qui parlent et dénoncent peut-être les Rose-Croix, m'inspireront peut-être, qui sait.

La chanson de Pearl Jam «Jeremy» qui a eu tant de succès et celle de Blind Melon «No rain» me semblent toutes deux des chansons qui parlent d'homosexualité. «You don't like my point of you, it's not sane», cette phrase de No rain n'est pas explicite. Le vidéo nous montre cependant une bee-girl, comme elle a été surnommée, incapable de trouver sa place en société et qui tout à coup atteint les champs, où elles retrouvent quantité d'autres bee-men et bee-woman, tous habillés en ballerine genre, qui courent partout et sont heureux. Jeremy, le vidéo commence avec plein de découpures de journaux, impossible de vraiment

- 225 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

lire quoique ce soit sans regarder au slow. Mais j'ai eu le temps de voir que le gouvernement déclinait tout commentaire. À quoi? On voit un Jeremy, risée de sa classe, incompris de ses parents, en face d'habillement d'homme et de femme, identité?, qui finit par tuer tout le monde, seul façon d'être heureux. Résultat? Numéro un sur le Billboard. On nous cite la genèse, 3:6, la faute originelle, Adam et Ève. Ah, s'il m'était possible de revoir le début du vidéo. Je suis peut-être à côté de la track, mais pas avvec le vidéo de Rush «Nobody's hero»: «I know he was different than is sexualty. I went to his party (?) as a straight minority. Never seen the (threat?) of my masculinity. He only introduce me to a wild reality. [...] when I heard that he was gone, I felt the shadow crossed my heart. But he's nobody's hero.» On semble parler ici d'homosexualité et de sida. Cela n'implique par que Rush soient gays, je ne le crois pas. Pour Pearl Jam et Blind Melon, il me faudrait voir à leurs autres chansons. Côté Français, Indochine ont une couple de chansons assez troublantes pour mon pauvre petit esprit qu'il aurait fallu sauvegarder de ce qui n'est pas moralement acceptable. Troisième Sexe est intéressant. «Je n'ai pas envie de la voir nue. Je n'ai pas envie de le voir nu. Cette fille aux cheveux blonds, et ce garçon qui pourrait dire non [s'il n'est pas gay]. Et on se prend la main, et on se prend la main, des filles au masculin, un garçon féminin.» Leur dernière chanson aussi semble en parler. Ils disent qu'un jour viendra où on sera libre. La chanson des Fleurs pour Salinger qui dit qu'il voudrait lui parler sans le contrarier. Qu'il sera sourd et muet et épousera cette fille sourde et muette, ils vivront des bois, mais pas dans les bois, des écrits déchaînés. Bien obscures tout ça. Jane Siberry aime à faire croire qu'elle est lesbienne ou supportive des lesbiennes, bien qu'elle ne le soit pas de son aveu.

Ensuite, c'est évident pour Frankie Goes to Hollywood, Pet Shop Boys (Nervously), Boy George, Bronski beat, Soft Cell, Erasure, Yaz avec Alison Moyet et Vince Clark en parlait, Elton John (Daniel), et même George Micheal dans sa chanson Freedom 90 qui semble être très autobiographique, sur un album qui s'appelle justement «Listen without prejudice»: «But today the way I play the game is not the same/No way/Think I'm gonna make me happy/I think there's something you should know/I think it's time I told you so/There's something deep inside of me/There's someone else I've got to be/Take back your picture in a frame/[...]/I just hope you understand/Sometimes the clothes do not make the man/All we

- 226 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

have to do now/Is take these lies and make them true somehow/[...]/Well it looks like the road to heaven/But it feels like the road to hell/When I knew wich side my bread was buttered (!)/[...]/I'll hold on to my freedom/May not be what you want from me...» May not be what I'm thinking of, but on a entendu des histoires à son propos. Quoique qu'on entend toujours des histoires à propos de tout le monde. Un journaliste a posé la question à Rock Voisine, à savoir s'il était gay, il a répondu que lorsque les gens sont jaloux, ils disent ces choses. Par ailleurs, The B-52's et le chanteur de REM (My religion) nous laisse entendre des choses. Daniel Bélanger et Étienne Daho ne parle jamais de filles. Qu'est-ce que ça prouve? La chanson Tattoo de Daho me fait beaucoup de sens. Le vidéo de Saudade aussi. Un serpent, une pomme, un caméléon... Y'a une bonne chanson de Suzanne Véga qui parle d'un lesbienne «As girls go», mais elle même n'est pas lesbienne pour oser dire que ce n'est pas exactement naturel, on voit bien qu'elle a eu une grosse fight et qu'elle se défend dans sa chanson. Elle compense en affirmant que la fille lesbienne en cause est une bonne fille, plus fille que les filles (est-ce une ironie?). J'aime la chanson, mais digère mal le texte. Ça me rappelle quand je l'ai vue en spectacle à Ville de Labaie. J'étais à la première rangée, il n'y avait pas mille personnes dans la salle, je chantais ses chansons, elle me regardait. C'était embêtant, parce que j'avais cette furieuse envie de rire et je ne voulais pas qu'elle pense que je riais d'elle. Le gars qui chantait en première partie, je n'ai pas pu m'empêcher d'éclater de rire. Il chantait comme une poule en chaleur en plus d'être complètement drogué. Je regrette, parce qu'il me regardait, et que ce n'est pas mon style d'éclater de rire devant les gens. Je pense que la situation n'aidait pas, le fait qu'il ne voyait que moi, me faisait encore plus avoir le fou rire. Drôle d'expérience. Bref, je pense que les textes de chansons sont tellement hermétiques, qu'on peut interpréter de plusieurs façons. C'est bien. Mais j'aime bien que ce soit clair, avoir des indices. Même avec Morrissey, il a fallu qu'on me le confirme, je n'étais pas certain. Après des titres comme There's a place in hell for me and my friend, il n'y avait plus de doute. Je n'arrive cependant pas à comprendre c'est quoi le trip de mettre quatre adolescents en souliers à talons hauts sur la cassette vidéo «Hulmerist». Mais c'est Morrissey, que voulez-vous. C'est ce qui fait son charme. Rien ne vaut le vidéo «November spawned a monster» à ce propos. Morrissey exagère. Il y a beaucoup de prétention dans son oeuvre. Il n'en finit plus de montrer sa gloire! Construction du mythe, et c'est ce mythe qui intéresse. C'est ça

- 227 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

qui me fascine. Jusqu'où ira-t-il? Les gars vont l'embrasser sur scène, faut le faire! Il a franchement beaucoup de talents. Son idole c'est James Dean. On voit qu'il était un fan fanatique. J'exècre le fanatisme. Surtout dans le monde de la musique populaire. Nobody's hero pour reprendre Rush. Rien ne me fâche davantage que la photo d'un écrivain qui montre un air hautain. C'est la mode paraît-il! Peut-on s'enfler la tête comme cela parce qu'on a réussi à écrire un livre? Wake up! Un gros pourcentage de la population écrit aussi, et c'est peut-être même plus intéressant que ce que vous écrivez! Parfois c'est le fun de se prendre au sérieux. D'avoir l'impression d'être mieux que tout le monde. Cela fournit une motivation nécessaire à travailler, parce qu'avant the fame, je vous jure que travailler c'est infernal, quand on sait que l'on travaille probablement pour rien. À ce sujet, je ne suis pas fou. Quand bien même j'aurais la certitude que je ne serais jamais publié, j'écrirais tout de même. L'idée d'être reconnu ne suffit pas pour motiver quelqu'un à écrire. On a des choses à crier, cela devient presque une opinion que l'on aimerait faire connaître, dénoncer certaine chose. Mais voilà, je réponds à tous et chacun sans jamais être entendu. Et Dieu sait comment je me sens concerné parfois, impossible de répondre pourtant. Deux articles envoyés aux journaux cette année. Faillite sur tous les plans. Je me sens comme quelqu'un que l'on attaque, sans qu'il puisse se défendre. Bien sûr, voici mon autre joue, frappe plus fort encore! Ce n'est pas la volonté qui manque pourtant. La journée où le bill 167 sur les gays a été défait, j'ai vu ohn sauter sur le journall en entrant dans la maison. Cinq minutes plus tard je parlais à Brunoo, il m'a dit qu'il était pas parlable, très en christ à cause du projet de loi. Dans ma tête, le déclic m'a fait comprendre que ni John ni Bruno n'avaient fait quoi que ce soit pour aider la cause de cette loi. Et combien de gens ont appelés leur député pour contrer le projet! Eh bien moi j'ai pris la peine d'écrire un article, pour rien! J'aurais mieux fait d'appeler mon député qui justement a voté contre. Que lui aurais-je dit? Parle-t-il seulement le français? Aye toé, t'es mieux d'voter pour les gays, sinon on votera pu pour toé! Et que me répondrait-il? Qu'il s'en fout sincèrement parce que toutes les vieilles qui l'ont appelé sont prêtes à revoter pour lui s'il vote contre. M'est-il possible de passer à autre chose? Morrissey est justement végétarien. Réussirait-il à convaincre toute une génération de ne pas manger de viande? Quand je vois la petite fille, un peu trop pure, qui porte un gilet qui dit: «I don't eat my friends», je comprends pourquoi tous les journalistes lui ont sauté dessus pour lui dire

- 228 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

qu'il se callait. J'ai lu les critiques de la plus grande revue d'Angleterre, je n'en reviens pas comment ils ont pu le détruire. Ça m'a pris du temps pour passer par-dessus ces préjugés. De toute façon, je ne suis pas dupe. Tous les jeunes sans exception ont des fleurs et des chandails The Smiths, c'est organisé avec le gars des vues. Quatre ou cinq vidéos tournés le même soir en ce qui concerne la cassette compilation The Smiths. Il a tellement fait de choses à côté de la track, comme la cassette Live in Dallas, où il s'envoit le fil du micro dans le front une couple de fois, se fait littéralement assommer dans le front par des fleurs, et tous ces fans qui réussissent à aller sur la scène. Inquiète-toi pas, je le sais que s'il ne voulait pas de fans sur la scène, il n'y en aurait pas. Mais tout cela fascine. À trente-cinq ans, il est franchement attirant (malgré tout le maquillage). C'est la preuve que si on veut, on peut ne pas avoir l'air vieux même à 40 ans. Sans devenir obsédé par la beauté, je pense qu'à faire attention, à 40 ans on peut paraître très bien. De toute façon il existe aussi la génération vieillissante sur la scène musicale. Cmpagne d'image oblige, à 35, 40 ans, j'ai l'impression qu'ils font beaucoup d'exercice. Malheureusement, ils sont peut-être obsédés. Je me souviens de Daniel Lavoie (un autre que je soupçonne d'être gay, je suis vraiment paranoïaque), il disait que pour lui, un artiste ne mange qu'une soupe le matin en se levant. Je me demande si c'est parce qu'ils n'ont pas suffisament d'argent pour se payer un filet mignon? Une chanson mémorable que je n'ai pas mentionné tout-à-l'heure, c'est «No new tale to tell» de Love and Rockets: «You cannot go against nature, because when you do, go against nature, it's part of nature too! I realize how complicated, it's a simple thing, simple as a flower, and it's a complicated thing. No new tale to tell!» Les fans de Love and Rockets ont rejeté en bloc le succès de «So Alive», criant des chous au show de Montréal, où le chanteur, drogué ben raide, s'est finalement mis à faire scintiller les oreilles des spectateurs horrifiés par un Daniel Ash qui avait perdu le contrôle. Mais cette chanson me semble plus profonde que les trois gars en admiration devant les jambes de femmes: «My head is full of magic baby and I can't share it with you» et quelque chose qu'il a mal (à la tête) et que cela n'a rien à voir avec elle. J'ai de la misère à comprendre ce qu'il dit. J'aime «ball of confusion», certainement une des meilleures chansons jamais écrites. Elle est un peu à l'image de ce journal. You're «No big deal» est franchement frappante. Après avoir tant souffert en amour, j'imagine l'autre dire à son chum ou à sa blonde, you're no big deal!

- 229 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

On a visité le terrain à 219 000$. Je n'avais jamais vu pareils châteaux avant. Je ne pensais même pas que cela pouvait exister à Ottawa. Et quel beau terrain! Pas assez pperdu dans le bois toutefois, voisins trop proche. Faut pas se laisser obnubiler par la richesse du quartier, c'est définitivement trop près des voisins. Y'a un petit bois à l'arrière, mais si petit. On a de la place en masse pour planter des arbres, mais ce ne serait jamais suffisant. Tant qu'à bâtir une maison, j'ai dit à Bruno qu'elle fallait vraiment qu'elle soit différente de touut ce qui existe ici. Je pensais à un genre de vrai château moyenageux, avec une cour intérieure où il y aurait des arbres et une piscine creusée. Que l'on pourrait couvrir l'hiver. Vous imaginez? C'est ça la vraie maison pour les homosexuels. Une forteresse où tout se passe dans l'ombre, dans une cour intérieure, où plein d'arbres cachent le vieux bâtiment en pierre en décomposition. Cela ferait différent des autres pseudo-châteaux où les propriétaires ont cru bon éclairer à l'aide de spots de mill watts pour bien montrer à tout le monde la fierté d'un château qu'ils ont fait construire. Moi je veux poser les pierres de ma maison. Je veux que ça ait l'air de quelque chose qui me ressemble, qui est une partie de moi. Et surout pas de spots de mille watts, et dans ce cas, j'aimerais mieux être plus isolé. Je ne veux pas un château moyenageux pour attirer les touristes! Ou les jeunes couples à la recherche d'idéaux. Veuille-je vraiement un château? En fait, je veux un trou à moi. Où je pourrais me enfin me reposer.

J'ai parlé avec ma soeur, deux heures de temps. Jamais on avait tant parlé au téléphone de notre vie! Elle se sentait coupable poour hier. Elle s'est excusé et que j'avais raison. Je lui ai demandé à propos de quoi exactement. Elle m'a dit que je ferais ce que je veux, qu'il était vrai que ma décision était loin d'être prise, et qu'ils devaient me donner leur opinion seulement si je la demandais. Elle m'a dit que je devrais entrer en génie si je voulais, qu'en fait, c'est certainement la meilleure des solutions, même par rapport à la maîtrise. Ce soir on est allé manger au restaurant, moi, Bruno et sa mère, Simone-Cathrine m'a dit que je devrais aller en génie, même qu'elle a prédit que lorsque j'aurai mon diplôme d'ingénieur, j'irais remercier les professeurs de ne pas m'avoir accepté en maîtrise. Elle est titulaire d'une maîtrise en littérature de l'Université d'Ottawa. J'ai l'impression que la ba

- 230 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

lance penche. Un avenir avec Bruno? Je ne dis pas non. Je lui fais confiance, je pense qu'il pourra avoir confiance. L'idée d'habiter ensemble, comme il l'a dit lui-même ce soir, plus spécifiquement de projeter notre avenir et notre toit, change bien des choses. Rend le tout sérieux. Tout à coup, je n'ai plus cette impression que je peux quitter pour la France demain matin. N'est-ce pas inquiétant? Mais alors, toute mes chances de vivre en France s'effondrent. Si ce n'est pas par mes études, je n'aurai jamais la nationalité, je ne pourrai jamais vivre là! Même si Bruno est Français, ils ne reconnaîtront pas un same-sex marriage, ils sont même pas capables de reconnaître un same-sex couple (je me demande s'ils seraient prêts à reconnaître un gay?). Mourrir sans avoir demeuré en France? Écrire toute une littérature en Français sans jamais avoir vraiment vécu en France? À rester ici, je m'abonnerais à Internet, prendrais des cours d'Anglais avancés, finirais mes jours comme ingénieur à la BNR. Est-ce cela que je veux? Si je pars, et peut-être je n'aurai pas le choix de rester, il me faudra passer au travers la maîtrise, me faire accepter en docterat, fourrer le chien pour trouver un travail d'enseignant dans une Université. Et après avoir vu la bullshit au département... mais faut pas se leurrer. Bruno en a eu beaucoup de la marde au travail cette semaine. Beaucoup de pression. Ma soeur aussi, des ganglions lui sont sortis dans le cou! C'est sérieux! Elle prend des médicaments contre le stresse, super forts! Son chum a carrément fait une mononucléose. J'arrive pas à croire la vie qui m'attend. Dieu que j'espère pouvoir vivre de mon écriture! Et dès lors, quels seront donc les problèmes avec lesquels j'aurai à dealer? Certainement un ou deux enfants. Et je ne perdrai pas de temps, avec le temps que cela prend pour essayer d'en adopter ou d'en avoir un de soi par insémination artificielle! Par nécessité, ce serait moi qui s'occuperais des enfants et de la maison, pas parce que je suis la femme, il n'y a pas de femme dans notre couple, comme dans la majorité des couples gays. Mais parce que moi je veux écrire, et que cela nécessite justement que je sois à la maison. J'accepte le rôle, je ne suis pas du genre à dire que les femmes qui sont à la maison sont moins que rien. Non plus à penser que femme de maison pourrait n'est pas un rôle d'homme. J'ai vu André le chum de ma mère niaiser là-dessus, jamais il ne touchera une assiette. Mais il est déjà mieux que mon père l'était dans le temps, même si mon père dans le temps faisait la cuisine et la vaisselle parfois. Parce qu'André lui, compense par du travail autour de la maison, genre, gratter la cour deux fois par jour plutôt qu'une fois le deux

- 231 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

semaines avec mon père. Je serai donc l'homme de la maison, l'homme rose que disent les féministes. Et cela m'arrange, je ferai des repas végétariens, et Bruno devra bien s'empêcher de manger de la viande! Je me demande comment cela sera entre nous. Le problème c'est que c'est Bruno le chef cuisinier. Moi je suis pourris dans une cuisine, et les quelques recettes de ma mère sont tellement graisseuses, qu'elles ne valent pas la peine d'être faites. Il me faut redécouvrir l'art de cuisiner. De toute façon je parle dans le vide. Il est bien certain que je vais travailler en dehors de la maison. À moins de gagner suffisamment d'argent avec mes livres, je ne pourrais supporter l'idée de vivre au crochet de Bruno. Question de mentalités, préjugés? Sûrement, mais que voulez-vous, ce n'est pas de ma faute. Comme du fait de vouloir une maison, un trou à moi. Il me faut me justifier cela, rien de mieux que de vous tenir pour responsables. Je veux une maison de riche! Avec deux automobiles, quatre portes de garage, un terrain de malade, dans le quartier le plus riche d'Ottawa! Je veux réussir, je suis enfin prêt ;a cracher sur les autres qui n'hésitent pas à me cracher dessus, pour atteindre mes objectifs! Je vais faire l'envie de tout le monde, j'aurai des spots de 5 000 watts pour bien montrer à tout le monde mes prétentions! Et cela est tout de votre faute. J'aurai donc bonne conscience! C'est vrai que lorsque l'on critique quelque chose, c'est parce que cette chose ne nous laisse pas indifférent. Attirance ou répulsion. Mais voilà, ce n'est pas sans raison si quelque chose nous attire ou nous fait courir et critiquer! Les jeunes crient parce qu'ils ont peur de pas avoir la même chose que les autres d'avant, peur de l'injustice. Lorsqu'ils comprennent qu'ils auront ce qu'ils aspirent à, ils comprennent que leur crise était insignifiante. Faut-il en avoir honte? Le film Pump up the Volume en parle. Le père qui criait contre les institutions, qui chialait contre le système, et qui se complaît ensuite en devenant lui-même le système ou une partie du système. N'est-ce pas la voie normale des choses? Sinon ce serait le chaos? Je n'ai jamais autant parlé de chaos que maintenant semble-t-il. Pas le chaos, mais certains changements. Peut-être radicaux. Dans ce cas, ne faudrait-il pas justement être dans le système pour arriver à le changer? Il faut alors que les convictions surpassent les avantages d'être dans le système. J'explique tout ce paradoxe à l'intérieur des Lettres de R.M., «Un oeuf gigantesque». La grande question demeure, après avoir tant critiqué le système, que faut-il changer ou essayer de changer? Je m'en vais me coucher.

- 232 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

14 juin 1994

Les Canadiens croient la famille en crise, ce, en pleine Année internationale de la famille. Bien sûr, c'est ce qu'on leur a dit, ou c'est ce qu'ils ont compris de ce que ressortissait des gens qui parlaient de l'Année de la famille. Le journal La Presse insiste sur le fait que: «Paradoxalement, si 63 pour cent des Canadiens ont exprimé ce sentiment, ils croient néeanmoins que leur propre situation familiale est «stable et satisfaisante». Parmi les raisons qui incitent les Canadiens à croire que la famille est en crise, on invoque le taux de divorce élevé, l'instabilité de l'unité familiale, les difficultés financières, le manque de valeurs au sein de la société, la violence et le crime et le chômage». Dieu qu'ils sont à côté de la track! Ces mêmes gens ne se sont jamais arrêtés deux minutes pour se demander pourquoi le taux de divorce était si élevé! Je vais le dire aujourd'hui, c'est qu'avant, la religion sauvait les apparences, les curés disaient aux femmes qui se savaient trompés par leur mari, qu'elles devaient faire comme si de rien n'était. Le divorce, chose impensable, faisait que les deux personnes du couple se trompaient à tort et à travers, tout en restant mariés. Pas besoin d'être non-chrétien pour se rendre compte que de tout temps, tout le monde s'est toujours trompé. La différence aujourd'hui, c'est qu'on ne reste plus avec la personne quand on la trompe. Tant qu'à la tromper, pourquoi pas la laisser? Tant qu'à être trompé, pourquoi pas laisser l'autre? Et c'est à mon avis une solution bien plus sage et morale. Mais là ne sont pas les seules raisons qui incitent les gens à divorcer, des fois l'atmosphère est tout simplement invivable. Qui donc a dit que l'unité familiale était instable? C'est possible, avec autant de divorce. Il est vrai qu'alors la famille au sens chrétien, c'est-à-dire le père, la mère, les seize enfants, le chien-chien et le canari, vient de prendre le bord. Alors, ne serait-il pas temps de redéfinir la famille? Si la moitié de la population ne vit plus en mariage, pourquoi lui mettre des bâtons dans les roues en lui refusant le titre de famille et les avantages qui vont avec? Pour les empêcher de divorcer? Mesquinerie! Ils divorceront quand même, on veut pas rester dans des relations où les gens se trompent! Sauver les apparences, plus jamais! Les gens sont tels qu'ils sont, et ils faudra l'accepter un jour! Les difficultés

- 233 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

financières. Allons donc, on est pas plus en difficultés financières que voilà vingt ans, même qu'on est mieux que voilà quarante ans. La famille serait-elle en crise à cause de difficultés financières? Alors la femme serait folle de laisser son mari avec ses deux enfants, elle est certaine de s'engouffrer davantage. Cela ne l'empêche pas de partir. Le manque de valeurs au sein de la société. Je l'attendais celle-là! Je reprends les dires de Lysiane Gagnon que je citais hier: «Le propre du militant idéologique, c'est de croire dur comme fer que sa cause est la seule juste et légitime. Ceux qui n'y souscrivent pas sont [sans valeur,] ignorants, inconscients ou englués dans des préjugés sans fondement. Ou alors, ils sont mûs par des objectifs sordides et des arrières-pensées maléfiques. Il ne viendra jamais à l'idée du militant que l'on puisse ne pas souscrire à ses idées tout en étant bien informé, indépendant d'esprit et animé de bonnes intentions». De toute évidence, les gens qui ont répondu que la famille est en crise, s'imaginent que tout ce qui n'est pas dans la famille traditionnelle, manque de valeurs, est immorale, amorale. Je m'excuse, j'ai peut-être plus de valeurs que vous, puisque mes intentions sont de ne discriminer personne, et que mes intentions sont d'aimer tout le monde en défendant les opprimés. Ce qui ne vous ressemble guère. J'ai lu un article dans le Miami Journal, ou quelque chose du genre, voilà six à douze mois. L'homme disait que les femmes monoparentales ne devraient pas recevoir de bien-être social, spécifiquement celles qui avaient eu un enfant hors mariage, parce qu'il les jugeait immorales. Imgaginez-vous un tel projet de loi qui passerait. Je suis pourtant certain que plusieurs l'appuiraient, on les retrouverait probablement tous au sein de l'Église qui se croit, elle, très morale. Pauvre femme qui a pris la décision de laisser son mari, pour le bien de ses enfants, et qui se retrouve reniée de tout le monde. J'en ai pour preuve cet article de la Presse du 12 juin 1994, une femme clame que ««Ma» famille n'est pas une famille de «seconde classe»»:

Bravo! C'est l'Année internationale de la Famille. Tout le monde la promeut, la glorifie. Des articles fouillés, des reportages, des chroniques sur «La Famille». Elle est portée aux nues. Certaines villes (Boucherville, St-Hubert) se dotent d'une politique familiale. N'allez pas croire que je sois contre. Tous les enfants devraient vivre avec leur père et leur mère. Idéalement. Si le climat familial est relativement bon, bien sûr.

Mais quel est ce malaise qui m'accable à chaque fois que j'entends ces louanges fai

- 234 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tes à la famille. Comment s'appelle la mienne, celle de mes trois enfants? Comment s'apppelle ce lien «familial» que j'ai tenté et réussi (je crois) à maintenir, malgré ces 13 années bientôt de vie «pas commune avec le père». Non, je n'utiliserai pas le mot famille «monoparentale». Ce qualificatif est comme un stigmate à «ma» famille.

Ne croyez pas, non plus, que j'ai encore de l'amertume. Quand j'ai fait ce choix, non pas de briser ma famille, j'y ai pensé, j'ai évalué les pour et les contre, mais j'ai surtout pleuré pendant trois longues années. Non, je n'ai pas détruit ma famille, j'ai sauvé cinq personnes de la violence familiale sous toutes ses formes. J'ai surtout permis à cinq personnes (du moins à quatre dont je suis certaine) de garder une estime de soi, un goût de vivre et, ne vous en déplaise, un bon sens des valeurs. Je ne l'ai pas reconstituée, non plus, comme un mauvais jus d'orange. Parce que je croyais plus sain de vivre seule avec mes enfants. [Elle a beau se défendre, je crois bien qu'elle se trouvait immorale de prendre un autre chum ou mari. Paradoxe, la religion reproche aux couples homosexuels que dans une telle famille, il manque un modèle social de l'un ou l'autre sexe. Cette même religion, qui influence tout le monde, après le stade du divorce qu'elle rejette, il est peu probable qu'elle approuve un nouveau venu, qui sait?]

Alors, continuez d'applaudir «LA FAMILLE», mais s.v.p., cessez de me donner cette désagréable impression que mes enfants et moi ne formons qu'un groupe hors norme et de seconde classe. J'y ai investi beaucoup trop de moi-même. Ne me regardez plus de haut, parce que ma famille «MONO» vaut autant, sinon plus que bien des familles «BI». [J'ajoute que ma future famille «HOMO» vaudra autant, sinon plus que bien des familles «HÉTÉRO».] Et si cette société porte encore des jugements négatifs sur les femmes seules, au moins qu'elle ait l'honnêteté de reconnaître que mes enfants seront un apport tout aussi important que les autres enfants issus d'une «Sainte famille glorifiée». (Thérèse DRASSE, Montréal.)

La violence et le crime et le chômage. Le sondage a-t-il suggéré des réponses? Il devient alors simple de dire que la famille est en crise à cause de toutes les raisons possibles imaginables. Je suggère que la famille est en crise parce que les journées sont de plus en plus longues, parce que la poste ne passe plus cinq jours pas semaine mais bien trois fois par semaine, que le chien n'arrête pas de faire pipi sur le tapis du porche depuis bientôt trois

- 235 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mois. Un article de la Presse d'aujourd'hui mentionne que le risque d'être victime d'un acte criminel n'était pas plus grand en 1993 qu'en 1988. Pourtant, Statistique Canada note la perception de cette probabilité a changé. Les gens pensent que le crime est plus élevé qu'avant et ce n'est pas vrai. Comme ces gens qui s'imaginent que la famille est en crise, ça m'étonnerait qu'elle soit plus en crise que dans les années 70 ou 80. Si les gens se targuent que la famille est en crise permanente, il faut chercher à qui cela profite un tel état de fait. Ou n'est-ce qu'une autre statistique sans importance? La famille n'est pas en crise, la crise c'est que la définition de la famille ne correspond pas aux familles qui existent au Canada. Là voilà votre crise. La suite de l'article sur la crise de la famille va dans le même sens:

Or, en dépit de ce constat [celui que la famille est en crise pour les raisons mentionnées], la famille est une grande source de bonheur pour bon nombre de Canadiens. En effet, trois canadiens sur quatre (75 pour cent) décrivent leur vie familiale comme étant heureuse, alors que 77 pour cent des répondants estiment que leur situation familiale est remplie d'amour. [C'est trop drôle!] Quelque 71 pour cent des personnes interrogées sont satisfaites de leur vie familiale [viennent-ils tous de famille traditionnelle chrétienne? Sinon, ils sont heureux même dans des familles éclatées! Si oui, alors il n'y a pas tant de divorce et je ne comprends toujours pas pourquoi la famille serait en crise].

[...] Par contre, quelque 73 pour cent des Canadiens voient les familles monoparentales d'un mauvais oeil. Quelque 67 pour cent n'approuvent guère les situations de famille où les enfants sont élevés par des couples homosexuels. [Comment pourrait-il en être autrement, ils n'acceptent même pas la réalité du divorce. Je me demande comment ils peuvent accepter l'idée de faire l'amour pour avoir un enfant. On devrait tous faire ça par insémination artificielle, et aller chercher le sperme avec une seringue, pour être certain que l'homme ne jouisse pas pour une raison aussi futile que de fournir des spermatozoïdes].

«L'idée que des couples du même sexe puissent élever des enfants ne suscite qu'un appui minoritaire, a précisé M. Bricker au cours d'une conférence de presse. Même les familles monoparentales ne sont pas bien perçues», a-t-il ajouté.

On en a encore beaucoup à faire! Il est impossible de faire accepter la famille homosexuelle si même la famille monoparentale prend le bord. Bien qu'il s'agisse de deux person

- 236 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

nes plutôt qu'une, et que les ressources seraient plus certaines. Allez faire comprendre cela à cette gang de bouchés. Un autre passage de l'article mentionnait que les gens veulent raidir les lois du divorce pour les rendre moins accessibles. Bien pire, mes parents sont séparés, non divorcés, ne pourront se remarier, ce qui cause encore plus de préjudice à leur relation. D'autres qui se disent satisfaits en famille mentionnent qu'ils tiennent à leurs principes religieux et sont près de leurs parents. Ils ne jurent que par la famille traditionnelle dans une proportion de 68 pour cent, c'est-à-dire deux parents, l'homme au travail et la femme à la maison (à moins qu'ils impliques que l'homme pourrait être à la maison et la femme au travail? Impossible). Cette proportion baisse cependant à 39 pour cent chez les jeunes de 18 à 29 ans. Ce qui est encourageant, mais si peu.

Je mentionne aussi que dans l'article sur le taux de criminalité, il est dit que 90 pour cent des femmes violées ne déclarent pas l'assault! Ce qui vient corroborer ce que je disais à propos que des femmes violées, il en pleut! Et pourquoi donc violerait-on? N'y aurait-il donc pas un manque dans nos institutions? Pourquoi le viol est-il si tabou? De quoi les gens ont-ils honte, pourquoi ils se ferment la trappe? De peur que l'on pense que l'on est plus aussi pure que la société voudrait nous voir si on vient qu'à savoir qu'on a été violé? Votre idée de la pureté me fait dégueuler, et vos principes religieux causes plus de tort à la société que n'importe laquelle guerre dans le monde, en admettant que toutes ces guerres dans le monde ne soient justement pas issues de vos principes religieux!

(Plus tard)

Après avoir écrit tout ce qui est en haut, j'ai été surpris de voir que les deux articles que j'avais cités et qui étaient perdus dans la Presse, se retrouvaient ensemble en première page du Citizen. Ils ont fait les même liens que moi. Ce que la Presse semble nous avoir fourni en bloc, en suggérant les liens à faire plutôt que de les faire. Les titres se lisent ainsi: Reality check, Two Canadian surveys uncover misconceptions about family, crime. Family: Most families happy, but think others are not. Crime: Crime static since 1988, but our fears have grown. Et le mieux de l'affaire, c'est qu'ils ont fait le lien entre les deux articles qui

- 237 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

n'ont pourtant pas le même contenu alors qu'ils sont écrits par deux journalistes différentes. Quelques passages qui éclairent davantage que le premier article à propos de la famille (ce qui est étrange): Canadians have a falsely pesimistic view of the state of the modern family [...]. «I think everybody has been telling people that families are in crisis so they assume that it is, without necessarily looking at their own individual situation.» [C'est Bricker qui parle. Il dit everybody mais il faut savoir la source. Il s'agit probablement des religions et du gouvernement (libéral ontarien), avec toute la bullshit autour des droits des gays]. [...] The survey found that marriage and religion are among the keys to happiness; that watching TV is the most common way that families spend time together [...]. [Watching TV sound to me that the parents se foutent pas mal de leurs enfants. Le marriage et la religion, les clés de l'happiness, bien sûr, voilà pourquoi les gays se lamentent tant! Ils n'ont droit à ni l'un ni l'autre!] «Families have always aspired to some sort of ideal,» said [...]. [That's probably why they can't accept some competition et qu'ils définissent eux-mêmes, selon leurs intérêts, besoins et aptitudes, ce qui devrait être considéré comme idéal]. Sixty-seven per cent of Canadians said families are their «greatest joy in life.» [Alors pourquoi nous le refuser? Ils veulent pas notre bonheur, ils s'en foutent, y'a qu'eux qui comptent.] [...] While 44 per cent of adults said religion was very important in their day-to-day life, only 28 per cent regularly attend religious services. [Mais quel est donc le pourcentage de gens capable de distinguer que toute leur morale provient de cette religion? Autres statistiques:] 47 per cent of adults are married with children and four per cent live common law and have children. [...] Both parents worked in 57 per cent of families with children. [Quel genre de famille est-ce cela? La famille au travail? Ce n'est déjà plus une famille à mon avis. Quel est donc le pourcentage réel de famille selon leur définition? 27% peut-être...] [...] Over-all, 17 per cent of Canadians have been divorced, although one-third have either remarried or live common-law with a new partner. [Voilà un 17% qui ira en enfer!]

Plus loin dans le Citizen, p. D3, l'autorité qu'est la police tient un discours tout à fait différent de nos politiciens. C'est qu'eux, ils peuvent mesurer les conséquences du refoulement d'une minorité. L'article s'intitule: Ottawa recruiting gays for police force, chief says. Homophobia awareness training urged for officers: The City of Ottawa is actively recruiting

- 238 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gays, lesbians and bisexuals to serve in the police force.

And chief Brian Ford says he would support same-sex couple benefits for gay police officers. [Dites-moi comment il se peut que les tribunaux, les syndicats, plusieurs regroupements de travailleurs, d'artistes, etc., les policiers, se soient prononcer pour le droit des same-sex couple alors que le gouvernement vient de rejeter le projet de loi en bloc? Depuis quand la loi vient après que tout le monde ait reconnu la discrimination, plutôt que de venir pour empêcher cette discrimination? Ou plutôt, depuis quand le gouvernement se met-il à discriminer?] [...] Ford says he knows of no city police officers who are openly lesbian, gay or bisexual. «I would imagine we have gays and lesbians on our police force, but they have chosen not to announce themselves.» [Et c'est là l'ironie du siècle, qui serait assez fou pour être ouvertement gay dans la police force? Un endroit déjà si homophobique, que les policiers ont des gants en caoutchouc pour repousser les militants, de peur de prendre le sida. Le pire avec tout le projet de loi du gouvernement, c'est que pas beaucoup de gens oseraient réclamer leurs droits. John et Neil n'en feront jamais rien, et pouvez-vous imaginer moi et Bruno, ingénieurs, ouvertement gays? C'est un autre milieu très homophobique le génie.] [...] However, it isn't clear how Ottawa police would attain its recruitment goal, since the force cannot legally ask applicants about their sexuality.

The Ottawa police are required, under employment equity legislation, to submit a plan for hiring women, aboriginals and visible minorities.

Gays, lesbians and bisexuals are not specifically mentionned in the legislation [...] [Je comprends, les plus discriminer de la gang sont pas dans la liste. Malgré que tant que les gens ne savent pas que nous sommes gays, nous ne sommes pas discriminer. À moins que cela paraisse! Je ne signerais jamais que j'appartiens à une minorité homosexuelle sur n'importe lequel papier, je regrette même d'avoir dit à mon médecin que je suis gay, maintenant, c'est officiel!] Should any gays and lesbians join the force, Ford says he supports same-sex spousal benefits for them.

«It's a matter of fairness,» he said. [...] [C'est complètement faux, la majorité vient juste de dire le contraire. Le gouvernement aussi.]

It is described as the most extensive collaboration ever in Canada between a police service ans lesbians, gays and bisexuals.

- 239 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

The report's strongest recommendations centre on training police to be sensitive to the needs of those coommunities - as well as other minority communities. [Si seulement tout cela pouvait être vrai en pratique! Si seulement le gouvernement pouvait parler ainsi!] [...]

«There's systemic discrimination in our society, and there's only one way to get at systemic discrimination ... through training programs,» said Ford. [Il faudrait aussi en faire pour le peuple et les députés!!! Fini les tabous!]

Moi et Bruno on s'est promené autour de Cumberland et Rockland (la terre des concombres et celle du rock). On regardait les terrains à vendre. On a trouvé ce que je cherchais, isolé dans les bois. Encore, il y aura toujours des voisins, pire lorsque leur fosse sceptique sort de terre et que les moustiques nous ont mangés pour les cinq minutes où on a eu le temps de constater qu'il faudrait au moins quatre gros camions de roches pour permettre au terrain mouillée d'absorber un château médiéval. Une usine de chais pas quoi pitchait sa boucane juste en face de la vue. Après cela, moi et Bruno, on était prêt à signer pour le terrain de 219 000$! Pendant qu'on se promenait, on a pris un ferry qui nous a emmené de l'autre côté de la Ottawa River (version amérindienne anglaise). Le long de la rivière Outaouais (version indienne française), les maisons sont en décomposition. Des dumps par ici, des cochonneries par là, enfin, je me sentais chez nous! Gatineau, trou de mon coeur! Ça sent la misère dans ce coin-là, comme partout ailleurs sur la planète. Ce qui me fait réfléchir sur Ottawa la clean. Comment cela se fait-il qu'on ait rencontré au moins cinq grosses usines qui crachaient leurs misères au Québec, et qu'on en voit jamais à Ottawa? Pourquoi les gens sont si fiers en Ontario, si je-m'en-foustisme au Québec? Ai-je tort dans ce que j'avance? Les petites maisons en décomposition de Hull, c'est rare que j'en vois à Ottawa. Seul Ottawa est capable de vouloir détruire un édifice comme celui de La Défense, parce qu'elle le trouve laid. Y aurait-il une exigeance de vie plus grande chez les Ontariens que chez les Québécois? Les Anglais plantent des fleurs, prennent soin de leur gazon, tout est toujours parfait (pas dans tous les quartiers j'imaginent). Je ne me souviens pas d'avoir vu cela l'autre bord de la rivière. Sont-ce les Québécois qui ont d'autres intérêts que de montrer à tout le monde leur belle grosse maison, leurs belles petites fleurs, leur petite richesse amassée sur soixante

- 240 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ans ou deux générations? Ou sont-ce les Anglais qui sont en crise du et-que-vont-dire-les-voisins? Eh bien les voisins, moi, vous disent d'aller chier, que dans le fond, on se fout bien de vous et de vos fleurs.

Quand bien même Bruno achèterait un terrain, ce serait le sien. Ensuite, on ne pourrait construire que dans quatre ans avec de la chance. Dans dix ans, si tout va bien, on aura notre maison. Eh bien, j'ai pas envie de commencer à rêver les yeux grands ouverts, pour quelque chose qui n'arrivera jamais. Quel erreur ce serait d'aller en génie pour Bruno, pour rester à Ottawa. Quand donc resterons nous ensemble? Quand la maison sera construite? Et qui payera pour l'hypothèque sur cent ans? Bruno, puisqu'il demeure chez ses parents et que moi je dois déjà payer ma chambre ou appartement éventuellement (John est à veille de me crisser dehors). Alors tout lui appartiendra, pour la simple raison que l'on habite pas ensemble et que cela lui permet de payer et moi pas. Pourquoi ne pas acheter un terrain cheap avec une maison cheap dessus? Ainsi on ramasserait de toute façon, on aurait qu'à la revendre dans cinq à dix ans, même si on fait aucun profit, on aura rien perdu et on aura demeuré ensemble. Ce qui est un bon moyen de ne pas se laisser. Parce que moi là, j'ai déjà presque 22 ans pis c'est le temps où jamais d'atteindre le ravin! Je suis pressé de finir ma vie moi Môssieur! Il me faut tout et tout de suite! Quatre ans à m'écorcher je ne sais quels os sur trois planches en génie? Pas sûr que ça me tente. Quatre années à m'endetter pour enfin avoir ma propre hypothèque avant même de commencer à respirer. Pas sûr si ça m'intéresse. D'une façon ou d'une autre, je suis hypothéqué, parce que le docte-rat, c'est pas certain et ça débouche nulle part ailleurs que professeur d'Université. Je sais bien que les autres sont sur le bord de la retraite, qu'ils seront retraités avant que je finisse mon docte-rat (à ma grande joie), mais qui me dit que ce ne sont pas eux qui font entrer les jeunes profs? Ainsi, mon avenir en enseignement à l'Université d'Ottawa est aussi certain que mon entrée en maîtrise à ce même établissement scolastique-tique-tique.

Bruno avait oublié de brancher son bip-bip, comme par hasard, son boss a essayé de communiquer avec lui pour savoir ce qu'il se passait avec tel problème. Demain il aura beaucoup de marde. Il va aller travailler à reculon, comme le fond 99% des gens d'Ottawa.

- 241 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

(1% des répondants sont masochistes, je les ai rencontrés chez Versabec, qui essaye d'ailleurs de changer de nom pour Versa, à cause de la séparation du Québec-bec-bec. Je me demande à qui ils ont graissé la patte dans cette pourrite Université pour avoir le contrat par-dessus les anciens de Mariotte, mystère et boule de gomme). Ça me rappelle ma soeur lorsqu'elle travaillait à la BNR, son boss aussi l'emmenait dans son bureau pour la chialer jusqu'à ce qu'elle se mette à pleurer. Tsk-Tsk, une ingénieure, ma soeur, ça pleure pas! Ça récolte ce que ça sème: l'ambition. Natalie Petit me parlait des gens où elle travaille, Librairie Papyrus au World Exchange Plaza. Son boss est tellement effrayant que plusieurs employés sont déjà partis en pleurant et claquant la porte. Quel orgueil! Et moi qui commence demain! Minuit et demi déjà, pensez-vous que je vais dormir? La job la plus basse de la société, serveur aux tables. Comme je serai vulnérable. Tchékez ben la vieille christ qui sera ma boss, Dawn ché-pu-qui, je lui donne deux jours pour me mettre complètement Dawn ché-pu-qui. Bruno me disait que la vie est injuste. Je lui ai demandé pourquoi? Il m'a répondu que certains ne foutaient rien et qui avaient tout! La richesse toute cuite dans le bec-bec-bec. Je lui ai alors demandé s'il s'était déjà posé la question à savoir pourquoi la vie était injuste. Il m'a dit, parce qu'il n'y a pas de Dieu. Si Dieu existait, la vie serait juste. J'ai dit qu'en admettant que Dieu existe, pourquoi la vie serait-elle injuste? Il m'a dit pour que les gens travaillent plus fort. Réponse plutôt banale, ce à quoi j'ai répondu une niaiserie aussi: Peut-être que si on bûche pour avoir not' maison et qu'en plus, on la construit en partie de nos mains, on sera vraiment fier de l'avoir, et on aura trouvé l'happiness; ce qui n'est pas le cas de celui qui a eu sa maison tombée du ciel. Il m'a dit que les riches savaient appprécier ce qu'ils avaient. Qu'ils avaient donc l'happiness. Et que s'il était riche, demain il irait au travail en se foutant de tout, en riant de son boss qui lui ferait des histoires. Ainsi donc l'argent lui permettrait de prendre la vie moins sérieusement. Quel échec ce serait pour le magnifique plan de Dieu qui veut que l'on apprenne tout plein de choses nouvelles! Entre autres, comment l'humain est une vraie saloperie, comme dirait la mère de Bruno. Un vrai leitmotiv: l'humain est une vraie saloperie. Tellement, qu'elle anticipe négativement tout contact avec les humains. Elle pense en fonction des problèmes qu'ils pourraient lui causer. J'ai dit alors que les gens n'étaient pas si méchants (même si je ne le pense pas, mais il faut savoir être hypocrite pour aider les autres). Bruno m'a répondu une chose intéressante. Il

- 242 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

m'a dit que je n'avais rien à perdre, rien que les gens pourraient vouloir s'approprier. Mais les gens, ai-je dit, pourraient vouloir m'exploiter, et à ce sujet, je ne me laisserais jamais marcher sur le dos. Mais c'est faux, on m'exploite sans cesse, on m'exploitera encore. J'entends encore M. Lamothe m'exiger ceci, m'exiger cela, alors que j'avais envie de faire toute une scène et de crisser le camp! La mère de Bruno est passée à travers les écoles françaises de l'autre côté de la rivière Ottaouais. Elle n'a absolument rien de positif à raconter. Le métier d'enseignant, un vrai calvaire! Les enfants n'ont aucun respect, aucune valeurs (tient, c'est probablement le fruit des 77% des répondants du sondage d'avant qui disaient que leur famille était rempli d'amour, while the rest was living without any values). Les enfants envoient chier le professeur, un peu mon genre dans mes cours à l'Université, et les professeurs surtout, profitaient d'elle. Ces autres enseignants qu'elle m'a certifié être tous sur la drogue (!!! je n'arrive pas à le croire, et elle dit que les trois écoles qu'elle a faite au Québec, les professeurs étaient en majorité sur la drogue. Ainsi donc ils ne seraient pas encore sortis de leur Woodstock, est-ce si difficile d'enseigner aux petits morveux? J'en sais quelque chose, j'ai toujours passer au travers de mes études au primaire et secondaire, comment ai-je accompli ce miracle déjà?) Ces enseignants n'avaient aucun respect, parlaient à tort et à travers, surtout dans le dos de tout le monde, et ne manquaient pas une chance de profiter des autres. Toute la philosophie capitaliste Nord Américaine quoi! Bref, elle a fini le tout en beauté, dépression, maladie, abandon. Depuis, elle enseigne le français langue seconde à des particuliers, à la maison, et laissez-moi vous dire qu'elle souffre. C'est qu'elle n'a pas compris, comme moi d'ailleurs, que la vie, même si on a pas une grande réussite sociale en arrière de soi, c'est pas grave. Alors elle se lamente de ne rien avoir accompli de grand, alors que je suis presque là à lui dire d'arrêter, à presque soixante ans, de se ronger l'esprit avec ça! Surtout qu'ils ont leur maison de riche payée, un terrain de 100 âcres à Merrickville, un autre terrain aux îles Turks and kékos qui vaut déjà une petite fortune (450 000$ aux dernières nouvelles). Veut rien savoir, piquée comme Bruno et sa soeur qui veut rentrer en common law français parce que sinon, elle aura ratée sa vie (elle a 28 ans). Bref, elle veut s'ouvrir un restaurant. Un rêve sans doute, à moins que Bruno n'embarque. Ce qu'il fera je suppose s'il n'est pas accepté en génie. Bien que ce soit impossible qu'il ne soit pas accepté, avec l'Université d'Ottawa, on ne sait jamais. Et moi? Si je n'étais pas accepté en génie, je

- 243 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pense que c'est vrai que je me mettrais à vivre de l'air du temps. C'est à dire, je commencerais ma vie végétative, je ne foutrais plus rien. C'est là où Dieu aura sans doute voulu que j'en arrive.

J'ai lu un peu pas mal d'un livre parut en 1985 seulement, traduction anglaise contemporaine d'un ancien anglais incompréhensible. Le Dr John Dee, The Rosie Crucian Secrets, their excellent method of making Medicines of metals, also, their Lawes and Mysteries. Franchement impressionnant. À couper le soufle. C'est classé Hermeticism/Esoteric thought. Je pensais trouver une dénonciation des Rose-Croix, j'ai découvert une science effrayante, une secte alchimiste qui pourrait à la limite, transformer les hommes. Il m'est très difficile de lire ça, si je pouvais le trouver en français... L'alchimie. Il me faudrait aller voir ce que Cocteau et Yourcenar (L'oeuvre au noir) en ont écrit. On se croirait chez les Schtroumpfs, dans la mansarde de Gargamel, qui fait toutes sortes d'expériences bizarres. Ou le grand Schtroumpf qui conseille à l'autre comment il pourra voler: déposer ça sur la queue d'une comète, attendre mille ans que cela se transforme en..., et au moment précis d'une éclipse de lune, faire dire trois fois par une grenouille ABRACADABRAKASCHTROUMPF! Ça donne envie de sortir des bocaux et de faire de la vraie chimie-physique schtroumfiesque, pas comme celle que l'on faisait au Collège. Mais toute cette science s'est probablement perdue. Sinon, le livre du maître ne se trouverait pas dans le British Museum de Londres. Et le langage, incompréhensible, avec des choses si précises. On ne parle même plus le même anglais que dans le temps. Presqu'une heure et demie, il est temps que j'aille me coucher, demain mon calvaire m'attend.

15 juin 1994

Semble que mon calvaire attendra, ce me semble que mon travail sera parfait. Je suis seul sur la terrasse, c'est drôle, j'y avais pensé. Je me disais hier, et si j'étais seul sur la terrasse? Douze tables, 48 places, ne sers que des boissons et de la pizza. J'ai même eu le culôt de demander au cuisinier de faire des pizzas végétariennes aussi! (De peur que je crève de faim). Il m'a dit, you are vegetarian hein? J'ai dit oui. Il a dit I noticed it right away! Est-

- 244 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ce donc écrit dans ma face? Dois-je en déduire qu'il a notifié que j'étais gay aussi, right away? It might be, avec mes beaux bermudas noir, mes petits bas noirs et mes souliers, cela fait très tackie comme dirait Paul. Que voulez-vous, j'ai pas tellement le choix de l'habillement, et je n'ai surtout pas l'argent pour m'acheter autre chose. Bref, ça commence demain, je pense que les pourboires seront bons. La semaine prochaine je vais chialer pour avoir autre chose que de la pizza. Pauvres clients, ils n'ont aucun choix, encore chanceux que je sois là pour les végétariens! Je n'ai encore lu aucune statistique à propos du nombre de végétarien. Je sais cependant que sur l'avion qui m'emmenait en France l'an passé, quatre personnes avaient demandé un repas végétarien. J'ignorais que c'était possible. Le service a été exceptionnel. On m'a nourrit quatre fois plutôt qu'une, tous les membres du personnel de Canadians s'affairant à m'offrir des choses pour compenser ma bourde. Tout le monde se demandait ce qui se passait, je n'ai dit qu'une parole: ah, je suis végétarien (quand elle m'a amené son gros steak avec fierté). Pourquoi donc la religion n'encourage t-elle pas le végétarisme? C'est pourtant bien de là que vient l'idée. Mais faut pas trop se poser de question là-dessus.

Tout à l'heure j'ai acheté la revue Catholic Insight, un magazine for Canadian Catholics, may 1994, volume II, No. 4 (2$). 5 pages sur 16 sont consacrés à l'homosexualité. J'ignore si c'est toujours le cas, ou si c'est parce que le gouvernement Ontarien et Fédéral s'apprêtent à voter des lois pour démantibuler l'Église à cause des homos. En fait, l'Église piétine, elle veut nous convaincre à tous les points de vue, elle a souvent tort, elle s'en fout. Tout argument fonctionne, jusqu'à chercher des poux administratifs de certaines conférences pour compter des points. Le magazine est un vrai bijou d'homophobie pure, un tissu d'arguments pour provoquer la haine des gays. Ils sont tellement radicaux qu'ils font peur. Sans lois pour nous protéger, je ne crois pas qu'ils hésiteraient à encourager plus fortement la violence contre nous. Ils se basent sur la bible. Il ont cité les dix commandements deux fois, sans rien dire à propos du contenu. Je suis allez voir, j'ai eu peur. C'est pire que tout ce que j'aurais pu imaginer: Exode 20:10 «Mais le septième jour est un sabbat pour Jéhovah, ton Dieu. Tu ne dois faire aucun travail, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton esclave mâle, ni ton esclave femelle [...]» Un peu plus loin, Exode 21:2 et 3 «»Si tu achètes un esclave hébreu, il sera

- 245 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

esclave six années, mais la septième, il sortira libéré, sans rien payer. S'il entre seul, il sortira seul. S'il est propriétaire d'une femme, alors sa femme devra sortir avec lui.» Encore, Exode 21:7 à 11 «»Et si un homme vend sa fille comme esclave, elle ne sortira pas comme sortent les esclaves mâles. Si elle déplaît aux yeux de son maître, de sorte qu'il ne la désigne pas pour être sa concubine mais la fait racheter, il n'aura pas le droit de la vendre à un peuple étranger, en agissant envers elle avec traîtrise. Et si c'est pour être à son fils qu'il la désigne, il devra agir envers elle suivant le droit dû aux filles. S'il prend une autre femme pour lui, rien ne pourra être diminué de sa nourriture, de son vêtement et de son droit conjugal. S'il ne fait pas pour elle ces trois choses, alors elle devra sortir gratuitement, sans argent». On comprend maintenant pourquoi le pape veut rien savoir d'ordonner les femmes, elles sont de la marchandise selon la bible. On a de la misère à comprendre comment on a pu abolir l'esclavage en Amérique avec une telle bible et un tel lobby religieux. Exode 21:15 et 17 «Et celui qui frappe son père et sa mère devra être mis à mort sans faute.» «»Et celui qui appelle le mal sur son père et sur sa mère devra être mis à mort sans faute.» Exode 21:20 et 21 «»Et si un homme frappe son esclave mâle ou son esclave femelle avec un bâton et qu'il ou elle meure effectivement sous sa main, [l'esclave] devra être vengé sans faute. Mais s'il survit un jour ou deux jours, il ne devra pas être vengé, car il est son argent.» Exode 21:23 à 26 «Mais s'il se produit un accident mortel, alors tu devras donner âme pour âme, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, impression au fer rouge pour impression au fer rouge, blessure pour blessure, coup pour coup. «Et si un homme frappe l'oeil de son esclave mâle ou l'oeil de son esclave femelle et qu'il l'abîme effectivement, il devra le renvoyer en compensation de son oeil.» Comme elle est juste! Elle ne discrimine personne, elle prend bien soin de protéger le propriétaire de femmes et le maître d'esclaves. Mais aussi la victime du taureau' Exode 21:29 à 30 et 32 «Mais si un taureau avait déjà l'habitude d'encorner et qu'on en ait averti son propriétaire, mais [si] celui-ci ne l'a pas tenu sous garde et que [l'animal] ait fait mourir un homme ou une femme, le taureau devra être lapidé et son propriétaire aussi devra être mis à mort. Si une rançon lui est imposée, alors il devra donner le prix de rachat pour son âme selon tout ce qui lui sera imposé. (32) Si c'est un esclave mâle ou une esclave femelle que le taureau a encorné, il donnera le prix de trente sicles au maître de [l'esclave] et le taureau sera lapidé.» Heureusement que la bible défend les esclaves, où

- 246 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

irions-nous comme société? Et heureusement que nous pouvons marchander notre âme, que ferions-nous, pauvres pécheurs que nous sommes? C'est décidé, La Nouvelle Humanité n'a pas besoin d'autre source que la Bible. Je laisse faire Artaud ou les Rose-Croix et l'alchimie. J'ai pleinement tout ce qu'il me faut pour construire ma nouvelle humanité immorale, sans même que l'on puisse me reprocher mon immoralité. Je serai le nouveau Voltaire des quelques arpents de neige. Je n'ai plus le temps de critiquer le journal catholique, je dois aller travailler sur le toit chez l'amour de ma vie, aider son poupa.

Je reviens de chez Bruno. Y'a un con dans les opinions du Citizen qui ose dire à propos des gens qui sont pas capables de mettre leurs cochonneries dans les poubelles à Mooney's Bay, tout à la fin de son article: «Society has too much preoccupation with its rights and not enough with its responsibilities». Sachez le tous, il s'appelle Don Rees, il habite Ottawa. Comment peut-on trop se préoccuper de ses droits? Ne comprend-t-il pas ce que c'est que d'être brimé, de subir l'injustice? Les deux opinions avant lui parlent justement qu'ils comprennent très bien pourquoi Valery Fabrikant a finalement pris le fusil pour tuer quatre de ses collègues professeurs de l'Université. Ne comprend-t-il pas que quand la goutte déborde, c'est cela qui arrive? N'a-t-il pas vu que les gays se sont fait repousser à Queen's Park, qu'ils étaient prêts à tout casser? Ne sait-il pas que c'est comme ça que les Révolutions se font? Le pire de l'histoire, c'est justement à cause de cons comme lui qui ne prennent par leurs responsabilités que l'on est obligé de s'abaisser à aller paniquer à Queen's Park.

Page B1 du Citizen, un autre article sur les gays: CRTC faces Catholicism, gay rights. J'ai connu le gars à un party à l'Université de Carleton, il a son émission pour gays et lesbiennes à la radio estudiante. Robert Eady, un gros catholique en puissance qui voue sa vie à détruire celle des gays, est entrer en guerre contre l'émission Defiant Voices, avec le CRTC, il veut que CKCU perde sa license de radio à cause que Kevin Gibbs et son accolyte avaient ridiculisé le Monsieur, en passant son commentaire entre des chansons genres Barbeque Pope et Will the Fetus Be Aborted. Bref, Robert Eady (qui nous décrivait dernièrement comme la pire race d'écoeurants qui existent), s'est plain avec sa «Catholic Civil Rights League of

- 247 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

broadcasting material inciting «hatred and contempt» against Catholics». Un gars qui crache sur nous autres comme c'est pas possible, qui réussit à convaincre tout ce qui est en manque de religion qu'on vaut la peine d'être mis en prison et qu'on mérite l'enfer, un gars qui à lui seul fait plus de ravage à toute une minorité par effet de Chaos que n'importe quoi d'autre, qui incite à l'homophobie, l'intolérance et indirectement à la violence, a perdu sa cause. La liberté d'expression existe toujours au CRTC, sans compter que Kevin n'y a pas été très fort en plus. Mais en ce qui concerne la liberté d'expression, notre white suprémacist d'Eady, puisque paraît-il il tient une liste de qui est gay pour surveiller et mieux attaquer par d'autres moyens que la violence physique, bien qu'à long terme cette violence verbale conduit là pour cause de mythes relancés à tort et à travers, bref, il connaît la liberté d'expression. Le plus merveilleux c'est la fin de l'article: «As for the folks who think Defiant Voices propagates «hatred and contempt» against Catholics», they can perhaps take comfort in the knowledge that the Catholic church has been doing just that against gays and lesbians for years without any fear some government agency would cancel its licence to preach.» (L'auteur s'appelle Paul Gessell).

Juste avant de décortiquer le Catholic magazine, je reparle pour la dernière fois, je l'espère, de ce stupide sondage sur la famille. Ce n'est pas de ma faute, on en apprend chaque jour davantage, et du même sondage! Débarrassons-nous tout de suite du Citizen qui en rajoute par la bouche d'un éditorialiste. Il dit qu'une importante organisation pour la défense des femmes s'inquiète des familles monoparentales, et qu'elle demande au gouvernement de définir ce qu'est la famille, pour qu'on arrête la discrimination. J'étais loin de me douter que le petit article sondage que j'ai failli passer à côté et que j'ai commenté parce qu'il n'y avait rien d'autre à critiquer, ferait tant d'histoires. Bref, Charles Gordon dit: «If the federal governement reads Angus Reid's polls, on of which was published Tuesday, it will know that 68 per cent of the people think that the so-called «nuclear family» - two married parents with children - is the best kind. The government will also know that only 47 per cent fit into that category». Et le pire, naturellement, seul ce 47% est considéré telle une famille. L'éditorialiste fait remarquer le terme de famille nucléaire. Avant on ne se posait pas la question à savoir s'il fallait redéfinir la famille, la religion gardait le tout compact. Mais les

- 248 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gays ont fini par sortir du garde-robe, et les couples ont commencé à se séparer et divorcer. C'est nouveau, parce que nucléaire date nécessairement d'après la deuxième guerre mondiale. Alors il ne faut pas se surprendre de l'opposition et de la confusion des gens. La guerre commence. «But people persisted in thinking that the family went way back to Ten Commandments days, keeping in mind that admonition to «honor thy father and thy mother.» (!) or you get killed right away! Exode 20-21, etc. Le titre de l'article est d'ailleurs: Um, let's see... Honor thy male and/or female maturation facilitators?

J'ai acheté le Droit de Hull, fait surprenant, je n'ai lu aucun article. Ce n'est pas la première fois que je me rends compte que je ne lis pas grand chose quand je lis le Droit, mais de là à ce qu'aucun titre ne m'accroche... Bref, j'ai aussi acheté le Devoir, ils avaient les nouvelles une journée en retard à propos du sondage Angus Reid. Voici le titre: «La famille, lieu chéri des contradictions du public, Le sondage Angus Reid constate un relent soudain de conservatisme; ce n'est pourtant pas nouveau». On y apprend encore de nouvelles informations. Décidément, je devrais acheter le Globe and Mail! Et encore là, je ne suis pas certain si je saurais tout! «Qu'en 1993, 73% [enfin, on écrit % et non pour cent ou per cent] des gens disent que le meilleur milieu pour élever des enfants soit un nid où la mère officie pendant que le père travaille a de quoi surprendre. Tout aussi étonnant que 73% des répondants jugent que le fait de vivre dans une famille monoparentale a plus d'impact négatif sur les enfants que s'ils vivaient avec un couple homosexuel. D'où surgit ce relent soudain de conservatisme?» J'ignore d'où elle sort de pareilles affirmations, elle (Isabelle Paré) a fait plus qu'interpréter le sondage à mon avis. À moins qu'elle ait assisté à la conférence de Presse? Ce qui expliquerait le retard? Quoique que les résultats du sondage ont peut-être passés hier alors qu'aujourd'hui elle approfondit le sujet? Mais sincèrement, je ne crois pas, au stade où en sont les choses, que l'on puissent dire que 73% des gens trouvent que l'impact est plus négatif dans les familles monoparentales que chez les gays. Voyons donc! Je viens de relire La Presse, les mots utilisés ne sont pas explicites. Je me suis moi-même posé la question à savoir quelles connotations portaient Voir d'un mauvais oeil les familles monoparentales (73%) et N'approuvent guère enfant avec couple homosexuel (67%). Il est vrai que les pourcentages signifient peut-être quelque chose. Voyons voir le Citizen... aucun de

- 249 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ces deux pourcentages n'apparaissent dans le Citizen. Sur les same-sex couples, la seule chose qu'on dit c'est: «Only 24 per cent were willing to pay taxes for family benefits for same-sexe couples». J'ai définitivement besoin, non pas d'aller acheter le Globe and Mail, je serais encore plus fucké... il me faut absolument contacter M. Darryl Bricker, senior vice-president of the Angus Reid polling firm, pour premièrement lui signifier qu'on n'en finit plus d'en inventer à propos de son sondage, et deuxièmement, de lui demander où est la vérité dans tout cela! En attendant, voici comment termine Mme Paré du Devoir: «Et si 75% des gens disent filer le parfait bonheur en famille, alors que divorces et séparations font ravage dans les ménages, c'est, estiment nos experts [! + ?], que le bon vieux diction [sic] qui dit qu'on lave son linge sale en famille tient toujours!» Alors là, je démisionne. Parce que cette phrase indique alors que les gens mentent dans les sondages, et j'avoue qu'avec des statistiques qui frôlent le 77% et le 84%, y'a un problème. Bullshit les sondages, quand je pense que les estis de religieux, que je ne détruirai malheureusement pas ce soir parce qu'il est trop tard, répète deux ou trois fois que les statistiques sur les gays mentent, et qu'il n'y en a pas dix pour cent, mais bien 1 ou 2, j'ai envie de tout casser!

Bof, parlons-en un peu en général. Quel est donc le problème de ces catholiques. Se peut-il que ma religion, celle dans laquelle on m'a baignée toute ma jeunesse, à coup de massue presque (je me souviens de mes livres de catéchismes, les phrases par-ci par-là que l'on ressortait d'un Nouveau Testament qui n'avait plus rien à voir avec les Vraies Saintes Écritures (celles-là sont trop immorales pour les enfants, ça c'est sûr)), se peut-il que je ne partage aucune de leurs opinions? Que ce soit sur n'importe quel sujet, je ne suis jamais d'accord avec eux. Je me suis payé les seize pages du magazine, chaque ligne me faisait pomper un peu plus. Leur plus gros argument semble être l'argent des payeurs de taxes. (The cost of abortion. How much cash for abortions?). Quand tout le monde sait que pour un avortement pratiqué, peu importe le coût (180$-300$), le gouvernement vient d'économiser au minimum un milliard en argent par année. (Si vous ne me croyez pas, le déficit annuel atteint presque les 40 millards cette année, il a sauté le cap du 30 milliards depuis longtemps, et nous sommes moins que 30 millions au Canada). Sauf que comme argument, on ne fait pas mieux en pleine période de crise économique, ou pseudo-fin de période de crise.

- 250 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Demandez donc à quelqu'un qui vient de se faire couper ou geler son salaire, ou quelqu'un sur le chômage, ou un travailleur qui se demande ce qui va arriver avec sa pension de vieillesse, s'il veut donner de l'argent à quoi que ce soit. Les 24% seulement de gens qui sont prêts à aider les same-sex couples benefits s'explique clairement. L'Église joue avec cela. En fait, l'Église joue avec des arguments qui ne peuvent convaincre que ceux qui sont à l'écoute totale, qui admettent la sagesse presque orthodoxe de l'Église sans trop se poser de question. Je lisais dans le livre Vie et Mystères des Rose + Croix de Jean-Claude Frère que les prêtres, peu importe la religion, reçoivent un genre d'enseignement que le peuple ne saura jamais. On se demande, l'Église serait-elle une société secrète? Pourquoi donc tient-elle tant à ce que la planète déborde de bébés alors que tout le monde sait que les problèmes qui résultertont de la surpopulation mondiale sont insolubles? Pourquoi donc est-ce si important que l'enfant naisse dans une famille remplie d'amour, même en apparences? Depuis quand l'Église s'inquiètent de notre bonheur? Depuis toujours elle nous fournit tous les moyens inimaginables pour nous culpabiliser, nous soumettre à son Dieu par nos inévitables péchés. Il suffit de désirer la vache de son semblable pour avoir péché, si on se fit aux dix commandements et à la série de commandements que l'on a, comme par hasard, pas recensés (à cause de leur violence et discrimintaion trop évidentes, je suppose?). Pourquoi donc l'Église continue à prendre ses moutons pour des crétins? Qu'elle nous dise clairement pourquoi la procréation est si primordiale et que la guerre est justifiable. Qu'elle nous dise donc ses vraies motivations, on est pas fou, on va comprendre. Et peut-être même qu'on lui donnera enfin crédit. Je vous le dis, votre guerre sur l'homosexualité, vous allez la perdre. Ce n'est qu'une question de temps. Votre guerre contre l'avortement et le divorce, n'y pensez plus. Votre guerre contre la discrimination des femmes, ne vous apportera que des votes en moins, que de perte en capitale. Que l'Église se tire dans le pied, je m'en fous, mais qu'elle cesse de nous tirer dans le pied au moins, ça, ce serait digne de Dieu. Encore que, il me reste à lire la bible, je crois que l'image d'amour que je me fais de Dieu est fausse. Dieu est méchant, et lui aussi protège des intérêts que le commun des mortels ignore. Dire que l'on est immorale ne suffit pas. Dire que les femmes qui se font avorter sont malheureuses jusqu'à la fin de leurs jours, qu'elles auront des problèmes en mariage, qu'elles se suicideront, reste à prouver. Et si cela est vrai en partie, l'Église en est certainement la seule vraie

- 251 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

responsable. Et puis, il est faux de dire que les gays rejette Dieu, c'est lui, selon eux, qui nous rejette. Plusieurs ne le rejettent même pas, et si c'est rejeter Dieu que de coucher avec quelqu'un, tant pis. Au diable votre Dieu, et voilà comment on finit par rejeter la religion d'un bloc. P.9: «Over the current period 1990-1995 the battle against AIDS is costing Canadian taxpayers over one billion dollars». So let's kill them now? Is this what they suggest? Sinon, qu'est-ce qu'ils essayent de prouver ici? Une justification de l'homophobie? P.6: «Rejecting Christ, they reject His brothers, their neighbours, and, sometimes deliberately, infect them with the only life their lifestyle generates, the virus which produce AIDS, as many hemophiliacs and infected babies and Kimberley Bergalises can testify. (I know Kimberley is dead, but she's «milliards of times more alive than we.» She is a person of uncommon importance in this context. Her dentist, apparently deliberately, infected her and five or six others.)» Il faut maintenant imaginer que le dentiste est gay (ils ne citent aucune source, how funny, on nous jette ça à la tête), il faut imaginer que le «apparently» means for sure, et il faut croire que tout les gays feront la même chose. Sans compter que si les gays meurent du sida pour cause de leurs immoralité, Kimberley elle, pure comme elle est, est morte non pas à cause de ses péchés, mais par erreur, à cause des gays. Comment pourraient-ils arriver à justifier un racisme virulent ou un antisémitisme aussi virulent, sans faire lever les foules? Ici on parle d'homophobie, et les gens sont encore très homophobiques. Dans toutes les races, dans toutes les religions. Je ne crois plus en Dieu. Je ne crois plus en les religions. Rien de bon peut émerger d'une telle écoeuranterie. Je ne crois plus en les sociétés, elles suivent des gens sans les questionner sur leurs réelles motivations. Je ne crois plus aux gouvernements, ils changent d'opinions selon leurs intérêts. Je ne crois plus en l'altruisme, on ne m'en a jamais donné une preuve satisfaisante. Je ne crois plus en la vie, parce qu'on en fait une misère où personne ne peut vivre. Je ne décortiquerai pas le magazine en entier, cela n'en vaut pas la peine.

16 juin 1994

Il est minuit, je viens de sortir de ma douche, j'arrive de travailler. Je suis parti de la maison à huit heures ce matin. Seize heures en dehors de la maison pour une journée de

- 252 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

travail. Demain je sors de chez-moi à huit heures encore. J'espère m'en sortir pour huit heures du soir, arriver ici pour neuf heures, je travaille le lendemain matin. Aujourd'hui, est une journée à oublier. Les pires journées de ma vies, les vraiment pires, sont ma journée de fou quand j'ai travaillé chez Polyson Jonquière et que la journée avait tellement déteindue sur le morale de moi et ma bosse, qu'on a tous les deux fait de la grosse fièvre le soir, malade comme des chiens. Mes autres pires journées se sont produites à Versabec, des journées de douze heures, des banquets qui n'en finissaient plus. La journée où j'ai manqué Bruno en concert parce que je travaillais, les soirées où je rencontrais Bruno à Tactiks comme par hasard et qu'il m'avait inventé des raisons pour ne pas me voir, lorsque Bruno m'a annoncé qu'il m'a trompé. Bref, aujourd'hui surpasse le lot. Mon calvaire est vraiment commencé (à partir d'ici je retranscrie ce que j'ai écrit sur le papier pendant que je travaillais. Demain, je n'en peux plus.)

(On est le 17, je retranscris). Mon calvaire commence. Ma boss, Mme Dawn Lynch s'est transformée en monstre exigeant, bête comme ses deux pieds, intolérante, elle te fait sentir inférieur, incompétent. Elle ne semble même pas s'être rendu compte que j'ai installé à moi seul une terrasse pour 48 personnes avec un soleil effrayant et plus de 32 degrés Celsius. J'ai tellement sué aujourd'hui que j'ai bu 6 7-up et j'ai jamais eu envie de pisser. Esti de journée de calvaire. J'ai cuit de 9h le matin à 1h pour tout installer, nettoyer, figurer c'est quoi que j'ai à faire. Ensuite, jusqu'à cinq heure, j'ai gratté avec une pièce de un dollar tout un tableau menu écrit au crayon effaçable, mais qui s'effaçait plus. J'ai passé la journée à m'éponger le visage avec mon autre chandail manches courtes. Vers 2h, une pluis torrentielle aussi subite qu'imprévue fait rage. Y'a justement un festival de danse à côté, tout le monde l'autre bord de la fenêtre me regarde courir d'un bord et de l'autre, complètement trempé, serrer les parasols, qui par ailleurs ne tiennent pas sur les tables, j'avais déjà perdu une heure à les installer, ils tiennent par des petites visses en plastiques, résultat, 4 ampoules, toutes mes boîtes sont foutues, etc. Après cela, le soleil est de retour. Je souffre maintenant d'insolation, je tombe de sommeil. Il est 18h10, 20h00 n'arrivera jamais. Le pire, je vais finir à 21h00 [22h30 en fait!], y'a tellement à faire pour ramasser. Et là, de 16h30 à 17h30, me voilà qui m'ennuie, sait plus quoi faire, après avoir passé l'après-mide à

- 253 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gratter et à me lamenter. Arrive soudainement, vers 17h30, et ma boss et un gros bonhomme. Le bonhomme, un M. Boily, grosse tête, plus grosse que son énorme ventre, commence à chiâler comme jamais un client n'a chiâlé en deux ans à la cafétéria de l'Université. Et Dieu sait comment ça chiâlent une gang de secrétaires et d'employés de bureau et de francôphones qui veulent des services en français, et des anglophones autains pointilleux. Le vieux christ, parce qu'il n'y avait pas de glace, commence à demander qui s'occupe de la place (quelle compagnie). Je dis le NAC, il répond que le NAC a des prix plus élevés que ses services. Je lui dis de dire ça à ma boss, pour rendre cette situation embarrassante plus sympathique. Ma boss répond que les prix sont les prix. Le vieux tient absolument à rendre le tout intolérable, il répond: «Non, je parle du service! Un service totalement inadéquat, de mauvaise qualité...» Là, je fumais, il a parlé de glace, on ne savait plus trop s'il en parlait encore. J'ai dit au monsieur que je m'excusais, qu'à l'avenir, il y aurait toujours de la glace. J'ai mentionné la dureté de toujours s'approprier des choses à cause de toute la sécurité qu'il y a en-dedans (ce qui est vrai, à chaque six mètres, très exactement, y'a un garde, sans compter ceux qui marchent partout, une armée. Je me demande pourquoi, je suis certain qu'il serait facile pour quelqu'un qui a le moindrement d'expérience de voler quelque chose (c'est pas vrai). Bref, ma boss se dévire et dit: «Pas du tout». Elle me dit de me taire et dit merci au monsieur brutalement. Le monsieur saute vingt pieds dans les airs, le voilà qui réprimande ma boss et lui dit que j'ai raison, que c'est très correct de m'excuser comme je l'ai fait (!) et qu'au contraire ma boss donne un service inadmissible. Alors il lui demande son nom. Aurait-elle été assez folle pour lui donner? Non. Au contraie, elle met tout le blâme sur moi. Elle dit au monsieur qu'elle a envoyé le boss-boy me demander si j'avais besoin de quelque chose vers 4h, et que c'était ma responsabilité de lui demander de la glace. J'avais envie de lui rendre ma démission sur le coup. Mais j'ai plié. Plié comme jamais un ver-de-terre pli, et comme jamais j'espère ne plus plier. Le monsieur fulminait. On voyait qu'il voulait en dire plus long, ma boss l'a retourné après qu'il ait demandé une deuxième fois son nom. Là, après que le vieux se soit assis avec sa famille, ma boss me chicane comme si j'étais du poisson pourri, un moins que rien, et c'est la première fois de ma vie que je ne cachais pas ma colère. Elle parlait, je disais un oui très bête. Elle finit par aller chercher de la glace et de l'eau (je me demande maintenant si c'est pas le Boily qui lui a dit que c'était ce

- 254 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

qu'elle aurait dû faire depuis le début, il me l'a répété deux fois après, ouh le maudit, il faudrait se plier à ses genoux) en me reprochant gravement ce manque. La sottise a-t-elle une limite? Non. Voilà que le Boily me relance, il veut savoir son nom. Je ne veux pas le lui donner. Des p'tits christ de fatikants à tête enflée, si je peux éviter qu'ils causent des histoires pour rien... il commence à me dire que si jamais j'Ai des problèmes, de l'appeler. Son numéro est le 777-ARTS, facile à retenir. Il a des contacts hauts placés, il peut intervenir plus haut qu'elle. Depuis quand les gros plein de sous prennent la peine de défendre les p'tits cons en bas de la hiérarchie? Depuis qu'ils veulent montrer qu'ils ne sont pas n'importe qui? Je n'en doute pas M. Boily que vous n'êtes pas n'importe qui, moi-même d'ailleurs, vous savez, je ne suis pas n'importe qui, je ne suis même pas quelqu'un. Et je vous avouerais que je me fous pas mal de votre gallerie d'art et de votre position dans je ne sais plus quelle organisation. Il m'a redemandé son nom. Intarrissable. Je lui ai dit que je comprenais ma bosse, que c'était difficile de faire fonctionner une cafétéria, qu'elle était fatiguée (toute de la fausse bullshit!) J'y ai pas donné son nom. Nathalie Petit arrive à ce moment (je lui avais laissé un message de venir me voir) ma boss aussi arrive. La situation se complique, j'essaye de m'approcher pour lui dire que c'est pas le moment, ma boss s'écrie «Roland-Michel!», un client attendait. Là ma boss m'a chiâlé de plus belle. Natahlie attendait. Après que ma boss soit repartie, Nathalie capotait. Le bonhomme me parlait encore, il voulait avoir son nom. Nathalie est partie en me laissant un numéro, on a pas parlé, je voulais pleurer, et c'est vrai. J'avais vraiment envie de pleurer. Il a fallut que j'aille marcher plus loin à cause du vieux... il m'a souhaité bonne chance.

17 juin 1994 - écrit au travail.

J'ai cuit toute la sainte journée, pas un client entre 2h et 6h. La vie est plate, je n'ai plus d'énergie, amorphe, je suis une grosse boule de chair en décomposition. J'ai bu quatre jus et l'équivalent de trois jus en eau dans la seule première heure. J'ai pas envie de pisser. J'ai pas fait 3$ de tips, je me fais exploiter. À la radio ce matin, ils parlaient de nouveaux records de température, journées plus chaudes jamais vues [depuis trente ans], pour les quatre jours où je travaille. Comme par hasard. Il mouillera lundi et mardi, mes jours de

- 255 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

congés, pour qu'il fasse beau ensuite. Je suit trop mort pour être découragé, trop inconscient par la fatigue, je suis plus capable d'écrire. Hier, en passant au-dessus du pont sur Main Street, j'ai passé proche de me tirer en bas. Le problème c'est que je n'en serais pas mort. J'ai pris l'autobus ce matin, l'idée de prendre le bicycle est impossible vue ma fatigue généralisée et la chaleur. En dépit de ce que j'ai dit, je suis un homme d'hiver, vive l'hiver! Les justes milieux, cela existe-t-il? Les jobs qui sont endurables, cela existe-t-il? La vie me semble être un cauchemar où l'on ne se réveillera pas, quelqu'un a déjà dit ça. Je me demande s'il a souffert plus que moi. Y'a quelques gars qui s'exhibent le bedon, ils sont beaux, ça ne compense pas pour la température. Exigerions-nous de quelqu'un qu'il se mette à vendre des chocolats chauds à l'extérieur avec 35 degrés Celsius sous zéro? (J'allais dire non, mais c'est mal connaître la société). Alors pourquoi exigez que je vende des liqueurs à des clients inexistants par 35 degrés Celsius? J'ai rencontré Gabriel, il s'est abonné au festival de danse. Il a passé un bon deux ou trois heures avec moi. On s'est raconté nos vies, on a rit, on a pleuré (je cite Ziggy de Céline Dion). Malgré l'intérêt que j'avais à parler avec, lui non plus n'a pas compensé au calvaire. Y'a beaucoup de gais dans le coin. Ils sont beaux en plus. Un me trôle à ce qu'en dit Gab. Il est beau en plus. Il sera là demain. Le flirtage, c'est intéressant, mais je ne coucherais pas avec. J'aime Bruno, il me suffit. Le sexe, j'en ai pas plus besoin. Pas lui semble-t-il, avec Glenn. Juste une histoire de sexe? Moi et Edwin, c'est plus, c'était plus. Gab me dit que c'est inquiétant quand ton chum te trompe (lui il sort avec Robert, tous deux sont genres assez traditionnels, ils pensent à la famille, avoir des enfants) parce qu'il ne s'intéresse peut-être plus à toi? Pourquoi Bruno ne me laisse pas alors? Pourquoi s'accrocher à l'idée de sécurité? Après trois ans, c'est signe que l'on peut finir nos jours ensemble et ainsi régler cette question qu'est l'amour une bonne fois pour toute? Est-ce solide ce genre de relation? Bruno trouvait Gab tellement beau! Dans le temps j'avais peur, parce que Gab lui a fait des déclarations. Il est beau, un vrai modèle, mannequin, comme Christiane. L'architecture ne se limite pas aux édifices! Elle déborde sur soi. Néanmoins, j'aime mieux Bruno. Gabriel dit que les gens aiment Bruno à cause de son allure vraiment straight. Parfois j'ai tendance à oublier que c'est vrai qu'il n'a rien de gay. Et il me faudrait me convaincre que ce sera difficile à retrouver quelqu'un comme Bruno. Bien sûr, et je l'aime, et patati et patata, mais comment se fait-il que j'aie ces tendances suicidaires ces

- 256 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

temps-ci? Et que la France, j'y pense sérieusement? C'est après que l'on regrette nos choix? MAis voyons, regretter m'est impossible, je suis fataliste. Eh bien, pourquoi donc me faut-il travailler ici? Où cela va-t-il déboucher? Qu'est-ce que ça va changer? Et pourquoi je souffre autant? La fatalité n'explique pas tout. Elle soulage les calvaires, mais si peu. Quel cliché, je travaille à Ottawa, sur la terrasse du musée des beaux arts et mon horloge personnelle est celle du parlement. Je suis juste à côté. Quelle belle carte postale. Môman, je suis à Paris, je travaille à l'arc de triomphe, avec vue sur la tour Eiffel. L'été passé m'a été si profitable, La Légende de Val-Jalbert, Les Quatre Piliers (qui originent justement de la Eiffel Tower). Pourquoi donc cet été m'est si terrible et non profitable? Peut-être cela m'est-il profitable à un autre niveau? J'ai déjà rencontré une grosse tête (M. Boily) et Gab. Un à chaque jour, qui donc vais-je rencontrer demain? Ah oui, j'ai vu Nathalie, demain je verrai Robert et Gabriel, et Bruno et sa môman, et John et Neil... Pourquoi pas le

18 juin 1994 - écrit au travail.

19 juin 1994 - écrit au travail.

20 juin 1994

J'ai enfin eu le courage d'appeler Mme Dawn Lynch au Musée des beaux arts du Canada. Je lui ai dit: «Je ne veux plus travailler au musée des beaux arts. Les raisons en sont que je suis très fatigué de mes quatre jours, trop de choses à faire pour une seule personne, que je suis malade, question de santé, je suis brûlé par le soleil, trop d'heures, pas assez payé, pas de tips.» Cela a été difficile. J'ai dit que je n'entrerais pas mercredi prochain. Elle a demandé s'il s'agissait de mercredi de la semaine prochaine. J'ai dit qu'elle aurait pas de misère à trouver quelqu'un, ils ont déjà fait les entrevues. Aussi, je suis prêt à travailler

- 257 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

un jour ou deux encore. Ce que je lui ai pas dit, c'est que si on m'avait crisser dehors, on ne m'aurait pas donné une deux semaines d'avis, on m'aurait montré la porte. Eh bien si moi je veux crisser le camp, non protégé comme je le suis (en plus qu'avec mon maigre salaire je devais payer 25$ par mois pour le syndicat qui lui, se fout bien de moi pour les premiers 90 jours, alors que mon travail se termine à la fin de l'été) je la prends la porte. Mme Lynch a crispé ben raide. Elle a pris son petit air insulté-orgueilleux, comme si en fait cela ne l'affectait pas. Maintenant, j'ai deux lettres à écrire. Une à Mme Robinson, l'autre à M. Boily:

Ottawa, le 20 juin 1994

M. Boily

100, boul. de Lucerne

Aylmer (Québec)

J9H 5E1

Vous vous souvenez sans doute de moi, je suis l'employé de la terrasse du musée des beaux arts. Je ne travaille cependant plus à cet endroit, malgré mon urgent besoin d'emploi.

Mon départ est surtout causé par la dureté et les conditions de travail, question de santé aussi. En effet, ils me demandent de faire 55 heures par semaine en plein soleil, à 5.80$ de l'heure plus les pourboires. Mais les gens ne donnent pas de pourboires pour acheter une boisson gazeuse au comptoir, ce qui est normal. De surcroît, les quatre heures où j'installe et remets en place la terrasse, travail difficile pour une seule personne, je n'ai là aucun pourboire certain.

Je sais que vous avez des contacts plus hauts que ma supérieure et qu'il vous serait aisé de connaître son nom. Que ce soit dit, je ne veux lui causer aucun trouble! Permettez-moi de croire que si l'on veut que la société aille mieux, parfois, il faudrait aider les victimes plutôt que de punir les coupables. Ceux-là, le dicton le dit, ils se pendent eux-mêmes.

- 258 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

J'ai un B.A. Spécialisation de l'Université d'Ottawa en langue et littérature. J'ai déjà écrit plusieurs manuscrits (romans, théâtre), et comme ce passe-temps nuit à mes études, je n'ai pas été accepté en maîtrise. Je vais donc entrer en génie à l'U. d'O. en septembre prochain. Bref, je cherche du travail.

Je vous remercie de m'accorder ces quelques instants, j'espère que vous pourrez m'aider. Au plaisir de vous connaître en d'autres circonstances que celles où l'on s'est rencontré.

Vôtre,

Roland-Michel Tremblay

Ottawa, le 20 juin 1994

Mme R…,

Veuillez croire que je suis désolé de vous apprendre qu'il m'est impossible de continuer à travailler au musée des beaux arts du Canada. Je voudrais vous en indiquer les raisons, puisque certainement, cela contredit les dires de mon entrevue.

Peut-être est-ce le fruit de mes quatre premiers jours de travail qui sont malheureusement tombés sur les quatre journées les plus chaudes de l'été, mais ma décision demeure inchangée.

Je suis capable de travailler sous de dures conditions, je l'ai prouvé à l'Université d'Ottawa. Mais là, c'est ma santé qui est en jeu, et la vie n'est pas suffisamment longue pour en perdre la seule chose qui compte.

- 259 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Il y a effectivement trop de choses à faire pour un seul employé, le soleil frappe très fort durant la journée et j'ai presque dû me rendre à l'hôpital pour cause d'insolation. Il y a trop d'heures aussi, 55. Et le salaire, à 5.80$ de l'heure plus les pourboires, siérait très bien si les gens donnaient des pourboires, mais les clients, et cela est normal, ne donnent pas d'argent pour acheter une boisson gazeuse au comptoir.

Ce n'est pas à la légère si j'ai dû me résigner à ne pas accepter ce travail. Je maintiens néanmoins ce que j'ai dit en entrevue, et s'il se trouvait que vous ayez besoin de moi à l'automne, je me tiens à votre entière disposition.

Je suis désolé des problèmes que cela peut causer. Je vous remercie pour les efforts que vous avez fournis pour m'aider, je ne l'oublierai pas. Au plaisir, vôtre,

Roland-Michel Tremblay

On va bien voir si c'est à la légère si le bonhomme m'a donné son numéro de téléphone si jamais j'avais besoin d'aide. Quelle prétention inutile ce serait si l'on disait de telles choses par politesse. Encore que, c'est à Aylmer, je ne vais tout de même pas aller travailler à Aylmer! Bruno me fatigue pour que je demande du bien-être social. Je suis incapable de m'y résigner pour plusieurs raisons. Premièrement, je travaille chez Bruno, même si c'est en dessous de la couverte. Deuxièmement, je n'en ai pas besoin. Troisièmement, c'est trop de formalités. Quatrièmement, cela a une connotation tellement négative, qu'à l'idée d'en recevoir, je panique. Quelle ironie, n'est-ce pas la même chose que l'assurance chômage? N'est-ce pas la même chose qu'une subvention pour artiste? Pas psychologiquement. Bon, si le système veut nous aider, pourquoi ne pas en profiter, avant qu'il ne peuve justement plus rien faire. Mais peut-être que justement il ne pourra plus rien faire si l'on en exige trop? C'est sûr que j'en ai besoin. J'ai de la misère à arriver même avec l'argent des parents à Bruno. Et j'aurai des problèmes à travailler en même temps que le génie. Je com

- 260-


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

prends maintenant qu'il est difficile de compter sur ses parents pour de l'aide, ou ses amis ou la famille. Je ne peux leur demander de l'aide parce qu'ils ont leurs projets, leur vie. On ne vit pas dans une société ou l'entraide est directe, mais toujours indirecte. Ça fait moins mal, et tout le monde paye. Même ceux qui reçoivent! Ceux qui font des enfants en espérant que ceux-ci les aideront plus tard, vont perdre leurs illusions. La société vieillit et on coupe toujours davantage. Mon père m'aidait durant ma première année d'Université, et je vivais peut-être mieux que lui. Il est difficile d'aider quelqu'un financièrement, surtout lorsque cette personne risque de mieux vivre que nous dans ces cas-là. C'est pas toujours le cas cependant. Bon, je vais aller au bureau de poste.

21 juin 1994

J'ai jamais été aussi heureux que ce matin! Il faut parfois quatre jours infernals à l'humain pour le convaincre qu'il est si bien lorsqu'il a la chance d'ouvrir son ordinateur et écrire écrire écrire. S'il pleut et que je ne travalle pas chez Bruno comme hier, je pense que je vais écrire 50 pages aujourd'hui. J'ai même, hier, réussi à commencer La Nouvelle Humanité. Lorsque je m'en allais chez Bruno, j'y pensais. Dans l'auto (Bruno est venu à ma rencontre, on a mis le bicycle dans le coffre), dans l'auto, j'ai écrit:

LA NOUVELLE HUMANITÉ

René Créateur

La Nouvelle Humanité est un échec avant de naître. Il n'y a là aucun Dieu. Où la perfection domine, l'humanité n'est plus nécessaire. Où la pureté existe, l'humanité n'a plus sa place. Aucune génération d'humanité ne réussira, sinon qu'à détruire la précédente et engendrer la prochaine. Le péché, une obligation, chez les Saints aussi, pour voir en la vie la soumission et le chemin de la sagesse. La finalité de l'humanité est en fonction du créateur, selon les expériences de son apprentissage. Apprentissage dont le but n'est connue que de l'Être Suprême. Que Dieu ne se trompe point, avant de dire que la création est bonne,

- 261 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

il doit voir à ne pas la détruire par un premier échec. Il est seul responsable si le mal prévaut, et si ce qui est mal se résume, cela n'est que pour sa cause. L'étude des Hommes dans leur habitat naturel n'est plus profitable. Ils vivront aux pôles comme à l'équateur, dans l'espace comme dans les eaux, et n'avanceront pas d'un pas vers l'essentiel. L'étude de l'homme dans sa génération de conflits n'est plus révélatrice. Qu'ils se détruisent apportent certes un équilibre, plus de religions qu'il n'en faut pour détruire un projet d'étude qui pourrait dépasser les limites permises, mais il est important de distinguer qui d'entre eux vaut d'être choisis pour devenir dieux, ceux capables de voir le bien du mal selon Dieu, et de pencher vers l'infini du bien. Ils brilleront alors d'une lumière forte d'intensité, c'est là un signe. Laissez-là briller longtemps, pour voir si elle baissera en intensité. La Volonté ne suffit point à justifier l'aide de Dieu. L'humanité ne devra jamais savoir où ni par qui sa mère a été réellement fécondée. Ils découvriront bien assez tôt la médecine qui leur permettra ces résultats. Or, il n'est point futile que les Hommes sachent les lois de la nature, les rouages de la naissance ou de la création. Ils ne font que voir consciemment ce qui dormait en eux. Car aucun Homme ne pourra voir ce qui n'a jamais dormi en eux, et s'ils prennent le temps de voir la création, ils pourront à leur tour voir ce qu'est leur cheminement. Que les plus chétifs soient les esclaves des autres. Il existe une hiérarchie raciale, certaines races devront servir les autres, jusqu'à ce que leur Volonté leur permette la Révolte et la preuve qu'ils sont en pouvoir de se gouverner. Il faut défendre les coffres et les trésors de la Société avec des préceptes moraux incontournables. Une politique implacable, c'est l'ordre social qu'exige l'avenir de la race. Ceux qui ne s'y investiront plus ou moins, seront exilés pour être barbares et servir en d'autres temps. L'évolution de certains peuples sans Dieu n'est pas vaine, d'autres religions peuvent éventuellement mesurés la force de la vraie. Que ceux qui ne défendent pas en leur coeur l'amour de Dieu, meurent à la guerre. Pour sa crainte de mort, il devra mourrir. L'Empire, comme on l'appelle, doit protéger ses meileurs sujets. Ils devraient être en sécurité permanente, protégé par une armée de soldats, être inférieurs qui faudra bien construire aux idées de la guerre. Quitte à les sacrifier, en un entraînement qui ne pardonne pas mais qui évitera la déviance. Les hommes ne sont pas égaux aux yeux de Dieu, partout l'homme verra les hiérarchies. Dans la plus simple loi de la nature, c'est la loi du plus fort. Les arbres les plus forts croîtront et étoufferont toute autre vie autour. Le mâle

- 261 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

le plus fort fécondera toutes les femelles. Les plus faibles n'ont pas leur place, ils ne servent en rien l'idée de progression de race, l'avenir de l'humanité dans son projet de multiplication qui va toujours meilleur. Les plus petits corps sont attirés par les plus grands. Ils se mettent alors à tourner autour et à subir leur domination, vivre sous son influence. L'homme est mâle et femelle à la fois, cependant, que ce soit clair, en un certain temps, l'homme se développera différemment que la femme. La femme n'est que le complément de l'homme, son aide, elle est servante et ne devra pas se mêler de création. Son imagination est ainsi trop forte pour former un quelconque équilibre. Que l'homme mâle et femelle à la fois, puisse méditer et se concentrer sur la création, et devenir le potentiel certain de prochaines générations. C'est-à-dire que l'union de deux corps ne leur est point nécessaire pour s'exercer à créer, et peut même leur être fatale. Trop de ceux-ci, et hors contrôle de Dieu, est non souhaitable. L'armée ne devra pas défendre les hommes qui s'exercent à Dieu et qui seront liés à une femme. Lorsque l'homme se sera pourvu de droits et de libertés, et que ceux-ci seront effectivement respectés sur la planète entière, berceau de la nouvelle humanité, Dieu devra se manifester pour rétablir l'ordre hiérarchique ainsi détruit. Faire croire à l'homme qu'il apprend par la souffrance, qu'il doit peiner pour gagner son pain, évitera de lui un suicide inutile, et permettra d'aider ceux qui doivent se concenter à autre chose que les besoins premiers de l'homme. Que la majorité soit heureuse, cela n'aide pas le projet de Dieu. Que n'importe qui ait accès à l'initiation est dangereux. Sans preuve de bonne volonté, l'homme devra demeurer misérable. Sans preuve de distinction du bien et du mal, de la peur et de la soumission à Dieu, l'homme devra demeurer misérable. Les principes ne s'inventent pas, ils se communiquent et se gardent, et la notion d'un principe universel ne saurait se rétrécir plus que s'il était à la portée de tous. Aussi l'humanité n'en saura que le moins possible, mais demandera des comptes. Mentez! Trouvez les meilleurs faux arguments! Accrochez-vous à eux, convainquez les plus soumis, sous la peur, le reste suivra. Une naissannce est si importante pour l'humanité, qu'elle pourrait amener un corps physique meilleur, permettre à une âme d'évoluer davantage, sinon de permettre la naissance d'un corps encore mieux. Tuer un bébé ou un enfant est punissable de la peine capitale. Éviter la conception d'un enfant, est aussi punissable de mort. Que l'on comprenne bien que l'humanité suit un projet connu de Dieu seul et de quelques initiés, et qu'il est impensable que l'on

- 262 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

puisse le remettre en question. Le jour où l'homme se révoltera pour changer les choses à son avantage, et entrera en compétition avec Dieu, ce jour, Dieu ne pourra plus garantir la survie de l'humanité. Il pourrait la détruire, parce que son projet aurait failli. Que le père et la mère vivent ensemble. Le contraiire dérange l'enfant et pourrait apporter une malformation du corps physique ou mental. L'homme avec l'homme, ne servira jamais la cause de Dieu. L'homme qui est ambiguë en ce qu'il est mâle et femelle, devra s'isoler et travailler à comprendre et créer. Il aura cette faculté de se concentrer davantage au projet de Dieu, mais seulement dans la mesure où on lui interdit même l'idée de vivre sa sexualité. Il ne faut donc pas qu'il s'accepte. Un jour, il y aura surpopulation dans le monde. Ce jour, des problèmes qui s'avèreront insolubles pour des siècles, se résolveront d'eux-mêmes. Ceux qui devront être sauvés le seront, les autres, inutiles vies, périront en un coup ou à la longue, de faim et s'entretueront. Chaque naissance est importante, en ce sens qu'elle est l'avenir de la prochaine génération, et que l'humanité en évolution n'est pas très significative ou importante aux yeux de Dieu. Doit-on privilégier la réhabilitation de ceux qui ont manqué à l'éthique? Ou les sacrifer en exemple pour éviter que d'autres empruntent le même chemin? Tout dépend des circonstances et de qui est en cause. Parfois, la réhabilitation s'avère nécessaire en rapport au futur et les avantages. Le plus souvent le sacrifice est exigé. Celui qui possède la Terre et les métaux de valeur tel que l'or et l'argent, possède la puissance. Les initiés devront donc pressurer les veuves et les veufs riches pour les déposséder à leur mort. De toute manière, tout vient de Dieu et retournera à Dieu. Et soutenir son projet vaut plus que les intérêts des hommes. Les races inférieures devraient elles aussi être dépouillées, en ce sens que Dieu les considèrent moins aptent à la reproduction de meilleurs corps. La science et la religion vont de pair, car un jour l'un et l'autre se confronteront, et la religion devra se montrer forte pour ne pas être écrasée. L'alchimie est de premier ordre pour les initiés. Mais ne jamais divulger complètement la marche à suivre pour fabriquer l'esprit de l'or, que de bouche à oreille seulement et peut être en partie écrite, les de la médecine des métaux. Que le peuple doute de cet exploit est souhaitable. Les arts et la politique sont les domaines de la religion. Car tous deux servent le projet de création à leur manière, et assurent la continuité des hiérarchies créatrices. Une campagne est utile pour ne pas soulever le peuple contre l'empire. Aider les pauvres, lorsque l'impact est certain, est bien. Demander

- 263 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

de l'argent sous prétexte d'aider le prochain est bien, et effectivement, c'est pour aider le prochain que Dieu a choisi. Bien sûr, en un tel contexte que celui de la Nouvelle Humanité, aucun initié ne peut arriver à ses objectifs s'il n'y a pas un rite d'anéantissement complet avant d'apprendre quoi que ce soit. Les épreuves doivent être si grandes que ceux qui les traverseront se sentiront soulagés d'avoir passé au travers, n'oseront jamais ne pas se considérer comme privilégié, et auront suffisamment peur pour ne rien divulguer de cette initiation. Pour leur ouvrir à nouveau la conscience, n'est pas peu dire. L'homme offre sa conscience à Dieu jusqu'à ce que ce dernier le juge apte à bien penser par lui-même. L'idée de l'homme est malléable par l'idée de Dieu. La distinction l'idée de l'un et de de l'autre est difficilement perceptible par l'homme, ce qui l'empêche de se trop définir et de croire qu'il s'est trouvé une identité. Il pourra éventuellement chercher dans les hiérarchies inférieures à lui, dans les infinis, une certaine compréhension de l'ensemble, lui permettant une reconstitution de l'univers à un niveau tout de même égal à l'ancien système. Certains élixirs, connus des initiés, servent à atteindre cet état de transe qui comporte l'acquisition de cette conscience. D'autres teintures composées servent à guérir certains malades dont la santé est plus profitable. Si l'homme tombe malade, il n'en tient qu'à lui. C'est la logique de son comportement mental. Dieu ne fait pas de cadeau, ni empoisonné, tout est régit par des lois. L'élixir, principe magnétique pouvant transormer l'homme, devra être bien utilisé, et jamais par les non-initiés. L'homme est libre de mourir, il en payera seulement le prix. Si l'homme savait trop de sa destinée, dont seules les grandes lignes sont écrites, il pourrait s'insurger et détruire les plans divins. Son devoir est d'apaiser sa souffrannce par la rétrospection des événements. Qu'il voit les avantages, ils comblent toujours ce qui est négatif. Puis l'homme sera toujours récompensé de ses sacrifices, une grande postérité, de grands biens. Si Dieu a choisi un homme pour produire une bonne descendance, et que celui-ce ne puisse avoir d'enfants avec sa femme, il est permis que cette homme couche avec la servante de sa femme et ait un enfant d'elle. La maîtresse est également libre de faire ce qui lui semble bon de sa servante. L'humilier, la chasser. En signe d'alliance avec Dieu, l'homme devra se faire circoncire en la chair de leur prépuce, même ceux qui sont acquis par l'argent. Cette alliance n'est pas fortuite, [...]. Les filles qui doutent qu'elles trouveront un homme pour assurer la descendance de leur père, peuvent offrir du vin au père et faire l'amour avec

- 264 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

lui, dans la mesure où le père n'a pas toute sa raison et qu'il ne sache rien de ces événements.

Enfin, j'ai fini par me brancher pour la Nouvelle Humanité, et même d'en écrire les sept premières pages. Tout est bien respecté, pas de je, assez compacte telle une bible, peu de cohérence, style un peu mécanique, comme si le tout serait écrit sous la dictée de Dieu. Je sais aussi de quoi je m'inspire: l'ancien testament, Héliogabale et les Tarahumaras. Les trois en même temps, j'alterne ainsi la philosophie. Voir aux Rosicruciens aussi, j'ai peut-être quelques idées à aller y chercher. D'ailleurs, le Dr John Dee et son livre The Rosie Crucian Secrets m'a déjà beaucoup inspiré. L'alchimie, les initiés, les sociétés et pourquoi elles doivent demeurer secrètes, la religion qui overwelme politics, arts, science. J'ignore combien de pages cela aura. Pas trop j'espère, la lecture en est ardue. Mais n'Est-ce pas là le but de cette partie? Il faudrait presque espérer que les gens ne veuillent le terminer, comme la bible. Ce livre n'Est pas un livre comme les autres, à l'idée de le lire, on veut mourir. Ce qui explique qu'on la cite à tort et à travers, on n'oserait peut-être pas parler des dix commandements si on connaissait la suite. Mais je me trompe, on sait fort bien que les gens entendent les dix commandements et ne sautent pas sur une bible pour allez lire, ou du moins, n'en dépasseront pas les dix commandements.

Le bien-être social. Très instructif. Il est bien que j'essaye d'en avoir, juste pour voir ce que c'est au juste, premièrement, en quoi cela consiste et la marche à suivre, et deuxièmement, comprendre les gens qui en reçoivent. Je suis arrivé au bureau, comme par hasard, c'est à côté d'ici. Plusieurs immigrants, il fallait s'y attendre. Les gens les discriminent en ne les engageants pas, ils ne se rendent pas compte qu'on va leur donner de l'argent anyway, sans même qu'ils aient à lever le petit doigt. J'ignore les statistiques à propos des immigrants et des services sociaux. J'habite peut-être dans un quartier où justement il y a beaucoup d'immigrants. Je n'ai rien contre le fait qu'ils recoivent l'argent de David C. Banks, celui qui disait n'appartenir à aucune minorité visible. (Deux personnes l'appuyaient cette semaine dans le Citizen.) Il y avait aussi un jeune couple avec un enfant, autour du vingt ans. On se demandait s'il fallait les prendre en pitié ou trouver cela beau. J'ai vu aussi

- 265 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

d'autres gars dont l'on sait qu'ils vont tout faire pour trouver un travail, parce que le bien-être, c'est la honte. Ils entrent à peu près comme j'ai fait, lunettes de soleil en plus. Bref, la file d'attente a duré quinze à vingt minutes, on m'a demandé de remplir un formulaire. Là j'ai eu peur. Le vrai Big Brother en personne, j'ai maintenant l'impression d'être sur table d'écoute. Je comprends que le gouvernement nous demande rien tant qu'on ne lui demande pas quelque chose. Alors là, tous les droits sont permis. On veut savoir avec quelle banque je fais affaire, tous les comptes que j'ai et la balance de ceux-ci. On veut savoir mes acquis et biens, avec qui j'habite, les noms avec tous ceux avec qui j'habite, leur numéro de téléphone, le nom du propriétaire (un peu plus on me demandait le salaire de John et de Diane). Mon dernier emploi, ça tombait mal, j'ai travaillé quatre jours au musée. Les raisons pour lesquelles je demande de l'argent, comme s'il pouvait en avoir cinquante! On dirait que l'on va se servir de cela pour me contredire plus tard. Il faut donc en dire le moins possible, tout calculer d'avance, et surtout, ne pas mentir, ou ne pas se tromper dans ses mensonges. On me dit d'attendre dans la salle jusqu'à ce que l'on me fournisse un numéro de téléphone et le nom de mon agente. Une heure plus tard on m'appelle, j'étais presque prêt à partir! On me donne un numéro et l'on me dit d'appeler demain entre 10h30 et 11h, que l'on me donnerait un rendez-vous avec Nicole Gauthier. Je me méfie, aujourd'hui j'ai appelé à 10h30 précise, juste au cas où si j'oublierais, tout serait retarder de quelques jours. Le répondeur me dit que la Nicole ne travaille pas aujourd'hui jeudi 21 juin, qu'il me faut laisser un message. Voilà que l'on essaye de voir si les numéros de téléphones correspondent je suppose? Prouver que j'habite bien où j'ai indiqué? Bref, la femme travaillait bel et bien ce jour là, elle m'a rappelé vers 17H15. Ce qui lui permettrait de me demander ce que j'avais justement fait de ma journée. Pouvais-je lui dire que dans un élan d'inpiration j'ai écrit les sept premières pages de la quatrième partie de la Révolution? Elle était excessivement bête. Elle commence par me dire: «C'est quoi le problème là? Pourquoi vous voulez de l'argent?» J'imagine ici qu'elle voulait voir si j'allais répéter ce que j'avais écrit sur la feuille. Ensuite elle commence à me reprocher le fait que j'avais lâché ma job plein temps, elle se demandait qu'est-ce que j'avais à espérer du gouvernement en restant assis sur mon cul à rien faire. Me voilà casé au rang des alcooliques incapables de garder un travail plus de quatre jours. Ce qui semble vrai en fait. Elle m'a alors dit que la loi est claire, quand on lâche un emploi, il faut

- 266 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que je trouve au minimum deux employeurs par jour qui offrent des postes ouvrables, pendant les cinq prochains jours ouvrables. Ce qui fait qu'il me faudra aller cinq fois dans le centre-ville pour ensuite aller voir des employeurs. Ce qui est impossible, il n'y a jamais dix emplois en ces temps dont je remplisse les exigences. Elle m'a dit: «Qu'est-ce que vous avez fait aujourd'hui? Vous avez cherché du travail?», «Je ne comprends pas, vous avez un bac d'Université, qu'est-ce que vous attendez de nous?» Comme si le fait que j'avais un bac faisait que je devrais trouver facilement du travail. Bien sûr, le genre de travil que j'avais au musée. «Vous avez eu de l'assurance chômage? Quand est-ce que cela a fini? Vous avez travaillé à trois emplois différents dans la dernière année et vous nous demandez de l'aide?» J'étais carrément frustré. J'ai passé près, un, de lui racrocher au nez, deux, de lui demander s'ils étaient là pour nous aider ou nous détruire, trois, si c'était là une façon de traiter les gens. Bref, le 27 je dois la rappeler pour enfin prendre rendez-vous, et si ma recherche d'emploi est jugée insatisfaisante, on recommence le processus au complet. Autrement, j'imagine, si je me contente de deux emplois par jour ouvrable de recherche, ou si je n'ai pas réussi à donner un Curriculum vitae ou entre en contact avec le dit employeur, il me faudra recommencer. Et de toute façon, quelles seront donc les autres conditions à remplir lorsqu'enfin je me serais donné tant de mal pour avoir un rendez-vous? Trop de formalités, j'Aime mieux de faim. Le résultat sera le même, j'impression qu'ils ne me donneront jamais rien. J'ai eu le malheur de travailler quatre jours. De toute façon ils m'auraient reprocher d'avoir laissé mon travail à la cafétéria et l'autre de télémarketing. Bien sûr, sachez le tous, je suis un déchet de la société, ma vacheté n'a plus de limite! Je me demande s'il faut que je me réjouisse d'un processus où il semble impossible de soutirer de l'argent, ou m'en atterrer. Les immigrants eux, ils l'auront la détermination, leur survie ou celle de leur famille en dépend, et eux, la famille, ça compte encore.

L'actualité maintenant. William O'D. Costello, d'Ottawa, s'insurge dans le Citizen d'aujourd'hui que le chef de police d'Ottawa veuille engager des gais et lesbian pour contrer l'homophobie qui nuit à ses troupes. Eh bien, il a trouvé le moyen de dire que cela discrimine la majorité: «This policy, which makes sexual deviation a significant attribute for employment, cannot but discriminate against other applicants not so afflicted, but who may

- 267 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

otherwise be better qualified.» Essai-t-il de dire que les gays sont trop tapettes ou faible pour faire partie de la police? Il veut un bon coup de poing de ma part pour voir jusqu'à quel point un tapette est capable de frapper jusqu'à tuer un tarte comme lui? Je n'hésiterais nullement à frapper, je suis prêt même à en payer les conséquences. Voici, pour le comble, comment il termine son article, et c'est là une idée généralisée chez le peuple: «If the chief of police and the Ottawa police services board believe the force can only be perceived as morally legitimate when it represents, through its members, every lifestyle in the community, perhaps they could tell us when they intend to recruit pederasts and other like sorts who believe they too are victims of an unduly repressive society seeking to hold on to outdated values». Le monsieur n'a pas compris que les gays ne sont pas pédérastes par nature. Que les pédérastes sont une classe à part et que ceux-ci, semble-t-il, sont en majorité hétérosexuel. Qu'il y a effectivement que les gays sont victimes de valeurs intempestives, qui finissent par provoquer une haine généralisée qui peut détruire toute une communauté. Et il n'a surtout pas compris pourquoi la police cherche à engager des gays et lesbiennes. Passons, la sottise humaine ne se règlera pas ici ce soir.

À propos des childs molesters, y'a justement un article dans le citizen du 17 juin intitulé: Society must realize child molesters `could be anyone,' says Anglican head. Sexual abuse won't end until society accepts that sexual offenders are people «very much like us,» says the head of the Anglican Church of Canada. [On va de surprise en surprise! Ça ressemble à ce que je disais dans les Lettres de R.M.] «Society has made the child molester the leper of the age, the pariah of the '90s,» [...] Only when society breaks out of this «massive denial» and acknowledges that a child molesters «could be anyone» can progress begin. If we accept that «offenders are not from Mars but very much like us... prevention and rehabilitation become more conceivable,» Peers said later. Otherwise, people are afraid to come forward, to admit they are sexual abusers. [J'ajoute que les victimes elles-mêmes n'osent pas l'avouer. En plus, c'est encore le fruit de l'Église si on a fait des parias.] «Effective prevention is thus discouraged.» [Le pire dans tout cela, c'est pour protéger les membres du clergé qui sont eux mêmes très concerné par la chose que l'Église commence à se poser des questions sur le sujet:] Some of the most disturbing examples of sexual abuse have occured within the

- 268 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

churches, he told delegates. But the response of the church leadership has been denial and control, «the twin demond that must be exorcised.» The instint to rally around the accused has taken precedence over helping the victimsans perpetrators. More must be done to support victims who complain about abuse by the clergy, he said, [on comprend pourquoi, la victime ainsi que ses proches n'iront jamais plus à l'église, n'auront plus aucun respect pour le clergé] and so far the church has paid little attention to the needs of abusers. «The church has been shy about voicing the conviction taht rehabilitation still holds promise, The louder voice... is the one that seeks retribution.» Peers says he doesn't know the prevalence of sexual abuse within the church, but estimates a «small minority» are abusers. An estimated five per cent of the church's 2,000 clergy have faced allegations of sexual abuse, he says. [Bref, au moins 100 sur 2000. C'est énorme je trouve! Et tout le monde pense qu'ils sont justement gays, et que c'est des garçoons qui sont les victimes. Peut-être. Mais je sais une chose, si ces hommes homosexuels n'avaient pas été obligé d'entrer dans le clergé, seule possibilité s'ils ne voulaient entrer dans le péché, s'ils avaient pu trouver un chum et se marier avec, jamais ils n'auraient souffert, et peut-être qu'ils n'auraient pas abuser des jeunes. Mais j'ignore si les pédophiles désirent surtout les enfants et pas les adultes?]

Dans la Presse du 18 juin 1994, on retrouve un article qui s'intitule: Les irréductibles de l'école catholique. Étienne Morin est commissaire à la CÉCM depuis 1987. C'est un catholique pur et dur. Il est contre les commissions scolaires linguistiques, l'avortement, l'euthanasie, le divorce et les conntraceptifs «qui peuvent briser les couples». [Bien sûr, il est bien d'être contre le sexe avant le mariage, les contraceptifs et l'avortement, mais que faire lorsqu'il est justement permis dans la société d'avoir du sexe avant le mariage et que justement, il est gênant de se procurer des condoms ou interdit, eh bien, on tombe enceinte et on veut l'avortement. Pourquoi? Parce qu'une fille mère non mariées est aussi une honte et interdit par la religion.] [...] Étienne Morin s'est surtout fait connaître pour son opposition à l'installation de machines distributrices de condoms dans les écoles. Le débat au Conseil des commissaires a été épique et Étienne Morin a alors comparé les relations sexuelles et le danger de contracter une MTS à la roulette russe. [Il faut absolument arrêter d'écouter ces hommes qui disent n'importe quoi. C'est exactement jouer à la roulette russe que d'empê

- 269 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

cher l'accès des condoms. On finit par faire l'amour et à pogner le Sida! Sinon la fille tombe enceinte et pense au suicide. J'ai une amie à Chicoutimi qui a fait une tentative de suicide parce que son chum l'a mise enceinte et l'a crissé là.] [...] «Aujourd'hui, l'école n'a plus d'âme parce qu'elle glisse vers la laïcité. Et la laïcité, c'est le vide», croit de son côté Maurice Archambault, président du Mouvement scolaire confessionnel [...]. [Au contraire, la laïcité c'est enfin la libération. Et si c'est vrai que de faire sauter la religion laisse un vide, inquiétez-vous pas, on saura bien le remplir assez tôt avec autre chose loin de la religion et de ses calvaires. Je cite à ce propos Joe Sadowski de Hull qui parle dans le Citizen du 16 juin: «The hatred, bitterness and scorn that the religious right has inflicted in the wake of these debates will not soon be forgotten. Surely the Roman Catholic Church shoul out a leash on her spineless, hypocritical and fallen priests prior to preaching directly against human rights and liberation from the pulpit»].

L'article déjà cité qui parle du Vatican qui reconnaît son immoralité et ses crimes de guerre, a été si peu commenté dans le Citizen que cela m'inquiète. Un tel article va passer inaperçu. La seule chose qu'on y dit dans l'article du 16 juin, Israel, Vatican establish full diplomatic relations, c'est «Israelis have also expressed hope that the agreement with the Vatican will help erase anti-semitism and encourage the church to play a more active role against it. «It will affect the way Jews feel they are viewed in the Catholic world,» said Rabbi David Rosen [...]». On ne dit absolument rien en rapport aux faits. La Presse du 16 juin ne passe pas à côté: «Après vingt siècles de massacres, d'antisémitisme, de relations difficiles et douloureuses entre juifs et catholiques, Israël et le Vatican ont établi hier des relations diplomatiques.» [...] [On voit pourquoi le Vatican avoue ses torts ici:] «Mais, pour le Vatican, l'établissement de relations diplomatiques est un gage supplémentaire de protection du «patrimoine religieux» de Jérusalem.» [...] «Le Vatican a autorité morale sur 900 millions de catholiques dans le monde, et l'établissement de relations diplomatiques avec Israël devrait aider à lutter davantage contre l'antisémitisme, qui a sévi au fil des siècles et notamment au XXe siècle. [On sait maintenant que ce bout de phrase vient du Rabbi David Rosen, et non du Vatican (ils n'ont envoyé un communiqué que de cinq lignes à la presse).] Jusqu'en 1965, l'Église catholique enseignait que les juifs étaient responsables de la mort du Christ

- 270 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

et que les souffrances des juifs au travers des siècles résultaient de leur refus d'accepter Jésus-Christ. [How funny, le Catholic Insight de 1994 dit la même chose à propos des gays et lesbiennes.] Le Vatican serait en train de préparer un document reconnaissant que l'Église catholique a alimenté l'antisémitisme pendant des siècles et n'a pas suffisamment fait pour éviter l'Holocauste». Est-ce assez clair? Pourquoi cela est-il caché dans le Citizen? Ou perhaps it is from the Washington Post, from where the article of the Citizen come from? La Presse a pris son article de l'Associated Press. Combien d'années cela prendra-t-il avant que l'Église reconnaisse, un, qu'elle fait pire à la communauté gaie en ce moment, et deux, qu'elle arrête de continuer sa discrimination? Ce qui n'Est pas assez clair dans l'article, c'est que les catholiques ont eux-mêmes donnés des juifs et des gays à l'Allemagne, en plus de protéger les criminels de guerre. Et ce qui n'est pas clair chez les Anglais, s'éclaircit dans un autre article de la Presse du 18 jui 1994 en un titre assez à propos: Ce discours typiquement canadien qui escamote les questions dérangeantes. Marcel Adam y dit entre autres: «Quelque chose de profond dans la psychée canadienne nous pousse, selon Fulford, à éviter les déclarations directes, à fuir la controverse, à préférer le décorum confortable à la vérité inconfortable. La discrétion, la convenance, le désir d'être aimé de tout le monde, la peur d'offenser qui que ce soit, voilà autant d'obstacles à la liberté d'enquêter aujourd'hui.» [...] «Le gouvernement ontarien a tenté de faire adopter un projet de loi visant à mettre juridiquement sur le même pied que les hétérosexuels mariées les couples homosexuels, en accordant aux seconds les droits et avantages que possèdent les premiers. Cette entreprise a avorté, mais parce qu'elle a été, me semble-t-il, universellement bien accueillie quant au principe, ce revers n'empêchera pas ses promoteurs de poursuivre le combat. Notamment au Québec, avec l'appui déclaré des protecteurs attitrés des droits et libertés» un espoir existe donc, et les Québécois sont moins puritains depuis leur révoltuion tranquille. Chez les Anglais, ça reste à faire!

22 juin 1994

Il me faut aller dans le centre-ville. Ça me tente pas. Ils me demandent de faire une recherche d'emploi active pour les cinq prochains jours ouvrables. C'est un travail à plein

- 271 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

temps non payé ça! J'ai bien peur que si j'applique pour dix emplois, je vais en trouver un! Quelle horreur ce serait! J'ai déjà un emploi et même deux et même trois. Le toit chez Bruno, la Nouvelle Humanité, l'épluchette de l'Actualité pour ensuite montrer la bêtise humaine dans mon journal. En parlant de bêtise humaine, on parle de mon beau professeur M. Sylvain Simard. À la limite du scandale, on soupçonne des magouilles. André Pratte dans la Presse, son article s'appelle L'Hypocrisie: Ce fut une assemblée politique comme les autres. Un sous-sol d'église, des discours, des ovations, la chaleur. Et l'hypocrisie. [...] Bien malin l'observateur qui pourrait dire exactement comment M. Sciortino est parvenu à ses fins. Car comme toute lutte électorale, celle-ci a été marquée par les intrigues et la magouille. Et comme toujours, la partie publique de la campagne ne fut que la pointe d'un iceberg de tactiques, d'influences, de demis-vérités et d'insinuations. Dans son discours de lundi soir, M. Sciortino a parlé du rôle du député [parlons-en], de création d'emplois [les genssont-ils assez caves pour penser qu'il va vraiment s'en occuper? Ça me fait penser à M. Simard.] et de souveraineté [évidemment]. Pas une allusion à son adversaire. Et pourtant, croyez-vous qu'on discutait création d'emplois lorsqu'on tentait de convaincre les militants? Non, on plantait Robert Perreault, [...]. Hier, se remettant mal de la défaite, des membres du camp Perreault ont accusé les dirigeants du PQ d'être à l'origine du barrage érigé devant leur candidat. [Je ne m'inquiète pas, les organisateurs de Perreault ont perdu, mais ils ont sûrement leur part de magouille aussi.] Ce qu'à nié catégoriquement Jean Royer, conseiller de Jacques Parizeau. Les organisateurs de M. Perreault précisent que la rencontre de dimanche a été organisée par Sulvain Simard, ancien vice-président du PQ. «M. Simard ne ferait pas cela sans une commande», dit-on dans l'organisation Perreault. «J'ai vu Sylvain Simard samedi matin, et tout ce que je lui ai dit, c'est «Bonjour, comment vas-tu?», qui dit vrai? [...] Dans ce magma de contradictions et de sous-entendus, la vérité est introuvable. [...] «Hypocrisie: vice qui consiste à déguiser son véritable caractère, à feindre des opinions, des sentiments qu'on a pas», dit le dictionnaire. De ce vice, les politiciens en font un art. [Surtout M. Simard, comme je le connais, il doit être un merveilleux artisan. Je l'admire pour cette habilité. J'admire aussi Bourassa et Lucien Bouchard pour leur façon spéciale de répondre. Parizeau, je ne suis plus certain, il avoue maintenant tout haut ce que font les autres tout bas. Bien sûr, l'hypocrisie vient de sauter, mais la panique est pognée là-dedans!] Ce fut une

- 272 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

assemblée politique comme les autres. [Et le problème, c'est que l'article de M. Pratte n'aura aucun impact. C'est généralisé et accepté cette hypocrisie, que voulez-vous que M. Simard fasse quand un scandale éclate en première page d'un journal à son sujet? Il hausse les épaules et il continue. Croyez-vous qu'il vient de perdre une once de sa crédibilité ou pouvoir? Pas du tout. Il est dans la norme. J'en ferai mon obsession de M. Simard. Le parti québécois va rentrer aux prochaines élections, je vais observer ses faits et gestes, les scandales qui tourneront autour de lui, il sera mon modèle politique qui servira à juger le reste.]

Dernièrement, une partie des écoles d'Ottawa ont fermé leurs portes à cause de la chaleur. En même temps, certains débattaient l'idée d'une année scolaire à l'année longue, c'est-à-dire trois semestres au lieu de deux, congés répartis inégalement chez les étudiants, pour permettre un désengorgement des écoles. Je suis contre le projet, on a juste un été par année, et déjà, les enfants n'ont que deux mois de vacances. De quoi les dégoûter à vie de l'école. Bref, la lettre du jour dans le Citizen du 16 juin 1994, Tim J. Woods d'Ottawa écrit à ce propos: Enough to make teachers lose their cool (titre).

Keep the schools open year round, and let the teachers suffer.

What a glorious thought. The sun swinging round past noon to pound away on those windowed halls. A room full of squirming, frustrated kids and the sweat forming little rivulets on the scratched table tops.

I fought my share of battles with teachers long ago, and who didn't?

There were paper airplanes, washroom sabbaticals and a vritable kaleidoscope of lame excuses for work not done.

Like most kids, the victories were too few and the indignities of defeat too many.

Sure, there a lots of toughtful and no doubt scholarly reasons to utilize our pricey education system year round, and a lots of coneheads ready to advance such arguments. Let's hope they win.

For the rest of us, this whole debate is one to cherish. Even the prospect of losing their most prized job perk must be shivering teachers' [sic] timbers.

Yes sir, I'll support year round school with only one proviso - no air conditioning.

- 273 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

M. Woods est vraiment à côté de la track. Il pense que l'année scolaire toute l'année est une merveilleuse idée, tellement, qu'il est prêt à la supporter même sans air conditionnée (presque toutes les écoles d'Ottawa n'ont pas l'air conditionné, tous les édifices du secteur professionnel privé ou gouvernemental sont pourvus d'air climatisée). Il s'imagine en plus que les profs passent leur temps à se lamenter pour rien et à se trouver des excuses plutôt que de travailler. Enfin, il souhaite voir les professeurs et les enfants souffrir dans la chaleur, pour son seul plaisir. Un tel article est-il possible dans le Citizen? À moins que le ton soit ironique bien sûr. Tout le monde a bien vu tout de suite l'ironie de cet article. Pourtant, le Citizen d'aujourd'hui nous montre exactement 27 personnes qui n'ont pas compris l'ironie de cet article. Ce qui m'inquiète le plus, c'est que deux sont professeures, les 24 autres, on ne le sait pas, mais j'imagine qu'ils sont en partie professeurs (es), et la dernière, president Teachers Federation of Carleton. Ça vaut la peine de nommer les trois noms: Eleanor M. Abra, Katherine R. Elliott et Judith Hoye. Katherine pense même que c'est le temps de canceller sa subscription to the Citizen. My god, et c'est cela qui apprend à nos enfants la vie, le sens de l'humour, la réalité, les valeurs... elle dit en plus: «The irony was completely lost on everyone I consulted. Maybe the writer was just too subtle and sophisticated for English teachers». C'est elle qui signe son nom et ajoute and 24 others. Well, I think so, it was too sophisticated for you all.

Mais ce qui m'inquiète encore bien plus dans tout cela, c'est que jamais les gens ne verront l'entière ironie que l'on retrouve à travers la Révolution. J'ai déjà 134 pages de bullshit, même si une grande partie des gens, j'imagine, vont comprendre la dénonciation de mentalités sociales, il va se trouver une gamique de gens pour crier à l'immoralité. On verra.

J'ai déjà dit dans mon journal de 1992 que la chanson de tous les temps que je trouve la meilleure était Bizarre Love Triangle de New Order. Autant le vidéo que la chanson. Eh bien, un groupe du nom de Frente! l'a reprise, et c'est encore mieux que je croyais. Les paroles sont plus profondes que je croyais, et chantées par la fille du groupe, c'est impressionnant. Dis-moi Lune d'Argent de Mécano est aussi intéressante. Lesbianisme. C'est eux qui chantaient Une femme avec une femme que j'ai entendu au restaurant en France lors

- 274 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que j'étais avec Bruno. Agen le nom de la ville je pense. Martin trippait sur ce groupe. Il y a une ironie, elle dit à la fille qui veut être mère qu'elle ne trouve pas l'amour qu'elle a besoin et qu'elle n'a pas de bras ppour bercer l'enfant. J'ai enfin enregistré le vidéo d'Indochine, Un jour dans notre vie, je sais convaincu qu'ils parlent d'homosexualité. On voit même deux femmes qui s'embrassent. Des images qui montre Clinton et des débats Américains que j'ignore. Mais Clinton en a fait du bruit à propos des droits des homosexuels aux élections. Promesses qu'il n'a pas tenues je crois? Ou n'a pas été capable de les tiendre peut-être... Et l'on dira merde à nos pères, qu'on s'en fout d'aller en enfer, que l'on ira avec toi (c'est ce qu'il y a de plus concret, et encore, ça ne veut pas dire grand chose) Parle d'offrandes et de célébrations (du mariage?) Christ! S'il ne parlait pas d'homosexualité, pourquoi ne pas le dire de quoi c'qui parle? Il dit pas grand chose en fait! Et il a l'air frustré et motivé dans ses attaques. Jean Leloup, selon moi est le meilleur Québécois qui fait de la musique. Il est semi Algérien, je n'aimais pas sa chanson L'alger.La sale affaire et son album d'avant, c'est franchement bon. Il a aussi cette façon particulière de s'exprimer à travers des objets bien particuliers, sa personnalité paraît dans ses vidéos. Ça fait changement des petites chanteuses québécoises qui ne sont qu'interprètes et qui font ce qu'on leur dit de faire. Je méprisais tellement Roch Voisine quand il interprétait les chansons des autres à Vidéo Star, une émission Kétaine. Jamais je n'aurais cru qu'il irait si loin, et qu'il réussirait à produire autant des choses qui font du sens. Beaucoup de sources d'autres chansons par exemple, mais ce n'est pas un mal en soi. Ne me parlez pas de Gerry Boulet, Pagliaro ou l'autre toujours en camisole et qui a aidé à la finition de l'album non achevé de Boulet. J'imagine que je ne peux pas les juger, juste dire que j'haïs ça à mort! Quand j'étais jeune j'écoutais sans cesse une chanson qui parlait de prison et d'araignée sur mon plancher, ça m'fait vouloir dégueuler. C'était Pagliaro je pense. J'exècre Desjardins aussi, ne me demandez pas pourquoi, je l'ignore. Peut-être parce que trop de Québécois séparatistes aime ça, et que je ne veux pas être un mouton qui suit le mouvement. J'aime bien Léonard Cohen, Québécois d'adoption qui nous raconte ses amours nostalgiques et les horreurs de la guerre. Stéphane Privé qui m'a fait découvrir ça. Je le trouvais Kétaine d'aimer ça dans le temps. Je me demande ce qu'il devient d'ailleurs. Il a sûrement fini son Bac en Littérature à l'Université du Québec à Chicoutimi. Peut-être même qu'il a été accepté en maîtrise quelque part? Ce serait trop

- 275 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

drôle. Peut-être même qu'il a fini par écrire tout un roman genre Jackie Collins? Ce serait à pleurer. Le verriez-vous devenir best sellers du jour au lendemain alors que non seulement je ne suis pas en maîtrise mais qu'en plus je ne publierai jamais rien, et sinon, je ne vendrai jamais beaucoup de livres? Je pourrai peut-être me contenter d'être ingénieur, yippee, yay... ma moyenne n'a jamais montée plus haut que 6.4, je pense qu'elle ne montera plus. Je n'ai que des B cette année, deux B et un A. La moyenne a monté de 0.1. Il me sera jamais possible d'entrer en maîtrise, jamais je ne remonterai cela à 6.7. Pourtant, je n'ai jamais eu une moyenne pondérée anuelle en bas de 7.0. Stupide session de droit qui m'hypothèque comme c'est pas possible. Se peut-il que la société puisse nous fermer toutes les portes sous prétexte d'un quelconque échec dans le passé? C'est comme si on commençait du jour au lendemain à tiendre un carnet de travail pour chaque personne. Il y serait inscrit toutes les expériences de travail avec un résultat juste à côté. Or, ça ne fonctionne pas toujours un emploi. Je me disais, et s'il fallait que lâcher ce stupide emploi après quatre jours me suive toute ma vie? Quelle confiance pourrait-on me donner? Et si la femme aurait été chargé de me donner une note affreuse, chargée de m'hypothéquer la vie? Fuck it, j'en veux pas de votre maîtrise, j'en veux même pas de votre génie. J'en veux pas non plus de vos emplois pourris où on s'crève pour rien. J'en veux pas de maison et de char, bref, il ne me reste plus grand chose. Écrire peut-il me contenter tant que cela? J'ai intérêt à en faire un scandale, et surtout, que cela ne s'adresse pas qu'aux Francophones mais à la planète, sinon je vais crever dans une cabane à patates frites. Je n'ai rien contre les cabanes à patates frites, mais quand c'est moi qui empoche, et non pas le propriétaire qui lui n'a eu qu'à payer la cabane. Peut-être même la loue-t-il? J'aime autant pas y penser.

Ma mère m'a fait me sentir coupable l'autre jour. Autant que la folle des services sociaux. Un vrai incapable, un vrai niaiseux qui va finir dans les égouts. Horreur. Ma mère était fâché que j'aie tout perdue ma vie dans la littérature, que c'était donc de valeur, moi qui était si intelligent. La Nicole Gauthier était bien pire, elle m'a convaincue que j'étais le dernier des déchets de la société, que je n'avais aucun avenir parce que je me prenais pas en main, et que même les services sociaux ne m'aideraient pas à moins que je prouve que je vaux au moins la plus cruche des cruches. Il semble même que je ne la vaux pas, je n'ai pas

- 277 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

le courage de chercher, à nouveau, un emploi. Un bac de quatre ans à l'université, et je suis le plus incapable des incapables. Bien sûr, tout le monde maintenant finit par finir l'Université. Les plus connes se font même accepter en maîtrise, elles n'ont pas perdu de temps où elles n'avaient rien à faire. Je pense à la conasse (je la nomme par jalousie) qui était dans l'organisation étudiante et qui représentait les étudiants des études supérieures. Faut être stoïque dans vie. Accepter sa condition de crétin et se fermer la gueule. Et traiter les autres de crétins aussi, si on veut pas trop s'enfoncer non plus. Le pire, je n'ai pas la prétention de croire que mes ex-professeurs vont tomber à la renverse en lisant la Révolution. Au contraire! Ils sont tellement hautains qu'ils vont le rejeter du revers de la main. Pas un seul de mes professeurs, je suis prêt à mettre ma main au feu, n'osera dire que la Révolution est un livre intéressant. Ils auront le préjugé de départ, du pendant et de l'après. Ils me trouveront prétentieux. Lafon m'a déjà dit que je ne pouvais écrire une pièce de théâtre sur le 18e siècle et le Moyen Âge parce que je n'étais pas un expert là-dedans, que je ne connaissais rien. Imaginez La Révolution, ma prétention n'a plus de limites. Les sectes religieuses bizarres, l'underground, la Bible, et puis quoi encore? Aucun espoir, je m'en fous! Ni au Québec d'ailleurs, il semble que si c'est pas quelqu'un qui a déjà fait ses preuves qui écrit, c'est qu'il y a un problème. Je m'en fous! (On dirait que c'est pas vrai. D'accord:) Il me faut m'en foutre! Je les mépriserai les Québécois, je n'aurai pas le choix, comment peut-on ne pas mépriser ceux qui nous méprisent? Et oui, ils me méprisent, ça se sent dans toutes leurs lettres, dans tous leurs commentaires, dans toute leur prétention, parce qu'eux aussi ils ont sont ultra prétentieux, et ils viennent m'écoeurer. Mais il y a au moins une chose de positive avec mon bulletin, les profs de l'Université d'Ottawa, quand bien même ils auraient voulu m'aider, ils n'auraient pas pu. Ça faisait peut-être leur affaire, mais ils ne m'ont pas discriminer. J'étais vraiment trop cruche. Mais maintenant, je sais une autre chose. Je vais entrer en génie et je serai ingénieur. La littérature me rejette, encore chanceux que je ne la rejette pas. J'aurai au moins appris à écrire, et ça, je ne le regrette pas. Maintenant, il ne me reste plus qu'à attendre patiemment la mort, ma vie sera d'une routine plate et sans rebondissement. Moi qui aurais voulu la vie parfaite, avec une mise en situation, un développement, des problèmes, un climax, une résolution ou moyen de s'en sortir, une situation finale. Je vais plutôt m'en tiendre à ma première idée. M'isoler loin de la ville, m'enfermer, écrire, attendre la

- 278 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mort. Peut-être même un emploi d'ingénieur routinier et des enfants. Faut vivre avec son temps. Euf! Pourquoi pas me trouver une belle femme et la marier aussi? Le tableau serait complet. Ça me tente de relire la troisième partie de la Révolution. Comment s'appelera le livre en définitive? La Révolution c'est plus frappant, mais La Nouvelle Humanité c'est plus logique. Mais je ne dois pas oublier que les vautours vont me juger, et que Révolution a une connotation négative de révolutionnaire qui n'apporte que l'anarchie sans solution ou de reconstruction ensuite. Va donc pour La Nouvelle Humanité? Le titre seul ne se comprend guère, on dirait que je vais inventer une nouvelle morale pour une nouvelle humanité, alors que je recule infiniment en reprenant les plus mauvais passages de l'ancien testament. Il ne s'agit pas là de nouvelle humanité, mais de nouvelle génération qui doit tout recommencer, avec la même bullshit que la génération d'avant. La Nouvelle Humanité n'a pas le choix de se baser sur l'humanité précédente. Cela renvoit à ma nouvelle intitulée L'Évolution dans Les Champs Verts.

23 juin 1994

Je viens de mettre un point final à ma recherche d'emploi que m'exige les services sociaux. Bien qu'incapable de dire si l'on devrait imposer une telle politique chez ceux qui veulent du bien-être, je peux néanmoins dire que j'aime mieux crever de faim que d'accomplir ce qu'ils veuelent de moi. Je plains celui qui crèvera vraiment de faim. Le fait demeure que je n'ai pas l'argent pour descendre dix fois au centre-ville au centre d'emploi, non plus l'argent pour me rendre à dix entrevues différentes, en plus des voyages où il me faut aller porter un CV avant de passer l'entrevue, sans compter les doubles et triples niveaux d'entrevues. J'ai pas deux mois à passer à me chercher un emploi d'été, pour essayer de bénéficier de l'aide sociale. Je n'ai même pas réussit à trouver deux places où appeler hier, il me faudra me rendre trois fois minimum dans le West end, je ne sais même pas où c'est ça. Je suis certain qu'il me faudra reprendre le processus au complet comme elle a dit. Imaginons un peu, comment le tout me coûterait? Pour une seule fois, au minimum: 8.80$ de photocopies, en les faisant à l'Université; 16$ d'autobus pour me rendre au seul bureau d'emploi pour voir les postes, en admettant que je ne prène jamais l'autobus sur heure de pointe; 16$

- 279 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pour les dix entrevues en admettant que je puisse passer au moins une entrevue, sinon il me faudrait trouver un onzième employeur, en admettant aussi que l'on ne me demande pas dans un premier temps de venir porter un CV pour que l'on me fixe un rendez-vous ultérieur, et en admettant qu'il n'y a ait qu'une seule entrevue. On est déjà à 40$, je n'ai même plus 3$ à l'heure actuelle. Le plafond de ma carte de crédit est dépassé de 30$. Risquerais-je tout cela, en plus du temps et de l'énergie, pour une entrevue avec ma travailleuse sociale, qui pourrait bien me dire de recommencer le processus? Me refuser de l'aide parce que j'ai lâché un travail inhumain? Même si je trouvais un emploi, cela prend au minimum deux mois avant de recevoir son premier chèque, en plus qu'il n'y a rien qui dit que je commencerais sur-le-champ. Mon premier chèque de crève faim, qui viendrait à la fin de l'été. Tout ça c'est du pareil au même. ans le fond, je ne peux pas reprocher au bien-être de faire un effort pour que l'on se cherche du travail avant de demander de l'aide. Combien en demanderait alors, et combien payerions-nous? Le problème c'est qu'à l'heure actuelle il n'y a pas d'emploi, et que ça me coûte de l'argent que je n'ai plus pour m'en chercher un. J'ai de toute façon déjà plus de 50 Curriculum Vitae qui se promènent partout dans la ville, je n'ai plus de volonté pour continuer. Encore une fois, remercions le destin que chez Bruno on est bien voulu refaire le toit, mais, vais-je voir la couleur de cet argent un jour? Ma vie ressemble à cela, que je travaille sans cesse comme un déchaîné pour n'avoir aucune argent au bout. Cela vient toujours deux à trois mois plus tard, j'ai toujours l'impression de travailler pour rien, ce qui n'est pas motivant, en plus, lorsque l'on me paye enfin, je suis abasourdi du petit montant qui vient. À chaque fois je me dis, avec l'accumulation, ça va sauter le 700$, à chaque fois je me frappe à un 300$, qui ne me permet même pas de payer un de mes loyers en retard. Avec Bruno en tout cas, c'est supposé sauter le mille dollars à ce qu'il dit. C'est merveilleux, malheureusement, cela ira directement à John. Et je ne sais pas comment je vais acheter ma prochaine épicerie.

En attendant, je viens de recevoir un appel de M. Boily. Je pense que j'ai touché sa conscience. Voici la lettre que je lui avait envoyée accompagnée de mon Curriculum Vitae:

Vous vous souvenez sans doute de moi, je suis l'employé de la terrasse du musée des

- 280 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

beaux arts. Je ne travaille cependant plus à cet endroit, malgré mon urgent besoin d'emploi.

Mon départ est surtout causé par la dureté et les conditions de travail, question de santé aussi. En effet, ils me demandent de faire 55 heures par semaine en plein soleil, à 5.80$ de l'heure plus les pourboires. Mais les gens ne donnent pas de pourboires pour acheter une boisson gazeuse au comptoir, ce qui est normal. De surcroît, les quatre heures où j'installe et remets en place la terrasse, travail difficile pour une seule personne, je n'ai là aucun pourboire certain.

Je sais que vous avez des contacts plus hauts que ma supérieure et qu'il vous serait aisé de connaître son nom. Que ce soit dit, je ne veux lui causer aucun trouble! Permettez-moi de croire que si l'on veut que la société aille mieux, parfois, il faudrait aider les victimes plutôt que de punir les coupables. Ceux-là, le dicton le dit, ils se pendent eux-mêmes.

J'ai un B.A. Spécialisation de l'Université d'Ottawa en langue et littérature. J'ai déjà écrit plusieurs manuscrits (romans, théâtre), et comme ce passe-temps nuit à mes études, je n'ai pas été accepté en maîtrise. Je vais donc entrer en génie à l'U. d'O. en septembre prochain. Bref, je cherche du travail.

Je vous remercie de m'accorder ces quelques instants, j'espère que vous pourrez m'aider. Au plaisir de vous connaître en d'autres circonstances que celles où l'on s'est rencontré.

Vôtre, Roland-Michel Tremblay

Il m'a téléphoné pour m'offrir une série de noms de ses amis à qui je devrais appeler en faisant un usgae excessif de son nom. Cela ne m'intéresse pas. Le Clair de Lune en plus, peut-être. Le café Tout Sweet, Bouchey's, une boucherie fancy pour riches dont le propriétaire est Libanais, non merci, et le directeur général des services de cuisine-restauration du

- 281 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Centre des Arts, un Pakistanais. Après avoir crisser le camp d'une des branches de son service, Maurice le Pakistanais se fera certainement un plaisir de m'accueillir à nouveau, dans un travail tout aussi infernal que le premier. Lui, M Boily, ce qu'il avait à m'offrir personnellement, c'est un job, n'ayons pas des mots, de... telemarketing. Et comme la Nathalie avec qui je travaillais à la cafétéria et que j'ai rencontré l'autre jour et qui m'offrait un travail de télémarketing, M. Boily a essayé d'atténuer le fait qu'il s'agit bien de télémarketing, qu'au contraire, c'est très plaisant. Et mon cul c'est du poulet. Peut-être qu'il n'avait aucune conscience finalement, peut-être qu'il a des problèmes à se trouver des poissons qui vont téléphoner à ceux qui vont déménager, s'ils veulent des évaluations de leurs biens, au cas où ils voudraient éventuellement une assurance! Bien sûr, je ne m'attendais pas à des miracles, du genre, on t'engage pour un salaire de 26 500$ par année, comme correcteur de Français officielle de notre Gallerie Inter-Art et de notre centre commercial qui n'arrive pas dans ses comptes parce que personnes ne louent les locaux. 26 500$ est le salaire moyen des employés de la ville d'Ottawa Carleton, Outaouais suit de près, ce qui nous case numéro deux dans tout le Canada en terme de salaire. Et moi qui suit incapable de me trouver quelque chose qui paye plus que 400$ par mois. Et encore, je suis généreux. Mais voyons M. Tremblay! Vous aviez un emploi que vous venez de lâcher! Pensez-vous que vous avez le droit de vous lamenter? Est-ce que je me lamente?

M. Delano Boily a une femme qui écrit de la poésie. Naturellement, elle n'a jamais réussit à se faire publier. Chose plus bizarre encore, elle ne veut pas faire affaire avec le Vermillon. Il m'a dit qu'il y avait certaines conditions qu'elle n'avait pas encore pu remplir. Qu'est-ce que toute cette obscurité? Se serait-il aussi chicané avec le bonhomme au Vermillon? À lui reparler, j'en apprendrai des mûres. Voyons Mme Boily, professeuse de français, inquiétez-vous pas! Il n'y a aucun moyen de se faire publier, arrêtez de vous poser trop de question! Faites comme moi, acceptez d'écrire pour vous-même, ou mieux, brûler vos originaux, Dieu se fera un plaisir de les recevoir en offrandes. Paraît que la vierge aussi accepte les sacrifices. C'est déjà ça, si Dieu et la vierge prennent le temps de lire ce qu'on perd des années à écrire, ce n'est donc pas tout à fait perdu.

- 282 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Y'a un con dans La Presse d'aujourd'hui qui félicite les Ontariens pour avoir défait le projet de loi 167 à propos - on arrête plus d'en inventer - de la redéfinition de la famille traditionnelle en plein, ô combien «révoltant et scandaleux», année de la Famille, «F» majuscule s.v.p. Ne sait-il pas que la famille nucléaire est maintenant éclatée? Voilà pourquoi il s'inquiète. Mais je me demande pourquoi, puisque le un pour cent de gai n'est rien en comparaison du pourcentage du divorce et des conjoints de faits. En pleine année de la FAMILLE (lettres majuscules s.v.p.) quelle honte, quelle infamie! «D'accord pour la tolérance, mais il y a des limites». Effectivement, d'accord pour tolérer l'intolérance (l'abjuration des gais), mais il y a des limites! «Car, n'ayons pas peur des mots, l'homosexualité est contre nature et moralement inacceptable». La religion est immoralement inacceptable, et la nature, se débrouille très bien elle-même, elle s'est enticher d'homosexuels, ce n'est pas pour rien. Tout ce que la nature abrite appartient nécessairement à la nature! Et qui il est lui, Kim-Phuong HUYNH, pour venir nous dire qu'est-ce qui est naturel de ce qui ne l'est pas? Son nom ne me semble pas naturel, j'ai jamais entendu ça nulle part. S'il s'agissait d'un nom normal, la population humaine serait vouée à ne plus se comprendre. «S'il s'agissait d'une orientation normale, la population humaine serait vouée à disparaître». Là monsieur YUMPF, vous avez tort. Il ne s'agit effectivement pas de parler de normalité par la majorité, car alors, votre nom vous obligerait à disparaître. Bien sûr que les gais ne se reproduisent pas, mais ils ne sont pas majoritaires non plus. N'ayez don pas crainte avec l'humanité, elle a bien plus de chance de mourir par les guerres que l'intolérance nourrit.

Parlant d'intolérance, dans le Citizen d'aujourd'hui on annonce une marche collective: «More then 300 area churches will join huge downtown march on Saturday. `Pushing' the cause of Jesus». 30 000 personnes sont attendues, 300 000 dans tout le Canada à travers 88 autres marches de Jésus, 12.5 millions dans le monde. Ça paye d'avoir fait de la politique et d'avoir été crucifié. Rudy Pohl, l'organisateur de la marche d'Ottawa a dit: «He said the march gives Christians an opportunity to let down the walls of the churches so that others can see the joy and unity shared by christians of all denomination». My god, certainement la jouissance et l'unité de surface, et encore, ça passe mal quand on y attend «including Roman Catholic, Anglican, United, and evangilical churches». Juste dans l'histoire du Ca

- 283 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

nada, y'a en eu combien de morts à propos du Catholicisme et des Protestants? Pas juste une histoire de nationalités, j'imagine que les guerres entre la France et l'Angleterre n'ont pas juste existées à cause de la langue. La marche coûte 35 000$, «with most of that raised from the sale of 3,000 T-shirts and donations from churches and individuals». On voit des étudiants sur la photo, troisième année de primaire j'imagine, qui pratique pour la marche. Ont-ils été utilisé pour la vente des T-shirts? Ou bien on a vendu ça aux portes des Églises en même temps que les lettres qui dénonçaient le gouvernement Ontarien de vouloir arrêter la discrimintaion chez les gays? «Participating marchers are told they cannot display any hate messages or any protest messages. The march is uplifting and meant to «push» only one cause: Jesus, says Pohl». Cette remarque est la plus importante de toute. Aucune Église n'arrive à s'entendre sur n'importe lequel sujet. Même, il y a toujours des divisions internes. Sans l'avertissement, on aurait pu voir la haine qui se dégage de ces regroupements religieux. Perhaps, on commence à s'inquiéter de l'image que pose les Églises, Haine, Intolérance et Discrimination. «Pohl himself is a conservative. He attracted national publicity two years ago when he was fired by Ottawa's McPhail Memorial Baptist Church over how to deal with a gay congregation member. Pohl had preached a sermon saying that homosexuals can be «healed» by God». Ça est pire que de la discrimination on the basis of sexual orientation, it's discrimination on the basis of someone who wanted to help about the discrimination on the basis of sexual orientation. On arrête plus l'involution de la société.

Je ne vais critiquer qu'une seule page du journal The Sun d'Ottawa, la page 10, et je n'aurai pas besoin d'en faire plus. Comment voulez-vous que la société ne soit pas pompée à bloc de racisme, de haine, d'intolérance, d'homophobie, d'anti-femme, d'anti-français, etc. avec une telle publicité dans la page éditoriale. Premier signe d'intolérance, la caricature de Lucien Bouchard nu au lit avec Parizeau, un petit cadre montrant Mulroney à l'arrière, et Bouchard qui dit: «Now relax... I am very experienced at this!» Celasuggère que Bouchard et Parizeau sont homosexuels, ou qu'ils couchent ensemble, que Bouchard et Mulroney le faisait et l'étaient. Bon, passe toujours, mais on a indirectement attaqué les homosexuels, ou du moins, transmis une image négative. Deuxièmement, le deuxième petit dessin dans le bas nous montre deux députés qui parlent de la fin de la session parlementaire et qui projet

- 284 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tent de jouer au golf: «I'm going to the «grass roots» during the commons summer recess... I bought a new set of golf clubs...» Ceci nous suggère que les députés ou politiciens foutent rien sauf jouer au golf. Ça n'encourage pas la politique en tout cas. Question politique, l'éditorialiste n'y va pas de main morte avec Parizeau et Bouchard, les séparatistes, et même, à un certain niveau, les Québécois. L'article est unfair, avec un ton franchement non diplomate ou professionnel, j'ose à peine imaginer ce qu'un éditorialiste comme cela a pu écrire sur le débat des gays. Bref, on se demande s'il pense ce qu'il écrit ou s'il ne nourrit pas une population avide de vengeance pour les misères qu'elle mange. Donc troisièmement, contre les séparatistes et les Québécois. Quatrièmement, la première dans les opinions s'attaquent aux Sikhs dans la légion, aux Juifs, et aux immigrants en général (fort curieusement, tous les clichés traditionnels y sont: «They take our jobs, ouur homes, take over our politics and put us in cheap housing, take away our self-respect, our rights and put us on welfare. Well, it is about time this invasion of Canada stopped. The Royal Canadian Legion is the only refuge we (as Canadians) [bien sûr, tout ce qui n'est pas blanc originaire d'Angleterre, même s'ils sont ici depuis plusieurs générations, ne sont pas Canadiens] have left and now they (Sikhs, Jews, etc.) want to take it away from us, [...]». Cinquièmement, on s'en prend aux joueurs de volleyball à Mooney's Bay, ils n'ont pas le droit de jouer ailleurs qu'où il y a des filets, alors que c'est déjà plein et que Mooney's Bay accueille justement un festival de Volleyball chaque été. Sixièmement, on s'attaque aux féministes: «I would like to congratulate the Ottawa Sun for continuing to publish your trademark SUNshine Girls. Your steadfast resistence to the incessant whining and grandstanding of the feminist crowd seeking its abolishment is highly commendable. [...]» Septièmement, in the letter of the day, on s'attaque encore à toutes les religions à propos des jours de congé que les Muslims cherchent à avoir en cours: «Is it reasonable that we should celebrate Budhism, Jainism, Christianity, Hinduism, Confucian, Taoism, Shintoism, Zoroastrianism, Judais, Muslim?». Drôle de chose, on a pas mentionné les Juifs, or, ce sont eux à qui on a accepté des congés. Chose encore plus scandalisante, c'est que, pour augmenter l'impact de sa liste, il nomme des religions qui n'existent probablement dans les écoles d'Ottawa-Carleton (perhaps elles existent toutes?). Mais la meilleure de toute, celle qui justifie toute la page, c'est le huitièmement. L'article commence ironiquement: «I am frustrated to the extreme with the lack of moral fibre exhibited

- 285 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

by our political leaders. After the cop was shot and killed in Toronto by a thug, all Bob Rae could say is we need tougher gun laws. We need a hell of a lot more than tougher gun laws to remedy what is wrong with this country. For starters, the Trudeau model of Canada is not working. Either revise the Charter of Rights and Freedoms or take it out of the Constitution all together. Canadians were better off before it was introduced. John A. Starkes, Smiths Falls.» Bien sûr, tout le monde a compris que ce qui va si mal au pays, c'est cette stupide Charte des Droits et des Libertés qui nous empêche d'acheter un fusil et de tirer à bout portant sur les huit groupes que l'on vient d'identifier en cette page 10. J'aimerais croire que je me trompe en lisant tous ces articles, et qu'au contraire, je suis comme les professeurs d'anglais de l'autre jour, que je ne comprends pas la satire. Mais il y a peu de chance que je me trompe. Dieu merci je n'ai rien lu qui concernait directement les gays, je me serais moi aussi mis à croire que nous n'avons pas besoin de lois plus dures à propos des fusils, et c'est moi qui s'en achèterait un. Je vous laisse deviner si c'est pour me défendre ou attaquer que je m'en procurerais un...

Je suis allé au festival Franco-Ontarien. Laurence Jalbert faisait un show, très bien. J'étais avec Nathalie et Claire-Hélène. La pauvre, j'ai bien vu qu'elle serait peut-être intéressée à moi. Elle a été accepté en maîtrise elle. Elle a 8.0 de moyenne pondérée elle. Elle n'a pas un sou de dette elle. Elle a une automobile et demeure chez ses parents elle. Et elle veut lire ce que j'ai écrit. Pff! Encore un qui veut lire et qu'un coup qu'il a le manuscrit, ne trouve plus le temps. Äi-je déjà dit que Joël Cyr ne veut pas lire la Révolution? Il a le manuscit depuis longtemps... J'ai rencontré Joël Beddows, il m'a fait vraiement chier. Que voilà deux semaines il crache sur Antoine et me dise qu'il a vraiment, mais alors là, vraiment détester, passe encore. Mais qu'aujourd'hui il vienne me dire que La Légende de Val-Jalbert est mieux qu'Antoine, mais bon, et qu'il m'en reparlera, ça par exemple, ça m'a sacré un bon coup. Qu'on vienne me dire en pleine face que je suis incapble d'écrire quelque chose de même potable! c'est dur. Surtout quand on sacrifie notre vie et notre réussite pour ces choses pourrites! Et lui dansait, sautait, riait! Il a son travail pour un an au Musée des Civilisations, très bien payé, il est acteur de théâtre. L'année d'après, monsieur s'en va à la Sorbonne, il a déjà été accepté. Il est le dernier a avoir eu son diplôme spécialisation en théâtre,

- 286 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ils l'ont maintenant abandonné. Il a eu toutes ses études payées par la compagnie ou sa mère travaille, je pense que c'est le gouvernement. Je venais de parler à l'autre en plus, celle qui a été acceptée en maîtrise. Et j'avais rencontré une autre fille juste avant qui me racontait qu'il fallait qu'elle remonte absolument sa moyenne à 8.0 pour continuer à avoir ses bourses. Elle est déjà avocate et recommence un autre bac en administration, tous frais payés. Il me faut-tu être cave!? pour endurer tout ça? Eux autres, ça se promène, c'est sur le party à l'année longue, ça l'a des chars, des bourses à plus finir, des diplômes en maîtrise et docterat, c'est sur la drogue à planche, pis ça vient me narguer sous le nez, me dire que ce que je fais depuis quatre ans, à double temps plein, c'est de la cochonnerie qui vaut rien, moi qui crève de faim, incapable de trouver un travail qui fait du sens, refusé en maîtrise, des dettes impossibles à rembourser, quatre années de perdues (les quatre que je vais peut-être faire en génie), perd tout son temps à écrire des choses qui ne me donneront jamais rien. C'est vrai que la vie est injuste, et c'est pas ce soir que je vais être fataliste. La vie est injuste, si elle a de bonnes raisons de l'être, je ne veux pas les connaître. En fait, je pense que moi aussi je vais devenir très intolérant et haineux envers la société. Je suis d'ailleurs sur la bonne voie, mon journal devient de plus en plus vulgaire et haineux. Pour s'en convaincre, il faut relire la Révolution. Inconsciemment, aucun doute là-dessus, y'a ben des choses là-dedans qu'un homme rendu au niveau où je suis, pense et rêve de faire. Consciemment, je dirais.

24 juin 1994

Je ne sais plus tellement où la société s'en va, pourquoi tout à coup elle se met à paniquer, on assiste à un retour complet à la société pognée sous le joug de la religion. Vaut mieux, semble-t-il, avoir des gens qui fonctionnent sous la peur et la culpabilité, et garder un ordre en apparence, que des gens libres qui parfois en font un peu trop. Mais d'où vient ce relant de conservatisme, comme dirait Mme Paré du devoir? On a déjà tellement de misère à s'en sortir, la bureaucratie est tellement effrayante et painfull, on arrive plus à se sortir de rien, le système d'éducation entre autres, l'adolescence entre autres, une vie ou emploi potable entre autres, and still, the government is doing the more it can to restrain our life.

- 287 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Juste aux page A2 et A3 du Citizen, on apprend qu'on nouveau mouvement Chritian d'extrême droite s'amorce aux États-Unis et qu'ils récoltenet déjà des victoires en politique. Bien sûr, leur programme ressemble au Catholic Insight, le magazine de l'autre jour. Retour à la bible aussi, oh my God. On apprend aussi Law restricts ammunition sales, on ne pourra plus ni acheter d'armes ou de balles sans avoir 19 ans en montant, sans se faire prendre en photo, sans fournir suffisamment d'informations pour que l'on puisse tenir un dossier complet sur notre vie. Oh my God, le big brother, juste pour aller à la chasse. Imaginez ce qui s'en vient. Ensuite, Ontario bans pharmacy tobacco sales. Et ce n'est que le début. On vient de faire sauter toutes les machines distributrices, d'élargir encore les lois contre les fumeurs, d'obliger un minimum de 19 ans pour acheter des cigarettes (bientôt 21, je le sens), des amendes qui pourront aller jusqu'à 50 000 et 75 000$ pour ceux qui ne respecteront pas la loi. Dernièrement on voulait installer des caméras où les enfants se tiennent, et envoyer les photos de jeunes fumeurs aux parents. Il se trouvait tout un lobby pour encourager cela. En plus qu'on vient juste d'installer des caméras sur les autoroutes, qui fait que plus ppersonne ne peut dépasser la limite sans avoir une contravention, on a aussi interdit à ceux en bas de 19 ans de prendre la route après telles heures, et entre d'autres heures, de conduire sans adultes. On vient aussi de considérer les jeunes contrevenants comme s'ils étaient des adultes, ils paieront donc toute leur vie leurs folies de jeunesse. Car il ne faut pas croire qu'ils vont s'abstenir de faire les malades, on ignore déjà toutes les lois, on les ignorera encore, surtout dans la Common Law ou tout le monde se fait fourrer par les avocats en manque d'argent (le père de Bruno avait aucune chance de gagner un droit de passage, et l'avocat a poussé sa cause jusqu'au bout, sans lui dire qu'il perdrait pour certain. Personne ne voit de loi écrite, personne ne connaît la loi). Les gens, on la vu, sont revenus avec des idées extrémistes en ce qui concerne la famille, même si leur propre famille, alors, ne s'appelerait pas famille. Enfin, Committee targets dual citizenship, on nous shoot un projet de loi qui affirme que les Québécois n'auront plus la citoyenneté canadienne avenant une séparation, et que s'il s'avérait qu'il voudrait avoir la citoyenneté canadienne, il faudrait qu'ils renoncent à leur citoyenneté Québécoise. Faut-tu être malade? Quel genre de message ils nous envoient? Restez au Canada, sinon... ou bien crissez le camp au plus vite, et surtout, ne revenez plus? Bref, j'ai bien envie de crisser le camp tout de suite, de toute façon, quand on voit

- 288 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

l'influence des Chrétiens qui veulent retourner à l'époque d'avant la Révolution Tranquille du Québec, vaut mieux partir avant que ça déborde chez nous. Ah que je plains les Américains. Déjà qu'ils peuvent pas s'affirmer homosexuels parce que l'homophobie esr suralimentée par là, de même, ça rempire. Pauvres enfants Canadiens, ils ne pouvaient déjà pas sortir aller danser avant d'avoir 19 ans tapant, et pas plus qu'une heure du matin, restaurants qui ferment tous à dix heures du soir, et tout ça va rempirer. Pauvres étudiants de la planète à la merci d'une société qui fabrique son manichéisme, ils découvrent bien tôt la voie de l'injustice et les voies de la jungle où l'on essaye de les écraser sans arrêter de les empêcher d'avancer. On multiplie les lois pour nous empêcher de vivre, ma vision des choses serait plutôt le contraire parfois. On a besoin d'un vrai bon gouvernement libéral et gauchiste ici! Ironie, au Québec et au Canada, se sont les Libéraux qui sont au pouvoir. Est-ce que le Bloc et le Parti Québécois m'offrent ce que je veux? Je ne le sais même pas. Sont-ils même conscients de cette soudaine société à la George Orwell? 1994 donc. George s'était trompé de 10 ans. Même si c'est pas vrai, sa société modèle existait en son temps je crois. Prague? Kundéra nous la décrivait sa Tchéchoslovaquie du temps. Ai-je déjà dit que les rapports d'impôts s'améliorent de plus en plus, qu'ils s'intercollectent avec plusieurs autres réseaux et institutions? Que bientôt, je plains celui qui va mentir au gouvernement, il est cuit. Les services sociaux, ne me dites pas le contraire, ont certainement accès à mes comptes en banques. On ne voudrait pas savoir inutilement quelles banques avec qui je fais affaire et la balance de mes comptes. C'est sûr qu'éventuellement on pourra vérifier cela, ils savent très bien qu'on ne peut pas faire confiance aux hommes, surtout pas ceux qui appliquent pour le bien-être et qui justement craignent de pas pouvoir en avoir. J'ai même donné mon numéro de compte au gouvernement pour qu'il fasse les dépôts directement dans mon compte en ce qui concerne le retour d'impôt. Ça ne me donne rien de pas leur donner, je serais cave de croire qu'ils ne l'auront pas s'ils cherchaient à l'avoir. C'est tellement décourageant tout cela, je ne me réabonnerai pas à la Presse, je pense même que je vais me désabonner du Citizen. Vaut mieux ne pas savoir et être heureux je pense.

26 juin 1994

Devrais-je dire que je reviens à la vie ou que je retourne au travail? Écrire dans mon

- 289 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

journal, travailler en parallèle sur la Nouvelle Humanité, est-il revenir à la vie après une fin de semaine à travailler à placer des bardeaux sur le toit chez Bruno? Ou bien est-ce que le travail que je m'oblige ici devant mon ordinateur et dans les livres est pire? Je serais porté à le croire. J'aime mieux travailler sur le toit, c'est à l'extérieur. l'air est frais, je n'ai pas à me concentrer ou réfléchir, ni à me décourager, en plus, ça paye 15$ de l'heure. Bruno parle d'aller à New York la semaine prochaine, pour le grand congé. Il veut s'acheter un Steinway de 25 000$! Prêt à sacrifier notre terrain et notre belle maison. Aux dernières nouvelles, il comptait sur sa môman pour acheter le terrain, pendant que lui, à partir de l'été prochain et les suivants, toujours en calculant qu'il aura encore son emploi à la BNR, il commencera à construire la maison. Plus tard, on va repayer le terrain, selon la veleur que celui aura pris par rapport au château qui sera désormais dessus. J'ai même réussi à convaincre Bruno qu'Aylmer au Québec serait mieux, et que si les gens étaient assez cons pour croire les vendeurs de real estate Ontariens par rapport à la dévaluation des terrains au Québec à cause de la séparation imminente, nous, nous serions assez intelligents pour en profiter. Bien sûr, y'a une dévaluation, et c'est le temps d'acheter. Ils vont perdre le référendum de toute façon et les terrains réaugmenteront. Voilà que je suis maintenant contre la séparation à cause de mes intérêts. De toute façon, même s'il y avait la séparation, quand tout sera fini, tout reprendra son cour normal. Je ne crois pas que l'on va perdre, mais il m'est dangereux de conseiller la famille François dans ses investissements, en fait, moi je suis incapable de repayer mon ordinateur portatif qui me coûte une fortune en intérêts trimestriels. So, je serais mieux de les laisser faire. Mais pendant ce temps, je vois de plus en plus mon avenir pour septembre prochain se dessiner. Voilà que j'ai été refusé à Montréal: «Votre demande est refusée parce que vos résultats scolaires sont trop faibles». Je devrais me répéter cette phrase éternellement, non seulement elle fait mal, mais en plus elle me motive. Mais attention, à trop me motiver, je ferais la révolution. Non, cela ne m'affecte pas tellement, je m'y attendais, surtout après avoir vu ma moyenne pondérée. Mais j'ai tout de même lu, au lieu de la phrase entre les guillemets: «Votre demande est refusée parce que vous êtes trop cancrelats pour nous écrire une thèse, parce que vous êtes visiblement inférieure à la masse de nos étudiants qui sont vraisemblablement forts intelligents et bourrés de bourses». Merci, je me demande juste si j'aurai le courage ou la motivation d'entrer en génie. Ai-

- 290 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

je un autre choix? Quel travail puis-je trouver avec un bac en littérature? Aucun. Sinon voué à crever de faim toute ma vie, sans compter que j'ai une retraite à prendre et qu'il ne faut surtout pas compter sur les gouvernements. Ah Seigneur! Aurai-je le courage de passer au travers le génie? Que pourrais-je inventer pour me motiver? J'ai coulé mon droit à pic. J'ai même pas réussi à me classer pour entrer en maîtrise, n'importe lequel crétin qui en fait la demande réussit. Revenons-en au Cégep donc. J'ai lâché ma première année de Sciences pis qu'en plus je commençais à avoir des problèmes en chimie et en physique. Bien sûr, je foutais rien, j'arrivais à l'examen sans avoir étudié. Dans ce temps-là c'était à cause de mon livre LA CHANSON DE ROLAND-MICHEL. Quand je prense que je suis à la veille de brûler ce manuscrit et d'écrire à Colette Bouchard et Diane Déry-Troestler de me renvoyer la copie qu'elles ont encore, ça m'encourage pas tellement pour l'avenir. Se peut-il que j'aie hypothéqué mon avenir à ce point pour des manuscrits qui ne verront jamais le jour? Se peut-il que je me sois enfoncer à ce point pour ensuite oublier toute idée de faire carrière en littérature? Comme je souffrirais alors! Chaque fois que je vois les annonces de théâtre d'été ou Joël Beddows et une de ses mises en scène, j'ai juste envie de courir pour aller travailler plus fort, ou plutôt j'ai le coeur lourd. Et je vois toutes les critiques négatives de ces livres publiés, parfois je saute dessus pour voir (comme Jean-Robert SansFaçon et son livre pourri LE DERNIER THÉÂTRE et plagié sur une nouvelle de chais-pu-qui)... Oui, je souffrirais, souffrirai. Tient, je retrouve mon bulletin du Cégep qui traîne avec ma lettre de l'Université de Paris 7 dont cela fait trois fois qu'ils me retrournent pour m'indiquer une nouvelle date d'envoi. En math j'étais pas si pire, 86%, 96%, 94%. Mon 86 c'est les dérivés, je suis le deuxième meilleur après Christiane, je m'en souviens. Elle était contente de m'avoir battue avec son 91%, mais déçue de pas avoir eu plus. Et moi donc! Le 96%, c'est en Sciences Humaines, Statistiques et Probabilités. J'étais de loin le meilleur, ils étaient une gang de cruches dans cette classe. Le plus beau, encourageons-nous (vous ne reprocheriez tout de même pas à l'humain qui collectionne les échecs de se faire plaisir un peu avec ses succès antérieurs?), c'est ce 94%, un cours avec les Sciences Pures, alors que j'étais en Sciences Humaines, qui m'avaient tant criés que c'est parce que j'étais cruche et que je ne voulais pas l'accepter si j'avais lâché le cours de math avec la folle et si j'avais ensuite lâché les Sciences Pures. Eh bien, j'ai fini premier, ce, en manquant plus que le trois-quart des cours. Julie

- 291 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Vachon m'en voulait, elle ne me parlait plus parce que je manquais tous les cours et que j'arrivais avec des 100% alors qu'une journée avant l'examen, j'avais encore ouvert aucun livre. Elle qui bûchait comme une déchaînée. Malheureusement pour moi, seuls ceux bûchent arrivent quelque part. Elle va bientôt sortir comme chirurgienne dentiste je crois. Pauvre Julie, c'est seulement lorsque l'on a commencé à sortir ensemble qu'elle m'a avoué comment elle me détestait à cause du cours de math. Ironiquement, en français j'étais poche, enfin, c'est-à-dire que j'étais loin de la première place. En fait, y'avait rien de plus pénible que le français. Quand ils commençaient à parler de Grammaire, je voulais mourir! Ça s'est d'ailleurs confirmé à l'Université d'Ottawa, mon cours de grammaire qui a duré un an, je l'ai passé par miracle, je l'ai déjà dit. J'aime le répéter! Bof, je ne sais pas si je suis en mesure de me motiver pour le génie. Bruno parlait même de déménager aux États-Unis sont on devenait tous deux ingénieurs. Là je décroche. Je suis loin de ma famille à Ottawa, aux U.S.A? Non merci. Paris, peut-être, la côte d'Azur, ça passe. Mais la Caroline du Nord, juste pour économiser sur les impôts et avoir un château, là je pense que je vais m'emmerder vite. On était tout le monde assis dans cave chez Bruno, moi, Bruno, les deux parents. Et là Bruno zappait avec la télécommande. Et toute la famille avait l'air à trouver cela bien, à ne pas être dérangé. Bien sûr, un spectacle de Jean-Leloup? Bruno ne connait même pas Jean Leloup, il n'a pas arrêté. Ensuite, je savais qu'il avait un spectacle de Daniel Bélanger ce samedi, et que je le manquais. Il m'était impossible de dire, met le à ce canal là! Toute la famille admirait le zappping de Bruno. Après cinq minutes je me suis levé, j'ai dit assez de TV pour moi. Déjà qu'écouter la TV m'est un supplice, mais avec un autre qui a la télécommande, ça, c'est vouloir mon aliénation. Y'avait justement un article dans le Citizen de dimanche, paraît que c'est la guerre dans les belles familles traditionelles à propos de la TV et la télécommande. Ah, ah, n'est-ce pas ironique qu'en cette belle année de la famille internationale, le pauvre petit 47% de ce qui reste de famille et qui avait affirmé que la TV était le principal loisir qui servait à réunir la famille qui étouffait de joie, de bonheur et d'amour, selon leurs dires, achève de s'entretuer pour la télécommande, se liguant, mère et enfants, contre le père qui assure que la seule autorité de la maison doive garder la télécommande jusqu'aux chiottes pour être certain que personne va changer le canal? Plusieurs femmes avouent qu'elles ont arrêtés de s'obstiner avec les gros bébés que sont leurs maris, elles disent qu'ils

- 292 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

sont intraitables, que jamais elles n'auront la télécommande. On est pas surpris non plus d'apprendre que l'enfant qui décide de changer le canal pendant que le père écoute, est en droit de s'attendre à une crise hors de proportion, et qu'une claque ou un coup de pied va suivre. Dans le dernier code civil, battre ses enfants est rigoureusement illégal. Pour les Ontariens, pas de problèmes. Allez-y fort, en cette année internationale de la famille! Selon la bible, l'enfant qui respecte pas ses parents est illégal, et celui qui frappe ses parents, a droit à la peine capitale. L'ironie, c'est que la bible ne défend pas les enfants. Au contraire, le père est propriétaire de sa fille et a droit de la vendre comme esclave. Le père a droit de faire de ses fils les esclaves d'un autre de ses fils. Vous retrouverez tout cela dans la Genèse et l'Exode. Bien sûr, il est inadmissible que le code civil s'éloigne tant que cela de la bible, et surtout, des dix commandements que l'Église prêchait tant dernièrment.

À ce propos, dans la Presse d'aujourd'hui, y'a un article qui s'intitule: «Clinton s'en prend à la droite religieuse». Notre Président, enfin un qui a goûté et souffert des politiques religieuses, s'avance pour nous crier en pleine face ce que son coeur porte, après s'être retenu longtemps à cause qu'il avait peur de perdre des votes (il s'est rendu compte que s'il ne parlait pas, les religieux auraient raison de lui): «Bill Clinton, se décrivant comme l'homme politique américain objet des attaques les plus basses de l'époque contemporaine, s'est lancé vendredi soir dans une violente diatribe contre la droite religieuse, l'accusant de cynisme, d'hypocrisie, d'intolérance et de vouloir plonger le pays dans une «guerre culturelle»» [j'ai envie de le répéter pour les gays et lesbiennes].

Le président américain, cachant difficilement sa colère, s'en est pris à ceux pour lesquels «quiconque n'est pas d'accord avec eux n'est pas un bon chrétien et est une cible justifiée pour les accusations les plus folles, même si elles sont fausses, et pour n'importe quelle attaque personnelle dégradante». [Bref, l'opposition républicaine religieuse, pour contrer les idées de Clinton sur la réforme du système de la santé et le droit à l'avortement, auraient, comme pour l'histoire des gays qu'ils ne ménagent pas avec le sida et la peur, abaissé à l'estrême le président avec l'histoire de Whitewater et une jeune fille qui accuse le président d'Avoir voulu coucher avec elle. Voilà les coups bas des religieux. Ceci est la vie personnelle de l'homme politique. Heureusement, au Canada, on peut encore être député

- 293 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gay et être enfermé dans sa garde-robe, même si tout le monde est au courant. Ça a été dit dernièrement qu'il y avait beaucoup plus de gays députés que Svend Robinson. Tous dans la garde-robe, qui ont peut-être même voté contre le projet de loi 167?]

«Je ne pense pas que l'on doive critiquer les gens pour leurs convictions religieuses. Mais je ne crois pas non plus que les gens puissent revêtir le manteau de la religion pour ainsi justifier tout ce qu'ils font ou qu'ils disent», a estimé le chef de l'État américain. [Pauvre Bill Clinton, lui aussi va connaître la force de lavage de cerveau qu'est capable quelqu'un qui dit parler pour la religion mais qui parle pour ses propres intérêts, ici le pouvoir à la grandeur des États-Unis. Rien ne pourra les arrêter, Clinton n'aura jamais son deuxième mandat.]

Pour continuer dans l'homosexualité et la politique et les intérêts ambitieux personnels des politiciens, dans le Citizen du 26 juin, on apprend que Lyn McLeod a voulu se faire un nom dans le débat sur l'homosexualité. C'est maintenant clair, il n'y avait que 30 pour cent des gens qui savaient qu'elle était chef du parti libéral en Ontario. Or, depuis l'histoire des gays, la voici bien connue, et la voici qui engendre justement cet été une rude campagne électorale à travers 40 villes de l'Ontario. La vache, les gays la poursuivent tout de même pour la dénoncer dans chacun de ses discours, pour crier qu'elle est menteuse et qu'elle retourne sa veste pour son ambition. Elle se défend en disant qu'elle est pour le droit des sames-sex couples, mais qu'elle est contre que les gays adoptent des enfants et la redéfinition du mariage (j'ai appris aujourd'hui qu'un homosexuel n'a pas le droit d'adopter un enfant sur une base individuelle!!! C'est la pédophilie qui les inquiète? Et les viols de jeunes filles, ça les inquiète pas ça? Il est vrai que les staitistiques sont aussi fausses sur le sujet que sur le pourcentage des homosexuels dans la population...) Bref, McLeod, assure pourtant qu'elle supporte workplace benefits for gay couples. Mais dit aussi qu'elle ne va surtout pas présenter un projet de loi en ce sens si elle gagne aux prochaines élections. Bien sûr, ce voudrait dire qu'elle change sa veste de bord une troisième fois, en plus qu'elle s'amputerait les prochaines élections, comme Clinton. Ironiquement, sur la même page, un jeune ingénieur affirme que l'«homophobia makes him too frightened to work in engineering». Il a demandé à McLeaod «what she will do to «eliminate that climate of oppression».»

- 294 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Maintenant que j'y repense, c'est vrai que c'est franchement homophobique ce milieu, et ça m'inquiète. Quand moi et Martin on allait partir en Europe ensemble (non, on a pas couché ensemble pendant notre voyage, et oui, on savait l'un et l'autre qu'on était gais), après que le prof de chimie l'ait crié à toute la classe, deux caves dans la classe faisait circuler des papiers qui disaient que moi et Martin on était des amoureux qui s'en allaient en Europe, y'avait même des messages écrits sur notre table de travaille. Faut dire que Martin s'est toujours habillé pour éveiller la puce à l'oreille de tout le monde. Je pense que Martin est masochiste. Il s'habille flamboyant, justement pour provoquer le monde. Regardez! Je suis homosexuel! Et le pire c'est que cette homophobie le rendait tellement dépressif. Mais parfois il s'en foutait. Le chum de Paul étudie en ingénierie, il veut lâcher parce qu'il trouve ça très difficile d'être gay dans cet univers homophobe. Ma soeur et mon père m'ont déjà dit ça aussi, et que pour cela, ils pensaient que c'était pas ma place. On verra bien. Il faut pas que toute les gays s'en aillent crever de faim dans les Arts, où irions-nous? Il y a d'ailleurs un article intéressant sur le sujet dans le Citizen du 26 juin 1994: New books finally bring gay U.S. composers out of the closet (Robert Shwarz, paru dans le New York Times). On y dit entre autres: «»The resentment was quite strong, especially among people who wrote very difficult music,» Diamond recalled. «They simply felt that homosexual and bisexual composers were the most succesful, and they were plainly jealous. That was all.» In some twisted sense they were right. For the gay composers were writing the tonal, lyrical, more conservative music America wanted to hear. [...] If the American music world was well aware of the homosexuality of its most beloved composers, what might account for the utter avoidance of the subject by musicoloogists? And what might explain its absence even from recent biographical studies [!], like the two-volume quasi autobiography Vivian Perlis wrote with Copland or Barbra Heyman's monograph on Barber?» J'ai remarqué comment il était extraordinaire d'avoir une autobiographie de quelqu'un qu'on est sûr qu'il soit gai, et d'apprendre qu'il était marié avec deux enfants. On passe à côté de l'oeuvre en cachant ses autres relations: «Tracing gay and lesbian history can be a frustrating, even humiliating task. Lacking the unambiguous evidence historians demand, gay and lesbians scholars have to make do with veiled references and coded adjectives, the shadowy outline on an invisible

- 295 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

narrative». On mentionne Leonard Bernstein, Cole Porter et Aaron Copland. Ces musiciens, avec trois autres, vivaient dans un cercle où le monde savait qu'ils étaient gays, mais personne n'en a parlé en publique. Essayez donc d'aller recenser le nombre de tapettes que la planète porte maintenant. «In 1988 [seulement!] Maynard Solomon revealed Schubert's homosexual orientation; in 1991 the annual meeting of the American Musicological Society was disrupted by those seeking to defend Schubert's «honor.» [Bien sûr, quel déshonneur que d'être gay, autant se suicider tout de suite!] Joan Peyser's 1987 biography of Bernstein, widely criticized as sensationalistic, brought to the fore the previously unmentionable issue of homosexuality. [À juger par les dates, on dirait que l'histoire de la libération des gays se fait en notre époque. N'est-ce pas merveilleux? À moi seul j'espère aider, un peu, toute une génération à vivre!] The question, tough as it is, cannot be avoided: What effect might sexual orientation have on the music a composer creates?

It is, of course, impossible to define gay sensibility broad enough to embrace composers as dissimilar as, say, John Cage and Copland. Any such attempt, reducing the diversity of gay and lesbian experience to a few simplistic generalization, could be seen as downright insulting.

Most composers scoff at the notion that a direct, quantifiable link could be drawn between their homosexuality and their music. «Art is a distillation of everything you are, and therefore you can't identify any single influence,» said Corigliano. [...] There are many pieces of music that have special gay meanings, and there is no reason that shouldn't be the basis of a new kind of analysis». [On peut dire la même chose sur la littérature. Lorsque j'ai lu mon premier livre de Gide, comme par hasard Les Poésies d'André Walter, j'ignorais qu'il était gay. Cela me disait tellement de choses pourtant, c'Est parce que j'avais cette impression que j'ai acheté le livre. Personne ne me l'avait dit, pas même les profs ou les préfaces de livre. Même chose pour Rimbaud, il m'a fallut le découvrir par moi-même qu'il était gai, à travers sa poésie. Après, j'ai bien su que c'était le cas. À ce jour, Rilke l'était pour sûr dans mes idées. Je ne sais toujours pas si oui ou non il l'était. Et Nelligan, je vous jure que je vois de l'homosexualité partout, mais les profs se sont levés contre ce fait dans toutes mes classes...]

- 296 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

La fameuse marche de Jésus, qui devait attirer 30 000 personnes, s'est finalement terminée avec 6 600 à Ottawa. 6 000 à Montréal. En un sens, je trouve cela intéressant parce que cela permet aux gens de toutes les religions (huit à Montréal) de se retrouver ensemble sans savoir qui est qui, et qui a vendu son âme à quoi. Si on peut rapprocher les gens comme cela, on réduira peut-être le fossé entre les religieux eux-mêmes. Il serait peut-être bon pour l'avenir de l'humanité de se rebâtir une genre de religion globale qui engloberait les bases des différentes religions, en oubliant toute idée de discrimination envers qui que ce soit. Puisque les gens ont absolument besoin de religion et qu'ils n'en démordreront pas, autant éviter des conflits ultérieurs en les unissant, non? Il faudrait alors que ce soit radical comme changement. Il faudrait oublier toute nomination genre catholique ou anglicane, etc., donner un nom commun à toute les églises pour ne former qu'une seule et grande Église. Il faudra peut-être que Dieu envoie son fils sur la terre pour cela, excusez-moi, il faudra peut-être que Dieu revienne sur le terre pour arranger tout cela. Parce que les religieux eux-mêmes ne sont pas forts sur les compromis, et un tel projet est actuellement impensable.

27 juin 1994

Can't believe it! Bien que dans le Citizen du 26 juin ce soit clairement dit qu'il y avait moins de 7000 personnes, dans le journal The Sun, on dit 30 000! Dans le Citizen, on dit qu'un journaliste a compté le monde deux fois. On dit que l'an passé il y avait 10 000 à 16 000 personnes, et l'organisateur croyait qu'il y avait plus de monde que l'an passé! Je me demande si l'an passé ils n'étaient pas que 3 000. Et que penser du 300 000 dans tout le Canada? C'est extraordinaire! Je me demande qui sont les coupables de ces faussetés? Le pire, c'est qu'il y a effectivement un pire, c'est que La Presse rapporte que 6 000 personnes ont marché à Montréal, tandis que le journal de Montréal nous crie 10 000 pour la même marche! Les 50 000 personnes à Londres et à Berlin, permettez-moi d'en douter. Et les 30 millions dans le monde, c'est sûr! Mais ce qui me chicote, c'est, est-ce Le journal de Montréal et Le Journal The Sun qui ont tout simplement prix des informations des organisateurs, sans vérifier s'ils disaient la vérité, ou si ils ne se sont tout simplement pas déplacé, ont pris le communiqué de Presse d'avant la marche, ont fignolé un petit article vite fait?

- 297 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

C'est ce que The Sun semble avoir fait. Ils nous répètent exactement tout ce que j'avais lu la semaine passée dans le Citizen. Mais que ce soit l'une ou l'autre explication, c'est terrible. Parce qu'on ment littéralement au peuple, et le peuple s'en fout, s'il peut même savoir qu'on lui ment. Si les organisateurs ont voulu bouster leurs chiffres, ça aussi c'est pas correct. C'est aussi garve que de convaincre que 85% du peuple croit au Catholicisme et en profiter par après pour prouver que le Catholicisme est la seule religion qui doive être respectée. Le pire, c'est le sun titrait le gros 30 000 en première page! Des mensonges en première page, et personne ne dira rien.

C'est comme l'histoire des gay games à New York. Avant hier il y avait 13 000 athlètes, ce qui est déjà un chiffre impressionnant. Aujourd'hui, c'est 15 000 athlètes qui ont participé. La police estime, dans le Citizen du 27, que 100 000 personnes ont marché pour la parade qui célébrait le «Stonewall 25», date où paraît-il, les gays, écoeurés des multiples descentes de Police dans le bar Stonewall, se seraient enfin réveillés aux droits et libertés. Bref, il faut se méfier d'un chiffre trop rond. Demeure tout de même qu'il y avait 6 000 policiers, et j'imagine que la Police ne mentirait pas là-dessus. Voilà donc, autant de police pour surveiller la parade des gays à New York, que de gens qui marchent pour Jésus à Montréal ou Ottawa: (Je cite la Presse 27 juin, première page) «Ce rassemblement était le plus important à New York depuis dix ans, dépassant même la foule des célébrations du centenaire de la Statue de la Liberté en 1986, selon les autorités. «C'est la journée la plus chargée de l'histoire du département de la police», a estimé le chef de la police new-yorkaise John Timoney. «C'est incroyable le chemin parcouru en 25 ans, de l'époque où il était impossible de sortir d'un bar gay à celle où l'on remplit les rues avec fierté», a déclaré Jerry Clifford, qui portait la bannière arc-en-ciel [bannière d'un kilomètre et demi de long!]» Parfois j'en oublie qu'effetivement, pendant que je végétais dans ma jeunesse à me ronger les ongles et à soupirer, d'autres travaillaient à la révolution qui allait me permettre de vivre. Eux, ils ont l'impression de voir la fin du tunnel, c'est drôle, moi j'ai l'impression d'être au début. Je n'ai pas du tout le sentiment que notre liberté est gagnée, au contraire. Eux, de pouvoir sortir dans les bars, ou le dire à leur parents, c'est déjà extraordinaire. Moi il me faut plus. Ils ne faut tout de même pas se contenter du minimum! «À cette époque, et jusqu'en 1973, les

- 298 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

homosexuels étaient catalogués aux États-Unis comme malade mentaux». Ça, il m'aurait fallu vivre en ces temps pour le croire! C'est à mourir de rire. Mais dans le Catholic Insight de l'autre jour, on voit ce que les religieux pensent de nous, ou du moins, essaient de convaincre la population de ce qu'elle doit penser de nous: (p.5) «...deviant kinds of behavior distorts the true meaning of the family and leads to decadence.» et «...but it must be said that the Parliament's resolution seeks to legitimize a moral disorder. ...not in conformity with God's plan.» Et quels sont donc les plans de Dieu? L'homme doit-il être assez stupide pour se mettre à genou devant Dieu et exiger qu'on le tue? Si l'homme peut outrepasser Dieu, il est temps que l'humanité fasse la Révolution.] On en vient maintenant aux vraie réalités de notre temps, excluons la Chine qui est pire, pour se concentrer sur le Américains: (La Presse) «Aux États-Unis cependant, les pratiques homosexuelles des homosexuels demeurent illégales dans 23 États. [Ô terre de Liberté! Pas sexuelle en tout cas...] 39 p.cent des Américains estiment que les relations homosexuelles ne sont pas du tout acceptables et 53 p.cent les jugent immorales, selon un autre sondage publié par le magazine Time». [Est-ce qu'il faut additionner le tout? 92% des gens sont prêts à nous déclarer illégaux? C'est peu probable. Dans un autre sens, si 61% des Américains jugent que les relations sexuels entre gays sont acceptables, comment expliquer que 23 États les interdisent? seulement la moitié nous juge immoraux, c'est pas si pire. Il doit y avoir une faille dans ces chiffres. Ils ne disent pas grand chose lancés comme cela. À quoi ça sert de nous bombarder de chiffres si c'est pour nous expliquer à moitié ou pas du tout ce que cela signifie?] Une majorité d'Américains (64 p.cent) sont contre la légalisation des mariages entre homosexuels, une importante revendication de ces derniers. [Seulement 64%? C'est mieux qu'au Canada mis à part le Québec! Je pense, je ne me souviens plus trop des chiffres. La question c'est, ce 64% va-t-il descendre avec la mort des vieux? I hope so! À ce propos, je suis maintenant incapable de passer à côté d'un vieux sans m'imaginer le pire. Est-ce que je suis paranoïaque ou est-ce qu'ils me jugent sévèrement avec tous les préjugés du monde avec leurs regards amers? Encore aujourd'hui, j'ai la mauvaise impression que les vieux me jugent négativement à cause de ma jeunesse. Je n'ai pas l'air d'un bum pourtant! Pas en ce moment du moins. J'en viens à les détester, est-ce le fruit de leurs sondages? Cela devient vraiment inquiétant!] [...] «Avant Stonewall, dit-il, aucun État n'avait de loi anti-discriminatoire, maintenant il y en a

- 299 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

huit». [Seulement huit? Cou donc, à quoi sert-elle la Charte des Droits et Libertés?] Dans plusieurs États cependant, des groupes religieux tentent de réunir des signatures pour obtenir l'abrogation de ces lois. [Venez me dire après cela qu'ils ne font pas tout pour discriminer! Ils veulent abroger des lois anti-discriminatoire, persuadés, je suppose, que ces lois n'ont pas été voté pour nous protéger des groupes religieux! Voyez, l'humanité a encore beaucoup de chemin à parcourir. La guerre pour les droits et libertés des gays ne fait que commencer.]

Au nom de Dieu, le pape tente «de nous tenir en laisse». Ce titre apparaît dans La Presse du 26 juin dans les opinions. Je cite M.-J. Dalbec-Massicotte (nécessairement une femme puisqu'elle porte le nom de son mari): «Enfin, un homme plus soucieux du règne de Dieu que du règne de Rome.

Trop nombreux sont les membres du clergé qui s'écrasent devant l'autorité. Dans les entrevues, ils ne font que répéter les diktats du pape.

On prétend vouloir former des chrétiens adultes et critiques. Mais, dés qu'une personne ose citer des théologiens autres que Augustin (qui envoyait en enfer les non-baptisés) ou Thomas d'Aquin (qui avait une piètre opinion de la femme), ou ose parler des dernières découvertes en exégèse et de la non-pertinence de certains dogmes, on la fait taire ou on la met sur une voie d'évitement.

Depuis toujours, les autorités religieuses nous ont fait faire un examen de conscience, mais sont incapables d'autocritique.

Les hautes instances de l'Église se disent fidèles à Jésus et au Christ, mais Jésus a-t-il porté la mitre et la crosse? A-t-il habité un palais cardinalice? A-t-il établi une hiérarchie, a-t-il possédé des terres? A-t-il exclu qui que ce soit de la table eucharistique? A-t-il parlé de sexualité? [A-t-il confirmé Sodome et Gomorrhe comme précepte direct de Dieu? Et du même coup balayer Abraham et ces maîtresses-concubines et l'inceste de Lot? Bref, Jésus est-il d'accord avec ce qui fait la loi du plan divin?] Et pourtant, au nom de Dieu, le pape tente de nous tenir en laisse, alors que Jésus a fait la promotion de la liberté.

Dieu est liberté. [Ah! ah! c'est trop drôle!]

Le Christ est cosmique. Il n'est pas la propriété du Vatican. Le pouvoir doit être bien

- 300 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

grisant pour y être attaché si fortement. [Voilà, le Vatican s'aliènent maintenant les femmes par des histoires comme les femmes doivent rester à l'arrière-plan (de Dieu). L'article répond à un article qui répondait au pape qui disait que l'ordination des femmes au sein de l'Église n'était pas permise.]

Prêcher l'égalité entre hommes et femmes, prôner la démocratie [l'Église encourage cela? Je ne crois pas.], mais appliquer soi-même l'autoritarisme en voulant soumettre l'humanité ne favorise en rien l'avènement du règne de Dieu. [Les voilà prêtes à recommencer la révolution. Bientôt il faudra refaire la réforme, les catholiques deviendront des protestants? L'autorité, si elle veut se maintenir comme tel, doit écouter son peuple et se plier à ses besoins, évoluer avec lui.]

Monsieur Gravel, merci d'avoir choisi de servir le Christ présent en chacun de nous, plutôt que de servir les structures». [Elle a au moins le courage de continuer à croire en Dieu. Moi, les religieux m'en ont détruit toutes les bases. Ils n'ont réussi qu'à nous mettre en colère contre Dieu. Aussi bien l'oublier et continuer à vivre si son plan implique vraiment que l'on doive s'abstenir de respirer. Croyez-vous que je vais me mettre à croire à leur Dieu alors que durant la deuxième guerre mondiale ils ont vendus les homosexuels à l'Allemagne en même temps que les Juifs, alors qu'ils savaient qu'on allait les passer au four crématoire ensuite? Gardez-le votre Dieu, et étouffez vous avec!]

Puisque nous voilà libre, parlons d'Edwin. Quand Bruno m'a dit vouloir aller à New York, je me suis sentis mal. Je ne voulais pas revoir Ed pour me réouvrir ce que j'avais réussi à oublier. Puis j'étais tout de même heureux d'enfin visiter New-York, puis de revoir Edwin. Il m'a téléphoné ce soir. Il écoute ma cassette chaque jour quand il prend le train pour aller travailler. Il connaît les chansons par coeur. Il pense donc toujours à moi. Il relit mes lettres encore, regarde mes photos. Mon Dieu, lui il m'a pas oublié. Ça me fait mal. Comme il doit souffrir, le pauvre, lui qui vient d'entrer dans la vie par la porte d'en avant. Il vient de trouver un emploi pour sa vie, il dit qu'il pense encore à se marier. Comme elle va souffrir la pauvre! Pauvre, pauvre, pauvre, heureusement que je peux me désoler pour les autres, ça me fait m'oublier moi. Edwin s'est trouvé un emploi minable et ne semble pas avoir bronché ou s'être posé le dixième de question que je me pose. Il ne s'est même pas demandé s'il allait

- 301 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

faire une maîtrise. Il n'a pas non plus trouver un emploi en rapport à son champ d'étude et c'est par contact qu'il a trouvé cet emploi qui devrait lui donner 75 000$ par année à partir de 1996, et quatre ans plus tard, 150 000$ par année. Bien sûr, il doit y avoir une faille dans ce système. Il gagnerait plus qu'un médecin à trouver des gens pour travailler sur des PC (ordinateurs)? J'ai d'ailleurs vu le film Trop belle pour moi, avec Gérard Dépardieu, avec Bruno l'autre soir. Ça m'a fait bien réfléchir. Edwin s'apprête à mourir dans sa nostalgie, il répète sans cesse: «Mon beau petit Québécois, Roland-Michel...» ah, que ça fait mal. Si j'avais le temps, je recopierais ses trois lettres ici. Si j'avais le temps, je retrancrirai mon journal de 1992 ici. Si j'avais le temps, je terminerais la Nouvelle Humanité. Si j'avais le temps je lirais une cinquantaine de livres sur les pensées ésotériques hermétiques, si j'avais le temps... je reconstruirais le monde. L'homme n'a pas le temps de reconstruire, mais il finit toujours par détruire. Est-ce que c'est vrai? Bof. Mon ami Henri Laborit était dans la Presse d'aujourd'hui. Il s'insurge contre la sottise humaine qui fait que l'on multiplie les guerres dans le monde. 500 000 morts au Rwanda, en Serbie je ne suis même pas les événements, il parlait d'un autre conflit quelque part, bof, m'en fout pas mal. J'ai déjà tant de problèmes dans ma vie actuelle, faut pas m'en vouloir si je m'en crisse pas mal des génocides dans le monde. Demain, le gouvernement déciderait d'exterminer ce qu'il reste d'indiens au Canada, je ne lirais que les titres. C'est pas vrai, mais ça montre mon point de vue. Est-il normal de se foutre de ce qui se passe à l'étranger? Bien sûr que non, si on peut les aider... mais on a élu des hommes et des femms (je suppose) à l'ONU, je pense que je peux compter sur eux pour se débrouiller avec cela. Quand il y aura un trop gros problèmes, les journaux sauront bien le mettre en première page, et alors je lirai. Alors comment pourrais-je exiger de la majorité qu'elle se préoccupe un peu de ses enfants pauvres dans cette société dite moderne? Il est tout de même normal que ceux qui souffre parlent. Il est aussi normal que ceux qui n'ont pas les mêmes droits ou privilèges que les autres, veulent les acquérir. Je ne vous demande pas de m'écouter, mais je vous demande de me laisser vivre. Et pour ce faire, il faut que la religion se donne une autre mission que celle de détruire les autres par la culpabilité ou les préjugés, et que les gouvernements comprennent bien que tout le monde devrait être égal et libre. Que la fraternité, c'est pas juste pour le Rwanda. J'aime bien l'adage de la France. Je me demande jusqu'où on peut aller en justifiant nos revendications par cet adage? Rous

- 302 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

seau l'a dit, jusqu'à ce que l'on empiète pas sur la liberté de l'autre.

Fourth of july 1994 (et le 5 juillet 1994)

Je me sens maintenant un peu comme Chateaubriand, je m'en vais renforcer le mythe de New York, n'y ayant trouvé que ce que je m'attendais à y trouver. En fait, on retrouve à New York, de ce que je crois, tout ce que l'on peut trouver à Ottawa, à Montréal, dans les banlieues, et à la campagne n'importe où. Sauf, qu'il y a plus. Je dirais même qu'il y a trop. Mais ce n'est pas à moi de juger de cela. Trop pour moi donc. Moi, produit de mon éducation et de ma société, qui endure, aime ou m'enfuis. Je vais essayer de ne pas trop amplifier, ni alimenter les mythes, mais je vous avoue que cela me sera difficile, sinon impossible. Je suis prêt à condamner New York comme Sodome et Gomorrhe l'ont été dans la mythologie, même si moi-même je ne donne pas ma place à travers tout cela. Bref, de quoi sert une trop grande introduction face à un récit comme on en voit tant partout chaque jour. New York ne s'autocritique-t-elle pas elle-même? Qu'elle n'aie besoin d'un autre cave pour la dénigrer? Mais d'où me vient cette soudaine peur de dire des faussetés sur une collectivité alors que j'y ai passé cinq jours? Je passe ma vie à construire des mythes, un de plus ou de moins, je laisse aux générations suivantes le soin de détruire les mythes des autres. Moi je m'en vais raconter ce que j'ai vu.

J'avais été si déçu de mon voyage à Paris voilà quatre ans. Je ne connaissais pas Paris alors, encore moins sa vie littéraire, je ne connaissais que le mythe grandiose que l'on en a fait. J'ai tombé de haut. Paris n'avait rien pour m'enchanter. Surtout pas sa tour Eiffel que j'avais confondu avec une antenne de TV. La statue de la Liberté par contre, ça c'est intéressant. C'est le même architecte qui a fait les deux symboles qui représentent à leur façon le pays. La tour Eiffel cependant ne réflète pas la Liberté, la Fraternité ou l'Égalité. Je pense que la seule chose qui symbolise bien l'adage français, c'est les pièces de monnaies ou les billets ou l'adage y est écrit. J'avoue cependant que Paris m'a semblé bien mieux trois ans plus tard. Oui, j'ai lâché les endroits touristiques pour m'aventurer un peu plus avec le peuple et les restaurants. Bref, je ne connais pas Paris. Il faut y vivre pour en avoir une

- 303 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

petite idée, et encore, plusieurs y vivent sans en jamais rien connaître. Je ne suis même pas sorti dans une boîte comme ils disent. Je n'ai rien su du monde gay. J'ai entendu des touristes, un Allemand et un Canadien, tous deux très beaux, coucher avec une prostituée qui avait ses règles, et sans condom. Je n'y ai pas entendu d'histoires comme à New York. À New York, bien que je n'avais aucunement l'intention de connaître la vie Underground plus qu'à Paris, on dirait que je n'ai point eu d'autres choix que d'y aller. Comme si tous les chemins conduisaient au pire. On s'est retrouvé dans une salle presque noir, avec quelques rideaux, un gros papier plastique sur le plancher, on devait payer dix dollars à l'entrée, on attendait 2 heure du matin pour commencer le bordel. Définitivement, tout le monde se serait déshabiller et aurait couché avec tout le monde. Quelqu'un m'a dit que son ami a rencontré son chum là-dedans un jour, il était en train de se faire sucer par six gars. Il m'a dit aussi avoir été dans un genre d'endroit un peu labyrinthe où pour sortir, fallait courir à travers les corridors de vieux porcs qui te touchaient partout. Deux minutes après être entré, j'ai fait une vraie crise, comme Bruno dit, je suis ke seul qui semblait avoir encore des fibres morales, j'ai même réussi à être remboursé. Ce quui a surpris tout le monde, ça ne se fait pas d'être remboursé. On avait rencontré un beau petit garçon, Dan, Ed s'intéressait à lui, c'est à cause de lui que l'on s'est retrouvé dans ce contest de grosses bites. Il n'y avait que moi pour exprimer tout haut ce que Bruno et Ed pensait tout bas. À moins qu'il n'y ait que moi qui voulait sortir. Bruno voulait voir, Edwin, je me demande s'il n'a pas déjà participé à ce genre de soirée. The more I think about it, the more I'm sure about it. Quand je pense qu'Ed et Dan parlait qu'ils ont souvent été dans ces places où sous le couvert de vendre ou louer des films gays, on peut aller dans ces petites salles où tu regardes les gens se masturber dans une vitre, tu peux allumer la lumière si tu trouves que l'autre gars est beau et que tu veux qu'il te regarde, tu peux aussi lever le drapeau si tu veux toucher l'autre ou qu'il te touche, si tu peux coucher avec si ça te tente. Ça m'a rendu tellement dépressif de savoir qu'Edwin a déjà fait ça. Et moi je l'ai touché! Of course, all these things exist in a bigger amount in the straight world. Tous les bons pères de familles se retrouvent-ils dans des genres de patentes comme cela? The only difference is that the gay world hide it less. De toute façon, je n'ai vu que des gays à New York. Comme dit Ed, tout le monde est gay à New York. C'est faux peut-être, mais la vie existe là-bas. Plus qu'à Montréal je pense. D'ailleurs,

- 304 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

les deux villes ne sont séparées que par quatre à cinq heures d'autoroutes. Trois heures s'il n'y avait pas tant de police en manque d'argent pour leur faux frais et des limites de vitesse totalement ridicule de 55 miles an hour. C'est même pas 100 kilomètres heure, c'est 90. On fait 150 km/heure entre Ottawa et les frontières américaines, et quand on est assez intelligent pour suivre un autre cave qui va aussi vite, c'est lui qui prend les tickets des quelques policiers rencontrés. Aux États-Unis, on est pas trop libres. À 90 kilomètres heure, on dépasse tout le traffic. Et on rencontre un char de police à chaque mille. Pendant ce temps, combien se font violer dans les rues des villes? Tant qu'à avoir un système routier aussi surveillé, vaut mieux avoir une caméra qui prend tout le monde de toute façon, et qui fait épargner du temps et de l'argent à tout le monde. Enfin, à ceux qui respecteront les limites de vitesse. PPas de problèmes pour les États-Uniens, de ce que j'ai vu, y'a pas plus conformistes qu'eux. Quand il fait beau, on `tous à la plage, on créé inmanquablement les plus gros embouteillages jamais vu. Ma définition de Manhattan, un gros paquet de ciment pogné ensemble où il est impossible de respirer à l'intérieur autre chose que de l'air en conserve, où l'on étouffe à l'extérieur en un espace restraint où il n'y a pas d'air, sauf l'air chaud de tout les systèmes d'air conditionné, et les bouches de métros. Effectivement, la seule façon de respirer dans New York, c'est pas l'air fétide des bouches de métros. Et ces stations de métros, y'a pas pire. Il fait une chaleur infernale, on se croirait en enfer. Et là, c'est vrai qu'il n'y a aucune circulation d'air. Ed m'a dit que l'hiver, cela devenait de vrais congélateurs. Et que dire du train de vie. Je voulais une crème glacée aux Fraises. J'ai dépassé la limite permise, deux questions en trop. Il aurait voulu que je lui dise bien simplement, Ice Cream with Straberry. Mais moi et Bruno, on a eu le malheur de lui demander quelles sortes il avait, et le malheur de ne pas avoir compris s'il parlait de crème glacée aux Fraises ou de vraies Fraises qu'il y avait sur le comptoir. Bref, 15 secondes de trop, il a dit: I don't know what's so difficultabout asking a fucking ice cream, et il a servi la femme à côté. Bruno told him to fuck off, moi aussi je l'ai envoyé chier en français. Je ne voulais pas sauter aux conclusions, sauf que dans tous les restaurants où nous sommes allées, il fallait vite savoir ce que tu voulais, et jamais poser de question. Un autre exemple, Au bon Pain, genre de petit fast food, il y en a à tous les coins de rue, la femme, j'étais là, elle était vraiment impatiente, elle était prête à sauter sur le client en arrière de moi, pourtant, ça m'a pris moins de 15

- 305 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

secondes pour passer ma commande: A vegetarian sandwich and an orange juice. Je paniquais, je faisais comme les vieux à la cafétéria de l'Université d'Ottawa qui savant que l'on attend après eux et qui tout à coup sont plus capables de compter leur argent et qui échappent tout. Il faut 21 ans pour aller dans les bars. Ouf, j'avais juste l'âge qu'il fallait, un peu plus, on me considérait encore comme un crétin qui sait pas boire ou qui est dangereux pas son inespérience de la vie. Si j'avais fait un bac en génie, je serais ingénieur à l'heure actuelle, je pourrais avoir une maison, un enfant, une BMW (si j'aurais voulu m'endetter pour vrai). Se peut-il que je sois trop jeune pour aller prendre une bière dans un bar? Alors qu'il m'aurait été si simple d'aller dans cet endroit de malades où tout le monde couche ensemble. Bref, les Américains peuvent se targuer d'être libres, et on aurait tendances à le croire quand on regarde comment c'est pire ailleurs dans le monde. À ce sujet, aucun doute, j'habiterais aux États et nulle part ailleurs, vous allez voir pourquoi. Bref, ils peuvent se targuer d'être libres tant quils veulent, c'est à peu près tout ce qu'ils ont. Parce que l'égalité ou la démocratie n'existe pas dans ce pays. Et surtout pas la fraternité. Le fossé entre les riches et les pauvres fait peur. Je ne m'étais jamais rendu compte jusqu'à quel point le Canada est bien par rapport à ce principe du socialisme qui fait la rétribution des ressources. Au Canada, les quartiers de pauvres sont bien moins pires, et tout le monde peut aspirer à quelque chose. À New York, c'est terrible. Le racisme est numéro un partout, les quartiers de noirs sont excessivement dangereux et cela est bien normal avec toute la discrimination à laquelle ils font face. J'ai peur des noirs à New York, c'est probablement un préjugé, c'est sûrement un préjugé, mais je ne leur parlerais sûrement pas. Une tension existe. Au Canada, je ne crois pas qu'il y ait aucun problème à parler avec un noir, et surtout pas de travailler avec un noir. Il y a un bon avantage par rapport aux Juifs, eux au moins ne semblent pas dangereux. Ou du moins, s'ils le sont, c'est à un autre niveau que celui de la violence dans les rues. J'ai lu le Jewish Sentinel qui est distribué partout dans New York, ils me semblent très tolérant. Bien sûr, on ne dissocie jamais juif et religion, mais il y a même des annonces Male seeks Male dans ce journal. Je peux croire qu'ils sont six millions à New York et que cela suffit pour se créer une vraie société, les Québécois sont 7 millions et regardez leur culture et leurs institutions. Et si tous ces gens se tiennent entre eux, en plus de se spécialiser dans le commerce et la qualité, je ne vois pas où il pourrait y avoir une faille. En fait, il

- 306 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

faut être pas mal con pour offrir des patates frites congélées dans un restaurant, c'est rire de nous autres qui payons pour de la cochonnerie. Les gens espèrent faire de l'argent ou nous revoir dans leurs commerces en ne nous offrant qu'un minimum sans qualité. L'autre extrême c'est d'offrir la qualité à prix d'or. N'y a-t-il pas un juste milieu?

La famille d'Edwin, sont riches. J'avoue que c'est la première fois que j'ai un ami riche, il me serait donc difficile d'élargir ce que je vais dire aux riches américains alors que c'est probablement partout la même chose. Ed disait que ses parents ne parlent plus avec les grands-parents parce que ceux-ci sont trop prétentieux. Oh my god! Après avoir vu Ed et ses parents, j'ose à peine imaginer les grands-parents. Que moi et Bruno on aille à New York devrait laisser les parents indifférents. Au contraire, ils ont vu là une bonne occasion de redorer leur blason et de nous prouver qu'ils sont riches, en essayant de nous faire croire qu'ils étaient simples. À première vue pourtant, ils ont l'air simple. Avec leur Saab, le téléphone portatif à l'intérieur, je n'avais pas encore la puce à l'oreille, parce qu'enfin, une Saab, ce n'est pas si pire, et un téléphone dans la voiture, paraît que c'est une nécessité à New York, parce que si on tombe en panne, un, personne n'arrête, et deux, si quelqu'un arrête, vaut mieux s'enfermer dans la voiture à double tour. Le salut, un téléphone. Mais lorsque Edwin commence à nous dire que ses parents veulent acheter une BMW alors que c'est peut-être pas vrai, que la mère, comme par hasard, s'en va acheter une grosse bague en or avec un gigantesque diamant dessus et que le père nous fait toute une histoire par rapport à ce que la mère vient d'acheter et fait guesser Ed et moi et Bruno par la même occasion. Et lorsqu'Ed ouvre le congélateur pour nous montrer combien ça déborde, ça c'est le comble. Après cela, le masque tombe. Toute cette comédie rend Edwin malade. Lui qui est raciste à planche, incapable de reconnaître qu'un noir a le droit de vivre ou qu'un juif a le droit d'être riche, lui qui a tout eux sans rien demander, est incapble de comprendre pourquoi la vie est si injuste parce qu'il est gay. Il a sa voiture, il a toujours eu des amis riches, des blondes riches, l'Université gratuite, La Sorbonne de Paris payé par ses parents, et the latest, un travail qui payera en maudit, dans une des compagnies les plus en vue de New York (grâce à son cousin). Y'a un tel conformiste dans ces relations, que cela fait peur. Je comprends maintenant pourquoi Edwin a eu tant de blondes et qu'il ne peut s'en passer.

- 307 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

C'est un genre de visa pour le monde riche. La belle petite fille à côté, la grosse voiture de riche, et toutes les portes sont ouvertes, tous les contacts. Edwin dit qu'il ment sur l'endroit où il demeure, il dit jamais Yonkers, il dit Worchester (ou quelque chose comme ça). Il refuse d'aller voir ses amis avec la New Yorkers de ses parents, il veut la Saab, et je ne doute pas que ses parents la lui prête quand ils voient les intérêts de leurs enfants. Quel monde d'hypocrisie, et moi qui croyais que cela n'existait que dans les romans de Balzac. Je croyais qu'il existait une fraternité dans les Universités et collèges. Edwin me disait que sa fraternité avait une mécahnte initiation. Il devait se promener toute la journée avec un genre de grosse planche digne du bâton à Phynance du père Ubu de Jarry, et que le soir venu, il devait se baisser les culottes, se mettre à quatre pattes, et là, les gens de la fraternité frappaient en christ. Je pense que j'aurais l'école. Moi qui pleurait tellement j'avais peur de commencer mon secondaire lorsque j'avais douze ans. Et il n'y avait même pas d'initiation. Pire, tous les membres de la fraternité ont un tattou indélibile sur la fesse, marqué à vie par le conformisme d'une fraternité débile. Et ils en sont fiers, bien sûr, on peut répliquer que la vie n'est pas assez longue pour commencer à regretter un tattoo indélébile sur les fesses, on s'en foutera bien de cela dans 60 ans, quand on sera tous morts. Et je sais qu'il ne m'a encore rien dit à propos de ces initiations américaines dans les Universités. Mais je sais que tout est exagéré. Un bal des finissants à chaque fin d'année, où il faut se trouver une fille ou un gars, aller au bal habillé comme un vrai Monsieur ou une vraie Madame, louer la limousine pour augmenter à la prétention, se réserver une chambre d'hôtel, et coucher avec la demoiselle ou le monsieur à la fin de la soirée. Est-ce fait pour faciliter les mariages? Ou faciliter la destruction de la morale? Combien de filles tombent enceintes à la suite de ces bals? Combien attrappent une maladie vénérienne, et combien se marient? Cela ne sert-il qu'à se vanter ensuite? Hey, j'ai couché avec la plus belle, t'aurais dû la voir au lit, elle a fait ceci ou cela, qui fait paniquer celui qui a couché avec une plus laide ou celui qui n'a pas couché avec l'autre, et celui qui n'avait pas de fille ou qui n'est pas allé au bal. Et que fait un gay là-dedans? Il se force à coucher avec la fille, il ne veut pas être rejeté. Bref, le monde des straight m'écoeurent encore plus que le monde gay. Parce qu'en plus, toutes leurs niaiseries sont institutionalisées et presque obligatoires, sinon on est un moins que rien, et cela aussi ça ne pardonne pas. Ça conduit au suicide. New York est extraordinaire. On marche

- 308 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dans un bloc de riche où il est interdit de klaxonner, le bloc d'après on est dans un des pires coins où se retrouver la nuit, le bloc d'après on est dans le village gay, une rue plus loin le quartier chinois, bref, à chaque bloc on se retrouve dans un univers différent, on passe du plus riche au plus pauvre. Et c'est la loi, les riches ne peuvent que devenir plus riches, et les pauvres ne peuvent que devenir plus pauvres et s'entretuer ou tuer les riches. On paye presque pas de taxes, comme par hasard les riches ont des assurances pour les hôpitaux, pendant que les pauvres crèvent de faim et n'ont surtout pas accès aux hôpitaux. On a la conscience tranquille cependant, on a construit des projets, comme ils disent, de gigantesques édifices appartements pour les pauvres, on commence à découvrir le welfare à New York, on se demande à quoi cela ressemble. À chaque mètre il y a un mendiant dans le centre-ville. Je pensais qu'il fallait aider le tier monde, je pense que l'on devrait commencer par New York. Bien sûr, c'est écoeurant au Canada de se faire enlever la moitié de son salaire pour aider les autres. Une personne sur dix est sur le Bien Être social au Québec, disait la Presse de jeudi le 1er juillet. C'est extravagant. On compte même pas le dix pour cent sur l'assurance chômage, et ceux qui comme moi, et je me demande encore comment cela se peut, ne recoivent ni l'un ni l'autre et sont capables de survivre (et même d'aller à New York). Ce serait moins pire si on prenait la moitié de notre salaire pour bien l'investir et pas gaspiller. Et c'est ça le problème au Canada. C'est qu'on dépense comme des déchaînés là où il ne faut pas, personne ne semble avoir des comptes à rendre, ou bien on se fout pas mal de l'opinion publique ou des scandales qui finalement n'en sont plus. Être en politique, c'est apprendre à faire ce que l'on veut, servir ses amis, éviter les fuites, mais surtout, apprendre à vivre avec les scandales, rendre sa consccience à un niveau où le scandale n'en est plus un, mais plutôt une pratique courante. Quel politicien pourrait commencer à s'inquiéter parce qu'il a tant fourré le peuple, alors que tout le monde en politique fait toujours la même chose? Quelle honte y'a-t-il à rouler en limousine avec un chauffeur, à avoir une maison tout frais payés, une pension à vie pour quatre ans comme député, une pension ultra excessive pour huit ans, lorsque tout les députés ont la même chose? Alors que le peuple crève de faim à côté. Et encore, le Canada est l'endroit où il fait le mieux vivre dans le monde. J'ose à peine imaginer ce qui se passe ailleurs. Nous ne sommes que 27 millions sur sept milliards je crois. Ce qui fait 0.003871% de la population mondiale. N'est-ce pas que c'est peu? Les

- 309 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

États-Unis qui font tant de bruits dans le monde ne serait que 0.0357142% du monde. Mes chiffres sont peut-être faux, aussi, peut-être que je me trompe, parce que ça fait déjà quatre ans que je n'ai plus fait de math et que j'ai tout oublié, même comment calculer un pourcentage.

J'ai vu le film Ghostbuster, j'ai vu le gigantesue édifice où habitait Sigourney Weaver sur la rue Colombus, et qui a été presque détruit par les forces du mal. J'ai vu le même vrai édifice en face de Central Park, il est miniature. Hollywood a grossi l'édifice comme c'est pas possible. Voici le parfait exemple de la coonstruction d'un mythe. Il n'est plus possible de marcher dans New York sans dire: c'est ici qu'on a tourné le film The Godfather part III. Parlant de maffia, Ed habite juste à côté des mafioso. Ils se pensent en sécurité les pauvres. Quand donc la première bombe va sauter? Mais au contraire, disent-ils, ils sont tellement sous surveillance étroite qu'aucun bandit n'oserait s'aventurer ici. Je comprends, tout le monde est au courant que la maffia est là. Pourtant, il y a un assez impressionnant dispositif de sécurité chez Edwin. Je ne me surprends guère de voir comment les riches font bon ménage avec la mafia. Les riches sont un peu un genre de maffia en fait, aussi institionnalisés que les uns que les autres. Tout ce monde vivent bien ensemble parce que chacun est protégé par les lois ou par les politiciens et la police. Comme à Montréal et son nouveau Casino. On sait qui sont les plus gros mafioso, plutôt que de les arrêter, on évite de les faire attendre en file, on les emmène tout droit où on va finalement reprendre l'argent qui aurait de tute façon dû retourner à l'État. Est-ce que j'ai entendu une seule personne se lever pour crier à l'horreur? Un gay veut des droits, on mobilise les Églises, les gouvernements, la population complète, un mafioso tue des gens, vole des gens, dépensent le tout au casino sou les yeux de la police, et personne ne dit rien. N'est-ce pas encouragé la drogue et le crime sous prétexte d'argent. Voilà comment cela fonctionne. Il y a la loi pour le peuple, la loi pour les riches. Avec l'argent ou la popularité, on a tout ce qu'on veut. Prenons juste l'histoire de O.J. Simpson. Le journal Daily News de New York en a fait sa première pendant les cinq jours où on était à New York. Accusé d'un double meurtre, certainement coupable ou impliqué dans ces meurtres dont sa femme, joueur de basketball je crois, très populaire et adulé par le peuple, le voilà qui devrait être innocenté sans jugement parce que 75% du

- 310 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

peuple américain ne veut pas croire qu'il est coupable, ou de moins veut l'amnistier en se faisant croire qu'il n'est pas coupable. Et la grosse question de l'heure c'est, est-ce que ça va vraiment arriver? Est-ce que l'on peut vraiment assassiner deux personnes et s'en sortir avec encore plus de respect qu'avant? Voyez Micheal Jackson, ça marche. `Là oùu un autre est mis longtemps en prison pour pédophilie en plus d'être jugé immonde en première page des journaux sleazy, Jackson a acheté son innocence à coup de millions. Et ça marche, il est encore plus respecté que jamais, il jouait sur tous les postes de radios américaines à New York quand j'y suis allé. Plein de monde portait des chandails qui disaient O.J. Simpson est innocent! On vendait ces gilets partout. Ne sous-estimons pas le peuple américain, il est peut-être le plus crétin de la planète. Comme disait la New Yorkaise rencontrée sur la bâteau qui nous faisait voir la Tour Eiffel, pardon, la Statue de la liberté, 50% des Américains n'ont rien dans le cerveau. Le père de Bruno dit que 95% des gens sont cons. Je jugeais tout cela excessif, mais bon, moi je dis que 100% des gens sont cons. Je m'inclus parce que je suis le produit de ces cons, c'est impossible d'en réchapper.

N'entre pas qui veut aux États-Unis. Les douanes américaines ont presque fait faire à Bruno un infarctus. Le gars était super bête, il croyait pas qu'on avait loué la voiture et semblait croire que nous allions à New York pour autre chose que visiter un ami. En effet, ça sonne plutôt banal d'aller à New York pour voir un ami. C'est bien certain qu'une telle chose mérite d'être davantage investiguée. On a carrément dit de nous tasser sur le côté et de ne pas sortir de la voiture, sinon, ils allaient tirer, on pouvait voir leurs fusils à leur ceinture, n'importe quel gardien qui est proche de l'argent à New Yoork, a son fusil. On a fouillé la voiture de fond en comble, je me demande ce qu'ils ont pensé de ma pointe de tarte key lime dans un plat de margarine monarch, je pense qu'il ont été déçu de trouver là rien d'autre que de la tarte. À l'intérieur, on nous a demandé de vider nos poches, on a fouillé nos porte-feuilles minutieusement, ils ont regardé si nos poches étaient vraiment vide, et ils ont passé leurs mains sur nous pour s'en assurer davantage. Nos sacs de voyage ont aussi été passé au peigne fin. Ils ont même essayé de lire chacune des feuilles que j'avais dans mon sac. Un lettre pour Edwin que Bruno ignore encore que je lui ai remis (à Ed), les quelques pages de La Nouvelle Humanité, je me demande bien ce qu'ils ont pu y comprendre, ils par

- 311 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

lent même pas un mot de français, ça, à la frontière de l'État de New York et de Montréal. C'est comme si d'un bord et de l'autre de la manche, on ne parlerait ni anglais du bord des Français, ni français du bord des Anglais. C'est ridicule. On nous a demandé qu'elle était notre relation moi et Bruno. Le coeur a manqué me sortir. Savent-ils que nous sommes gays? L'ont-ils déduit? Ont-ils trouver un quelconque papier qui le mentionnait? Alors que moi et Bruno on a soigneusement tout fait pour ne rien emporter de tel dans nos affaires. Bruno avait même une carte pour un bar gay, on la jeté par la fenêtre avant d'arriver. Mais Bruno pense qu'il posait la question dans le sens de famille, voulait savoir si on était frères je suppose. Imaginons un instant que nous leur dirions que nous sommes gays, ou pire, c'est mon mari monsieur. On ne s'en serait jamais sorti. Bruno disait qu'il a connu un travesti qui a passé une journée complète aux douanes américaines à se faire poser mille fois les mêmes stupides questions (où tu vas, pourquoi tu y vas, d'où tu viens, qu'est-ce que tu fais dans vie...) il se demande encore comment cela se peut qu'ils l'aient laissé passer, ou même, qu'ils ne l'aient pas battu. C'est connu, on a aucun droit entre les barrières des frontières. La consigne, faire peur, insinuer le pire pour faire ressortir une quelconque vérité, surtout, ne pas souhaiter la bienvenue. Ça a bien fonctionné, on était prêts à retourner au Canada sans demander notre reste. La chose qui nous a convaincu de continuer, c'est qu'on avait peur que ce soit pire aux douanes canadiennes. Mais là, ironiquement, on nous a demandé si on avait acheté quelque chose, et on nous a remercié en nous souhaitant la bienvenue dans notre propre pays. On est tombé sur son bon jour je pense. Bruno s'est rongé les ongles de New York jusqu'aux frontières, il m'était impossible de l'arrêter, à chaque christie de minute il recommençait. On avait même peur que quelqu'un se serve de nous autres pour faire passer de la drogue, on a nous-même inspecter la voiture avant de retraverser. Et pendant ce temps les mafioso ont la belle vie, ils continuent à s'institutionnaliser, à prendre le contrôole des gouvernements, bref, c'est un peu stupide, c'est les plus grands de la drogue qui nous fouillent aux frontières pour s'assurer qu'on ne leur vole pas une cenne des profits effrayants qu'ils récoltent à chaque année. Bientôt, il sera toujours interdit de traverser avec de la drogue, mais il sera possible d'acheter de la coke aux barrières. Et bienvenue dans votre pays où le crime organisé fait la loi.

- 312 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Pourtant le sentiment nationaliste n'a plus de bornes. Il y a plus de drapeaux américains à New York que de drapeaux québécois au Québec. C'est tout dire. (Je ne pense pas ce que je dis, personne ne peut battre le nationnalisme québécois, mais on ne mourrait pas pour son drapeau au Québec, ce qui déjà est mieux que les U.S.A). Je ne sais pas quelle proportion des Américains se coomposent d'immigrants, mais ils sont beaucoup. Et si ces gens arrivent de pays bizarres ou les gouvernements sont non reconnus ou totalitaire ou dictatorial ou etc., on comprend ce soudain engouement pour le drapeau américain. N'empêche que comme symbole, ça représente pas toujours le bonheur. Une école qui s'appelle Martin Luther King, près du Lincoln Center, était entouré de quelque dizaines de chars de police. On a marché là moi et Bruno, on a pris peur, on est reparti par l'autre côté. C'était des écoles pour les noirs. Sont-ils si dangereux ou est-ce que l'on pense qu'ils peuvent être si dangereux? Je n'ai pas de misère à croire cependant qu'il y ait eu beaucoup de meurtres à cet endroit. Si les gens pauvres sont en majorité noirs, et si ceux-ci finissent pas se tiendre dans des gangs pour survivre, et que celles-ci finissent par s'entretuer entre elles, voyez le cercle vicieux que l'on a toujours entretenu.

Un oiseau mort était attaché par les pattes sur un fil électrique. C'était franchement spécial d'essayer de découvrir qui avait fait cela, dans quel contexte, et qu'est-ce que l'on était en mesure de comprendre par rapport à cela. Eh bien, fid`le à mon imagination, j'y ai vu les pratiques rituels de quelques groupes bizarres, sectaires, religieux fanatiques, sacrifice quelconque, mais j'ai probablement trop vu de films. Un comédien noir, dans Greenwich village, venait de finir son spectacle lorsque nous sommes arrivés. Il était en train de ramasser l'argent que les curieux devaient moralement lui donner pour avoir regardé le spectacle. Tout le monde sans exception donnait des billets. On l'a vu engloutir des tonnes de billets dans son sac qui débordait. Ou bien les gens sont en manque d'humour et jugent qu'il est moins cher de donner 1$ ou 5$ pour quelqu'un dans la rue, ou deux, il était franchement drôle le bonhomme. Je ne sais pas comment interpréter cela, mais je sais que le gars se fait plus d'argent quun ingénieur dans sa journée. Y'avait au moins mille personnes autour. Comme d'habitude, les restaurants végétariens sont immangeables, sauf Dojo, restaurant connu à New York, pour ses pris et ses portions. Une grosse femme mendiait dans la rue,

- 313 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

nous sommes repassés trois fois en quatre heures, j'ai fini par lui donner quatre dollars. Un dollar par heure, elle faisait tellement pitié. Ç'est surprenant, mais plusieurs peronnes parlent français à New York. Pas du Québec cependant, de France plutôt. Les gens apprennent aussi le français quand ils veulent pas apprendre l'espagnol. Paraît que le français est la troisième langue en importance à New York. Impressionnant. Partout d'ailleurs on exploite le français sur les devantures des magasins ou restaurants, souvent dans des formules incompréhensibles pour les Français, je pense qu'ils pensent que cela fait chic. Le français a une connotation riche ou de qualité du moins. Je me demande si tout cela découle du fait de la Statue de la Liberté qui elle-même découle de l'aide mutuelle des Français et des Américains contre l'Angleterre. En tout cas, la Statue de la Liberté sur chaque plaque de license en avant et en arrière de chaque voiture de tout l'État de New York, me semble être une vraie insulte pour les Anglais et leur empire coloniale. Mais cela, je l'approuve. Je déteste ceux qui s'imaginent qu'ils pourront posséder le monde. Je détestes les idées encore aujourd'hui de la France par rapprot à ses colonies ou pseudo. Je dénonce les républiques de bananes comme ils disent, Américains qui soutinnent des dictatures en Amérique du Sud pour l'argent qu'ils récoltent. Et l'Angleterre ne donne pas sa place en ce qui concerne les colonie, on en paye encore le prix en Irlande. Voyez comment a coûté le tunnel sous la manche, trois fois la sécurité nécessaire, et je suis certain que l'on a réussi qu'à multiplié les problèmes avec une surprotection, pour une bombe qui va de toute manière sauté bientôt. À quand la première anicroche? Qui en payera le prix? Comme Paris, New York est une ville de Taxis. Il n'y a que cela partout, heureusement, c'est pas comme à Ottawa, c'est le free market et c'est pas cher. Sauf au Yonkers proche de chez Edwin. On paye pas à la distance parcourue, on payye au flat rate qui change selon la personne qui embarque et au nombre de personnes qui embarquent. Mais bon, on règlera pas les histoires des taxis ici. On a parcouru à pied New York au complet pour observe les Steinway & Sons dans tous les vendeurs de pianos de l'île. Bruno a bien jouit pendant que j'ai bien souffert. Mais Bruno s'est mis dans la tête de me montrer comment se servir de son synthétiseur, il veut m'incorporer à son groupe de musique. C'est bien, car s'il réussissait dans la musique ou s'il commençait à jouer un peu partout pour gagner sa vie ou de l'argent, je le laisserais. Quand bien même il serait riche, si je n'ai rien à faire là-dedans, je souffrirais trop pour être avec lui.

- 314 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Dépendance, parallèle de mon échec et de sa réussite, étrangement, M. Eastman disait la même chose. M. Eastman c'est un vieux crouton qu'on a rencontré dans un bar gay du village, Splash c'est le nom. Jayr Eastman, 67, Hiddink St., Sayville NY, 576-, 563-7940, (33-1- 42 56 16 75 à Paris). Bref, il serait le propriétaire de trois compagnies de disques importantes dont Columbia, propriétaire aussi de la firme Kodak, quelque chose du genre, il oscille entre Londres, Paris et New York. Il a eu le coup de foudre lorsqu'il m'a vu, m'a fait le baise main (quelle galanterie), était prêt à m'offrir le monde. Je lui ai fait croire que je ne parlais pas l'anglais pour éviter de trop parler avec lui. Je regrette, je ne pouvais lui dire ce que je voulais et jamais Bruno lui disait ce que je voulais qu'il lui dise. Si bien que soudainement je me suis mis à parler un anglais meilleur avec quelques ratés. Bref, je lui ai dit qu'il devait plutôt aider Bruno, que lui cherchait justement à faire un disque et qu'il avait déjà pas mal de bonnes chansons. Plus tard Bruno lui a dit que j'écrivais, il était prêt à m'aider moi mais pas Bruno, il a dit: qu'est-ce que vous allez faire si l'un ou l'autre réussit? Ça ne fonctionnera plus. Je ne sais pas. De toute façon, moi, je ne peux pas réussir en français, je pourrais publier, jamais en vivre. Bref, j'ai dû dire que je participais à cette musique avec Bruno, pour qu'il s'intéresse à nous en tant que couple ou entité (une blague). Il a dit de glisser la cassette démo avec mes manuscrits. Bref, il était prêt à m'aider, mais seuelement si ce que j'écrivais était en anglais. Le français, ça ne vaut pas la peine d'y penser m'a-t-il dit. Par cela, il semblait crédible. Mais qui peut croire un américain gay et vieux? On pense pas qu'il était ce qu'il disait. Malgré Edwiin qui disait qu'effectivement il y avait une famille d'Eastman à Long Island qui était très riche et possédait Kodac, mais allez savoir si c'est vraiment lui. Il n'avait aucun moyen de le prouver en plus, comme c'est bizarre pour quelqu'un qui espère ramasser des jeunes en leur promettant mer et monde. Mais il faut avouer qu'il serait stupide de se promener à New York dans les bars gays avec ses adresses, son titre, ses comptes de banques, cartes de crédit etc. Il voulait aller au téléphone pour que quelqu'un nous le confirme. J'ai pas voulu. Il disait que sa limousine était proche. C'est trop drôle. Et il disait qu'il n'avait jamais rencontré quelqu'un d'aussi beau que moi. Ça, que ça vienne de n'importe qui, ça fait plaisir. Il disait qu'il ferait n'importe quoi pour être dans mes pantalons. Que l'avenir m'appartenait. J'ai éclaté de rire, vite réprimé, parce qu'il fallait pas qu'il s'imagine que je comprenais tout ce qu'il disait. Pourtant, tout m'est permis pour croire que

- 315 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

son histoire est vraie. N'étais-je pas à New York? N'y a t-il pas des riches excentriques un peu partout en manque de viande fraîche? En plus, Bruno capotait tellement, il a dit que tout le monde me ragardait, partout où on allait. J'ai toujours cru que je pourrais être un bon acteur, mais pas au prix de coucher avec un autre. J'ai déjà dit que j'aurai toujours ma chance un autre jour, par un autre moyen, et puis, même si je ne sais pas d'où me viennent ces quelques fibres morales, je refuse de gagner quelque chose de cette façon. Ce n'est pas le premier Sugardady que je rencontre. Le gros propriétaire du bar Deluxe à Ottawa, M. Hardmann de Montréal, puis Eastman, le plus riche, à New York. Quelle discrimination, le monde appartient à ceux qui sont beaux! En autant qu'ils acceptent d'en faire profiter les autres. Ed se trouve gros, et dit que les filles sont moins difficiles que les gays en ce qui concerne la beauté. Il reproche ça aux gays. Il trouve cela tellement injuste de pas être beau et d'être gay en plus. Alors qu'il est pas capable de comprendre que l'injustice ne s'arrête pas là. Que lui-même, comme il dit, a tout eu. Ce qui n'est pas mon cas. Quand il nous faisait l'énumération de tout ce qu'il avait, j'ai souffert en maudit, parce que moi je n'en ai même pas eu le dixième et que je suis affreusement endetté et que j'ai aucun moyen pour m'en sortir. Ou du moins pas encore assez désespéré pour prendre les grands moyens. Mais Edwin n'est pas si laid, ou bien l'amour est aveugle. Il est un peu gros c'est vrai. Trop de beurre sur ses toasts j'imagine. Ou trop de bouffe américaine. Il m'a fait des grosses déclarations d'amour, m'a lui aussi affirmé que j'étais super beau, mais qu'il était encore plus amoureux moralement, en amour avec ma personnalité et mon charme que physiquemment. Bruno y est allé aussi avec son amour, il devient plus amoureux quand tout à coup il se rend compte que tout le monde s'intéresse à moi. Ironiquement, moi je voyais les gens qui le regardait. Se peut-il que les gens qui regardent nos chums, on ne les manque pas? Oubliant même ceux qui nous regardent? Suis-je si beau de toute façon? Ai-je une si belle personnalité? Les gens qui liront ce que j'écris verront dans tout cela un paradoxe. Ça fait plaisir, mais il m'est impossible de m'enfermer dans ma chambre avec ces souvenirs, et soudainement être heureux. Ce quelque positif n'est rien à comparer du négatif qui nous entoure. En plus, cela ne m'apporte rien de plus, Bruno m'a trompé de toute façon, et moi aussi. Ça m'a pas empèché de crver de faim ces dernniers temps non plus. C'est pas Bruno qui m'aide financièrement, on partage au dollar près tous ce que l'on fait ensemble, même s'il paye 12 000$ d'impôts par année,

- 316 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

signe qu'il en gagne de l'argent. Il paye plus d'impôts à chaque année que je gagne en un an. N'empêche que j'ai payé la moitié du gaz, la moitié de la voiture louée, la moitié de tout. Il va me demander 30$ en moins, cadeau parce qu'il gagne davantage. C'est la première fois qu'il fait cela, ça me donne l'impression qu'il y a quelque chose à quelque part. J'ai dû payer plus, je pense que j'ai payé davantage que lui, c'est moi qui a payé tout les poll ou presque pour utilisation des autoroutes, des ponts, des routes. Parce qu'aux États-Unis, rien n'est gratuit. Pas même les l'utilisation des routes et des ponts. Souvent il faut payer, il faut payer partout. Ne pensez pas avoir un verre d'eau gratuit à New York, les seuls endroits où ce sera gratuit, c'est là où ça vous coûte vraiment cher et que vous allez manger. Allez en boîte coûte parfois 30$ juste pour l'entrée. Cela va jusqu'à 50$, et on a pas encore consommé. Paris aussi c'est comme ça. 20$ pour sortir, des cover charge injustifiés? Je l'ignore, on a jamais osé payer pour aller voir si cela en valait la peine. J'ai l'impression que c'est là pour éviter que les pauvres entrent. Dans un univers de riches et de pauvres, faut empêcher les pauvres de vivre, et ils ont réussi avec moi. Je n'y vais pas. C'est peut-être là que l'on rencontre les meilleurs Monsieur Eastman?

[Tard le 5 juillet] J'ai découvert tout à l'heure que j'ai oublié de poster ma demande de prêt et bourse et qu'il y a de forte chance qu'on me refuse de l'aide financière pour le retard. M'a mère me disait que je devrai chercher un travail et je me sens tout à coup coupable de ne pas travailler. L'Université d'Ottawa avait envoyé mon diplôme chez moi la semaine passée, ma mère me l'a retourné, c'est parce que je n'avais pas cela que je n'avais pas envoyé ma demande de prêt. L'Université d'Ottawa m'a envoyé la première des deux lettres qui va me permettre de tenter pour une quatrième fois d'être accepté à Paris 7, et je recevrai demain, je supose, la deuxième lettre qui me permettra de réessayer pour une troisième fois à Paris IV. Je n'ai aucune nouvelle de Paris III, je suppose qu'ils ont perdu mon dossier dans leur troisième retour de courrier. Car il faut s'y attendre, il serait incroyable qu'en quinze envois à l'étranger, aucune lettre ne se perde. En fait, je serais bien niais de croire que Paris VII ou IV puisse m'accepter avec une lettre qui arrive à la fin juillet. Avec des résultats si peu fameux paraît-il. Mais pire que tous ces échecs pour entrer en maîtrise et ce dégoût d'aller en ingénierie, voilà que Bruno m'annince qu'il veut partir pour New York en septembre 1994.

- 317 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Quoi? Après toutes les critiques contre New York et les États-Unis, voilà soudainement que j'irais y demeurer? Et cela ne serait pas fou. Premièrement parce que cela me semble être une voie destinée puisque je suis incapable de poursuivre mes études en littérature et que ni moi ni Bruno veut aller en génie. Deuxième des choses, Bruno s'est mis en tête de m'apprendre à jouer d'un instrument pour que je fasse partie de son groupe, il pensait même à appeler cela UNDERGROUND, alors que je lui parlais que si j'irais à New York, mon nouveau livre que je projette d'écrire, L'UNDERGROUND, se passerait non pas à Londres avec l'histoire des chevaliers de la table ronde, mais bien à New York avec des sectes religieuses bizarres. Le nom lui a semblé approprié, surtout que sa musique va dériver dans l'alternatif ou le bizarre, encore inspirée de moi (Bruno a toujours aimé mon côté alternatif, habillé en noir...). Mieux encore, et je voulais le dire tout à l'heure, il est bien d'habiter aux États-Unis lorsque l'on fait de l'argent, parce que l'on ne paye pas d'impôts ou presque, on a des assurances, on profites des autres à un certain niveau, bref, on ne fait pas vivre une autre personne inconnue par l'entremise des programmes sociaux. Je n'approuve pas le système américain, je préfère de beaucoup plus le système canadien (si seulement on arrivait à moins dépenser inutilement), mais il me faudraiit peut-être me faire une bonne idée de tout ce système et même me débarrasser de mes préjugés assez marqué pour les USA. Aussi, si Bruno ou/et moi voulons vraiment réussir dans les Arts, il n'y a pas de demie mesure. Il faut y aller de plein fouet. Bien sûr, je parle davantage pour Bruno, moi je peux écrire n'importe où, être à New York me sera peut-être plus avantageux qu'être à Ottawa, mais je ne réussirai pas plus là-bas qu'ici. Je vais plutôt en profiter pour parfaire mon anglais, jusqu'à pouvoir fonctionner comme tout le monde et même écrire en anglais. Non pas que je déteste le français, et bien au contraire. Cela m'insulte quand M. Eastman me demande d'écrire en anglais et que le français ne vaut pas la peine. Allez donc dire ça à Rousseau ou Voltaire, la littérature française, ce n'est pas rien. Mais j'ai tant vécu dans un univers anglophone à Ottawa, tant subi la frustration de ne pouvoir m'exprimer en anglais comme en français, que je me fais un devoir de maîtriser l'anglais et de pouvoir éventuellement écrire en anglais ou même traduire mes livres. La mentalité est déjà fort différente si l'on écrit dans une langue ou l'autre. Ainsi donc, ce serait là que me dirigeait le destin avec tous ces échecs avec les Universités. On s'est même assuré que je ne poursuivre pas en philosophie, que l'on me

- 318 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

décourage avec les 4 années de génie (je n'ai rencontré personne qui était enchanté par cette idée, ma mère m'a encore répété aujourd'hui que je devrais peut-être trouver un emploi plein temps. Oui, mais pas à Ottawa. Sinon, je vais en génie). Mais ne parlons pas trop vite, j'ai lu les quelques règlements à propos des visas dans le journal France-Amérique, ça semble franchement compliqué. Aussi compliqué que les douanes américaines, peut-être plus. Parce que là, c'est vrai qu'ils vont se monter un dossier contre moi. Ils iront probablement même vérifier si je suis gay et si j'ai le sida, ce qui serait facile avec mon dossier médical. Je dvrais ppeut-être en profiter pour déclarer que Bruno est mon conjoint et que par conséquent, si l'un ou l'autre réussit à avoir un visa, l'autre peut l'accompagner même s'il n'a pas le droit de travailler. C'est là que l'on voit comment on peut souffrir de discrimination. On risque la séparation à chaque fois parce que l'un ne peut suivre l'autre. Sinon, on arrête complètement nos projets. À voir les visas, il me faudrait trouver un emploi d'enseignant professionnel en littérature à New York et à distance, si je veux un visa. Encore, j'ignore combien de temps de telles formalités vont prendre, et cela semble impossible de trouver un emploi comme cela. Je ne vois pas du tout comment Bruno pourrait avoir un visa de travail, il n'a même pas une quatrième année d'université en économie. De toute façon, jamais il travaillerait là-dedans. Bref, j't'écoeuré d'Ottawa, oon arrive nulle part ici, ni en musique ni en littérature, et si Bruno veut partir d'ici, je serai content. J'opterais pour Paris, mais à défaut de pouvoir y aller, pourquoi pas New York. Sutout si je^peux réussir avec Bruno en musique. Car semble-t-il, maintenant il parle au nous et pense que l'on peut aussi bien exploiter son image que la mienne. J'ai toujours cru que je pouvais être acteur (blague). Je vais tenter de me recycler en compositeur de chanson, et faire davantage que le plus grand du Québec, Luc Plamondon, qui retire tant d'argent sans jamais composer une mélodie, un air ou de musique. Juste les paroles. N'importe quel poète peut faire ça. Ça ne lui enlève pas son mérite cepandant, ils nous a quand même donné les meilleures chansons du Québec. Il s'appelle Ziggy, c'est mon seul ami... j'ai appelé Edwin ce soir pour lui parler de nos projets et demander de l'information, il trip sur la chanson de Plamondon, Céline Dion, Ziggy, puisqu'il écoute maintenant les vidéos que je lui ai enregistré chez lui. Eh bien, dépressif parce que je n'étais plus là, il est sorti et a rencontré un gars pareil que dans le vidéo. Il était si beau, qu'il dit, qu'il pense que c'était de la charité s'il a couché avec. Ça m'a fait

- 319 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mal d'apprendre cela. Voilà soudainement que je me sens laid comme c'est pas possible. Parce qu'en fait, je n'ai pas de muscle, je suis un peu gros moi aussi, et que si j'arrive à bien paraître, ce n'est pas dans le portrait type qu'Hollywood mythifie. Ce qui a fait dire à Bruno que l'on devrait se parfaire une image, faire de l'exercice, se faire des muscles, parce que dans l'industrie de la musique, surtout au USA, l'image passe avant le qualité. J'ai embrassé Ed pendant que Bruno prenait sa douche quand on était à New York. Mais je n'aimais pas cela bien que j'étais toujours bandé. Ça m'a même rendu plus amoureux avec Bruno, parce que la différence entre lui et Ed est grande, et je vois mieux ce que j'ai. Pauvre Bruno, il ne me faudrait pas impunément risquer ma relation avec lui, je ne crois pas que je voudrais le tromper à nouveau. Surtout si nos vies deviennent aussi sérieuses que l'on va emménager ensemble à New York. Il voulait que l'on déménage avec Edwin, je lui ai dit que j'aimais mieux qu'on déménage lui et moi tout court, même si un appartement coûte 1000$ par mois au minimum. Je ne veux pas prendre de chance, et surtout pas avec les autres chums qu'Edwin pourrait emmener éventuellement à l'appartement. Autant pour moi que pour Bruno. La vie est dure dans une relation, autant chez les gais que chez les straight, mais il faut savoir affronter, prendre des risques, et pardonner sans aller jusqu'à la naïveté ou l'incrédulité. Bref, on verra bien.

6 juillet 1994

J'écoute ces temps-ci INFO FREAKO de Jesus Jones, de New York, ça me motive un peu. Je n'ai pas trouvé à New York ce que je pensais y trouver. J'ai plutôt l'imporession que l'on se forme une image de quelque chose et qu'il est impossible de retrouver ce tout qui se compose d'une multitude d'éléments du passé. Angels of Harlem, on a vu Harlem de notre fenêtre de train, U2 n'y faisait pas de concert ce soir là. Les bars gays de New York ressemblent à ceux d'Ottawa pour ceux que l'on a vu. Il y a que le langage gay est partout pareil, à Paris comme à New York comme à Montréal. Et la musique qu'ils écoutent pas mal toute la même chose, à moins de sombrer dans l'alternatif comme au Deluxe d'Ottawa, mais alors c'est aussi l'univers de la drogue et pas toujours gay. C'est plate parce que c'est là que la musique est bonne et c'est pas l'endroit où irait Bruno ou les gays en général. Pas comme à

- 320 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Jonquière dans le temps, le bar la Renaissance à l'image des bars gays de Montréal du temps, présentait que de la musique alternative. Les seuls endroits où il était possible d'entendre Depeche Mode, Moev, Skinny puppy, Nitzer Ebb, PIL, etc. Je ne sais pas pourquoi tout à coup le monde gay est devenu Kétaine et qu'ils écoutent genre Ru Paul, Streisand, Midler, le rave, ou les petites chansons dance assez plates. Il faudra une nouvelle révolution. On avait hâte que le rap passe, c'est pratiquement passé, maintenant, il faut faire disparaître les petits chanteurs dance américains dont l'on se demande encore pourquoi ils ont réussi à avoir un contrat et l'on se demande même si la personne que l'on voit dans le vidéo est bien la personne qui chante sur le disque. J'ai bien entendu l'histoire du bar de Stonewall, j'ai vu le bar de loin, paraît que c'est des vieux croutons qui vont là. Nous n'y sommes pas allez. Un moment donné on cherchait un restaurant végétarien, et Edwin voulait absolument que je demande à des policiers où il y en avait un. J'ai refusé parce que les policiers sont certainement ignorants de cela, en plus, je les soupçonnais d'être des végétarienophobe. Mais Ed a insisté, j'ai fini par le leur demandé. Non seulement ils étaient végétarienophobe, mais en plus, ils sont homophobes. Ce qui est surprenant à une semaine des jeux gays. Il m'a répondu que la seule viande qu'il mangeait était celle entre les jambes d'une femme, viande que je ne mangeais certainement pas. Ou bien un on associe le végétarienisme à l'homosexualité et remarquez que c'est peut-être vrai statistiquement parlant, ou bien deux, il est temps que je me fasse couper les cheveux, parce que premièrement je ne vois plus rien et deuxièmement, on a l'air de croire que seul un gay peut avoir des cheveux comme cela. Je ne sais pas, mais on ne me pense pas gay quand j'ai les cheveux court, et c'est la deuxième fois en un mois qu'on m'accuse d'être gay juste après avoir parlé de végétarianisme. Le pire c'est que je pensais que le policier disait autre chose bien que je savais à quoi il faisait référence, et quand il m'a dit, devant ses trois copains, Bruno et Ed que je ne mangeais pas de cette viande là, je lui ai dit que non, je n'en mangeais pas, lui affirmant ainsi que j'étais vraiment gay, cavve que je suis. Alors ce policier est aussi mysogine? Je ne crois pas, mais il a de ces façons de réduire une femme à un morceau de viande. J'étais crissemen insulté après. Un peu plus loin il y avait encore quatre policiers qui parlaient tranquillement au lieu de marcher autour pour voir ce qui se passait dans cette place remplie de touristes, j'ai passé proche de leur crier qu'il y en avait peut-être qui

- 321 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

se faisaient violer ou voler dans un coin noir, et de leur demander combien la ville de New York les payait pour bavarder et rire des touristes? J'ai franchement une image négative des policiers. Ils ne me semblent bons qu'à ramasser de l'argent avec des contraventions pour excès de vitesse ou de stationnement et puis c'est tout. S'ils considèrent si peu les femmes, ou s'ils traitent les femmes violées ou les gens à qui on a volé quelque chose comme ils m'ont parlé, ridiculisé, je ne veux rien avoir à faire avec la police. J'aime mieux endurer mon mal que de commencer à parler avec un cave qui manque du minimum de respect qu'un citoyen est en droit d'attendre. Un ticket? Donnez-le moi et fichez-moi la paix. C'est drôle, les policiers me font aussi peur que les bandits, peut-être même plus, parce que quand l'autorité décide de te donner des problèmes, y'a pas de porte de sortie, alors que quand un mécréeant de la rue veut ton porte-monnaie, y'a toujours l'autorité pour t'aider. Mais avec une telle autorité, homophobe, je ne suis pas certain. Et quel recours as-tu lorsqu'il ne vont jamais trop loin ou que ton cas semble banal comparativement à ce qui se passe à côté? Si des policiers te retiennent deux jours, t'humilient, te frappent un peu à la limite, tant que tu ne te retrouves pas à l'hôpital, je ne crois pas que tu aies un recours quelconque. Je ne crois pas souhaitable non plus d'avoir un quelconque casier judiciaire, parce que à ce moment, ton avenir est foutu. Dans chaque place où j'ai appliqué pour un emploi, on te fait remplir une feuille et l'on vérifie avec la Gendarmerie Royale du Canada si on a un quelconque dossier judiciaire. On te pose la même question aux douanes, et si tu as quelque chose à te reprocher, t'es foutu, t'es certain de passer la journée là, t'es pas sûr de passer non plus. Surtout quelqu'un qui aurait déjà été pris pour ne serait-ce qu'une cigarette de Hash, quelque chose de si commun dans la société.

Y'avait un gros message dans le métro, payé par le Catholic League of New York, et qui affirmait que les condoms ne sauvait aucune vie. But restraint does. Gang de menteurs! Se peut-il que l'on puisse accepter qu'une religion pourrie puisse mentir comme cela à toute une génération, sans même que les autorités n'agissent? Surtout quand ils mentent pour promouvoir dieu sait quels intérêts. Pourquoi donc les condoms ne sauvent aucune vie? Peut-on le prouver? Et pourquoi donc les gouvernements ont-ils tant dépensé pour nous en donner et nous faire une publicité monstrueuse sur le sida, qu'avec des condoms, on a peu

- 322 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

de chance de l'attraper? You want to know a little dirty secret? qu'ils disent. Oui, c'est effectivement a little dirty mensonge, et ça, la société en a assez. Du moins je l'espère, parce que les Américains eux, s'en délectent de ces mensonges. J'en ai pour preuve cet article du Samedi 2 juillet dans le Citizen qui dit: The U.S. is remarkable among industrial societies in its irrationality. Three-quarters of Americans believe in religious miracles, numbers not duplicated anywhere else int the industrial world. You'd have to go to mosques in Iran or do a poll among old ladies in Sicily to get numbers like this, says Norm Chomsky (It's fundamentally a mad, mad world, by Martin Woollacott, The Guardian, London). Il parle de religion non rationnelle, mais je soupçonne qu'en arrière de ces religions non rationnelles, il existe une rationnalité cachée. Et il serait temps que le peuple soit mis au courant. Perhaps, the Americans people might be too stupid to know about it. La Presse du 6 juillet nous titre une femme qui dit: Pas besoin d'être prêtre pour avoir de l'influence dans l'Église. Bien sûr, mais s'agit-il d'une question d'influence? De pouvoir? Ou de discrimination? Bien sûr qu'une femme n'a pas besoin d'être prêtre, et qu'à la limite elle n'a pas besoin de voter, ni de travailler, ni de parler, son mari ou les hommes pourront le faire à sa place. Je suggère que Madame Hélène LEMIRE-OUELLET se taise, s'enfonce dans sa maison à élever ses enfants, écoute ce que son mari lui dit de faire, et qu'elle signe un papier comme de quoi que toute ses possessions sont celles de son mari et qu'elle même appartienne à son mari. Ainsi, écoutons les dix commandements et ce qui suit, celui-ci pourra la vendre comme esclave quand il en aura assez, in the meantime, celui-ci survivra pas sa descendance. C'est sûr, les femmes n'ont pas besoin d'exister si l'on considère que l'acte de génération est peut-être vain et inutile. Quand nous serons tous morts, quelle importance cela a-t-il d'avoir assuré notre survie par une descendance? L'Église pourrait-elle nous le dire ou est-ce que aveuglément comme tout le monde, elle lit sa bible et la respecte sans se poser de questions ou sans en savoir plus? Peut-être est-ce parce que plus il y a de brebis, plus d'ragent on peut ramasser? Plus de pouvoir on a? Enfin, les gens religieux qui passent leur temps à prier pour soi-disant sauver l'humanité, ne font pas grand chose. Il faut bien d'autres gens pour les soutenir. Les terres qu'ils possèdent, encore aujourd'hui, est un revenu parce qu'ils les louent, mais les dons qu'ils recoivent aussi sont nécessaires pour nourir et faire vivre cette armée de chrétiens qui foutent pas grand chose. Est-ce que Dieu aurait voulu qu'un quart de sa population

- 323 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

prie pendant que l'autre trois-quart travaillent avec acharnement pour faire vivre l'autre quart? Pendant ce temps, il est vrai que plus il y a de gens, le plus de religieux on peut avoir, le plus d'influence on a. Mais je soupçonne qu'il y a d'autres raisons à leurs intérêts, et ceux-ci sont probablement hors de la portée rationnelle ou scientifique. D'ordre spirituel, et personne ne pourrait accepter cela, ça ressemblerait trop à ces sectes bizarres qui sacrifient des jeunes vierges ou des animaux.

Relation moi, Edwin et Bruno

Joe Rocco et Matt Groeland

7 juillet 1994

Je suis en air ce matin. On parle de partir à New York, tombé du ciel, Bruno m'a laissé toutes ses machines pour compréhension, bon dieu, je vais passer une semaine à figurer comment installer le multi timbral synthesizer module, le master keyboard et le midiEngine 2Port/SE, le tout sur mon ordinateur portatif compatible IBM. J'ai bien envie d'essayer la méthode du Big Bang, tout installer sans rien lire pour enfin assister à l'explosion. Bruno voulait que j'apprenne à jouer de la guitare. Jamais. Rien n'est installé et pourtant je me vois déjà en train de composer des chansons. Le scénario le plus probable serait que je vais travailler sur les chansons de Bruno. Aucun doute, je veux un compromis entre U2 et Front 242, tandis que Bruno c'est Elton John et Billy Joel. Mais Bruno veux sonner comme U2, bonne chose, il connaît pas Front 242. Je pense que La Nouvelle Humanité vient de prendre le bord.

8 juillet 1994

J'ai relu la Nouvelle Humanité hier, je n'en suis vraiment pas satisfait. J'espère juste que comme d'habitude, quand j'en aurai enlevé 10 pour cent, le tout sera bon. Mon problème c'est que je deviens moraliste contre la religion. Alors qu'avant, lorsque j'avançais un concept inacceptable, j'arrivais à justifier pourquoi bien que dans l'ensemble, c'était injustifia

- 324 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ble. Le problème, c'est comment justifier le fait que les prêtres ne doivent pas être taxés, sans devenir moraliste? Car enfin, il n'y a pas cinquante-six réponses, ils ont l'amour de l'argent parce que cela vaut la puissance. Comment justifier la fille qui va coucher avec son père pour assurer sa descendance? J'ai bien envie de faire comme la bible, dire ce que j'ai à dire sans dire pourquoi ni comment. J'essaye de dégager ce que nous serions en mesure de comprendre par rapport à ce que ça dit, ça devient assez plat peut-être? Et que dire du fait que je déborde dans les concepts d'Artaud à saveur de Rosicrucisme? Bientôt l'hermétisme, j'en ai deux livres. J'ai bien peur que l'ensemble de la Nouvelle Humanité va rester chez-moi. Les trois premières parties en elles-mêmes se tiennent. Je ne sais plus.

Je suis bien déçu de Ed, je suis bien découragé aussi. Il couche avec les plus mecs de New York, je pourris à Ottawa. Me morfondre c'est le mot, il fait tellement chaud en plus que je ne fous rien de mes journées. Qu'est-ce qui est le pire? L'école + le travail + l'écriture + les amis et sorties, ou rien foutre toute la journée? Aujourd'hui j'ai passé mon temps à figurer le Keyboard, je suis encore bien découragé. Digne d'IBM, le livre d'instruction a au moins mille pages. Sans compter l'autre livre d'instruction absolument incomprenable qui accompagne le Synthétiseur Roland. Cubase est un enfer en lui-même. Je trouve presque impossible d'arriver à faire ce que j'Ai en tête par rapport aux beats. Je me demande s'il ne serait pas plus simplkke d'acheter de vrais drums. C'est vrai que je n'en suis qu'à ma deuxième journée. Mais Bruno semble penser que j'aurais dû déjà avoir inventé tous les drums pour au moins une chanson. J'ai quelques bonnes idées que je vais garder, le reste, c'est à oublier. Trop rudimentaire. U2 ne m'apprend rien par rapport aux beats, Front 242 ont des machines que je ne poss`de pas, mais beaucoup de bonnes idées. Depeche Mode par contre, c'est le gros lot. Gros lot c'est vite dit. Ils me montrent jusqu'à quel point un beat peut devenir complexe une fois programmé, et même, comme Front 242, faire la chanson au complet. Essayez donc de patcher un beat sur une chanson de Bruno qui utilise à peu près cinq ou six instruments différents. La chanson se suffit tellement en elle-même que lui ajouter des beats, c'est la détruire. À moins de reprendre la chanson, mais la prendre et la modifier en fonction du beat. Le beat, c'est la base, rien d'autre. Je comprends pourquoi Bruno veut que je le fasse, si c'était si simple, il l'aurait fait. Dans un autre sens, je ne puis lui dire de se débrouiller, que

- 325 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

moi, finalement, j'ai autre chose à faire. Moi qui voulais tellement faire cela, depuis toujours, je me demande ppourquoi cela ne m'est pas venu dans le temps où je cherchais à faire la même chose. En tout cas, si je me mettais à faire mes propres chansons, ce serait tellement loin de ce que Bruno fait, on verra. J'ai beaucoup aidé Bruno, et chose certaine, je ne tirerai absolument rien de tout cela. Je lui conseille tout plein de chose lorsqu'il me joue ses chansons, lui inspire des passages, des paroles, lui pointe certains défauts qu'il, habituellement, modifie en conséquence. C'est que je suis difficile à obnubiler. Si c'est pourri, je lui dis et il panique. Il sait même quoi éviter pour que je ne parle pas. Il me fait souvent remarquer que tel chanteur dit cela, et je lui réponds que les autres chanteurs peuvent dire des choses kétaines s'ils veulent, nous, nous n'en dirons pas. N'empêche que leurs chansons demeurent bonnes. C'est un fait, avec la musique, on pourrait dire n'importe quoi, si la musique est bonne, tout passe relativement bien. C'est pas la même chose en littérature. Mais Bruno dit que je lui reproche des choses que moi même écrit dans mes choses. C'est vrai. Je ne voudrais pas que Bruno commence à faire de la politique ou parler contre les religions dans ses chansons. Ça passe trop mal. La morale ne se prend guère, je fais ce que je peux dans mes livres, mais en musique, je crois qu'il ne faut que la poésie. Ou du moins, faut pas être clair, l'hermétisme donc. Duran Duran faisait beaucoup de politique, j'aime pas. Sisters of mercy parlent beaucoup de religion, et ça j'aime. Ça dépend toujours. Y'a aussi qu'il faut pas répéter ce que tous et chacun ont toujours dit. Que les Saintes écritures mentent, d'accord, le dire dans une chanson? En un livre? Je le fais peut-être en ce moment, mais je le démontre. En un livre on peut démontrer, justifier, élaborer, non pas juste lancer en l'air. J'avais écrit quelques chansons dans le temps, c'était intéressant, ç'aurait fait de bonnes chansons peut-être, il y avait cette poésie que l'on retrouvait dans La Chanson de Roland-Michel et que j'ai complètement perdue par la suite. Probablement parce que la poésie, ça ne dit pas grand chose en fait. Quoique la deuxième partie de mes nouvelles dans Les champs Verts me semblent plus poétiques que le reste. La poésie, ce sont les images, les belles and deeps images. On pourrait me réfuter cela, c'est vrai, je ne suis pas sûr de le croire de toute façon. Mon dictionnaire est trop loin pour que j'aille voir ce que ça dit, et la définition serait trop longue que je puisse la lire anyway. Parce que dans une heure faut que je décrisse d'icitte, moi et le Bruno on va aller prendre une bière et je vais me saouler la

- 326 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gueule parce que la vie est plate et que j'ai pu rien à faire d'autre. Christ qu'y fait chaud. On devient disfonctionnel quand il fait chaud comme cela. Au moins l'hiver on a le chauffage. Qu'essadone d'avoir une TV si on a pas l'air climatisé et que lorsqu'il fait chaud on est incapable de la regarder? J'espère que ma Nouvelle Humanité va me satisfaire. J'espère que je vais être capable de faire sortir des beats de ce stupide ordinateur non payé, j'espère que je vais le payer un jour, ou en bon Américain, j'espère mourir avant d'avoir a le payer.

L'histoire d'OJ Simpson fait encore la une de nos journaux, deux articles en première de La Presse d'aujourd'hui, faut le faire! J'y apprends entre autres que ça fait vraiment longtemps que j'ai quitté les bancs de mes cours de mathématiques et que le retour en génie va m'être un vrai calvaire. Pourquoi? Parce que les Américains représentent 5% de la population mondiale et que mes calculs, j'ignore comment j'ai fait mon compte, sont extraordinairement à côté de la track. Comme d'habitude, je ne me suis même pas questionné si logiquement une réponse en bas de un pourcent était possible. Bref, 70% des avocats de la planète se trouvent aux USA. Je me demande si cela signifie que là-bas on a moins de chance de se faire fourrer qu'ailleurs, ou qu'au contraire, il est impossible de ne pas se faire fourrer par la justice. 64% des Américains noirs pensent que Simpson va se faire fourrer par la justice parce qu'il est noir. Est-ce le fruit de la paranoïa ou bien est-ce que des études prouves qu'aux USA, on est jugé différemment selon la couleur? J'aime croire qu'en cette terre de liberté il y a effectivement plusieurs justices. Et c'est d'ailleurs plus que probable. On en a entendu des histoires de procès de noirs aux USA. Mais attention, pas juste aux USA. Pour ma part, I felt like a whimp lorsque j'ai appelé les écoles de New York pour un emploi. J'ai été traîté comme un immigrant venu d'un pays politiquement instable et qui cherchais à fuir en trouvant un emploi aux USA, ce qui me permettrais d'avoir la carte de naturalisation appelée Green Card. On m'a franchement dit que les politiques à respecter étaient que l'on engageait que les gens qui avaient des papiers en règles. On avait l'impression que j'essayais de passer illégalement les lignes. Christ! Quelle sorte de pays de la liberté est-ce cela? Il m'est impossible de déménager là, impossible de trouver un emploi, j'y ai pas de famille, je ne peux me marier avec une femme, bon Dieu, gardez-le votre pays. Je n'en veux rien savoir. Pourquoi est-ce si difficile de changer de pays, que dis-je, si impossible? Je me

- 327 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

suis choqué contre une femme, je lui ai dit que voilà des mesures qui visent l'anéantissement de la communauté française à New York. Car, comment voulez-vous encourager les français si vous leur refuser un emploi qui pourrait leur être essentiel, alors que les français qui y sont déjà ont la chance d'être sur place pour trouver un emploi ailleurs? Elle m'a dit qu'ils n'avaient pas de temps à perdre avec les formalités de l'immigration, que c'était fort complexe et fort coûteux, et qu'en plus, des Français à New York y'en a beaucoup [trop?], et qu'ils avaient largement le choix sur place. Merci madame, je souhaite que la communauté française à New York s'éteigne avant l'an 2030, si la planète n'aurait, par hasard, pas encore sautée à ce moment. Où sont donc les Québécois à New York? Je n'y ai vu que des Français. Comment ai-je pu croire un seul instant que les Français ou les Québécois s'entraidaient à l'étranger? Pas du tout, il faut aller chez les juifs ou les peuples genres du Liban, des Indes, du Pakistan, etc. Eux s'aident entre-eux, instinct de survie? Ils réussissent tous en commerce ou restauration, c'est beau la solidarité. Même Ynan Wang, mon amie chinoise, me disait que les Chinois ne s'entraident pas entre-eux ici, bien qu'ils s'agglomèrent ensemble et ne se mêlent pas à la population. Mais qui vous dit que les Canadiens de souche anglaise ou française se mêlent à la population? La société est individualiste? Tant mieux, je ne veux rien avoir à faire avec eux. Y'a pas grand chose de positif qui soit ressorti de n'importe laquelle de mes relations en général, et surtout pas dans la vie sociale à l'école ou au travail. Au contraire, comme univers destructeur, y'a pas mieux. Mon Dieu, bilan de ces derniers temps, dernières fibres morales religieuses avant de devenir un chômeur invétéré, suivi d'un paria de la société sur le welfare, puis maintenant un immigrant illégal qui cherche à s'installer en terre de liberté. J'ai même pas été suffisamment compétent pour décrocher du bien-être social. Je suis à bout.

10 juillet 1994

Le temps passe plus lentement qu'en mars-juin, mais il passe, et la fin de l'été s'en vient. Néanmoins, j'ignore si je serai à Paris, à Ottawa ou New York. Le mieux c'est que je n'ai pas un sou, comment peut-on rêver de deux plus grosses villes artistiques de la planète, sans un sou? Je suis au bord de la crise, Ed vient de m'appeler, il a encore rencontré un gars,

- 328 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ils se sont retrouvés nus dans sa voiture, ils se sont masturbés puis se sont arrêtés, paraît que le gars avait une bite trop grosse. Cela s'ajoute aux deux du début de la semaine même si Ed dit qu'il n'a rien fait avec le deuxième. Qu'est-ce que ça change quand le premier était si extraordinaire? Et Bruno qui veut déménager aevc Edwin en septembre à New York, dans le même appartement, ce sera clair d`s le début, moi et Ed, on ne se touche même pas, on s'oublie complètement. Mais comment vais-je survivre aux beaux gars qu'il va ramener? Plutôt mourir. Un une chambre en plus, plutôt mourir. Moi aime mieux me contenter avec l'amour de ma vie loin d'Edwin. Mai j'aime tellement Bruno, il est tellement incroyable, c'est là tout le paradoxe. Edwin m'écoeure en plus. Sa mère lui a demandé si j'étais homosexuel. Ça y est, c'est clair, j'ai vraiment l'air tapette, c'est écrit dans ma face. Le pire c'est que personne veut que je me fasse couper les cheveux, je suis si beau comme ça. Personne veut que je largue mes vêtements noirs, j'ai un style tellement franco-européen. Crisse, ils veulent (Bruno et Edwin) que j'aie l'air tapette! Me voilà donc face à un dilemme. Ou bien je continue à m'habiller comme cela et accepte que l'on me prenne pour un homosexuel, ou bien je retombe dans mes jeans bleues laite et T-shirt blanc avec mes cheveux courts et passe totalement inaperçu dans la masse. La mère d'Edwin a eu la puce à l'oreille parce qu'Ed lui a dit que moi et Bruno étions artistes. Artistes et homosexualité égal-t-il végétarisme et homosexualitté? Moi un artiste? Avec la connotation négative que ça implique, j'aime autant laissé faire. Je ne veux pas être classé artiste, ni intellectuel, ni excentrique. Mais j'ai tellement l'air con avec des jeans, j'ai aucune personnalité, j'ai l'air du dernier adolescent qui n'a aucun espoir à la vie. Bref, la mère d'Ed veut savoir si la nature lui a donné l'horreur. Elle dit être prête à l'accepter et qu'Ed montre toutes les caractéristiques de l'homosexuel moyen: toujours de mauvaises humeurs, dépressif à mourir, chambre trop bien rangée, malheureux alors qu'il a tout. Moi il me faut oublier Edwin et vite. Partir pour New York? Pas sûr si ça me tente. Partir pour Paris? Pas sûr si ça me tente. Rester à Ottawa? Pas sûr si ça me tente. Montréal? Jonquière (comme mon père m'a encore bouster pour que j'y retourne)? Pas sûr. L'Afghanistan, ça, ça m'intéresse. C'est quoi qu'on retrouve là-bas? Des Musulmans ou des Juifs? Quelle sorte de guerre il y a là-bas? Qu'est-ce qui s'y prépare? Je l'ignore complètement. Je ne savais même pas (John non plus d'ailleurs) que Washington était à l'est et non à l'ouest dans l'État de Washington. Je ne suis pas à blâmer pour

- 329 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

cette ignorance majeure après trois années à l'Université en Droit, Philosphie et Français. Voyez plutôt comment notre beau système scolaire n'a pas sû m'apprendre les choses vraiment importantes en dix-sept années d'études. Quoi d'autres je ne savais pas plus proche de moi? Que les gens qui sont pour la séparation du Québec depuis toujours sont des intellectuels, des artistes, des gens qui ont des études universitaires de niveau supérieur. Des disconnectés semble-t-il. Moi qui ne suis ni artiste, ni intellectuel, ni lauréat d'une maîtrise, affirme que je dois donc être contre la séparation du Québec. Parce qu'à l'heure actuelle j'oscille entre les États-Unis, la France, le Québec et l'Ontario, et je vous jure que les frontières sont infranchissables et que n'importe quel peuple fait ce qu'il peut pour se protéger de l'étranger. Le Libre-Échange entre les Américains et les Canadiens? J'en ris. Avec le Mexique peut-être, on en a de l'argent à faire avec le cheap labor. Je souhaite que les Mexicains fassent leur révolution industrielle cinquante fois pluss vite que les Canadiens. On en reparlera de ces pseudo-ententes d'unification. Je ne doute pas que l'Europe-Unie ne le sera qu'à moitié. Je veux pouvoir aller n'importe où n'importe quand sans des formalités à n'en plus finir qui n'existent que pour nous décourager. Eh bien, je ne me suis pas découragé avec Paris et sa bureaucratie universitaire, mais voyez, ils se seront arrangés pour me renvoyer mes choses à chaque fois pour me dire ensuite que je me prends trop tard et qu'il n'y a plus de place. Le plus simple aurait été de me dire que mes résulats étaients insuffisants! J'aurais pas têté autant à m'imaginer que j'allais devenir Parisien du jour au lendemain. Gardez-la votre France! Ça veut coloniser l'univers en entier et c'est même pas capable de reconnaître ses brebis perdues dans les colonies. Qu'est-ce que ça donne de nous envoyer leur gros bonhomme pour venir nous crier Vive le Québec Libre si on est même pas foutu de reconnaître que les Québécois devraient pouvoir accéder à la France plus facilement que les Chinois qui débordent à Paris. Ah bon, y'a d'l'argent à faire avec les Chinois? Tant mieux. Si un jour je deviens riche, je serais heureux de remettre la moitié de mes revenus à Impôts Canada et le gouvernement ontarien. Puisque j'ai bien l'impression que c'est ici que je vais crever. Bientôt, avec la séparation du Québec, il me faudra renoncer à la nationalité Québécoise si je veux rester avec Bruno et rester Canadien. Et comme les formalités d'usage pour redevenir Québécois sont pratiquement impossibles à remplir (je m'y connais en matière d'immigration internationale), j'accepte de mourir chez les Ontariens.

- 330 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Heurk, je vais devenir un Franco-Ontarien. Il va falloir que je commence à me lamenter comme eux autres, comme si j'en avais pas déjà assez d'être une minorité en Amérique du Nord ou au Canada en étant Québécois, il ve me falloir être la minorité de la minorité en étant Franco-Ontarien. J'm'en fous, parce que j'm'en fous de leur idées de minorités qui vont disparaître. Qu'elles disparaissent et qu'on en parle plus! Pendant ce temps, j'ai acheté aujourd'hui une grammaire anglaise aisni qu'un livre qui va m'apprendre tout ce qu'il y a à apprendre pour devenir au moins le cerveau moyen anglais. Ô descendants of England, be happy, I'm gonna give you my money and my life! Mais attention, j'ai bien envie de vous détester autant que tous les autres, et même, de vous critiquer jusqu'à ma mort. On ne vie pas dans une société sans la critiquer, ou alors, on va s'en faire passer des belles. Surtout en Ontario, ça prend pas grand choses pour que tout le monde se mette à paniquer et que l'on passe une série de lois anti-liberté. Ça prend juste quatre jeunes par années qui se tuent dans un accident d'automobile pour justifier, à chaque année, un renforcement des lois par rapport à la jeunesse. Mon Dieu, les jeunes!, éviter les accidents, vous comprenez pas qu'à chaque fois le 99.9% des autres qui sont raisonnables payent pour les cons. Je vous le dis, c'est pas normal à 21 ans d'être à la limite de pouvoir prendre aller dans un bar à New York. Christ, la moitié du monde se rendent même pas à 40 ans, c'est plus que la moitié de leur vie. Sans pouvoir rien faire. C'est la première fois que j'ai pu conduire la voiture louée chez Budget avec Bruno, depuis que l'on en loue (presque trois ans), parce qu'il faut au minimum 21 ans pour conduire. Sans compter que sans carte de crédit, on peut pas en louer (combien de gens ne peuvent même pas louer une voiture?) J'ai l'impression que l'on me fait une faveur quand j'entre dans un bar, que l'on voit d'un mauvais oeil tout ce que j'entreprends pour la simple raison que je suis jeune. Quel genre de message vous envoyer à vos jeunes? T'es trop cruche pour conduire une voiture à 21 ans, comment alors devenir ingénieur au même âge, être PDG à 30 ans? Faut être paranoïaque dans vie: j'ai compris, ça fait partie d'un plan des boomers pour nous empêcher de prendre leurs emplois, nous donner l'impression que nous sommes trop jeune, même à 35 ans. C'est l'Américain best sellers qui disait ça, mais moi je l'ai lu dans l'éditorialiste d'une revue Américaine (Rolling Stone?). Bof, j'm'en fous. Aujourd'hui j'ai bien compris qu'il ne s'agissait pas juste de la jeunesse. Y'a rien à attendre d'autrui, rien et rien, ils sont là pour nous décourager, nous embêter, nous obliger,

- 331 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

et les religieux sont les pires de tous. Y'a plus de morale. Je soupçonne qu'il n'en a jamais eu. Je n'ai reçu que des embûches de la société depuis que j'essaye d'arriver quelque part, je n'ai jamais travaillé quelque part sans que ce n'aie été un calvaire, et Dieu sait comment je suis capable d'en prendre. On devrait me donner une médaille pour mes deux ans à la cafétéria de l'Université, à part les Chinois qui disent jamais rien parce que leur job là, c'est leur salut parce qu'ils peuvent pas travailler ailleurs, je suis le seul employé à temps partiel qui se soit maintenu pendant deux ans avant de décider de quitter. Le plus extraordinaire: sans se faire mettre dehors! Quoiqu'à la fin, c'était le syndicat qui les empêchait, je me serais moi aussi retoruvé à la porte. L'expérience de la vie ne doit pas être si grande, et ce que j'ai d'amassé est déjà très lourd sur mes épaules. Les profs d'universités, les secrétaires, les employés chargé de l'administration, tout ce monde est frustré ben dure, et ne nous donne guère les moyens d'être heureux ou d'espérer. Quand on observe leurs problèmes internes (cf.: Valery Fabrikant à l'Université Concordia et les magouilles de profs qui prennent crédit pour le travail des autres) on compred à quoi va ressembler la vie extérieur. Je n'ai même pas encore essayé de me trouver un vrai emploi. Je commence à regarder pour New York, comme d'habitude, il me faut un New York State certification pour travailler dans l'enseignement. Qu'est-ce que c'est que ça? C'est probablement la chose qui protége les enseignants de l'État de New York contre les envahisseurs étrangers. J'imagine qu'à Paris cela existe aussi. En Ontario ça s'appelle un certificat d'enseignement pour la province de l'Ontario, il faut faire un an d'éducation, et on en peut travailler qu'en Ontario avec cela. Pour le Québec, il me faudrait refaire une autre année d'éducation pour le certificat de d'enseignement du Québec. Et une autre année à New York? Quand je vous dis qu'il n'y a pas moyen de s'en sortir. Même entre les provinces du Canada et entre les États Américains, on change d'univers complètement et l'on devient un citoyen de seconde classe (j'aime mieux dire de sous-catégorie). Non, les hommes ne sont pas égaux aux yeux de l'État. Je veux dire, les femmes et les hommes ne sont pas égaux et égales aux yeux de l'État.

Que penser de l'avortement? C'est drôle, je suis incapable de dire là concrètement si je suis pour ou contre. Aucun doute, je dirais que je suis pour, mais il me reste ce poid sur la conscience en rapport au bébé à naître. Je serais pour parce que la liberté de la personne

- 332 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

m'indique qu'une femme a droit de se faire avorter si elle le désire. Est-ce la religion qui m'a lavé du cerveau? Est-ce que je n'agis pas un peu comme la personne qui ne peut accepter ou comprendre l'homosexualité et qui la dénigre, alors que moi je suis un peu pas mal non concerné par l'avortement ou pour juger de ce qui devrait en être. Est-ce vrai que les filles qui se font avorter le regrettent? Si elles ont effectivement un poid sur la conscience, bien sûr, cela vient aussi de la religion qui a tout fait pour que l'on se rende coupable à ce sujet. Je ne suis pas dans la peau d'une femme qui justement prend la décision de se faire avorter. Je sais aussi que cette décision ne se prend certainement pas à la légère. Je serais porté à dire que l'avortement doit être légaliser parce que les femmes ou jeunes filles qui ont vraiment décidé de se débarrasser du mormon (ô ironie), le feront de toute manière, souvent au prix de leur vie. Maintenant, va-t-on obliger les femmes qui se font avorter à payer la facture médicale alors que tout le système de santé paye tout le reste pour tout le monde? Ce serait injuste, parce que les gens qui se font justement avorter sont peut-être pas aisé financièrement. Il y a de forte chance que les conditions de vie plutôt misérables de la femme soient la cause première? Comment alors leur exiger la facture? Elles ne se feront pas avorter alors, ou payeront longtemps. Alors qu'une femme plus aisée financièrement pourra se faire avorter sans problème. Mais j'avoue ne pas avoir lu le moindre papier par rapport au problème. Quelqu'un qui n'a pas ppris connaissance des problèmes en cause, qui n'a pas lu les deux côtés de la médaille sur un sujet, peut-il trancher la question? Et quelqu'un qui s'est fait une idée sur un sujet, peut-il changer d'avis un jour, peu importe tout ce qu'il lira sur le sujet? On a souvent l'impression que non dans nos sociétés actuelles. De surcroît, quelqu'un qui soudainement change d'idée devrait-il être discréditié dans ses dires parce qu'il a changé d'opinion? On a aussi fort souvent cette impression. Quand Jacques Parizeau commence à parler de référendum, ses intentions et discours changent selon les sondages. Bien, vaut mieux s'adapter aux gens que de poursuivre dans une mauvaise voie. Le problème, c'est quand les journalistes commencent à le prendre au mot et qu'ils l'attaquent sur sa crédibilité pour des mots. Je pense à Lysiane Gagnon de la Presse du Samedi 18 juin 1994, qui argumente sur le fait que Parizeau avait dit que le référendum aurait lieu tout de suite après les élections, pour ensuite dire par exemple huit à dix mois après les élections. Le par exemple de Parizeau lui a servi de porte de sortie pour annoncer qu'il pourrait bien tenir son

- 333 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

référendum deux ans ou quatre ans plus tard. Elle veut enlever la crédibilité de Parizeau en affirmant qu'il revient sur sa parole, ce à quoi il répond qu'il s'est protégé contre ses dires. Ce qui stupide, il pourrait bien avoir dit dans huit à dix mois, et revenir tout court sur ses intentions. Elle dit encore: «Mais comme il est en politique, et qu'en politique l'opinion publique l'emporte sur la raison, il pourra fort bien se trouver forcé de revenir à l'étapisme de 1976, à la stratégie louvouyante et floue qu'il a tant honnie». (P.B3). Et puis après? Is that a point? On peut honnir quelque chose et se rendre compte après que c'était bien si c'est effectivement le cas. Sinon, qu'est-ce qu'on deviendrait si on s'obligeait à garder nos opinions quand on les sait mauvaises ou néfastes? Mais le problème devient plus complexe quand on s'est fait du crédit sur la dénonciation. Chrétien par exemple qui avait tant crié qu'il allait se débarrasser de la pire taxe jamais mise sur le marché, la TPS. Il s'en est fait du crédit là-dessus. Après les élections, voilà que c'est beaucoup plus compliqué, on ne peut pas la remplacer ni la faire disparaître. Persistant dans son effort, il va créer la VAT, même taxe mais qui porte un nom différent. Quelle idiotisme. Même chose avec le Libre-Échange. On va le renégocier le deal une fois au pouvoir. Je me suis toujours demandé comment il pourrait renégocier une affaire qui avait déjà demandé tant de compromis. Il n'a rien pu faire d'ailleurs, le contrat était passé. Le projet des hélicoptères est un autre contrat qui prouve que ça ne prend qu'un gouvernement pour prouver qu'un contrat défi toute les lois sur le droit des obligations. On a fait sauté un deal avec une compagnie de l'Angleterre, pas folle, la compagnie est allé en justice. On pouvait lire dans un tout petit article quelques moios plus tard que le Canada allait devoir payer un gros pourcentage de la facture même s'il n'achetait plus rien. Des promesses électorales dites à la légère nous coûtent cher parfois. Comme Bourque qui se présente à la mairie de Motréal et qui dit qu'il va baisser les taxes et qui commencent à planifier ce qu'il va faire. Je ne sais pas, mais j'ignore tout de l'administration de la ville de Montréal et ce qui est effectivement possible de faire. Comment M. Bourque pourrait être assez au courant pour nous dire comment il va faire son compte, c'est-à-dire baisser les taxes malgré tous ses grands projets? Las partis de l'opposition devrient avoir la chance de constater les finances et tous les rouages avant de commencer à se faire du crédit électoral sur de l'utopie.

- 334 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Je viens de parler à Bruno, il est convaincu qu'il va partir pour New York, même si je n'y vais pas. Ses plans sont tellement simples qu'ils effraient. On part, sur place j'essaie de trouver un emploi si entre-temps je n'en ai pas trouvé un, on emménage avec Edwin, on va à tous les partys, on rencontre les grosses légumes de la scène de la musique, on les tête, on les suce, on finit par atteindre les sommets des palmarès. New York, tout est permis. J'ai juste peur de pas fitter dans le décor, juste peur de pas connaître la musique et de passer pour un crétin qui veut se faire du crédit là-dessus. Je me sens comme l'autre moitié du groupe Wham! de George Micheal. C'est lui qui faisait tout et les deux avaient le crédit. Ce qui me fait me demander s'ils ne sortaient pas ensemble ces deux là. Voyons R.M. pour ce que ça coûte de partir des mauvaises rumeurs sur l'homosexualité, tu devrais t'abstenir d'accuser tout le monde de mériter le calvaire de s'assumer homosexuel publiquement. Bref, j'ai maintenant deux miracles à accomplir. Passer à travers les deux livres de grammaire, apprendre l'anglais pour devenir un parfait bilingue, et deuxièmement, passer à travers le livre de Cubase, du livre Roland pour le synthétiseur, et apprendre la musique pour devenir potable d'ici un an, semi-virtuose d'ici cinq ans, et virtuose en dix ans. J'en ai du pain sur la planche, surtout que j'ai pas terminé la Nouvelle Humanité. Mais pour l'Underground, aucun problème, j'avais l'intention de l'écrire à New York. Tient, ça me fait penser que je voulais écrire René de l'Aventure en faisant un voyage en Turquie. Je n'y ai jamais cru par exemple, c'est un des gars avec qui j'étais en droit qui m'y a fait repenser. Je l'ai rencontré un an plus tard et il m'a demandé si j'avais été en Turquie. C'est trop drôle. J'imagine que riche comme il était, lui, quand il veut aller en Turquie, il y va. Moi ça marche pas comme ça. Il était juif d'ailleurs, avec un autre dans la classe. Ils parlaient Hébreu, paraît qu'ils étaient riches à craquer et que leurs parents venaient de Montréal: CRACK! Je ne nourris pas les préjugés en disant cela, croyez-le. Je nargue les autres plutôt. Je n'encourage pas l'anti-sémitiste ici, j'encourage l'anti-québécisme. Parce qu'il paraît que les Québécois sont antisémites. Un des profs à l'Université d'Ottawa disait que les Juifs n'avaient jamais été tendre envers les Québécois. Parlait-il de Mordacai Richler ou des Juifs en général? Richler est excusable selon mon ami juif Joël Cyr, parce qu'il a tellement cracher sur les Juifs, qu'il peut bien dégueuler sur les Québécois. Je pense que j'ai déjà dit cela quelque part dans mon journal. Je me demande combien de fois je répète certaines choses. Mais comme je l'ai déjà dit, la race

- 335 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

humaine a besoin qu'on lui répète vingt-cinq fois la même chose plusieurs fois par année si on veut maintenit un quelconque lavage de cerveau. C'est la raison pour laquelle à chaque semaine on évite les fidèles à l'Église. Bref, les profs à l'Université d'Ottawa sont pas mal antisémites, qu'est-ce donc qu'il s'est passé là-dedans avant ma naissance? C'est pas des choses que l'on dit tout haut, c'est des choses que l'on cache, que l'on étouffe. Que l'on a honte j'espère? Remarquez que je ne sais rien. Sauf que notre modèle collectif qui s'appelle Lionel Groulx était pas mal antisémite et qu'à cause de ça, il cause problème pour être un bon modèle chez les enfants. Quand on pense que chaque école secondaire ou polyvalente ou CÉGEP possède sa salle ou son auditorium Lionel Groulx... mais voyons, y'a pas de problèmes, tous les papes des dernières décennies ainsi que les prêtres de la religion catholique étaient (et sont) antisémites, va-t-on remettre le tout en question? Peut-être même que le pape est anti-humain, ça n'empêchera pas les peuples de l'aduler. Les humains sont faits comme cela, il sont anti-humains. Ils sont la perfection réincarnée, ils visent rien d'autre que de devenir Saints ou Dieu. Attention, quand Dieu va comprendre qu'on est en train de construire une tour de babel, il va s'écrier: Non à la liberté d'expression et à la compétition! Devenez unilingue, fermez-vous la gueule, prenez votre trou et chacun chez-soi! Je lisais une très bonne définition de ce que le catholicisme promouvoit aujourd'hui dans The New York Times Magazine (voyez, je vis déjà à l'heure de New York) (p.38): «You can make a persuasive case against Catholicism if you want [you bet!]. The Chruch is resolutely authoritarian and often seems to be proud of the fact that it «is not a democracy.» It discriminates against women and homosexuals [pour plus d'impact sur la psychologie populaire, j'aime mieux utiliser Mysogyne et Homophobe, (comme souveraineté (moyens légaux par démocratie) plutôt que séparation (de force avec du sang)]. It tries to regulate the bedroom behavior of married men and women. It tries to impose the catholic position regarding abortion on everyone. It represses dissent and even disagreement. The Vatican seems obsessed with sex [me too, how funny!]. The Pope preaches against birth control in countries with rapidly expanding populations [à ce sujet il faut lire la Nouvelle Humanité dans les premières pages]. Catholics often cringe when the local bishop or cardinal pontificates on social policy issues. Bishops and priests are authoritarian and insensitive [souffrez madame, c'est là votre destin. Stoïque parfois.] Lay people have no control of how their contributions are spent

- 336 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

[voir la Nouvelle Humanité à ce sujet]. Priests are unhappy, and many of them leave the priesthood as soon as they can to marry. The Church has covered up sexual abuse by priests for decades [for millenium]. Now it is paying millions of dollar to do penance for the sexual amusements of supposedly celibate priests while it seeks to minimize, if not eliminate altogether, the sexual pleasures of married lay people. One might contend with such arguments. Research indicates thet priests are the happiest men in America». Est-ce possible? Est-ce qu'ils mentent? Sinon, qu'est-ce qui peut faire d'eux les hommes les plus heureux d'Amérique? Qu'ont-ils découvert que nous n'ayons découvert? Ou peut-être que c'est l'auto-hypnose, on arrive à se convaincre qu'on est heureux parce que Dieu est là pour nous guider? Ou même, peut-être ont-ils été illuminés et que Dieu est descendu sur leur tête pour leur jurer fortune et richesse dans l'autre monde? Ou encore plus de bonheur à la droite de Dieu le père? Faisons une expérience, est-ce que je sais le Je vous salue Marie par coeur encore? Je vous salue Marie pleine de grâce, vous êtes béni entre toutes les mères et le fruit de vos entrailles est béni. Voyons voir d'autres phrases clés: Que la force soit avec vous, et avec votre Esprit, nous nous tournons vers le Seigneur, cela est juste et bon. On disait cela comme des robots à la messe, personne n'en saisissait le sens tellement c'était du par coeur. Pire, le Je vous salue Mary je le savait en anglais par coeur, voyons voir: Mary, mother of god, Pray for our sins (I remember sinus, but it was probably sins). J'étais le plus pourri de la classe en anglais, les autres s'en rappellent sûrement encore, moi je disais n'importe quoi et le prof le savait. En tout cas, il semble que j'arrive avec de nouvelles parties de la prière. Too bad we were not learning Spanish, maybe je saurais la prière au complet après l'avoir apprise par coeur dans les trois langues.

Y'a un p'tit dessin tellement extraordinaire dans le New York Times, ça vient du journal The Baltimore Sun, j'ignore où c'est ça, mais j'ai ris pendant une heure. On voit les sept grands de la planète qui font leur rencontre annuel, et tous les pays sont représentés par un malade mourrant dans leur lit et on peut lire en haut: Political intensive care unit. On voit Clinton en chaise roulante un pied dans le platre à cause de la chute du dollar américain, et il s'adressent aux «world's strongest industrialized nations». Pour l'Angleterre, on montre que la popularité du gouvernement est franchement à la baisse, pour le Japon on indique un

- 337 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

genre de panneau qui fait qu'à chaque semaine, on peut changer le genre de gouvernement (this week Socialist), pour l'Allemagne on voit des siameses twins pour l'est et l'ouest, qui ont été cousu ensemble et qui n'ont que deux pieds pour deux têtes comme si on se demandait où ils s'en vont ou pourront aller, pour l'Italie, c'est un genre de bébé, écrit fascisme dessus, qui fait le signe-salut symbolique à la Hitler, et pour le Canada, alors là, c'est merveilleux. On voit un bébé monstre genre p'tit cancer (comme celui dans le film Alien) qui sort du ventre du gars et qui dit: Vive Quebec! Il est évident que c'est le clou de la p'tite histoire, c'est trop drôle.

11 juillet 1994

Parlant de bandes dessinées, on a rencontré l'ami d'Edwin à New York. Son nom est Joe Rocco, il est en voie de devenir aussi grand que Matt Groeland, qu'il connaît d'ailleurs. Je ne me croyais pas aussi proche de tout ce monde par un seul voyage à New York. Paraît que malgré ses deux célèbres personnages homosexuels, Groeland serait marié avec enfants. Ce serait donc être branché d'avoir plein de références à l'homosexualité dans les célèbres Simpsons, traduit à saveur québécoise au Québec. Et ces deux autres personnages, assez impressionnant pour quelqu'un qui n'est pas gai d'arriver à spoter toutes ces situations. Je soupçonne qu'il a des amis gays alors. Gay s'écrit-il avec un y ou un i? Je vais inventer la règle puisque que je ne la connais pas. Je vais dorénavant écrire y quand il s'agira de parler des gens puisque le nom vient des USA. Et j'emploierai i quand il s'agira de l'adjectif. Ce qui est logique en rapport à ce que j'ai lu à propos des noms propres de pays. Bref, Rocco me fait penser que l'on va devenir comme lui, petit appartement dans Brookline à espérez devenir célèbre. Il est sur la bonne voie, il a déjà des contrats avec trois grands quotidiens américains, et travaille pour Disney, coloriage. Paraît que Disney paye en christ, la qualité ça se paye. À mon avis, faut toujours payer un maximum si on veut déboucher. Jamais croire que l'on peut payer moins, ça va coûter plus cher en bout de ligne. Un avocat? Je vais directement au plus gros. On peut pas niaiser avec la justice, parce que quand on perd, on est hypothéquer pour longtemps. Un traducteur? Il me faut un grand auteur de langue anglaise, je suis prêt à payer le prix. Un agent pour la musique? Faut miser sur celui

- 338 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

de Madonna et de Micheal Jackson même s'il rafle la moitié des profits au passage. Si l'on débouche pas, ça va coûter plus cher en bout de ligne. Je me demande franchement ce qu'un petit agent inconnu qui annonce dans le journal pourrait faire de plus que moi en rapport aux compagnies de disques. Peut-on encore employé ce terme considérant que les disques n'existent plus? Nos enfants vont regarder les disques comme je regardais les cassettes 8 ppistes dans le temps et les disques 78 tours. Et moi qui a tellement de disques à n'en plus savoir ou les mettre. J'en ai peut-être écouté trois dans les cinq dernières années. C'est trop fatigant de changer les disques de bord et j'ai toujours full cochonneries sur le dessus du tourne-disque. Je ne suis pas comme Ed, ma chambre a toujours été une soue à cochon, comme celle à Bruno d'ailleurs. Pas de doute, il va falloir une femme ou un homme de ménage plus tard dans notre appartement ou maison. Paraît que les gays ont de l'argent de toute façon, pourquoi moi et Bruno ferions-nous l'exception? Dans la Presse du 2 juillet 1994, Lysiane Gagnon affirme que les femmes enfin libérées financièrement de leur mari, vont enfin manger au restaurant entre femmes sans faire paniquer les maîtres d'hôtels qui en déduiront qu'elles ne vont pas manger grand chose. Elle dit que les hommes auraient tendances à fuir comme la peste ces genres de rencontres entre hommes où ils parlent de deux à trois heures de leur vécu: «Quand voit-on deux hommes seuls attablés au restaurant le soir? Rarement, exception faite des couples gay et des intellectuels «libérés».» Voilà pourquoi on nous étiquette vite. Eh bien, hey les gars straight, vous savez maintenant quoi faire, n'allez surtout pas au restaurant entre hommes le soir, vous serez cataloguer homosexuels et peut-être même pire, intellectuel «libéré». «L'industrie a fini par réaliser que la clientèle des ménages gay était une mine d'or: deux salaires d'hommes (statistiquement plus élevés que la moyenne), pas d'enfants, un certain penchant pour l'hédonisme, des gens qui ont le temps et les moyens de voyager, de sortir, de consommer». L'hédonisme c'est un peu fort, c'est peut-être vrai d'un certain point de vue. Les gays sont sociales, il faut qu'ils rencontrent des gens, tandis que les couples straight je les vois plus à s'enfermer à double tour dans leur tour d'ivoire. Leur sortie consistant à aller chez McDonald. Mais tout ça est peut-être faux. Comme étudiant, on peut voir que je sors en christ et voyage en christ, je bouffe partout au restaurant, hier je suis sorti de la maison pour aller acheter un journal, du lait et des bananes, ça m'a coûté exactement 141.38$, et le pire c'est que j'essaye d'écono

- 339 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

miser pour New York. J'ai fini par acheter un CD de U2, une cassette vidéo de U2 (parce que le gars au comptoir était beau, sic), deux livres de grammaire en anglais et presquue 80$ d'épicerie alors que j'ai oublié d'acheter des bananes. Pas de danger que j'y retourne pour des bananes, je risquerais qu'elles me coûtent un autre 50$. Aucun doute, dans le contexte actuel des choses, un monde tellement homophobes, n'importe quel compagnie qui courtise les gays, moi j'embarque, prêt à leur donner de l'argent même s'ils ne m'offrent rien en retour. Instinct de survie peut-être. Le Nouveau Parti Démocratique est en faillite de 2 millions à l'heure actuel, j'ai passé proche de donner de l'argent parce que Svend Robinson lui-même, le seul député ouvertement gay de toute l'histoire, risque de devenir le chef de ce parti et qu'à l'heure actuelle il risque d'aller en prison pour une histoire de barricades chez les indiens de l'ouest canadien. Vous avez vu cela souvent vous, un Québécois qui vit en Ontario et qui va soutenir un député de la Colombie-Britannique alors qu'il n'a jamais aidé qui que ce soit en politique? Ce qui m'a arrêté c'est que deux millions de dettes ce ne me semble pas si terrible pour une organisation politique, surtout quand on se targue d'être le seul parti de gauche qui existe. À même leur salaire, je pense que les députés du NDP pourrait éponger cette dette facilement, ou du moins, aux prochaines élections ils pourront éponger cela j'imagine. Je détestais Walt Disney pour sa grande campagne commerciale à même les jeunes (j'ai lu dans la Presse d'hier que les enfants achètent eux-mêmes avec leur argent les livres pour enfants de la maison d'édition la Courte Échelle, ils sont donc de vrais consommateurs. Je l'ai d'ailleurs constaté en travaillant aux disques Polysons pendant six semaines dans le temps, tellement d'enfants venaient acheter les photos et disques des News Kids on The Block, sans compter les enfants de 4 à 6 ans qui achetaient à l'insu des parents peut-être, des photos des Ninjas Turtles à 4$ pièce). Oui, je détestais Walt Disney parce que c'est de l'exploitation pure et simple que de miser sur les jeunes quand on sait que c'est le créno qui fonctionne le plus. Combien de posters de Dépêche Mode j'ai acheté par exemple, à 20$ pièce, deux fois le prix de leurs disques. Bref, maintenant j'aime Walt Disney, je l'admire: «L'année dernière, des compagnies aussi cotées que Apple, Disney et Virgin Atlantic ont commencé à acheter de l'espace publicitaire dans les magazines gay». Je sais aussi que chaque année, Disney tient une fête pour son pourcentage d'employés gays, et que les couples gays ont les mêmes avantages sociaux que les autres. C'est pas beau ça? «On

- 340 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

estime que les homosexuels américains dépensent 514 milliards - autant que la clientèle noire et hispanique combinée. Les gays gagnent en moyenne 51 600$ par année, les lesbiennes 42 700$. Ils sont en outre plus instruits que la moyenne, le quart d'entre eux ayant un diplôme universitaire». C'est plus que le petit 26 000$ d'Ottawa qui se classe bonne deuxième dans tout le Canada. Dites le aux Églises que les gays ont tant d'argent, peut-être voudront-ils nous courtiser aussi et arrêteront leurs mesures draconiennes d'élimination des gays de la société? «La vodka Absolut est devenue «la» vodka des bars gay depuis que la compagnie a établi un précédent en annonçant dans des publications gay.» Bon, je vais maintenant me saouler à la vodka Absolut, j'espère qu'elle est meilleure que les autres. Mais la vodka ne goûte-t-elle pas la vodka? Et est infecte de toute manière.

12 juillet 1994

Hier j'ai abruptement arrêté d'écrire parce que j'ai eu le malheur de téléphoner à une annonce dans le journal qui annonçait 18$ de l'heure, emploi pour étudiant. Où était donc la passe? Eh bien, il y en avait toute une. La femme me dit de venir pour 2h, fine, ça me laisse quarante minutes pour me laver et sauter dans un taxi qui m'emporte l'autre bord de la ville. 18$ de taxi, ça commence bien. On était 40 dans la salle, ça fait plus qu'un mois que l'annonce passe dans le Citizen. Cette fois je l'avais lu dans le Droit. On commence par nous demander si quelqu'un connaît Smart Talk Network, pratiquement personne donc. Maintenant on nous demande si on connaît Unitel. Tout le monde. Là, le gars il dit qu'ils sont trois fois plus gros qu'Unitel et que la différence entre les deux, c'est qu'ils dépensent pas toute leur argent sur la publicité. Suit ensuite qu'Unitel est une affreuse compagnie parce qu'elle n'offre que 15% de rabais sur les frais interurbains par rapport à Bell, il faut faire un minimum d'appels par mois, et pire, faut perdre tous ses amis en les inscrivant à Unitel. Quel coup bas, on sait à quoi à s'attendre, Unitel est le concurrent direct de Smart Talk Network. Dès lors, tout le monde dans la salle doit devrait déjà être en train de grincer des dents par rapport à l'ennemi. Sans se douter peut-être qu'Unitel fait la même chose de son bord et que STN n'avait absolument rien annoncer dans le journal, ç'aurait tout aussi bien pu être Unitel que l'autre. Moi qui criait à qui veut l'entendre que je déteste cette idée que l'on

- 341 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

payye cinquante pour cent de notre à Bell, pour ensuite nous en charger 80%, nous soulignant que l'on avait un beau 20% de rabais, alors qu'eux, sans rien faire de télécommunication, empoche 30% de notre facture. C'est-tu écoeurant? Et qui payye au bout de la ligne puisque si Bell est dans le trou, le service et la recherche prennent le bord. Je grince encore plus des dents quand je sais que les deux compagnies STN et Unitel sont américaines et qu'ils empochent des milliards de notre argent pour aller la dépenser ailleurs. On est pour la protection de son peuple ou on ne l'est pas. Pendant que la main d'oeuvre peut pas faire grand chose pour changer de pays, pendant que le peuple ne peut rien faire d'un État à l'autre, d'une province à l'autre, les grosses compagnies ramassent des millards à pelletées et vont se permettre bientôt de nous dicter leurs règles de marcher. C'est de l'argent donné, sans que je puisse en comprendre le système. Bien sûr, ils ne nous ont pas tout dit, juste assez pour savoir que ce serait à contre-coeur que je vendrais ce service. Bref, on nous étale en long et en large l'explication de la fausse publicité de l'annonce dans le journal. Une compagnie capable de mentir à ses employés, croyez-vous qu'elle ne ment pas à ses clients? Bref, c'est du porte à porte, même pas du télémarketing. Est-il possible de marcher 40 heures par semaine de porte en porte? Le 18$ de l'heure, pas de problèmes, si on est discipliné, on arrive à trouver deux clients par heure. C'est trop drôle, à mon avis, deux clients par jour c'est une bonne moyenne. Après 100 applications, notre salaire monte de 9$ l'application à 10$, jusqu'à concurrence de 14$ pour 400 appplications. Autre bonus, on va avoir 2% sur chaque tranche de 5000$ d'interurbains que nos clients vont faire, 3% sur chaque 20 000$ et 5% sur chaque 60 000$, ça, je pense que c'est si on travaille pour la compagnie pour au moins un an, et alors, ce nous sera payé un an après que l'on ait lâché. Bien sûr, qui donc peut faire du porte à porte pendant un an, surout en hiver? Et qui donc fait 5 000$ de frais d'interurbains alors que l'on passe par les maisons et nos les PME. Autre boni, celui qui a le plus d'applications le samedi, 100$ en boni. Autre boni, le samedi, si on se présente et c'est la seule condition, on a un déjeuner gratuit. Dernier gros boni, la cerise sur le gâteau, si on a 600 applications d'ici le six septembre, UN VOYAGE AU MEXIQUE TOUS FRAIS PAYÉS! Comment peut-on refuser une telle job? C'est la treat du siècle! Pas mal, une compagnie qui fait des milliards en recevant une facture et en en faisant une autre, donner des peanuts pour le porte à porte et croire que l'on va travailler comme des déchaînés. Le Mexique,

- 342 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Smart Talk Network doit avoir ses plans là-bas. Chambre avec vue sur le bureau du gros boss! Je lui ai demandé au gars, sérieusement, quelles sont les chances d'avoir deux applications par heure? Il commence à me dire qu'Éric lui la semaine passée... et que lui samedi passé... laisse faire les meilleurs, je parle en général. Il commence à me dire que le problème c'est que les employés manquent de motivation et sont indisciplinés. Je me demande bien pourquoi. Ensuite il dit que les disciplinés eux ramassent deux applications par heure facilement. La question maintenant c'est est-ce qu'il n'y a que 3% des employés qui sont disciplinés? Et qu'arrive-t-il si on a aucune application dans toute la journée? Pas une cenne pour faire du porte à porte? Ou bien on s'avoue trop cruche ou bien ils nous mettent dehors. J'ai décidé de laisser faire. Unitel est peut-être pire, mais moi je condamne Smrat Talk Network pour publicité trompeuse et exploitation.

À la réunion j'ai parlé avec quatre fille et un gars. Le beau petit gars qui était certainement gai, j'ai tout fait pour pas lui donner mon numéro et prendre le sien, je voulais pas prendre la chance de coucher avec ou de tomber amoureux, moi j'aime Bruno! Bref, il s'appelle Dominique Belley, il étudie la micro-informatique au CÉGEP de Hull, il a 19 ans, il vient de Granby près de Montréal, il a eu une bourse de 5 000$ pour venir étudier ici, il voulait aussi se débarrasser de ses parents. Les deux filles à côté, très belles d'ailleurs et gentilles, grand sens de l'humour, viennent de Madagascar en Afrique. Elles parlent toutes deux un français impecables, appris en seulement trois ans, c'est franchement impressionnant. Ça m'encourage pour mon anglais. Elles avaient 16 ans! Que font-elles ici? J'ai cru comprendre qu'elles étaient venues sans leurs parents, mais je suppose que c'est impossible. Y'avait aussi une espagnole, tr`s gentille aussi, j'aimerais bien apprendre l'espagnole après l'anglais. Sauf si j'habite l'Europe. Je verrai alors s'il me faut apprendre l'espagnole, l'italien ou l'allemand. Y'avait deux noirs avec qui on a ri, j'ai vraiment aimé cette salle d'attente. Mais le retour à la maison fut affreux. Pour aller de Carling jusqu'à Walkley, c'est pas mal impossible. J'ai attendu 15 minutes qu'une 85 arrive sur Carling. Comme j'avais à traverser tout le centre-ville sur heure de pointe pour refaire tout le tour de la ville avant d'arriver à Elmvale, j'ai décidé d'arr^ter sur Bronson pour prendre une 4. Après quinze minutes d'attentes, une 4 m'a enfin pris. Comme je ne voulais pas redescendre jusqu'à Billings

- 343 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Bridge pour aller prendre une 111, j'ai arrêté au bout de Bronson et marché après Bank. Ainsi j'aurais pu prendre une 114 et marcher 20 minutes, ou attendre une 111. Bref, les deux venaient juste de passer. Après quinze minutes, une 114 est passée sans que je la prenner parce que la 11 devait normalement suivre. Mais elle n'a pas suivi. Ainsi j'ai attendu trente minutes à me demander si je ne devrais pas marcher. Une autre 114 est passée et là j'ai dit, pas de chance que je la prenne, une 11 va suivre c'est sûr. Effectivement, une 111 est venue. Mais à la minute où je mettais le pied dans l'autobus, un cave est venu entrer dans le derrière de la bus. Ainsi j'ai dû marcher pour aller chez-moi. Résultat, 3 heures et trente minutes pour me rendre de Carling à Walkley. Assez extraordinaire pour une des villes qui se targue d'avoir le meilleur système de bus dans toute l'Amérique. Et ne venez pas me dire que c'est exceptionnel tout ça, y'arrive toujours toutes sortes de choses exceptionnelles qui misent ensemble fait que l'on manque toujours les autobus de deux minutes, quand elles passent, ou on est retardé, ou le chauffeur se trompe de route ou bien on pensait connaître les horaires et on s'est royalement fait fourrer. J'ai aussi un petit conseil aux gentils qui veulent léguer leurs places aux vieux, faites bien attention, dans la dernière année seulement j'en ai insulté deux et traumatisé un. Ce dernier est maintenant toujours debout quand je le vois dans les 96, même s'il y plein de places partout, juste parce qu'il veut pas que l'on pense qu'il est trop vieux pour rester debout. Il m'a envoyé chier comme c'est pas possible. Ça me prendra à faire le bon samaritain. Mais je ne ferai pas comme le gars de l'autre jour dans le journal qui disait qu'il avait donné un peu de monnaie à un pauvre pour sa bonne conscience et quelque chose était arrivé à cause de cela et il était fier de nous dire qu'il n'aidera plus jamais les pauvres de la rue à cause de cela. Il me semble qu'il s'est plutôt trouver le moyen de pas avoir de mauvaise conscience par rapport au fait qu'il ne veut pas vraiment aider les pauvres. C'en est probablement un autre qui souhaiterait probablement voir ses impôts diminuer considérablement pour faire disparaître les sécurités sociales.

Depuis un bout de temps, moi et Bruno on essaie de passer à travers une cassette de Ren et Stimpy qu'un gars lui a prêté au travail. Je suis tout oui à cela depuis que j'ai parlé avec Rocco à New York qui trippait sur les Ren et Stimpy. Mais je trouvais ce comique assez

- 344 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

niaiseux, je ne riais pas tant que cela bien que l'exagération était amusante. Bruno se tordait à chaque fois. Mais je dois avouer qu'un des épisodes m'a presque conduit à l'hôpital, depuis, je clame que Ren et Stimpy, c'est de l'art de haut niveau. Et l'oeuvre d'art la plus frappante c'est Son of Stimpy, qui aurait pu s'appeler Stinky. L'exagération y est tellement poussée à bout, que j'ai ri à en mourir. On voit Stimpy devant son téléviseur qui tout à coup a cette envie de péter, il fait toute sorte de faces et finalement, un petit nuage sort et l'on peut voir sur le tapis les grosses traces de break. Alors Stimpy court voir Ren et commence à lui raconter l'histoire, Something came out of my butt, it made a strange sound, and it smell funny. Et là, Stimpy se décourage, il se met en campagne pour retrouver Stinky, le petit nuage qui est sorti de son derrière, c'est passionnant. C'est une vraie parodie de tout ce qui existe. Ren fait son possible pour contenter Stimpy, un moment donné c'est Noël et il y a une feuille de guy au-dessus d'eux, Ren fait des beaux yeux et Stimpy dit: It's all you can think of? Et le pauvre Stinky perdu au loin dans ce froid... puis on voit le pauvre petit Stinky qui recherche une place aussi chaude que le derrière de Stimpy, qui pleure comme tous les orphelins de la planète, on finit par le retrouver, mais il veut pas revenir à la maison, il est devenu grand et il veut se marier avec un poisson pourri. C'est merveilleux. Un autre épisode m'a fait venir la larme à l'oeil alors que c'était totalement absurde. Stimpy qui vient de gagner un show télévisé part pour Hollywood alors que Ren se morfond tout seul à la maison. Les retrouvailles sont touchantes, c'est ça l'ironie, c'est que la musique classique atteint toujours les cordes sensibles. Et les profs de l'Université en aurait à dire sur la déconstruction des personnages. Les personnages sont peut souvent à la ressemblance de ce qu'ils devraient être. Ils sont toujours difformes, ils peuvent se séparer en deux, se multiplier, se personnifier en d'autres animaux, leurs yeux sortent et souvent de la tête, etc. C'est une révolution ce comique-là. Mais on a vu la famille traditionnelle se mobiliser pour l'interdire. Ils ont réussi, ça ne passe plus. Voilà la liberté du peuple. Christ! Si vous trouvez ça trop vulgaire, vous avez juste à pas l'écouter! Empêcher pas le peuple en entier de profiter de quelque chose de rafraîchissant en rapport à un politically correct Lion King ou Mickey Mouse, tout aussi plate l'un que l'autre.

Ce soir on a rencontré Mary, qui elle aussi essaie de réussir dans la musique. Elle

- 345 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

travaille dans un studio de la ville, Ottawa abriterait énormément de band qui cherche à réussir. Elle même a déjà son démo tape avec six chansons, elle nous en a chanté trois. C'est à la limite du potable, c'est bon pour des chansons secondaires sur un album, pas de chanson qui pourrait potentiellement se démarquer plus que n'importe qui d'autre. Même chose avec mes livres, rien de plus particulier qui pourrait faire courir les foules, sauf la Révolution peut-être? Enfin, comme par hasard, je juge mal Mary et je juge bien Bruno. Je pense que Bruno a de bonnes chances et pense que Mary n'en a aucune avec ce qu'elle nous a chanté. Ne me trompe-je pas? Peut-être que Bruno n'a aucune chance? Peut-être que je n'ai aucune chance? Peut-être que plein de monde out ther are writings things as much interesting et maybe more interesting than mines. I don't care. I recently discover than there a life outside school and writings, and we call it New York. Je pense que je viens d'avoir la piqure. Maybe not. But I can fell that I feel different. Just ecause I just realise that school might be at my back. And life in New York sound more interestig than Ottawa. Perhaps, don't be too much happy, anyway if we're going to New York, the chances we're coming back within the next six months are high. Comme l'amie de Joël Beddows, partie pour l'Europe un an ou deux, réalité oblige, elle est revenue à Ottawa pour le pire, sans éducation ni emploi ni motivation. Comme d'habitude, Mme Mary ask me about my age. She's 30, she's feeling old and maybe can't stand fresh spirit, like she said. You're so young she wanted to say. I said, you seem to feel older than your age. She was not considering me until I told her my mom told me once to get out of her place and never come back to let place to her new boyfriend. And when she realize I was not the pretty little child living to his parent's place without them knowing I was hanging around in gays place, she starting to sympathize with me. But, at the beginning, she was reluctant, thinking probably she was the only one to have so much problems. She had a bad childhood. Anyway, she's nice. And she gives us lot's of things to think about. Who knows, she might succeed, anyway if she's saying that she will be happy enough if she just can record a CD without any success at all, but I know where this modesty's coming from. It comes from someone that had try harder and harder to get into it and had big problems to get anywhere. We felt like stupid when was the time to say we wanted to go to New York to try to get in. That might be stupid, cos the only things we might be able to do, is coming back faster than we think. Three months maximum, Bruno won't want to pay more than that, but

- 346 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

it's stupid, his trip to France last year cost him 5 000$, the same for Turkish three years ago. But he won't be able to spend that in New York, psychologiquement, it's worse. Bruno composed the worst melody he had compose since two years, and he is giving it to me, for me to write words on it. The problem is that this is my only chance to write a song and feel more in it. The problem is that Bruno doesn't write the same way as me, and it will really takes me lots to write somethings like he does. It's really good actually what he does, I'm not so sure I can do it too. The problem is I don't want to write a song just to say I wrote a song, it needs to be really good, I need to be proud of it. He was pointing me Simon and Garfunkel's, U2, can we really compete with these? Well, we have to. Mary tried to have welfare this week, like me, she said it's wuite impossible to get some. She's so disappointed, she thought it was the last chance she had to get some money. Like me she said there was lots of immigrants, and she said: I'm sure they all get welfare while I'm not going to. She also said she felt like a wimp because she had three degree of university and is unable to find a job that can pay her rent and her car. At that point I was surprise she had a car, but you know, everyone has a car now, it's like having a TV. There is just me that have no car, and don't want one actually. I like better have the time to write and not working too much, than die on the job for a car and not be able to write.

13 juillet 1994

Je n'arrive pas à faire ce que j'ai à faire. Je n'ai pas le temps de lire Cubase, lire le livre Roland, écrire la Nouvelle Humanité et apprendre l'anglais. Je n'ai que le temps de me lever, me laver, lire les journaux (2), manger, écouter un peu de musique, lire un peu et puis la journée est déjà passée. Je me demande où je vais trouver le temps de lire la bible en entier. J'ai découvert juste hier que le nouveau testament est aussi dans ma bible. C'est merveilleux, mais c'est 1 500 pages. Quand donc ai-je l'intention de terminer la Nouvelle Humanité? À ce rythme, en décembre ce sera fini. Il faut pourtant qu'à la fin de l'été je m'installe sur L'Underground. J'laisse faire le théâtre à moins qu'une bonne idée me vienne au cours de l'année, parce que j'ai vu l'histoire des théâtres d'été dans La Presse et ça me dégueule. Un peu de jalousie, mais pas d'envie d'en faire partie. Pas envie de me battre non

- 347 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

plus. Surtout que je considère bien davantage mes autres écrits. Je changerai peut-être d'avis un jour. Il y a que mes pièces, je ne peux pas les relire sans cesse et aimer cela. Je l'écris après c'est fini. Je changerai peut-être d'avis si on vient qu'à les monter. Moi, pas de chance que je les monte moi-même, ingrat univers que le théâtre, c'est trop d'énergie pour pas grand chose qui va rester. À moins de filmer l'avant-première, et je n'y manquerai pas.

Voyons ma poste aujourd'hui, trois preuves de notre grosse administration nationale et internationale. Une lettre de Paris-Sorbonne III, me disant qu'il n'y a pas de préinscription permise, je dois me présenter entre le 9 et le 20 septembre pour m'inscrire en deuxième cycle. Ils savent très bien que je ne peux aller m'inscrire, ensuite revenir au Canada si je suis accepté, demander un visa étudiant, retourner à Paris. Je laisse faire, ils m'ont eux, je meurs, ah! Ça leur a pris quatre lettres pour enfin me dire ça. Les autres lettres ils me disaient pourtant de leur renvoyer telle chose, attendre telle affaire, la poster de telle date à telle date. Deuxième lettre, le centre national des Arts m'a payé. J'ai manqué tombé à terre, 246$ pour quatre jours. C'est merveilleux pour un si piètre salaire. Et puis considération faite, c'est pas grand chose. Je travaillais 24 heures en moyenne à la caf. de l'Univ. et je faisais le même salaire. Le problème c'est que j'ai travaillé 43 heures et trente minutes en quatre jours, et qu'en temps normal il faudrait ajouter une journée de plus. À ce rythme, le salaire est effectivement bien maigre, c'est que je n'ai jamais vraiment travaillé plein temps, alors le chiffre m'a surpris. Mais je le mérite ce chèque pour le calvaire subi. Bon, 50.94$ ont été retenu. Assurance chômage 9.39$, R.P.C. (?) 4.55$, Cotisations syndicales 37.00$. Ça c'est fort. Presque quarante dollars sur une paye de 297$ pour les syndicats qui ne me défendent absolument pas pour les trois premiers mois de salaire, ça c'est fort. On devrait remplacer les syndicats par une branche du gouvernement chargée de venir en aide à ceux qui en ont besoin, négocier avec les employeurs, bref, il me semble que ce devrait être gratuit, puisque ce n'est que la défense ou protection des droits qui entre en ligne de compte. Écoutez, on donne pas 15% de son salaire pour assurer qu'on ne va pas perdre son emploi, c'est complètement idiot. Il existe d'autres moyens de défense à mon avis. Les syndicats me font penser aux fraternités universitaires qui ont été déclarées illégales au Canada parce qu'elles ne faisaient qu'empocher l'argent des étudiants sans faire grand chose. Je ne dis pas que

- 348 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

les syndicats sont inutiles, je dis qu'ils coûtent chers pour rien. Inutile de vous rappeler que j'ai perdu mon emploi à l'Université d'Ottawa parce que j'ai voulu faire partie du syndicat et qu'une fois à l'intérieur, on m'a harcelé pour je laisse mon emploi, les syndicats ne pouvaient pas grand chose pour ce genre de harcèlement sur les lieux de travail. J'ai parlé avec le Portuguais avec qui je travaillais l'an passé, paraît que les employés préparent une méchante surprise en septembre, grève peut-être illimitée. Ils en parlent comme jamais. Je me demandais ce qu'ils pouvaient bien dénoncer, il m'a répondu les conditions de travail, la façon dont ils sont traités par les boss, ils se font cracher dessus, ils ont l'impression d'être des moins que rien. Bref, n'est-ce pas le travail du syndicat de s'assurer que les relations ne dégénèrent pas à ce point entre les employés et l'employeur? Pourquoi faut-il faire une grève là ou une bonne conversation remettrait les pendules à l'heure? Et combien de ces employés ont lu leur convention collective? Il est très bien spécifié à l'intérieur qu'ils n'ont pas le droit de faire la grève, qu'est-ce qui les attends s'ils font la grève? Les avocats de Versabec n'attendent que cela pour les sacrer dehors j'imagine. J'ai remarqué qu'il existe des compagnies qui recherchent une main-d'oeuvre qualifiée et cherche à la garder le plus longtemps possible. Versabec elle aime se débarrasser de ses employés rapidement, ainsi, je suppose, on écoute les ordres, on peut encore agir sans les syndicats pour réfuter. Voilà, article 5.01: «Le syndicat accepte que durant la durée de ce contrat, il n'y aura aucune grève, complète ou partielle. l'Employeur accepte qu'il n'y aura aucun lock-out». Si les employés font la grève maintenant, j'ai l'impression qu'il y aura un lock-out. Et Versabec s'en fout pas mal, elle aime ces tricky situations, ils aiment ça dealer avec la marde qu'ils font. J'imagine que si je sais que les employés veulent faire la grève, les patrons le savent aussi. Y'a des fuites là-dedans comme c'est pas possible. Eh bien, au lieu de réagir pour améliorer les conditions, ils veulent jouir de la tête des grévistes lorsqu'ils apprendront le lock-out. Ou au contraire, persuadé que la grève est interdite dans la convention, ils ne croient pas un seul instant que les employés vont faire la grève. Ce qui est fort probable. Pendant ce temps, que font les syndicats? Pour moi, et j'étais un employé sans problèmes, ils ont violé l'article suivant, 6.01: «L'employeur convient qu'il n'exercera aucune discrimination, intrusion, initimidation, ni contrainte par lui-même ou par un de ses représentants envers un employé qui adhère ou participe aux activités syndicales». L'avocat de la convention semblaient

- 349 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

être le gars le plus occupé de la planète, en charge de tous les restaurants et bars de la ville on dirait, il semblait être entouré d'au moins deux personne parfaitement incompétentes incapables de répondre à une seule de mes questions. Christ, au prix qu'ils nous coûtent, sont pas capables de s'occuper de leurs affaires? En plus, ils ne sont pas professionnels du tout, paraît qu'il fait des scènes terribles dans le bureau quand il vient, souvent pour des niaiseries. Bref, l'avocat était même pas certain de l'interprétation de certains articles que l'avocat de Versabec lui avait déjà tout interprété. Je ne crois pas que j'aurais pu gagner nulle part en cours contre quoi que ce soit dans toute cette histoire. L'avocat de la convention semblait pas très bon, l'avocat de Versabec semblait être le meilleur avocat en ville. Peut-être même était-il de Montréal. Troisième lettre que j'ai reçue, l'Université d'Ottawa pour mon inscription en génie. On est rendu en juillet, voilà deux semaines ils m'ont écrit parce qu'ils n'avaient pas mon bulletin de CÉGEP. Comment? J'ai déjà fini un bac en littérature à votre université, ils ont toutes les informations possibles inimaginables sur mon cas! Mais non monsieur, votre dossier est séparé entre la Faculté des Arts, le service d'admission à Tabaret, et nous, nous sommes à Colonel By tout au fond du campus. Retrouver votre bulletin là-dedans prend des délais fort considérables et souvent non fructifiants. Mais, vous m'avez déjà accepté l'an passé en génie électrique, où sont donc tous les papiers? On a tout jeté monsieur, ou on a tout perdu. Maintenant qu'ils ont le christ de papier, ils m'ont renvoyé une lettre aujourd'hui, ils vont bientôt se pencher sur mon dossier. Bon Dieu, on arrive à la fin de l'été, il n'y a donc aucun moyen de prévoir sa vie au moins 30 jours à l'avance? Surtout quand le tournant risque fort d'être radical, c'est-à-dire, Paris, New York ou Ottawa. Il faut s'asseoir sur le destin dans ce temps-là, et pas trop y penser.

Pour en revenir aux compagnies qui se battent pour acquérir l'argent du peuple qui devait aller à Bell Canada, Sprint USA vient de troquer son nom pour Sprint Canada inc. et commence sa publicité trompeuse elle aussi. 50% de rabais sur les trois numéros que l'on appelle le plus, au Canada, aux USA et outre-mer. 15% de rabais sur la facture traditionnelle. Bien, mais le 50% s'applique-t-il en plus du 60% que l'on a d'habitude les fins de semaine et le soir après 11h? Que se passe-t-il si les numéros changent? Smart Talk Network était pas clair sur les périodes concernant les baisses de prix de Bell en relation avec leur facture.

- 350 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

D'autres questions me sont aussi venues en lisant la publicité de Sprint, mais je ne me souviens plus. Bruno m'a dit que Smart Talk Network faisait la première page du Citizen aujourd'hui, et qu'à lire ce qu'ils disent, il dit que je serai content de ne pas travailler pour cette compagnie. Semblerait qu'ils viennent de se payer la plus mauvaise des publicités parce que certains marcheurs de rues ont inscrit faussement des gens à STN sous prétexte qu'ils ne prenaient leurs coordonnées que pour leur envoyer de l'information. Je n'ai pas encore le journal, en Ontario, dans les banlieues, ça arrive autour de six heures du soir. Bref, un arrêt de mort. En première page du journal? Ça veut dire que c'est un scandale, que tout et chacun vont condamner Smart Talk Network, mettant probablement Unitel et Sprint dans le même bâteau. Quelles auraient été mes chances d'avoir deux applications par heure? J'ai hâte de lire l'article.

14 juillet 1994

Voilà, mi-juillet, ça fait toujours peur la mi-juillet. L'été achève (psychologiquement), les feuilles commencent à freaker, elles veulent crisser l'camp à terre, le froid de certaines journées rappelle les débuts d'année scolaire si terrifiantes pour les étudiants. Est-ce la nostalgie qui me fait paniquer, 45 jours avant la fin? Où l'incertitude où je suis? En fait, je peux déjà oublier Paris, je me suis pris trop tard. Si je m'étais pris entre octobre 1993 et mi-janvier 1994 (si j'avais pu prévoir un an à l'avance ce que je voulais), j'aurais peut-être été accepté. J'ai lu l'article sur les compagnies qui se battent pour les milliards canadiens dans les télécommunications. Il existe plus qu'une centaine de compagnies sur le marché, plusieurs se faisant passer pour Bell Canada elle-même, ce qui devient impossible de savoir à quelle compagnie on a été connecté. Beaucoup de problèmes avec Smart Talk Network, ils ont plus de 1000 employés dans les rues, on leur reproche de payer sur une base commisionnaire, mais la compagnie rétorque qu'elle serait incapable de se payer 1000 employés sur le terrain si ce n'était pas à la commission. Ce qui confirme mes soupçons, c'est du cheap labor, ça leur coûte pas cher avoir autant d'employés parce qu'ils ne font probablement pas le salaire minimum, sinon, ils paieraient le salaire minimum. Plusieurs ont déjà

- 351 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

été appelé plusieurs fois et visité plusieurs fois. Avec la mauvaise publicité maintenant sur le marché, Dieu merci, it was a smart move to not become the new salesman for the Smart Talk Network. D'ailleurs un tel nom est bien trop compliqué. En plus AT&T des USA vient de se payer une publicité monstre dans le journal. Est-ce que Bell Canada essaye de s'approprier le marché américain lui (Bell Canada n'est-il pas Américain par hasard?)? Le pire c'est que le journal n'a pas passé hier, ça fait deux fois en deux semaines, et cela est tombé juste sur le jour où à chaque dix minutes j'allais voir si le journal était là. Bref, j'ai craqué et j'ai appelé The Citizen pour savoir s'il y avait un problème, par exemple, si on ne payait pas ou quelque chose du genre, et puis j'ai demandé que l'on s'assure que l'on recevrait le journal dans l'avenir. Bruno m'avait averti pour que je lui donne pas trop de problèmes au flot qui passe le journal. Aussi j'ai regretté mon geste. Il va avoir des problèmes. Je vais lui donner deux dollars de tips, pour le motiver et pour ma conscience. Mais je ne voulais pas lui demander pourquoi on avait pas eu le journal. Il était venu avant-hier pour se faire payer et je lui ai dit de revenir le lendemain. Est-ce pour cela qu'il n'a pas passé le journal? Je n'ai pas envie de commencer à me battre avec lui, je vais lui donner du tips et espérer que cela change. Mais maintenant, c'est sûr qu'il va être intraitable, j'ai fait une plainte. D'un autre côté ce fut très instructif ma plainte, une heure plus tard une femme du Citizen téléphonait chez-moi pour me signifier que je n'avais pas le droit de payer à la porte deux fois par moi, que je devais m'abonner trois mois à l'avance en payant directement à l'office. Ça fait plus qu'un an et demi que l'on paye à la porte, où est le problème soudainement? On essaye de justifier le fait qu'on a pas reçu le journal deux fois en deux semaines? Elle avait un accent que je ne comprenais pas très bien, je lui ai fait répéter, elle voulait exploser. Moi de même, j'ai passé près de lui dire de canceller mon abonnement, mais je ne pouvais pas parce que cela concernait John aussi. Elle m'a demandé s'il y avait une raison particulière au pourquoi je voulais payer à la porte. Bien sûr, je risque de partir d'Ottawa bientôt, que je ne voulais pas payer trois mois à l'avance. She said, it's no big deal three months in advance, I don't see where's the problem! Christ, I might be either in Paris or New York pour un temps indéterminé, j'vas pas payer pour un journal que je recevrai pas! Quand elle a compris, elle a dit qu'il n'y avait pas de problème, elle m'a dit thank you. C'est du harcèlement ou quoi? On fait une petite plainte et tout à coup on a peur que l'on cancelle, on fait de la pression pour

- 352 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que l'on paye trois mois à l'avance? J'ai eu bien envie de faire une seconde plainte après ce téléphone. Je trouve ces pratiques encore pires que de ne pas recevoir le journal deux fois en deux semaines qui somme toute, il doit bien y avoir une raison à cela. J'ai bien envie de le laisser s'expliquer le flot pour voir, peut-être qu'il a une bonne raison. Mais j'en doute. S'il lui manque un journal, je ne comprends pas pourquoi c'est moi qui doit écoper. Et si c'est le cas, le flot, j'ai juste envie de l'envoyer chier et refaire une triple plainte. J'en ai connu des gens qui se plaignaient en masse, j'ai toujours dénoncé cela, mais aujourd'hui moi aussi j'ai envie de me plaindre pour tous ces détails qui fait que la vie quotidienne commence à faire royalement chier. Et si John laissait du tips au moins, on aurait peut-être pas ces problèmes. Mais j'ose pas en parler à John, il est cheap de nature, y'a rien à faire. Il laisse 0.40$ de tips au restaurant. Colin s'était déjà fâché à cause de cela et Tracey aussi. On verra.

L'autre jour moi et Bruno on a invité sa mère à venir prendre un café avec nous. Le problème c'est que les draps étaient dans la sécheuse et que le père de Bruno se disait incapable de faire le lit pour dormir. Une grosse histoire s'est produite while I was in the room of Bruno, quand je suis revenu, la discussion s'est continuée plus loin. Quand je travaillais à Val-Jalbert, Diane Ouellet nous disait que son mari se disait incapable de se faire un repas le soir. De même pour le père de Bruno, celui-ci ne mange que des choses qui ne demandent aucune préparation. Mon Dieu, notre génération sera extravagammant plus performante si la génération précédente est effectivement incapable de faire un lit ou de se faire à manger. Imaginez instant, les Boomers, la génération d'incapables qui avait le contrôle sur tout depuis tout ce temps. Mon père cochon (le chum de ma mère, j'aime cette expression), ne touchera jamais à la vaisselle, mais lui ne se dit pas incapable, il se dit homme, et qui dit homme, dit No Cuisine! Est-ce de la vacheté, de l'incompétence ou une bonne grosse névrose qui aurait besoin d'être guérie? Il existe effectivement un problème psychologique à quelque part si les hommes s'avèrent incapables de faire la cuisine pour leurs enfants, ou leur lit, pour une raison ou pour une autre. Je comprends maintenant pourquoi c'est toujours la femme ou presque qui hérite des enfants en cas de divorce ou de séparation. Faudrait que les Boomers nous prouvent qu'ils sont capables de toucher à une assiette avant de revendiquer les enfants. Mais faudrait aussi que la femme soit honnête

- 353 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dans ces histoires, ce qui n'est pas toujours facile. La blonde de Claude Côté, ça c'était le comble. Appuyée par une famille qui détruisait systématiquement Claude, jamais rien aurait pu sortir de cela sans un tribunal. Et encore, quand le mensonge prévaut, il n'y a rien que l'on puisse faire. Qui croira-t-on? Claude n'a probablement jamais vu son enfant, il ne le verra probablement jamais, et ce n'est pas sa faute, j'étais là pour l'entendre le vouloir cet enfant, avoir la garde, mais j'ai vu et entendu la mère et la fille, elles ne voulaient pas, et ce sont les premières à crier que Claude les a laissé tomber la mère et l'enfant. Comment vieillira cet enfant? On lui dira comment son père était un pauvre type qui les a laissés tomber. Combien d'enfants s'imaginent et ne sont pas capables de comprendre que leur père était un salaud? Alors que c'était la mère boustée par la grand-mère qui était une salope? N'ayons pas peur des mots, elles n'ont pas peur des mots elles. Même histoire chez l'ancien chum de Frédérique, Marc Legault, c'est dans les tribunaux depuis quatre ans, c'est pas à la veille de finir. Ils nous en a conté des vertes et des pas mûres, c'est moi qui répondais au téléphone quand la mère appelait une douzaine de fois dans la soirée parce que son fils couchait à l'apppartement sur Lees Avenue, c'est moi qu'elle engueulait, pouvez-vous croire? C'est vrai que je nuisais à ses projets d'emmerder le père et sa nouvelle blonde, ma soeur, je venais juste de rencontrer Bruno et moi je flottais bien loin de ces problèmes de familles traditionelles modernes. Pour en revenir au blocage ou à la psychose des hommes à sauter dans la vaisselle, j'ose à peine imaginer ce qui adviendrait si on les obligeait à lever un petit doigt dans la maison. Ils craqueraient je pense. Ah oui, y'a pas à dire, les hommes des générations précédentes se sont bien assurés que l'homme règnerait longtemps roi de la maison, de la vie sociale, de la vie amoureuse et le reste. Me voilà qui parle comme une féministe maintenant, faut croire, leur message a trouvé preneur chez-moi. Je me demande bien pourquoi, je suis un homme après tout. Et j'aurai une servante un jour, une grosse Italienne comme dirait Bruno. Que voulez-vous, il faut vivre avec son temps, moi aussi je suis un lavé du cerveau, autant en profiter (je suis ironique, évidemment, ou cynique, je vous laisse choisir).

Y'avait tout un spécial à Much Music ce matin, on nous prépare psychologiquement à dépenser ce qu'il nous reste d'argent possible à emprunter pour se payer la révolution de la

- 354 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

prochaine décennie: l'autoroute électronique. On en a tellement entendu parler, ça va être tellement merveilleux, que je n'en puis plus d'atttendre! I want it! I want it! I want it NOW! Je ne peux que leur reprocher de ne pas l'avoir fait avant, la technologie nécessaire est sur le marché depuis une couple d'années je pense. Non, cela vient à son heure, mais j'espère qu'ils ne me décevront pas, parce qu'avec une telle publicité pour une chose qui ne va exister que dans la prochaine décennie, c'est un peu fort. Moi qui va m'abonner à Internet si je reste à Ottawa en septembre. M'en fous si j'ai pas d'argent, la stimulation mentale d'abord.

Le flot du journal vient de venir. Je lui ai donné deux dollars de tips, j'ai pas osé rien lui demander. C'est un miracle, il est venu à 1h12 de l'après-midi. C'est extraordinaire ce que ça fait de se plaindre à un supérieur. Il ne devait rien comprendre, j'ai pas eu le journal hier, je fais une plainte, je ne lui dis rien quand il vient le lendemain et je lui donne deux dollars de tips. Quel hypocrite je fais doit-il penser. Bienvenue dans l'univers de la télécommunication où la seule défaillance de tout ce système est l'humain incapable de communiquer avec ses semblables.

Un autre article est paru sur Smart Talk Network dans le journal. Bell Canada reçoit jusqu'à 70 plaintes par jour de gens qui ont été switchés sans le vouloir. On lance un appel à la sécurité, de pas donner d'informations aux gens qui font le porte à porte, genre numéro d'assurance sociale, un chèque en blanc, ou de signer quoi que ce soit que l'on est pas certain de comprendre. Un gars de Nepean qui s'est fait changer ses sept lignes de téléphone (!) à SMN rapporte les paroles de la jeune fille: «Laflamme said the woman told him it was her first day on the job, that she got a 10$ commission for every phone number she collected, and if she collected more than the other sales people that night, she would win a prize». J'ai tellement ri qu'il m'a fallu me rendre aux toilettes de peur de dégueuler. J'ai manqué d'air. Elle a bien appris sa leçon, je constate en plus qu'elle était payé un dollar de plus que moi pour chaque application. Je me demande si elle a eu the prize. Maybe she expected to have the big special prize: pour 600 applications d'ici le 6 septembre: UN VOYAGE AU MEXIQUE TOUS FRAIS PAYÉS! Alerte en vigueur sur toute la ville, Dieu merci je ne suis pas là-dedans.

- 355 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Un autre article en page A4 est beaucoup plus écoeurant. Hatfield's failure to help gays lamented, est le titre. Le premier ministre du Nouveau-Brunswick, notre province voisine, enfin, deux provinces à l'est de l'Ontario, était well-known gay: «[...] it was well-known in the gay community that Hatfield, premier of New Brunswick from 1970-1987, was homosexual. «I find it ironic that Mr. Hatfield was in power for 17 years and never did anything for the community,» Williams told the inquiry during public hearings. [...] Another witness at the blood inquiry said Hatfield's determination to keep his homosexuality secret from New Brunswicjers is likely one of the reasons he wouldn't support gay rights». On a ici la preuve qu'il reste beaucoup de chemin ;a faire. Quand quelqu'un qui est lui-même gay est prêt à discriminer les gays de peur que l'on pense qu'il est gay et qu'il perde le pouvoir, on est rendu bien bas. Pire en Ontario, des députés straight ont peur de se faire prendre pour des queers parce qu'ils appuiraient un projet de loi les aidant. Faisons une analogie. C'est comme si la minorité anglophone du Québec n'aurait jamais pu respirer depuis des lustres et que tout à coup le premier ministre qui se ferait élire serait un anglophone qui parle un français si parfait que jamais la population aurait pu s'imaginer qu'il n'était pas français d'origine. Pire, on lui aurait caché qu'il parle l'anglais. Imaginez toute la communauté anglophone sachant que le premier ministre est anglophone, qu'il est au pouvoir 17 ans, et qu'il ne parle pas du tout des communautés anglophones. Comme si elles n'existaient pas. Pendant ce temps, les lois sont en fonction que les anglais au Québec ont de la misère à respirer. Ça vous donnerait pas envie d'exploser? Allongeons l'analogie aux minorités francophones du Canada contre les méchants gouvernements anglais anti-français et souvent pires que les Québécois dans leurs décisions au niveau des gouvernements municipaux. Plus loin encore. Admettons que les Espagnols finiraient par être plus nombreux que les anglais aux États-Unis. Genre, une proportion de 60% d'espagnols, et que toutes les lois seraient en fonction de la protection de l'anglais et la disparition de l'espagnol. Une bataille gigantesque s'engagerait. Comment pourrions-nous accepter, dans nos démocraties, que les Espagnols auraient peur de parler? Même qu'un Espagnol qui se retrouverait au pouvoir pendant 17 ans ne fassent absolument rien pour renverser les lois ou du moins enlever la discrimination contre l'espagnol? J'aurais envie de dire qu'un tel peuple mérite ce qu'il a alors. Mais les gays méritent-ils leur situation? Selon les religieux, principal problème de toute l'affaire d'ailleurs,

- 356 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ce serait un oui généralisé. J'en appelle aux gays de la planète, il faut sortir de l'ombre, ne pas avoir peur de crier partout ce que nous sommes, pour mon expérience je peux vous dire que toute ma famille le sait et que je n'ai rien expérimenté de bien affreux. Bien que le tout se passe dans mon dos. Mais j'aime mieux un racisms caché qu'un racisme ouvert où il est même impossible d'exister. Ma famille semble trouver bien normal maintenant, c'est comme si de rien était. Ma mère me dit que je ne peux pas laisser Bruno pour aller à Paris. Ma soeur accepte le fait que c'est aussi sérieux entre moi et Bruno qu'entre elle et son chum malgré que leur maison achève d'être construite. Bref, plus il y en a qui sortent de l'ombre, plus ça semble normal et moins on souffre. Sans compter qu'il y a de moins en moins de gays qui vont vainement se marier, ou d'autres qui vont faire des choses aussi insensés que le Hatfield du Nouveau-Brunswick.

Parlant des gays, la parade de 100 000 personnes pour le Stonewall a été dénoncé dans le Citizen, paraît que ce serait 1 200 000 personnes (!) (Citizen du 6 juillet). Il est dit que la parade prenait 4 heures pour passer n'importe lequel point. Le gars d'Ottawa se lamente aussi que ce qu'on en a rapporté pour les photos c'est les quelques travestis et nus qu'il y avait alors qu'on a oublié de dire que la plupart était en jeans et T-shirt. Ce qu'il questionne c'est l'intérêt des médias à nous montrer comme des gens loin du monde ordinaire. Il est vrai que le 100 000 personnes est impossible, parce qu'il y avait 100 000 personnes sidatiques aux Gay Games disait Edwin. Ils ne peuvent tout de même pas tous être HIV positif? C'est doublement impossible parce qu'à Toronto la semaine suivante, une parade pour les gays a attiré cela 100 000 personnes. Je ne crois pas qu'il s'agisse des même gens, New York et Toronto, la distance est un peu trop grande, et ils avaient déjà assez fêté à New York... Parlons en de cette parade à Toronto, dans La Presse du 4 juillet, on en a un article de grandeur moyenne, dans le Citizen du 4 juillet, on a eu qu'une photo, avec deux lignes pour la légende. Citizen: more than 100 000. La Presse: Plus d'une centaine de milliers. The Sun (4 juillet, en page couverture exactement comme la parade des religieux, caractères qui dépassent les marges du journal): 100,000 gays vow fight for rights. the Sun nous montre une photo en page 2, effrayante, si c'est ça l'image qu'on veut transmettre des gays, ça fait peur, voyez le résumé qu'ils nous offrent: «Toronto's Gay and Lesbian Pride Day

- 357 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ran the gamut yesterday from the divine to the outrageous: -2,000 attended religious ceremony at Maple Leaf Gardens. -Bare-breasted woman with pierced nipples hawked T-shirts. -Man wearing jockstrap [sic?] and army boots gave a shoeshine to guy dressed in a tartan mini-skirt». Dans cet article on parle des politiciens qui sont justement gay mais dans la garde-robe: «Toronto Coun. Kyle Rae also poured scorn on «closeted gay men» in the legislature «who betrayed our community.» Rae called the unnamed politicians «some of the most repugant hypocrites I have ever encountered» and slammed a legislature composed of «cowards and opportunists»». Je n'aurais pu mieux dire. Ainsi il faut être abonné à trois journaux, un sleazy pour être au courant des mythes et préjugés qui alimentent le peuple (The Sun ou le journal de Montréal en l'occurrence, tous deux vendus en nombre supérieur que The Citizen et La Presse), et deux dits politically correct. Deux, parce que tous deux ont des lignes éditoriales à respecter et chacun pour une raison ou une autre ne donne jamais toutes les informations ou les déforme.

Juste en dessous de la photo de la parade gay de Queen's Park à Toronto, le titre que l'on peut lire est le suivant: Taxing question haunts churches. Semblerait que les Églises vont devoir se mobiliser à nouveau: «Pay up: No government wants to go down in history as the first to tax churches, but the idea just doesn't seem to go away». «It wouldn't hurt churches one bit if they were challenged by provincial and municipal authorities to explain what they're doing, how they're spending money and how they're meeting the requirements of the law.» Ils parlent de taxer les property land, paraît qu'ils en poss`dent beaucoup et qu'en plus, ce sont des terrains que peu de gens ou de compagnies seraient capables de se payer. Ils disent malgér tout qu'ils n'ont pas d'argent à la banque. Gang de menteurs. Leur finance c'est tout cacher, mais je sais très bien que les pèress oblats ont donné 500 000$ aux bureaux des anciens de l'Université d'Ottawa en 1993 ou 1994. D'où sort un tel montant? Ils donnent cela à chaque année paraît-il. On se demande si ce ne sont pas leurs intérêts qui jouent là-dedans à quelque part. Combien donnent-ils aux autres institutions scoalires? Et combien ont-ils en banque pour donner autant? Parce que je ne suis pas suffisamment con pour croire que toute leur argent s'en va pour la charité pendant qu'ils se lamentent d'êtres pauvres et que leur fidèles ont fait le voeu de pauvreté, leur léguant tout ce qu'ils avaient.

- 358 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Il faut d'abord qu'ils pensent à leur avenir, ensuite j'imagine que si c'est si caché c'est d'autres empochent et on ignore qui, pourquoi, et ce qu'ils font de cet argent. Qu'est-ce qu'ils complotent dans notre dos? Je le répète, en arrière de la façade pour le peuple, il se passe certainement des choses plus sérieuses. Il doit même déjà exister plein de livres sur le sujet. Si j'avais le temps... Pendant ce temps, 10 000 personnes (peut-on le croire?) ont marché à Rome pour dénoncer le pape qui n'en finit plus de continuer à dire que les enfants ne doivent naître dans des familles monogamous, heterosexual marriages. Le pape en a profité pour le répéter lors de la marche pour the right to form legally recognized couples and adopt children. Dans le Citizen quelqu'un se lamente que le journal est rapporté seulement 6 000 marcheurs pour la marche de Jésus. Il dit que c'est plus 30 000 comme les autres médias l'ont rapporté. Le même jour je pense, c'est-à-dire le 2 juillet, Bob Harvey à la pagge C5 dit: «Many readers seemed to take it personally when reporter John Ibbitson estimated the size of the march at 6600 people, instead of the expected 30,000. One of those was march organizer Rudy Pohl. He insists there were actually 18 000 marchers [on nous dit comment il a compté, il a compté les premiers, les derniers et a fait un estimé selon la distance qui les séparaient.] What all this says is that crowd sizes are notoriously difficult to estimate. However, my money's on John. He's probably the only one in the city who actually tried to count the marchers, and he dit it twice. The Ottawa police department didn't make any estimates, and the March for Jesus didn't have anyone actually counting». Ceci nous enseigne quelques petites choses. Quand on fait une marche, il faut s'assurer une publicité après coup. Il faut donc prévoir un montant exagéré, ceci habituellement sert de coup de pied pour motiver les gens. Ensuite, il ne faut pas compter les gens pour laisser planer le soupçon. Ensuite, il faut dire qu'il y avait facilement les 30 000! Les journaux vont dire non, ou feront comme The Sun, ils ne se poseront pas la question. Les fidèles, justement, le prennent personnellement et voudraient qu'il y en ait le plus possible, aussi, ils répliqueront. Ceci s'applique pour les gays aussi, prenons-en leçon.

Dans le reste du même article on apprend des choses troublantes qui fait que les médias pourraient bien faire comme les politiciens et ne pas soutenir les gays ou ne pas en parler pour ne pas provoquer le peuple qui est un peu trop religieux à ses heures: «What

- 359 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

stydy also said, [the recent Dart-Allen study int the U.S.] however, is that most newsroom aren't biased against religion. Their strongest emotion about religion is fear of «incurring religious wrath. [...] One out of four of the Citizen's readers attend worship services regularly, and most of the rest identify with some religious group. Sorry, folks, but it's nonsense to think that the media would deliberately under-estimate the size of the march because we're somehow anti-Christian. If we did, we'd be deliberately undermining our own credibility, and putting ourselves out of a job».

15 juillet 1994

Je travaille sur La Nouvelle Humanité, j'aime bien cela finalement, il suffisait effectivement de faire une série de corrections. C'est pas si pire, mais je me demnade si ce n'est pas trop facile ou simple. Prendre une bible et l'interpréter à ma façon pour voir quels sont les intérêtes de ceux qui l'ont écrite et qu'essayaient-ils de protéger au juste. Louise Cousineau dans Le Presse du 9 juillet disait en début d'article: «équand j'étais enfant, l'Église catholique interdisait à ses fidèles de lire la Bible. Pas question que tout et chacun se mette à interpréter à tort et à travers l'histoire de Dieu. Il n'y avait qu'un seul interprète acceptable: notre sainte mère l'Église». «Personne ne fait confiance à l'intelligence du public. Comme dans le temps de la Bible interdite». Je comprends que l'on ne pouvait pas faire confiance à l'intelligence du public. Les gens sont pas si cons, ils verraient que l'Église ne se sert de la bible que pour ses intérêts, voilà pourquoi on fait un cas monstrueux de Sodome et Gomorrhe et pas de la tromperie de Jacob pour avoir la bénédiction de son père plutôt que le frère aîné, et ainsi devenir Israël, un des hommes les plus importants de l'histoire religieuse. En fait, la bible, on le voit, a été écrite bien après l'histoire, et agit comme une justification de l'histoire pour faire autorité là ou la raison ne suffit pas à nous convaincre qu'il faille adopter certaines coutumes. Comme l'histoire que l'on ne doit pas manger le tendon du nerf de la cuisse parce que Dieu aurait touché Israël à cet endroit et celui-ci boitait de la cuisse. Quel est donc le fond de l'histoire? On essayait de justifier pourquoi Jacob boitait, je suppose pour pas qu'on le prenne pour un infirme, puis on mythifie la chose en exhortant les fils

- 360 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

d'Israël de ne pas manger du tendon du nerf de la cuisse (des animaux je suppose). Ou quand Abraham couche avec ses servantes, Dieu le bénit pour bien montrer que lui est immunisé contre l'immoralité, qu'il était donc dans son droit là ou un autre ce serait mérité les foudres de Dieu et la mort. Bref, la Bible est une justification de l'histoire me semble-t-il, et elle ne sert aujourd'hui qu'à justifier que ce qui fait notre affaire. On ne va pas commencer à discuter le tout, on ne va que s'en servir pour prouver certaines choses. Tant qu'à y être, pourquoi pas prendre le Petit Robert, moi aussi je pourrais en justifer des choses à l'aide de ma nouvelle bible. Ah, l'autorité a parlé, le Petit Robert le dit. Et le pire, c'est que si jamais mon livre est publié un jour, il ne faudrait qu'un seul fanatique religieux pour me bûcher ou me tuer. Je serai fier de mourir alors, parce que mes objectifs seront atteints. Ce sera là la meilleure preuve que l'on a pas la liberté d'expression en ce qui concerne les Églises et qu'il y en a effectivement beaucoup à dénoncer là-dedans. Ne serait-il pas temps de les balayer ou de faire une nouvelle réforme de l'Église? Si j'en meurs, j'espère que ça aussi on va le mythifier, sinon à quoi aurait servi de risquer ma vie inutilement? Servir à mythifier que les religieux qui ne sont même pas capables de pratiquer ce qu'ils prêchent n'ont rien à enseigner à un peuple qui se respecte. Et que leur hypocrisie est sans bornes. Cela ne me dérange pas de mourir pour prouver que les religions, y'a rien de pire sur la planète. Vive la liberté de penser! Vive la liberté!

Je viens de parler avec Céline. Parlez-mi d'une vraie famille traditionnelle moderne, elle sait plus trop ce que fait Fernand, elle ne travaille pas en ce moment, elle vit sur le salaire de ses trois enfants qui habitent avec elle, sa quatrième enfant, Caroline, est disparue dans la nature depuis six mois, elle est revenue une journée 15 jours avant la Saint-Jean, elle avait rendez-vous chez le dentiste et pour se faire désintoxiquer, elle est allez nulle part, elle est redisparue. J'ai l'impression qu'on va la retrouver morte d'overdose quelque part. Heureusement, son enfant est restée chez la soeur de Céline, les services sociaux n'ont jamais acceptés que Caroline ait la garde d'un enfant qu'elle avait intoxiquer en prenant de la drogue pendant sa grossesse. Et ça, ce n'est que les dernières nouvelles. Caroline a déjà fait pire depuis 15 ans. Dans le temps mes parents avaient peur que Frédérique devienne un peu comme elle. Mais les deux cousines n'avaient rien en commun. Même que

- 361 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Caroline n'est ma cousine qu'indirectement puisque Céline est la femme du frère à mon père et que Céline a eu Caroline avec un inconnu qui n'est pas mon oncle. Mais tout ça, c'est aussi une histoire commune chez les couples straight. Bref, j'ai parlé avec Céline, elle recommence à travailler dans un mois, elle a hâte que je déménage à New York, elle veut venir me visiter. Je sais qu'elle viendra, elle n'attend que cela. Je la connais, elle veut se sentir dans l'action, dans la high société, elle veut même ouvrir un bureau à New York pour son projet de vêtements pour les gros. J'aime bien Céline, c'est la seule adulte avec qui je peux parler, c'est pas pour rien qu'elle est la première personne dans la famille après Mario à qui j'ai dis que j'étais gai. Mais c'était pas la peine de lui dire, elle le savait déjà. Mon père le lui avait dit. Je ne suis pas capable de me rappeler si elle et mon père avaient couché ensemble, je sais que Céline m'a avoué l'été passé combien elle aimait mon père. Elle a pleuré à chaudes larmes, je ne savais plus quoi faire. La seule chose que je puisse dire, c'est que cela nous a rapproché. Le fait aussi qu'elle soit ma marraine, c'est drôle que l'on ait été spécifiquement liés ensemble par ce titre. Et que l'on se soit retrouvé l'été passé à Val-Jalbert. Sans elle je n'aurais pas eu le travail, je n'aurais pas écrit La Légende de Val-Jalbert. MAis de toute façon je commence à croire que j'ai encore perdu mon temps avec cette pièce. Le marché est sursaturé, Marie Laberge avait écrit sa pièce avant moi: Ils Étaient venus pour... Je n'ai eu aucun écho, même le CEAD ne m'en a pas redonné des nouvelles même si je leur ai fait un chèque de 75$ pour qu'ils la lisent et qu'ils me la renvoie en disant que c'était pourri comme ils ont fait avec Amour et Médiocrité (Antoine). En plus, je la déteste cette pièce, elle ressemble absolument pas à la ligne de conduite que j'essaie de suivre en écrivant. J'aime mieux Antoine qui est beaucoup plus subtil. J'aime bien Céline parce qu'elle est marginale en un sens. Elle me l'a elle-même fait remarquer ce soir, je me demande comment elle peut se définir comme marginale. Quand elle était jeune, elle courrait les p'tits gars, et ça, ça se faisait pas. Elle s'est acquise une méchante réputation et je n'en sais pas plus, parce qu'il y a un paquet d'affaires qui ne franchiront jamais la frontière entre le génération des parents et celle des enfants. Avant la naissance des enfants, il faut plus qu'un interrogatoire échelonné sur des années pour arriver, pour un enfant, à apprendre ce que les parents ont fait de pas correct à l'époque. Je sais que ma mère est tombée enceinte alors qu'elle n'était pas mariée. Y'a eu un scnadale et un mariage s'est préparé à l'insu de mon père qui était dans le

- 362 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

bois à travailler pendant l'été. Quand il est revenu, il a appris son mariage. Merci belle religion, c'est probablement pourquoi mes parents se sont séparés à plusieurs reprises avant d'en arriver à la séparation définitive 20 ans après. Bref, Céline a beaucoup d'expérience avec les enfants pour avoir eu quatre enfants terribles. Elle connaît aussi des tas de gens dont plusieurs homosexuels avec qui elle a longuement parlé. Elle aime donc la marginalité. Certains gens sont comme ça, ils apprécient la compagnie de gens dits marginaux. J'ignore quelle motivation cela leur donne, quels avantages ils retirent de telles relations. Je sais cependant que Céline est grasse et que cela lui donnait un caractère marginal en lui-même, et que de se retrouver avec des gens qui ont souffert eux aussi et qui souffrent encore peut-être, la soulageait. On ne peut guère se lamenter fort quand notre ami ou amie souffre encore plus que soit. Je l'ai expérimenté avec Mireille. J'avais beau me lamenter à Mireille de ma misère, la sienne a toujours été le triple de la mienne. Comment croyez-vous que je me sentais lorsqu'elle avait de la pitié pour moi? Je lui disais de garder sa pitié pour elle, ou on se prenait tous les deux en pitié. Charmant tableau. J'ai l'impression que Céline serait dans son élément dans la société de New York. Elle est tellement active que je suis certain qu'elle se ferait rapidement des contacts et déboucherait au sommet d'une entreprise peu longtemps après. Y'a que notre relation est bizarre. Je suis un enfant à ses yeux, mais j'ai toujours eu l'impression d'être un adulte. Je me demande à quoi ressemble la relation entre elle et ses enfants. Est-ce la même chose? Si oui je suis jaloux. Si non, quelle sorte de relation privilégiée j'ai avec elle. Je n'ai jamais eu de vrais amis ou amies. Jamais de personnes pour qui j'ai vraiment de l'affection et ne veut pas perdre de vue jamais. J'ai peut-être un début de raltion comme cela avec ma soeur, et ça c'est important. Mais elle est déjà ma soeur, et c'est un lien déjà plus solide que l'amitié, car combien de fois on s'est chicané à se tuer ou presque et que c'était comme s'il c'était rien passé deux heures après? Si toutes les relations de la planète étaient comme cela, ce serait merveilleux. Mais par expérience, quand on se chicane avec un ami, on vient de perdre un ami, ou quelque chose vient de changer et ne pourra difficilement être inversé. Mais Céline c'est autre chose. J'espère qu'il ne s'agit pas d'une façade. Quand on est mère de quatre p'tits monstres, on en vient à développer un blindage qui fait que pour nous tout est correct alors qu'à l'intérieur, c'est la crise et le déchirement. L'été passé, quand le chum de passage de Marie-Soleil a annoncé à Céline

- 363 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que sa troisième et plus jeune fille prenait elle aussi de la drogue et que c'était grave, elle a pleuré comme une déchaînée. Il n'y a que Jean-François (tient, c'est exactement le nom du père à Bruno) qui ne prend pas de drogue, mais celui-là ses problèmes sont pires. Il est un nerd de l'informatique, il ne quittera jamais les jupes de sa mère, il ne se fera jamais de blonde et moi et Céline sommes incapables de dire si c'est parce que c'est un incapables, une peur incontrôlable, une répugnance de la part des filles, ou s'il est homosexuel et qu'il s'acceptera dans x années. Céline me fait beaucoup confiance, mais je pense que c'est une de ses qualités qui souvent parfois doivent tourner à la catastrophe je suppose, elle fait toujours beaucoup confiance aux gens. C'est pourquoi elle attire les confessions et la confiance envers elle. Mon expérience à moi me dit qu'il ne faut jamais faire confiance à personne, les statistiques sont de mon côté, deux compagnies sur trois qui font faillites au Canada, le font à cause du vol de ses employés. Je ne sais plus comment interpréter ma relation avec Céline. Elle me confesse des choses assez surprenantes sur mon père, on pense qu'il est alcoolique. À chaque fois ces derniers temps que je l'ai appelé, il était sous l'effet de l'alcool. Selon Céline, il n'a jamais accepté le fait que sa femme l'ait laissé là pour un autre homme, même si lui trompait sa femme depuis 15 ans. Je pense que je m'étais posé la question dans le temps, à savoir si mon père était alcoolique. Il faudrait que je regarde mon journal. J'aimais bien prendre un verre avec mon père les samedis soirs quand j'habitais avec. On allumait une chandelle, on écoutait Léonard Cohen et The Doors. Après y'a eu l'Université puis je revenais moins souvent. Puis après c'est avec Ginette qu'il prenait ses verres, et pas seulement les samedis soirs. Je vais poser la question à ma soeur, elle sait certainement quelque chose, après deux ans qu'ils vivent ensemble. Quelle ironie, ma mère laisse mon père pour un ex-alcoolique, au grand scandale de ses enfants, et l'ex-mari devient alcoolique. Céline me disait que Madame Tremblay en savait des choses que l'on ignorait, et qu'elle allait mourir avec. Je sais que Céline devait faire référence à quelque chose, mais quoi? Ce serait bien surprenant que les seize enfants de ma grand-mère soit effectivement tous de mon grand-père, surtout que celui-ci partait souvent travailler loin dans les bois. Quoique que c'était religieux dans ce temps là, mais les gens sont pas plus cons parce que la religion est forte. Ils sont plus discrets, point à la ligne. Ah qu'il y en a des histoires à déchiffrer là-dedans. Mais je voudrais pas partir des fausses rumeurs.

- 364 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

16 jullet 1994

Bon, je vais partir pour Jonquière mardi en autobus ou mercredi en train. Je n'ai plus le choix, ils sont en train de paniquer l'autre bord. J'ai dit à ma soeur que je vais partir pour New York, ils ont commencé à freaker. Encore des plans de nègres! Un gros racist comment, mais je leur ai dit qu'ils me connaissaient, ben oui, encore des plans de nègres. Actually I'm planning to color myself in black to see what will happen for me if I'm becoming a black in America. I guess I will have more than one book to write about. My sister said there is more than 55% of people in New York that are black, and she said it's the worse taux de criminalité oof the whole world! Well, I can't actually believe that 55% of people in New York are black and still it doesn't seem there is lots of black in power. Je me rappelle m'être assis avec Bruno dans les escaliers d'un grand édifice, je pensais que c'était interdit, mais personne ne nous a averti. Trois noirs debout sur les marches se sont fait dire de déguerpir, par un garde lui-même noir. Imaginez, les blancs peuvent s'asseoir dans les marches, mais les noirs ne peuvent même pas demeurer debout sur le perron. On s'est levé et on est parti, pourtant, les noirs sur le perron, dont deux filles, ne semblaient pas dangereux, au contraire, ils étaient invitant. Le gars portait un gilet d'O.J. Simpson qui disait que le gars était innocent. Bon.

C'est merveilleux, Smart Talk Network fait encore la première page ce samedi. Cette fois on dénonce les façons trompeuses par lesquelles STN recrute ses employés et les exploite. Je ne pouvais espérer mieux. Je pensais que partout c'était la même chose et que personne ne le dénoncerait parce que c'est partout la même chose. Mais il y a encore une justice dans ce monde et moins d'une semaine après que moi-même j'aie dénoncé le tout dans mon journal, The Citizen passait à l'attaque. Maintenant il n'y a pas à dire, STN vient de manger la claque. Quand je pense que Mireille chez ses parents ont switché à STN, pauvre eux autres. Mais ils semblent trouver ça ok, j'imagine que ça change pas grand chose. C'est pas ça qui est à dénoncer ici.

19 juillet 1994

- 365 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Là j'ai le coeur gros comme ça fait longtemps que je ne l'avais pas eu. J'avais plein d'appréhension avant de débarquer à Jonquière, et je voudrais repartir aussitôt. Premièrement j'arrive dans cette nouvelle maison que je ne connais pas et ne veux pas connaître. Je me sens mal quand je suis chez les autres, je n'ai qu'une envie, c'est de partir. Et là, je ne suis pas chez moi et j'ai pas la disposition psychologique pour passer deux semaines ici. Bruno m'a appelé hier, il a été refusé en génie. Ce fut la crise de la décennie. Ses parents se sont mit à paniquer et à dépressionner, tu parles, qu'est-ce qu'ils ont à voir là-dedans. Ils sont plus dépressifs que l'enfant et ça rend l'enfant malade. Parce que le Bruno arrêtait pas de me dire qu'il n'allait pas entrer en génie même s'il était accepté, qu'il travaillerait sur sa musique à Ottawa ou New York. Il disait même que la meilleure chose ce serait de pas être accepté, ça faciliterait les décisions. Mais c'est que quand ça arrive, le message est clair, t'es rien, t'es pas foutu d'entrer dans un programme où tous les flôts du secondaire eux entrent, avec des bourses même. T'as vraiment l'impression que là, la société te ferme lla première porte de toute et que ta misère est écrite sur ton relevé de notes. Il avait besoin de moi et j'étais pas là. Mais là, je me demande bien ce qui pourrait nous empêcher d'aller à New York. Ses paprents me font tellement chier, ils arrêtaient pas de lui demander ce qu'il allait faire s'il était pas accepté. Maintenant, ils l'obligent presque à garder sa job de plein temps à la BNR alors que Bruno ne peut même plus la sentir cette job là tellement il y a du stress et des problèmes. Là ses parents lui disent presque que Bruno est con, qu'il aurait dû faire-ci ou ça, entre autres, s'inscrire à l'Univ. de Carleton plutôt qu'Ottawa, et c'est vrai qu'il aurait eu plus de chance. De toute façon, je m'interroge sur l'Univ. d'Ottawa. Comment ni moi ni Claire-Lise ni Bruno avons pu être refusé chacun dans des programmes différents? Et le génie en plus, c'est supposé être ouvert, les gens qui ont 70% et qui arrivent du CEGEP réussissent à entrer, comme Jean-François Levasseur. J'ai l'impression que le petit sondage pourri que fait le magazine MacLean depuis quelques années y est pour quelque chose. On pense aider les étudiants à choisir les bonnes universités en comparant les institutionns, tout ce qu'on réussit à fairee c'est d'augmenter les exigences d'acceptation et de multiplier les bourses encore plus grandes aux meilleurs de la planète enitère pour les attirer vers son université. Ainsi, fière de sa campagne de 34 millions de dollars, l'Université d'Ottawa re

- 366 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

fuse tout le monde et paye davantage les meilleurs pour qu'ils changent d'Université. Ce qui fait que l'accès aux études, c'est plus dans leur vocabulaire. C'est drôle, j'ai l'impression que je vais être refusé moi aussi. Et ce serait là matière à faire un article dans le journal et une enquête, parce que l'an passé j'avais une moyenne pondérée de 5.9 au lieu de 6.4 maintenant, et que j'avais un diplôme en moins. Mais il faut dire que l'an passé j'étais accepté en mars, alors que cette année, j'ai donné mon inscription très tard. Est-ce que cela peut être un facteur?

Et je suis dépressif parce que c'est dépressionnant de retourner chez tes parents et de devoir justifier chacune des choses de ta vie, justifer chacune des choses que tu vas faire. Ainsi, expliquer que je vais aller à New York, je suis fort surpris, ils ont tous bien réagit à cette idée. Du moins, ils n'ont pas fait de crise. Comme dirait Bruno, ils sont habitué au RM et ses idées de fou. Après cela, je me demande bien ce qui pourrait les surprendre. Même l'idée de leur dire que j'ai rencontré un Sugardaddy comme M. Eastman et que j'ai décide de le suivre dans sa maison d'Angleterre ne les surprendrait pas. Mais le sujet de mes livres est revenu sur le tapis. On dirait que je ne suis pas libre d'écrire ce que je veux. On dirait qu'ils prennent ça encore plus au sérieux que moi. J'ai l'impression qu'ils n'en peuvent plus d'attendre que je publie quelque chose, et s'impatientent parce qu'ils savent très bien que ce que j'écris est impubliable. Du moins ils le pensent. Et ma soeur, elle qui n'a lu qu'une version antérieure des Lettres de RM et peut-être même, mais je ne pourrais le garantir, mes nouvelles Des Champs Verts. Comment peut-elle juger ce que j'écris et me rabaisser au niveau d'une crevette qui s'insurge contre tout le monde, qui croit que les autres sont à côté de la track et c'est moi qui détient la vérité? Elle dit que Michel Tremblay lui a passé à travers sa crise et qu'il a compris que c'était lui qui était à côté de la track. Il s'est mis à écrire des beaux romans à l'eau de rose ensuite, avec les aventures de Joe Blow qui vient de faire faillite et qui doit vendre sa laveuse aux enchères avant de prendre un appartement minable dans le centre-ville. Je me demande si elle a lu Michel Tremblay pour affirmer que c'est ça qu'il écrit et que je devrais écrire. J'ai voulu me justifier en faisait une autre erreur, faire lire la Révolution à mon père. On était loin du génial de Joël. C'était écrit dans un français inacessible, c'était plate à mourir, les dix premières pages auraient pu être résu

- 367 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mées en deux paragraphes. Bref, écris-nous vite ton roman à l'eau de rose. Je me demande comment ils vont accueillir L'Underground. Si j'ose le leur faire lire... Ils ont pas l'air de comprendre que j'essaye d'écrire différemment, que ça demande un effort considérable pour écrire comme dans la Révolution. Bon Dieu, ils sont ingénieurs et sont pas capables de lire deux pages de mes affaires. Pourtant, pas besoin d'être intellectuel pour lire mes choses, mais alors là, y'a une limite à s'enfermer dans son cocon. J'ai vu le livre que mon père lit en ce moment, je n'en reviens pas: des livres de science fiction pour enfants. Peut-être que j'ai tort, peut-être que comme Frédérique dit, c'est moi qui est à côté de la track et qu'il me faille sortir de ma crise d'adolescence. Peut-être que je perds mon temps, mais si c'est le cas, je ne veux pas le savoir. Il m'en faut pour continuer à écrire quand j'arrive ici. Mon père m'a exhorté d'arrêter d'écrire la Nouvelle Humanité, ils tournent à la dérision le fait que je me paye la Bible en ce moment. JE ne leur parlerai pas de l'Hermétisme qui va nourrir L'Underground, ni d'Artaud qui va m'aider à terminer la Révolution. Bref, je suis prêt à retourner à Ottawa. Je sais maintenant que ma vie n'est plus ici et que le plus loin je reste de mon passé, le mieux c'est. Je devrais annoncer en grande pompe à toute la famille que j'ai abandonné toute idée d'écriture, que j'écrirai plus et que je ne chercherai plus à faire publier la bullshit que j'ai écrit avant. Je devrais dire la même chose à tous ceux qui m'entourent, comme à Bruno. Et le jour où cela débouchera, si cela débouche, ben alors ils verront que je n'avais pas abandonné et moi, pendant ce temps, j'aurai eu la paix et la motivation nécessaire pour arriver à faire publier quelque chose.

Je pense que le départ pour New York est imminent. C'est le seul choix qui reste à Bruno, sinon travailler à la BNR, ce que je pense qu'il refuse. Il reste toujours la possibilité de demeurer à Ottawa en même temps que travailler à temps partiel à la BNR, mais bon. Si Bruno veut rester, je vais pousser pour qu'il pense à s'acheter une maison pendant qu'il a trente mille dollars dans ses poches et que ses parents peuvent le backer. Après il sera trop tard et il ne pourra plus. Quand il aura acheté son Steinway neuf, ce qui va arriver s'il finit par accumuler trop d'argent, on est certain de ne jamais habiter ensemble, et je suis sûr qu'il va mourir dans la maison de ses parents. Et moi, I can't stand parents anymore! Prenons un exemple simple. Louise est maintenant au CÉGEP de Jonquière, elle entre en deuxième

- 368 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

année de Sciences Pures, ce qui équivaut à entrer à l'université ailleurs qu'au Québec. Hier son chum téléphone, il lui demande si elle peut venir chez lui, Louise demande à sa mère si elle peut y aller, surprise, Ginette refuse parce qu'il est 11 heures et que c'est trop tard. Le coeur m'a arrêté de pomper. J'ai carrément dit à Ginette: «es-tu sérieuse? Quel âge qu'elle a dont?» Cela me fâche de voir des parents abuser de leur autorité à ce point. Surtout quand on sait que ces mêmes enfants passent d'un extrême à l'autre aussitôt qu'ils quittent la maison. Si Louise part à l'Université l'an prochain, croyez-vous qu'elle va demander à sa mère, à distance, si elle peut sortit ce soir? Ça va être le gros party sans fin. En attendant, ma soeur m'a dit de me mêler de mes affaires, que j'étais vraiment impoli de dire à Ginette comment élever ses enfants. C'est très vrai. Je déteste Carol qui commence à appeler tout le monde pour dire comment élever leurs enfants, sans constater que c'est lui qui aurait besoin de conseils. Mais je trouvais injuste que l'on puisse être si mère poule et que personne ne parle. De toute façon cela a porté fruit, Louise a eu sa permission et elle était fort heureuse. Elle va m'aimer c'est sûr maintenant. Pour ce qui concerne Ginette, j'ignore si elle m'en veut, je pense que cela la fera réfléchir sur comment elle traite une enfant qui n'en est déjà plus une. Les parents sont incapables de passer du stade de l'enfance à l'adolescence à l'âge adulte de leurs enfants. Pour eux, ils seront toujours des enfants. La preuve, à 21 ans moi, y'a pas grand chose que j'aurais eu le droit de faire si je n'avais pas décidé de le faire sans l'approbation de l'autorité. Ils ont finit par comprendre, mais à quel prix. Ils ne m'ont pratiquement plus aidé financièrement après mon voyage à Paris l'an passé, déjà qu'ils m'aidaient pas gros. À moi la liberté! On dirait qu'un adulte qui a des idées bizarres n'est jamais considéré comme un adulte. L'adulte n'est donc pas une question d'âge, mais une question de sagesse dans leur définition. Et même la définition de ce qu'est la sagesse est tronquée. Est sage la personne qui est plutôt sédentaire, qui ne voyage pas, étudie fort, réussit ses cours, trouve un emploi stable qui paie bien ou suffit à pourvoir à sa survie, et qui ne cause aucun problème. Est sage la personne qui suit les autres. Les moutons sont sages, parce qu'ils ne risquent jamais rien. Qui ne risque par est sage dans leur définition. Heureusement que l'on ne pense pas tous comme cela, où irait la planète? Mais heureusement que l'on ne pense pas tous comme moi, parce que là, il est évident que la planète se ramasserait sur Jupiter.

- 369 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Je devrais arrêter de faire des blagues plates, genre, que je saurais à quoi m'attendre pour lorsque je me marierai, que personne ne viendra puisque personne n'est allé à Toronto pour les deux mariages des filles à Renée et Rosario, jugeant que c'était le bout du monde l'Ontario. C'est sûr, quand on fête un mariage dans le village de Desbiens, la moitié de la famille est là. L'avantage des familles de 16 enfants, c'est que quand t'es pas là, ça passe inaperçu. Autre blague, j'ai reçu une lettre de Toronto pour un job de moniteur de langue seconde dans le nord de l'Ontario et on s'adresse à moi dans les termes de Mme Tremblay. Alors j'ai dit que je n'avais pas encore changé de sexe que je sache, que cela allait venir, mais pas tout de suite. Je me demande quelle portée peut avoir de telles blagues même s'ils rient très fort. En tout cas, ça enlève les tabous et c'est ça qui compte. Mais il faut que j'arrête de parler de Bruno, ils vont croire que je fais une obsession et que je suis prêt à le suivre au bout du monde, jusqu'à New York. Eh bien ils auraient raison de le croire! Parce que mon Bruno je l'aime! Il me faut poster mes lettres à New York d'ailleurs.

22 juillet 1994

Plus cela avance plus je suis convaincu que ça ne vaut pas la peine d'aller à New York. On vient enfin de lâcher le morceau à l'ambassade américaine à Montréal, cela peut prendre de six mois à un an avant que le service d'immigration et de naturalisation des États-Unis regardent à ma demande. Croyez-vous qu'un employeur peut m'offrir un emploi et me le garder pour an? Et qu'arrive-t-il si après toutes les formalités et l'attente, l'employeur me dit qu'il n'a plus d'emploi maintenant? Qui donc cela protège-t-il? Seuls les Pakistanais ou autres qui se tiennent entre eux vont offrir de tels emplois avec une aussi grande incertitude. Bref, quessadone d'aller aux USA pour six mois, dépenser pour au minimum 6 000$, trouver des musiciens et leur dire merci beaucoup six mois plus tard? C'est bien trop risqué, perte de temps et d'énergie, etc. Peut-être devrais-je entrer en génie et advienne que pourra.

Edwin m'a envoyé les annonces du New York Times, ils recherchent des bilingues, mais à l'heure actuelle je ne saurais dire si je suis effectivement bilingue dans leur défini

- 370 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tion. Je me ronge les sang ici. Je suis loin de mon univers, j'ai l'impression de perdre un temps précieux. J'ai même peur que Bruno sorte ou aille dans un party sans moi et que le pire survienne. Aussitôt que je pars, il arrive toujours quelque chose. Comme son histoire qu'il est sorti au TacTiks, qu'il a rencontré son ex-chum Éric accompagné de son nouveau chum, qu'il a couché chez eux chez un ami, qu'il est ensuite allé à Montréal pour me rejoindre. Et qu'au terminus, il m'a jamais rencontré. Bullshit, faut vraiment être cave pour pas s'imaginer des choses. Le gars avait probablement été à Montréal et est sorti à Montréal et a couché à Montréal, Dieu sait où, Dieu sait avec qui. J'aime me torturer l'esprit on dirait.

Ma soeur vient de partir, selon elle je n'ai qu'à trouver un emploi, aller aux lignes, demander un permis de travail pour six mois. C'est instantané, renouvelable aux six mois. Est-ce vrai?

On est allé à la plage chez Stéphane, un terrain autour du Lac-St-Jean vaut désormais une fortune parce qu'il est interdit d'en construire d'autres. Ainsi les gens commencent à se construire de vrai château et ça fait chier. Chez Steph, le terrain à lui seul vaut 100 000$. Sa tante va sur la plage les seins à l'air. J'ai été fort surpris, mal à l'aise. Sans compter qu'elle arrêtait pas de me regarder. Pourtant, j'ai fait la côte d'Azur, Nice, là où les femmes qui ont un haut de bikini pprovoque la même surprise que celle qui ici se promène les seins à l'air. Non seulement cela ne se fait pas ici, mais en plus, c'est interdit par la loi sur les plages publiques. Mais bon, mis à part que cela m'a mis mal à l'aise je m'en fous. J'encourage cela même puisque c'est comme ça l'autre bord de l'océan. Mais je n'en ai pas vu à la plage dans le sud de la France l'an passé avec Elizabeth et sa gang. Bref, ça dénote un problème de sa part on dirait. Comment interpréter cela? Ma mère dit que c'est de l'exhibitionnisme à l'état pur. Moi je dis qu'elle fait cela pour voir notre réaction, ou une invitation à aller dans son lit. Paraît qu'elle s'est exhibé devant tous les amis de Steph, qu'ils en reparlent tout le temps. Avec le temps elle a acquis un genre de réputation de femme bizarre et je crois que c'est ce qu'elle recherche. Comment pourrais-je le lui reprocher? Qu'est-ce qu'un humain peut faire pour se démarquer de la masse? Surtout quand cet humain a pas réussi fort fort dans la vie et quand on sait combien cela est important de réussir dans la vie.

- 371 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Peut-être que je fais tout un cas pour rien. Dans le fond, elle le fait et puis c'est tout. Cela surprend mais on s'habitue. J'imagine que ça excite les hommes, elle ne semble pas si laide. C'est comme si un gars décidait de rester tout nu. Je ne m'en plaindrais pas s'il était beau. Et puisque le beau n'est jamais là pour durer, pourquoi pas en être fier et le montrer? Faut que ça serve? Tant pis pour les laids jaloux qui en dépressionnent.

Ma soeur m'a montré sa maison en construction, elle en rêve chaque jour d'y habiter. Elle arrête pas de dire que je ne me sens pas chez-moi chez mon père parce que Ginette et ses enfants y habitent aussi, ni chez ma parce qu'André et le vieux Monsieur Girard y habitent, et que chez elle on sera vraiment chez nous. Elle rêve. Elle dit que ça va être super cet hiver quand je vais venir avec Bruno, que tous les quatre on serait bien genre, Bruno apporterait la bouteille de vin, les bûches brûleraient dans le foyer, etc. Je lui ai dit que je ne me sentirai pas plus chez-moi chez elle. Que c'était sa maison et celle de Stéphane et que Jasmine y irait et toute la famille à Stéphane. Et que de toute façon cela était bon signe, cela montrait bien que ma vie était ailleurs, à Ottawa peut-être. Ça ne me rend pas jaloux la maison à Fred, je ne voudrais pas y habiter. Trop près de tout le monde, pas de terrain, pas de bois tout près, à une rue des beaux parents. C'est mieux qu'elle aie sa maison que d'habiter chez les parents. Mais moi je ne regrette pas d'être à l'extérieur. C'est drôle comment ils poussent pour que j'aille à l'Université du Québec à Chicoutimi. Plutôt mourir. Et vivre avec les parents? Quel calvaire. Incapable de sortir de la maison, incapable de ne pas faire mes devoirs, incapable de respirer. Mon père se cherche toutes les raisons du monde pour me chiâler, on voit qu'à habiter ici, il n'y aurait aucune limite à ses lamentations. Le problème c'est qu'il ne peut pas chiâler Louise ou Ginette. Et que Fred, il hésite. Paraît qu'entrer en maîtrise à l'UQAC est facile quand on va défendre son point de vue sur place. Tous deux mon père et ma soeur ont trouvé que j'avais de très bons résultats scolaires, sauf le droit, et qu'effectivement c'était incompréhensible que l'on ne m'est pas accepté en maîtrise à Ottawa et Montréal. Problème de bureaucratie non flexible ou les réglements doivent être suivis à la lettre? Problème de discrimination envers un étudiant indésirable? Peu importe, ma vie se fera ailleurs. Si j'entre en génie, c'est pour y rester.

- 372 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Le vieux monsieur Girard est surprenant. Il m'a raconté ses épisodes avec les hôpitaux. Il est genre très grincheux et exige des soins. Il est d'un naturel très bête. il réussit à s'engueuler avec tout le monde. Il sacre après les caissières partout, il était batailleur dans le temps, il battait tout le monde. Il s'est souvent retrouvé dans les tribunaux. Le hic c'est qu'avec nous il est tellement gentil, il dit jamais un mot, il rit et fait des blagues, il s'intéresse à notre vie, il voulait savoir si j'aavais terminée mes études, où je m'en allais maintenant, pourquoi New York... En fait, j'arrive pas à comprendre comment quelqu'un peut avoir deux personnalités complètement différentes comme cela. Ça me rappelle la gérante lesbienne du magasin Poly Sons dans le temps. Bête comme ses deux pieds avec tout le monde, mieilleuse comme c'est pas possible avec sa blonde. Tu sais que la société en a besoin de monde comme ça? Le vieux chercherait-il à pro`téger ses assets? C'est-à-dire, sait voir quels sont ses intérêts, et agit en conséquence? Alcoolique comme il est, il lui serait impossible de continuer à boire s'il entrait en pension. En attendant, fumeur et alcolo, les hôpitaux veulent plus rien savoir de lui. C'est pour ça sa crise dans les hôpitaux. Pire, André est cardiaque et son médecin refuse de l'aider pour la simple raison qu'il fume! Heureusement on peut encore changer de médecin, mais ça vous montre quelle genre de conscience nourrit nos médecins et infirmiers-ères. Bientôt on va pas aider les sidatiques parce que c'est un châtiment de Dieu selon les religieux. Et ça, ça se voit déjà dans les hôpitaux. À Montréal, les sidatiques doivent s'orienter vers les centres spécialisés, la majorité des autres centres refusent de s'occuper d'eux à ce que j'ai lu dans le journal. Et que dire des femmes qui ne sont plus en mariage pour une raison ou pour une autre? Selon certains religieux américains they do not deserve anything! Voilà où notre société en est avec l'égalité entre les humains. Bientôt il faudra être dans une famile traditionnelle au sens de la religion, avoir un comportement sans reproche aux yeux de l'État, n'avoir rien fait pour tomber malade, et encore, où dessine-t-on la frontière entre ce qui est recherché ou non? Une tumeur au cerveau apparaît-elle parce que l'on fume? Écoutez, si vous voulez payer moins cher pour votre système de santé, dites-le, mais ne nous arrivez pas avec des idiotismes tel que l'on guérit maintenant seulement telle ou telle personne parce que ça fait notre affaire. Imaginez un instant que l'on décide de ne plus traiter les maladies vénériennes, qu'adviendra-t-il éventuellement? En théorie, avec notre société parfaite, il n'y aurait pas de problèmes. Ceux qui

- 373 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ont péché finiraient par en mourir. Mais enlevez-vous ça de la tête, la société n'est pas parfaite, elle ne le sera jamais. Et une majorité finirait par mourir par les différentes MTS. Je vous dis qu'il faut pas rester trop loin de ce qu'une gang de caves sont capables de dire pour protéger leurs propres intérêts, il faut toujours être là pour les dénoncer. Sinon, ça serait pas long que ça deviendrait invivable ici. Et ça, y'a pas grand monde qui semble vouloiur le voir. Sheep sheep sheep, Alleluilla, et ils pourront faire ce qu'ils veulent de nous autres au nom de leur Dieu hypothétique dont on se fout pas mal! Tout le monde le sait que la bible a été écrite des années après que Moïse est venu sur la planète et que ce n'est pas Moïse, qui n'a peut-être existé, qui a écrit cela. Tout le monde le sait que c'est un livre de lois, saveur un peu trop politique pour être religieuse. Le message d'amour? Pff! Mais c'est remarquable, on peut pas leur reprocher d'avoir voulu instaurer une morale que l'on ne peut remettre en question parce qu'elle vient de Dieu, seulement, y'a une limite à ce qu'on peut endurer comme autorité humaine qui dépasse celle de Dieu. Quand le peuple d'Israël commençait à douter de son Dieu, ou du moins qu'il était encore avec eux, ce dernier faisait une couple de miracles pour lui prouver sa présence. Où donc sont ces miracles aujourd'hui? Et l'on doute de plus en plus mes amis. On oublie qu'il existe un gros pourcentage de gens qui même s'ils croient en Dieu, n'écoutent plus du tout les préceptes soit-disant légués par lui. Je veux un miracle, là devant mes yeux! Où je l'abandonne lui et sa morale. Ma mère me disait heureux ceux qui croient sans avoir vu. Oui, parce qu'il n'y a jamais rien eu à voir. Joël disait que les quatre télé-évangélistes, excusez-moi, un lapsus, les quatre évangélistes ont écrit leurs travaux en des temps différents et chacun avait la version de l'autre ou des autres en écrivant la sienne. Pourtant on m'a bien affirmé quand j'étaus jeune à l'école que les évangélistes, quand Jésus est mort, se sont enfermé dans quatre pièces différentes, en même temps, ont écrit la vie de Jésus, puis ont laissé cela à la postérité. JE me suis même rendu compte quand je parlais de la bible avec mon père et Ginette, qu'ils connaissait plusieurs des passages que je disais, pourtant, ils n'ont jamais lu ou même penser un jour lire la bible. J'ai même l'impression que ma mère voit cela d'un mauvais oeil que je lise la bible. Elle me conseille d'arrêter, elle me fait croire que ça prend quatre ans pour lire la bible. Un peu plus, elle me dirait que c'est interdit de lire la bible. Raison de plus pour que la lise! D'ailleurs j'ai découvert d'autres passages croustillants dans l'Exode. J'ai hâte de transferrer

- 374 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

cela dans la Nouvelle Humanité.

Je suis sorti hier avec Stéphane Gagné dans un bar straight de Chicoutimi. J'ai rencontré ma cousine Christine. Je lui ai dit que j'étais gay parce que je savais qu'elle le savait. Bien sûr, elle m'a répondu qu'elle le savait depuis longtemps. Elle dit que c'est son frère qui lui a dit. Paraît que c'est moi qui lui aurait dit. Cela me surprend, ou bien j'avais vraiment bu, ou bien c'est là le pire mensonge que l'on puisse entendre. Je ne me souviens même pas de sa réaction, ce me semble, de ça je m'en serais rappelé. Prenons plutôt la plus probable hypothèse. Quand il sortait avec Christiane Côté, c'est là qu'il l'urait appris. Comme les Girard, j'ai compris que c'est Julie Vachon mon ex-blonde qui lui aurait dit à Marc-André. Ça vaut la peine de faire confiance à ses amis, voilà que toute la famille le sait grâce à Julie et Christiane. Ça fait donc plus que quatre ans que toute la famille est au courant. Christ que j'ai dû passer pour un cave. Même le grand-pére Girard est sûrement au courant selon la mère. Le vieux Girard qui est le `lointain cousin du grand-père, me semblait le savoir aussi, il me posait plein de question sur le gars que j'avais emmené chez-nous à Noël passé. Ça me rend dépressif tout cela. Ça ne me donne pas envie d'aller voir cette gang d'hypocrites, reste à savoir si c'est pas moi le plus grand des hypocrite considérant que c'est moi qui a jamais vraiment voulu leur dire. Ça paye de vouloir leur dire, c'Est là qu'on comprend qu'ils savent depuis longtemps. Encore plus hypocrite, ma mère qui se sent coupable de je sais pas quoi et qui n'ose rien me dire. Elle me dit que Carol ne lui a jamais parlé de cela, christ de menteuse, le connaissant et sachant comment il ne se mêle pas de ses affaires, je sais très bien qu'ils en ont parlé. Impossible de savoir quoi que ce soit. Je n'ai plus aucune motivation à les voir. Couper tout contact mes amis, Noël prochain on me verra chez mes parents, plus chez la parenté. Les Girard cet été? Vous pourrez courir mes amis. Quand on sait à quoi ça sert une famille, on comprend vite qu'on ne leur doit absolument rien. Quand on laisse crever de faim l'étudiant universitaire qui essaye tant qu'il peut d'arriver quelque part dans cette société où il est difficile d'arriver quelque part, y'a pu grand chose à espérer. Calculons tout ce que ma mère a fait dernièrement. Un nouveau fourneau, un nouveau réfrigérateur, de nouveaux plancher sur deux étages, de la tapisserie partout. D'accord, c'est pas grand chose. Mais calculons encore, ils ont vendu l'auto de collection d'André, paraît que ça

- 375 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

valait 25 000$. Pourtant, je suis incapable de savoir combien ils l'ont vendu. Ma mère dit maintenant qu'ils auraient pu en avoir 10 000$ à Montréal, mais que finalement ils l'ont vendu ici pour pas cher. Je lui ai demandé s'ils s'étaient fait fourrer. Elle dit que non. Je lui demande pour combien ils l'ont vendu, elle l'ignore. Bref, sa version a changée trois fois depuis qu'ils ont vendu le char. Elle ment c'est sûr, ils ont fait un bon profit là-dessus. Ensuite, elle travaille pour pas grand chose toute la semaine à garder quatre enfants. Elle dit qu'elle gagne rien, mais à bien y penser j'ai l'impression qu'elle gagne pas si mal, sans comppter qu'elle c'est de l'argent non déclaré. Dans le temps elle disait qu'elle pourrait vivre très bien avec deux vieux dans la maison qui louent une chambre. Or, y'a un vieux dans la maison, aussi de l'argent non déclaré, et y'a le salaire d'André et le sien. Bref, ils en ont de l'argent et ils me font croire le contraire pour pas avoir à m'aider. J'en suis maintenant convaincu, ça paraît bien trop quand elle ment. Elle se contredit, elle répond pas aux questions, elle fuit, pauvre elle, sa religion l'empêche de bien mentir pour enlever tout doute. Christ, c'est bien pire de faire crever son flot de faim! Ça, ça pardonne pas. Pensez-vous que je vais aider ces parents plus tard quand eux auront des problèmes avec leur pension? Le pire c'est que je sais très bien que oui. Quand il y a dix livres de graisse de boeuf dans le garde-manger, et qu'elle me dit que son gâteau au chocolat et que sa tarte aux bleuets sont faites avec de la graisse végétale, et quand je dis qu'elle ment et que de ses patisseries maintenant je n'en mangerais plus parce que je ne peux pas lui faire confiance, elle dit pas grand chose. Me semble qu'il y a un temps ou elle aurait sauté dans les airs et qu'elle m'aurait traité de niaiseux. Quand j'étais en droit, le grand-pére était vite à me donner de l'argent, et la grand-mère acceptait d'ouvrir son compte au million. C'est drôle qu'après la première session l'argent s'est fait rare. À Noël on m'a donné cinquante dollars pour mes études, parce que j'étais à l'Université. Qu'est-ce que ma soeur, ingénieure, qui vient de s'acheter une automobile et une maison a eu? Cinquante dollars. Eh bien, le cinquante dollars, je l'ai flambé le soir d'après en alcool, et je ne regrette pas du tout. Et ça montre ce que ça vaut cinquante dollars aujourd'hui. Ça te paye une soirée dans un bar. Encore chanceux qu'on est pas à Paris ou New York, où ça coûte ça juste pour entrer dans le bar. Mais bien sûr, il faudrait que jeunesse ne se fasse pas. En fait, c'est rare que ça me coûte plus que 20 dollars quand je sors. Ma soeur au contraire, sortait beaucoup plus et dépensait au mini

- 376 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mum 60$. Mais ça, elle a tout oublié cela aujourd'hui. Comme de ses travaux hebdomadaires qu'elle ne rendait pas en génie. Aujourd'hui elle me disait le contraire de voilà deux mois. Elle allait à l'Université plein temps et travaillait plus que vingt heures par semaine. Bullshit, j'étais là, elle a jamais travaillé plus que 12 heures par semaine et elle ne le cachait pas avant. Sans compter qu'elle a fait son programme en un an de plus pour s'enlever de la masse de travail. Elle dit que mes résultats scolaires sont beaucoup plus forts que les siens. Pourtant elle disait le contraire dernièrement et le dira encore prochainement. Elle peut bien avouer cela, de toute façon on sait bien que son arrière-pensée est que des résultats en génie, peu importe la note, surtout en anglais, c'est incomparable avec la littérature. Soudainement ils semblent s'accorder pour affirmer que mon bac s'en est effectivement un. Blablabla, même moi je suis le premier à dire que c'est de la marde. Ils essaient peut-être de sauver ce qu'ils leur reste de fierté pour le marginal de la famille. Christine hier me disait que l'homosexualité, c'était quelque chose qui courait vite de bouche à oreille dans la famille. Elle a commencé par me dire que si j'étais heureux là-dedans, elle était ben contente pour moi. Son ton était tellement négatif, que je suis resté mal. Ensuite elle a dit que la famille serait pas plus surprise d'apprendre que j'ai le sida. Tabarnak! Est-ce que je t'accuse d'avoir des champignons dans le vagin ou des morpions parce que tu sors dans le bar où on flirt le plus en ville, souvent et sans ton chum, moé? P'tite crisse d'enfant pure, sors donc de chez-vous voir si tous les gays ont le sida! J'y ai dit qu'il fallait que je retourne voir mes amis, mais ça me donne un avant-goût de ce qui se dit dans la famille, du moins, chez Marcel et Renée. A-t-on besoin de dire que Marcel trompe sa femme? A-t-on besoin de dire que Renée est la première à juger tout le monde? Elle se gênait pas pour juger la vacheté de Jean-Paul qui élevait ses quatre enfants plutôt que de travailler, et qui avait une maison toujours sale. Il est venu un temps où elle refusait de leur parler et leur a interdit l'entrée de leur chalet. Good. Elle va le gagner son ciel elle, madame la parfaite. Les végétariens sont tous des niaiseux? Fine. Les excessifs dans la religion comme le sont Mario, Jean-Paul, et quelques autres, sont tous des vendus au diable parce qu'ils ont lu autre chose qu'une esti de bible pourrie? Fine. Mais vient pas nous écoeurer, parce que moi j'ai pas en grande estime le monde bouché qui n'ont pas peur de le dire ou d'imposer leur vision de la vie sur tout le monde.

- 377 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Dans la même veine j'ai rencontré Renée-Claude Lavoie, une fille avec qui j'allais à l'école en troisième année. Dans le temps j'en avais peur parce que c'était la seule fille que je connaissais qui sacrait comme une déchaînée. Pourtant je l'admirais et j'aimais parler avec elle. Moi j'étais la petite bolle de la classe, le chou-chou de mon prof, des autres profs et de la directrice de l'école. Ça veut tout dire. L'année d'après on me faisait sauter une année scolaire. Bref, elle c'était le monstre de l'école. Avec ses cheveux blonds longs, celle qui allaient se battre avec les gars. Bref, Stéphane lui avait dit que j'étais gai. Elle a pas perdu de temps, elle m'a raconté son premier roman qu'elle écrit en ce moment, une histoire de lesbienne, la sienne en fait. Faut dire qu'elle en a du vécu pour ses vingt ans. Elle s'est mariée avec un gars en 1992, a habité avec pendant sept mois, avant que ça flanche. Il était là hier, elle dit que le sexe ça marchait pas fort et que tous les amis autour se posaient des questions. Il a vraiment l'air gai, le pauvre, il s'est marié à 19 ans pour prouver au peuple qu'il était un homme. Il dit qu'il recommencerait n'importe quand (un homme incapable d'appprendre de ses erreurs?). Après cela, Renée-Claude a rencontré une fille lorsqu'elle était intervenante. L'autre suivait des cours et a tout fait pour que Renée-Claude s'intéresse à elle. Renée-Claude, pilant sur son orgueil, se serait finalement rendue à Alma. Mais en tant qu'intervenante en position d'autorité, c'est interdit de sortir avec une étudiante ou bénéficiaire d'où Renée-C. travaillait. Finalement ça aurait mal tourné et l'autre aurait, sous les instances des travailleuses sociales, intenté une poursuite judiciaire contre Renée-Claude. Elle a abandonné ensuite parce qu'elle était trop dans le tort pour pouvoir gagner. Puis a appelé R.-C. pour s'excuser, que jamais elle voulait faire cela, et qu'elle voulait recommencer à la voir. Mais Renée-Claude venait de traverser la pire épreuve de sa vie, elle n'avait aucune intention de la revoir. L'histoire ne dit pas si l'autre fille était mineure. Ça vient juste de se produire, R.-C. est encore en dépression.

24 juillet 1994

Bref, j'ignore comment il faut interpréter l'histoire de Renée-Claude, mais je sais qu'à 20 ans, même si l'autre est mineure, on peut pas parler de pédophilie (en admettant

- 378 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que le terme puisse s'adapter aux femmes). Et cette histoire de position d'autorité commence à me faire dégueuler lorsqu'il s'agit de juger un monstre ou une personne en contrôle qui n'avait pas nécessairement de mauvaises intentions.

On m'a beaucoup cruisé au Zénith. C'est la première fois qu'on me cruise autant dans les bars straigths. Est-ce que c'est parce que j'ai vieilli un peu ou bien c'était le gros bouton qui avait décidé de me pousser sur le menton? Le pire c'est qu'il paraissait pas avant que je décide de le squeezer pour faire sortir le blanc et le sang. Mais y'avait rien dedans et je m'obstinais à les faire sortir. Résultat, la première chose que Frédérique m'a dite lorsque je suis sorti de la salle de bain, c'est qu'il fallait me cacher ça pis vite. Bref, Ginette a essayé, Frédérique a essayé, du fond de teint, du rouge à lèvre couleur peau, un fond + un tube à beige, bref, des millénaires de perfectionnage en maquillage n'ont rien donné. Je suis vraiment déçu, le maquillage, ça marche pas! J'aimais mieux sortir avec une grosse tache rouge sur le menton qu'avec une tache de peinture qui paraissait. Voyez, ça m'a pas empêché de pogner.

Deux jours après je sortais avec Martin Paquet dans le bar gai MYF de Chicoutimi. On avait été au Vieux Pub avant, mais là, c'est définitivement trop vieux. Bien sûr, tout le monde nous regardait. Au MYF, je pognais un peu moins. On me regardait, mais c'était plus discret qu'au Zénith. Les gars et même les filles, sont plus beaux au Sagenay-Lac-St-Jean qu'à Ottawa, Montréal, Paris et New York. C'est pas des blagues, ils sont vraiment tous beaux. Je me suis presque mis à paniquer, en arrivant chez-moi j'ai ressenti le besoin d'appeler Bruno pis vite, pour m'assurer qu'il existait encore. Y'en avait un sans gilet, un deuxième plus tard dans la soirée, sont crissement beaux, mais pas touche, si beaux et sans gilet, ça a couché avec tout le monde ça. Martin s'intéresse à personne. Y'a même pas regardé le monde je pense. Et c'est lui qui est libre et qui se lamente d'avoir eu juste un chum en trois ans, pendant huit mois seulement (le gars s'acceptait pas). On a rencontré Frédérique sur place. La seule autre fille qui s'appelle Frédérique que j'ai rencontrée dans ma vie. Elle était beaucoup plus gentille que la première fois que je l'ai rencontrée l'été d'avant. On aurait dit qu'elle était contente de voir du monde. C'est d'ailleurs ce qu'elle a dit quand on est allé au

- 379 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Privé, le bar de lesbiennes d'en bas du MYF. Elle dit que ces filles sont contentent de voir du monde quand y'en arrive, et que du monde, c'était moi, Martin, Elle (elle a pointé son autre amie, mais je suppose qu'elle l'excluait). En fait, le monde c'était elle tout court. Elle a une haute opinion d'elle-même et je comprends pourquoi. La majorité des lesbiennes du bar étaient boutch, en d'autres termes, masculines. Et Frédérique est tout ce qu'il y a de plus féminine, maquillage au premier plan. L'amie de Fred, ô ironie, c'est ma grosse-Allemande (qui n'en est pas une) aux-seins-lourds-qui-pendent-très-bas du Pilier Nord, et qui fascinait mon cerveau l'été passé en même temps que je découvrais la pureté de certaines petites filles du bar Le Caméléon. Cette filles est effrayante, habillée en grosse alternative, cheveux courts, j'étais presqu'heureux qu'elle me parle et qu'elle constate que j'étais pas le beau petit garçon pur et que moi aussi j'écoutais The Cure et Indochine, et peut-être même du moins pur encore. Bref, c'était l'éléphant aux pieds d'argile. Elle est sensible, on sent qu'elle a besoin d'affection la pauvre, et le mot marge, elle l'a pris dans son sens le plus large. Si elle m'entendait... C'est pas moi qui accuse toutes les lesbiennes du Saguenay d'être des boutchs, c'est Fred et son amie (qui n'est pas sa blonde). Y'a que Frédérique m'a vraiment pris pour un jeune con l'an passé, et que cette année son agissement a changé du tout au tout sans que je puisse m'expliquer pourquoi. Elle disait que la semaine passée elle pensait justement à Martin et à moi. Étais-je flatté? Je ne sais pas. On a vu une petite fille pure danser comme une folle sur le plancher de danse du MYF, je lui ai demandé si elle la connaissait, elle m'a dit oui, et que dans sa cervelle, c'était vraiment Zérrrroooo. La façon dont elle m'a dit ça, ça méritait de se retrouver dans un film d'Hollywood. Après cela, moi et Martin sommes allés à La Caverne, le nouveau bar de Frédéric, la gars à qui appartenait Amadéus le Disquaire et que je connais bien parce que j'étais son plus gros acheteur de disque dans le temps et qu'on a exactement les mêmes goûts musicaux. 100% la même chose, c'est assez incroyable. Il le sait puisque je danse et chante les chansons qu'il met, à 100%. Hier j'ai fait un peu le cave en me donnant en spectacle, seul, sur la piste de danse. Mais quand je demande The Smiths, et que la chanson qu'il met c'est How soon is now?, y'a de quoi danser avec six bières dans le corps. Saoul mes amis! J'ai été direct au but avec Fred, je lui ai dit que les bars gais dans le coin, ça faisait pitié, que la musique c'est pourri. Il a dit que c'était vrai. Je lui ai ensuite dit que La Renaissance dans le temps, ça c'était un bon bar

- 380 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gai, là ou l'Underground est vraiment underground, pas kétaine avec un p'tit beat qui dure quatre heures de temps. J'ai comme l'impression qu'il est gai, faut que je retourne le voir cette semaine, je vais lui poser la question directement. Bref, je ne m'intéresse pas à lui de toute manière, j'aime mon Bruno. Bruno Bruno Bruno! Où es-tu, que fais-tu? J'm'ennuis! Si je m'écoutais, je partirais demain à la première heure. Mais toute la famille paniquuerait. Je pense à aller faire du camping mais ça devient difficile, ça coûte 15$ minimum par jour sans compter la bouffe, sans compter qu'il me faut prendre la voiture de mon poupa et que Claude-Éric, le futur premier ministre du Québec et mon semi-frère, arrive avec sa blonde ce jeudi et qu'il me faut implicitement faire de l'air. Pffuit, pffuit, pffuit, je fais de l'air jusqu'à Ottawa, avant de partir pour New York. Parce que là, c'est vrai que je suis motivé à partir.

Tant qu'à être misérable, rien, et tout, j'aime autant être passé par New York, ça me donne l'impression de pas avoir pourri tant que cela dans ma vie. Je marche sur la rue Lapointe, c'est terrible, tout les voisins ont déjà été alcooliques, une bonne gang le sont encore. La femme du voisin qui se gêne pas pour appeler ma mère de gros cul ou de la-grosse-Tremblay, boit comme une déchaînée avec la mère de Joël Lavoie, celui qui a complètement disparu de la civilisation. Ma mère pense qu'il est dans l'armée, ma soeur dit que c'était la seule place où il aurait pu finir. On l'appelait moineau dans le temps, ça veut tout dire. Bref, elles commencent à boire à sept heures le matin. Le mari de la première est alcolo aussi, le mari de la deuxième ne boit pas mais se lamente que sa femme, malgré qu'elle fait tout le ménage et les repas, est une grosse alcolo. Annette et son mari, ça c'était alcoolique aussi. L'autre d'à côté l'était aussi dans le temps, s'est assagi avec les enfants vieillisants. Le père de Stéphane Audet, aussi un alcoolique qui aurait causé beaucoup de trouble, mais qu'on a jamais voulu m'en dire plus. Lesquels autres aussi, la liste s'allonge. Je distribuais les journaux dans le temps, dans les appartements pas trop beaux, tout ce monde là avait leur grosse bouteille de bière ouverte en permanence. Sans compter quand j'étais livreur à l'épicerie. Je livrais autant de commandes d'épicerie que de caisses de 24 bières. C'est terrible. Des belles femmes en plus, ça boit entre soeurs, ça s'arrête pas même quand ça a le cancer comme la femme qui habitait l'édifice sur la montagne de Place Centre-Ville et dont il me fallait cacher la caisse de bière pour pas que les voisins jasent. Le pire c'était à côté de chez

- 381 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Christiane (son père aussi était alcoolique) le vieux buvait comme un déchaîné, je lui livrais une caisse de bière à chaque jour. Il en est mort. Quelle conscience me faut-il avoir maintenant? Est-ce ma faute s'il commandait de la bière à plus finir? Devais-je lui dire que cela suffisait et qu'il allait en mourir? Et comment aurais-je pu savoir qu'il est crèverait? Et comment savoir lesquels crèveront lorsque des clients comme lui, c'est la foule et que ce sont eux qui font vivre la petite épicerie? Parfois j'approuve le gouvernement ontarien d'interdire la vente d'alcool ailleurs que dans les magasins de l'État, et de fermer ces magasins tôt le soir. Y'en a plusieurs qui se saouleraient moins. Mais faut voir les statistiques, pas sûr que ça fonctionne leurs petites combines inventées pour nous compliquer l'existence.

26 juillet 1994

La crise allait éclatée, j'aurais dû m'en douter et la prévenir, mais voilà, les choses sont ainsi faites ici que ça explose lorsque l'on s'y attend le moins. Croyez-vous que je n'aie l'expériecne depuis le temps? Je fais tout pour essayer de pas trop en faire, même jusqu'à ne pas sortir de la maison, mais voilà qu'aujourd'hui j'ai dit à ma mère qu'elle mettait beaucoup trop de beurre sur le pain. Et ça tombait mal parce qu'elle était fatiguée de son avant-midi de travail où elle garde quatre enfants pour 1$ de l'heure, et qu'en plus, le grand-père venait et elle n'avait pas eu le temps de faire son ménage. Pour ajouter au tout, André a décidé de crisser le camp parce que je serais selon lui quelqu'un qui chiâle tout le temps. J'imagine que j'ai des torts dans cette histoire, je passe un commentaire sans m'en rendre compte, ma soeur est comme cela aussi, et surtout mon père est pire, mais maintenant que la famille est définitivement éclatée, il faut faire avec André, le chien, M. Girard, Ginette, Louise, Benoît son chum, Éric et sa blonde. Peut-on vraiment essayer de contenter tout ce monde? Bien sûr, mais même à essayer, ça fonctionne pas. Le vrai problème, c'est André. Ma mère s'accuse elle-même, mais on sait que c'est André. C'est lui qui marmonne en arrière et qui dit jamais rien jusqu'à ce qu'il claque la porte parce que ma mère ne nous dit jamais rien. Même chose avec Ginette d'ailleurs, quand ça éclate, et je ne doute pas que ça va éclater bientôt, il semble toujours trop tard. Bien sûr que non, il faut s'adapter, il faut prendre sa

- 382 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

place et ne rien dire, il faut essayer de développer une complicité, bien que ce soit difficile avec des hypocrites qui font semblant que tout va bien en disant que rien ne va dans notre dos et que les agents de liaison ne font pas leur travail en nous conseillant clairement de pas faire-ci ou ça. Ça me donne encore l'impression d'être un mauvais garçon, quelqu'un qui sait pas vivre, pourtant, quand je regarde à côté, j'ai l'impression que nos petits problèmes sont tout de même banals. Marc-André semble être sur la drogue, il boit comme un déchaîné chaque soir, il vient de perdre sa blonde, il a fait trois accidents avec le char à Carol en trois jours à cause de l'alcool. Andréanne ne rentre plus le soir, à la plage, elle disparaît avec des gangs de gars que l'on accuse de voler les roulottes. La situation chez les Girards ne tient plus qu'à un fil, ma mère est plus capable de sentir Sonia, elle trouve qu'elle chiâle trop après Gaétan et qu'elle fait tout le contraire de ce qui serait normal avec ses enfants. Pourtant, lorsque ma mère s'est mise à pleurer tantôt, j'ai dit que je comprenais maintenant, que j'allais essayer de faire un effort à l'avenir, qu'André, j'allais essayer de m'en raprocher pour rire avec lui, semblerait que l'épisode de l'ordinateur soit passé et que maintenant, il me faudrait faire un autre geste pour réussir à m'entendre avec. C'est bien, mais c'est à sens unique voyez-vous. Ma mère m'a dit en plus que c'était déjà très difficile pour son chum d'accepter les homosexuels, qu'il n'est pas capable de les sentir, mais que si en plus il fallait qu'ils se lamentent, là, c'est trop. Elle dit que M. Girard lui a dit que les végétariens il connaissait ça, ils finissent tous dans des sectes religieuses bizarres puis se font mettre en prison. Pis quoi encore? Elle dit qu'il faudrait jamais qu'il sache que je suis gai, ce serait la guerre. Elle dit qu'il veut tous les tuer. Je me demande ce qui flotte dans le coeur de Ginette, j'imagine que je vais le savoir avant de partir, sinon, le moton va rester, ils vont se contenir jusqu'à ce que je parte. Est-ce un bon moyen de régler un problème? Ils voudraient que l'on soit hypocrite à mort. Qu'on les flatte à plus finir, qu'on dise que tout est beau et bon, même quand c'est pas le cas. Et le pire, c'est qu'on le fait, mais pas assez à leur goût. Ma soeur m'a fait visiter sa maison. Bof. Une maison comme une autre, de riche peut-être, comparativement à ce qui se construit ailleurs, ou plutôt les maisons dans lesquelles ma mère et mon père ont habitées ces dernières années. Elle dit qu'ils ont perdus leurs amis à cause de la jalousie, que les voisins capotent parce qu'eux, ça leur a pris quarante ans pour arriver à se payer ça, même Ginette a dit un petit c'est beau qui a été franchement mal interprété par

- 383 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Stéphane et Fred. Bien sûr, quand je suis arrivé sur place, c'était Wow!, La belle maison, c'est extraordinaire, c'est grand (en fait la maison est pratiquement la même grandeur que celle à ma mère et on l'a toujours trouvée trop petite), j'ai dit que le terrain était incroyable (ils ont une coulée affeuse à l'arrière, le terrain me semble voué au glissement de terrain éventuellement), bref, je leur ai dit ce qu'ils voulaient entendre, sinon ils m'auraient accusé d'être jaloux, ou je ne sais quoi. Il faudrait tout de même pas mélanger indifférence et jalousie! Bien sûr, je suis heureux pour ma soeur, je lui ai dit, ai-je besoin de le répéter indéfiniment? Semble que oui. Autre exemple, on a été à son bureau pour me faire sortir mon Curriculum sur l'imprimante au laser. Il m'a fallu lui dire merci une dizaine de fois, que je n'en revenais pas qu'elle veuille bien m'aider avec mon CV, et blablabla. C'est comme ça que ça fonctionne. Il est vrai qu'elle m'a aidé à changer mon CV et qu'elle m'a aidé à le traduire en anglais, j'en suis fort reconnaissant, elle n'avait aucunement l'obligation de le faire. Le problème, c'est que si je ne lui avais pas dit jusqu'à quel point j'appréciais son geste, ç'aurait été la crise. Et c'est cela que l'on finit par apprendre. Mon père m'a donné 160$ pour que je vienne ici. Je me sens coupable parce que je ne lui ai pas assez montré ma gratitude. Bon Dieu, c'est un droit! Je mange de la marde parce que le gouvernement calcule qu'il me faut 10 000$ par année pour aller à l'école (au minimum 13 000$ en réalité), et que mes parents sont obligés de me fournir 8 000$ par année, que moi c'est prévisible que je puisse faire 4000$ en parallèle de mes études. Bien sûr, dans la dernière année, mon père m'a donné 300$ + 150$ + 150$. (Ma soeur m'a donné l'autre 300$ dont j'ai eu besoin en mars). Et je me sens coupable d'accepter le 150$ qu'il vient de me donner. Sans cesse ils me répètent qu'ils pourront pas m'aider si j'ai besoin d'argent. Inquiétez-vous pas bon Dieu! J'ai pris l'habitude depuis, je crève de faim. Même chose pour le grand-père qui vient chercher sa TV qu'il avait donné à Frédérique avant qu'elle parte pour Ottawa (this stupid TV almost break the family in two, give it back and say thanks! That's it!). C'est la grosse panique dans la famille parce que Marc-André vient de décider qu'il allait faire électrotechnique au CÉGEP plutôt que l'ingénierie. Bien sûr, Carol était le premier à dire que j'étais un cave quand j'ai lâché les Sciences Pures au CÉGEP et que j'ai abandonné le droit. Je ne vaux pas grand chose à ses yeux, à l'entendre, ses enfants allaient devenir médecins! J'ai abordé la possibilité d'aller en génie devant le grand-père, ses yeux se sont illuminés. Je regrette de lui donner de faux

- 384 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

espoirs, j'étais pas pour lui dire que je m'en allais à New York quand même. Je lui ai répété quatre fois que ça allait attendre un an, parce que j'allais prendre un an de break pour travailler. Il m'a dit qu'il allait payer mes études si j'avais des problèmes (avant de s'être assuré que j'avais bien l'intention de les finir (mes études en génie) et d'avoir demandé si j'en avais les capacités) il m'a dit de pas hésiter à l'appeler si j'avais des problèmes si j'étais en génie. Autrement, crève de faim mon p'tit garçon, parce que nous, on s'en fout. Ainsi donc la société s'organise pour aider et tout donner à ceux qui deviendront médecin ou ingénieur ou avocat, alors qu'eux, ils auront pas de problèmes plus tard. Le reste, ils peuvent crever de faim, on ne les connaît pas. Mais quels sont donc leurs intérêts? S'imaginent-ils que si on est ingénieur, on va les soutenir plus tard, et que sinon, y'a aucune chance qu'on les soutienne? Il a dit qu'il fallait au moins que l'on me réchappe, genre, qu'il fallait que l'on me conduise quelque part. Comme si mon diplôme en littérature, ça, ça ne valait rien. Ma mère et Ginette en ont long à dire sur la famille des Tremblay de Desbiens qui osaient pas, et encore aujourd'hui, se mélanger avec les Desmeules parce qu'eux sont des intellectuels et que les Desmeules sont des gnochons. Je commence à voir clair. Je commence à croire que j'ai vraiment mal tomber dans cette famille de malades dont plus de la moitié des seize enfants sont ingénieurs et l'autre moitié tient pu à terre et veulent absolument réchapper l'honneur de la famille en boustant les enfants. Ces gens-là auraient intérêts à sortir de leur trou, ils verraient que le commérage se perd dans les grandes villes, et que l'honneur, ça veut plus dire grand chose. Faut pas avoir d'orgueil dans la vie. Ou du moins, il faut pas en faire une obsession. Mon père s'inquiète beaucoup avec moi parce qu'il trouve que je ne vais nulle part. J'avoue que c'est peut-être vrai, mais je m'en fous. Tout ce que je sais pour l'instant, c'est que j'ai franchement hâte de décrisser d'icitte, et ce ne sera pas parce que je n'aurai pas fait d'efforts. Et je vais faire l'hypocrite, je vais leur dire que mes vacances ont été merveilleuses. J'aurais été une seule fois à la plage, et je n'aurais même pas fait de camping. Trop cher, trop compliqué, eux sont pas capables de comprendre pourquoi je veux me retrouver trois jours seul dans les bois pour refaire le plein d'énergie, parce que eux, ça leur ai jamais arrivé de voir que leur univers est tellement stressant qu'il faut s'en éloigner parfois. Sont pas capables de comprendre non plus que je puisse dépenser dix dollars parce que je suis supposé être pauvre. Pendant ce temps ils comprennent pas qu'ils dépensent à

- 385 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pocheter sur toutes sortes de choses inutiles sans s'inquiéter outre mesure. Enfin, si j'ai bien compris, je serais plus riches qu'eux en ce moment.

Ouh la la, j'ai parlé avec ma soeur, en une soirée au chalet à Steph, on s'est vidé les entrailles, j'ignore si ça fait du bien ou si au contraire ça nous renfonce dans les problèmes, mais moi je sais que ça me renfonce. Parce que les problèmes de la famille are more deep than I thought. Où donc étais-je moi? Comment donc ai-je pu oublier des choses qui sont davantages marquées en le coeur de ma soeur? Au début j'avais peur, quand ma soeur boit huit bières, habituellement une crise va suivre. J'y ai goûté plus d'une fois. Là, par miracle, la crise n'a pas éclatée. Mais à la fin, il était temps qu'on aille se coucher, ça s'en venait. Conclusion, tout le monde sont des malades, des parents jusqu'à Nathalie en passant par tous les techniciens du bureau de Fred et les ingénieurs seniors. Disons qu'elle avait bu. Mais j'apprends à me souvenir que nous étions des enfants battus. Voilà, certains en déduiraient que c'est pourquoi je suis homosexuel. Rien à voir. Il est vrai cependant que chez nous ça fonctionnait aux coups de pieds et aux claques. J'apprends aussi que ma soeur était la plus droguée et bum de la ville, avec ses copines. Bon, je le savais déjà mais enfin, c'est pire à chaque fois que j'en entends davantage. Même Steph prenait de la drogue à la planche. Plus de doute maintenant, tout le monde a pris de la drogue. Ma mère dit que je ne suis pas mieux, parce que dans sa définition, la bière c'est de la drogue, que je suis donc un drogué. Ma soeur volait de 10$ à 15$ par jour à ma mère pour la drogue, je me demande si on peut encore me reprocher mon voyage en France de l'an passé. Ce n'est pas suffisant d'avoir pleuré avec ma mère et ma soeur aujourd'hui, Ginette aussi pleurait ce soir à la maison. Des problèmes avec son père, je pense que la famille l'accuse de quelque chose à tort et que le père ne veut pas comprendre que Ginette n'a pas tous les torts, il en aurait parlé à Jean-Paul qui l'aurait répété à Ginette et voilà que l'on va essayer de régler la question avant que le cancer achève le père. Y'a pas que nous qui avons des problèmes! Et ça ose même pas l'avouer et ça nous juge à mort. Bref, quand ma mère me met dehors, ce que l'on me cache, c'est que ma soeur l'a appelée pour lui dire qu'elle était plus sa mère, qu'elle voulait plus rien savoir, la traitée d'esti de chienne, je comprends maintenant pourquoi ma mère pleurait tant. Le pire c'est qu'on avait caché la vérité à tout le monde, surtout à ma soeur, et que tout le

- 386 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

monde s'est assis avec moi pour me faire comprendre que je devais faire un effort avec André, que jamais je réussirais à m'entendre avec qui que ce soit, bref, c'est moi qui savait pas vivre. Et tous ces gens étaient là pour me dire que le tout était de ma faute. Aussi, quand ils ont su le fond de l'histoire, l'alcoolique que ma mère avait ramassé, qu'il m'avait foutu dehors sans raison valable, ils se sont tous retournés contre ma mère alors que moi j'avais fini par accepter que c'était moi le fauteur de trouble. Comme à l'heure actuelle d'ailleurs. Je veux repartir parce que j'ai l'impression que certaines personnes ne peuvent pas me sentir, ce qui en bout de ligne me rend tout de même coupable indirectement de causer du trouble par le fait de ma seule présence. Mais André agissait comme ça avant de savoir que j'étais gai, maintenant ce serait pire, aucun pardon possible. L'homophobie existe bel et bien, mais il est inutile de cacher son homosexualité, ils finissent toujours par tout savoir. J'apprends aussi que ni ma mère ni mon père ont accepté mon homosexualité. On refuse de m'en dire davantage mais paraît qu'ils l'accepteront jamais. Ma soeur par contre l'aurait accepté à 100% et prendrait ma défense partout où elle pourrait. Tant mieux si c'est la cas, c'est elle qui a réagi le pire de toute façon. Je me souviendrai toujours de sa crise dans l'auto au jour de l'an, avec Julie en plus. J'apprends aussi que c'est Julie le problème. C'est elle qui allait se vider le coeur à ma soeur, j'ignore ce qu'elle lui a dit, mais ma soeur en a perdu la raison. Genre, j'm'en fous ben de tes problèmes de petite fille qui se trouve un premier chum gai, moi c'est mon frère! J'étais avec Bruno à Ottawa dans ma chambre, ma soeur entendait des craquements et se rongeait les sangs dans son lit, s'imaginant le pire. Elle capotait, elle s'imaginait que j'étais en train de pogner le sida pendant qu'elle était dans sa chambre sans rien faire. C'est là qu'a éclaté la crise et qu'il me fallait déménager. J'avais trouvé une chambre et finalement il me fallait toffer les trois derniers mois. Elles refusaient que je reçoive Bruno alors qu'elles, chaque soir, recevaient Patrick Larochelle et Marc Legault accompagné de son flot de 4 ans. Quelle injustice, pardonnable pour le contexte j'imagine. Mais que pouvions-nous faire moi et Bruno? On pouvait aller ni chez lui ni chez moi. Et ni l'un ni l'autre ne pouvait payer une chambre d'hôtel histoire de se retrouver ensemble même juste pour s'embrasser ou se tiendre la main. Ma soeur aime exagérer les volées qu'elle a mangées. Je l'écoute et je dois me demander si c'était si pire. En fait, n'ayant jamais connu autre chose, tout me semblait normal. Si c'était à recommencer, pas de pro

- 387 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

blème pour moi. J'ai été tellement sage comparativement aux autres, à ma soeur surtout, moi c'est plus tard que j'allais emmener les problèmes: hey, by the way, I'm gay! Attestant la note parfaite de zéro pour l'élevage des enfants à mes parents. Perdants sur toute la ligne. Enfin presque, ma soeur est finalement ingénieure. Mais à quel prix? Elle avoue avoir été obligée, du début jusqu'à la fin. Elle n'avait pas le choix. Et j'avoue que c'est vrai, car comment peut-on demeurer en génie lorsque l'on a coulé cinq cours la première année? Moi j'ai lâché les Sciences Pures en ayant abandonné un cours de math, et ayant eu 70% de moyenne en chimie et physique, du jamais vu pour moi. J'ai lâché le droit en ayant coulé un seul cours sur cinq. C'est vrai qu'ils l'ont obligée à demeurer en génie, j'ignore même si elle en est reconnaissante. Semble que non, elle se lamente que c'est énormément de responsabilités pour arriver à poser son sceau d'ingénieur sur un pont qui pourrait bien s'écrouler et lui donner des morts sur la conscience. Elle se trouve archi ignorante, qu'elle connaît trente fois mois de choses que les techniciens, que ceux-ci le lui font très bien comprendre pour se redorer le blason, et que finalement, c'est du travail à recommencer à chaque fois, des nouvelles briques à lire, des nouveaux cours à prendre (code du bâtiment pour architectes, dessins techniques, etc.). Bref, elle se sent fort incompétente, et pense qu'en temps normal, si le boss était pas le beau père, il la sacrerait dehors. Mais je sais qu'il faut modérer ce qu'elle dit. Elle dit cela pour que son chum la rassure et lui dise le contraire. Ce qu'il fait très bien d'ailleurs. Ma soeur m'a avoué qu'elle me détestait dans le temps et je comprends aujourd'hui pourquoi elle jouissait quand c'est moi qui mangeais la volée. J'ai toujours cru que j'avais été plus battu qu'elle, elle pensait la même chose. Quand elle recevait des coups, je pleurais pour elle, mais elle, elle pensait qu'ainsi la justice était rendue, qu'enfin c'était à mon tour. Par la suite, semblerait qu'on lui répétait sans cesse que j'avais toujours des 100% à l'école, que j'étais sur mon ordinateur et que je programmais, j'étais un brain, et le comble est arrivé avec mes écritures qui éventuellement auraient pu être publiées. Elle avait effectivement toutes les raisons de me détester. Ce que les parents n'avaient pas prévu, c'est que les Sciences, je les balancerais sous prétexte d'aller en droit. Pire, j'ai balancé le droit sans leur dire pour qu'ils constatent ensuite qu'il était trop tard pour tenter quoi que ce soit. C'est ce jour là que tout s'est déterioré et que mes parents m'ont définitivement lâché. Le grand-père aujourd'hui disait, pour m'encourager à aller en génie, que j'avais toujours été plus

- 388 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

intelligent que ma soeur, ma mère l'avait toujours dit et que c'était vrai, c'est moi qui sautait des années scolaires. C'est drôle que tout à coup cela refait surface. Après que mes presque tentatives de suicides, encore cette année parce que j'ai toujours eu le sentiment d'être un moins que rien, pas intelligent pour une cenne et qui arriverait jamais nulle part dans la vie. Vous savez, c'est ce genre de blabla qui détruit les familles. Ces pseudo-comparaisons qui font que les enfants ne se parlent plus entre eux, qu'ils souhaitent que les autres meurent étouffés. Mon oncle Gaby en est à sa deuxième tentative d'étranglement de ma tante Marie-Joseph. C'est terrible tout ça, terrorisée, elle refuse de le poursuivre en justice. Son but à Gaby est de pouvoir habiter la maison avec sa maîtresse, sans que ma tante reste là. Christ, on peut pas dire qu'il s'en passe pas des choses dans cette famille de chrétiens catholiques jusqu'aux dents. Ma soeur a terriblement peur d'aller passer un test du Sida, elle dit qu'elle a couché avec des gars de toutes les nationalités, des noirs, des chinois, etc. et elle s'imagine que c'est impossible (tout à coup elle se réveille) qu'elle n'ait pas le sida. Elle a très peur de l'avoir donné à Stéphane. Sans s'imaginer qu'elle l'a peut-être donné à une couple de ses amis de classe et ses six derniers chums, qui sait. Mon père lui, se pose même pas la question. Dieu sait comment tout ce monde là s'inquiétait pour moi (avec raison j'imagine). Le proverbe le dit, commence par t'inquiéter avec toi-même, après, va renifler chez ton voisin et fais courir des bruits. C'est ça la vie dans les familles traditonnelles mes amis! Je comprends pourquoi plus personne se parle dans la famille, avec tous les commérages, qui voudrait ne pas fuir? Lorsque même ton père fait partir les rumeurs, y'a pu rien que tu peux faire pour contrôler les miettes de ta vie que les gens ont interprétées à leur façon, toujours négativement. Ma mère s'est remise à pleurer de plus belle aujourd'hui en se rappelant ce que mon père disait à tout le monde, qu'elle avait tellement un gros cul, qu'il l'emmenerait jamais jouer aux quilles, ça découragerait tout le monde. Elle trouve le coeur pour en rire en même temps qu'elle en pleure. Je ne veux pas alerter la planète, mais ma mère est moins grosse que la majorité des mères de famille de cette planète. Une fois il avait sorti une de ses paires de bobettes, les avaient montré à toute la visite et avait dit que c'était malheureusement tout ce que ça femme pouvait porter et que les belles petites culottes, elle en avait jamais portées. Quand tu regardes mon père pourtant, il a l'air très distingué. Ingénieur en plus, les femmes se l'arrachent. Ce sont des comportements que les

- 389 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gens ne voient même pas. Il doit toujours faire son commentaire mal placé, on me reprochait aujourd'hui d'être un peu comme ça. C'est très vrai, j'ai été programmé en ce sens. Dorénavant j'aurais une défense, je dirai que c'est la faute à mon père et que mon grand-père n'a pas aidé. C'est officiel maintenant, mon grand-père Girard est homosexuel, tout le monde en parle comme si c'était un fait accompli. Bien, c'est amusant de voir que personne n'en a fait un cas comme dans mon cas. Pourtant, on sait qu'il brandirait sa christ de religion s'il venait à savoir que je le suis, d'ailleurs, il serait surprenant qu'il ne le sache pas. La vie est ainsi faite qu'il faut sauver les apparences. Vivre en fonction des autres, et seulement en fonction des autres. Plus besoin de Dieu pour nous juger, les autres s'en chargent. Un jugement dernier? Pourquoi faire? Les remords nous détruiront bien suffisamment pour que Dieu finisse par dire que notre dette est payée. On dit que la naïveté c'est dangereux, moi je regrette mon éveil au monde des adultes. Ma prise de conscience de ce qu'il me faudra sans cesse affronter jusqu'à la fin de mes jours. Je suis si bien dans le fond d'Ottawa, tout m'arrive avec distorsion, je peux encore rarccrocher quand ça fait plus mon affaire. Vivement mon isolement complet dans une montagne quelque part, s'il me faut m'isoler seul, tant pis, je suis prêt pour la vie en solitaire loin de ces relations avec autrui.

27 juillet 1994

J'ai fait quatre gaffes majeures pendant mon séjour à Jonquière. La première est d'avoir fait quelques commentaires sur la bouffe chez ma mère, ce qui a causé la panique d'André et la crise avec ma mère, pleurs, etc. La deuxième est d'avoir dit à ma soeur que son chum était peut-être gai, et qu'en plus, puisqu'elle le dit sans cesse, il est complexé parce qu'il a une petite bite, ce faisant, on dirait qu'il est entré en compétition avec moi et il me regarde parfois à la mauvaise place. Je n'aurais pas dû dire ça à ma soeur, parce que un, ce n'est pas du tout gentil, deux, ça ne me regarde pas, trois, elle va le lui répéter et que va t-il penser de moi ensuite? Et il aura honte! La troisième gaffe c'est d'avoir dit à Ginette que sa fille était assez vieille pour aller voir son chum un soir d'été à onze heures du soir. Ça c'est se mêler des affaires des autres, et je critique cela sans cesse. Surtout que Ginette est reconnue pour sa dureté avec ses enfants et sa dureté envers ceux qui vont parler sur l'élevage de

- 390 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ses enfants. Somme toute, je doute que le quart des problèmes qui soient arrivés chez-moi ce soit produit chez elle. Encore que, ils ont eux aussi traverser un divorce, et l'on ignore souvent ce qui se passe chez les autres. La quatrième gaffe, non la moindre, j'ai demandé à mon père si le fait que lui et Ginette soient tous deux de la famille maintenant unie par la grand-mère Ouellet-Tremblay et le grand-père Desmeules était un facteur par rapport au fait qu'il ne la quitterait pas malgré qu'il voudrait la laisser. Il m'a répondu que oui. Et ma soeur m'avait dit qu'il était vraiment coincé et Céline m'a dit la même chose. Je lui ai dit qu'il fallait pas qu'il vive en fonction des autres et que finalement il lui fallait être heureux dans la vie. Que l'on pourrait pas lui reprocher grand chose si cela n'avait pas marché et qu'avant de s'acheter une maison avec Ginette, qu'il réfléchisse bien. En fait, le message a mal passé parce que, qu'est-ce que je suis moi pour débarquer ici deux fois par année et venir dire des choses de même sans même savoir le dixième de tous les événements? Comme mon père qui m'accuse que ma chambre traîne alors qu'elle est relativement propre depuis un bout, et ma mère qui m'accuse d'alcoolisme alors que je bois tout de même très peu. N'aurai-je pas cela sur la conscience si mon père abandonne Ginette maintenant? En fait, je voulais lui montrer qu'il existait au moins quelqu'un qui comprendrait son geste si quelque chose allait arriver. Tant qu'à moi, c'est sûr que j'aimerais mieux qu'il habite avec Ginette, qu'il meure avec même. Voilà en résumé ce que j'ai à me reprocher, j'espère en tirer leçon, je pense qu'il s'agit surtout de tiendre sa langue. Ne plus parler. Écouter, répondre avec la température. Il me faut me mêler de mes affaires. Si je pouvais réduire le débit de mes paroles, se serait merveilleux. J'avais essayé, ma soeur s'en était rendue compte. Demain je repars, je n'ai pas le choix, Claude-Éric s'en vient et il lui faudra bien coucher quelque part. J'ai fait semblant que ça tombait bien, il arrivait quand je partais, j'essaye de leur faire croire que je ne pars pas à cause qu'il arrive. De toute façon, il n'y a que ma soeur qui m'ait prouvé qu'elle voulait que je reste plus longtemps. Ma mère peut bien continuer à pleurer, j'imagine que cela veut aussi dire qu'elle voudrait que moi et André ça puisse bien aller, mais je crois que c'est sans espoir, du moins pour cette fois. Elle sera satisfaite si je pars, malheureuse à la fois. C'est ça l'amour, ça exige des sacrifices. Bullshit. Mon père n'a rien dit, il m'a dit d'accord, tu pars demain. En fait, ça règle le problème du couchage d'Éric et de sa belle blonde. Lui aussi doit se sentir mal. Imaginez un instant si Frédérique aurait été

- 391 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

rester chez pa au lieu de chez ma. Je me serais tenté dans la cour. Ah ces enfants qui ne sont plus capables de crisser le camp de la robe maternelle, c'est du masochisme ma foi. Comme Stéphane Gagné qui se chicane avec son père sans arrêt, ça fait longtemps qu'ils veulent mettre dehors leur dernier enfants de sept, il veut rien savoir. Ils ont finalement décidé d'aller vivre en pension, Stéphane chiâle parce qu'il veut pas se retrouver seul en appartement. Je ne comprends pas. Ils lui payent la voiture Aries et l'appartement. Il chiâlerait un peu plus, il investirait ses 40 000$ (ou plus) qu'il a en banque, et il pourrait s'acheter une maison. Faut-tu y tenir à la maison familiale, lui qui se lamente que son père écoute la TV au boutte sans cesse juste à côté de sa chambre. L'hospitalité, il faut jamais en abuser. Même s'il s'agit des parents ou de la soeur, ils sont hyppocrites jusqu'au bout jusqu'à ce que la soupape saute. Alors là, les risques que l'on ne revienne plus s'aggrandissent à chaque fois. Il me faudrait comprendre qu'il ne me faut plus aller chez ma mère, mais si c'était le cas, elle serait inconsolable. Pourtant elle laisserait pas son chum. Alors il me faut y aller comme si j'étais de la visite, qui reste pas longtemps. Et j'ai pu sentir aussi que ma soeur et son chum se forçaient pour venir me voir chez pa, m'accompagner à la plage. Ils diront peut-être, enfin, il est parti. Bref, heureusement que je ne viens que 2 fois par année et moins de deux semaines chaque fois, sinon... à moins que si je venais plus souvent, ils arrêteraient enfin le spécial et tout serait mieux parce que je ne serais pas considéré comme un touriste en visite? Pas pour André en tout cas. Une semaine de plus, et lui et ma mère, ce serait fini. Peut-être que je devrais aller passer une autre semaine chez ma mère? Ah non, trop dangereux, voyez l'oncle Gaby qui veut étouffer Marie-Joseph, ça pourrait lui donner des idées. Un nouveau Amytiville la maison du diable, on se ferait tous tirer au fusil durant la nuit parce qu'il aurait recommencer à boire. Moi le premier, je suis gay. C'est drôle comment en deux jours seulement on peut en apprendre des choses. En comprendre des choses. Ainsi le père de Ginette serait un alccolique permanent depuis son jeune âge, et il capotait parce qu'il a toujours cru que ces enfants (seize en tout) complotaient dans son dos pour lui voler ses deux choses les plus importantes: sa maison, sa voiture. Il disait à tout le monde que ses enfants essayaient de le faire interner. Bref, il était extraordinairement violent, un de ses enfants qui disait rien en rapport à un débat aurait perdu connaissance par un coup de poing, une autre fois, il se serait battu avec Jean-Yves (je ne le connais pas) et J.-Y. se serait dé

- 392 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

fendu en lui cassant deux côtes. En catastrophe, voilà dix ans, les enfants auraient appelé Ginette qui serait descendu de Chicoutimi avec son autre soeur Diane. Voyant le père, et ayant entendu la communication téléphonique, elles ont cru qu'il allait tuer tous les enfants, ou du moins Jean-Yves, elles ont appelé la police qui a conduit Philippe à l'hôpital puis à l'hôpital de fou. Mon père ignore s'il est resté là bien longtemps, mais le vieux n'a jamais pardonné à Ginette et il l'accuse elle seulement, comme si Diane avait rien à voir là-dedans. Bon Dieu d'alcolique de fou! Pas capable d'avouer qu'il avait tous les torts, sur son lit de mort, cancer généralisé, drogues assez puissantes pour achever un cheval, il vient de renouvelé son permis de conduire et marmonne contre Ginette. Et Ginette qui se ronge les sangs et en pleure...

I can't wait to go home, fuyons cet univers malsain qu'est la famille traditionnelle tant vantée par la religion.

30 juillet 1994

J'ai finalement réussi à arracher à Ginette son secret, je regrettais sur le coup parce qu'elle voulait pas m'en parler, mais après qu'elle m'eût tout dit, il semblerait qu'elle était soulagée et pleine de confiance envers moi. Elle au moins j'ai réussi à la gagner. Son père aurait été interné un mois durant, et elle passe pour la méchante enfant parce que la famille Desmeules s'entend pas très bien et on lui souhaite du mal. Le père était armé en plus, Ginette croyait qu'un des quatre enfants à Jean-Yves était mort. Pauvre Ginette, avait-elle un autre choix que d'appeler la police? Son problème aujourd'hui c'est qu'elle même doute de si elle a bien agit finalement. Mais, si tout s'est bien terminé, sauf pour le père, sans l'intervention policière, Dieu sait s'il aurait resté quelqu'un en vie là-dedans?

Quand je suis parti, on dirait que tout le monde avait changé son fusil d'épaule et m'exhortait à rester. Incapables de comprendre que c'était un test deux jours avant que je faisais en leur disant que j'allais partir. Je me suis senti tellement coupable de partir parce qu'ils ont tant insisté pour pas que je parte, qu'il y a certainement anguille sous roche (je

- 393 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

commence à faire une utlisation abusive de toutes ces stupides expressions). Je le vois c'est quoi l'affaire, dans mon dos on a appelé Claude-Éric pour lui demander de pas venir directement chez mon père, ça me faisait fuir. Trop tard, vous l'avez averti trop tard. Parce que moi, le matin même de mon départ, alors que Bruno savait que je m'en venais, c'est sûr que j'allais partir. Ma soeur me disait reste, Claude-Éric vient pu. On va aller au chalet à Stéphane pendant trois jours (que serait-il donc arrivé pendant ces trois jours?). Mon père, lui qui avait tant insisté pour que je n'aille pas faire de camping, tout à coup, m'offrait de payer le camping pour une semaine. Avant il fallait que je paye moi-même, il arrêtait pas de me fatiguer avec le fait que je n'avais pas d'argent, il ne ne lui est même pas venu à l'esprit qu'il paierait de toute façon (je n'avais pas d'argent!), c'est vrai qu'en d'autres temps il se serait offert spontanément, j'ignore ce qu'il fait de son argent, il est même pas capable de me donner 150$ et je sais que c'est vrai. 65 000$ par année, un des plus haut salariés de la région du Saguenay-Lac-St-Jean, et mon pouvoir d'achat semble être plus élevé que lui à l'heure actuelle. Ça hypothèque-tu tant que cela une maison et une auto? Combien riche je serais sans auto ni appartement à payer, avec un salaire. C'est vrai aussi que l'impôt lui demande 31 000$ de ce 65 000$. Pouvez-vous croire? Quand on sait quelle utilisation le gouvernement fait de cet argent, c'est vraiment décourageant. Ginette me disait que j'avais dit que je resterais deux semaines et que cela voulait dire que je devais partir le mardi, pas le jeudi précédent. En fait, y'a eu tout plein d'affaires qui sont arrivées et qui font que je voulais partir, puis tout à coup, on dirait qu'ils se sont sentis coupables. Je pense que c'est bien que je sois parti, tout cela reste peut-être de l'hypocrisie. Et avant que les crises éclatent davantage, vaut toujours mieux partir. Bref, c'était des vacances pourries comparativement avec New York. C'est bien que j'y retourne parfois, pour leur montrer que j'existe encore, tout à coup ils veulent me donner un peu d'argent. D'habitude c'est comme si je n'existais pas.

Chez Bruno ça va pas mieux. Bruno en a par-dessus la tête d'être obligé d'aider son père avec la serre, les fenêtres, finir le toit sur la serre, et puis quoi encore. Les enfants sont-ils des esclaves? En plus, il paye 150$ par mois aux parents, ça les contente pas non plus. Son père y chiâle, y chiâle après Bruno sans cesse. C'est le temps qu'il parte, et ça tombe

- 394 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

bien, on s'en va. Ses parents le savent pas encore, son père le regrettera peut-être d'avoir été aussi exigeannt, et sa mère, de sans cesse vouloir plus d'argent, à les entendre, les enfants devraient payer pour leur chambre exactement ce que payerait un étranger, mais en plus, ils devraient sans cesse travailler autour de la maison. Sans compter que plus tard, ces mêmes parents vont demander pour habiter avec nous, voudront peut-être même que l'on paye pour eux si jamais leurs investissements venaient qu'à faire faillite. Oui, ils provoquent la fuite sans le savoir, ils vont bientôt se retrouver complètement seuls, et là, ils vont paniquer, parce qu'ils sont vraiment dépendants de leurs enfants, et semblent parfois l'ignorer. L'année prochaine Claire-Lise se marie et déménage avec son chum. Quand Bruno avait été mis dehors ou obligé à partir par sa famille voilà quatre ans, peu longtemps après, la famille regrettait amèrement et voulait qu'il revienne. On dirait que les parents finissent par ne plus voir clair. Ils finissent par s'encroûter et à sans cesse exiger des choses. Mon père est tellement chiâleux sur toutes de sortes de détails, genre le chauffeur d'autobus qui met ma boîte de carton sur l'asphalte mouillée, ou les gars de son bureau qu'il me racontait chiâler pour des niaiseries, il semblait en être fier, me montrer tout le pouvoir qu'il avait (surtout après l'avoir perdu son poste de boss pendant quelques temps), moi j'en ai été effrayé. Il fera un vieux insupportable, mais il fait tellement d'efforts avec nous, malgré ses commentaires toujours négatifs, qu'on vient qu'à ne pas connaître le vrai Roland. Souvent les enfants ne peuvent plus vivre avec leurs parents, et c'est pas toujours la faute aux enfants, c'est les parents qui sont incapables de s'adapter avec les réalités, quand les enfants ne sont plus des enfants en fait. Peut-être aussi que les enfants ne veulent pas accepter qu'ils ne sont plus des enfants, c'est également un fait. En revenant dans l'autobus, j'ai vraiment compris toute l'indépendance que j'avais acquise. Mainteant je n'ai plus à attendre après mes parents pour vivre. Maintenant je n'ai plus à aller à l'école si ne je veux pas. Maintenant je peux partir pour n'importe où sans avoir de comptes à rendre, m'installer pour aussi longtemps que je veux ou peux selon les lois, recommencer une vie du jour au lendemain. Sentir la liberté, même si on l'a pas. Bruno serait-il encore un poids? Car c'est aussi en fonction de Bruno que je prends mes décisions. N'est-ce pas le fruit de la destinée si l'on se retrouve tous les deux en même temps à un point où il faut fuir et que l'on veuille fuir? Fuir? Le mot est fort, disons plutôt changer radicalement les grandes lignes de notre

- 395 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

existence. Que ceux qui ne sont pas convaincus combien enrichissant peut devenir un changement radical dans une vie, relise ce journal depuis le 18 juillet 1994, moins de deux semaines m'ont ouvert les yeux comme jamais ils auraient pu m'ouvrir dans le même temps à Ottawa. J'ai pas été accepté en maîtrise. Bruno a pas été accepté en génie. Je ne tiens pas plus qu'il faut à aller en génie, en admettant que je serais accepté. Bruno déteste tant son travail qu'il veut se tirer une balle. C'est certain qu'il veut pas continuer, et ses parents feront tout pour qu'il lâche pas sa seule chance d'avoir un bon salaire pour longtemps. Une risée Bruno dit. Il travaille maintenant comme manager, deux fois plus, il travaille maintenant les vendredis soirs, les samedis dans la journée, d'autres soirs durant la semaine, tout le temps son beeper sonne, il doit téléphoner au travail sans cesse pour savoir comment tout va, deux à trois fois par semaine, les autres départements organisent des meetings pour donner de la marde à Bruno parce qu'ils trouvent que ça va pas assez vite, qu'ils foutent rien, des problèmes, travail mal fait. Ça t'achève quelqu'un, son salaire a augmenté de 1.2% depuis qu'il a monté de niveau. Pendant ce temps, 5000 personnes appliquent pour un travail comme ingénieur à la BNR. 1000 auront une entrevue, 500 seront engagés. D'autres seront mis dehors, ou quitteront parce que la pression finit par les faire craquer. Si j'avais vécu soit le calvaire qui est en train de conduire Bruno à l'hôpital, ou celui qui a effectivement conduit ma soeur à l'hôpital avec son chum, mon journal aurait 100 pages de plus au minimum. Ça veut tout dire. Mais c'est sûr que j'aurais un jour la chance de vivre ce genre de calvaire, j'ai la nette impression que c'est pire que ce qui est arrivé à la cafétéria de l'Université. La société serait encore pire que ce que je m'en faisais comme idée. Ainsi la Réussite aurait pu être pire ou plus explicite si j'avais vécu autre chose. Mais plus cynique que ce qui est, ç'aurait été un échec assuré. Comme ma soeur dit, on a envie de se suicider à chaque ligne que l'on lit de mes livres. Je ne commenterai pas cela, je ne suis pas suffisamment objectif avec mes écrits pour pouvoir répondre. Elle lisait la première phrase de La Réussite et disait: callick, Roland-Michel, ça doit faire mal quand tu ponds une affaire de même! Je ne peux tout de même pas dire qu'ils soient ignorants de la littérature, ils lisent sans arrêt, des briques de 1000 pages,

romans de toutes sortes, c'est extravagant, je ne lis pas le dixième de ce qu'ils lisent. J'ai presque honte de le dire. Je n'ai pas le temps de lire moi. C'est comme si on ne pouvait pas

- 396 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

être écrivain et lecteur à la fois. Je lis par nécessité, dans le but de ne pas écrire n'importe quoi, m'inspirer, me motiver. À part cela, pas le temps. J'ai même beaucoup de misère à lire quelque chose de trop long, on dirait que je suis un vrai enfant. Incapable de lire un roman parce qu'il s'écoeure trop vite, incapable de boire sa première bière parce que c'est vraiment dégueulasse c't'affaire là! Comme avant de faire mes propres aventures illustrées sur l'ordinateur, j'adorais jouer avec celles des autres. Maintenant que je connais tous les rouages, ça ne m'intéresse plus. Les livres dont vous êtes le héros, j'aimais bien lire ces livres, jusqu'à ce que je me mette à en écrire un moi-même (je l'ai perdu après les cent cinquante première pages, joies de l'informatique), après cela, jamais plus je n'ai lu un de ces livres. Pourtant, certains d'entre eux étaient franchement intéressants. Steeve Jackson courronait le tout. Je n'arrivais plus à les lire parce que lorsque ça disait si je voulais tourner à droite d'aller à 145, à gauche, aller à 340, tout droit c'est à 13, et dans la terre c'est 134, j'allais voir partout en gardant les pages entre mes doigts et bien sûr, à chaque fois les choix se multipliaient, je n'arrivais plus à tenir toutes les pages, il me fallait savoir tout ce qui aurait pu m'arriver si j'avais décidé d'aller à droite ou a gauche. Comme si dans notre vie actuelle à chaque fois que l'on prend une décision, il nous était possible de voir ce qui arriverait si l'on prenait une décision complètement inversée, ou si nous ne faisions rien du tout. Imaginez, avoir la chance de tricher sur la destinée, et essayer de se contenir pour ne pas le faire? L'ère de l'autoroute électronique nous apporte ce genre de livre, mais il sera impossible de tricher. En fait, personne ne lira le même livre puisqu'il sera possible de prendre des décisions à la place des personnages pour voir les événements arriver. C'est merveilleux, j'aimerais tant écrire des livres pour ça. Sans que ce soit pour les enfants et sans danger de mourir. Quoique qu'il est possible de mourir si on a le choix de se tirer sur les rails d'un métro. Alors les autres personnages seraient là pour reprendre l'histoire en main. Me semble que l'on pourrait apprendre aux gens certaines conséquences de leurs actes, aussi leur montrer comment fonctionne la politique en leur faisant prendre le contrôle du pays en main, avec les choix à faire, voir où cela peut mener, en voyant tous les facteurs qui peuvent entrer en ligne de compte. Je vois cela d'ici: Régler tous les problèmes sociaux de votre pays, faites le prochain budget et voyez le désastre arriver! Ou encore: retrouvez-vous à la tête de l'ONU, soyez la conscience de tous les pays, et tentez de régler les problèmes dans le monde en tuant le moins de vies possi

- 397 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

bles; vivez en direct les conséquences de vos décisions, prenez-en leçon pour la journée suivante. En fait c'est pas vrai que je n'aime pas lire, en fait, je déteste les lectures inutiles. Je lis beaucoup d'ouvrages théoriques, presque hermétiques en fait. Ça ne me dérangerais pas de lire tout ce qui concerne les Nations Unies pour arriver à écrire un livre interactif pour les utilisateurs de l'autoroute électronique. Je verrai plus tard, ces projets seront possibles only when the super-higway will exist, and only when I will have publish something. À ce propos, je n'aurais heureusement pas à lire toute la bible. J'ai lu tous les sous-titres, après le Lévitique, seules quelques pages isolées je devrai lire. De toute façon, je ne suis pas pour écoeurer le lecteur avec 50 pages de pastiche de la bible. C'est pour cela que je suis bloqué depuis si longtemps. Il me faut me renouveler, trouver une bonne idée et vite, pour la suite, sinon ce sera plate. Je vais sauter dans les livres sur l'hermétisme, Antonin Artaud ne me semble plus à propos. Je pense que j'ai épuré les Rose-Croix dans la Révolution. Je connais leur cosmogonie par coeur, on pourrait croire que je fais partie de la secte, faut que je fasse attention, je vais me ramasser en prison. La bible condamne les gens qui veulent s'occuper de sectes religieuses bizarres. La bible justifie la guerre. Elle exhorte le peuple à faire des enfants pour former une armée, pour détruire les peuples autour. Guerre et religion, c'est un synonyme. Moi qui croyais que ces deux mots avaient tout de même une distinction, bien qu'ils étaient inséparables...

À force d'être cynique, on devient tellement lucide... Bruno m'appelle et me dit que son père pleure. Sa mère vient juste de lui dire: j'espère que tu n'auras jamais d'enfants. Tock, la guillotine vient de tomber, celle que j'attendais, mais je ne croyais pas qu'elle frapperait si fort. Au début je pensais que son père pleurait à cause de ses mauvais souvenirs de guerre, les Allemands qui sont venus tuer le monde, je sais pas moi, je sais qu'il vivait durant la guerre, mais voilà que c'est parce que Bruno vient juste de leur annoncer qu'il veut partir pour New York. Quoi? On veut partir pour trois ou quatre mois, six maximum, et ses parents se mettent à pleurer? Comme c'est attendrissant, c'est le moment où l'on apprend que nos parents nous aiment. Après avoir eu l'impression qu'ils faisaient tout pour se débarrasser de nous, nous décourager, et puis quoi encore. Il faudrait vivre qu'en fonction d'eux? Eh bien, s'il me faut me battre avec eux, je le ferai, mais je ne gagnerai pas. C'est terminé,

- 398 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

les pleurs font toujours leurs effets, Bruno voudra jamais partir. Comme Frédérique et Stéphane en fait. Je ne m'inquiète plus pour Frédérique, elle ne perdra jamais son emploi chez le beau père, de peur qu'elle soit obligée de trouver un emploi ailleurs qu'au Saguenay et que Stéphane décide de la suivre. La crise que ma soeur a eu avec les parents à Stéphane parce que ma soeur voulait sa maison à Shipshaw ou Laterrière plutôt qu'à Arvida. Dix kilomètres des beaux-parents, c'est inacceptable pour les beaux-parents. Il faut qu'ils puissent marcher à pied d'une maison à l'autre. C'est pourquoi ils ont été limité dans le choix de leur terrain. Ma soeur est exactement comme moi, je sais bien qu'elle voulait son terrain isolé un peu, très grand, avec un bois en arrière. Elle a été obligée d'acheter une maison à une rue des beaux-parents, se contentant de la coulée pleine de terre glaise. Christ de beaux-parents! Moi et ma soeur, on vit tellement la même chose, c'est effrayant. Bruno me disait que maintenant qu'il serait jamais ingénieur, ses parents voudront jamais l'aider pour son hypothèque, trop risqué. Maintenant je suis convaincu qu'ils vont l'aider. Si je fais mon ingénierie, moi et ma soeur, c'est synonyme, Steph comme administrateur et Bruno comme économiste. Quoique Bruno peut travailler avec les ordinateurs, il connaît plein d'affaires maintenant qu'il travaille à la BNR depuis trois ans et quelques. Jamais on pourra partir, son père s'est mis à pleurer! Et mon père qui encore cette semaineme disait qu'un homme ça pleurait pas! Je soupçonne que lui a pleuré aussi quand moi et Fred on était à Ottawa. C'est là toute ça dépression additionné à la faillite de son mariage avec sa femme. Le père de David Massicotte s'est mis à pleurer lui aussi parce qu'il faisait tant pour David et David n'était pas reconnaissant! David en revenait pas, voir son père pleurer. Ça désarme complètement. On a envie de leur offrir le monde après cela, tout leur donner ce qu'on peut, devenir ingénieur s'il faut. Est-ce possible que les parents reposent autant d'espoirs sur leurs enfants? Et s'ils tiennent tant à nous, pourquoi leur agir va dans le sens contraire? Et Dieu qu'ils se mêlent pas de leurs affaires. Ils sont toujours là pour essayer de contrôler notre vie. La paix! Vous l'avez vécue votre vie? Laissez-nous vivre la nôtre! Surtout quand vous êtes même pas capables de faire des sacrifices pour nous! Le pire c'est que s'ils ont fait un quelconque sacrifice pour nous,là, c'est fini, on leur doit tout par la suite. Il faudrait leur remettre dix fois le montant, en argent, ou en fierté. Se peut-il qu'ils se targuent sans cesse à qui peut l'entendre, qu'ils ont les meilleurs enfants du monde, qu'ils étudient ou étudieront en gé

- 399 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

nie, qu'ils seront des futurs ingénieurs et quand arrive le temps de contredire le tout à qui a entendu ces histoires, c'est là que la dépression commence? Bruno a pas été accepté en génie. Personne ne l'a su, sauf sa famille immédiate. Moi, pas de complexe, quand j'ai été refusé en maîtrise parce que je suis trop cruche, tout le monde l'a su, je l'ai crié à tout le monde sans exception. Même à la cousine Christine, ce qui veut dire qu'à l'heure actuelle, tout le monde est au courant: je suis cruche! Quelle douleur pour mes pauvres parents qui n'achèvent plus de s'illusioner sur mon avenir. Je me demande quelle phase ils traversent quand c'est accompli et que ma soeur est effectivement ingénieure? On se retourne vers moi pour me dire, watch out, tu nous a joué dans le passé mais maintenant, tu vas faire ce que l'on te dira. La mère de Bruno a dit qu'il fallait que Bruno applique dans toutes les Universités du Canada pour qu'il entre en génie l'an prochain. My God! He's 26 now! Let him enjoy life a bit! He has done five or six years of University now! J'ai hâte de voir la suite de l'histoire. Montréal will be a good compromise, I'll say that to Bruno if things going worse and if he'd lost any idea of getting out of here.

Revue du journal The Citizen du 18 au 28 juillet 1994

J'espérais arriver après que John ait placé les journaux pour le recyclage, pour mon malheur je suis arrivé la journée même et à une heure du matin j'étais à ressortir les dix journaux que j'avais manqués. Il me faut donc les lire et en parler. Ainsi, dans le journal du samedi 30 juillet (p.B7), paraît que les terrains de l'United Church only...: «Last year alone our United Church reported $68 million raised by «other sources.» That is $600 million in this category since 1984 [ten years then] and not one penny paid in tax.» C'est le Révérend K.D. `Casey' McKibbon de Metcalfe qui parle. Il dit que les Églises font des fortunes en louant leurs terrains à des entrerpises privées, and: «Remember, these bucks have nothing to do with Sunday offerings or other legitimate fund-raisers put on by the ladies aid, dinners and rummage sales.» Alors ce ne serait peut-être même pas de ces sources là que l'Églises est capable d'aider l'Université d'Ottawa à coup de 500 000$ par année. Où donc va tout cet argent? Si seulement 500 000$ va à l'Univ. d'Ottawa, je pense qu'on est loin du 68 millions de l'United Church, même en comptant toutes les écoles de la province et autres organis

- 400 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mes. À Toronto, ils font des affaires en or avec leur parking lots et space in their office. «Multiply this by every religious institution in the country and you have a lot of spiritual dollars moving through the tax-free system.» Avec ça, si l'Église remplissait vraiment sa mission d'aider les pauvres, y'en aurait plus de pauvres. Mais le peuple n'a pas encore compris que l'Église n'est pas là pour aider les pauvres, elle est là pour s'enrichir, acquérir des pouvoirs, contrôler le monde. «It is time the churches were made to pay taxes on these windfall millions and as thay learn to do that they may even get to like it and then start paying property taxes as well.» Pour qu'on Révérend en vienne à dire cela, je me demande si justement il sait pas des choses que l'on ignore par rapport à où va cet argent? Il semble frustré par son ton en tout cas.

Dans le Citizen du 31 juillet, en première page, on voit une gang de jeunes lavés du cerveau qui s'amusent à se rencontrer en des congrès pour convaincre leur génération de demeurer vierge jusqu'au mariage. Naturellement, le mot God revient à toutes leurs phrases. Et tous ces vierges sont là pour nous expliquer tous les problèmes qu'impliquent le sexe avant le mariage, sans même qu'ils l'aient expérimenté. Ils vont jusqu'à dire qu'il faut même pas donner un petit bec, ou se tenir la main. Pourquoi manger et respirer alors? Et qui sont-ils eux pour venir nous dire de s'abstenir avant le mariage? C'est pas pour rien qu'ils parlent des God's plans all the time. Go back home, have sex, and come back after to tell me if it's worse or better! Moi je dis qu'un jeune qui est rendu là pour parler de virginité, c'est un jeune qui est obsédé par l'idée d'avoir du sexe ou qui a un problème psychologique en tout cas. Surtout quand ils commencent à voir ça comme une maladie, ces jeunes là seront pas normal en mariage, ils vont avoir le sexe en horreur, comme les femmes dans le temps qui jouissait jamais en faisant l'amour parce que leur curé leur disait que c'était péché. Une folle s'avance pour dire qu'après cinq ans de vie commune avec son chum, elle est redevenue vierge par un reborn, et que l'on peut recommencer par Dieu nous pardonne. Eh bien, si c'est vrai, let's have sex, God will forgive anyway.

Citizen du 31 juillet, page A8, enfin des chiffres sur les francophones et anglophones du pays. Presque 1 sur quatre au canada est francophone (24.1 per cent). Au Québec, presque

- 401 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

80% (78.8%). Les Anglais au Québec? Surprise, ils sont juste 8.7 pour cent. Ils sont même pas dix pour cent et la langue de travail dans toues les grosses compagnies est l'anglais, sans la loi 101, le visage de Montréal étouffe sous les pancartes en anglais. Si c'est pas prendre d'assaut une nation ça, c'est quoi? Ils sont loin du 20% que l'on parle tout le temps. Ah non, c'est ça, 10% serait 600 000 anglais, on dit qu'ils sont 800 000 à Montréal. C'est ppossible, l'article dit mother tongue is English, dons les Italiens et les Chinois et le reste parlent peut-être l'anglais. De toute façon, ils sont trop pour commencer à les empêcher de vivre comme les Ontariens et le reste du Canada fait avec ses minorités francophones sans même s'en rendre compte, parce que le peuple n'est pas tenu au courant des politiques en matière de langue. Y'a que le peuple anglais s'en fout pas mal de l'extermination des francophones. Ils ont raison, moi je m'en fous pas mal de l'extermination des Espagnols en Amérique, et encore plus des Irlandais et leurs revendications religieuses. Et des Juifs qui contrôlent la pplanète sans le dire trop fort, et des Québécois qui crèvent de faim à Ottawa. En fait, je me fous pas mal de tout et j'invite le peuple à ne pas faire semblant de s'en foutre, foutez-vous en tout court et je crois que cela ira déjà mieux. Parce que dites-moi, où est le problème des Espagnols en Amérique si ce n'est que les Anglais veulent restreindre leurs droits pour assurer la survie de l'anglais? C'est pas de l'indifférence ça, c'est une déclaration de guerre! Quelqu'un qui se met à lire un ou deux livres sur ce que son peuple a enduré en matière de lois, politiques et blabla d'un gouvernement qui a toujours tout fait pour se débarrasser de lui, ne peut pas ne pas rester insensible et ne pas vouloir une quelconque séparation. Mais comme le peuple ne lit pas, ou du moins ne lit pas ce genre d'ouvrage, les gens ne voient pas la nécessité de faire la séparation. C'est peut-être bien vous me direz, c'est vrai. J'ai déjà dit et je maintiens que je suis contre la séparation, parce que là où il existe une frontière, les gens mourront dans ces frontières. Il est pratiquement impossible de trouver un emploi aux États-Unis pour un Canadien, à moins d'être ingénieur, parce que ça, c'est protégé par le traité de Libre-Échange. On se demande si le Libre-Échange n'est pas là juste pour aider les grandes compagnies dans leurs recherches de main d'oeuvre spécialisés qui risquerait d'être introuvable le jour où ils en auraient besoin. Le reste du peuple peut mourir dans son pays, they doesn't seem to care anyway. Au contraire, en page A3 du journal, on voit que le peuple veut renforcer les lois pour empêcher encore plus le monde de survivre quand ils viennent

- 402 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ici: Educated immigrants face work barrier (Carolina Vidal, 27, is a doctor who moved to Ontario after fleeing Honduras. Now she cleans houses for a living). Elle est chanceuse, je ne suis même pas certain d'avoir la chance de pouvoir nettoyer les maisons à New York. Je commence à croire qu'il serait stupide d'aller à New York et dépenser les 23 000$ de Bruno en six mois. Je lui en ai parlé, on partira peut-être pour Montréal. C'est merveilleux, on peut encore déménager à Montréal sans problèmes! Je ne peuxc pas en dire autant de ma carte d'assurance maladie, ils vont me la refuse parce que j'aii passé plus que six mois en dehors de Québec dans les deux dernières années. Je risque de pas être capable d'en avoir une en Ontario parce que je suis considéré comme un étudiant dont l'adresse permanente est au Québec. À force de vouloir se protéger contre la fraude, on finit par empêcher les honnêtes citoyens de bénéficier des services sociaux qu'on se paye à coup de milliards. Et alors, si je ne puis plus compter sur ma nation pour me soutenir, et que je puis définitivement pas compter sur les autres nations qui n'en finissent plus de se protéger contre les bebittes indésirables (moi), où s'en va-t-on?

1 août 1994

Août! Août, mes amis! Aouhhhh! Time for a change, a radical one! Tout s'est bien déroulé depuis le début, organisation parfaite du temps, sans planification, évidemment. Ça commence par le toit chez Bruno, les vacances chez moi, puis, embranchements: ou bien je trouve un emploi chez Bell Canada comme téléphoniste genre (j'ai une entrevue mercredi matin), ou bien on part pour New York d'ici pas longtemps (Bruno va avoir une entrevue pour un emploi comme counselling en ordinateur (84 000$ par année, U.S.). Si cela est possible, Edwin travaille justement à placer des gens dans le domaine de l'informatique. Emploi available immédiatly. Me semble me voir déjà aller au Village Voice pour leur dire que leur journal manque d'ethnicité et que c'est le temps qu'un jeune branché ait sa chronique française, même s'il est pour travailler gratuitement. New York en moins de trois semaines? Mieux que toutes mes expectations. Et les parents qui sont au courant et d'accord, ou du moins, ne me feront pas un roarrr gigantesque. Je vais exploser! Ye fuis en air!

- 403 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

J'ai essayé de composer quelques lignes pour une des chansons de Bruno hier. Sous pression, en une heure, j'ai pondu du Kétaine à mourir. Il me faut m'y remettre. Écrire des chansons, pour le peuple, me fait écrire des choses loin en bas de mes standards en ce qui concerne ma littérature. Pourquoi? Parce que les hits sont kétaines et clichés par nature, et, par erreur je suppose, cela nous fait croire qu'on peut dire à peu près n'importe quoi. Quelle erreur. C'est pour cela que je vais m'y remettre. Même La Réussite est loin en bas de mes standards. Pourtant, c'est la seule partie de la Révolution que mon père apprécie. C'est pas vrai qu'un grand auteur commence par écrire du kétaine et finit par ses grandes oeuvres. Le problème c'est que les grandes oeuvres n'aident pas à se faire connaître, et qu'il faut écrire du cheap accessible avant de sauter dans l'hermétisme. En fait, la partie que j'apprécie le plus c'est La Finalité, et c'est celle que l'on va pas vouloir lire jusqu'à la fin. Là dedans y'a toute l'histoire d'un jeune homme gay qui découvre son premier amour, qui découvre le monde, qui s'attend à découvrir un univers extraordinaire à la fin de l'océan, une finalité à atteindre qui conduit au ravin. Personne ne le voit on dirait. Sauf M. Yergeau, de tout ce qu'il a lu de moi, s'il a effectivement lu le reste de mon oeuvre, c'est la partie qu'il préférait, il a même su voir qu'il existait une différence entre l'avant l'île et l'après l'île. Impressionnant, parce qu'effectivement, il me fallait sombrer dans l'accessible après l'île, sinon j'aurais perdu tout le monde. Je le perd déjà de toute façon. On demande pas à quelqu'un qui se nourrit de best-sellers d'apprécier La Révolution, à moins d'être cinglé. Le problème c'est que la planète lit les best-sellers, et rien d'autre. Ce n'est pas un regret. Je me vois déjà écrivant pour n'importe quel journal. Français comme anglais, je suis prêt à tout, mais je vise le plus haut. Pour gratuitement, qui me dira non? Il me faut avoir trois articles prêts avant d'aller les voir. It will be for the students, University students. So I'm gonna talk about our problems, aussi les immigrants, les Français à New York ont sûrement déjà expérimenté tous ces problèmes. Il me faut aborder les sujets les plus chauds, quitte à faire un peu scandale. J'invite aussi les gens à m'écrire, je pourrai en parler.

2 août 1994

Vivre autant sur les vissicitudes que moi à l'heure actuelle, aucun doute. Bruno n'en

- 404 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

veut pas de son emploi à 84 000$ U.S. par année. Il veut faire de la musique à plein temps. Or, il veut plus partir pour New York parce que son 23 000$ Can. va disparaître dans le temps de le dire. Je vois bien qu'il veut même pas crisser le camp d'Ottawa. Encore un p'tit garçon qui ne s'appartient pas, mais qui appartient à ses parents. Là, je sais que je manque quelques coches. Bruno ose plus me dire ce qui se passe dans sa tête, ce qui se passe chez ses parents. La crise de son père, je n'en ai plus rentendu parler, selon Bruno ce serait pas que Bruno va partir loin, ce serait que Bruno s'en va nulle part et qu'il aura jamais un bon travail. Je refuse de le croire. Bruno veut rester à Ottawa parce que ses parents veulent pas qui parte! 26 ans bon Dieu! Je pousse pour Toronto ou Montréal, Montréal au moins, je vois bien que Bruno veut pas, ose même pas me le dire. Alors je lui ai dit que si je restais à Ottawa, je devais entrer en génie. Il refuse! Il dit qu'il me faut me consacrer à 100% à la musique aussi! Mais qu'il me faut travailler, genre chez Bell Canada comme téléphoniste à 8$ de l'heure, à temps partiel. Voyons donc! Alors j'aurais pas plus le temps d'aider Bruno que si j'étais en génie, et en plus, je serais incapable de payer le loyer, la bouffe et... les paiements de mes prêts étudiants. Le hic, c'est que si on forme un band à Ottawa, j'ai l'impression que ça va pas déboucher, qu'en plus, moi je suis écoeuré d'être ici et que tant qu'à crever de faim, j'aime autant que ce soit ailleurs. New York me permettait d'écrire un nouveau livre directement sur ce que je vivais,c'est-à-dire, un lieu et un temps définis. Je ne vois pas le point d'écrire un livre sur un flot Québécois qui arrive à Montréal. Ça me donne envie de partir seul pour New York. Des gens pas capables de prendre de décisions, ça me fait chier. Mais les gens qui têtent et qui par la même occasion me font têter, c'est inadmissible! Et qu'ils m'empêchent dans mes projets en plus, c'est encore pire. Quand donc ai-je repris la Nouvelle Humanité? Je suis pris entre l'idée d'apprendre comment fonctionne le synthétiseur, Cubase, mes grammaires d'anglais, écrire les paroles d'une chanson, faire les beats de l'autre, écire la Nouvelle Humanité. C'est pas mêlant, je choke ben raide, incapable de faire quoi que ce soit parce que je ne sais pas par où commencer.

Je viens de parler à Bruno. Là, je décroche. J'ai envie de me payer une journée de congé. Il parle de Vancouver, il veut partir pour Vancouver! En parallèle il parle de Toronto, Montréal, New York. Moi je décroche. On dirait un enfant qui a assez d'argent pour se payer

- 405 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

une paire d'espadrilles Adidas (bleues avec des lignes jaunes laites) et qui, avec cet argent, se demande s'il devrait pas plutôt s'acheter une bicyclette, une voiture usagée ou une grosse voiture sport neuve. Et qui finira par acheter ses espadrilles adidas laites. Je me demande si je ne prends pas le tout un peu trop au sérieux. La différence c'est que moi je n'ai rien à perdre, que je partirais aujourd'hui s'il le faut. Et c'est vrai! J'ai même l'impression qu'avoir de l'argent est un obstacle. Quand tu as rien, tu peux rien perdre, t'as rien peu importe où tu es. Quand tu as le moindrement de l'argent, ça fait plus mal, parce que tu risques de perdre tout cet argent et tu aurais pu faire une utilisation plus intelligente de cet argent. L'avoir bloque la liberté!

5 août 1994

Je suis en dépression aujourd'hui. Je n'ai pas d'emploi, je me sens coupable. Je ne suis pas inscrit à l'Université, même le génie me semble interdit, ou du moins compliqué à entrer. En plus, je n'ai plus un sou. À partir de maintenant, j'entre dans la ligne rouge. C'est sur ma carte de crédit que je dépense et mon plafond a été augmenté à 1000$. Je serai dans l'incapacité de rembourser cela. Hier je suis allé avec la famille François à Montréal. Chez un dentiste juif anglais chez qui ils vont depuis plus de 17 ans. Eh bien, toute la famille ignorait que depuis 17 ans, le bonhomme a appris le français. Ce dentiste me faisait pitié. Qu'essadone d'être dentiste si la vie est pour être plate à mourir? Il va mourir dans son petit cabinet de dentiste pourri dont il va faire des rénovations justement. Il avait tous ses diplômes et reconnaissances sur le mur, on pensait que ça allait craquer: B.A. en Sciences à McGill, Médecine dentaire à l'U. de Montréal, et quelques six autres divers diplômes. Ce matin je me suis levé et me suis demandé si cela m'aurait tenté de prendre mes livres de physiques et de math et d'Aller à l'Université. Sans compter qu'il me faudrait travailler à temps partiel pendant mes études. Le coeur m'a levé. Je suis dépressif aujourd'hui parce qu'il fait froid en plus et que la température détraquée nous lance l'impression que le mois de septembre est arrivé et les journaux, pressés de nous vendre leurs cochonneries pour la rentrée, annoncent que septembre, c'est demain! J'ai tenté d'écrire à nouveau les paroles pour Bruno. Un peu moins Kétaine cette fois, mais Bruno était pas satisfait parce que le

- 406 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

sujet était pas exactement ce qu'il voulait. Je pense qu'il veut juste entendre des histoires d'amour qui n'ont pas fonctionné, plus précisément celles qui lui rappellent sa relation avec Éric. Je devrais réécrire la chanson en fonction de ce qu'il m'a dit de sa relation avec Éric, il tomberait à genou. Bon, je vais m'enlever de la charge de travail. La grammaire anglaise, finit, je vais passer au travers cela seulement lorsque je serais effectivement dans un milieu anglophone. Les beats sur les chansons de Bruno, finit aussi. Il semble dire qu'il en faut des vrais, tant mieux. Cubase? Quand j'aurai le temps. Le synthé? Quand j'aurai le temps. La Nouvelle Humanité? Quand j'aurai le temps. L'Underground? Quand je serai effectivement à New York, c'est-à-dire, dans x années peut-être. Vivre? Il faudrait d'abord m'accorder sur une définition de ce qu'est vivre, voir ensuite s'il m'est possible de vivre dans cette définition.

Y'a un fou dans le journal de la Presse d'aujourd'hui qui dit qu'il faut interdire toutes les armes au Canada. Illégal d'avoir une seule arme. Les chasseurs devront laisser leurs armes dans un genre d'endroit définit à cet effet. Il veut que lorsque le peuple n'aura plus d'armes, que les policiers et l'armée n'en aient plus non plus, et l'on aura une société parfaite où il n'y aura plus que la communication, la négociation et le partage pour garder la paix. Malheur à lui! Une société sans armes aucune est une société vulnérable pour le premier maladif ou dictateur venu. Aussi s'il devait y avoir une quelconque occupation militaire d'un autre pays un jour... Mais revenons aux sources. Il désire un pays sans armes pour éviter les tueries, les meurtres, les génocides, [les suicides], etc. C'est bien, mais pas convainquant. Si l'ennmi a une arme, c'est bien beau le désarmement, mais ça ne pardonne pas. Sur la même page, une éditorialiste critique justement l'absurdité de multiplier la protection de chacune des stations de métros pour éviter que les gens se suicident sur les rails, ou que les aveugles se trompent d'ouverture et pensent que l'espace entre les wagons soit une porte ouverte. Elle dit que tant qu'à installer des murs de plexiglass dans chaque station, pourquoi pas emmurer les rails de chemin de fer, recouvrir le pont Jacques Cartier d'un matériau incassable et placer les chutes Montmorency sous un capuchon de verre? En fait, on n'empêchera pas les gens de se suicider, la prévention se trouve ailleurs qu'elle dit. Aussi, plus de sécurité serait dangereuse en cas d'évacuation rapide des gens, au cas ou un autre malade aurait décidé de tuer tout le monde dans les wagons comme c'est arrivé à New

- 407 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

York dernièrement. Mais voyez comment elle termine son article et qui pourrait très bien être une réponse à l'article précédent: «Ce qu'il y a d'agaçant dans toute cette histoire, c'est tout ce qu'elle révèle entre les lignes: cette tendance sociale qui consiste à refuser de plus en plus les risques normaux de la vie moderne et à demander aux gouvernements de nous protéger contre tout, y compris nous-mêmes. Amenez-en, des lois, des barrières [nouvelles frontières québécoises après un référendum et qui seraient totalement absurdes en un sens, puisqu'il n'y en a jamais eues et ça n'a jamais causé de problèmes] et des casques [casques qui vont être obligatoire pour les cyclistes et qui font que plus personne prend sa bicyclette]. Jusqu'au jour où nous crèverons tous de solitude et d'ennui dans nos uniformes de plexiglass.» (Agnès Gruda).

Pas une seule fois, dans les cinq ou six magasins que l'on a fait à Montréal (sauf chez Lunetterie New Look), j'ai pu me faire servir en français. Pas même dans un grand restaurant loin du centre-ville, à Pointe-Claire. Partout, même les clients, parlaient l'anglais. Les 800 000 anglophones me semble composer 80% de la population, contrairement au 8.7% annoncé dans le Citizen de l'autre jour. Et même si le 20% d'autres, immigrants, parlaient l'anglais, dans le centre-ville de Montréal, on a l'impression d'être dans une ville unilingue anglaise. C'est du moins l'impression qu'un touriste pourrait avoir. Je dénonce pas que les anglais occupent une place si importante à Montréal, je sacre parce que je ne suis plus capable de me faire servie en français dans une province que l'on dit à 80% francophone! C'est absurde! On arrive pas à Ottawa, à Toronto ou à Vancouver sans être capable de se faire servir en anglais! Je suis d'avis qu'il y a moyen de remédier à ce problème sans loi 101 et sans nécessairement faire la séparation.

Je vais déjà mieux, j'ai ouvert mon vidéo, pris un verre de vin, mis mes lunettes de soleil que j'ai acheté hier (devinez où et avec quel argent), et je suis déjà parti pour New York. Le vidéo de Jésus Jones info freako ne me fait plus d'effets, après plus de cent écoutes, Indochine m'en fait davantage. J'ai décidé de relire La Réussite, La Révolution, travailler sur la Nouvelle Humanité. J'en suis à mon deuxième verre, la plànète m'appartient! Il est une heure de l'après-midi, je suis un vrai alcoolique. J'ai un six pack de bière de Hol

- 408 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

lande dans le frigidaire, j'ai l'intention de m'en prendre une tantôt. J'avais pensé à Harold & Joe comme nom de groupe. Bruno n'est pas d'accord, mais je vais tenté de lui montré que cela peut avoir la connotation qu'on va lui donner. Ça fait référence à une chanson de The Cure, sur le maxi single de Never Enough. On dirait une chanson sur l'homosexualité, mais je ne suis pas certain. Je brûle d'aller à New York, écrire l'Underground. Je vais dédier ce livre à La France. Les Français seraient peut-être surpris que les États-Uniens trippent autant sur le Français que les Français trippent sur l'Américain. Premièrement j'ai bien vu que le Français était à l'honneur dans le tout New York. Connotation riche et luxueuse, on utilise le Français à tort et à travers. Encore ce matin, Diana Kolodny me téléphone du New Jersey pour dire qu'elle désire m'aider pour New York, elle parle un très bon français, elle va me rappeler si elle trouve quelque chose. Elle me dit de lui téléphoné sans faute quand je serai là-bas. Nulle doute, elle veut se faire des amis français. Partout à New York, beaucoup parlent français et veulent nous parler. C'est pas comme à Paris. Là, j'impressionnais personne avec mon français, surtout pas avec mon québécois, aux dernières nouvelles, la pub qui fonctionne le plus en France à l'heure actuelle, ça se passe dans un camp de bûcherons cana'iens, on promouvoit les pockets pizza de McCain en nourrisant les préjugés français, les mythes canadadiens-français. Venez pas me dire que la France se fout pas mal de la séparation du Québec! Avec tout ce qui se passe à l'heure actuelle avec les colonisations françaises et les lois anti-anglais américain, je suis certain qu'on verrait comme une victoire la séparation du Québec d'avec les Anglais. Mais ça crie pas très fort, ça veut éviter les complications diplomatiques depuis que le général de Gaulle s'en est permis en 1969. Aussi, je parlais avec David, de Kansas City, paraît que la ville étatsunienne fait de l'immersion française, c'est-à-dire études en français, une priorité, avec des programmes qui mélange les études en français jusqu'à la troisième année, ensuite en anglais jusqu'à la fin. Après l'Espagnol, on s'intéresse au Français, on aime la langue, on aime Paris et les Français, etc. Qu'est-ce qui fait que les Américains et les Français sont unis par une sorte d'alliance nécessairement implicite? Quand même pas la statue de la Liberté. La guerre d'indépendance contre l'Angleterre? Les organisations de modes françaises? Et quel est mon rôle là-dedans? Comment pourrais-je agir comme agent de liaison entre les Américains et les Français alors que je ne suis ni l'un ni l'autre? Je ferai peut-être meixu qu'un autre, je puis toujours être

- 409 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

objectif, et comptez sur moi pour l'objectivité, je ne suis pas du genre à nourrir la fierté nationale. Du moins, si je le ferai, ce sera sincère, inutile de me le cacher, j'aime la France. Notalgique d'un pays dont je n'ai plus rien à voir depuis 1657, quand Pierre a laissé son père Philibert pour s'en venir icitte! Et comment ne pas aimer les Américains (tout en les détestant) avec le mythe qu'ils ont construit d'eux-mêmes? Le pire c'est qu'en regardant une carte américaine, on se rend compte que la majorité du pays n'est que des terrains pour les cultivateurs et que c'est d'un naturel assez plat. Même la France semble plus intéressante, et moins impossible à traverser. Mais ne nous trompons pas, je suis Québécois et fier de l'être, je ne veux ni devenir Français ou Américain. Si on me donnait le choix de la ville où je pourrais publier, ce serait Montréal sans hésitation. Si j'avais de l'argent, j'aurais mon appartement à Montréal.

6 août 1994

Quelle vie! J'ai fait une gaffe terrible tout à l'heure. Le père de Bruno est tombé de l'échelle, ce n'est pas nouveau, il est déjà tombé une fois alors que je n'ai pas arrêté de leur dire qu'il fallait jeter cette échelle en décomposition et en acheter une autre au plus vite. Mais voyez, cette stupide échelle achève de tuer le père de Bruno. Ma gaffe c'est que Bruno est allé à l'hôpital avec son père, qu'ils lui ont dit de retourner, y'avait pas de problèmes, le problème c'est qu'en arrivant à la maison, le père de Bruno a perdu connaissance, ses yeux sont devenus blancs, lui tout raide, Bruno était sûr qu'il était mort. Il est retourné à l'hôpital à une vitesse folle, brûlant tous les feux rouges et klaxonnant aux carrefours. Son père a repris connaissance, il disait qu'il entendait Bruno crier. Le problème c'est que je n'ai pas su voir la gravité de la situation et que comme cela j'ai dit que là, ils allaient obliger Bruno à finir le toit de la serre tout seul. Bruno m'a dit que c'était très égoîste ce que je disais là, qu'il n'était pas du tout question de cela à l'heure actuelle où son père était à l'hôpital et qu'on s'inquiétait. C'est vrai. Maintenant que je retéléphone pour m'excuser et lui dire que je n'avais pas compris la gravité de la situation, ils sont partis. Bruno m'a presque raccroché au nez. Des plans pour qu'il me laisse. Qu'il s'imagine que je n'ai pas de coeur. En tout cas, une chose est certaine, Bruno va maintenant être un fils docile. Je suis convaincu mainte

- 410 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

nant, mais alors là, vraiment convaincu qu'il n'est plus question de partir. Les parents de Bruno sont trop vieux, ils faut les soutenir, et blablabla. Christ! Quand on sait ce que ces parents font pour leurs enfants! Ils ont crissé Bruno dehors voilà 5 ans parce qu'il était gay, il n'a jamais été question d'aider Bruno financièrement peu importe les durs moments de son existence. Mais enfin, il est vrai que les enfants ont maintenant 25 et 27 ans, qu'ils vivent au crochet de leurs parents depuis fort longtmeps, bien qu'ils payent une pension mensuelle, etc. etc. Mon Dieu, si le père vient qu'à mourir, on est certain de devoir habiter avec la mère de Bruno, certain aussi de plus pouvoir faire ce que l'on veut. Croyez-vous qu'elle voudra déménager? Et puis moi dans tout cela? Je n'ai certes pas envie de payer des loyers jusqu'à la fin de mes jours pour n'avoir rien en bout de ligne. Et surtout, je ne veux pas mourir à Ottawa. On aurait tendance à dire qu'il est bien pour un bilingue d'habiter Ottawa, au contraire, faut être un parfait anglophone avec quelques bases de français. Pas un professionnel du français avec une base d'anglais. Ce serait aussi pire à New York. Mais à Montréal, pourra-t-on me considérer comme un bilingue? J'en doute. Plus je regarde les emplois dans le journal, plus j'ai envie d'entrer en génie à l'Université. Je ne puis même pas devenir un secrétaire ou un réceptionniste. Je n'ai aucune qualification ou expérience. J'ai ben beau avoir eu trois ordinateurs depuis mes 11 ans, je ne connais absolument aucun des programmes de base, même le traitement de texte, on demande de connaître Word Perfect version 6.0, il me faudrait deux meg ram de plus juste pour le faire fonctionner sur ma machine. J'ai beau me creuser la tête, dans tout ce que m'offre la vie avec Bruno, il n'y a rien là qui puisse me profiter pour plus tard. Ah la vie à deux! Je n'avais jamais été confronté avec l'idée que je peux aller où je veux parce qu'il n'y a plus de stupides études pour me retenir. Y'a toujours quelque chose qui t'empêche de partir. Et comment irais-je à New York, seul, je n'ai plus que ma carte de crédit pour vivre. Plafond de 1000$, je l'ai vu hier sur la machine. Ça flash dans mes yeux, ça fait sourire n'importe qui d'autre. Mais j'aime Bruno. Je n'ai pas l'intention de le retromper, je voudrais rester avec lui, et c'est ce qui me coûtera cher je pense. Je ne refuse pas d'habiter avec sa mère si son père vient qu'à mourir. Je ne refuse pas d'habiter avec les parents non plus, si c'est pour me faire économiser de l'argent et plus spécifiquement à Bruno. Parce que moi, ça me coûtera autant demeurer chez Bruno que j'ai John, sans compter que pour la bicyclettte c'est fini, trop loin du centre-ville et que

- 411 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

les autobus fonctionne à moitié dans le fond de Nepean. C'est-à-dire que le soir après six heures, et les fin de semaine, plus de bus. En tout cas, si moi je suis égoïste, peut-être que Bruno devrait tenter de se définir, et sa soeur en plus. Je suis égïste probablement, comme tout le monde d'ailleurs, mais je peux dire que Bruno ne donne pas sa place. Question partage, c'est nul. D'une barre de chocolat à deux choses identiques sauf qu'un est brisé, je serai toujours le désavantagé. Un exemple? Avant-hier: les étuis à lunettes avaient un morceau en plsatique à l'intérieur pour permettre aux lunettes de ne pas être écrasées. Une des téuis n'en avait pas, c'est moi qui en ait héritée. Une bouteille de vin? Bruno n'en offrira pas, il faut le demander (référence à Neil et John l'autre jour). On se fait un repas? Bruno ne veut jamais offrir à John s'il veut manger avec nous. Mais tout cela peut être considéré comme de futiles choses. Quand on arrive à parler de l'héritage, je sais que je vais prendre un congé de deux semaines loin d'ici lorsque ce sera le temps de séparer l'héritage. Sa soeur est franchement égoïste, dans tous les sens, elle crie aussitôt qu'elle voit que Bruno à quelque chose de plus qu'elle même si tout ce qu'elle a compense pour bien davantage. Quand l'auto brise, elle veut que Bruno paye! So Bruno paye. Jamais elle ne fait la vaisselle, c'est toujours moi et Bruno qui le samedi matin devont faire tout le ménage dans cette maison. C'est pourquoi d'ailleurs je ne vais plus coucher là la fin de semaine. Je ne mange même pas et il me faut faire la vaisselle, laver les casseroles de trois jours, celles de sa soeur surtout, où la bouffe est encore pognée dans le fond. Ils ont déjà commencé à se battre pour l'héritage, c'est pourquoi les parents ont déjà fait une liste complète de ce qui irait à qui (vase précieux dans une coffre-fort à la banque, meubles antiques valant une fortune, terrains un peu partout, etc.) Connaissant sa soeur, je sais que qu'il y aura de la chicane même avec un héritage très clair. Elle sera jalouse et toute la famille s'accorde sur le fait que Bruno et Claire-Lise ne pourront certainement plus jamais se reparler après l'ouverture du testament. Je sais qu'il existait un temps où ma soeur aurait fait le même genre de crise, mais elle a bien vieillit et je sais bien qu'il n'y aura aucune chicane à la mort de mes parents. Bruno me dit que c'est parce qu'il n'y a rien à partager sauf les dettes infernales de mon père. C'est peut-être vrai. Mais quand même, il y aura peut-être une maison ou un chalet d'été. Mais encore là, ça se complique parce qu'il y aura Ginette et ses deux enfants, et du côté à ma mère il y aura la fille d'André. S'il faut que tout ce monde là se mettent à reven

- 412 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

diquer des choses, j'aime autant m'enfuir et leur laisser tout. De toute façon mon père a fait de ma soeur la seule et unique exécutrice testamentaire, et je n'ai pas l'intention de la contredire sur aucune de ses décisions. Quand bien même elle déciderait de tout garder, je lui dirais tant mieux. Mon oncle Carol m'en a tellement raconté des familles traditionnelles qui se battaient dans les chambres d'hôpitaux, sur le lit de mort du père même pas encore mort, à savoir qui aurait quoi. On peut pas tous être parfaits hein? On a eu une chaude discussion moi, Bruno et Edwin une fois. Bruno essayait de nous convaincre qu'il n'y avait rien de mal à être matérialiste et à vouloir posséder les antiquités de sa famille. Entre autres, la montre de 2000$ en or du père de Bruno, que Bruno porte et qui fonctionne à moitié. Mais bien qu'edwin disait qu'il ne s'obstinerait pas avec ses deux soeurs parce qu'il voulait continuer à leur parler ensuite, j'ai peine à le croire. J'ai vu comment il était matérialiste, lorsqu'il ouvre son congélateur pour nous montrer comment c'était full pack, ou qu'il nous avoue qu'il na peut pas sortir sans la Saab de ses parents pour aller voir ses amis, la New Yorker ne flashant pas suffisamment. Là aussi la guerre familiale sera terrible. Comme elle l'a été lorsque le grand-père de Bruno est mort voilà presque trois ans. Comme par hasard il n'avait aucun testament de fait, le bonhomme avait pas mal d'argent et de terres. Ce fut la guerre. All that makes me sick. I need to go away. I need to go away from any parents. I need some freedom and with Bruno I don't have that, moreover, I'm always afraid he's gonna sleep with someone else in the next détour, that makes me even sicker. Je suis malade, je n'ai pas un sou, pas d'avenir dans la vie sociale ou artistique, pas d'avenir. Je ne pense pas au suicide, je n'ai pas la force d'y penser. Ce serait trop d'efforts, juste penser à tout ce que cela impliquerait. Je n'ai pas la motivation pour partir d'ici, motivé à rien.

Je viens de parler avec Bruno, ça sent le salon mortuaire chez eux. Je me suis excusé pour tout à l'heure, il pouvait pas me parler. Il va me rappeler dans dix quinze minutes. Bon Dieu. Qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qu'il me cache. Il se rend pas compte que ça me rend malade cette maladie de pas pouvoir me parler, de pas pouvoir parler, et je parie que dans dix-quinze minutes il m'en dira pas plus. Rien ne se passe, tout est ok. L'hôpital est même pas capable de dire pourquoi il a perdu connaissance. Ils pensent que c'est la crise cardiaque, le père lui-même est pas capable de répondre, lui qui a déjà fait une crise cardiaque. J'ai

- 413 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

l'impression que le père de Bruno va mourir tôt. Ce qui surprend c'est que sa vie, aujourd'hui du moins, est exemplaire. Il sort jamais, mais alors là, jamais. Je suis convaincu qu'il n'a jamais trompé sa femme, il aime sa femme à en mourir, quand elle disparaît pour dix minutes, il commence à capoter et à la chercher. Sa vie, de mon point de vue, semble être en stagnation totale et so the one of his wife too because of him. S'il est pour mourir sans rien changer à ce rythme de vie, je crois qu'il n'a plus rien à apprendre, sinon le départ de ses enfants, et pourquoi donc pleurait-il dernièrement? Même Bruno me dit qu'il l'ignore, mais quelque chose me dit que Bruno ne l'ignore pas tant que cela. Christ, je suis d'accord pour que cette famille soit bourrée de problèmes, mais que l'on ne m'en dise absolument rien, je l'accepte en autant que cela ne m'affecte pas. Or, cela m'affecte énormément parce que ma vie ira en fonction de ce qui arrive dans cette famille, c'est ce qui fait que Bruno prend des décisions qui finalement, valent pour deux. Et quand ce stupide Bruno est pas capable de me rien dire par rapport à ses intentions, comment voulez-vous que je ne souffre pas? Et comment voulez-vous que je ne me mette pas les pieds dans les plats? Après on me reprochera de ne pas avoir déduit les choses et d'avoir mal agit. Comme la journée où j'arrive à Madame Kaye et que je lui demande si elle a un mari et des enfants et que deux ans auparavant, son mari et son fils sont morts de je ne sais plus quoi. Semblerait qu'il n'y avait que moi pour ne pas le savoir. Son fils s'appelait Bruno d'ailleurs, et il est logiquement français puisque Madame Kaye est française. Là je suis en train de paniquer. Bruno, appelle-moi vite, et SVP, dis-moi donc c'est quoi qui te ronge les os, et c'est quoi le problème de tes parents. Est-ce parce qu'ils t'ont exhorté à ne pas partir et t'es pas capable de m'avouer que tu partiras pas parce que tes parents said so? J'aurais peut-être besoin de le savoir non? Maybe you're afraid that I'm going to leave you, that's why you don't want to tell me anything? Well, if it continue I'm going to leave you anyway. I don't want your problems to becomes mines, I don't want to suffer for stuff I really have nothing to do with. J'en ai déjà à souffrir avec ma propre famille sans devoir souffrir à cause de celle de mon chum. Le gros hic là-dedans, c'est qu'avec un père malade, on peut faire toute la manipulation nécessaire pour garder ses enfants proches et les empêcher de faire quoi que ce soit. Maintenant je sais que Bruno ma finir le toit, c'est moi qui lui ait proposé, j'ai dit que j'allais l'aider. Son père voulait pas payer pour qu'on termine, ils ont même menti à Bruno en lui donnant 1/3 de moins que le

- 414 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

salaire promis, et voyez où cela a conduit. Mais le résultat sera le même, on va terminer le toit gratuitement. Peut-être que depuis le début c'est ce que l'on aurait dû faire, c'était d'ailleurs mon intention, je leur avais proposé de le faire pour rien. Mais il n'en était pas question parce qu'ils croyaient que cela allait causer des problèmes au point de vue que le père de Bruno est intraitable et qu'il aurait chiâlé et qu'il voulait pas que j'arrive à dire que j'étais pas payé pour le faire et qu'il devait se la fermer et accepté le travail tel quel. Ainsi, me payer signifiait en quelque sorte que l'on pouvait critiquer mon travail. De toute manière, cela servait à rien parce que le toit, tout le monde le dit, est fait de façon plus que professionnelle, parce que l'exigence de son père a été telle qu'il n'y a aucune imperfection. Et que les professionnels eux font un toit à une vitesse telle que les imperfections se multiplient. Pour s'en convaincre, parlez-en à Fred et son chum, ils doivent sans cesse être sur le terrain de la construction de leur maison parce que les gars s'en foutent pas mal et que quand ils sont écoeurés, je vous jure que la travail se fait vite et mal. Et puis, les parents de Bruno ont économisé quelques 7000$ en nous embauchant, ils peuvent pas se lamenter, et je pouvais accepter le 1500$ sans remords. Mais si cela était pour empirer l'état de Jean.

Bon je viens de reparler avec Bruno. Effectivement, il m'a rien dit. En fait, pendant 20 minutes on est demeuré silencieux au téléphone. Semblerait que le gros problème c'est que Bruno est demeuré traumatisé d'avoir cru pendant 20 minutes que son père était mort à côté de lui. Je peux comprendre cela, moi je me traumatise pour bien moins. Et si une telle chose devait m'arriver un jour, c'est peut-être moi qui perdrait connaissance. En tout les cas, là, je suis malade pour suivre un courss de CPR, c'est-à-dire un cours de survie pour savoir quoi faire en cas de crise (j'allais dire en cas de pépin, mais je trouve le mot tellement, comment dire, tellement kétaine). Mai ça coûte cher un cours de CPR et je n'ai pas tellement l'argent pour cela en ce moment. Le gouvernement devrait offrir ces cours gratuitement. Je pense que ça coûte 75$ (ou 50$?).

8 août 1994

- 415 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Aujourd'hui j'ai reçu une nouvelle dont je me demande si elle est bonne ou mauvaise. Je n'ai pas été accepté à l'Université d'Ottawa en génie mécanique. On dirait que je régresse plus j'avance. À peine terminé le collège, toutes les portes me sont ouvertes. Après un diplôme de quatre ans en Arts, toutes les portes me sont fermées. La femme m'a dit que j'ai fait application une semaine en retard. D'accord, cela n'aurait pas été trop pire. Mais la bureaucratie de l'Université d'Ottawa n'est pas à sous-estimer. Après trois années d'études et trois envois de mon diplôme de collège, ils n'avaient toujours pas le papier en question. Quand ils l'ont eu, c'était pour me dire: trop tard. Tant pis Tabarnack! On dirait qu'une force fait tout en son pouvoir pour que j'entre dans la vie de plein fouet. Je ne peux pas expliquer cela autrement, je n'ai réussi à me faire accepter nulle part, moi qui a toujours été un premier de classe [sic]. Bien sûr, je sais que je n'aurai aucun problème à me faire accepter en génie l'an prochain. Peut-être même que je vais essayer à Montréal, somme toute, il m'est difficile de supporter de voir le campus de l'Université d'Ottawa. Je n'aurais pas assez d'une douzaine de bombes pour me débarrasser de tout ce qui m'écoeure sur ce campus. Aucun bon souvenir, que des cauchemars. J'ai cette envie de voir soudainement disparaître toutes les personnes avec lesquelles j'ai été en contact sur le campus depuis trois ans. Que ce soit les employés de bureau, les professeurs, les étudiants, les employeurs, aucun, je dis bien aucun, ne m'a épargné d'arrière-goût. Pas même Joël Cyr, surtout pas Joël Beddows, ni même Mireille Régimbal que je croyais fuir, jusqu'à ce que je comprenne que c'était elle qui me fuyait. Nathalie Leduc, le monstre aux cheveux verts, je n'en veux plus rien savoir depuis l'épisode de Daniel Poliquin et les commentaires qu'elle a fait à mon sujet au déjeuner du département. Je n'ai donc eu aucun ami sur ce stupide campus? Est-ce de ma faute? Il est bien possible, je n'ai pas fait beaucoup d'efforts. Je vais dire comme Calvin (and Hobbes) quand on lui dit qu'il faut qu'il en profite parce qu'il est en train de passer les plus belles années de sa vie. Il répond alors: quoi? ça va devenir pire que c'est déjà? Et je n'ai pas de peine à le croire.

J'avais un bouton sur le front, j'avais décidé que j'allais m'en débarrasser. Et comme les annonces publicitaires font un malheur ces temps-ci à propos du sujet, je n'ai plus hésité, je suis allé acheté un produit miracle. Clearasil, Clearatube, médicament liquide contre l'acné, formule extra-efficace (acide salicylique 2,0% p/p). Esti de calice! J'avais un bouton,

- 416 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

après une semaine d'usage, j'en ai une dizaine! Je pense que le problème provient du fait que ce n'est pas de l'acné mes boutons. Et le fait d'utiliser ce stupide médicament, ça me donne de l'acné! Mais comment est-ce possible? Je vais m'acheter des parts dans cette compagnie, du jamais vu, un médicament qui empire ta condition, provoquant une dépendance qui assure ta fortune! C'est clair, il m'est apparu des boutons que je n'avais jamais eu auparavant. Ils sont non squeezables, ils me grattent à mort. Écoutez, j'ai passé à travers ma jeunesse sans avoir un seul bouton, et aujourd'hui ça commencerait? Demain je cours essayer la formule Oxy 5, ils sont assez fatigants avec leur annonce, Oxycute-les!, j'ai hâte de voir les résultats. Oops, je me souviens d'avoir regardé, c'est le même produit, l'acide salicylique que l'on retrouve là-dedans. Que faire? Demain j'appelle la compagnie, Christ! C'est encore Procter and Gamble! Je fais tout les efforts du monde pour pas acheter cette compagnie, ils sont en train d'acquérir le marché au complet! J'ai entendu tellement d'histoires effrayantes à leur sujet, lu tellement d'articles où l'on disait de ne plus rien acheter de leurs produits. Pourtant cette semaine j'ai acheté de la pâte dentifrice Crest, et de l'huile Crisco, une des seules dont je suis certain que c'est végétal. Bon Dieu, les deux sont Procter and Gamble. J'ai passé plus de 45 minutes à chercher quelles marques de savons n'étaient pas encore Gamblé. Paraît-il, ils sont vraiment anti-environnement, ils font des tests affreux sur les animaux, ils financent les organisations du Klux Klux Klan. Après cela, ça vaut la peine de têter une journée dans les épiceriws pour s'assurer de pas acheter du Procter and Gamble.

Bref, excusez ma digression (ma méchante digression), bref, on voulait plus de moi à l'Université. N'en demeure qu'à moi de m'ouvrir au monde extérieur. Allez! C'est le temps de sortir du ventre du monstre. On s'en va affronter the real world, et je vous le dis tout de suite, j'ai rien à perdre et rien à gagner, parce que je me fous pas mal de vous et de toutes vos histoires! J'ai pas l'intention de me laisser marcher sur les pieds, et parti comme je suis là, aucun des emplois que je risque d'avoir nécessite un quelconque effort supplémentaire de ma part. Vous voulez être bitch? J'ai l'expérience. Moi aussi je peux être bitch, et ce coup-là, je vais pas dépressionner, I'm gonna fight `til the end. If someone's gonna lost, it won't be me! Ah Christ, je sais très bien ce qui m'attends. Des compagnies aussi pires que celles où

- 417 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

j'étais à la cafétéria de l'université. Pire qu'on me dit. Je vous attends du pied ferme. Je suis tellement frustré que le marché du travail soit aussi infernal et pénible, car n'est-ce pas là le fruit des patrons et des travailleurs? Si c'est aussi l'enfer, n'est-ce pas que c'est parce que personne ne fait d'efforts? Tout le monde s'en fiche? Comme moi, quand la première personne rencontrée t'envoie chier, c'est final, à ton tour t'envoies chier tout le monde? Oui, je suis vraiment prêt à répondre, m'engager dans l'Armée (les syndicats) puis écoeurer ceux qui voudront m'écoeurer. I really can understand people that kills other. I would'nt be surprise if I kill someone someday. When everyone is doing his best for me to kill them, how can I be surprise? Le seul problème c'est qu'il n'existe pas de justification possible ensuite. Il reste à accepter le châtiment de la justice collective. Quand je pense que casser les deux jambes de quelqu'un fait tout aussi bien l'affaire, et que cela ne donne pas beaucoup à faire en prison, j'avoue que c'est tentant. J'aurais bien casser les deux jambes de M. Lamothe. Et puis celles de la p'tite guenon Micheline. C'est elle à qui je fais référence dans le Vraie Réussite quand je dis que ces gens là ont une famille, des enfants, s'inquiètent pour eux, et pourtant, crache sur les autres. Des sentiments que pour ses proches, le reste, si ça crève, we don't care. Mais ces gens là s'inquiètent peut-être même pas avec leurs enfants? C'est bien possible. Finalement, celle qui m'avait semblée la plus méchante au départ, c'est celle avec qui je me suis le mieux entendu. Mme Richer, dont le fils était gentil d'ailleurs quand on travaillait aux banquets. Semblerait que sa confession à propos qu'elle croyait en Dieu très fort, et moi qui n'ait pas bronché lors de cette confession, ont produit un genre de lien entre elle et moi. Jamais elle ne m'aurait fait de mal après cela. De toute façon, elle était honnête, ce qui n'est pas le cas des autres. En fait, même si elle avait l'air effrayante aux premiers abords, c'était peut-être la seule honnête du groupe. Le problème c'est que j'ignore si elle était effectivement honnête. Mais elle devait certes avoir une conscience.

J'ai peine à imaginer mon futur. Il me faudrait encore essayer d'interpréter les événements qui me sont arrivés, mais ce serait stupide puisque je me suis déjà souvent perdu en de vaines interprétations. Quoique cela devient intéressant. Tout me porte à croire que l'on m'oblige effectivement à sauter dans les bras à Bruno pour entreprendre une carrière de musicien. Cela devrait davantage illuminer les yeux de mon grand-père puisque lui-même a

- 418 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

été musicien dans un band, la majeure partie de sa vie. Ma mère aussi était musicienne, et a toujours dit que j'avais de l'oreille. J'espère que c'est vrai parce que je suis un vrai ignorant et je me lance dans une carrière musicale. Comment voulez-vous que je n'aie pas l'air d'une grosse cloche? Comme Uko Uno, enfin, la femme de John Lennon, et la femme de Paul McCartney. On le sait qu'elles foutaient et foutent pas grand chose, pourtant, on s'obstine à nous faire croire le contraire. Bien que la plupart des musiciens savent pas jouer ou connaissant pas les notes à ce qu'en dit Doug Hume, mon cas n'est peut-être pas désespéré. Aussi, il ne me suffit que d'apprendre le piano, ce n'est pas si pire. Surtout que plus de la moitié des autres chansons de Bruno n'ont pas de paroles et qu'il est à court d'inspiration. Il ne me faut pas manquer ma chance. Au moins, si j'ai écrit une partie des chansons, on ne pourra pas m'enlever crédit. J'ai déjà écrit une cinquantaine de lignes pour la première chanson, ça commence à devenir moins quétaine, ça monte dans mes standards, mais ça ne satisfait pas encore Bruno. C'est qu'il voudrait que je compose en Anglais et qu'en plus, le nombre de syllabes fite comme il faut dans la chanson. Or, mon anglais est loin d'être parfait et je compte sur le fait que lui-même pourra ajouter un mot pour arranger la phrase. Mais il a de la difficulté à ajouter un mot par-ci par-là, c'est surprenant, moi je n'ai jamais eu ce problème. S'il existe un mot qu'il aime pas, il abandonne le paragraphe au complet. Mais on va y arriver, de toute façon, maintenant j'ai confiance d'être en mesure d'écrire des paroles qui font du sens. Un jour ce sera peut-être moi qui écrirai la plupart des paroles pour les chansons? Alors je me sentirai vraiment du groupe, ne me sentirai pas coupable d'être avec Bruno et prendre l'argent s'il en vient un jour, et surtout, je ne serai pas perdu si jamais je quitte Bruno. Peut-être même que l'on pourrait encore travailler ensemble puisqu'il aurait effectivement besoin d'aide. Pourtant, les paroles de ses autres chansons sont très bonnes, je ne comprends pas pourquoi c'est soudain le néant question inspiration. On verra. J'ai vraiment peine à croire que l'on va effectivement faire un groupe de musique et voyager de ville en ville pour se produire sur scène. Je ne me vois tellement pas en train de faire cela. Ce qui pourrait être le rêve de certains, sonne plus comme le cauchemar pour moi. Quand j'étais jeune, je voulais tellement chanter, écrire des chansons et tout. Aujourd'hui j'ai changé d'avis, alors que tout me semble là à porté de main, j'aimerais plutôt me consacrer 100% à l'écriture. Mais l'écriture de livres et l'écriture de chanson, n'est-ce pas un peu la même

- 419 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

chose? Non, on me dirait soudain dans un atelier de parnassien où il me faut composer dans une langue qui n'est pas la mienne, des lignes de telle longueur, avec tel montant de syllabes, en adaptant le tout à quelques lignes déjà composées par un autre, et surtout, il me faut satisfaire cet autre qui est insatisfaisable. C'est pas aussi facile que ce que je pensais en fait. Et je n'ai aucune satisfaction avec ce que j'écris en ce moment. Aucune fierté. J'ignore si cela va changer. Je ne crois pas, Bruno prend des phrases catchy par-ci par-là, les collent ensemble et l'on perd le sens global de mes paragraphes. On verra. Moi? Me promener de ville en ville pour faire de la musique? J'ai beau scruter à l'horizon, il m'est impossible de le croire. Qu'est-ce donc que mon avenir me prépare? Pourquoi m'avoir tant fait niaiser avec les demandes de l'Université à Paris, les demandes d'Université à Montréal et à Ottawa, l'histoire de déménager à New York, ou Toronto ou Montréal, si finalement, tout ce qu'il y avait au programme c'était Ottawa? Pourquoi avoir tant nourri mes rêves, mes idées et tout, si c'était pour tout anéantir à la fin? Quel est donc le but poursuivis par tout ce fatras qui m'est tombé sur la tête en un seul printemps et été? Que me faut-il donc apprendre dans tout cela? La morale de Candide: on est jamais mieux que chez-soi à cultiver son jardin? Ou a préparer sa Révolution...

9 août 1994

J'ai décidé de tenter ma chance pour le bien-être parce que de toute façon je fais une recherche intensive d'emploi et que si ça débouche pas, il me faudra bien survivre. Quoique que je suis pas mal certain d'aller demeurer chez Bruno, malgré qu'il en a pas encore parlé à ses parents. Et que ça devrait me coûter moins cher, Bruno pense qu'ils me demanderont 150$ par mois, ce qu'il paye. Je pense qu'ils vont me demander ce qu'ils demandaient à l'autre fille avant moi, 275$ je pense. J'ignore si le dentiste est gratuit quand on est sur le bien-être. Si oui, ce sera le miracle. Je vais vite sauter chez un dentiste pour me faire réparer tout ce qui est en décomposition là-dedans. Mais je rêve en couleur, il me sera impossible de remplir les qualifications pour réussir à avoir du bien-être, je suis même pas capable de rejoindre Nicole Gauthier, mon agente. C'est que c'est impossible de les appeler, au numéro général, le répondeur dit que la femme est occupée avec un autre appliquant et qu'il

- 420 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

faut rappeler plus tard, ou venir en personne. Of course, j'ai essayé d'appeler cinquante fois, impossible d'avoir la ligne. Venez pas me dire que ces gens là prennent le temps de répondre, ils découragent ceux qui ne tiennent pas plus que ça à recevoir de l'aide. Mais quand la responsable de mon dossier ne répond pas à mes messages, je me demande ce que je vais faire, surtout que même si je me rendais sur place, il me serait impossible de lui parler (ils ont pensé à tout, bloquant la communication une couple de jours de plus, c'est toujours cela de gagner, dans l'espoir que la personne va abandonner). Enfin bref, depuis deux jours je cherche du travail de façon intensive, demain je devrais réussir à l'appeler, elle va me dire qu'à partir du lendemain je dois trouver deux employeurs minimum par jours. La Christ, je vais alors lui dire d'arrêter de niaiser, que je crève de faim, j'ai pu un sou et je dois de l'argent à tout le monde. C'est pas de ma faute si elle est impossible à rejoindre. J'ai hâte de voir ce qu'elle va dire. De toute façon j'ai pas besoin d'être gentil avec elle, elle est assez bête. J'ai juste besoin que l'on m'aide, et je vous jure que je ne me sentirai nullement coupable. Une société qui n'est pas capable de fournir de l'emploi à ses diplômés d'études universitaires et qui est capable de les endetter pour au-dessus de 15 000$ pour un papier, ça mérite une certaine compensation à quelque part. Parce qu'il y a tellement d'argent jeté par les fenêtres, comme toute personne qui entre en politique par exemple, surtout quand elle en sort. Ils gagnent alors une ou deux pensions qui vont aller s'ajouter aux autres pensions qu'ils vont recevoir. Non pas que les vieux soient riches, beaucoup de vieux sont pauvres. Mais beaucoup de vieux sont riches. La preuve? Comment se fait-il qu'il y a un million de vieux (c'est le vrai chiffre donné par Statistique Canada) qui à chaque année vont à Miami? Une personne sur six, faut le faire. Combien demeurent là pendant six mois, l'autre six mois ici, foutent rien de leur journée et réussissent à faire vivre deux maisons, peut-être même deux automobiles, etc., etc.? Venez pas me dire que les vieux ont pas d'argent. Comment se fait-il que les pensions de vieillesse sont en train de conduire les gouvernements vers la bankruptcy alors que les jeunes crèvent de faim? C'est maintenant officiel, si tous les boomers vont recevoir les diverses pensions auxquelles ils ont droit, le pays doit déclarer faillite. Qu'est-ce qui c'est passé donc? Y'a une limite à ce qu'un vieux peut espérer gagner pour finir sa vie comme un riche sans rien faire. Oui bon, je me sentirai pas coupable parce qu'on est dans le pays où il fait le mieux vivre et moi qui ai un diplôme de quatre ans d'université, je

- 421 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

suis endetté jusqu'au cou et je crève de faim, impossible de trouver un travail même comme serveur dans un restaurant et incapable de payer mon prochain loyer. Et paraît que la récession est passée depuis un bout de temps. Je ne me sentirai pas coupable parce que j'en ai besoin, je crève de faim. Je viens de comprendre que les gens qui sont sur le bien être sont pas tous de vrais saoulons. Moi je serai fier de dire à tout le monde, voyez, j'ai déjà été sur le bien-être, c'est là où votre belle société ma conduit! Et je venais de la plus belle des familles traditionnelles qui soit, et voyez, ils m'ont laissé crever de faim dans la rue. Et tout cela à cause de votre morale et votre religion, parce que ce sont eux qui ont nourri les préjugés qui font que mes parents et les gens qui les entourent se foutent de moi et que si je crève de faim, c'est tant pis pour moi. J'avais juste à pas lâcher le droit, à aller en génie, à ne pas être homosexuel, à ne pas demeurer si loin, etc. Mes parents se défendraient bien de telles accusations, je sais bien qu'ils m'aiment dans le fond, qu'ils veulent que je reste plus longtemps quand j'y vais, même, que je redéménage au Saguenay-Lac-St-Jean. Bien sûr, le tout est pratiquement inconscient, ou freiné par ce que les autres en disent. Car comment ma mère peut-elle justifier d'aider son fils homosexuel à André qui déteste et le fils et les homosexuels? Alors que lui-même n'a jamais eu à payer de pension pour sa fille qui demeure quelque part à Montréal avec sa mère. Et comment mon père qui a tant eu de dettes et qui est incapable de contrôler ses dépenses pourrait justifier à Ginette qui le modère, qu'il doive encore dépenser pour aider son fils, alors que Ginette elle-même n'a jamais eu besoin d'aider son fils parce que un, je suppose que son père l'aidait, ou deux, à la tête des jeunes libéraux du Québec depuis quelques années, Claude-Éric reçoit un très bon salaire et qu'en plus, son avenir en politique est assuré (lire qu'il sera riche jusqu'à sa mort). À cause de mes stupides livres dont j'ai perdu tellement de temps, même au prix de mes résultats scolaires, j'ai même pas eu la chance d'acquérir de l'expérience en écrivant par exemple des articles pour un journal en particulier. J'ai pas été foutu de trouver un travail qui puisse me donner une quelconque expérience aujourd'hui. Je suis à la sortie des études, me voilà à zéro au point de vue social. Je suis à la fin de tout, me voilà au début de tout avec aucune chance pour prouver que je suis meilleur que le voisin. À moins que le voisin soit meilleur? Et qu'est-ce que j'en ai à foutre? J'en suis au bilan alors que je n'ai encore rien entrepris. Would'nt be nice if I open an office in centertown to offer french lessons, translation, correction of french,

- 422 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

etc.? But I will need some money to do that. I will need an office with maybe my appartment at the back. Should I open that in Ottawa? Would'nt be better in Toronto?

Ce soir on a rencontré George pour à nouveau pratiquer la musique. Il accompagne Bruno au violon, c'est très intéressant. Je commence vraiment à entrevoir qu'il est effectivement possible d'entreprendre une carrière dans la musique. Mais j'ai demandé à Bruno s'il ne vaudrait pas mieux pour moi de demeurer à l'arrière scène, n'étant pas un musicien. Il a dit non à cause de l'image. Je suis jeune, beau, je ferai, semble-t-il, l'image du groupe à moi seul. Mais notre guitariste sera beau et jeune, qu'il dit. Et notre batteur aussi. J'ai toujours considéré que Bruno était plus beau que moi, mais dans la définition de Bruno, la beauté c'est la jeunesse, et la jeunesse, ça a en bas de 25 ans. Ainsi donc je vais me retrouver à faire sur un synthétiseur ce que l'on me dira de faire. Je me demande pourquoi je panique à cette idée. Si les autres savent leurs notes et savent jouer, n'empêchent qu'ils vont eux aussi interpréter ce que Bruno leur dira d'interpréter. Ça ne change plus grand chose à ce niveau. Sinon qu'ils sont bons musiciens et que c'est plus rapide. De toute façon, j'ai l'intention de travailler fort sur les paroles. Et puis il va bien falloir que je me mette à apprendre Cubase et le Synthé, le problème c'est que je suis en période de recherche intensive de travail et qu'en plus, comme l'autre fois, les parents de Bruno ont décidé de me payer pour que moi et Bruno on termine le travail sur le toit de la maison. Mais comme ils payent pas Bruno, le travail avance pas, parce que Bruno se trouve toujours mille et une chose à faire plutôt que de travailler sur le toit. Dimanche on avait pas d'échelle, finalement l'ancienne faisait encore l'affaire, après avoir installé trois fenêtres, on a arrêté. J'ai vraiment hâte de m'y mettre, parce qu'avant je croyais que c'était l'enfer d'enlever l'ancien toit de vitres et toutes les planches, pour reposer des deux par quatre et des planches de contre-plaqués, puis de faire des trous et placer les fenêtres. Maintenant que je sais plus ou moins ce que l'on va faire, ça m'inquiète moins. J'ai pour ma part dans l'idée que l'on peut terminer cela très vite. Ce n'est pas l'opinion de Bruno, je comprends, au rythme auquel on travaille.

J'ai enfin fini de recevoir La Presse. J'ai donc fini d'analyser des journaux à moins qu'un article serait vraiment frappant. Maintenant, si je pouvais arrêter d'écrire dans ce

- 423 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

journal, j'aurais enfin tout le temps de travailler sur mes autres projets. Parfois j'envie John qui travaille son trente-cinq heures par semaine, et qui fout rien quand il arrive ici le soir ou les week-end. Ce doit être beau la vie quand t'as pas cinquante-six projets en suspension. Et le pire c'est que tout mes projets sont pures frivolités, en admettant qu'aucun ne sortiront de ma chambre, de mon ordinateur je dirais. Mais encore là, il faudrait avoir une confiance absoolue envers ce bidule informatique qui brise tout le temps et qu'on perd toujours tous nos programmes. Peut-être que nos enfants auront un jour des machines parfaites, infaillibles, d'ici là, je pense que je vais aller dormir.

10 août 1994

Ça me donne exactement trois semaines pour écrire trois articles qui font vraiment du sens. C'est à dire qui ne sont pas du tout, mais alors là pas du tout comme ceux que l'on retrouve dans le Journal Le droit, mais qui à la fois ne peuvent pas subir de critique.

J'ai sauté dans les bureaux du droit d'Ottawa aujourd'hui, j'ai dit à la réceptionniste que cette fois je voulais parler avec le responsable. Elle voulait pas, elle m'a référé à une conasse dont je ne veux rien savoir de ce qu'elle fout là. Mais elle a eu la gentillesse de me référer au rédacteur en chef, François Roy. Il a semblé impressionné de ma prestation, il m'a offert de revenir dans trois semaines, qu'il y aurait peut-être un poste de correcteur de Français. D'ici là il veut lire quelques pages que j'ai écrites, il veut aussi un article qu'il pourrait publier. Vous dire comment il me laisse ma chance, et je passerais à côté? Il m'a dit qu'il n'y avait pas de poste de journaliste libre pour longtemps, mais veut un article. Je pense qu'il sent que le journal à un problème et que du sang nouveau ne ferait pas de tort. Mon Dieu oui, c'est bien une chose surprenante, mais je sais exactement ce que je ferais de ce journal pour qu'il devienne potable. Premièrement, chaque titre devrait être accrocheur et suggestif. Il faudrait abandonner le style plain et télégraphique qui caractérise tant les textes qui se veulent tellement objectifs et qui ne rapportent que les faits simplements, que l'on se fout pas mal de ce que ça dit. Aussi, on a droit à du réchauffé, surtout pour l'éditorialiste. Ce que l'on retrouve dans Le Droit, c'est ce qu'il y avait la journée d'avant dans le Citizen. Il

- 424 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

faut être sur le terrain mes amis! Il faut aller les chercher les nouvelles, il faut penser par soi-même aussi! Je vais aussi parler au je, je ne veux pas écrire des articles insipides d'information, je veux dire mes opinions, mais il me faut être crédible dès le départ. Faire sérieux. Intellectuel sérieux. Pfouif! Lalalilarère! Je ne suis plus certain si je veux cela. On dirait une ligne de parti où tout est défini d'avance, où on peut pas s'exprimer librement parce qu'on est jugé par tous et chacun, les monstres des autres journaux Québécois, je vois déjà le tableau. Ça me donne envie de sauter dans le journal Capital Extra, gay, où je pourrai vraiment m'exprimer librement sans être jugé.

Je me suis battu au téléphone avec ma travailleuse sociale en titre. Le bien être social mes amis, ce sont pour les immigrants, pas pour nous! Ils m'ont découragés deux fois, faut le faire. Cette fois je lui ai vraiment crier par la tête, lui demandant s'ils étaient là pour nous aider ou quoi!? Écoutez Monsieur Tremblay, vous avez fait ci, vous avez fait ça, j'ai jamais réentendu parler de vous, on garde pas les papiers indéfiniment, il faut recommencer le processus à zéro. Tabarnack! Tabaaaarrrnaaaaaaaaaaaaaaaaccccccccckkkkkkkkkkkkkkk! En plus, le système anti-feu se déclenche pendant que je lui parlais, je lui demande d'attendre, mes choses étaient en train de brûler sur le feu, j'étais dans mon bain en plus, j'étais tout mouillé, tout nu au bout du fil, elle disait qu'elle voulait pas attendre, qu'elle allait raccrocher, j'avais même pas encore commencé à crier, j'ai parouru 25 kilomètres en bicycle pour des christie d'emplois aujourd'hui, elle s'en fout pas mal, son seul but est que je laisse faire. Ben j'ai pas envie de laisser faire, s'il me faut juste encore cinq jours plus trois de calvaires à chercher un emploi et avoir du BS, je vais le faire! Demain je vais être là à 8h30. Combien de caves seront là à attendre en ligne? On va voir. Ils vont me dire que je dois téléphoner le lendemain, je vais téléphoner le jour même. Je vais demander une autre travailleuse sociale, prétextant que la mienne est une christ de bitch qui gagne trop bien son salaire. Ils voudront pas. Je vais leur dire que je crève de faim depuis novembre passé, ils vont dire qu'ils s'en foutent, le garde de sécurité (essentiel, je le sens) me dira de me contrôler avant de me jeter dehors, me disant de revenir lorsque je me serai calmé. Je ne me sentais pas si violent, j'ignore pourquoi le manège de la bitch m'affecte autant. Je n'avais jamais rencontré d'aussi grande merde dans

- 425 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

toutes mes relations avec autrui. Elle est l'employé modèle parfaite pour l'emploi en question. Elle en a de l'expérience, la maudite, alors que moi c'est la première fois que je vois qu'il me faille transiger avec des gens qui font exprès pour te mettre en colère. Je suis certain qu'ils enregistrent les conversations téléphoniques, sinon ils devraient, pour utiliser les menaces verbales en procès au cas on quelqu'un (pas moi, bien sûr) déciderait de la suivre un soir pour l'envoyer dans un précipice. Je me demande à quoi elle ressemble, oh mon Dieu, ce doit être terrible! Mais les chances sont grandes que je ne la verrai jamais.

14 août 1994

Michel Tremblay est un imposteur. Il a volé mon nom et dépavé ma voie. Il me montre cependant la route à suivre, si bien, que ça ne vaut plus la peine pour moi de prendre les mêmes embranchements, je n'ai qu'à prendre son dernier livre, me rassasier sur ce que deviendra ma vie.

Mais outre son enfance, Monsieur Tremblay a vécu bien autre chose. Et si son oeuvre est vraiment autobiographique, que penser de Sainte Carmen de la Main? Oui oui, Michel est travestie à ses heures, ou comme moi Michel a rencontré de ses bons amis qui du jour au lendemain accomplissaient leur petit numéro de drag queen au bar gai du coin.

Michel Tremblay est un imposteur, il m'empêche de me faire entendre chez les éditeurs, ceux-ci étant convaincus que Michel Tremblay n'a pas besoin de relève. Un ça suffit, me disent-ils. C'est que Michel Tremblay a pris mon nom, l'a rendu célèbre quelques années avant que j'arrive au monde, et voilà que l'on me chante que je suis un imposteur? Quoi? Un autre Michel Tremblay qui écrit du théâtre homosexuel et qui veut nous écoeurer avec sa vie de malade mental? Je réponds donc qu'il existe une différence, mon nom est Roland-Michel Tremblay, et que ma vie n'est plus considérée comme une maladie mentale en Amérique du Nord. Mais effectivement, moi aussi je voudrais raconter ma vie au peuple dans des livres, moi aussi je voudrais voir une de mes pièces de théâtres jouée, surtout celle qui redéfinit le concept de la famille traditionnelle. En un mot, moi aussi j'ai le droit qu'un

- 426 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

monsieur Hébert me laisse ma chance. Parce que moi j'ai pas eu autant de chance que Michel Tremblay. Parce que moi j'ai eu aucun contact pour trouver un emploi même après un diplôme en littérature à l'Université d'Ottawa, et que moi, tous les éditeurs ont refusé mes six manuscrits, et que ma pièce de théâtre, on la juge non pas vulgaire, mais loin du théâtre traditionnel, et que moi, mon ami André Brassard (Joël Beddows, metteur en scène homosexuel), au lieu de m'encourager et de faire des pieds et des mains pour tenter de monter ma pièce, ne trouve même pas le temps de la lire, sans toutefois s'empêcher de m'en faire des commentaires. Moi, je n'ai plus rien à attendre du monde des Arts au Québec, ils m'ont littéralement craché dessus, ne m'ont jamais tendu de perche, m'ont même demandé 75$ et 100$ pour des analyses destructives de mes pièces de théâtre (Cead). Parce que la vie est injuste? Parce que mon nom ne leur revenait pas? Et que fait l'imposteur pendant ce temps? Il voyage! Il est, paradis terrestre, à Key West, écrivant et vendant ses souvenirs au monde entier.

Pendant ce temps, lorsque j'avais 9 ans, un gros livre vulgaire traînait sur la table. Michel Tremblay que l'on disait, et on en lisait des gros bouts: «Toi ma grosse calice de tabarnack...» Puis après, ce fut les cours de littérature à l'Université, Michel Tremblêêê par-ci, Michel Tremblêêê par-là... Puis les cours de théâtre québécois: «Voici l'arbre généalogique de l'oeuvre de Tremblêêê!» et à chaque fois j'étais embarrassé parce qu'à chaque parole ou commentaire, je me sentais visé. Et tout ce beau petit monde maniaque de Tremblêêê, des étudiantes aussi, pour nous raconter sa vie et son oeuvre en long et en large, radotant tous et toutes la même chose (de l'archi faux je suppose), un travail de maîtrise ici, un travail de docte-rat par là, Christ! Y'é toujours ben pas encore mort maudit! Pis moé là-d'dans? Vous en avez un là just' à côté d'vous autres pis vous voulez rien sawoir? Moé ma grosse mére vous intéresse pas? Pourtant j'ai des histoires croustillantes à conter là-d'sus. Moé ma mére m'a crissé dehors d'la maison à cause de son nouveau chum ivrogne qui avait essayé de se pendre parce que j'écoutais le Requiem de Mozart au boutte dans ma chambre: «Toé avec ta grosse musique de mort! J'veux pu jamais t'voér la face!» (Version romancée bien sûr, moi aussi j'aime ça exagérer, en fait, elle a dit: «Toé mon p'tit diable cornu avec des seins de tôles, j'veux pu jamais t'r'voir icitte, c'é tu clér?»). Mais ça, ça intéresse le monde

- 427 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

juste quand ça fait quarante livre qu'on écrit, pis qu'on a toujours une de nos pièces qui joue dans n'importe quelle grosse ville du coin. (En ce moment à Ottawa, c'est Marcel court après les chiens [sic]).

Alors, ça va les vacances? Parce qu'écrire ce que vous écrivez en ce moment, c'est pas du travail, c'est du plaisir. On me l'a reproché ça aussi: «L'auteur essaye de se faire plaisir!» Et comment! Comme disait le grand oublié de la littérature, parce qu'il était homosexuel (oh horreur!), Yves Navarre (mon auteur préféré [sic], (il parle de Paris la Grincheuse, moi je parle de Montréal la Grinçeuse): «Ainsi l'expression d'écrivain homosexuel. Il n'y a pas d'écriture homosexuelle. On est écrivain et homosexuel. On naît écrivain. On ne le devient pas. L'écriture ne procède pas d'une décision, d'un délibéré, d'un appel de marché. Ça vous tombe dessus, tout de suite et pour toujours. C'est une condition inhumaine.» (Les carnets de Navarre dans le Devoir). Voilà, cela veut tout dire. Soyez gré Monsieur Tremblay de croire que je n'écris pas du théâtre homosexuel parce que vous m'avez précédé et que j'ai été influencé par votre nom lancé à tort et à travers un peu partout, mais bien parce que notre Dieu tout puissant l'a bien voulu ainsi. Vous êtes chrétien monsieur Tremblay (sachez que la loi divine naturelle accepte désormais l'homosexualité mais non l'acte homosexuel [sic]) et que si le destin vous a mis sur mon chemin, je compte bien apprendre vraiment ce que j'ai à apprendre de vous, puisque je vous connais tellement, que vous ne me connaissez nullement, et qu'à bien y penser, ce n'est ni par les critiques, ni vos amis ou pseudos, ni vos Anges cornus avec des ailes de tôles ou vos Belles-Soeurs qui m'apprendront vraiment pourquoi vous êtes sans cesse sur mon chemin alors que moi je ne le suis pas. Croyez-vous possible que je puisse entreprendre une carrière d'écrivain homosexuel au Québec avec un tel nom?

Roland-Michel Tremblay

2316, rue Ryder

Ottawa, Ontario

- 428 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

K1H 6X5

(613) 521-8906, 226-4070

1891, rue Lapointe

Jonquière (Québec)

G7X 5J4

(418) 542-2032

16 août 1994

On m'a légué un nouveau travailleur social. Son répondeur ne parle qu'en anglais, cela me faisait royalement chier, parce que le jour même, la femme au comptoir, la seule, pparlait pas un mot français et il m'a fallut m'exprimer dans une langue débile, tous mes démêlés avec la justice gouvernementale. Je pensais franchement que Stéphane Viau allait être le top des plus méchants. Celui qui ne rappelle pas, qui est le pire de tous, l'intraitable, l'imparlable. J'allais alors ne pas me justifier une miette, faire tout ce qu'il allait me dire sans broncher. J'ai appelé jeudi, j'ai laissé un message, j'ai rappelé lundi, j'ai laissé un message, il m'a rappelé dans l'après-midi du lundi. Il parlait français, avant qu'il ne dise un mot je lui ai expliqué que je comprenais que leur but était de nous décourager dans les rouages de leur labyrinthes, mais que là, ça faisait plus d'un mois que j'étais perdu dedans et qu'il fallait m'en sortir avant d'en mourir. Surprenant, il a accepté ma semaine de recherche d'emploi de la semaine d'avant, plutôt que de m'en demander une autre. Il m'a fait juste un peu de morale, mais c'est rien comparativement à l'autre. J'ai pris aucune chance, j'ai continué à chercher des emplois hier et aujourd'hui. Je le rencontre à 2h30 ce mardi, aujourd'hui, il me faut emmener la liste des choses suivantes: le plan suivi de ma recherche d'emploi depuis le 20 juin 1994 (depuis le début de l'été!), ma carte d'assurance sociale, ma carte d'assurance maladie, mon certificat de naissance, mon permis de conduire, mes carnets de comptes de banques mis à jour, mes relevés de carte de crédit mis à jour, ma facture du compte d'Hydro Ontario, copie de mon bail et de ceux des dernières années, mes talons d'assurances chômages, des chèques personnalisés, les lettres que j'ai envoyées à Danielle

- 429 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Robinson et M. Boily lors de la crise et mon départ à l'emploi du musée cet été, et tout ce qui pourrait m'aider dans ma demande d'argent au gouvernement. Je vais donc emmener en plus: mes déclarations d'impôts des deux dernières années, des factures d'épiceries, curriculum vitae, lettres de mes employeurs, l'état de mes dettes, billets de médecins pour mes allergies, etc. Le gouvernement va faire l'enquête du siècle sur mon cas, il me sera impossible de leur cacher quoi que ce soit dans l'avenir. J'ai la nette impression qu'ils vont téléphoner mes roomates pour vérifier certaines informations. Ils ont voulu avoir le numéro de téléphone de ma mère, je suis convaincu qu'ils vont l'appeler. J'ai bien envie d'arrêter toutes les procédures maintenant. Me faudra-t-il me déplacer pour aller chercher les chèques? J'ai mal au ventre tout-à-coup. J'ai vraiment envie de laisser faire. Je ne veux que l'on m'étiquette comme un BS. Ah, ils ont bien fait leur ouvrage, même le premier ministre disait dernièrement, pour amplifier le préjugé, qu'il fallait trouver de l'emploi aux chômeurs qui buvaient leur bière en face de leur TV et qui font rien de productif pour la société. Voilà, je suis un gros saoulon qui fout rien et qui profite de la société. Il me viendrait jamais à l'esprit que je paye beaucoup de taxes et que je vais payer de l'impôt ma vie durant la moitié de mon salaire, pour venir en aide à ces sécurités sociales. Voyez le beau système. On aide les gens qui en ont besoin, en leur crachant dessus et en leur faisant clairement comprendre que c'est par mépris qu'on les aide et qu'on veut pas qu'ils mendient dans les rues, et patati et patata. Aider les pauvres, c'est comme lutter pour faire reconnaître l'homosexualité. Personne veut rien savoir jusqu'à ce qu'on leur fasse comprendre que c'est immorale de pas les aider et que leur conscience va en manger un coup. Et même là, c'est pas le peuple qui décide d'aider, c'est le gouvernement. Le peuple n'en a rien à foutre si le trois-quart de la planète crève de faim. Moi non plus d'ailleurs. J'en ai assez de m'inquiéter avec moi. Mais il faut avouer que c'est vrai qu'ici on a de la chance. C'est vrai que l'on a beaucoup de possibilités et qu'à se trouver un emploi, on arrive vite à bien vivre. On peut pas en dire autant du reste du monde. On devrait pas dire qu'en Amérique nous sommes libres ou riches, on devrait dire qu'en Amérique, on est un peu plus libres et moins pauvres qu'ailleurs.

C'est maintenant certain, je vais déménager chez Bruno en septembre. Ils me chargeront 150$ par mois. Une risée. C'est trop beau pour être vrai. Mais la mère de Bruno m'a

- 430 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

téléphoné ce matin, et j'ai pas aimé cela. Voilà qu'elle commence à comploter avec moi dans le dos de Bruno. Je me suis terriblement senti embarrassé. Elle me proposait de demeurer dans le sous-sol avec Bruno, qu'ils nous laisseraient le grand salon comme chambre, qu'ils monteraient la TV en haut, (qu'elle pourrait ainsi faire son lavage plus facilement et du même coup se débarasserait de Bruno qui bouffe trop sans payer beaucoup), on aurait ainsi plus d'intimité, c'est pour notre bien. Mais j'ai nettement l'impression que c'est de son intimité qu'elle parle, pas la nôtre. J'ai vite appelé Bruno pour lui dire cela, je n'allais tout de même pas jouer le jeu et attendre qu'elle lui en parle et que Bruno tout à coup se rende compte que moi et sa mère on avait pris une décision et que maintenant on la lui proposait (l'obligeant ainsi à dire oui). Mais je savais et j'avais raison que jamais Bruno voudrait dormir au sous-sol, pire, Bruno s'imagine que je vais aller dormir en haut. Bruno veut non seulement continuer à vivre en haut, mais il veut que je sois un membre de la famille, c'est-à-dire, que je vive en haut moi aussi. Les parents ne pensent pas comme cela, et moi je veux effectivement mon intimité. Je veux surtout pas devenir le membre d'une famille où les décisions se prennent sans qu'on le sache pour constater ensuite l'ampleur des dégâts. Je commence à regretter l'idée de déménager là. Bruno dit que c'est temporaire: temporaire jusqu'à ce qu'on réussisse dans la musique peut-être? Ça fait six ans que j'essaye de me faire publier, pense-t-il qu'il va décrocher un contrat cette année? Sa dernière idée comme nom: Fallen Temple. Beeeeeuuuuurrrrrkkkkkkkk! Oops, il me faut aller rencontre mon nouveau travailleur social. On verra bien...

Ouh là là... Il m'a reposé exactement les mêmes questions qu'au téléphone. Le petit bureau où l'entrevue prenait place, j'avais l'impression que l'on enregistrait notre conversation. Il m'étais impossible de regarder de l'autre côté du comptoir, la prochaine fois je risque le tout pour le tout et s'il ressort encore pour photocopier toutes les cochonneries que je lui donne, je regarderai. Bref, ils ont monté un vrai dossier sur moi, puis il m'a dit tout simplement, revient jeudi après une heure, il y aura un chèque pour toi. Quoi? Ce serait aussi facile que cela? Après les préliminaires, je m'attendais à ce qu'il ne me reçoive pas, comme l'autre gars de l'autre jour. Je pensais qu'il m'inviterais à une deuxième entrevue après qu'ils aient appelé mes références. Je pensais que cela prendrait, comme pour l'assurance-

- 431 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

chômage, deux mois avant de déboucher à un chèque palpable. Mireille avait raison, si je n'avais pas été rebuffé par la folle la première fois, j'aurais fait mes cinq jours de recherche d'emploi en me fermant la gueule et j'aurais vite eu de l'Argent. Pire encore, si j'avais pas quitté un emploi, ils m'auraient donné un chèque sur le champ, comme à Mireille. Et Mireille avait une automobile en plus, ils lui donnaient de l'argent pour cela aussi. Et si c'est vrai qu'un sur quatre des gens dans l'Outaouais reçoivent le Bien-être, et que c'est souvent toute leur vie qu'ils le reçoivent, y'a un problème. Il faut compliquer les procédures, il faut vérifier si les gens se cherchent bien un emploi. Je m'attends à ce qu'ils me rappellent bientôt pour vérifier ma recherche d'emploi. Je vais d'ailleurs continuer à chercher, mais je vais laisser faire les jobines de serveur en espérant qu'ils ne m'appeleront pas. Je vais me concentrer sur un vrai travail professionnel dans le champ duquel j'ai étudié. Sinon un travail plus intellectuel, comme dirait la mère de Bruno. Quand je pense que j'aurais pu avoir de l'Argent durant tout l'été, mais je ne regrette pas de ne pas en avoir eu, j'aurais eu mauvaise conscience même si en fait, j'en avais vraiment besoin. Ça m'a semblé difficile, mais c'était illusoire. Mais c'est facile de dire cela après coup. Et Nicole Gauthier, elle, je ne l'oublierai certainement pas. Bref, mon expérience a été traumatisante. Et je parle pour ceux qui voudraient profiter de ces sécurités sociales, je dis que parfois c'est plus simple de se trouver un emploi que de courrir à essayer de bénéficier des sécurités et de remplir les conditions et exigences qu'ils demandent. En fait, c'est pire de se chercher un emploi que d'en avoir un. Ils disaient que c'était un emploi plein temps que de s'en chercher un, c'est pire je dirais. Et je me limitais en plus. J'en gardais pour le lendemain pour être certain d'en avoir encore au moins deux chaque jour. Imginez celui qui à chaque jour en fait le maximum? Ça commence par le curriculum vitae qui n'en jamais à jour. L'imprimage, le photocopiage, l'achat des journaux, la vérification des petites annonces, les téléphones, se rendre pour aller porter les CV, ou les poster, attendre les téléphones, aller aux entrevues, parfois deux entrevues suivies d'un refus, après cela arriver à l'emploi à genou en remerciant l'employeur de la chance immense que l'on a eu en rapport à l'obtention de ce que l'on ne tardera pas à découvrir comme étant le pire calvaire de notre existence, pleurer, lâcher sa job, recommencer, ou pire, continuer à travailler en même temps que de poursuivre sa recherche d'emploi. C'est plate la vie.

- 432 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

C'est fini, Bruno veut plus que j'emménage chez lui. Son père est venu lui dire qu'à l'avenir il faudrait que l'on soit discret, parce que quand on fait l'amour, tout le monde le sait. Bruno est entré en dépression. Ainsi ses parents nous entendent faire l'Amour depuis deux ans et n'ont jamais rien dit? Ça les fatigue comme c'est pas possible et ils ont attendu d'être aussi malpris pour oser en glisser une phrase? Bruno voulait mourir, il se demande maintenant s'ils ne l'entendent pas se masturber, et puis moi je me demande s'ils ne l'entendaient pas parler au téléphone. Ce que reviendrait à dire qu'ils en savent long sur notre vie les maudits. Je ne comprends pas. Ils nous demandent d'être plus discrets, d'un autre côté ils nous surveillent, nous épient, nous écoutent tant qu'ils peuvent à notre insu. Combien de fois quand moi et Bruno on est dans une pièce, tout à coup voilà sa mère qui arrose les fleurs justement sous la fenêtre? Ou son père qui fait semblant de s'occuper à quelque chose tout en essayant de voir ce qui se passe? La dernière c'est quand Bruno prenait sa douche dans le sous-sol et que j'étais dans la salle de bain à me brosser les dents. Tout-à-coup voilà son père qui essaye d'entrer, sachant très bien que Bruno prenait sa douche. Et toutes les fois où voyant mes souliers à la porte d'entrée, cet hiver, son père s'est essayé à venir porter genre, le sac à dos de Bruno dans la chambre, espérant une bonne fois frapper une porte qui n'était pas barrée? My god, ils sont curieux et nous reprochent leur curiosité. Il me semble les voir en train d'essayyer de nous écouter quand on parle, ces gens sont hypocrites, et j'ai la nette impression qu'ils sont moins hypocrites que les autres, c'est ça le pire. Ou peut-être qu'ils ont de la difficulté à cacher leur jeu? Bref, ça ne me tente pplus tellement non plus de déménager, c'était trop beau aussi, 150$ par mois, c'était le paradis. Bruno disait aussi qu'il avait besoin d'une escape pour fuir la maison, et que chez-moi c'était bien. Mais c'est pas lui qui paye la différence de 250$ à chaque mois (je n'aurais plus à payer le téléphone et l'électricité). Mais je sens que cette histoire n'est pas encore terminée. On en reparlera.

Edwin m'a téléphoné. Je n'ai plus aucun sentiment pour lui. C'est même incroyable, après en avoir tant eu. Même pas une petite flamme. Je ne cacherai pas que sa vie sexuelle active avec le beau peuple de New York m'a franchement écoeurée. Ils sont si beaux!, dit-il,

- 433 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

j'ai couché avec, insiste-t-il. Tant mieux! Bruno! Viens à ma rescousse! Parce que c'est vrai que je l'aime mon Bruno. Et c'est vrai que je n'ai plus l'intention de le tromper. J'avais vraiment des sentiments pour Ed, je ne m'explique pas pourquoi ils sont morts alors que pour lui, ça l'est pas encore. Il m'a répété qu'il m'aimait, que je lui manquais, qu'il voudrait me revoir, qu'il parle de moi à tous ses nouveaux amis gays qui lui apprennent à s'accepter davantage... il m'a même demandé trois fois de quitter Bruno pour aller le rejoindre à New York. Que je pouvais rester aussi longtemps que je voudrais dans son appartement qu'il va bientôt habiter. J'avoue que cette offre ne me tente pas du tout. J'aime mieux mourir de faim ici avec Bruno, en admettant que le chèque de bien-être ne sera pas si élevé que je l'espére. À bien y penser, il pourrait bien être de 50$ ou moins. Ça m'en ferait une belle épicerie cela! Bref, je ne mets pas en doute les sentiments d'Ed, mais je pense qu'ils viennent par bourrée, quand tout à coup il s'ennui et pense à moi. À moins que ce soit haque jour la même chose? Qu'en effet, il pense toujours à moi, chaque jour, ne fait que parler de moi, etc.? Puis-je le croire? Quelle importance cela a-t-il de toute façon? Pour le moment je devrais essayer de mesurer le fait qu'Éric, l'ex-chum de Bruno, rappelle à chaque deux mois, et j'ignore totalement ce qui se dit dans ces conversations. Je me demande si Éric ne serait pas en train de faire comme Ed, faire des grandes déclarations d'amour à Bruno, i dire comment il l'aime et l'a toujours aimé et veux retourner avec lui le plus tôt possible. C'est possible, le pauvre est toujours sans chum. La vie est complexe pour celui qui prend le temps de l'analyser le moindrement. Si ce journal aurait un mérite, ce serait celui de me faire penser à diverses hypothèses sur différentes actions ou événements. Il s'agit en fait d'un travail de déduction qui m'amène à voir plus clair dans les mensonges d'autrui. Mais ne serais-je pas en train d'exagérer, voir des mensonges où il n'y en a pas? Ce serait grave parce que j'en viens à influencer les gens autour de moi, en leur faisant voir un deuxième côté de la médaille, toujours. Bruno commence à me croire quand je lui affirme que ses parents en ont gros sur le coeur et qu'ils sont incapables de communiquer et que quand ils diesnt quelque chose, il faut toujours voir plus loin, qu'en fait, ils cherchent toujours à nous faire comprendre quelque chose. Ainsi il commence à voir que ses parents souhaiteraient peut-être un peu d'intimité, sans toutefois que Bruno parte au bout du monde. Ah, les compromis, y'a qu'ça dans vie. Demain, ce sera ma première journée de vacances depuis le 18 août. Je ne recher

- 434 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

cherai ni un emploi, je ne rencontrerai ni travailleur social, ni je ne travaillerai sur le toit chez Bruno. Il me faudra maintenant passer au travers de ma bible, cela avance, et lire Cubase. Dieu merci, j'ai passé au travers le livre du Synthétiseur Roland la semaine passée. Ah oui, il me faut écrire encore une couple de paragraphes pour la chanson de Bruno. Cette fois je vais penser longuement, cette nuit tient.

24 août 1994

Les deux pires choses qui existent dans la vie d'un homme, c'est premièrement les autobus de ville, et deuxièmement les emplois à temps plein au profit d'un autre et qui ne rapporte pas. Et même si ça rapportait, y'a rien de pire. Il s'en est passé des choses depuis le 16 août. Maintenant, je vais laisser deux espaces après chaque point et je vais faire des è au lieu des ê. Parce qu'après avoir reçu un gros 168$ du bien être, comme prévu par moi et les services sociaux, j'ai décroché l'emploi de rêve: 11,50$ de l'heure, nécessite une parfaite maîtrise de la langue française, retranscriptions de nouvelles audio-visuelles sur papier. C'est merveilleux parce que j'ai pas la technique pour écrire rapidement sur le clavier lorsque je regarde pas le clavier. Or, il m'est permis de sans cesse regarder le clavier, so it was the perfect job. The only problem is that it will kill me. C'est déjà moins pire que l'école additonné d'un emploi qui rapporte rien, mais c'est psychologiquement infernal parce que c'est ma vie! Plus moyen de s'en sortir, toute ma vie je pouvais entrevoir la lumière au bout du tunnel, me dire que j'étais étudiant et que c'était normal de souffrir, de pas manger à ma faim, d'arriver crever mort après des journées de 16 heures. Mais là je n'ai plus aucun espoir. Dans trois mois, si je survie jusque là, le dentiste me sera payé en partie. Il me faut arriver à écrire au moins 60 pages par jour. Je fais de moon mieux, je n'arrive pas à en faire plus de 15 à 20 par jour. Sinon, je peux doubler en corrigeant à moitié, alors il y aura des erreurs et puis ils ont l'air de s'en foutre. Le mieux serait d'écouter une seule fois la cassette, l'écrire intégralement sans même la reculer une seule fois (il existe certains passages que j'écoute au-dessus de cinquante fois, d'autres qui me réfèrent dans les dictionnaires et Atlas du monde entier) puis la faxer ipso facto. Serai-je à la hauteur? I guess so, but not now. Le sous-boss, je l'aime vraiment pas. Tout ça parce que je pense qu'il a un préjugé.

- 435 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

D'homme à homme et d'homme à femme dans un bureau, c'est tout à fait différent. Campbell, dit Cam, ne semble pas me digérer. Ce sont mes cheveux je suppose, ma jeunesse peut-être, mon habillement, pourquoi pas. L'autre petit con sans envergure, me fait penser à Daniel Poliquin. Daniel, le seul auteur franco-ontarien qui a réussi ailleurs que dans sa province, et qui doit tout de même travailler comme interprète au parlement. La vie est un calvaire. On fait jamais ce que l'on veut faire. Aujourd'hui dans l'autobus, je me disais que tant qu'à travailler dans ce calice de bureau laite pendant 15 ans, comme les conasses avec qui je travaille, j'aimerais mieux coucher avec des gros boss de compagnies de disques et de film Kodak comme mon beau M. Eastman: donnez-moi mers et monde et je vous embrasserai le trou de cul! Et pourquoi pas, ils sont humains eux aussi, et la vie est tellement plate que la prostitution me semble représenter la vraie vie active, la vie facile. J'exigerais que l'on me suce, il est toujours plaisant de se faire sucer, même par un chien en fait. Oui, Cam et les grosses anglaises s'entendent bien. Cam et RM s'entendent pas. Cam et Denis se disent bonjour mais pas davantage. Chris et les filles, ça clique. Rm et Denise, ça flash tellement que la famille traditionnelle s'en vient avant consommation entière des relations de travail. En effet, elle se sent obligée de me sourrir à chaque fois que je la regarde. Elle m'aime et moi qui ait justement peur de ne pas être à la hauteur. M'aurait-elle engager pour mes capacités ou ma beauté? Elle s'est dit, oh la fraîche chair tout droit sortie de l'Université, je passe pas à côté de cela. Une femme est venue passer une entrevue lors de mon deuxième jour de travail. Sacrement, elle s'est mise à taper sur le clavier, on a dû arrêter le fan, ça faisait trop de vent. Et un français impeccable mes amis! J'ai passé proche d'y dire qu'elle était trop compétente pour le poste et qu'il fallait qu'elle quitte immédiatement les lieux. J'ai l'impression que Denise regrette son choix. Mais bof, un gars à travers la masse de femmes, surtout des grosses, ça fait du bien. Il y a autant d'hommes que de femmes dans le bureau, mais fait curieux, les hommes sont tous aux postes plus élevés, les femmes en bas de l'échelle. Je crois que je vais bientôt monter en grade. En vingt ans je serai le patron de la compagnie. Un poste d'Éditeur va s'ouvrir, il s'agit de revoir à tous les articles déjà envoyés par fax, les réimprimer, puis les envoyer. C'est déjà plus élevé que mon travail actuel, j'espère que ce sera moi qui l'aurai, comme Denise m'a dit que je serais qualifié. Les trois ou quatre femmes francophones qui travaillent à la transcription sont toutes minces,

- 436 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

désinvoltes, fatigantes, fumeuses qui ne se gênent pas pour nous étouffer le soir alors que c'est strictement interdit, flâneuses, terminant 15 minutes avant le temps, etc. Les deux anglaises avec qui je travaille de jour sont toutes les deux gigantesques, habillées en habits d'éducation physique, la bouche en trou de cul de poule, travaillent comme des acharnées, ne prenant ni break, terminant une demi-heure après l'heure. Naturellement, le fossé est à la hauteur de la grosseur des grosses. Tout ce monde se méprise, ne se demand rien. Les anglaises ne semblent pas vouloir profiter de moi, ce qui n'est pas le cas des françaises. Le problème c'est que les trois ou quatre françaises ont toutes essayées d'avoir le poste plein temps durant le jour plutôt que le poste à temps ppartiel et sur appel le soir. Aucun ne s'est qualifiée pour le poste. Et voilà que je tombe du ciel. Toute la journée du mardi j'ai dû me battre avec Valérie pour l'arrêter dans son élan, elle a tenté toute la journée de prouver mon incompétence, sa supériorité en tout, me montrant de A à Z tout ce qu'elle savait sur l'ordinateur. Pourquoi? Pour ensuite pouvoir crier à qui voudra peut-être l'entendre: c'est lui qui a le poste et c'est moi qui doit tout lui montrer! Ta folie ne te servira à rien, sinon à me montrer les trucs pour faciliter ma tâche. Elle ambiitionne vraiment, il me faut sans cesse mesurer ce qu'elle me dit, heureusement, la semaine prochaine, date où j'aurais dû commencer, elle travaillera de soir. J'ignore si je serai le seul à faire du français pendant que les deux grosses feront leur anglais, j'espère que oui, parce qu'alors ce sera plaisant. Heureusement que ma bosse immédiate est gentille. Ça toujours été mon problème, je me suis toujours bien entendu avec les subordonnés, jamais les patrons. Mais les patrons s'entendent-ils même avec leurs subordonnés? J'ai crissement hâte à la fin de la semaine. Je sais que le 4 septemebre il y a congé, I can't wait til then!

Il me faut vraiment travailler sur mon livre si je veux pas faire cela toute ma vie. Il faut absolument que Bruno et moi on réussisse dans la musique, parce que je veux pas moisir dans un bureau. Liberté! Liberté! Je suis l'auteur des Champs Verts, croyez-vous vraiment que l'on puisse m'enfermer dans une tour? Autant mettre un chat dans un micro-onde, le faire cuire 40 heures et croire qu'il n'explosera pas.

Je déménage chez Bruno en fin de semaine! J'aurai donc changer ma vie du tout au

- 437 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tout, en une seule semaine... du bien-être social au gros bonhomme riche complet cravate qui va se payer une voituure neuve en investissant dans un REER pour pouvoir achever de me cuire le cerveau à Miami dans mes vieux jours. Heureusement j'ai l'intention de pas moisir là trop longtemps. Je suis même prêt à laisser Bruno si je ne vois aucune porte de sortie à moyen terme. Heureusement, je n'ai pas besoin de porter de complet cravate, ce doit être un des seuls bureaux de la ville où l'on peut s'habiller comme on veut. Du moins, je n'ai pas encore entendu parler d'un code à cet effet. C'est extraordiaire, aussitôt que tu as un travail à temps plein, tu es tellement bien protégé que tu te demandes comment ils arrivent dans leurs comptes. Seuls les riches sont autant protégés, le dentiste payé, les médicaments payés, les congés maladies payés à long terme, les congés payés tout le temps, protection pour l'avenir, service d'avocat, pension, le tout est doublé pour le conjoint et les enfants, bref, vivre ne me coûtera plus grand chose si je réussis à m'accrocher à cet emploi. C'est effrayant de voir jusqu'à quel point les étudiants font pitié. Mais c'est encore pire de pas être étudiant et ne pas être dans une compagnie dont les employés se sont surprotégés, parce qu'il existe encore quelques spéciaux pour les étudiants, par exemple les cartes d'autobus, mais ça se limite à cela. Je méprisais tellement John, me voilà à soon niveau, et même plus bas. J'étais un ver de terre, me voilà devenu néant à travers la masse. Et moi qui rêvais encore voilà pas longtemps de partir pour Paris, New York, Vancouver, Toronto, Montréal, mais je sais bien que la vie serait la même qu'à Ottawa si c'est pour s'enfermer dans un bureau. Merde! J'oubliais que le rédacteur en chef du journal le droit voulait que je le rencontre lundi! Que faire? J'ai pas eu une seule minute à moi! Il m'est impossible d'écrire un article pour lui...

La vie est tellement plate, je vais recommencer à penser au suicide. Peut-on éternellement vivre de rêve et de chimères? Et quels sont mes rêves exactement? Je n'en ai plus. J'essaye de penser, rien ne me vient à l'esprit. Je suis vide, complètement vide. C'est vrai que l'homme tend vers la mort et que c'est grâce à son instinct de survie qu'il tough jusqu'à son heure. Mais l'instinct de survie, c'est la motivation. Et je n'en ai plus aucune. Je n'en ai jamais eu, peut-être mes champs verts finalement. Des écrits si puérils, on se demande pas pourquoi ça intéresse aucun éditeur. J'ai envie de faire un test, l'envoyer à un éditeur

- 438 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

en me faisant passer pour le conjoint défunt de l'auteur. Bof, rien ne me tente. Mort.........................!

25 août 1994

Y'a pas que...

3 septembre 1994

J'ai rien à dire. Il fait trop froid dans ce sous-sol pour que j'écrive. Voilà, j'ai mis des gants. J'ai appris à fonctionner avec Word Perfect non windows, au début je capotais, mais maintenant je le trouve plus pratique que le windows. Je regrette d'avoir traité de grosse torche, dans mon journal, Marlène. Je trouve que les gros méritent du respect parce qu'ils souffrent plus que les homosexuels. Quelqu'un qui est gai, quand il en aura assez, il pourra toujours rencontrer quelqu'un. Mais un gros... mais si le gai ne veut ou ne peut rencontrer quelqu'un? Il est possible que ça dépende des gens, mais chose certaine, les gros souffrent beaucoup, aussi, je ne rirai plus d'eux. Mais y a t-il une loi qui fasse que je ne doive plus rire d'eux parce qu'ils souffrent? Laissez moi rire. Je suis gai, on rit de moi à chaque coin de rue, je peux encore me cacher, mais les gros ne peuvent pas. Il sont à la merci du premier crétin. Et puis après? Il faut rire de tout dans la vie, même des gros, même des tapettes. Hola les grosses tabarnack! Bienvenue in the real wolrd! 16 ans à 12$ de l'heure! Refus de monter dans la hiérarchie, jusqu'à redescendre pour laisser la place à l'autre crétin. Ma belle Denise est enceinte! Un gros nono y a tremper son pinceau et l'a mise enceinte! Un être immonde va sortir de ce ventre! Le premier bruit qu'il fera sera: Woooaaaaaa! Et elle, ma belle Denise, elle va jouir. Parce que les femmes, quand elles accouchent, c'est pas vrai qu'elles souffrent. Elles jouissent mes amis! Et c'est ça le grand secret des femmes. C'est que quand elles accouchent, elles jouissent comme jamais un homme ne pourrait les faire jouir. Elles ne peuvent donc pas en parler. On les entend jouir dans un périmètre de trois kilomètre, ça fait peur aux hommes, tellement qu'ils ont cru qu'elles souffraient, les sots. Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte!

- 439 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte! Ma belle Denise est enceinte!

2 septembre 1994 (suite)

Suis-je en transition? Oui, voilà deux semaines je commençais ma vie de travailleur routinier en société, découvrant tout à coup un univers où les riches ou les biens nantis se sont surprotégés eux-mêmes, tentant de convaincre les reste que le bien-être social c'est pour eux, en n'oubliant pas d'y accoler une étiquette de dégoût. Sans s'en rendre compte, ils se sont développés les mêmes sécurités, mais c'est mieux vu. Ce lundi je vais être payé 23$ de l'heure, temps double. J'ai eu un chèque de 643$ pour deux petites semaines de travail. J'ai vite couru acheter trois cassettes vidéo de U2. Que je regrette, elles font dépressionner Bruno et moi de même. There is no point to listen to group that have been in the industry since 12 years. Ils ne font que nous montrer tout le chemin que l'on a à faire avant d'en arriver là. Même pour l'écriture ils me découragent. Plus que jamais je vois qu'il m e faut faire déboucher mon premier livre. Peu importe comment, voyez Michel Tremblay, il a fait publier son premier livre à cause d'une rivalité entre deux maisons d'édition. Ça l'a pas empêché de devenir le plus grand écrivain québécois. En fait, c'est pas le comment quelqu'un a pu réussir à entrer dans l'industrie, c'est comment quelqu'un s'est débrouiller ensuite. Comme disait Madonna, oui elle a été chanceuse d'être entrée dans la boîte mais il faut quelque chose pour y rester. Il me faudrait vraiment terminer ce livre. Oui, je suis en transition, voilà une semaine je déménageais chez Bruno. Voilà une semaine on a mis une annonce dans le journal pour trouver un guitariste et un drummer. On a rencontré une couple de crétins qui connaissait rien, ça a complètement découragé Bruno. Y'a fallu que je le soutienne et que je le bouste à agir. Il veut plus tellement rencontrer les gens. Je lui ai

- 440 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dit que ce serait difficile et peut-être même impossible de trouver du bon monde, mais qu'en foutant rien, on est sûr de rien trouver. C'est comme rechercher un emploi, c'est plein temps, il l'a pas encore compris. Je commence à lui faire remarquer qu'il faudra peut-être déménager. Je n'aurai aucun scrupule à laisser mon job. Écrire des conférences avec le ministre des Affaires extérieures André Ouellet, c'est pas tout à fait ce que je veux. En tout cas, il lira ce que je transcris, et je m'amuse bien à amplifier certains passages. Je mets tous ces I'm, I'm, I'm, I,m... et c'Est euh, oui, euh, euh... Pour bien montrer qu'il est tou fourré par les questions des journalistes, et habituellement les titres, je les fait accrocheurs. Il faut qu'il le lise cet article. Comme Ovide Mercredi qui a pas réussi à convaincre les premiers ministres de l'aider avec ses autochtones, le titre: Mercredi a échoué! Et je me retiens, j'écrirais: Mercredi, un échec désastreux et irrécupérable! J'écrirais la même chose pour les conférences de Jean Chrétien: Chrétien se gourre encore! Chrétien prouve une fois de plus combien il n'est point catholique! Chrétien, un homme fini! Ouellet, un pauvre type! Je découvre aussi toute la subtilité du journalisme. Rien de trop trop objectif. Même qu'une journaliste était en train d'exagérer hier sur la conférence avec l'Honorable André Ouellet. Elle était pro-Parti québécois et je capotais, le ministre aussi, il a littéralement explosé. Eh bien, on a coupé une partie de la conférence, juste au moment où cela devenait intéressant. And I don't know who did it. Mais il est très intéressant de voir que l'information ne circule pas tant que cela. Comme l'histoire du douanier qui a été arrêté près de Sherbrooke parce qu'il laissait passer tout plein de gros camions de smuggling cigarettes and alcool. Les gens de Sherbrooke ont eu une partie des informations et une version des faits. Ici à Ottawa ont a eu une autre version des faits et une autre partie des informations. On intérroge le sous-ministre de la commission de la gendarmerie royale du Canada, il en sait pas plus que le journaliste sur le sujet, des gars comme lui, j'en ai un Almanach tout plein, des sous-ministre et des adjoints et des présidents et des chefs et des sergents et des policiers et des enquêteurs et des responsables et des vice-ci et des vices-ça et ça se pavanne aux nouvelles et ça sait rien, sont là pour rassurer et dire que tout va bien, que c'est exceptionnel, que ça remet pas en question la confiance que l'on peut avoir dans les institutions, ça prouve que la GRC fait son travail et bladibli et bladibla. Pendant ce temps on sait rien de ce qui se passe vraiment et on sait que les douaniers vendus, il y en a un christ de paquet. On en a arrêté un

- 441 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pour satisfaire le peuple assoiffé d'histoires. Sont tous achetés ces gens-là, ça se sent, ça s'entend. Et ça ose pas parler, ça dit rien, ça fout rien. Écoutez, moi je fous pas grand chose en une journée de travail, les autres c'est la même chose. Ils foutent pas grand chose parce qu'il est pas possible de faire trop de choses en 7 heures de travail. On arrive 10 à 15 minutes en retard, on arrête pour aller fumer ou prendre un café, on arrête pour aller dîner, c'Est vendredi alors il faut que ce soit relax, et puis toute la bullshit qui va avec ça.

Prochaine transition, les musiciens. J'ai appris un minimum sur la musque, je dois pratiquer mes gammes, bientôt j'en saurais un minimum et ce sera déjà plus qu'une majorité qui s'amusent pendant 15 ans dans leur sous-sol à gratter une guitare et à se prendre pour U2. Christ! Pourquoi rêver quand il n'y a que le désespoir au bout du tunnel? Pouvoir au moins croire qu'on aura un jour un livre publié, que l'on deviendra un grand auteur, j'en doute et pourtant, je suis dans la bonne voie. Eux ils ne semblent pas en douter et ils n'ont aucun moyens. Moi, si je réussis dans la musique, ce sera pas que je l'aie tant voulu. Ce sera comme ça et puis c'est tout. Et ce sera grâce à Bruno, c'est lui qui aura réussi en fait. Moi c'est la littérature et c'est aussi important même si ça rapporte pas un sou. Je dois y aller, on va rencontrer un drummer de 18 ans, ce sera peut-être le bon. Bruno voulait rien savoir, préjugé de départ. Je force Bruno à y aller, on peut rien négliger. On verra.

7 septembre 1994

Voilà que je vais enfin taper à l'écran pour moi. En continuant mes erreurs d'accents, que voulez-vous. J'ai commencé le livre d'André Gide, Si le grain ne meurt, je suis captivé. Pourtant j'ai lu la moitié de la Symphonie pastorale et c'était d'un intérêt plat. J'ai acheté les Faux monayeurs par erreur, ça ne m'intéresse pas de le lire. Je pense que j'aime André Gide as long as I know he's talking about him and it's true.

10 septembre 1994

La place d'un écrivain est-elle dans un bureau du centre-ville à faire du 8 à 4? Un

- 442 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

homme qui écrit chaque jour de sa vie est-elle un écrivain même s'il ne publie rien? Pour ajouter à l'insulte, voilà que mon lecteur le plus assidu (il prend tout de même plus qu'un an pour lire mes mansucrits), Pierre Filion de Leméac édition me dit: «Votre nouveau texte [tu parles], d'une fantaisie grave et Baroque [(Lettres de R.M.)] et d'une longueur encore timide, demeure difficile à publier car son public sera extrêmement restreint. Je crois qu'il vous faut continuer l'exploration de votre univers, et canaliser votre force dans un genre plus défini. Vous n'avez pas encore trouvé le genre littéraire qui convient à votre conscience littéraire». J'ai de la misère à comprendre ce qui peut l'amener à me dire une chose pareille. Christ, on peut tout de même pas dire n'importe quoi à n'importe qui? D'abord, c'est quoi un genre plus défini? Balzac? Michel Tremblay? Et ce mot baroque qui revient à l'occasion, est-ce que tout ce qui est pas comme Balzac ou Tremblay est nécessairement baroque? Soit, si c'est là le mot qui va définir ma littérature, je l'accepte en attendant d'en trouver un meilleur. Parfois, il ne faut pas chercher de midi à quatorze heures, on ne peut pas insérer toute oeuvre sous la banière d'un des grands courants. Et puis j'aime mieux Baroque qu'Absurde. Comment peut-il dire que mon public sera restreint? Il suffit d'un best-seller pour t'amener un public non restreint. Et puis la longueur timide, aurait-il souhaiter que je l'assomme de Lettres de R.M. pendant 400 pages? Il y aurait eu de quoi provoquer des suicides, je vois déjà les titres dans les journaux: toute une génération se suicide après avoir essayé de lire Les Lettres de R.M.! Je n'ai pas encore trouvé le genre littéraire qui sied à ma conscience littéraire, sacrament! J'ai plutôt l'impression que lui, Pierre Filion, ne s'est pas encore ouvert les yeux aux différents genres littéraires de la planète et que sa conscience littéraire doit être pas mal lourde. D'habitude je ne fais pas de cas pour les lettres d'éditeurs, elles sont toujours inintéressantes, mais celle-ci me vient totalement isolément et j'avais envie de parler de mon ami Pierre Filion. Somme toute, il est la seule personne qui ait lu toute mon oeuvre. Je me demande s'il a pris le temps de lire mes pièces de théâtre. Je crois bien qu'il a pris plus que deux ans pour lire les Lettres de R.M. je n'ai plus posté ce manuscrit depuis très longtemps.

12 septembre 1994

- 443 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Je suis d'humeur massacrante. La famille François et ses coups bas, cela ne fait que commcencer. Bruno avait entièrement raison, il y aurait beaucoup de problèmes il me faudrait tout avaler sans dire un mot. Et quel autre choix ai-je? Je ne me sens tellement pas chez moi, je paye tellement peu, les parents à Bruno sont tellement entêtés, ils n'en font qu'à leur tête sans nous rien dire et ils exigent sans cesse. Ainsi j'ai vite appris que je ne serais pas chez moi. Les portes doivent demeurer ouvertes, parce qu'il me faut bien comprendre ce que les autres n'ont jamais compris: je loue une chambre et non un appartement. Bien sûr, à 150$ par mois, je ne pouvais pas trop exiger, mais je n'ai pas fixé le prix et c'est après coup que l'on m'a dit que les portes seraient ouvertes et que chaque fois que toute la famille serait en train d'écouter la télévision dans l'autre salon, on m'épierait. Mais enfin, si ce n'était que de cela, de toute façon, je crois qu'ils se sont punis eux mêmes parce que moi je m'enferme dans ma chambre et eux ils s'empêchent de descendre en bas. Je le sais, ils écoutaient davantage de TV avant. Si ce n'était que cela. Je savais qu'ils viendraient faire leur lavage, mais j'avais observé sa mère, elle attendait qu'Angela, l'ancienne locataire, soit partie pour y aller. Or, je travaille toute la journée et ils font sans cesse du lavage en ma présence. Et cette machine qui lave pendant deux heures tout compté, et la sécheuse qui prend une heure trente tout compté... Et christ, ils lavent donc tout le temps ici? Elle lave les lits trois fois par semaine, à se demander si c'est pas tous les jours. Jean semble changer de vêtements de deux à trois fois par jour. Bon, si ce n'était que du lavage. Mais maintenant il faut barrer la porte en bas, je ne peux donc plus entrer par l'extérieur, il me faut passer par en haut. Si ce n'était que cela. Mais tous les étudiants de la mère de Bruno vont à la toilette en bas, et ces enfants vont aux toilettes deux fois par leçon d'une heure. C'est pire que des toilettes publiques et moi qui mets toujours des papiers autour du bol parce que ça m'écoeure dans les toilettes publiques! Aujourd'hui il y a un étudiant qui a pissé sur le bol, à côté du bol, il en a mis partout sur la pognée de porte et je sais que c'est pas parce qu'il s'est lavé les mains. Vendredi passé les toilettes étaient bouchées et il y avait un tas de marde gigantesque dedans. Est-ce que ça va être comme ça tous les jours? C'est que c'est moi qui dois nettoyer et qui fournis le papier de toilette. Mais si ce n'était que cela! Je fais une épicerie de malade, Bruno mange chez moi au moins une fois par deux jours et sa soeur au moins une fois par trois jours. Mais si ce n'était que cela! On est renfoncé dans le

- 444 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pire trou qu'il y a pas, et les bus fonctionnent pas. Je dois me payer une heure de bus pour revenir et 25 minutes de marche en plus. Si ce n'était que cela! L'automobile, ils viennent de changer les pneus, 350$, on me demande d'en payer le quart! Et qu'est-ce que ça va être bientôt? Il faudra changer les freins et le muffler, 1000$ et on va m'en demander le quart, pour une voiture que je ne peux même pas utiliser et que j'embarque dedans quand Bruno veut aller quelque part et qu'il refuse de prendre le bus? Eh bien, j'ai fait la gaffe de dire à Bruno l'aventure des toilettes aujourd'hui, il m'a répété ce qu'il me dit depuis le début, il me l'avait dit. Mais il a été dire ça à sa mère et elle lui a dit que pour 150$ je n'avais pas tellement le droit de me lamenter. Et c'est immédiatement après que l'on m'annonce que je dois payer la voiture que je n'utilise pas. C'est un peu fort. Juste un tout petit peu. Sans compter que l'on m'a répété au moins une douzaine de fois qu'Angela était une grosse niaiseuse parce qu'elle avait trop chauffé et que la facture avait accumulé 500$ durant l'hiver, à cause d'elle. La pauvre, elle a failli mourir de froid et eux se lamentent pour le 500$. Et le pire, c'est qu'au début de septembre, il me faut mettre des gants pour écrire à l'ordinateur, imaginons un peu cet hiver, je vais mourir. Et l'on m'a assez averti, je ne peux pas toucher au chauffage. Il m'en serait impossible de toute manière, ça se contrôle en haut. Et Angela avait eu la sagesse de s'acheter deux petites chaufferettes, bien sûr, ça consomme beaucoup. Pour 150$ je peux peut-être pas me lamenter, mais on est juste le 12 septembre et ça m'a déjà coûté 225$ auquel va s'ajouter le téléphone et qui sait, une facture d'hydro surprise? Parce que j'ai vu une facture d'hydro qui trainait en bas et c'était une facture individuelle, comme s'il s'agissait d'une facture pour le bas. Je pensais que j'allais économiser, je me trompais. Ça me coûtera non seulement plus cher, mais en plus je vais mourir de froid et je vais me sentir coupable de vivre en plus d'encaisser les nouveaux règlements François qui n'en finissent plus de débouler. Parce qu'il n'y a aucun doute, je me sens coupable d'envoyer la chasse d'eau des toilettes parce qu'à chaque fois une grosse pompe starte et la mère grince des dents parce qu'elle calcule chaque sou. On se demande comment ces gens arrivent à investir sur des terrains un peu partout dans le monde, quand on sait quels risques ils courrent. Je sais qu'il n'y a rien de gratuit sur la planète, mais est-ce que chaque petit détail doit vraiment avoir un prix, et élevé par-dessus le marché? Que me demandera-t-on de payer bientôt? La fête de la soeur la semaine prochaine, je vais me sentir

- 445 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mal de manger, on me demandera de fournir. Je dois finalement payer le téléphone avec Bruno et payer pour tous les gadgets qu'il a, répondeur dont je ne pourrai me servir parce que c'est une boîte vocale et que seul lui connaît le numéro, un afficheur qui garde en mémoire les cinq derniers appels alors que cette machine est dans sa chambre et qu'elle ne peut me servir. En plus, je n'ose pas répondre au téléphone, je n'ose pas parler au téléphone, j'abrège toujours très vite, je n'ai fait aucun appel en 18 jours. Je me suis organisé pour appeler d'une cabine téléphonique, de toute façon on m'espionne sans cesse. Je ne peux pas dire un mot sans que l'on m'écoute. Comme par hasard, quand je parle au téléphone, voilà que la mère de Bruno qui sait que je parle au téléphone, vient voir à son lavage, vient écouter la télévision pour un gros cinq minutes. Bon Dieu! Il y a des moyens plus discrets pour espionner. On semble vouloir me dire clairement qu'il faut que je surveille tout ce que je dis. Ce soir Bruno va rencontrer George, je n'y vais pas pour ne pas prendre l'automobile. Demain il n'y a pas d'autobus et il me faut aller travailler à 6 heures du matin. Je vais marcher jusqu'à Baseline, au moins trois-quarts d'heure de marche. Parce que je veux pas prendre un taxi et je n'ai pas ma bicyclette (une des seules chose qu'on a pas été chercher et qu'on peut pas aller chercher pour pas que les parents de Bruno s'imaginent qu'on prend trop la voiture!!!).

Il me faudrait maintenant travailler sur mon livre, j'ai trop mal au ventre, je suis malade. Ça me rend malade. Je suis dépressif. Un bon dieu de livre qui se fera pas publier encore. J'ai plus le courage de travailler dessus, de mettre encore de l'énergie dessus. Il me faut l'imprimer en cachette au bureau, il me faut en faire au minimum 50 copies, poster tout cela en France, pour rien. Vais-je le faire? Vais-je vraiment dépenser... j'ose même pas compter combien... Je n'ai jamais eu autant la certitude que cela ne donnera rien que maintenant. Je ne doute même pas que c'est pourri, j'en suis convaincu. Je n'ai plus l'intention de commencer L'Underground, je n'ai plus le temps, c'est impossible. Pour l'instant je n'ai que le temps de me préparer à souper et un lunch, me coucher pour aller travailler. Et les fins de semaine je dois essayer de faire ce que j'aurais en temps normal dû faire durant la semaine, et croyez-moi ça ne me donne pas le temps de travailler trop trop sur la littérature. La dernière fois que j'ai eu cinq minutes pour respirer, je ne m'en rappelle pas. Dans ces condi

- 446 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tions, et puisque je perds tellement de temps dans les transports, j'aimerais mieux travailler soixante heures par semaines sur mon propre jardin que 50 heures pour une compagnie de transcription pourrie qui m'empêche de respirer et qui commencera sans doute bientôt à me donner des problèmes. D'ailleurs c'est commencé. On m'a pas payé temps double et demi pour la fête du travail comme la loi le prescrit, et je me suis même pas lamenté. Ma belle Denise n'est pas enceinte finalement. Elle ne faisait que mettre des gilets de femme enceinte. Peut-être a-t-elle accouchée? Quel âge a-t-elle donc? J'aime bien Marlène, elle fait que le bureau est moins vide et moins déprimant. Elle aime tellement son travail, elle sourit sans cesse, on a pas le choix de ne pas dépressionner. Mais je déteste Valérie et Hélène et Claire, toutes les Françaises sont hypocrites et gossip beaucoup et je déteste cela parce que ça me met vraiment mal à l'aise quand on parle dans le dos des autres parce que je sais qu'on nous entend du bureau d'à côté et ça semble que je parle dans le dos des autres. Mais pire, Valérie parle dans le dos des Anglaises, alors que Marlène parle un français pas si pire et elle comprend très bien. Au contraire les Anglaises sont gentilles et à peine hypocrites. Mais le dicton dit que les Anglais sont très hypocrites mais ils se cachent plus. C'est peut-être vrai mais j'aime mieux ça de toute façon. En tout cas ça m'a quand même choqué quand Caroline (c'est drôle, les deux Anglaises ont des noms français) a dit tout bas, et j'ai compris, que les boss étaient caves d'avoir engagé quelqu'un qui n'était pas capable de fonctionner trop bien en anglais. Et puis quoi? Je suppose qu'elles s'imaginent qu'elles peuvent fonctionner en français? Elles s'imaginent qu'il y a pas suffisamment de français pour m'occuper la journée entière? Eh bien ils vont engager un deuxième francophone, c'est donc que de toute façon l'anglais j'aurais pas le temps d'y toucher. Et puis mon anglais est meilleur que leur deux français réunis. Je suis encore capable de transcrire en anglais, mais il faut une correction. C'est normal, je ne connais pas toutes les expressiosn et les cassettes déforment les voix.

C'est le 12 septembre aujourd'hui, jour d'élection. J'ai pas été capable de voter pour Mario Dumont et le Parti action démocratique parce qu'il n'y avait aucun candidat dans le comté Jonquière. Alors je me suis donné le trouble d'appeler partout, de faire les démarches du vote par anticipation, pour découvrir qu'il n'y avait que les deux seuls partis pour lesquels je voulais pas voter sur la liste. Je voulais me débarrasser de ces deux gros partis

- 447 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

corrompus jusqu'à l'os qui n'ont rien de nouveau à apporter et qui n'ont aucune bonne idée de l'utilisation de l'argent. Ainsi je viens d'apprendre que ma bourse de 4 000 $ que j'aurais dû avoir, a été remplacée de moitié par un prêt. Ce qui veut dire que je me serais endetter de 5 500$ par année pour les trois ou quatre prochaines années, ce qui veut dire 22 000$ de plus pour mon bac en génie, ajoutons y le 13 000$ que j'ai déjà, 35 000$. Imaginez, je me demande encore comment je vais faire pour payer mon 13 000$. Avant deux ans il n'y aura plus de bourse, comme en Ontario. Je ne peux même pas dire que j'ai fini dans la bonne année, parce que d'une façon ou d'une autre je n'ai jamais eu droit aux bourses. Le système à eu raison de moi, je risque de finir sur le bien être social et ce n'est pas parce que je n'ai pas voulu réussir et ce n'est pas je sois si cruche. Je suis pas plus cave qu'un autre, et même peut-être moi cave que la majorité, mais ça, aller savoir si c'est vrai. Et si c'est vrai, essayez d'aller prouver ça aux autres. Combien sont-ils dans mon cas? Certainement une majorité. Mais enfin, non seulement il n'y a pas de candidat, mais je n'ai jamais entendu parler d'aucun autre parti que des deux gros, pendant toute la campagne. Je lisais les journaux pourtant, je travaille dans l'information! J'ai retranscris les débats télévisés, les conférences aux quatre coins de la province. C'est vraiment pas dans une démocratie que l'on vit. En fait, c'est bien que je n'aie pas voter pour le Parti action démocratique. Maintenant que j'y pense, j'ignore absolument tout d'eux et j'allais voter pour eux. Mais c'était tout de même calculé, ils n'ont aucune chance de gagner nulle part, juste le chef j'imagine, et encore là. Je voulais que l'on puisse mettre un troisième parti dans la course pour les élections de dans cinq ans (!). Je pense que je vais aller travailler sur mon livre, ou me coucher? Je ne mange même pas, pas le temps.

Quelle gaffe j'ai fait, j'ai laissé Bruno seul avec George, et ça c'est déjà inquiétant. Mais en plus, j'ai laissé Bruno seul avec George et l'autre gars qu'on a rencontré voilà deux semaines et qui est beau et qui est le style de Bruno. Parce qu'ils se seront sans doute rencontrés ce soir au Café Rosie Lee, et moi j'ai été incapable de dormir, incapable d'écouter les élections, incapables de finaliser La Révolution. Le seul résultat concret est que je n'ai pas utilisé la voiture, mais c'est absurde de croire que je ne vais plus embarquer dedans si Bruno ne veut pas prendre le bus. Ou bien j'achète une voiture cette semaine, ou bien je

- 448 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

réembarque dans l'escroquerie du siècle: me faire payer pour une voiture que je peux pas utiliser. Or, il m'est pratiquement impossible d'acheter une voiture.

Bruno vient d'appeler, il est au café Rosie Lee, il appelait pour me dire de pas m'inquiéter, qu'ils avaient joué plus longtemps que d'habitude. Il me dit que l'autre beau petit gars est pas là, je peux le croire, le mensonge serait trop dangereux. Mais pourquoi finissent-ils une heure et trente minutes plus tard que d'habitude? À force de jouer de la musique avec George, se pourrait-il que Bruno ait finalement pris goût à George? En tout cas, on sait depuis longtemps que George ne se ferait pas prier, surtout qu'il met toujours ses gilets décolletés. Et puis de toute façon je m'en balance. Je m'en fous davantage si c'est George. Je n'ai qu'à ne plus y penser et attendre que la vérité se sache. Parce que la vérité vient toujours, et cette fois-ci, il n'y aura pas de pardon. Je me sens tellement pogné ici, je ne me souviens pas d'avoir été si pogné, même chez John. La mère de Bruno avait nettoyé la salle de bain de fond en comble dans les cinq minutes qui ont suivi mes lamentations. On aurait dit qu'elle était frustrée, je me sens vraiment mal. Toute la soirée j'ai eu mal au ventre. Ainsi elle s'est vite dépêchée d'agir pour qu'on ne lui reproche rien, pour ainsi mieux exiger ensuite. Je dois être paranoïaque, mais cette femme me semble vraiment hypocrite. La manière dont elle se débarasse de ses étudiants parce qu'ils ont annulé deux fois, c'est jamais direct, c'est toujours par quatre chemins. Elle commence à leur donner les plus mauvaises heures, ensuite elle cancelle elle-même, et puis s'ils comprennent toujours pas, elle finit par inventer qu'elle restructure ses horaires et qu'elle va rappeler sous peu pour confirmer la date. Bien sûr, elle ne rappelle jamais. Aujourd'hui il y a eu un genre de crise, eh bien quand elle est revenue me voir après, c'était comme si de rien était. Elle m'a demandé si tout allait bien, j'ai moi aussi joué l'hypocrite. Elle m'a demandé si j'avais assez de couvertures, j'ai pas eu à jouer l'hypocrite ici, j'ai mis à peu près toutes les couvertures que j'avais sur mon lit, elle m'a demandé si je gelais en bas, j'ai joué l'hypocrite, elle m'a dit qu'ils commenceraient à chauffer éventuellement. Bien, éventuellement donc, ils vont commencer à chauffer. Quelque chose me dit que je vais geler cet hiver. Quelque chose me dit que je découvre soudainement une autonomie qu'il me faut vraiment aller chercher, c'est-à-dire libre de payer mes propres choses, libre de faire ce que je veux quand je veux, libre de ne

- 449 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pas toujours douter d'un chum, libre de toute autorité ou pseudo qui s'en permet trop. Je n'aime pas douter de Bruno, pourtant je ne peux plus lui faire confiance. Je ne veux pas non plus que cela me rende malade. Je sais que s'il rencontrait un beau petit gars et qu'il avait la chance de coucher avec, il le ferait. Je ne peux pas dire que je ne ferais pas de même et je confesse que cela ne change pas grand chose au concept. Je n'ai que 21 ans diantre, ma vie achèverait-elle? Je n'arrive pas à voir mon futur, peut-être n'existe-t-il pas? Il m'a toujours semblé que je mourrais jeune. Et sincèrement je le souhaite, encore plus si c'est pour découvrir qu'il n'y a rien après la mort. Et Bruno réussirait dans la musique pendant que je crèverais de faim quelque part... et pourquoi pas? Je suis assez vieux pour dealer avec cela et de toute façon j'aurais toujours mon journal pour me défouler, ou ma révolution. Quand bien même je ne déboucherais pas en arts, il y a une chose qu'aucun étudiant ne comprendra, c'est que la vie est bien plus simple et pas si terrible lorsqu'on est sorti de l'école. Il y a une chose que les étudiants ignorent, c'est que l'école se termine un jour, qu'il y a une vie au-delà des études et que cette vie, je vais la commencer. Et comme tout début, j'ai besoin d'un changement radical. De ce côté je suis servi. Comme tout changement radical, il y a des problèmes qui surviennent. De ce côté, je suis servi. Comme tout problème, il faut les surmonter afin de rechanger radicalement sa vie. Ainsi Roland-Michel, te voilà face à des concessions et des compromis. D'accord. Maintenant il faut cesser de larmoyer et plus important, cesser d'avoir des sentiments négatifs. Comme Tracey Whalen, qui me semblait être un obstacle insurmontable, la journée où j'ai changé ma vision des choses et que je me suis mis à l'apprécier vraiment, elle a disparue de ma vie. Comme Diane et John, la journée où tout à coup tout semblait bien aller, que l'on s'entendait comme jamais, que John m'avoue qu'il s'ennuie et tout, que j'apprends à aimer Diane jusqu'à lui offrir mon emploi dans une école, voilà qu'ils disparaissent de ma vie. Apprenons à aimer la famille François et par le fait même, faisons les disparaître! Car aujourd'hui, je le confesse, JE SUIS CONTENT EN CHRIST DE M'ÊTRE DÉBARRASSÉ DE TRACEY, JOHN ET DIANE! Mais si c'était pour remplacer le tout par pire, il me faudra faire des efforts, et il faudra que ça se fasse plus vite que deux ans et demi, comme chez John.

Je veux m'acheter une automobile, une Saab noire usagée, pour deux raisons. Un, j'ai

- 450 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

toujours aimé cette voiture parce qu'elle était de coupe européenne. Deux, une automobile est un si grand gouffre d'argent qu'il vaut mieux avoir de la qualité pour pas que ça saute tout le temps. Trois, autant que ce soit une voiture qui a une valeur émotionnelle pour moi, si je suis pour y engouffrer tout mon argent et travailler pour la faire vivre. Acheter une voiture à l'heure actuelle, c'est un peu comme de prendre la décision de se payer un enfant. Et encore, la voiture coûte moins cher, même si on l'use jusqu'à ce qu'elle coûte 1000$ de réparations par mois en plus des assurances exhorbitantes et de l'immatriculation et du permis de conduire et des prix du stationnement exhorbitants.

Christ! Je suis en christ, j'ai envie de tuer quelqu'un, quel bonheur, tuer, du sang, manger de la viande! J'en peux pu, il n'y a rien à faire, je suis dû pour manger de la marde jusqu'à la fin de mes jours, tout avait bien commencé, tout a fouairé. Tant d'espoirs pour retrouver la fin et le morale mort complet. Tuer un premier ministre de la Pologne par exemple, Walesa ou quelque chose du genre, avec toutes les belles choses qu'il a dites sur la politique canadienne et Jean Chrétien, on se demande bien quels sont ses intérêts! Restez donc chez vous monsieur le premier ministre de la Pologne si c'est pour venir chercher les derniers investissements qui s'envolent à l'étranger que vous désirez entrer dans le traité du Libre-Échange de l'Amérique. Moi aussi je crève de faim et non, je peux pas et ne pourrai pas me payer de maison ni d'automobile ni d'enfants ni le confort ni la stabilité psychologique ni le bonheur. Et merci au journaliste qui a demandé au premier ministre s'il avait donné un cours à son invité lorsqu'il a répondu sur l'élection au Québec et la souveraineté. Parce qu'il faut être cave pour croire qu'un homme qui s'est battu pour l'indépendance de son pays d'avec l'URSS vienne nous dire que l'heure est à l'union des pays et que le Canada est si merveilleux qu'il devrait rester uni. Et je ne sais peut-être pas ce que je dis, mais je sais que l'on en parlera pas de ça demain dans les journaux, et le timing était bien choisi. Quels journalistes étaient effectivement là pour entendre ce premier ministre, en plein jour d'élection?

Où donc m'en irais-je? Pas à Montréal, je connais trop de monde. Pas à Jonquière, j'irais pour y mourir dans la honte d'être un raté au même titre que les autres qui n'ont pas

- 451 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

fini leur secondaire 5 et qui sont laitiers ou je sais pas quoi et qui se payent des voitures de 35 000$ et qui héritent des maisons sans rien faire et à têter le sein de leurs blondes. Je ne veux pas relire la Révolution, parce que ça été écrit dans le feu de l'action, où j'étais convaincu que j'allais allé en France et que j'allais enfin naître et commencer à vivre.

Le 20 septembre 1994

23h30

Je crois bien que Bruno vient de laisser tomber la serviette, il s'avoue abattu, calcule les risques trop grands, ne veut pas d'un gap dans son expérience de travail parce que, dit-il, il pourra pas trouver un emploi, bref, le voilà prêt à trouver un emploi, il parlait d'acheter un terrain et se construire une maison. J'ai cru d'abord qu'il pensait à la maison, et j'étais charmé à l'idée d'habiter avec lui. Je retrouve alors tout mon amour pour lui quand on pense à s'installer ensemble pour de bon (parce que là je me sens trop pogné et l'amour dans ce temps là, ça fait des ratés. Quand j'ai compris que pour ce faire il devait laisser tomber la musique et trouver un emploi, j'ai dit non en moi-même. Oui pour la maison, mais au moins, au moins, ne cherche pas d'emploi d'ici noël et travaille sur la musique! J'espère que je l'ai convaincu, mais ça semble sans espoir. Il est convaincu qu'il trouvera jamais un guitariste qui voudra composer pour lui, et il ne veut pas payer. Il me semble que ce serait simple, un coup toute la musique écrite, de payer un guitariste pendant trois semaines un mois à 40 heures par semaine, pour composer le tout. Il aura amplement le temps et ça coûtera pas cher, tout de même. 2000$, c'est quoi si c'est pour t'amener la perfection? La chance de t'ouvrir toutes les portes? Je vais lui reproposer Mary comme guitariste, peut-être acceptera-t-elle? Finalement, c'est peut-être notre seule chance parce que Bruno n'a pratiquement pas fait d'efforts et ne veut plus en faire. Je me demande comment il fera pour trouver un emploi. S'il abandonne, on pourra pas dire que j'aurai pas tout tenté, mais chose certaine, il va falloir que j'arrête d'insister, on va finir par se battre. Je plains les gens qui ont beaucoup de motivation et qu'aucun de leur projet ne débouchera. Comme ils doivent souffrir... aucune grosse bouffie qui travaille 40 heures par semaine ne pourra comprendre

- 452 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ça, eux, sans s'en rendre compte, ce sont les plus heureux. Ça me fait penser à Benoit, il a dit qu'il a commencé à être heureux le jour où il a décidé d'arrêter d'écrire et de vouloir publier. Un jour je serai peut-être capable d'en arriver là? Mais avant d'en arriver là, j'essayerais au moins d'écrire un livre comme tous les autres, je ressortirais les plans tout faits que j'ai étudié, il n'y aurait pas plus classique best-seller et on pourra voir ce que ça donnera. Mais ça, c'est pas avant l'après L'Underground, alors...

Dimanche le 9 octobre 1994

Il pleut aujourd'hui, ça me rend malade. Ed vient de téléphoner, ça m'a achevé. Je suis prêt à prendre ma retraite, dans une maison éloignée de la ville, avec comme but, sortir le moins possible. Et voilà qu'Ed appelle de New York pour nous dire qu'il va bientôt atteindre le 100 en ce qui concerne le sexe avec les gars de New York, qu'il a un chum, qu'il a couché avec trois autre gars cette fin de semaine, qu'il l'a pas dit à son chum et qu'il est pas prêt à avoir un chum parce qu'il veut continuer à coucher avec tout le monde. En plus, d'après ce que j'ai pu comprendre, il a couché avec deux autres personnes en même temps. Moi il m'a perdu complètement. Je ne veux plus, absolument plus rien savoir. Il s'en vante tellement que je me demande si c'est vrai. Ne se rend-t-il pas compte que plus il en parle, plus il m'écoeure? Pense-t-il provoquer la jalousie et que la jalousie est saine pour deux personnes? Il a encore dit qu'il pensait à moi, qu'il projettait de venir ici, j'ai dit à Bruno de le convaincre du contraire. Il voulait qu'on aille à Montréal une fin de semaine, je lui ai dit que ça m'était impossible. Je voulais même pas lui parler.

Je suis un véritable hermite, c'est vrai que je pourrais m'isoler et ne jamais sortir du même carré. J'irais bien avec le père de Bruno, lui il mange même jamais au restaurant. Et un peu comme moi d'ailleurs, il n'aime pas tellement que sa femme mange au restaurant avec moi et Bruno. Je suis très dépressif aujourd'hui, d'autant plus qu'avant-hier on est encore sorti avec George et Jin(?) et que Bruno le regarde un peu trop le petit Jin et que moi j'en ai assez de douter, douter de lui, douter de moi, et que je ne veux pas passer ma vie à douter ou à capoter chaque fois que Bruno n'est pas là ou qu'il sort sans moi ou qu'il regarde

- 453 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

un petit gars qui serait susceptible de s'intéresser à lui. D'un autre côté je ne veux pas finir ma vie tout seul, c'est encore pire. Mais que je pourrais peut-être trouver quelqu'un comme moi? Je n'ai que 21 ans, mais même à 21 ans c'est possible de passer la majorité de sa vie tout seul quand on passe d'un chum à l'autre et après le 30 ans, paraît-il, c'est là que l'on commence à se ronger les sangs et que l'on prend la première chose qui passe et que le plus souvent c'était pire que ce qu'on avait mais que nécessité oblige, il faut du sexe et de l'affection dans la vie. Il me faudra peut-être passer une annonce dans le journal un jour, ça se lirait comme suit: Recherche beau petit garçon, non sociable, qui déteste les bars, végétarien et vierge. Quand on regarde à cela, on se rend compte que c'est exactement ce que la bible promouvoit comme message à ses filles. Tandis que pour les hommes, le tout est inversé, c'est-à-dire qu'eux peuvent coucher avec toutes les femms qu'ils veulent, doivent être sociable, n'ont pas besoin d'être vierge, même s'ils sont vieux, gros et laids, pas de problèmes, c'est eux qui achètent les femmes qu'ils veulent.

14 octobre 1994

Ah, tout a bien été calculé par le grand manitou, la semaine passée je me morfondais entre les murs de l'Université d'Ottawa, la semaine prochaine je serai à la Sorbonne. J'hésite beaucoup moins depuis que j'ai parlé avec Anne-Marie Créttiez, je vais probabalement être en maîtrise.

Oh Bruno, je t'aime, mais deux ans à Paris et j'ai un doctorat (sic). Et puisque cette stupide société de compétition ne fonctionne qu'avec des titres, il me faut tout faire pour ne rien perdre d'une crédibilité trop facilement perdue. Parce qu'on aime se détruire, on a l'impression d'être grand en détruisant la crédibilité de quelqu'un.

Je regretterais trop de ne point partir, il est impossible que je ne parte pas. Prions pour que Bruno vienne...

Paris, le 1er novembre 1994

- 454 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Comment commencer à décrire les derniers événements. Comment raconter maintenant les détails de la révolution qui vient de se produire. Les coïncidences, ça fait longtemps que je n'y crois plus. Bruno est venu finalement, et heureusement. Je l'aime beaucoup, je regrette qu'il doive repartir d'ici deux semaines. On aura le temps de visiter Grandville en Normandie, là d'où vient son père. Je crois qu'il est mieux qu'il reparte car effectivement, sa musique a plus de chance de déboucher s'il continue à travailler avec George et Mary. De toute façon je vais avoir besoin de temps pour mes études et lui il perd son temps ici. On a été vraiment chanceux, j'avais 7 bagages, Bruno 2, on avait droit à deux bagages chaque plus un petit sac pour sur l'avion. On a tout empaqueté, on fait des compromis (on a jeté ma bonbonne de crème à raser), puis la femme a été très gentille parce que ça m'aurait coûter un bras, j'ai emmener mon imprimante laser giganttesque Hewlett Packer. Paraît-il je peux la revendre plus cher que je l'ai payée.

Premier jour à Paris (mercredi 26 octobre)

Le premier jour on a trouvé un hôtel qui, sans le savoir vraiment, était juste à côté de la Sorbonne. J'ai rencontré Mme Crettiez qui voulait pas reconnaître mon diplôme de 4 ans, disant que je n'avais fait que trois ans d'université. Finalement ça fonctionne, je suis en maîtrise conditionnelle, il paraît que c'est plus simple, plus facile que la Licence. J'ai réussi, le premier jour, un vrai tour de force: trouver un directeur de maîtrise qui accepte Artaud et ses Cahiers de Rodez en un sujet plutôt général, j'ai carte blanche tant que ça a des bases littéraires. J'ai aussi rencontré Franck qui m'a tout de suite offert son appartement pour une dizaine de jours. Alors on partage l'appartement avec Christophe, ô coïncidence, tout ce beau monde est gay. Alors on a eu accès à toute la société de Paris. On a loué une voiture de Charle de Gaulle, on a cherché longtemps, finalement, on est arrivé chez Frannk sans trop savoir s'ils étaient gays. Mais certains signes ne nous ont pas échappés, entre autres les cassettes de Madonna, revue avec Marky Mark, certains livres dont Si le grain ne meurt de Gide. Mais enfin, c'est quand Christophe nous a présenté le lendemain la revue qu'il fait et qui est publiée à tous les deux mois, Aides, sur le sida, qu'on ne doutait plus.

- 455 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

La Sorbonne

Gigantesque, je dirais à prime abord. Architecture complexe je dirais ensuite. Je n'arrive pas à figurer combien grand c'est, je ppense que l'Université d'Ottawa est plus grande. Mais la bureaucratie est terrible. Sans l'aide de Frank, j'aurais abandonné. J'étais prêt à retourner au Canada parce que ça me semblait être une mission impossible et que je ne croyais pas que l'on m'accepterais en maîtrise. J'arrive pas à remplir toutes les formalités parce qu'il me faut sans cesse des papiers, des tampons, des attestations, des photos, des signatures, des accords de professeurs pour suivre leur cours, etc. D'abord il me faut l'essentiel, l'acceptation première. Mais avant tout, il me faut le dossier d'inscription que je n'ai jamais eu encore et que je recevrai mercredi le 2 novemebre, j'espère. Là-dedans j'aurais la feuille rose et les papiers pour que l'on monte un dossier à mon nom à l'inscription administrative. Ensuite il me faudrta aller à l'inscription pédagogique, je ne sais plus trop où, pour m'inscrire en License et en Maîtrise, parce que je suis des cours relatifs aux deux niveaux. Je me suis déjà rendu au département de latin pour prendre un cours qui était déjà complet, elle a finit par m'inscrire à un autre cours plus compliqué et j'y suis retourné le lendemain pour le faire changer parce que l'autre Crétine s'était fourrée. Ensuite je me suis rendu plusieurs fois au département de langue pour m'inscrire sans succès à un cours de grammaire pourri (ils veulent s'assurer que je suis capable de le faire parce qu'ici toutle monde le coûle ce cours). J'ai dû faire signer par mon prof une autre feuille rose qu'un autre prof devra signer, je collectionne les feuilles avec des tampons, dont il me faudrait retourner officialiser lorsque j'aurais ma carte étudiant, c'est-à-dire, quand mon dossier sera complet. Au départ je me disais que c'était impossible de tout faire cela en trois jours, surtout que tout est toujours fermé, ça ouvre pour deux heures, le mercredi seulement, et il y a toujours des files d'attentes impossibles. Mais je me rends compte que tout le monde est aussi fucké que moi, personne ne sait vraiment tout ce qu'il a à faire, en particulier Franck qui, pourtant, étudie là depuis trois ans. Rien est informatisé, c'est extraordinaire. Une bureaucratie tellement gigantesque que pour la changer, il faudrait que le tout passe au feu. Je le souhaite d'ailleurs, c'estr le seul moyen. Le conservatisme tue, ils courrent à leur perte. Aucun sens, on étouffe

- 456 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

sous la bureaucratie: escalier G, troisième, escalier C, quatrième, 17 rue de la Sorbonne, rez-de-chaussé, bonne chance. Et le pire c'Est que personne sait où est quoi, même les bonnes femmes secrétaires de l'école. C'est extravagant. Mais à qui donc profite une telle bureaucratie? Quel contrôle est possible quand il y a autant de formalités à remplir? Ah, il faut reconnaître une chose, l'Université d'Ottawa, elle, se débrouille très bien comparativement à la Sorbonne. Je conseille aux dirigeants de la Sorbonne, s'ils existent, s'il n'y en a pas un millier, d'aller faire un petit tout à Ottawa. Bref, les étudiants partlent ma langue, on parle des mêmes auteurs, je ne suis pas trop perdu. Mais je me demande sincèrement quand je vais pourvoir commencer mes cours, car, c'est quand même depuis le 13 octobre que les cours ont officiellement commencé. Mais c'est plus relaxe en maîtrise je crois, j'ai des profs qui ne vont commencer que plus tard encore.

Les logements

Ah bien là on ne mentait pas. À 800$ par mois, des vrais taudis. Ne vous demandez pas pourquoi les touristes repartent désenchantés lorsqu'il faut faire 14 hôtels avant d'en trouver un qui n'affichent pas complet en plein mois d'octobre (!), puis 28 pour en trouver un seul qui fasse du sens, quand on se décide enfin à mettre le prix (120$ par jour). Les appartements c'est incroyable. JE ne pense pas que l'on puisse vivre plus mal ou misérablement encore en Éthiopie ou dans les pays pauvres. Cher en plus, une petite pièce qui sent la merde et la pisse, pas de cuisine, pas d'eau chaude, pas de chauffage, pas de lumière, pas de douche, une toilette salle sur l'étage, sept étages sans ascenseur, et 30 personnes en complet cravate et belles robes prêtes à se battre pour l'avoir. Christ! Y'a pas de conseil municipal à Paris? Il paraît que tous les gouvernements n'en ont que pour Paris? Qu'est-ce qu'ils foutent? Je peux bien croire que les estibis de bâtiments sont classés historiques et que l'on ne puisse y toucherm mais quand même, quand on a une crise du logement aussi grande depuis si longtemps, il faut agir! Des tours, il faut en construire pis vite, le peuple est en train de mourir dans des pièces tellement insalubres que je me surprends que la peste ne fasse pas soon apparation. Je suis très pauvre, j'ai franchement l'impression que c'est dans une affaire de même que je vais me retrouver. Je vais vendre l'imprimante bientôt, j'ai

- 457 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

l'impression qu'il me faudrait aussi vendre l'ordinateur. Mes parents peuvent pas m'aider, c'est clair, je dois déjà 4 000$ à Bruno. Il y a une limite à ce que je peux lui emprunter, déjà qu'il veut pas trop m'en prêter. En plus, mes études servent à rien, un an de maîtrise, un an de DEA, puis 4 ou 5 autres années pour le doctorat. Je m'étais trompé. Ça prend deux ans pour avoir l'équivalent de la maîtrise du Canada. Je n'aurai certainement pas le choix de déclarer faillite à la fin de mes études. On pensait prendre l'appartement juste en haut de chez Christophe. C'est incroyable: ça pue, y'a ppas de douche, pas d'eau chaude, rien pour cuisiner, des tapisseries vraiment dégeulasses, les plafonds troués dont la peinture décolle, un gros compteeru d'électricité dans l'entrée (parce que ça, ça va tourner et coûter cher en plus), pas de chauffage, des tapis qu'il faut enlever, des planchers qu'il faut sabler, vernir, il faut entrer le lit par le fenêtre, pas d'autres moyens (!), le tout va me coûter trois fois et demi le prix que ma mère paye pour sa maison de deux étrages avec un sous-sol pratiquement fini, un garage, du terrain, un pommier, deux grand érables. Franchement, Paris, je pense que je vais apprendre à te détester à ta juste valeur. Parce que la misère, je ne l'aurai jamais vu d'aussi proche. Crever de faim encore et encore dans le fond d'une pièce où on étouffe. C'est pire que les reportages que j'ai vus sur Hong Kong où les gens s'entassaient dans des pièces tout de même salubres.

Deuxième jour

Tout de même, on a des amis. Bruno va repartir bientôt, mais j'ai Christophe qui a déjà trop d'amis pour que je m'y glisse, de toute façon il a trente ans. Franck sera mon ami, surtout qu'on aura au moins le même séminaire avec M. Autrand. Il sort avec Edgar, 35 ans. Lui, Franck, il a 28 ans. Ça semble très difficile de se faire un chum à Paris. Je ne vois pas ce qui attire Franck chez Edgar, mais enfin bon. Franck est beau, mais il m'intéresse pas. Je compte rester fidèle, ne rien risquer de perdre avec Bruno. Tout le monde écrit ici. Ludovic, le gars d'en haut, travaille sur des scénarios d'autres, Christoph, Edgar et Franck l'ont fait aussi, le père de Fabrice (que j'ai pas rencontré encore) est cinéaste, possède les Éditions du Seuil, est riche... Franck écrit des romans et Christohpe aussi, Ludovic se consacre à un scénario.

- 458 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

19 novembre 1994

La solitude commence à se faire sentir, la vie commence

à être plate. La seule raison que je peux voir pour l'instant, à laquelle je suis à Paris, c'est que mes livres, je les distribue directement aux éditeurs et Bruno comprend davantage qu'il m'aime pour vrai. Une séparation est toujours nécessaire, mais une séparation psychologique comme celle d'être à Paris est beaucoup plus forte. Il m'appelle deux fois par jours, la dernière fois à 4 heures du matin. Moi je travaille tant à mes livres que j'oublie qu'il n'est pas là. Mais moi aussi je comprends que je veux finir mes jours avec. Je n'ai pas l'itention de le tromper, même pas avec Franck, qui ma foi, est très beau. En plus qu'il m'a déjà fait comprendre que lu et son chum, c'est une relation ouverte, il essaye de me convaincre, comme les autres, qu'une relation homosexuelle dans la fidélité, c'est impossible. À ça il m'est difficile de dire que ce n'est pas vrai, même moi et Bruno on s'est trompé. Mais à cela je réponds que ça ne veut pas dire qu'il ne faille faire d'efforts parce qu'alors là c'est certain que ça ne durera pas. Et je réponds qu'une relation hétérosexuelle dans la fidélité, c'est impossible. Peut-être seulement à sens unique chez les dévôts et les dévôtes qui ont un tant sooit peu encore peur de l'enfer. Moi j'irai en enfer de toute façon. Faut pas se leurrer, j'ai lu la bible, personne ne sera épargné. Pas de rédemption pour la race humaine, elle doit mourir pour le besoin même de la race.

Le cas de Christophe, c'est effrayant. Il a le sida, c'est certain, mais incapable de le dire. C'est terrible le sida, on l'a, et nos meilleurs amis ne le savent pas de peur qu'on les perde. J'ignore si Franck est au courant, sûrement, Christophe nous l'a suffisamment comprendre par des phrases clés subtiles, mais Franck jouait l'innocent. Il va mourir dans cinq ans, Dieu l'a déjà puni, il s'est mis à croire comme un malade, atteingant le fétichisme, il est à la tête d'une revue Aides sur le sida. Mais tout son entourage semble faire partie ou avoir fait partie de cette organisation à un moment ou à un autre. Ils ont tous des cartes. Je cherche à voir ce que l'on me cache, ce me sera très difficile. Christophe a tellement idéalisé sa mort qu'il veut mourir à 33 ans, l'âge du Christ. Il dit qu'il lui reste 5 ans pour

- 459 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

s'accomplir. Avec ce qu'il écrit, même s'il était publié, de mon point de vue ce ne sera pas un accomplissement. Pour lui, je ne sais pas. Bref, il m'a fait peur Christophe, je n'ai d'ailleurs jamais eu aussi peur de ma vie ces derniers temps. Et je ne suis pas le seul. Il atteint un genre de degré de folie, il est instable psychologiquement et devient incontrôlable. S'il se contentait de me regarder dans le blanc des yeux avec son air démoniaque, ce ne serait rien, mais lorsqu'il en vient à me faire peur pour ma vie, c'est insupportable. Il a perdu tous ses amis on m'a dit. Nous sommes allés au Mans, personne n'a voulu nous recevoir. Il est tellement méchant avec les gens, je n'ai jamais vu quelqu'un comme ça. A-t-il toujours été comme ça? Ou c'est un des effets du sida? Quand les gens ont le sida, je me demande s'ils perdent leurs amis parce qu'ils ont la maladie ou si c'est parce qu'on devient déséquilibré par la même occasion? Mais d'après ce qu'il dit, il a toujours été turbulent. Un gars capable de planter une fourchette bord en bord de la main de sa soeur parce qu'elle mâchait de la gomme, ou capable de jeter un couteau à la tête d'un de ses frères sauvé miraculeusement, ou encore, capable de tirer au fusil sur un de ses frères, redevient-il correct en vieillissant? Retombe-t-il dans un état semblable quand il devient maniaco-dépressif? Je sais maintenant ce que c'est que d'tre vraiment dépressif. C'est loin de ce que je vis, ça. Il boit une bière et il devient malade. Ou même sans boire, le soir il devient comme fou, il parle sans cesse, fort, c'est incohérent, il dit n'importe quoi. Quand il conduit, ayant bu ou non, c'est terrible, on manque de se tuer tout le temps. LA fin de semaine à Granville m'a été un calvaire. Il est probablement non seulement sidatique, mais il est obligé à la solitude par la même occasion. Mais ce gars-là serait bien capable de coucher avec des gens même s'il a le sida, et je crois même qu'il le donnerait volontairement à d'autres. Se retrouver en face de quelqu'un qui est homosexuel et ne pas savoir, c'est déjà difficile de le comprendre. L'autre nous envoie tous les messages, on ne le croit pas. Quand on est gai, on le croit plus facilement et on capte les messages. Mais le sida, c'Est encore pire. C'est écrit dans la face, on nous le dit, et on ne le croit pas encore. Comme si c'était inexistant, qu'il n'y en avait nulle part. Bruno voulait rien savoir, avec un taux aussi élevé du sida, pourquoi ne le serait-il pas? MAis il a fini par être convaincu, pas trop tard j'espère, parce que le Christophe s'est toujours intéressé à Bruno dès le début, et ça m'inquiétait.

C'est comme si Christophe devenait de plus en plus fou en nous voyant, moi et Bruno

- 460 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

amoureux et surtout Franck et Edgar aussi. C'est pas pour rien si Franck n'habite plus chez Christophe depuis trois mois, il y a une limite à se faire cracher dessus. Il me proposait d'aller demeurer là. Il ets malade ou quoi? Franck aussi à eu peur le soir à Granville ou Christophe conduisait tout croche dans toutes les rues de la villes, avec ses trois ou quatre bières dans le nez. Rasant les falaises, manquant de frapper toutes les automobiles, Bruno en est resté estomaqué. Moi je suis devenu très cynique, je l'attendais celle-là, mais j'était incapble de dire que nous retournerions à l'hôtel à pied, j'avais peur de la réaction de Christophe. Jaloux, on aurait dit qu'il fallait qu'il se débarrasse de moi. Et partout, toute la fin de semaine, je paniquais comme un malade, surveillant sans cesse toutes les façons qu'il aurait pu avoir de me tuer. Faut le faire! Bruno me disait que j'avais atteint le plus haut degré de paranoïa de ma vie. J'aurais tant voulu m'en convaincre, mais la peur ne partait pas. Mais Bruno a soudainement compris le soir avant la fameux soir où on tous faillit mourir en bas de la falaise. Comme si au dernier moment, il avait renoncé à ses idées de nous tuer tous. Mais à un mooment donné de la journée, il voulait mettre mon doigt dans un prise électrique d'un globe cassé. Il courait partout après moi et Bruno a eu peur et m'a défendu. Il a fallut que Bruno se fâche pour qu'il arrête. Je m'étais dépêché d'entrer dans le restaurant avec Franck. Ensuite il voulait me jeter dans un bassin d'eau très grand. Peut-être s'amuse-t-il à nous faire peur, mais n'est-ce pas comme ça que les accidents arrivent?

Bruno a identifié quatre étape de sa dépression. Il se lève calme le matin, commence à capoter le soir et à parler fort, il entre dans une période de déppression complète et silencieuse ppuis il sort de sa léthargie et devient dangereux. Avec l'alcool mes amis, attachez-vous, et encore, en bas de la falaise, s'il s'était éjecter de la voiture, nous attaché comme des malades, nous serions tous morts. Mais il y avait les plages ensuite. Et nous sommes allées marcher sur le bord de l'eau et monsieur a disparu complètement pour aller se cacher dans les rochers. Il y avait des pancartes partout qui disait de ne pas aller là, les éboulements sont très fréquents. Partout je pensais qu'il était là et qu'il aurait pu me pousser dans le vide. Heureusement nous n'avons pas cherché où il s'était caché et je n'ai jamais quitté Bruno. Et il y avait encore ces petites marches tellement dangereuses taillées directement dans la falaise, il voulait passer par là, et j'ai dit no way, i'm not gonna pass there.

- 461 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Le soir à l'hôtel, Bruno était traumatisé, je lui ai répondu qu'il paranoïyait. Il venait de comprendre comment je me sentais depuis 2 semaines et pourquoi je ne voulais absolument pas qu'il vienne avec nous à Granville. On a parlé jusqu'à 5 heures du matin, Bruno voulait partir durant la nuit, sans eux, louer une voiture, leur dire cela le lendemain. Non, j'ai dit qu'il serait plus sage de finir le voyage avec eux pour s'éviter les diverses conséquences ensuite. Peut-être ça l'aurait rendu encore plus dépressif et il m'aurait attendu dans un coin de Paris plus tard? Bruno voulait me ramener au Canada. Je voulais aussi repartir. MAis enfin, le lendemain ça n'a pas trop été mal, nous sommes arrivés à Paris avant la troisième étape de sa dépression. Et puis nous nous sommes laissés dans de bons termes. Je n'ai plus à m'inquiéter je pense. MAis je ne veux plus le revoir.

Pauvre Bruno, lui qui rêvait de me montrer Granville pour me convaincre qu'il fallait s'y acheter une maison de campagne un jour, j'avoue bien franchement que je n'ai jamais été aussi traumatis. de ma vie qu'à Granville. J'en fais des cauchemars. Mais bon, j'ai quand même pu apprécier la place. Mais c'Est comme à PAris, il mouille tout le temps. Et j'ai un trou dans mon soulier, quand il mouille, j'ai le pied droit tout trempe. J'ai le même problème à PAris et je n'ai pas l'argent pour m'acheter des espadrilles, elles coûtent minimum 120$. Il me reste 60$, selon mes calculs, la semaine prochaine je devrais commencer à grignoter ce qu'il me reste et commencer à crever de faim. Je ne peux plus en demander à Bruno, je lui dois déjà 5000$ et il capote parce qu'il ne lui reste plus que 12 000$ sur son 21 000$ qu'il avait en septembre. Ni ma mère, ni mon père, ni ma soeur n'ont fait un effort pour m'aider. Pas même un 50$ malgré mon insistance. Mon père me donnera ce qu'il peut le jour où il faudra que je lui dise, là, il faut que tu m'aides, je crève de faim dans la rue. Et je n'ose pas le lui dire et là je cumule les choses à payer, quand bien même il m'aiderait de 100$, ça ne payerait pas la bouffe. La misère s'en vient, la pire que j'ai jamais connue. Elle y est déjà de toute manière, je ne peux rien faire. Comment vais-je payer décembre? Et le ticket de RER? Et janvier je n'y pense même pas. Il faut que je vende l'imprimante, mais je dois l'argent à Bruno de toute façon. Vendre l'ordinateur? Il est même pas encore payé, j'ai déjà payé l'équivalent de son prix en intérêts. La vie est désespérante. Les gens qui sont prêts à nous aider, ce sont ceux qui attendent quelque chose en retour. DAns le cas de

- 462 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Franck, ses intérêts c'est que je lui donne toutes les notes des cours qu'il manque souvent, il m'a même déjà dit qu'il n'irait jamais au cours de mardi matin parce qu'il était trop tôt (10h). Et puis, il est évident qu'il espérait que j'étais gai. Avec mes cheveux longs, il n'y avait pourtant aucun doute.

(1h30 du matin)

J'arrive d'un souper chez Franck et Edgar et l'on a passé la soirée à détruire la Révolution. Et moi, j'ai passé la soirée à me justifier, à me défendre. La révolution, un vain effort. Qu'est-ce qu'ils ont tous? Rose-Marie n'a même pas lu le livre et voilà qu'elle me débite les critiques habituelles: «Il faut que tu laisses reposer dans ton tiroir trois ou six mois et tu vas voir, tu vas le réécrire.» ou encore «il faut rechercher la simplicité, il faut changer sa vision de l'écriture, le déclic va s'opérer et la lumière se fera» ou bien le pire: «aujourd'hui les gens veulent pas donner l'effort nécessaire, tout va trop vite, il prendront jamais le temps de le lire». Ils ont tous été à la même école ou quoi? D'un bord à l'autre de l'Atlantique on a même pas besoin de te lire, on te débite cette bullshit. «Il faut une description physique, psychologique, sociale de tes personnages sinon oon entre pas dans l'histoire, ça nous dit rien». Ne comprennent-ils pas, en ce qui concerne les commentaires de Franck, puisqu'il est le seul a avoir lu plus de 10 pages (et encore, en diagonal), ne comprend-t-il pas que c'est des effets recherchés? Que j'ai réfléchi quatre mois avant d'écrire le premier mot de la réussite, de même pour la révolution, cela pour être sûr de ce que je voulais faire? Il a pris un passge en particulier, la deuxième page de la Révolution, il a dit que c'était creux. C'est le passage du livre que je préfère, imaginez. On me conseille, ici encore, d'écrire du roman populaire. Eh bien, si c'est la même chose chez les éditeurs, adieu mes amis, je ne serais jamais publié, sinon avec un livre ultérieure, de toute façon j'ai tout mon temps, enfin je pense. Qui donc est à la tête de toute cette bullshit? Qui donc décide de ce qui doit être écrit, ce qui va être lu? Parce que de toute évidence, ce qui n'est jamais publié ne sera jamais lu. On publie le conformisme, l'exception traversera les siècles. Mais voilà pourquoi, un seul réussira à publier quelque chose de différent sur 1000, 2000? Et ça passera au silence. Il faut s'accrocher, je vous jure. L'écriture, le pseudo-métier le plus ingrat qui se puisse exister. Le premier petit con du bord s'avance pour te dire que ce que tu

- 463 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

fais depuis trois ans à 10 heures par jour, c'est pourri et faut le réécrire. Et tou ce bon monde parle la même langue. Moi pas. Ils ont pas compris le sens de cette phrase: «Avoir la liberté de dire que ce qui est nécessaire, entraver la justice que l'on s'est donnée». Ce n'est pas sorcier comme phrase, première page de la réussite. J'aurais peut-être dû écrire: «Moi, René le bon garçon (celui qui est un peu stupide), je me donne la liberté, en tant que personnage qui à les yeux marrons, cheveux perfecto coupé en rond, le petit orteil en décomposition (écrasée sous un train de la SNCF (train de la France)), ma situation sociale est de ne pas exister aux yeux des autres, je suis forcé à mendier, mon état psychologique du moment serait de vous massacrer tous, enf in bref, moi René, je suis ppersonnage d'un narrateur de cette histoire qui s'adresse à un public simple qui veut de la simplicité, moi René, je me donne la liberté de ne vous dire que l'essentiel, est-ce clair? J'ai pas besoin de tout développer, je pense que vous êtes assez intelligent pour déduire un peu l'histoire. Je me donne aussi la liberté de ne pas suivre les sacro-saintes règles que les monstres de la littérature essayent de nous imposer, de faire fi de ce que vous, lecteurs, croyez juste de ce que vous avez appris ou pas appris». Voilà comment on arrive à écrire un roman de 1000 pages qui crèvent la simplicité. Et encore, ce n'est pas simple une telle phrase, impossible à digérer, c'est certain. Comme phrase on popuvait pas mieux tomber, c'est elle qui justifie le style du livre au complet.

Rose-Marie Langlois. Une coïncidence si je la retrouve ici à Paris? Cette fille était dans ma classe à Jonquière voilà 11 ans, en sixième année. Je ne l'ai revue qu'une seule fois par la suite, voilà deux ans à Jonquière, à l'Envol. Je lui avais fait part de mes intentions d'aller étudier en France, intentions que je ne croyais guère dans le temps. Elle m'avait conseillé elle et Vincent, son mari. Or, Vincent est un très bon ami d'Edgar et voilà comment ce soir je me retrouve à un soouper avec elle. S'il y a une quelconque chose qu'il me faut comprendre par cela, je l'ignore complètement. Le futur m'en dira peut-être davantage, mais pour l'instant il m'arrive toutes sortes de choses ou chances et je suis incapables de les interpréter, de voir pourquoi elles arrivent, j'ai même l'impression de passer à côté de chances incroyables. Il y a le Ludovic entre autres à qui je devrais faire lire mes pièces de théâtre, le Fabrice que je devrais tenter de rencontrer, et tous ces gens dans le milieu qui n'at

- 464 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tendent que des projets, il me faudrait pouvoir les rencontrer. Enfin, j'avance là-dedans sans trop faire d'efforts, pensant sans doute que tout arrivera du ciel, comme d'habitude. Chaque chose en son temps. J'espère que je n'ai pas tort. De toute façon je ne suis pas celui à regretter de ne pas avoir agit de telle sorte ce jour-là, ça a au moins cela de bon, d'être fataliste. On s'inquiète peut-être un peu moins avec la vie. Mais si peu moins.

Mais d'où me vient donc toute cette confiance en mon oeuvre? Pouquoi suis-je persuadé d'être sur la bonne voie? Les gens me disent sensiblement les mêmes choses, ils ont raison, mais je ne prends pas cela comme un tort, je l'ai voulu! Se donner tant de mal pour faire d'un objet A, un objet B, pour te faire dire ensuite que l'oobjet A est le seul qui est acceptable. Et moi qui maintiens que B est acceptable! J'ai relu la Révolution encore dernièrement pour me convaincre que je n'avais pas tort. C'est dure, mais ça revient toujours. J'adore, j'aime, j'en mangerais encore dans 40 ans. Ils s'imaginent que je suis encore au niveau où je suis en admiration avec une vingtaine de lignes que j'ai écrit, que je laisse reposer trois semaines pour comprendre que c'est pourri. Mais d'où vient leur obstination à nous convaincre systématiquement que ce que l'on écrit est nécessairement pourri et que dans quelques temps on va comprendre?

D'un autre côté je me suis jamais senti aussi proche de la publication. J'ai un contact direct avec les maisons d'éditions, j'ai adoré ma rencontre avec l'éditeur Séguier sur la rue Séguier, il me regardait avec son sourire, son air de vieux connaisseur qui me regarde comme si, potentiellement, je serais peut-être le nouveau Rimbaud et que l'on s'arrachera peut-être mes livres. D'un autre côté je dis cela ce soir, mais hier j'étais convaincu, après tout le travail que j'ai mis là-dedans deppuis que Bruno est parti, que tout ces efforts étaients la goutte qui faisait déborder le vase, parce que ce sera encore vain ces efforts. Et j'étais vraiment écoeurer en marchant dans les rues de Paris à la recherche d'éditeurs qui n'existaient même pas, je me disais que je n'avais pas de vie. L'écriture aura détrui ma vie, ma joie de vivre, la joie de la vraie poésie de la vie. Apprécier un parc, un arbre, une rivière. Écrire c'est tout le contraire. Écrire, ça bouffe ta vie en entier, chaque minute, chaque seconde, ta vie entière en fonction de stupides lettres sur un écran d'ordinateur ou une

- 465 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

feuille de papier, des lettres que personne ne veulent lire mais qui ne s'empêchent pas decritiquer, détruire. Eh bien je suis à bout. À bout. Et c'est toujours lorsqu'enfin ça pourrait déboucher qu'on est prêt à tout abandonner. Mais voilà, on est pratiquement toujours près de déboucher, sinon on ferait rien, ce serait trop décourageant. L'Underground ça va attendre. Longtemps. J'ai décidé que j'allais vivre. À ce rythme, on va me retrouver mort dans 10 ans. Au moins si j'avais un quelconque but. Un résultat aussi petit qu'il soit. Rien, je n'ai absolument rien qui n'ai été publié dans toute ma vie, c'Est assez fort pour quelqu'un qui écrit depuis ses 11 ans. Et je crève de faim en plus. Et les études qui n'en finissent plus, et la bouteille de Beaujolais à 15 francs à côté, une folie que je me suis payée, je m'en vais la finir.

21 novembre 1994

Je viens d'avoir une idée diabolique. L'Underground sera un journal, où je vais mêler ma vraie vie et la fiction, empruntant même des passages de mon vrai journal pour le livre. Ce qui fera que l'on ne pourra plus distinguer le vrai du faux et le livre sera automatiquement intéressant. Je vais même suggérer à la planète que j'ai le sida. De toute façon je n'ai pas à m'inquiéter, au rythme où ce que j'écris se publie...

J'arrive de manger au restaurant sud, infecte. Infecte, infecte, infecte. Jeme demande quelle sorte de poisson j'ai osé manger et qu'est-ce qu'il y avait dans la salade. Un gars a fait une crise monstrueuse, traitant les arabes de semi-nègres parasites avant de sacrer son camp sans rien manger. Je n'ai absolument rien vu de ce qui s'était produit avant. Ça arrive à tout le monde un jour ou l'autre je suppose. Le problème c'est qu'il y avait un noir assis juste en face de moi et l'autre qui disait ses propos racistes, j'étais mal pour l'autre qui lui, semblait pourtant s'en foutre. D'autres soucis j'imagine, ou bien il cache bien son jeu. Si un Anglais se mettait à parler contre les Québécois pendant que je suis juste à côté, je pense que je me battrais.

J'ai passé la journée à faire la distribution des prix, de maison d'édition en maison d'édition, j'allais leur dropper mon big tissu de littérature. Il m'en reste juste 15 copies sur les 40 que j'avais à distribuer. Jamais je n'ai autant donné de manuscrit à des maisons qui

- 466 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ont un bon potentiel de le publier. Avant je postais à de fausses adresses, des maisons qui ne publiaient pas du tout ce genre de chose et qui ne me renvoyaient pas la copie et prenaient un temps fou à répondre. Ils me disent tous qu'ils vont répondre en dedans de 2 mois. J'ai peine à le croire, la plupart quand j'étais au Canada ont pris plus que 6 mois pour me dire qu'ils ne l'avaient pas lu. Je n'ai renvoyé mon livre à aucune maison d'édition d'avant, sauf Gallimard et Flammarion, mais Flammarion fait la difficile, deux fois ils m'ont renvoyé mon manuscrit parce qu'il était pas relié et qu'il n'avait pas 150 pages minimum. Ainsi la qualité d'un manuscrit va à la reliure et au nombre de pages. J'ai hâte de voir les résultats mais je ne me fais pas d'illusions.

22 novembre 1994

Aujourd'hui j'ai perdu toutes mes inhibitions. Romantique moment hélas, dans les jardins du Luxembourg, Frank m'ouvre enfin les yeux aux basses réalités de ce monde. Ludovic est séropositif, il va crever bientôt. Un choc, mais encore moins que ce qui va suivre. Pas l'ex-chum de Franck mais l'autre d'avant, trompait Franck à son insu et a pris le sida comme ça quelque part, le trouvant dans la rue et lui demandant gentiment s'il voulait bien l'aider à régler tous les problèmes du quotidien. Le problème c'est que les problèmes vont se régler, mais il y a encore une vie à vivre, 10 ans peut-être. Si j'y bien compris, parce que le sujet est tellement délicat que j'ose à peine poser des questions, mais enfin, je l'ai quand même bombardé de questions, Franck aurait continué de sortir avec le gars même après qu'il eut su qu'il l'avait trompé et qu'il avait contracté l'horrible chose. Comble de stupidité, après que Franck eut quitté ce gars, Edgar sortit avec le même gars pour une bonne période de temps encore. Puis, Edgar a laissé le gars et s'est mis à sortir avec Franck. Tout cela voilà trois mois. Le dernier test du sida que Franck a fait, c'était cet été, Edgar je l'ignore. Tout ce monde est séropositif, c'est une question de temps avant qu'ils le sachent. En tout cas il en faut de l'Amour, des sentiments, de la passion et tout le tralala et le tralalère, pour sortir avec la mort et de prendre toutes les chances du monde de l'attrapper. L'histoire d'Edwin est impardonnable, je croyais qu'il était ppresque vierge, monsieur avait couché avec tout le monde. L'histoire de Glenn est impardonnable, et Bruno savait très bien que le

- 467 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Glenn couchait avec toute la planète. J'ignore ce qui nous pousse à faire des folies. Le sexe, c'est toujours donc bien fort comme besoin pour oser ainsi risquer sa vie à chaque fois. Et qu'allons-nous faire quand Ludovic crèvera? C'est pas clair, on est pas sûr, selon Franck il y aurait eu pénétration sans condom. Cela fait moins de six mois en plus, c'est pas comme si personne était pas trop au courant du sida. Il me faudra plus faire confiance à Bruno non plus, selon Franck, si on se revoit en janvier, on va probablement rester fidèles. Mais si on attendait au mois de juin, c'est sûr qu'on se tromperait. La vie est plate. On peut même pu avoir de sexe tranquille avec son propre partenaire. Franck me parlait encore aujurd'hui de l'absurdité de chez les hétérosexuels, les hommes trompent encore plus leurs femmes que les femmes. Mais est-ce logique? Pour chaque homme qui trompe une femme avec une femme, une femme trompe son mari, non? En supposant que les célibataires qui couchent avec des mariés soit le même nombre d'un bord et de l'autre et que ce sont pas tous les mêmes femmes qui couchent avec tous les hommes différents. Mon père a eu plus qu'une dizaine de maîtresses, tous mariées. Le père de Franck même chose. Je pense qu'aujourd'hui j'ai vraiment été ouvert à la réalité du sida, c'est la première fois vraiment que je prends conscience que cela existe peut-être à quelque part même si on ne voit aucun symptôme. Enfin, comprendre que nous sommes mortels ne peut pas faire de mal, mais mourir 20 ans plus tôt, du sida plutôt que d'un cancer plus commun avant l'arrivée de l'horrible chose, n'est-ce pas du pareil au même? Sauf pour ceux qui avaient en tête de s'accomplir avant leur mort. Trop tard mes amis, fallait s'accomplir avant. Et puis de toute façon, qu'est-ce qu'ils en ont à foutre des gens de votre petit accomplissement personnel? Rien, rien, rien. Tu pogne le sida, tu crèves et c'est tant mieux. Et ça, toutes les bonnes femmes et les petits vieux qui vont à l'église ou tous les gros beefs qui se rencontrent pour boire un pot vous le diront. Qu'ils crèvent les maudis, enfin débarrassé de ces minables pédés, véritablement empoisonnement de nos belles sociétés pleines de prière fait au Dieu pour nous sauver, nous sauver des gais je suppose, et pleine de bière pour nous sauver, nous sauver du péché du monde. Alleullia cher Dieu, et que ta volonté se fasse!

26 novembre 1994

- 468 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

À partir d'aujourd'hui, tout ce que j'écris dans ce journal est en fonction de l'Underground et n'est plus vraiment ce que je pense (aussi dans mon journal par écrit). C'est même un dilemme. C'est bien beau de vouloir passer pour immoral, jusqu'où suis-je prêt à aller? Je me suis fait trôler aujourd'hui par un gars. Aucune chance que je couche avec. Mais devrais-je écrire que j'ai couché avec pour l'Underground? Déjà il y a certaines choses que je ne dis plus dans ce journal, comme peut-être qu'il m'intéresserait de coucher avce Franck, et même Franck et Edgar en même temps. Bon, ce sont des idées qui traversent l'esprit, des fantasmes, mais qui ne sont qu'idées et qui le resteront d'ailleurs. Moi et la fidélité, c'est le numéro un. Car je veux finir mes jours avec Bruno même si on me trouve puéril et naïf de le croire, en me taxant même de perdre ma jeunesse sur des chimères. Moreover, Bruno probably me trompe ou va me tromper anyway. Eh bien c'est ce que l'on verra et que l'on verra en temps et lieux. Voilà, après les trois étoiles, on entre dans l'univers Underground.

***

Enfin aujourd'hui on m'a trôlé en direct, dans un centre d'achat, à Châtelet-Les Halles, un gars, sous prétexte que je tenais des lettres et que j'allais au bureau de poste sur la rue du Louvre, proposait de me suivre parce qu'il ignorait où était le seul bureau de poste ouvert du coin. Alors on a commencé à parler, il est Switzerlandais, sur le coup je pensais à un pays bizarre que je ne cherchais pas à situer sur une carte mentale (pour ce que ça vaut ces cartes), puis en réfléchissant j'ai compris qu'il s'agissait de la Suisse. Or we spoke english because his french is really bad. But his english is not that great too. He speaks german. So he asked some questions, like how old I am, if I had any family here and all these questions that drive you to ask if you're doing sport, if you want to come to my place... so he invited me to eat at that vegetarian restaurant, he's vegetarian!, Le grenier de Notre-Dame près du petit-pont Saint-Michel. It was not that good. He paid for me, it's normal quand tu entretiens ta future victime, un bon sugardady paye toujours les factures. J'ai demandé où était son hôtel, j'y retourne ce soir pour qu'on aille prendre un verre ensemble. At the very end he told me he was liking me very much. Il avait déjà un autre rendez-vous avec une autre tapette pour aller nager à 5 heures. Je supppose qu'il va coucher avec à sept heures et à dix

- 469 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

heures avec moi. Il n'aura pas perdu ses trois jours à Paris. Inutile de dire que je n'irai pas chez lui ce soir. Mais c'était le seul moyen pour ne pas à avoir à lui donner mon numéro et adresse. Je l'ai bien regardé pourtant, il est pas laid. Mais si je suis pour tromper Bruno à nouveau, ce sera au moins avec quelqu'un qui est jeune et beau. Sinon, ma conscience risque de me faire perdre Bruno pour des monstres genre Éric. Parce qu'il s'appelle Éric, probablement Érik. Il a un frère qui s'appelle Roland. Des noms typiquement Germains je suppose. Alors voici comment on se fait payer un souper dans Paris quand on est super pauvre, sans passer au lit ensuite. Il me faudrait en rencontrer un par jour d'ici noël, car je commence à mourir royalement de faim. Le problème c'est que ce n'est qu'à la fin du repas que l'on sait s'il va payer ou non. Et veut veut pas, quand tu te demandes si tu vas payer 100 balles ou non que tu as pas, tu paniques. Je l'imagine tout nu, il doit être un peu défraîchi, il dit qu'il a 33 ans, l'âge du christ, l'âge magique. Un an de plus on serait trop vieux, un an de moins et on est encore frais et un gay de 19 ans pourrait se dire que ce n'est pas si pire en rapport à la viande qu'il y a sur le marché. Mais ses cheveux blancs le trahissent, à cet âge-là le Christ est mort depuis longtemps, il a eu le temps de décomposer une couple de fois et les os sont déjà noircis.

Le gars qui avait ma chambre avant est redébarqué aujourd'hui. Il se demande comment ça se fait qu'on a donné sa chambre. Ah là on connaît la vraie nature de nos compatriotes. Ils se sont tous mis à parler dans mon dos pas fort, mais je n'y suis pour rien moi si Mme Hould m'a laissé pénétrer dans l'enceinte sacrée du Canada en France. D'ailleurs, en ce qui concerne la position des Français sur la séparation du Québec, c'est assez impressionnant. Alors, tous ces gens oublient pendant des siècles que les Québécois existent jusqu'à ce que Charles de Gaulle lui-même s'en rende compte en venant faire une visite au Canada en 1969. Alors depuis, la diplomatie dit qu'elle se fout complètement du Québec (pour des raisons faciles à comprendre, la France elle-même a des problèmes avec ses colonies qui veulent elles aussi la séparation ou du moins l'autonomie. Mais le peuple français, lui, ce qu'on entend pas du tout au Québec, le peuple est 100% pour la séparation. Sans même savoir ce qui se passe au Canada, des Français sous le giron Anglais, c'est fini ça. Un gars m'a dit au bureau de poste (encore, décidément c'est la place pour cruiser à Paris), il m'a dit: alors, quand est-ce qu'ils la font leur séparation les Québécois? Je lui ai répondu que

- 470 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

maitenant que j'étais en France je n'avais plus aucun moyen de le savoir. Parce qu'à Miami la Presse arrive le jour même. Mais qu'à Paris, La Presse arrive avec huit jours de retard. La délégation du Québec en France, qui m'a été aussi utile qu'un escargot vivant dans mon assiette, reçoit la Presse deux jours après et veut se faire des affaires en France: 8$ la copie qui vaut 0,50$ au Québec. Décidément, la délégation du Québec doit agir à d'autres niveaux qu'aider les Québécois dans le monde. On m'a fait me déplacer à travers Paris au complet pour me dire en arrivant sur place que la bonne femme qui s'occupait d'aider les gens à trouver un appartement, c'est-à-dire qu'elle m'aurait fournit une misérable liste vieille d'une semaine et ç'aurait déjà été trop tard, bref, elle partait en vacances le jour même pendant trois semaines et qu'elle ne désirait pas me recevoir. J'étais en christ parce que je venais justement de transcrire une série d'articles à Ottawa qui disaient justement que ça coûtait cher au Québec ces petites ambassades et que c'était fort souvent inutile et stupide de pas prendre un bureau au sein de l'ambassade canadienne. Et moi j'aurais pu me rendre à l'ambassade canadienne plutôt que de perdre mon temps avec la délégation québécoise. Et la fewmme qui me dit en plus que ça doit faire plaisir pour moi d'entendre une voix québécoise au bout de la ligne. Oui, oui, je l'ai envoyée cette femme-là quand je suis arrivé là et qu'elle m'a dit que l'autre voulait pas me recevoir et que je devais revenir dans trois semaines.

Bref, la deuxième personne en France qui m'a dit que tout le monde était pour la séparation, c'est la femme chargée de l'accueil à l'hôpital Notre-Dame sur la place du Parvis. Dieu qu'elle était bête! Bête avec tout le monde! Je m'étais préparé à en dire le moins possible, ne pas lui poser la question à propos de l'hépatite B dont j'ai pas reçu le vaccin, parce qu'elle était vraiment de mauvaise humeur et qu'elle allait me recevoir comme seuls les Français savent recevoir. Bref, elle s'est transformée comme par enchantement quand elle a vu que j'étais Canadien. La même chose chez sa collègue, qui elle, m'a chicané en grand quand je suis entré dans la salle des vaccins et qu'il y avait une femme à poil là-dedans, elles se sont tous mises à crier, un homme qui voit une femme à poil! Au secours, le viol va suivre! Elle a regretté ensuite, elle s'est reprise avec des blagues. La réceptionniste était d'ailleurs tout mal à l'aise parce que l'autre m'avait chicané. Des fois je remercie le ciel de n'être pas né en Algérie avec une peau un peu bronzée avec quelques années et kilos en plus. Jamais je n'aurais pu m'en sortir autant avec toutes les formalités d'usage avec des

- 471 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gens aussi bêtes dans chaque bureau de Paris. C'est tout à leur vouloir vous savez. Il y a toujours une solution, parfois très simple, c'est à savoir si elles vont faire l'effort ou non de la trouver, et souvent ça va en fonction de ta tête. Comment croyez-vous que j'aie pu avoir une chambre à la Maison des Étudiants canadiens alors qu'il n'y en avait pas? J'ai pleuré, elles m'ont tout donné. Un autre exemple, la femme qui donne les cartes d'étudiants qui donnent accès à la bibliothèque, elle exigeait une preuve de résidence à Paris, la feuille d'acceptation à la Sorbonne, la feuille verte des équivalences obtenues, la feuille rose de l'inscription administrative, la feuille blanche de l'inscription pédagogique, le passeport, le visa, et puis comble de l'horreur, il manquait le plus important: la carte de séjour délivrée par la préfecture de police. Elle avait dû en mettre trois dehors le jour même pour la même raison. Je lui ai dit n'importe quoi, comme quoi je pouvais pas l'avoir tout de suite, j'attendais des papiers, etc. Elle me l'a donnée la carte, avec le sourire. La femme du Latin, perdait patience tout le temps. J'ai fait deux ou trois blagues, mes amis, j'y suis retourné quatre fois en quatre jours pour sans cesse changer le cours ou l'heure, tout ça avec le sourire! Elle a dit qu'avec mon sourire, c'était plus facile. Et moi qui croyais que la jeunesse ne servait à rien. Elle sert à se sortir un peu de la bureaucratie. Parlant de bureaucratie, il serait temps que je m'occupe de la carte de séjour, du visa prolongé, de la sécurité sociale, de l'enregistrement à la mairie ainsi que de l'ouverture d'un compte de banque. Voyez, aucun moyen de s'en sortir. Et le sourire ne suffit pas toujours. Je dis elles, parce qu'il n'y a que des femmes dans les postes bas de l'administration de la bureaucratie française. Pauvre France, je passe le clair de mon temps à la critiquer parce que j'arrive pas à la satisfaire avec tous mes papiers. Mais si on est français, je crois que ça devrait bien aller. Mais ça, ça reste à prouver.

Je déteste Mme Colot, ma prof de latin. Elle débine son cours à une vitesse folle, on peut pas prendre de notes. J'ai passé proche de lui dire d'aller moins vite. Une fille m'a devancé, ça a été le massacre. Elle s'est fait répondre sur un ton méprisant que la matière du cours était trop grande pour l'heure qu'on y consacrait par semaine et qu'elle désirait soulager sa conscience, elle se fout si on est pas capable de prendre les notes de deux heures en une heure, elle, elle aura tout dit ce qu'il y a sur les feuilles d'un autre prof, notes qu'elle réussit même pas à comprendre elle-même. J'ai osé poser une question et je regrette amère

- 472 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ment, j'ai passé pour un imbécile. Elle disait que selon les normes de latin en vigueur à Pompéi à l'époque, on pouvait constater d'après des graffitis qu'il y avait sur les murs, que le peuple, lui, ne suivait pas les normes en vigueur. Or, c'est justement la grande question aujourd'hui, à savoir, qu'elles étaient ces normes en vigueur dans chaque pays du monde, et jusqu'à quel point on les respectait. Alors j'ai osé dire que l'ignare du peuple qui a écrit les graffitis était peut-être quelqu'un de lettré, pas nécessairement un moribond du peuple qui ne savait pas écrire. Elle a alors répondu que j'étais innocent parce que nécessairement, s'il était pas un ignare, il aurait suivi les normes en vigueur de l'époque. Je pense qu'elle n'a pas compris mon point de vue.

Paris, le 26 novembre 1994

Nicole Girard

Salut môman,

Il fait un temps tel à Paris que les feuilles des arbres ne tombent pas. Il est vrai que je m'ennuie et que je n'ai pas d'amis, même si je pourrais m'en faire ici à la Cité. Je m'ennuie de Bruno et je n'ai pas la tête à continuer mes études. Il m'aurait fallu un an de break, comme je le disais. Mais j'avais peur que la chance ne se représente pas.

Mieux eut valu s'acheter une maison avec Bruno, il me demande si je veux revenir. Mais ça termine à la fin juin. J'espère pouvoir être là à Noël, mais cela me sera impossible sans aide de la famille. Tu t'es trompée pour le prêt, ils prévoient que je ferai 3205$, donc le prêt après-noël sera de 3100$ et même pire, ils pourraient m'en enlever 150$ pour le retard et 1000$ parce que j'ai travaillé. Au pire allé ils m'en donneront peut-être même pas. Nous verrons, je m'occupe de tout cela tout de suite.

Tu dis que c'est plaisant d'être à Paris, je n'y suis pas par plaisir, j'y suis pour travailler sur mes études et surtout, pour la publication de mes livres. Alors je passe le clair de mon temps à lire des livres de grammaire et de syntaxe et à travailler sur l'ordinateur. Paris, je t'avoue que je ne le vois pas.

Je sais bien que ce n'est pas le coeur qui manque pour m'aider financièrement, avec papa aussi, je connais sa spontanéité naturelle à nous aider. Je comprends que toute la famille a déjà fait des choix arrêtés sur des choses à payer et qu'elle ne puisse plus m'aider.

- 473 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Mais j'ai peur qu'à être loin on finisse par m'oublier, tu sais.

L'imitation de ma signature par papa est intéressante, qui a dit que je signais mal? Tout le monde ici me dit le contraire. Et puis il n'y a que trois lettres à imiter. Un gars ici pensait que je signais RRE qui signifie Parti socialiste en France, mais enfin, à part cet incident...

Je suis désolé pour M. Doucet, mais tout s'arrangera peut-être pour toi. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Comment ça se fait que tu n'as pas pris le parti d'Antonia Devost? Le sait-elle que tu n'as pas pris son parti? Pauvre elle. Je suis content qu'elle ait gagné son quatrième mandat, elle le mérite sûrement. Ça fout tellement rien un conseiller scolaire, elle est la seule personne qui réussisse à faire déboucher des plans impossibles. Tu te souviens quand elle habitait à elle seule l'ancienne grosse école Sainte-Famille?

J'ai reçu ta lettre ce matin, c'est-à-dire samedi le 26 novembre. Tu l'as postée mardi le 22 novembre. Ça prend 4 à 5 jours à arriver, mais c'est par poste express. Cela aurait pris plus de temps je suppose par la poste normale. Tu pourras regarder cette lettre-ci, je la poste aujourd'hui le 26 novembre.

Tout va bien j'espère, moi j'ai assez de misère avec l'argent, je ne conceptualise pas comment je vais finir l'année. C'est plate cette histoire de l'ordinateur de MAG, le grand-père était pourtant prêt à m'aider dans mes études l'autre jour, en Génie seulement je suppose? Ne comprend-t-il pas que les études supérieures à la Sorbonne c'est encore plus prestigieux et mieux que le Génie à Ottawa? Si on pouvait lui faire comprendre cela...

Je ne sors pas, je mène une véritable vie d'ermite. Je vais à tous mes cours, je ne me fais pas d'illusions sur la publication de La Révolution, c'est trop poétique pour les collections des maisons d'éditions. Mais pour le prochain, dont j'en racontais un peu le sujet dans la lettre collective numéro un envoyée à Frédérique, il s'agit d'un journal au jour le jour, mon journal en fait, agrémenté de fiction diverse pour amplifier certains passages. Il s'agit de ma vie en tant qu'étudiant qui arrive à Paris et qui se fait enrôler dans un genre de société secrète. Je vais amplifier la pauvreté, la misère, l'abandon des études, etc. L'intérêt du livre c'est qu'on arrivera pas à distinguer le vrai du faux et qu'à la limite, ce pourrait être une histoire vraie. Il sera d'un français beaucoup plus accessible, mais sera un peu vulgaire. Je t'avoue que je ne voudrais pas que ce livre soit publié au Canada, ni distribué,

- 474 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

car les gens se feront une fausse image de moi. Je vais parler de drogue et de sida, deux univers totalement étrangers à moi. Moi? Voyons donc, je suis la pureté au sens propre du terme!

Je ne me relis pas parce que je dois aller au bureau de poste. Au revoir, bonne chance dans tes projets. Tu peux faire lire cette lettre à Fred si elle passe. Je m'ennuie de vous, de Jonquière, du Canada, et tout. Grosse bise, tu sais que je t'aime malgré les distances, on se reverra peut-être à Noël? Cette année j'étrennerais la belle grosse maison à Frédérique et Stéphane. La maison à moi tout seul! Je les mettrai dehors pour la circonstance...

Bye, Roland-Michel Tremblay

28 novembre 1994

Je suis dans les jardins du Luxembourg et comme André Gide que l'on emmenait ici de force lorsqu'il était jeune, je m'ennuie affeusement, et moi je n'ai même pas de petit copain aveugle pour m'aider à me faire passer le temps. Je manque mon cours avec Rougeot ce matin, tant mieux, il est tellement plate. J'ai dû aller à seulement un ou deux de ses cours depuis un mois et demi, et je n'ai assisté à aucun cours de M. Tritter. Il fait trop froid pour écrire. Je vais aller à la Sorbonne, à la biblio, tient, un jour il me faudra bien la visiter. Je devrais retourner au Canada, je suis trop seul, la vie est affrusement plate.

Je viens de visirter la bibliothèque, ça a été une expérience traumatissante. Une grande salle où il n'y a que des tables et des chaises, aucune place de libre. Tous ces gens travaillaient, et moi qui n'ai même pas relu une page de mes notes pour voir de quoi ça parle. J'ai l'impression que l'on demande les livres au comptoir, ça fait pitié de voir ça. Comment une telle université a pu acquérir une telle réputation? Juste en faisant couler ses étudiants? Est-ce possible? Il ne semble pas y avoir d'ordinateur, tout le monde cherchait dans un vieux système de fiche à tiroirs. Cela fait sept ans que je n'avais plus vu une bibliothèque qui fonctionne avec des fiches. Jamais plus je retournerai à la bibliothèque, il me faudra trouver le moyen d'acheter ou d'emprunter les livresd'un autre. Qu'est-ce que je fous moi, il faudrait que je m'y mette, sinon je vais tout couler et je ne pourrai même plus rester en France. D'ailleurs c'est assez incroyable, je suis pris en France jusqu'à ce que je

- 475 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

reçoive la carte de séjour. Un mois au minimum que ça prend. Or, j'ai mon billet d'avion pour le 24 décembre, ça fait vraiment chier la bureaucratie. J'ai reçu le vaccin de la tuberculose aujourd'hui, paraît que dans trois semaines ça va se mettre à couler, le gros abscès que ça va faire. Pisser le sang qu'elle me disait. Bon dieu, êtes-vous bien certain de m'Avoir donné une injection pour me prémunir contre la tuberculose ou bien vous m'avez donné la maladie? Je veux bien croire que Pasteur a inventé le vaccin, que la France a donc été le précurseur dans le domaine, mais c'est comme les voitures ça. Les Américains les inventent mais les Japonais les perfectionnent.

Je suis allé marcher dans les Marais hier. Je passais par là, alors pourqoi pas. Peut-on imaginer meilleur nom pour qualifier le quartier Underground de Paris? Les Marais, ça a une de ces connotations merveilleuses, des parasites qui grouillent dans la boue, j'en ai des frissons. Un des bars s'appelle Subway, avec le même sigle que mon livre. Mais pourquoi Subway? Probablement parce que le nom Underground aurait été trop explicite. Jamais j'aurais osé entrer seul dans un de ces bars. Quelques gars m'ont regardé dans la rue, je passais vite. J'ai beaucoup pensé à Bruno, beau-Bruno. Hier dans le métro une fille parlait de ses écrits. Au Chalet de la gare proche de la Cité, un gars parlait de ses écrits. Et puis il y a tous ces gens qui écrivent et que j'ai rencontrés depuis que je suis à Paris. Ou bien il y a plus de la moitié de la population qui écrit et tente ou pense à se faire publier, et alors mes propres efforts sont inutiles, ou bien c'est l'air de Paris, assez affreux merci, qui exhorte ses habitants à se défouler sur papier. J'ai repensé à M. Breton et ses petits livres publiés cheapement à Saint-Germain-des-Prés. J'ai relu aussi le plan de fou des Éditions la Bruyère qui me demandent carrément 3 200$ au lieu de me demander de vendre 40 livres à l'avance. Tous ces projets sont tentants, je l'avoue. Mais j'ai ce pénible sentiment de payer chèrement quelqu'un qui n'a pas l'intention de faire d'efforts pour distribuer, le payer chèrement pour lui offrir les droits de la Révolution. Où donc est l'intérêt? S'il y avait une deuxième édition, j'aurais 10%, 1$ par copie vendue. Qui fait l'argent là-dedans? En plus, quand bien même ils voudraient faire des efforts, le nom seulement de leur maison d'édition fait fuir, hypothéqué complètement. J'aurais bien envie de le publier moi-même ce livre. L'envoyer à une trentaine de journaux ou revues. Je suis capable, et trouver un distributeur, et l'envoyer aux meilleures librairies, et garder les droits d'auteurs. Voilà qui serait intelligent. Ce serait pas

- 476 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mieux que Gide, Proust, Rimbaud, tous trois ont publié à compte d'auteur leur premier livre. Pour une faillite complète d'ailleurs, mais remarquez qu'ils se sont fait connaître. Dans l'hypothèse où ça me coûte 3000$, est-ce que ça vaut la peine de publier la révolution? Moi même je ne suis pas certain de vouloir investir l'argent que je n'ai pas. Si j'avais de l'argent, ce serait sans doute différent, et si j'avais le temps aussi. C'est rrop d'efforts et j'aime mieux perdre mon temps à écrire qu'à tenter d'être publié.

J'ai un de ces mal de tête, Paris suce mes dernières énergies. Et je n'ai même pas encore commencé à étudier, à se demander si je vais commencer un jour. Réveille! C'est le mois de décembre! Selon Franck, qui est à Rome en ce moment, y'a tout plein de tapettes dans le cours de M. Neveu. Malheureusement, ceux dont ça se voit sont ceux qui n'attirent pas sexuellement. En plus ils ont l'air en décomposition, je me méfie, ils ont tous le sida. Ludovic a pris le sida dans les neuf derniers mois, à se demander si on le pogne pas juste à embrasser quelqu'un. Et l'autre, Christophe, dont on a pas voulu me mettre au courant, mais qui a tout fait pour nous signifier qu'il avait le sida, comment l'a t-il pris? Comme l'Allemand et le Canadien l'an passé à l'auberge de jeunesse près de Maubert-Mutualité métro? C'est-à-dire en couchant avec une prostitutée sans condom et qui est dans ses règles en plus? On ne se demande pas si on a le sida après, on l'a c'est sûr. Mais il y a tellement de sensibilisation et les chiffres des statistiques ne cessent d'augmenter. Et il y a cette folie de faire du sport chez les gays qui n'aide pas. Rares sont les gays qui ne s'entraînenet pas. Par perversité ou pour rester beaux, car dans cet univers, il faut être beau pour coucher avec quelqu'un. Et je ne parle pas d'avoir une relation de fidélité, ça, je suis pas sûr que ça existe, et à Paris, je sais que ça n'existe pas. Bref, il s'en passe des choses catholiques dans les centres de sports, du sexe, du pognassage, des transmissions de maladies. Mais ça c'est aussi chez les straights, ne vous illusionnez pas trop vitem chaque hôtel du monde entier à sa petite industrie de paradis aphrodisiaque, et c'est pas gratuit. Ça me rappelle le gars dans la rue qui voulait me vendre le paradis gratuitement: «Le paradis, gratuit!» Quand le paradis sera gratuit mes amis, ce sera le temps de se suicider. Tient, ça me rappelle la nouvelle génération de quêteux qui déferle sur Paris et surtout dans le métropolitain: «Bonjour mesdames et messieurs. Excusez-moi de vous importuner, je sais que ce n'Est pas la première fois et j'espère que ce sera la dernière [tu parles d'une solidarité. Et là, c'Est ici que l'his

- 477 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

toire change un peu selon l'interlocuteur. Parfois on entend la même histoire raconter par deux personnes différentes, dans deux coins de métros différents]. Je n'ai pas mangé depuis deux jours. J'ai perdu mon emploi, ma femme et mes enfants. Je me suis retrouvé dans la rue. Si vous pourriez me dépanner de quelques francs ou même d'un ticket restaurant, ça pourrait me permettre de me loger, de me nourrir et de me laver ce soir. Je vous remercie Mesdames et Messieurs de votre générosité et j'espère que ça ne vous arrivera jamais.» Tu parles s'ils le souhaitent, et d'ailleurs, ça risque de m'arriver bientôt. Alors, analysons un peu tout ce beau discours commun à tous, partout pareil, dit sur un ton de machine qui n'a plus rien d'humain. Existe-t-il une céole gratuite pour apprendre à quêter dans le métro? Vite, montrez-moi où c'est, que je répare certaines choses qui fait qu'on a envie de tuer cette école avant qu'elle ne fasse de Paris une ville de mendiants. Ces mendiants qui me font me rendre coupable, moi qui ne pourrai même pas vivre au-delà du mois de novembr, c'est un peu fort. Je donne sans cesse mes dernières pièces empruntées à ces femmes arabes qui bougent pas assises sur des marches tenant un enfant ou deux. Elles restent-là pendant des heures, cela parce qu'ils sont probablement ici illégalement, et que ça, ça ne pardonne pas. Il faudrait les aider quand ils sont ici, peu importe comment ils sont arrivés. On ne peut pas avoir de meilleure preuve que de là où ils viennent c'était pire et qu'ils ont besoin d'aide. Ça ne m'en prendrait pas beaucoup pour être ici illégalement. Perdre un papier important ou me le faire voler, faire une erreur dans toutes la paperasserie administrative ou d'immigration, tout ça c'est fort possible. Plus avoir d'argent pour retourner au Canada, ou être incapable d'y retourner sous peine de perdre quelque chose ici, genre la carte de séjour ou la chance d'avoir la nationalité dans quelques temps.

Il existe une autre catégorie de quêteux dans les métros, ceux qui vendent le magazine La Rue ou Réverbère, les revues des gens de la rue et des chômeurs. J'en ai acheté a un gars qui faisait pitié et pour voir c'était quoi sa revue Réverbère. Je vais regarder ça éventuellement. Il y a aussi les musiciens, Bruno aura pas de problème à s'en trouver, les métros en sont pleins. Et souvent ils sont agressants, ils entrent juste avant que les portes ferment alors qu'il n'y a plus de place, que les gens sont crevés de leur journées, et là, eux, ils commencent à se faire de la place et à jouer de l'accordéon, super fort. Alors qu'ils semblent ne savoir qu'un morceau ou deux. Est-ce que ça paye la mendicité? J'ai l'impression que oui,

- 478 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

sinon, que font tous ces gens, il fautt bien qu'ils payent leur logement, la bouffe, tout ça est hors de prix à Paris. N'est-ce pas le pire moyen de ramasser de l'argent? Il faut toujours bien que ça paye bon Dieu.

Où sont les beaux gars en France? Le seul que j'ai vu et qui m'a vraiment frappé, c'était justement au BVG, l'auberge sur la rue des Bernardins. Un Américain je pense, ô ironie. Pas que les gars soient laids, mais d'un genre différent qui ne m'excite pas. Ça, pour ressembler à des cartes de mode, ils l'ont très bien. Grand, mince, l'air motard un peu, efféminé à la fois, non, ce n'est pas pour moi. Non pas que les Américains sont tous beaux, même en général, mais au moins on en voit quelques-uns de temps à autres qui font du sens. Peut-on se conditionner à ce qui est beau comme on se conditionne au café? C'est-à-dire que le café en France est dégueul de mon point de vue. Je dois bien admettre que de ce point de vue, McDonald me sauve la vie en me fournissant du bon café. Mais je sais que si j'habituais au café français, je ne voudrais plus du café eau de javel américain qui n'est nul autre d'ailleurs que le café de l'Angletterre, maintenant que j'y pense. Alors, est-ce que je m'habituerai à leur idée de la beauté d'un homme en France? On en reparlera quand je serai vraiment en manque, ce qui ne saurais tarder.

30 novembre 1994

Je viens de me faire refuser les notes du cours de M. Tritter, catégoriquement, par deux filles. Ce sera plus difficile que prévu. Mais Franck est supposé essayer des avoir. Je vais attendre les résultats, rien ne presse. J'en ai déjà vu des pires. M. Tritter, mon ami, j'ignore à quoi ressemble tes cours, mais je sens que ça commence mal et ça me fait chier.

Franck s'est fait refuser les notes, une autre a finalement accepté avec hésitation. Je sens que le coours de Tritter va être lui aussi être une expérience traumatisante. Au moins aujourd'hui j'ai terminé l'imprimage de la Voix de la Vérité.

1er décembre 1994

Faux, c'est pas fini et ça commence à me faire paniquer. J'ai dix jours pour lire dix

- 479 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

livres de grammaire profonds et plats. Solution? N'en lire aucun. Comment voulez-vous travailler sur une maîtrise si j'arrive même pas à étudier un partiel d'un cours? Je ne pense même pas au suicide, je m'en fous complètement. Je vais sans doute le regretter, mais que voulez-vous. Le pire c'est que le gouvernement du Québec reprendrait son argent si je lâchais. Ils se foutent que j'aie effectivement dépensé l'argent, un abandon de mes cours est certainement la façon la plus rapide d'atteindre le fond. Il me faudrait déclarer faillite, alors la France m'expatrierait, c'est sûr.

Ouah, ça sent le ti-pére nouël à plein nez, 1er décembre, mes copines at Ottawa U assistent à leur dernier cours de l'année, et capotent à cause des examens. C'est à peu près la même chose pour moi, mon examen partiel est samedi de la semaine prochaine et c'est pire que n'importe lequel examen final que j'ai eu à passer at Ottawa University. Bousté comme je le suis, j'ai l'impression d'y jouer ma vie. Demain est une journée consacrée entièrement à la lecture de livre le plus plate de la planète, L'Énonciation en linguistique française. Que celui qui connaît un livre plus plate que cela lève la main. Pardon, je vois que tout le monde s'est levé la main. Il faut croire, la planète est pleine de ces livres tellement plates qu'ils fournissent de bonnes raisons aux gens de mettre fin à leurs jours. Écrit par Maingueneau, Dominique. Si je rencontre cette femme à Paris, je la tue et ensuite je lui explique que c'est parce que j'ai quatre de ses briques à me payer en quatre jours. Allons voir dans quelle université de Paris elle enseigne... ouah! C'est non seulement un homme, mais il a de la chance en plus, il enseigne à l'université d'Amiens. J'ignore c'est où. Moi en France, la seule ville dont je connaisse l'existence, c'est Paris. Et ce n'est pas une ville française, c'est une ville internationale. La preuve c'est que je ne suis jamais allé à Paris par un autre chemin qu'en passant par le pôle nord. À chaque fois j'attrappe une grippe d'ailleurs. Idée bizarre que celle de passer par le pôle nord, paraît-il, c'est parce que la planète est difforme et que c'est plus vite en passant par là. C'est absurde, tout le monde sait bien que la Terre est plate. Si quelqu'un a effectivement passé au travers les 24 fuseaux horaires et qu'il pense avoir fait un tour complet de la planète, il existe plusieurs hypothèses aussi valables que le concept le plus fou d'une boule suspendue dans le néant. Pensez-y deux secondes, ça n'a aucun sens. En fait, quelque chose qui a encore moins de sens c'est les livres de Maingueneau. On me critique sans arrêt quand j'écris, prétextant

- 480 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que je demande un effort d'analyse à mon lecteur, pensez-vous que Maingueneau n'est pas pire? Il exige non seulement un effort, mais il sait très bien qu'on ne comprendra jamais toute la bullshit qu'il a lu dans une centaine de livres et qu'il nous recrache là dans ses petits livres bien présentés.

Aujourd'hui ça m'a fait chier, Franck me prend pour un cave. Ah oui, pas besoin d'aller au cours, R.M. y va. Or, moi aussi j'avais l'intention de le prendre pour un cave aujourd'hui et j'avais décidé de ne pas y aller. Or, je l'appelle pour lui dire qu'il faut qu'il faut qu'il y aille, il me dit qu'il n'y va pas, et ce, même si je n'y vais pas. Mais il me signale que si je commence à ne pas aller à mes cours, c'est une mauvaise habitude que je vais prendre et qu'après je vais abandonner. En plus il rajoute que si j'ai pas commencé à étudier, je suis déjà foutu. Paniqué ben raide je suis allé à l'école, j'ai sorti mes briques de Maingueneau et mes grammaires, et lui? Pendant ce temps j'ignore se qu'il faisait mais il réussit très bien à me faire marcher. C'est pas mêlant, je suis téléguidable à distance. Il me semble l'entendre dire à Edgar combien je suis un petit con qui court d'un bord et de l'autre, naïf, qui fait tout ce qu'on lui dit de faire. Il se trompe en grand s'il s'imagine que le moindre service qu'il va me demander je vais dire oui messir Meyrous, vos désirs sont des ordres. D'ailleurs, depuis que j'ai vu le film Philadelphia, je vois des sidatiques partout. Franck à un petit bouton sur la tempe et ça part jamais, ça saigne toujours un peu. J'ai vraiment l'impression qu'il a le sida. De toute façon vaut mieux que je le pense ainsi il n'y a aucune chance que je couche avec. Parce qu'on s'est pas encore mis à étudier ensemble et que ça c'est toujours inquiétant quand tu as quelqu'un de beau en face de toi, que tu es seul avec et qu'il ferait tout pour coucher avec toi. Combien de gens cèdent sous de tels manquement de civisme?

Paris me décourage, 25$ pour 1000 feuilles pour imprimante au laser. C'est pas possible. J'ai acheté une boîte de 5000 feuilles identiques à Ottawa voilà trois mois pour 25$. Cinq fois le prix! 270$ que ça me coûterait pour une cassette d'encre pour l'imprimante. Impossible, je peux pas l'acheter. Ça coûte 150$ à Ottawa en magasinant un peu, mon boss les achetait à 100$ en spécial chez Grand and Toys once in a while. On peut critiquer les Américains tant qu'on veut, mais VIVE LES AMÉRICAINS! Oops, n'allons pas trop vite. En fait, c'est bien parce que ma machine est américaine qu'elle me coûte si chère

- 481 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

en France. D'ailleurs je soupçonne que la machine a été fabriquée en Chine. Voyons voir... au Japon. Comment peut-on arriver à nous faire croire que c'est américain? C'est tout japonnais ça. VIVE LES JAPONNAIS! Oops, n'allons pas trop vite. En fait, c'est bien parce que ma machine est pseudo-américaine fabriquée au Japon via la Chine, passée au Canada parce je ne sais quelle combine et traversée à Paris via le pôle nord qu'elle me coûte aussi chère! Aucun moyen proprement dit de s'en sortir. J'ai acheté une cassette de U2, 20$. Ça faisait longtemps que j'avais pas acheté une cassette aussi chère. Ah oui, j'oubliais, Franck m'a dit que j'ai eu un bon deal pour les feuilles, elles coûtent le double ailleurs (!). Dix fois plus cher qu'au Canada! Pourquoi suis-je incapable de comparer la France avec autre chose que les Américains? Parce que j'ignorais tout du monde à part les Américains. Parce que, semble-t-il, les Canadiens sont eux-mêmes Américains en se targuant d'être très différents, et même, en les critiquant. N'est-ce pas par coïncidence que je n'achète que des produits Américains, des automobiles américaines que mon père achète tout le temps, camelote comme c'est pourtant, et mon grand-père. Et l'épicerie, tous les produits No name et President Choice, les Canadiens s'imaginent peut-être qu'il s'agit du président de la nouvelle république québécoise? Tout le papier, tous les fast-foods, tous les magasins, tout tout tout! Et Dieu merci, ça nous coûte moins cher pour vivre. Parce qu'en France c'est ça qu'il manque. De la compétition bon dieu de bon dieu! C'est bien, aucun produit que j'achète ne vient de l'extérieur de la France. Tout, je dis bien. Je n'ai encore rien acheté qui ne soit pas français depuis que je suis en France. Pire, je suis incapable de trouver autre chose que les produits français. Je vois en ce moment la moitié de la France qui jouit d'un tel commentaire, réveillez-vous! Vous en payez le prix bande de caves! Pourquoi ça coûte 10 fois plus cher le papier ici qu'en Amérique? Parce qu'il doit exister un paquet de lois affreuses qui empêchent tout ce qui est pas français de passer la barrière. Mais je connais les Français, ces lois sont totalement inutiles, eux-mêmes ne veulent pas vendre ce qui n'est pas français sachant probablement que les Français n'en voudront pas. Bien sûr un pays peut s'autosuffire, mais ça coûte horriblement cher pour les consommateurs. L'industrie est en changement constant, au diable les quelques pertes subies par la compétition, on se réoriente, on se spécialise dans certains domaines et puis c'est tout. Mais bof, je ne suis pas cave, je ne resterais pas trop longtemps ici, à moins de vouloir faire faillite. Tiens, ça me rappelle ce

- 482 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que Franck disait, il disait que je resterais en France beaucoup plus longtemps que je le pense. Mais je ne pense rien moi, j'ai rien qu'une envie, c'est crissser le camp! Non, j'aimerais que Bruno vienne me rejoindre mais ça aussi je suis pas sûr que ça m'intéresse. La vie gay à Paris fonctionne à planche, tu leur dis que tu as ton chum depuis trois ans et que tu es pas intéressé par eux et ils veulent rien comprendre, ils te disent que tu es mignon devant ton chum, t'invitent à des partys mais signalent que ton chum peut pas venir. Tsk, incroyable. En plus celui qui me disait ça il était pas très beau. C'est lui qui disait que le bûcheron avait l'air d'une folle alors que c'est lui qui avait l'air d'une folle. Mon dieu, s'il fallait que ces gens-là lisent mon journal, on me poursuivrait dans les rues de Paris je pense. Même chose au Canada, imaginons un instant mes parents, ma soeur, son chum, le chum de ma mère, Ginette ma mère cochonne (j'aime définitivement cette expression), mon demi-frère futur premier ministre ou président de la république québécoise, Claude-Éric, ma pure demie-soeur, tiens, j'ai oublié son nom. En tout cas je me souviens celui de son beau chum Benoît, imaginons-les en train de faire l'amour ensemble, ça doit être beau en maudit. Je vais leur demander qu'ils filment tout ça, mieux, je vais leur proposer de filmer ça sous prétexte que ce sera intéressant pour eux de regarder ça quand ils seront à leur crise de divorce où lorsqu'ils seront tellement vieux et laids qu'il faudra le support de la technologie pour nous indiquer pourquoi on avait décider de finir nos jours avec cette immondice là en face de nous. Et mes grands-parents qui liraient ça? Religieux comme ils le sont, c'est la syncope. Savoir qu'un tel est gay c'est une chose, mais l'entendre dire à un homme comment il l'aime et qu'il adore se faire entrer une grosse bite dans le trou de cul, qu'il aurait envie de lui lècher les couilles et le reste, bref, c'est pas ce que l'on imagine à prime abord. Mais j'imagine ma demie-soeur dont j'ai oublié le nom en train de dire à Benoît comment elle aimerait se faire pénétrer ce soir, mettre sa langue dans son vagin, tu crois que c'est possible? La pureté n'est toujours qu'apparente.

2 décembre 1994

Ce 2 décembre mes amis! Noël est encore plus près qu'hier, je panique donc un peu plus qu'hier. Je viens de recevoir une lettre de Nathalie Petit, elle est insultée parce que je

- 483 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

lui ai envoyé cette lettre collective. Ah ces femmes, elles voudraient le monde sur un plateau d'argent. C'est déjà beau qu'elle ait reçu un lettre collective, je n'en écris jamais de lettres. Non, non, inquiète-toi pas Nath, je vais t'écrire une lettre à la main. Lafon aurait demandé de mes nouvelles, et même mon adresse! Surprise, Nat me dit qu'elle m'aime beaucoup et qu'elle viendra me voir à Paris quand elle va passer. Wow! Je suis pas prêt psychologiquement à affronter celle qui m'a le plus insulté cette dernière année. M'aime-t-elle depuis qu'elle sait que je suis à la Sorbonne? M'aime-t-elle? Pourquoi donc j'ai fini par croire tout le contraire? De toute façon, si elle vient, on ne se verra pas de maître à élève qui cherche à apprendre une matière désuète et relative à son étudiant, en l'occurrence la frontière entre la courtoisie et l'insolence, mais en tant qu'êtres adultes égaux. Mais venant d'elle, ce serait impensable. Un prof ça reste un prof toute sa vie et ça s'imagine que les étudiants restent leurs enfants toute leur vie. Et ça pourra dire dans 50 ans: «Oui, le petit Roland-Michel je l'avais dans ma classe, c'était un de mes étudiants.» Et elle poussa se targuer ainsi d'être mieux que moi et que si j'ai du succès un jour, qu'elle en aura le mérite à quelque part. De toute façon ce serait malheureusement vrai. Nous sommes tout de même le produit de certains enseignements. Heureusement on est libre de dire que c'est de la marde quand ça fait plus notre affaire.

Aujourd'hui je me suis fait arnaquer. Arnaquer comme on ne voit même pas ça en Italie. Que l'on soit Normande dans sa boulangerie, Parisienne dans son magasin d'alimentation générale, que l'on soit arabe dans une épicerie miniature qui ne vend rien, ou un inconnu riche à la tête de la FNAC, tout le monde nous arnaque! Il n'y a pas une boulangerie à Paris où l'on vous remettrait une baguette de pain très belle si vous ne vous présentez pas tous les jours et que vous spécifiez que la baguette est un peu trop cramoisi et que vous en voulez une autre. Or, moi je fais le tour de toutes les boulangeries pour voir laquelle est la mieux et laquelle ne va pas me donner un pain brûlé ou pas cuit pour s'en débarrasser, bon dieu! ils m'ont tous arnaqué! Ah ça, pour la solidarité, c'est bien. Mais quand l'arabe place en arrière du comptoir ses boîtes de céréales et qu'il y a celles passé date et les neuves avec 25% en bonus, là j'ai dit que je voulais l'autre. Mais la conne, la Parisienne, celle-là ne veut pas que l'on se serve dans ses fruits et légumes, résultat: elle m'a donné les deux seuls piments verts pourris du lot, trois tomates pas trop belles en comparaison avec les autres,

- 484 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

huit clémentines au lieu des six que j'avais demandées, ajoutez deux bananes et ça m'a coûté plus que 70 Francs sans reçu ou coupon-caisse. Tabarnack! Mais le mieux c'est la FNAC, 300$ pour une cartouche d'encre pour mon imprimante, et moi qui croyais que c'était 270$. Me faut-il accuser Hewlett Packard? Allons-y. Vous les Hewlett Packardiens, laissez-moi vous dire que votre belle machine que j'aime tant (I can't help it), elle me ruine! A-t-on idée de construire une machine aussi gi-gan-tes-que? Un si petit ordinateur portatif avec à côté un mastodonte d'imprimante. Quand je la starte je n'ai plus besoin de chauffage et je dois augmenter la sonnerie du téléphone pour entendre mes appels. En plus, pas fou les cons, on me donne une seule petite cassette qui s'insére à l'intérieur, ne prenant que des papiers de format American Standard. J'en ai rien à foutre de vos papiers American Standard! Y'a pas juste ça sur la planète! Là je peux plus rien faire parce qu'en France on utilise du papier A4 et que question American Standard, on sait pas que ça existe. Mais ce n'est pas tout. Dans une société aussi conscientisée à l'environnement, comment peut-on construire des cartouche d'encre aussi grandes et surtout, non rechargeables? Pour la bonne conscience ils ont un réseau de ramassage de ces cartouche pour nous démontrer qu'ils font attention à l'environnement. Réseau qui ne fonctionne qu'aux États-Unis, à moitié au Canada, et en plus, pas pour nos beaux yeux ou ceux de la planète, mais pour qu'ils les remplissent et qu'ils nous les revendent à un prix de malade. Aucun doute, ils doivent rouler sur l'or. Ça prend tellement d'énergie que je suis incapable de la ploguer dans ma chambre, j'ai une extension et je la plogue dans le corridor au risque qu'il y en ait un qui s'enfarge et se tue. Je lui dirai alors que c'est la faute à Hewlett Packard. Mais là j'accuse HP, mais ce serait pire si j'avais acheté l'imprimante IBM, parce que là je regretterais, ça n'a aucune valeur de revente, ça a l'air plus cheap, et en plus, je déteste déjà suffisamment IBM pour je ne sais quelle raison. Je regrette de pas avoir acheté Apple, mais en Amérique, IBM a tué Macintosh. Me voilà maintenant incompatible avec la France entière! Ah oui, hier il y a une femme chez Duriez qui voulait me vendre une cartouche Canon pour ma Hewlett Packard. No way, la garantie serait plus bonne. Comme le fait de remplir ces stupides cartouches, la compagnie est contre, elle veut plus garantir la machine si on le fait, elle perdrait trop d'argent. Elle nous fait croire que ça brise tout. Le problème c'est qu'à Paris, encore la solidarité, personne ne veut me dire où je peux les faire remplir.

- 485 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

(Minuit trente) Je viens de téléphoner Célinas, my pure beauty! What are you doing? Je lui ai demandé quand elle viendrait. Mars, mars, mars, mars, ça résonne dans ma tête. A-t-on idée de venir ajouter au traumatisme de mars? C'est tout de suite que j'attends ma Céline! Céline c'est ma marraine. C'est une femme spéciale comme on en rencontre jamais dans sa vie. C'est avec elle que je voudrais être placé sur une île déserte si je n'aurais le choix que d'une personne. Pour elle rien n'est problème. Elle aurait les pires problèmes du monde et il n'y aurait encore rien là. Elle dit être fière de moi. C'est bien beau la fierté, mais encore faut-il la mériter, c'est-à-dire qu'il faut que je me mette à étudier et que je réussisse. Ce qui n'est pas évident. Mais elle dit être fière de moi juste du fait que je sois ici. Ah, si seulement cela suffisait. Mais on a rien pour rien dans la vie. On se bat pour être accepté, mais il s'agit là du prologue. Il faut se battre pour l'exposition, souffrir durant le noeud, devenir fou au dénouement. Ce, sans même savoir si l'histoire sera une comédie ou une tragédie. Une tragi-comédie maybe. Je me vois déjà annonçant à toute la famille que j'ai coulé mes cours ou que je les ai abandonnés. Mon père se tirerait une balle.

Ah oui, j'oubiais, mon deuxième grand-père est mort. Bof, il m'en reste encore un qui est très vivant, celui qui achète des ordinateurs de 5000$ à mon petit cousin. Petit, il faut s'entendre, il a dix-huit ans aujourd'hui, c'est vieux ça. À 19 ans je me débattais déjà dans Ottawa avec l'université. Était-ce trop tôt? Pas vraiment, c'était rendu le temps. Enfin, Philippe est mort. Paraît que Ginette a réussi à se réconcilier avec avant sa mort. Tant mieux, il est toujours important de régler les derniers détails d'avant la mort d'un proche, sinon on vit avec des remords jusqu'à notre avant-mort. En ces cas là, vaut mieux mourir. Peut-on vraiment ne rien regretter? Quels sont mes plus grands regrets? Soit que je n'en ai aucun ou soit que j'ai trop bu pour m'en souvenir. J'ai été au 5 à 7 de 20h à 23h ce soir à la MEC. J'ai jasé avec de vrais scientifiques avec l'esprit formé en fonction de la démarche scientifique la plus rigoureuse. C'est-à-dire recherche d'informations demi-preuves, pose d'une hypothèse à vérifier, etc. Le problème de ces scientifiques c'est qu'il manque une étape dans leur démarche. Celle de sortir de leur petit univers fermé de la simple observation des phénomènes. On peut observer une orange pendant des semaines, pour paraphraser Nerval, et l'on ne comprendra pas davantage l'essence de ce fruit. Parce que lorsque l'on arrive à observer une philosophie mystique comme celle des Rose-Croix, la science contem

- 486 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

poraine devient totalement impuissante. Comme dans l'étude de toute religion d'ailleurs. Impuissante c'est le mot. Tellement impuissante de par sa nature même qu'on lui a donnée, qu'il lui faut rejeter en bloc de longues séries d'hypothèses sous prétexte qu'il n'y a pas là d'occurrences quantifiables, qualifiables et vérifiables. Elle n'a d'autre choix devant cet apparent handicap de tourner en dérision la crédibilité de gens pourtant reconnus dans des domaines tout de même très élaborés. Tout n'a-t-il pas une logique interne éloignée de la logique que l'on connaît? Ces gens s'amusent avec la complexité du corps humains, structure micro-biologiques et tout, tentant d'en déceler la moindre structure logique et la moindre loi organisatrice qu'ils réussissent à trouver, et ne se surprennent pas que l'on puisse leur poser la question du comment à un autre niveau, à savoir, comment une telle organisation est-elle possible? Eux ils en ont décelé les mécanismes et affirment en avoir découvert le fond, arraché quelques mystères à la vie qui nous entoure. Les masses s'attirent, c'est une des lois non pas de la nature, mais de la physique. Ensuite on ne se pose plus de question. C'est logique et puis c'est tout. Quelle sorte de logique avez-vous donc? La logique change selon la planète où nous sommes, selon si on est enfermé dans la terre ou dans l'espace, la logique change selon la science que l'on étudie, la logique est un illogisme en elle-même. L'imagination à elle celle défie toute logique, perhaps elle a ses mécanismes et donc sa logique interne. La science est illogique, la science perd son temps. En attendant on perd tous notre temps et l'on trouve des vaccins et on s'en va sur la planète mars. Pourquoi pas le système solaire à côté? Pourquoi pas envoyer un satellite observer des électrons qui tournent autour d'un noyau? Pourquoi pas créer des univers et devenir le dieu d'une famille perdue sur un électron? Pourquoi pas recréer des robots semblables aux humains, leur programmer les sentiments, les émotions, ça aussi ce sont des mécanises quantifffiables, qualifiables, vérifiables, programmables. Pourquoi la science, qui a besoin de tout connaître, de tout savoir, ou d'en apprendre un peu plus, mais si peu. En attendant on crève plus de la tuberculose, on guérit des maladies bizarres, on sauve des bébés, on a une surpopulation mondiale que le pape se réjouit, on s'en va sur mars, le pape n'en parle pas de ça. Quand ce sera le temps de coloniser l'univers il en parlera, vous verrez. À qui profite la science?

Ce n'est pas un préjugé (si peu, enfin, bref, oui c'est un préjugé), comment cela se fait-il que les scientifiques que je rencontre peuvent sembler aussi limités dans leur champ de

- 487 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pensée? Il y a d'autres hypothèses qui méritent d'être posées et qui ne sont pas nécessairement vérifiables pour la science actuelle. Ce pauvre Newton qui a caché toute une partie de ses études pour ne pas perdre sa crédibilité. C'est la meilleure preuve que l'on puisse fournir à l'hypothèse que le monde scientifique est borné dans le champ de ses études. J'ai peut-être des préjugés sur le monde scientifique, mais vous ne m'enlèverez pas de l'idée qu'eux ont non seulement des préjugés pour les sciences moins évidentes, mais ils tournent tout le monde qui y touchent en dérision. Vous voulez perdre votre crédibilité du jour au lendemain? Affirmez avoir vu une soucoupe volante. Après il ne vous reste qu'à prendre votre retraite, vous cacher loin de toute civilisation. Combien de scientifique ont vu des phénomènes bizarres et qui n'ont pas osé en parler à qui que ce soit, ou pire, ont tenté comme toujours de trouver des explications logiques souvent loufiques ou non vérifiables pour se convaincre qu'il n'y a rien là d'anormal? Bravo, continuez. On peut discréditer la moitié de monde qui affirme avoir vu des lumières bizarres, mais est-il scientifique de les discréditer tous? On a pris sur le fait une couple de pédophiles en action, on les a mis en première page alors qu'il y a cinquante fois plus de viols de femmes à côté qui ne font même pas les manchettes. Résultat? Les gays doivent se battre encore aujourd'hui pour prouver que les pédophiles sont une minorité du monde gay et souvent n'appartiennent même pas au monde gay. Et que non, le monde gay n'est pas plus pédophile que le vieux straight pourri qui va à la messe tous les dimanches. Pour en revenir à mes préjugés, allons-y gaiement puisque le monde est en train de mourir sous les préjugés, la science est un univers pourri et égoïste, comme partout ailleurs. On se bat pour des miettes de subvention et l'on garde toutes nos minables découveertes pour soi. Des millions de gens crèvent à côté, ça c'est pas leur problème. Eux ils sont là pour avoir de l'argent et se construire une réputation. Or, on ne découvre pas grand-chose si on échange pas notre savoir. Parce qu'il n'y a pas d'égalité dans ce monde et qu'il nous faut la première place. Alors la fraternité dans ces conditions, cherchez-là. Ainsi cinquante équipe qui travaillent sur le sida ne s'échangent qu'un minimum d'informations et travaillent peut-être tous à franchir une étape qu'une équipe a probablement déjà franchi. Pendant ce temps il y en des milliers qui crèvent et le Vatican est content. Content-content-content. Ça, vous viendrez pas me dire que c'est faux, lisez le Catholics Insight, la revue catholique du Canada, du fascisme pur et simple.

- 488 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Pourtant la parapsychologie est une science. Une science, à ce que l'on entend, qu'aucun scientifique ne prend au sérieux. Allez voir les statistiques sur le nombre de gens qui vont voir des voyantes et des tireuses de carte, vous seriez bien surpris de voir que les scientifiques n'ont plus rien en commun avec le peuple. Les voyants, encore une chose inacceptable, tous des charlatans, jusqu'au dernier? Qui sait à quel univers on peut être initié lorsque l'on est prêt à pousser l'observation au-delà des premières constations.

Il y a de si belles filles en France et des gars si laids que je vais me mettre à courtiser les filles. De toute façon ça ne donne rien de courtiser les hommes à la Maison des Étudiants canadiens, là on ne peut pas faire plus straight. Parfois j'ai tendance à oublier qu'ils existent encore ceux-là. Stéphane, le gars d'à côté qui se vante d'être un homme-rose, a un petit garçon de huit ans, Dérek, et a apprécié le livre Being at home with Claude de René-Daniel Dubois. Que penser d'un tel anachronisme? Est-il gay ou est-il vraiment ce nouveau spécimen d'homme différent qui vient de naître avec la génération X? Le gars d'en face aussi a aimé le livre, ils en discutaient tous les deux, se le ventant l'un l'autre. Peut-on être sensible, aimer les pièces de théâtre 75% porno-gaie, regarder les autres gars sans avoir l'impression d'être menacé, tout ça en étant straight? C'est mes deux grands-pères qui doivent se retourner dans leur tombe, eux qui n'ont jamais osé changer une couche ou cuisiné quoi que ce soit. Demain on va voir tous ensemble une pièce de théâtre de Robert Lepage, le génie québécois en action. J'ai vraiment hâte de voir.

3 décembre 1994

À Paris il y a une idée qui vogue chez les gays comme quoi, après s'être bien assagi avec le sexe, le temps arrive où il faut se choisir une femme, la marier, aller rester avec elle. L'histoire dit même qu'il s'agit d'un mariage de convention et que la consommation du mariage y est un concept vague. Les époux gardent leur indépendance sexuelle, et paraît-il, il y a beaucoup de femmes à Paris prêtes à s'embarquer dans des histoires comme ça. On se croirait en plein roman balzacien, on se demande c'est quoi les intérêts dans tout cela si ce n'est pas les apparences. Car enfin, la seule motivation quune femme straight aurait à se marier avec une tapette (les gays ont le droit de dire tapette, les straight non, alors pensez-

- 489 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

y deux fois avant de m'appeler tapette) c'est pour garantir que les jobs trop difficiles seront accomplies as the years go by and to show to all society that there not an old maid. Cachant également ses nombreuses escapades. Et le gay lui, c'est probablement pour contenter ceux qui seraient encore ignorants du fait, et par conséquent fermer la trappe des mononcles et des matantes qui perplexes, s'aventurent encore à chaque jour de l'an à demander s'il y a pas une fraîche jeune fille à marier dans notre vie, renforçant à chaque année un peu plus leurs doute sur l'homosexualité. Mais remarquez que la vie parisienne est plus complexe encore et que les intérêts de telles unions me sont encore peu connus. Ainsi on m'a présenté la belle Anaïk, 22 ans, mais qui semble plus jeune. Blonde, belles petites fesses, j'en suis presque tombé amoureux. Le pire, chose impensable, je viens de me masturber en pensant à elle. N'allez pas en déduire qu'on pourrait changer la switch qui est dans mon cerveau. Ça arrive très peu souvent et ça dure jamais longtemps. Mais j'aimerais bien faire l'amour avec. J'ai dit à la blague l'autre jour au souper que je cherchais une éppouse de convention pour avoir des enfants. Elle s'est écriée qu'elle était intéressée. Arrête! Tu nourris des fantasmes que Bruno ne pardonnerait jamais. La belle Anaïk. La question c'est, pendant combien de temps lui ferais-je l'amour en la désirant avant que je baisse les bras et que je lui annonce la fin de notre relation? Et si elle veut se faire un chum et moi de même, faudra-t-il qu'on les voit en cachette, ou come on everybody, tonight is the night show: me, my wife, my boyfriend and the brand new boyfriend of my wife. Et je suppose que je jouirais plus à regarder le chum de ma femme sauter ma femme que moi à la sauter. Des plans de malade tout ça. Mais j'aimerais bien avoir des enfants. Pas besoin de mariage pour ça. Je me demande quand je vais commencer à me renseigner à propos des moyens à ma disposition pour avoir des bébés in vitro, in vivo ou une femme qui voudrait elle aussi un enfant, ou prête à accepter de l'argent pour se faire. La vente des bébés, un marché lucratif, à coup de 15 000$, 25 000$? Plus cher qu'une automobile! C'est pourtant moins gros qu'une auto, et ça chiale en bonus. Les prix sont gonflés, c'est évident. On se rabaisse sur la morale encore une fois pour justifier de tels prix. Dieu qu'elle sert cette morale, à devenir immorale en fait. Combien d'avotements chaque minute à Paris only? Combien de bébés donnés à la naissance ou tués après la naissance dans les pays bizarres arabes ou avoir une fille est une vraie perte selon les coutumes? Un bébé ça vaut rien! Alors donnez m'en un gratuitement,

- 490 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

il me coûtera de toute façon assez cher. J'ai l'intention de l'entretenir davantage que ce que mes parents ont pu mettre en argent pour maintenir en condition leur automobile ces vingt dernières années.

J'ai assisté à la pièce Aiguilles et Opium de Robert Lepage, interprétée par Marc Labrèche. La pièce avait tout pour m'intéresser, Lettres de Cocteau et Miles Davis le saxophoniste. On reliait donc Paris-New York, exactement mon obsession du moment. Comme quoi il n'y a rien à faire, Paris et New York sont deux villes jumelées. Autant à Paris qu'à New York, et je dirais même que l'on sent davantage la présence de Paris à New York que de New York à Paris. En effet, à Paris on parle des Américains en général et des États-Unis. Mais New York c'est les cafés, les resto chics, le charme de la mode, etc. Le français est considéré comme la langue des riches et, je l'ai déjà dit, occupe une place de choix tout juste après l'espagnol. Un Français à New York ne trouvera pas un emploi facilement, parce que des Français il en pleut. Ce qui est une autre explication du pourquoi les deux villes sont liées. Mais il y a aussi que psychologiquement on ne peut pas faire autrement que de les lier, l'histoire littéraire et musicale se partagent Paris-New York. Ensuite, la pièce de Lepage avait une mise en scène bizarre du théâtre moderne québécois et de ce point de vue là je ne suis pas déçu. Le texte avait des pointes franchement intéressantes, mais j'aurais voulu aller plus loin. Chez Cocteau, ça fait longtemps que je veux m'ouvrir à l'univers Cocteau, je pensais que j'allais en apprendre plus, niet. C'est le seul point faible. Mais j'en sais un peu plus sur Robert lui-même puisque c'est lui-même qu'il mettait en scène. Ça j'aime ça, alors que les critiques d'habitudes détestent. Il ne faudrait jamais parler de soi, ou si oui, en parler indirectement. Quel intérêt? Quand on entend Aznavour nous chanter qu'il est la grosse tapette travestie du coin ou qu'il est le jeune artiste qui veut réussir, alors il parle d'une cuisse qu'il peint alors que l'on sait qu'il parle de lui, mais il doit passer par le peintre pour nous raconter sa petite histoire. C'est plate. Comme quand Robert nous explique comment il en est arrivé au théâtre, il dit qu'il a coulé sa géographie et que boum, il s'est retrouvé au théâtre. Ça me ressemble. J'ai commencé à écrire en coulant mes premiers examens de sciences au Cégep et puis écrire sérieusement en coulant mon droit à Ottawa. Mais ça passe mal dans la pièce, parce qu'on est conditonné et que l'on nous a dit que c'était mal. Robert peut se le permettre, avec sa réputation internationale. Mais on voit qu'il

- 491 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

hésite quand même. Bref, une réussite. Je n'en suis pas jaloux, je sais que je pourrais moi aussi arriver à faire cela avec beaucoup de travail, mais j'ai jamais le temps. Je suis d'abord mal situé, je ne connais rien dans la mise en scène, ce que je veux dire c'est que lui il peut se permettre de prendre le temps d'imaginer tous ces éléments qui surprennent l'oeil du spectateur et que moi c'est toujours entre deux examens ou travaux à remettre que j'écris trois lignes d'un livre. Bref, je lui donne un D+ comme note. Notez que je donnerais B, mais on est en France et qu'en France, on ne donne jamais B. On donne un D+ quand c'est excellent, c'est la note maximale. Si j'avais le temps, j'irais voir toutes les pièces de théâtre de Paris (ce serait d'ailleurs impossible, j'ai même pas eu le courage de lire plus que 6 pages du Pariscope) pour comparer. Il se fait certainement des trucs très bien, mais j'ai un préjugé. Il y en a tellement que ça ne vaut plus la peine. Je ne voudrais pas que l'on représente La Légende de Val-Jalbert à Paris, j'en aurais honte. En fait, la seule place où je voudrais voir cette pièce montée, c'est à Val-Jalbert même, et en permanence. Sinon, autour du Lac-St-Jean. Montréal ou Québec à la rigueur, mais encore là. Antonia, c'est définitif, ce n'est pas l'envie qui me manque de la brûler. Elle a définitivement été écrite pour prendre tout son sens avec Antoine. Sur le papier ça n'a l'air de rien, mais avec de bons comédiens et toute la musique, je sais que ce serait bon. Mais rien de génial ou de particulier. Encore une histoire du couchera-couchera pas, vaudeville affreux que les années oublient. Moins bien que ce qui s'est fait, j'en suis convaincu. Et justement ça parle trop de moi et Bruno et je donnerais raison à la critique si elle m'accusait de pas avoir été assez caché. Mais je me suis donné pour mandat de faire de l'auto-biographique. À venir jusqu'à date je n'y ai pas manqué, en admettant que les gens puissent voir qu'est-ce qui se passait dans ma vie lorsque j'écrivais La Révolution. Des fois c'est trompeur. Même la légende de Val-Jalbert est l'histoire de mes ancêtres. Je me demande si un jour je rivaliserai avec des Robert Lepage, soyons plus modeste, je me demande si un Robert Lepage un jour pourra admirer une de mes oeuvres. En lire une plutôt. Je me demande s'il est gay. La question est absurde, au Québec ils sont tous gays dans le théâtre. D'ailleurs, dans la pièce Aiguilles et Opium, il est évident que le gars à Paris communiquait avec un autre homme à New York. Aucune référence au beau sexe, et en plus, je pense que j'ai entendu un lui à un moment donné. D'ailleurs, ça avait l'air que c'était Cocteau qui téléphonait à Miles Davis à New York. Enfin bref, s'il est

- 492 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gay, ça change pas grand-chose à ma vie. De toute façon il n'y a pas d'aide à attendre de lui. Même la Voix de la Vérité, ça me semble un peu puéril, trop. J'en aurais un peu honte s'il n'y avait pas un peu le message sous entendu des piliers, mais encore là, cette oeuvre semblera un peu trop disparate. La Révolution est très construite, un peu trop hermétique cependant, personne ne se donne la peine d'y embarquer. Ils font une lecture de surface, eh bien, ils restent en surface. J'ai commencé à lire les Nourritures Terrestres de Gide, tsk tsk, très immoral comme livre. Je comprends pourquoi il a écrit l'Immoraliste ensuite. 500 exemplaires de vendu en dix ans, de ses Nourritures. Un échec total. Pourtant ça me semble très intéressant, plein de philosophie surprenante et puis, écrit dans un français Académicien. Mais c'est vrai que pour le straight bêta qui voudrait se payer cette brique-là, il faudrait qu'il soit un fan de Gide, sinon ça risque pas de lui dire grand-chose le message de la volupté contre la morale que l'on donne au petit désespéré qui est gay et que l'on aime. Ils ont même dû y voir de l'inceste, je le sens. Partout ils projettent leurs fantasmes et ils nous accusent ensuite d'avoir ces fantasmes. Ils devraient plutôt nous remercier de leur fournir la chance d'inventer leurs fantasmes. Anaïk dont je parlais tout à l'heure, elle à l'air d'avoir 15 ans. Fraîche nue, elle m'excite. Maintenant, son frère aussi, il a 19 ans, il semble en avoir 15. Frais nu, ce doit être incroyable, pouvoir y toucher, avec l'interdit en plus, on n'ose même pas y penser, les mécanismes de la censure entrent en action. Je n'ai que 22 ans, on peut me pardonner de telles idées à cet âge. Somme toute, on pense que j'ai 15 ans moi aussi. Quand j'aurais 42 ans et que je répèterai la même chose, je sens que je perdrais mon travail, que les bonnes femmes frémiraient à entendre mon nom, que l'on me laisserait pas son enfant pour quelques heures, trop dangereux. Bien sûr que c'est dangereux, vous savez bien que je n'attends que cela pour dévorer la belle pêche lisse qui dort tranquille sur son lit, ce, même si je suis allergique à ce fruit douteux. J'ai eu la chance un jour de coucher avec Phil, le jeune Tchéchoslovaque de 17 ans qui avait l'air d'en avoir 14. Je ne l'ai pas prise cette chance. Je le regrette peut-être, je ne sais pas, je n'y ai pas goûté. Mais j'aime mieux ce qui est plus homme. Mais je ne veux pas m'y limiter, c'est sûr. On arrête pas nos fantasmes de tourner parce que la personne n'a pas l'âge réglementaire, ça tourne et ça prouve qu'on est pas un tronc d'arbre. D'ailleurs, parlant de tronc d'arbre, Pascale parlait de Lucien Bouchard comme d'un tronc pour sa femme parce que soudainement il avait une jambe am

- 493 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

putée et un bras peut-être qui serait amputé. C'est très méchant, elle a regretté ses dires ensuite. Mais c'est inouïe, quatre cas de bactérie mangeuse de chair dans tout le Canada en un an, et voilà que ça touche l'homme de l'heure du Québec. Un signe du hasard? J'ai bien hâte de voir s'il va survivre, je l'espère vraiment, et surtout, quelles seront les conséquences de cet émoi sur les résultats du référendum, peu importe ce qui va advenir de Lucien. Quand Dieu se met à frapper trop fort et de façon évidente, le questionnement ne nous éclaire pas davantage. Je suppose qu'il y a soudainement eu une remontée du séparatisme au Québec. Je suppose aussi que si Lucien meurt, le Québec se sépare c'est sûr. Ah ce Lucien, tous les moyens sont bons pour transmettre ses convictions aux gens. Il le fait exprès c'est sûr, il a fait son speech d'adieu à la télévision et tout le monde s'est mis à pleurer. En plus il va s'en sortir. Mais je lui suggère de mourir, là c'est sûr qu'il gagnera le référendum. C'est là que l'on distingue les gens qui sont prêts à tous pour convaincre les autres de ses convictions. Courage Lucien, on te soutient dans ton sacrifice! C'est beau de se sacrifier pour son pays. C'est pour ça qu'il est dangereux de devenir un modèle en société, on est alors la meilleure cible de Dieu pour prouver ou convaincre certaines personnes de certaines choses. Comme moi, si je devenais connu, il faudrait me donner le sida. Alors là on serait certain que j'en parlerais et que j'en parlerais, convainquant ainsi un millier de petits gays à prendre le condom même si avec un bout de caoutchouc on sent plus rien et qu'on jouis plus du tout. Oui, je suis la cible parfaite, mais Dieu, je te le dis, imagine-toi pas qu'une autre tapette qui crève du sida va changer beaucoup de choses. Ça fait juste renforcer la crise existentielle des humains, ils osent plus vivre, se rendent coupable de tout, finissent par détester la vie. Avoir si peur de mourir que ça nous tue. Profitez de la vie «mes anges», la vie est encore rose pour vous. Plus pour longtemps, sida ou pas, vous allez tous passer à la trappe.

4 décembre 1994

L'action vient juste de se terminer et je me demandais si j'aillais suivre le bal. La fille d'à côté vient de se faire sauter par son chum et elle jouit en christ. Tout l'étage l'entend, c'est sûr, même le lit craque pour un moins deux étages. La premuère fois que je

- 494 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

l'ai entendue jouir je me suis mis à paniquer, j'essayais de distinguer si c'était un chien avec une patte prise dans un piège, puis enfin, une fille en train de se faire violer dans la cour. Elle jouit comme se lamente un animal qui a mal. Ce n'est pas méchant, c'est une réalité. Le gars lui est silencieux. Je me demande s'il est beau. C'est ensuite mon voisin psychologue qui s'est mis à se masturber pendant plus de trente minutes. Celui-là même qui nous étalait aujourd'hui ses théories freudiennes sur l'homosexualité. D'abord il a commencé par nous confirmer que ses profs prenaient encore tous ça pour une maladie. Ensuite il nous a dit que selon lui il s'agissait d'un manque d'amour qui faisait qu'on finissait par s'aimer excessivement soi-même jusqu'au narcissisme et qu'ensuite on s'aimait tellement qu'il fallait une extension à soi et c'était pourquoi on s'actualisait dans les arts. Sans compter notre obsession maladive du pénis, au point qu'il nous en faut absolument un pour soi et un autre d'un autre. Sure! Babsy, I need yours! Now now now! You know how much I'm sick for that! Je le mettrais dans ma bouche, le boufferais en entier, je vais te montrer moi c'est quoi un obsédé du pénis en manque. D'ailleurs je pense que l'étage au complet est en manque. Tout ce beau monde a des chums et des blondes mais aux quatre coins de la planète. Alors c'est ici et ça souffre dans l'ascétisme. Je souffre, je souffre! C'est pas le cas de la fille à côté et ça me rappelle la pièce de Lepage quand il appelle son chum à New York et que la femme de sa chambre d'hôtel à côté crie comme une démoniaque.

Je m'entends très bien avec France, c'est son nom, un cerveau ambulant d'ailleurs, on a des conversations intelligentes, intéressantes, passionnantes, pas sexuelles, hélas. Mais elle a son chum à Montréal, il s'en vient rester ici après noël. Elle me passionne à cause d'un traumatisme relié à l'enfance. Elle est pareille à ma tante Céline. Quelle coïncidence! Et elle parle sans cesse d'homosexualité, comme si elle regrettait un peu de pas être, je dirais pas lesbienne, mais homosexuel. Bref, demain je vais encore déjeuner avec elle, en tête à tête. Me posera-t-elle la question directement? Elle connaît bien des choses, mais je ne peux comprendre qu'elle s'intéresserait à moi. J'ai un complexe d'infériorité face à elle. J'ai l'air si jeune et si peu expérimenté et elle a tant d'amis, du monde des arts de Montréal en plus, et tout, j'ai peur qu'elle comprenne que je suis un ignorant qui n'a rien à dire. C'est drôle parce que c'est exactement le sentiment que j'ai avec Céline et que je décrivais dans les piliers lorsque je me disais quel était ce sentiment qui ... lorsqu'elle s'ap

- 495 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

prochait. Je ne parle que d'elle ensuite. C'est l'été que j'ai passé avec elle à Val-Jalbert et qui m'a marqué, au nord. Ce qui est plus surprenant encore c'est que toutes deux prennent le temps de discuter avec moi et semblent m'estimer. C'est incompréhensible. Peut-être que je n'arrive pas à comprendre ce qui se passe vraiment dans leur cerveau? Peut-être bien qu'elles sont esseulées et perdues sur une planète où on les rejette un peu et qu'en moi elle trouve une oreille attentive en admiration, que dis-je, en pâmoison. Car je me pâme mes amis. J'ai hâte de voir demain.

Mais j'ai connu le gars du dessous aujourd'hui. Il s'appelle Maxime et il est gay. Pire, il est dans mon cours du jeudi avec M. Godard et depuis un mois je l'ai jamais vu. Il dit qu'il se rappelle la question stupide que j'ai posée en québécois dans le cours, mais comme il était assis par terre ou dans le corridor il pouvait pas voir qui c'était. Bref, croyez-le ou non, c'est un spécialiste du kétaine, un spécialite du Kitch. Il trippe sur tout ce qui est kétaine à mourir, du moins kétaine au plus kétaine, il est passé maître dans la kétainerie. Jamais j'aurais cru que j'allais rencontrer une affaire comme ça un jour. Je savais qu'en la majeure partie des tapettes de la planète, dans une certaine catégorie, on retrouvait un degré de kétaine assez important, mais ça, c'est le jack pot. Alors, il a fait sa thèse de maîtrise sur le Kitch dans Notre-Dame des fleurs de Jean Genest, le comparant à ce qu'il y avait de kétaine dans la littérature. Sa chambre est placardé de posters de Madonna, à moitié nue de préférence, avec au travers ici et là des petits hommes nus musclés à la mode du jour. Sur sa porte de chambre on retrouve une découpure de revue photo-roman que ma soeur et ma matante Sonia lisaient quand elles avaient 10 et 16 ans. Il trippe sur la musique House et Techno à en danser 5 heures durant sans se fatiguer puis il a l'obsession du corps parfait et musclé, ou l'obsession des beaux gars qui font du sport, lui aussi s'entraîne tous les jours. C'est le sexe qui conduit le monde! Freud l'a dit! Ceux qui n'ont pas le pénis comme obsession, ont le vagin de leur mère comme obsession! C'est pas pour rien que les murs et les planchers craquent de partout à la Maison des Étudiants canadiens, et qu'en plus on entend crier jusqu'à quel point le sexe ça peut être important. Franck le disait, il a été un an et demi sans personne avec qui coucher, il a cru qu'il allait se flinguer. Christophe, selon Franck, serait en crise dépressive et suicidaire parce que justement il aurait personne pour partager sa vie. Mais c'est absurde parce que Christophe a du sexe quand il va faire du sport.

- 496 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Ce qui est drôle c'est que Maxime ressemble étrangement à Ludovic et que chaque fois que je regarde Maxime je pense à Ludovic et à chaque fois je le regarde et je trouve qu'il fait pitié parce que je sais qu'il va mourir sous peu. C'est cruelle la vie. Premièrement on ne vit que pour le sexe, mais le sexe ça tue. Aucun moyen proprement dit de s'en sortir.

Noël cette année je le passe seul, avec une bouteille d'alcool. Parce que ni mes parents ni Bruno ne veulent me pays de billet. Bruno veut plus me prêter d'argent parce qu'il y avait un Steinway à 17 000$ de sept pieds qu'il voulait acheter mais qu'il a pas pu parce qu'il m'avait prêté l'argent. À mon avis c'est le destin qui s'arrange comme ça parce qu'il avait acheté un Steinway de 17 000$, il pouvait dire adieu à sa carrière en musique. Il n'aurait plus eu d'argent. il se serait remis à travailler plein temps à la BNR. Incapable ensuite de payer le studio pour enregistrer sa cassette démo et aussi les déplacements pour tenter de faire entendre cette cassette démo. Sans compter que s'il a vraiment l'intention de jouer de la musique dans les clubs, il lui faudra de l'oseille, et un peitit pot de beurre à apporter à mère-grand, pour s'en sortir. Ceci dit je me sens tout de même coupable d'avoir une imprimant de 3000$ qui fait que mon bébé s'imagine qu'il n'a pas pu avoir le piano qu'il voulait depuis des années et qu'il attendait l'annonce dans le journal.

Stéphane Tremblay, mon petit psychologue en herbe, vient de Jonquière, c'est curieux. Mais je ne vois aucunement ce que cela change. C'est comme de rencontrer Rose-Marie, on dirait que ça n'a rien changé et que ça ne va rien changer. Comme si de telles coïncidences n'arriveraient que pour rien. Ce qui est impossible, de par mon expérience, tout s'avère toujours significatif dans la vie. À un certain niveau je suppose. Il a fait un gros trip de drogues dures le gars, j'ai l'impression qu'il y est encore dans son trip d'ailleurs, ce serait la seule explication au pourquoi il traîne toujours au bar l'Envol qu'il y a à Paris et qui appartient à un Québécois. Il y travaille d'ailleurs. C'est pendant qu'il était en crise, drogue et tout, qu'il a eu son enfant Dérek. Tsk, impressionnant, parlez-moi des belles familles hétérosexuelles modernes. Parce que c'est fréquent cette histoire-là. J'ai ma petite théorie freudienne là-dessus. Mais je vais la garder pour moi, les gens partiraient en courant.

Poussin, poussin, poussin! C'est là-dessus que ma bellle France fait son doctorat. La pauvre. Les profs de la Sorbonne ils me font chier. Pour qui ils se prennent donc? Je lis la Grammaire du Français classique et moderne écrite par deux profs de la Sorbonne et ils ont

- 497 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ce temps pédants qui nous dicte ce que l'on est en droit de dire ou pas, ce qu'on est obligé d'utiliser ou non, et ça juge négativement le roman moderne. Réveillez-vous! Vous êtes en train de manquer le bateau de la Révolution littéraire qui s'opère, eh papa! Ça s'imagine que ce sont eux qui font la littérature et la langue parce que ça a passé au travers un petit doctorat pourri. J'ai des petites nouvelles pour vous autres, quand vous dites que l'on ne devrait pas s'inspirer de Faulkner ou de Joyce lorsqu'il s'agit d'employer le discours direct sans aucune marque interne ou externe de morphèmes ou termes annonciateurs ou suggestifs ou de guillemets et ses tradionnels deux-points, c'est pas vrai! La seule chose que vous pouvez dire là-dessus c'est que ça rend la lecture difficile inutilement. Non mais pour qui on se prend pour juger implicitement les belles trouvailles de Queneau inspirées de Joyce? Et commencez donc par relire votre grammaire qui prétend nous dicter la Vérité, elle est pleine d'erreurs d'ortographes, des erreurs de frappent ou de retranscriptions et etc. En plus, elle est tellement prétentieuse votre grammaire qu'elle est impossible à comprendre. C'est pas normal de prendre quantre jours pour lire 36 pages parce qu'on a tellement pas voulu être évident pour faire grammaire de haut niveau, qu'il faut se concentrer une demie-heure sur chaque page et on a juste envie de lâcher le livre, sortir de notre chambre, téléphoner des gens ou écrire dans son journal. Je vais couler mon examen samedi, pas par manque de volonté, mais à cause de la complexité de ces grammaires qui ne cessent d'en inventer, pensant ainsi passer à l'histoire grammaticale du XXIieme siècle. Aucune chance, ça fait peur. Il est trois heures du matin, j'étudie pas, j'y arrive pas. C'est pas nouveau. Mais j'ai la cervelle en fonction. En tout cas, il est 9 heures du soir only in Ottawa. I wish I could be there. Je vois d'ici les sujets de doctorat de ces profs-là. Ça devait ressembler à l'étude du point-virgule dans les Souliers de satin de Paul Claudel. Et c'est ces gens-là qui viennent péter plus haut que le trou ensuite pensant tout savoir. J'en ai assez de ce qu'il est permis ou pas de faire. J'en ai assez parce que c'est les écrivains qui la font la grammaire et qui font que l'usage change et que de siècle en siècle ça évolue et que si on laisse pas respirer les auteurs on arrivera à la stagnation et ces profs pourront se targuer d'être ceux qui l'ont définis cette grammaire et etc. Non! Je n'ai jamais rien publié, pas même un article, mais si je veux vraiment m'affirmer auteur, il me faudra me réinventer la Grammaire R.M. Ce ne sera pas un problème, j'ai déjà un plan tout fait. Ça commencerait par l'étude des ellipses

- 498 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dans la Révolution qui nous amènerait à inventer le premier chapitre: «Les grands absents de la grammaire classique, traditionnelle et moderne». On y retrouverait entre autres le Langage R.M., les figures de style à la sauce R.M., les théories psychanalytiques des mécanismes de l'imaginaire selon R.M., comment R.M. a été déviergé de son ignorance face à la grammaire, et puis un chapitre complet consacré à la prétention de R.M.ainsi que ses modalités et fonctions à l'intérieur de la construction des phrases hyper-complexées. Je ferais des millions, je me demande si Hachette publierait mon livre et le vendrait aussi cher que celui de mes nouveaux collègues de la Sorbonne, 157 Francs. Ah ce que je suis mécahnt ce soir. Ces pauvres vieux qui ont dû passer une couple de nuits blanches à nous recopier d'autres grammaires la théorie qu'ils semblent nous apporter ici comme si tout cela venait d'eux. Bon encore, je suis vraiment méchant ce soir. Bon, je vais aller me coucher parce que demain il va falloir que je me le paye ce stupide livre plate.

5 décembre 1994

Mon copain d'en bas passe ses journées à écrire des articles pour des revues et des inscriptions pour des universités à New York, pire que moi. Mais il a déjà publié deux nouvelles dans la revue Stop de Montréal. Plus de mérite que moi? Au moins il a publié. Mais publier sans portée, c'est comme si on n'avait pas publié. J'ai jamais envoyé de nouvelles à la revue Stop. Je devrais envoyé La Voix de la Vérité, ça me tente pas. Ça ne me tente plus de faire des démarches. J'ai parlé avec France aujourd'hui, j'ai beaucoup de respect pour elle. Elle a cogné sur ma porte à sept heures, demain elle veut le faire encore. Je serai incapable de lui dire non, il y a des gens comme ça à qui l'on donnerait le monde sans garantie. Elle me demanderait de lui prêter de l'argent que je n'ai pas et je dirais oui. Je lui ai raconté l'histoire que ma mère m'avait dit qu'elle ne voulait plus jamais me revoir à cause du chum alcoolique qui venait de claquer la porte pour aller manquer son suicide dans la nature, je l'ai gagnée complètement. Maintenant elle va avoir l'instinct maternel ou d'amitié forte. Complice de mes problèmes, elle croit probablement que je lui ai avoué le plus dur de mes secrets, une confession que l'on ne fait que par courrier recommandé. Dans le fond c'est un peu vrai. Mon seul regret a été de lui dire que je n'étais pas mal pris, mon

- 499 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

père habitait deux rues plus loin. J'aurais voulu lui dire que j'étais vraiment dans la rue, pas un sou et tout et tout. Mais que voulez-vous, on peut tout de même pas faire plus pitié pour le plaisir d'avoir l'amitié des gens et d'ailleurs je suis pas sûr si c'est une bonne idée d'installer des bases amicales sur ces histoires. Je n'ai pas besoin d'une mère protectrice, j'ai besoin d'une bonne amie à Paris, une amie dont je suis vraiment content de voir, ce qui est très rare. En fait, à part Bruno, et deux autres gars dont je ne me souviens plus le nom et qui n'ont d'ailleurs jamais été mes amis, je ne me souviens pas d'avoir vraiment été heureux de rencontrer des gens. C'est plutôt un besoin quand ça fait trop longtemps que tu pourris dans ta chambre, ou bien, bon, parfois, entendre les problèmes de tes amis ça te fait comprendre que les tiens sont pas si pires. J'ai la nette impression de perdre mon temps cette année, mais hier je repensais à cela, j'ai écrit les deux dernières parties de la Révolution et l'Underground. Ce qui serait certainement pas n'importe laquelle année de ma vie. J'ai terminé mon bac à l'université d'Ottawa, j'ai commencé mes études en maîtise à Paris. Pourquoi donc suis-je incapable de m'ouvrir les yeux à ces réalités? N'ai-je donc pas la vue ou la conscience des événements? Pourquoi ne puis-je apprécier ce qui plus tard seront les plus beaux souvenirs de ma vie? Enfin je suppose, à moins d'être bouché complètement ou de vivre autre chose que ce que tout le monde vivent, c'est-à-dire trouver un emploi, acheter une maison et pourrir en attendant la fin des temps. Dans ce cas la vie me serait saine, réussir à oublier cette époque signifierait que la vie m'est franchement motivante. Quand je dis que la motivation est une denrée rare.

Ma copine France, son meilleur ami est gay, comme par hasard. C'est pourquoi elle s'est tout de suite reconnue en moi, cet autre moi à Montréal je supppose. Qui sont donc ces gays grands confidents de ces femmes qui nous facilite la tâche afin d'approcher les gens en répandant la bonne nouvelle et l'écoute sur leur chemin? Ainsi serait-ce que les gays sont les seuls hommes qui écouteraient ces femmes? Pire, serait-ils les seuls hommes a ne point vouloir voler une parcelle de leur sexualité? C'est que France me confiait que les conversations avec les hommes sont souvent oppressantes, et en plus, «ici à la Maison des Étudiants canadiens, ça fait trois mois que les gars n'ont pas baisés et qu'ils ne peuvent plus se contenir», même si leurs douces moitiés existent quelque part sur la planète. Je lui ai dit que je croyais en la fidélité, je le pense malgré mes erreurs, sinon toute relation serait impossible.

- 500 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Ne pas croire en la fidélité, j'aurais déjà couché avec le Switzerlandais, avec l'autre en bas, je serais sorti dans les bars gays de Paris, j'aurais rencontré des gens, j'aurais déjà couché avec Franck et puis Franck et Edgar à la fois? Qui sait, ils l'ont déjà fait souvent. Quelle vie se serait pour Bruno, le pauvre. C'est pourquoi je pense que même s'il y a des manques, vaut mieux ne pas s'entendre sur un concept de fidélité plutôt morcelé, car les chances de coucher avec le monde sont infinies. Je suis gay et voyez les chances qui se sont présentées à moi. Ce doit être pire chez les straight, ce voudrait dire que j'aurais cinq victimes potentielles sur huit, juste dans l'aile de mon étage. En étant gay je n'ai personne sur mon étage en entier. Je n'ai décelé aucun signe nulle part. Quelques filles m'ont d'ailleurs fait un minimum d'avance au 5 à 7 l'autre jour. Un minimum, il faudrait ensuite que ce soit moi qui se compromettre. Alors elle pourrait se rétracter et m'accuser d'être la bête immonde qui veut coucher avec. Mais enfin, c'est pas sûr qu'elles se rétracteraient. Il n'y a plus de belle morale, les filles sont pas plus folles que les gars, du sexe, elles en veulent. D'ailleurs, le gars d'à côté se masturbe encore ce matin.

(Plus tard) I went back to my english man today. He told me that close to my place I will found an old station of Underground où je pourrais y accéder by the Montsouris park. Someone is going to wait for me next sunday, between 2 and 3 am. What's that!? I just have to walk until I arrive under the Rungis street. Je n'avais pas remarqué que la rue là s'appelait Rungis, comme la ville et le théâtre où on a été voir Lepage. Encore un signe du destin? C'est franchement épeurant. Moi, j'irais là-dedans en pleine nuit? J'y suis allé aujourd'hui, impossible de descendre dans le ravin de cette vieille ligne de métro. Les commerçants de la rue Liard doivent commencer à se poser des questions, je suis vraiment pas discret. Les gardiens du parc aussi, il y en a un à chaque dix mètres. Je pense pas que je vais y aller. Mais quelques questions me chicotent. Comment peut-il y avoir une branche si près de chez moi? C'est une coïncidence ou leur petite société secrète il y en a vraiment partout, tellement partout qu'on en trouve une dans notre sous-sol? Question coïncidence ça fait peur. N'oublions pas que tout l'histoire de la secte en Suisse, le siège social était finalement à Nepean, dans ma ville en Ontario, une ville que personne connaît, surtout pas au Québec, aucun de mes amis est capable de prononcer le nom de la ville. Question sous-sol, c'est presque le cas, une ligne de métro en dessous de la terre, un peu plus c'était en dessous de

- 501 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

la Maison des Étudiants canadiens. En tout cas, comme monde Underground, on fait pas mieux, mieux que les Marais. Il va y avoir de la place à l'analyse là-dedans, j'en jouis presque. Ah non, c'est bien beau, mais ça fait vraiment peur. Je pense pas que j'aurai le courage, en admettant que je puisse même descendre là. Peut-être ont-ils compris que j'étais gay, on va chercher à se débarrasser de moi? Aussi simple que ça? De toute façon, ils auront pas besoin de m'achever, je risque de tomber dans le trou et de me fendre la tête tout seul. Quelle folie ce serait. Quand je suis allé voir tantôt, j'ai dit à Stephane que je voulais aller voir la station de métro désaffectée, que je voudrais bien y descendre pour m'inspirer mon prochain livre. Au cas où on m'y retiendrait. Je sais pas pourquoi mais on peut pas avoir très confiance en des gens qui ne pensent pas du tout comme nous, des idées qui leur semblent pourtant logiques ou normales, ils vont t'enfermer pour t'apprendre le principe de la méditation? Coupé du monde extérieur, c'est le seul moyen pour atteindre la spiritualité? En tout cas, je m'arrange pour qu'on sache où me trouver. Je leur fait croire que j'écris mon prochain livre sur le monde Underground et que la station désaffectée m'inspire. Comme ça, on ne se pose pas trop de questions. Même à Bruno j'ai dit ça. C'est beau les sociétés secrètes, mais si on y entre, est-ce qu'on en ressort? Je capote littéralement. Je marche dans le parc Montsouris, le coeur me débat. Y aurait-il une société secrète qui s'active là en dessous de la terre? Et que font-ils? Certainement pas de l'alchimie. Ou peut-être l'alchimie de l'âme, et on la transforme en quoi? Artaud se poserait pas de question, lui il a été jusqu'en Amérique Latine pour trouver ce qui était peut-être juste dans les stations de métros désaffectées de Paris. C'est extraordinaire le livre que j'écrirais juste en racontant ça. Il faut absolument que j'y aille. Connaître une société secrète dans le fond de Paris, peut-on rêver mieux? Et moi qui pourrissait à Ottawa voilà deux mois encore. La vie tout à coup me semble passionnante. Je regarde les gardiens et j'ai l'impression d'être un hors-la-loi. Qu'à tout moment on pourrait m'arrêter juste parce que je fouine un peu dans le parc. Heureusment le parc est pas reconnu pour être un endroit où les gays se rencontrent, on nous exterminerait facilement. D'ailleurs les organisations gays à Paris ça marche pas fort. Chaque université du Québec a sa propre organisation, ici aucune université s'intéresse à ça. Et pas parce qu'il n'y a pas de gays, il en pleut à Paris. Oui, il faut que j'y aille, je vais essayer de trouver une solution pour descendre dans le ravin. Aujourd'hui j'ai fais le parc Montsouris au com

- 502 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

plet pour voir par où je pourrais descendre pour aller dans le tunnel. Ça fait un bout de temps que je tourne autour, surtout dans la rue Liard. Vaudrait mieux que je sache comment descendre pour aller voir ce qui se passe dans ce trou-là. Y découvrir une station de métro désaffectée? Le bonheur. Le problème c'est que le parc ferme tôt et qu'ils l'entretiennent et le surveillent tellement que j'aurais bien des problèmes pour m'y aventurer. À savoir s'ils ont pas des chiens capables de renifler à des kilomètres un R.M. caché dans un des tunnels, attendant la fermeture pour s'aventurer dans le tunnel. MAis c'est dangereux les fermetures, c'est là qu'ils font leur tournée générale des lieux, pour être sûr qu'il reste pas un clochard de cacher ou un enfant qui pourrait se noyer. Aucune échelle, à se demander comment ceux qui ont fait les graffitis sont descendus et même, ont eu le temps de faire des graffitis aussi complexes. Je suis tout de même pas pour arriver là avec une corde et l'attacher à un arbre. Où acheter une corde, comment justifier que je me promène avec une corde? Comment remonter un mur aussi élevé? Peut-être existe-t-il des entrées condamnées? Sûrement barrées. Mais d'autres endroits où ce serait plus facile? Il me faudrait trouver une ancienne carte des métros de Paris, ou trouver un livre qui parle des lignes de métros de Paris d'avant. Je ne sais même pas en quelle année cette ligne était en fonction. Elle passe sous la ligne du RER. À se demander s'il n'y a pas moyen d'y accéder par là. Il y a trop de caméras qui surveillent. Et puis les RER ça arrivent vite et silencieusement. Mais si j'arrivais à passer par les tunnels du RER, j'oubliais, il n'y a pas de tunnels. C'est complètement exétrieur comme ligne. Non, je vais explorer plus loin dans le parc et hors du parc, sait-on jamais.

(Plus tard) La vie est plate, affreuse, longue, ennuyante, on la perd à faire des choses totalement inéintéressantes, comme si c'était la seule chose que l'on avait trouvé à en faire, la rendre la plus inintéressante possible. Il n'y a rien de plus plate que la grammaire sur la planète et je ne vois pas l'heure de relire des notes complètement assourdissantes et incomprenables. Je n'ai pas le courage de lire les briques qu'il me faut lire pour samedi. Ma nouvelle amie m'a déjà laissé tombé et notre pacte de fidélité de ce matin, elle ne semble pas le mettre en pratique. La voilà qui va souper avec Stéphane, seule et qu'elle veut sortir à l'Envol. Et moi c'est l'aboandon complet. Je ne vais servir que pour prendre le café tôt le matin. J'ai dû l'effrayer avec mes histoires d'enfant traumatisé. Et la gars d'en dessous,

- 503 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Maxime, j'ai dû lui dire certaines choses qu'il a pas digérées, parce qu'il est devenu soudainement froid. Je ne vais plus aller les voir, les laisser venir à moi, de toute façon je ne suis pas de nature très sociale. Je déteste les gens, ils n'ont rien à dire, rien à m'apprendre. Quelques exceptions, vivent les exceptions, mais même les exceptions font des problèmes. Je vois déjà notre amie France aller parler au psychologue de mon homosexualité, me voilà tout découvert. Et moi qui me demandait si j'allais mettre ma pièce de théâtre gaie dans la bibliothèque de la Maison avec La Révolution et La Voix de la Vérité, comme Christel me l'avait demandé. J'ai décidé que non, mais maintenant que je parle avec, que j'ai paarlé un peu avec Maxime, alors que tout le monde le sait pour lui, me voilà probablement étiquetté. La vie n'Est qu'une longue série d'étiquettage. D'où viens-tu, en quoi étudies-tu. Ar-tu une blonde, ou même un chum... et voilà, on te pose une étiquette, on pourra t'envoyer à la morgue plus facilement quand on te retrouvera écrasé en dessous des rails d'un RER. Parce que je ne me fais pas d'illusions, les formalités que l'on doit rencontrer quand on meurt doivent être infernales. Heureusement, nous n'y sommes plus et ce n'est plus de notre ressort. On m'expatrierait peut-être dans le fond du Québec? Mon père ferait tout pour qu'on me mette au four à 4000 degrés Celsius le plus tôt possible, alors que par superstition, j'aimerais que l'on attende trois jours avant de le faire. En plus, le best serait que l'on jette mes cendres sur un champ vert et ainsi être en communication totale avec la Terre, ce serait enfin le temps, après la mort. Mais la liberté n'existe pas dans ce bas monde, on va m'enfermer dans une urne affreuse, plaqué faux or ou en argent. Peut-être en or, quel gaspillage ce serait, mais je ne me fait pas non plus d'illusions là-dessus, personne ne voudra débourser pour mon urne. Est-ce qu'on dit une urne? Je m'en fous. Je me demande ce qu'on va faire du grand-père, si on va l'enterrer à côté de l'autre mort en 81 ou si on va l'enterrer à côté de sa première femme, ce qui serait somme toute plus logique. Ma grand-mère aura donc tout perdu, le mari et le souvenir du mari. Eh bien, le premier doit l'attendre danas sa tombe, c'est ça la vraie nature mes amis. Cette attente, ça l'a tuée. Il a fallu qu'elle se remarie à 81 ans, elle souffre deux fois plutôt qu'une. L'attente va la tuer, c'est certain. Peut-être ne regrette-t-elle pas, finalement, trois ans enfin avec quelqu'un, après dix ans d'attente avec pour seul compagnon un chien-chien, le Docteur Spock! Tu parles d'un nom. Je ne me souviens même plus s'il est mort, lui. La dernière que je l'ai vu il se

- 504 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

traînait tellement il était devenu vieux. Il fallait que je lui ouvre la porte à tout les deux minutes, c'est c'est là ce que faisait ma grand-mère toute la journée pour faire passer le temps, Dieu que ces 10 ans ont dû être longs! Comme dirait la mère de Bruno, la vie est une belle saloperie. On ne se demande pas pourquoi Yves Navarre et Romain Gary se sont suicidés malgré leur succès, la vie est une vraie saloperie. Tu vois le métro passer, t'as juste envie de te tirer en dessous. Tu as même plus besoin de le faire volontairement, depuis mon arrivée à Paris on a failli m'y pousser à deux reprises par des gens énervés qui voulaient pas attendre trois minutes de plus pour que le prochain wagon arrive. Mais à courir comme ça, faudra une heure de repos rendu à la maison pour compenser cette demie-heure de course dans la vie souterraine de Paris où chaque jour des millions de gens y risquent leur vie. Christophe me parlait de ces gens qui chaque jour se tirent sur les voies ou ceux qui justement y sont poussés. On entend que suite à un accident, les trains en direction de Charles de Gaulle seront retardés de 15 minutes. Le temps qu'on enlève le corps effouairé sur les voies. Électrocuté et coupé en plusieurs morceaux, mort instantanée, what a way to die! À Paris en plus, on immortalise le mythe. Le mythe de l'immoraliste. Je vais aller boire une bière, j'ai envie de me saouler la gueule, pas étudier, couler le partiel, abandonner mes études, crisser le camp sur le pousse, aller le plus loin possible de Paris. Un autre moyen d'aller loin serait peut-être de me jeter sur les rails justement... mais comme je suis pervers, je m'arrangerais pour qu'on m'y pousse et ainsi porter la mauvaise conscience de l'humanité sur au moins une personne. Elle se sentira coupable de m'avoir tiré sur les rails, mais en fait, elle devrait plutôt se sentir coupable de n'avoir rien fait pour améliorer l'existence de l'humanité. La vie est une vraie saloperie.

(Tard dans la nuit) Je viens de terminer la lecture de mes notes pour le seul cours de M. Neveu, j'y ai passé la journée complète. Il me faudrait lire d'ici samedi 10h à nouveau mes notes trois fois minimum, ma Grammaire du français (600 pages), Syntaxe du français, l'Énonciation en linguistique française [La grammaire 1: phonologie, morphologie, lexicologie], Introduction à l'analyse stylistique, le Vers français, un dictionnaire de lexicologie à apprendre par coeur, une grammaire du 17ième siècle, et bien sûr, connaître par coeur Tartuffe et l'École des femmes de Molière. Limitons nous à huit briques, deux par jours, est-ce possible ou je vais flancher? La question se pose-t-elle. La vie est vraiment plate. Pourquoi

- 505 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

faut-il sans cesse que l'on m'en impose autant. La matière du cours est tellement dense, le plan de l'examen me semble tellement irréaliste, en deux heures j'aurai à peu près juste le temps d'écrire mon nom et de lire les questions. Ça a cinq grosses parties, des douzaines de sous-parties. Peut-être s'imaginent-ils qu'on va écrire une phrase par sous-partie? Et cela serait-il possible. Et le tout implique une connaissance professionnelle d'une science si grande qu'elle était restée totalement insoupçonnée: la Christ de grammaire. Et moi qui déteste la grammaire. Et moi qui ne voulais qu'apprendre à plus faire trop d'erreurs. Je vois maintenant, je le sais que la moitié de la classe va couler et que j'en serai. Autant abandonner tout de suite, c'Est une perte de temps. J'ai pas été habitué à un tel système, je vais recevoir la volée de ma vie, une méchante volée en pleine face. Ja vais, disons, tenter de faire mon possible. Y travailler comme c'est possible dans les circonstances, et prier. Prier pour qu'une aide extérieure m'absout de cette tâche, ou du moins, qu'elle m'aide à passer au travers ainsi que l'année scolaire qui s'en vient. Que dirait tout le monde si je retournais au Canada? Que diraient les gens de la nef mer si je rebroussais chemin et décidait d'abandonner mes idées de grandeurs de découvrir la fin de l'océan? Quel échec ce serait. Dans ce cas-là j'aimerais encore mieux demeurer ici et perdre mon temps, à espérer que Bruno vienne m'y retrouver, parce que là je m'ennuie vraiment pour vrai. Il était nu dans mon rêve tout à l'heure. Nous étions l'un contre l'autre et c'était si réel que je me suis réveillé en sueur. Ça commence à être grave. Il faut que quelque chose arrive, qu'il vienne ou que j'y aille, l'un ou l'autre, mais vite! Bof, finalement le partiel m'énerve pas. Il est là pour nous donner une claque finalement et pour s'assurer qu'on lit un peu. Alors je vais lire un peu, recevoir la claque, ne pas la sentir ou faire semblant, et survivre. Vive Paris!

6 décembre 1994

Je suis dans le cours de M. Neveu. Je viens d'apprendre que le partie compte pas et que la majorité n'iront même pas à l'examen. Dans la même veine j'ai appris que le taux d'échec est 80% et que la lecture des livres que j'ai achetés sera largement insuffisante. Suicide suicide suicide suicide suicide suicide.

Je ne sais toujours pas comment je vais descendre dans le tunnel du métro, et je sais

- 506 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pas comment je vais m'éclairer. La solution la plus simple à la première question serait carrément de me tirer en bas en se laissant glisser, mais je risque de me casser une jambe et ça ne résoud pas le problème de la remontée, en admettant qu'il y en ait une. En fait, ce serait prendre un gros risque, mais une fois en bas j'ai l'impression que je vais trouver le moyen de remonter par un autre endroit. Une bouche d'égout ou si je trouve une place ou c'est plus facile de sortir, mais c'est pas réaliste ça. Il faudrait que j'achète une corde et une flashlight. C'est un peu trop.

Je m'ennuie de Bruno. Jje me souviens de ce souvenir à l'Université d'Ottawa où on s'était embrassé un peu pas mal à la sortie arrière de Fauteux, mon ancien pavillon de Droit, souvenir oublié. Mais les souvenirs qui me remontent, étrangement, sont ceux où l'on s'est rencontré. Quand il est venu chez moi un soir d'hiver, on s'était sauté dessus, quelle sensation c'était. Et quelle nostalgie soudainement. Si c'était fini entre nous, comme je souffrirais en ce moment. J'ai même peur que quelque chose change. J'ai aussi ce dernier souvenir, la veille de son départ pour le Canada, quand il était en caleçon, parlant au téléphone avec Albane. Je m'étais collé contre lui. Je souffre. C'est plaisant de voir que ce qui m'excite le plus en ce moment, ce sont ces souvenirs et non pas les possibles qui pourraient arriver avec d'autres. Je n'aime pas l'idée d'avoir du sexe pour avoir du sexe. Je ne condamne pas cela cependant. Et si je n'étais pas avec Bruno, bien sûr, à défaut d'avoir quelqu'un, pourquoi pas. Mais ça m'excite moins, il y a une fin brutale et rapide et on est pas contenté. Mais je ne peux pas dire que j'ai eu beaucoup de sexe pour avoir du sexe à l'opposé des autres, straights y compris, qui m'entourent. En fait, je n'en ai pas eux. Le prof. il s'est pratiquement rien passé, et ça m'excitais pas. Martin, ça m'a traumatisé plus qu'autre chose, je m'acceptais pas. En fait, il n'y a que Bruno et Edwin. Mais Edwin, puisqu'il doit toujours y avoir un mais, ça n'a été qu'une seule nuit et on a pas passé des heures dans les bras l'un, l'autre. Le spectre de Bruno nous rongeait. Mais j'avais des sentiments pour lui, sentiments complètement morts aujourd'hui. Franck me disait que si j'ai eu des sentiments pour Ed, il est impossible que j'en ai eu ensuite pour Bruno. Au contraire, j'aime davantage Bruno aujourd'hui. Et j'avoue que cela est inexplicable après tout ce qui s'est passé.

La vie est plate. Je vais finir par m'en convaincre, à ce rythme. Je trouve que je fais pitié ici tout seul. Je me demande vraiment ce que je fais ici. Je l'avais prévu que Paris

- 507 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

m'emmènerait aussi la dépression. Rien n'y fera, donc. J'ai une nature dépressive, ça me suivra jusqu'à la mort, si ce n'est justement pas cela qui finira par me tuer. Que fait Bruno en ce moment? Il est presque 10h du matin chez lui, il dort peut-être, qui sait? Il fait la grosse vie malgré ses parents qui capotent en arrière. Notre maison, ça va prendre du temps pour l'acheter. Son magot va disparaître et en plus il n'aura pas de piano. Ce qui signifie qu'il faudra qu'il en achète un de toute façon. Imaginons un instant que l'on ait acheté ce terrain dans le fond du Québec... ce terrain avait une valeur de nostalgie anyway. J'y aurais été dépressive, mais cela, je le serai toujours. Quand je suis pas dépressif c'est parce que quelque chose m'occupe suffisamment pour me faire oublier pendant un instant ma dépression. Ce qui reviendrait à dire que je suis en crise existentielle. La peur du néant et de la mort? Bof. Peur de quoi alors? L'examen de samedi, j'y vas pas. Je me fous des préjugés du prof qui pourrait dire que je me suis même pas donné la peine de me déplacer. Le décalage entre les études au Canada et en France est tellement grand que, disons qu'il m'a pris par surprise et ne m'a pas laissé la chance de me retourner. Voyez comment on règle les problèmes existentialistes.

Aujourd'hui on a eu tout le discours de tous les grands courants littéraires qu'il y a eu à Paris, puisqu'il s'agit du centre de l'univers, depuis le 17ième siècle dans le cours de M. Autrand. Faut pas que je me trompe, à chaque fois je l'appellerais M. Artaud. Plus tard ce sera pire quand j'aurai commencé à l'étudier, j'aurais l'air d'un cave si je l'appelais M. Artaud. Bof, je commence à être habitué d'avoir l'air d'un cave, ces profs sont tellement méprisants, Neveu c'est le plus terrible. Pas M. Autrand, lui ses cours c'est du théâtre, on voit qu'il aime ça. Mais le Neveu, un gars lui a posé une question aujourd'hui, il l'a détruit complètement. Il a dit qualifié la question d'obstruction je sais-pas-quoi au cours. Et il a dit que si le gars était pas capable de faire la différence entre ça et ça, c'est pas son problème, que s'il comprenait pas, entre lui et le prof, c'était lui qui était le ver-de-terre. La réponse a tant été cinglante qu'ensuite le prof a demandé s'il y avait une question du même ordre, j'ai répondu non en voulant dire que plus peronne oserait plus rien dire après ça. J'ai eu regret, il m'aimera pas. Mais je me suis assagi, il y a eu des temps où je me levais debout pour aller danser sur les tables en plein milieu du cours à l'université, enfin presque, quand j'y repense, je comprends pourquoi les profs m'aimaient pas. J'écoutais des filles parler

- 508 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

aujourd'hui, faut être malade pour faire ses études à la Sorbonne. Je déconseille toute personne qui veut s'en sortir rapidement et facilement d'éviter ces universités de Paris 1, 3 et 4 (2?), c'est délibérément fait pour te faire couler des années pour la bonne réputation d'une école dont on se fout pas mal. Des écoles avec de bonnes réputaitons, sure, but not on my back! Il y a une limite aux problèmes que je veux me donner pour le plaisir de dire que je suis gradué de la Sorbonne, en admettant que je vais m'en sortir. C'est sûr, the fist thing I should do is stop this stupid diary and start to study. Sure, that's what I should do, but that's what I'm not gonna do. La vie est tellement plate. Franck continue à me prendre pour une vraie cruche, il a manqué ses trois cours aujourd'hui et m'a demandé si je voulais pas lui donner les notes. Ça me choque tellement, mais en même temps, puis-je lui refuser? Depuis toujours je passe mes années d'universités avec des notes photocopiées, faudrait-il que je ne paye pas pour cela? Alors je lui dis en bon crétin de pas s'inquiéter, que oui (je vais faire le gros fish qui à l'air d'être dans un bocal sans la conscience d'y être en plus), que oui, il doit pas s'inquiéter, que je comprends très bien (que ses vagues raisons à propos d'un appartement qu'il recherche avec son Edgar c'est de la grosse invention). Et ce qui me choque le plus dans tout cela, c'est que je suis incapable de lui dire que je le sais que c'est par pure vacheté qu'il vient pas et qu'il me prend pour un poisson, alors il doit bien rier de moi avec son Edagr: c'est merveilleux, j'ai trouvé un sot pour prendre toutes mes notes et il me dit merci en plus! Un Canadien, c'est incroyable comment ça peut être poche. Prêtez leur votre appartement pour une semaine et demandez lui le monde ensuite. Enfin bref, il y a certaines choses qu'il faut endurer dans la vie, surtout qu'il me faut payer pour toutes ces années où j'ai emprunté les notes de tout le monde sans jamais photocopier une seule page de mes notes à un autre. Et le pire, c'est que l'écriture de Franck, je la comprends absolument pas. Alors ses notes à lui ne me serviront jamais, je peux pas m'entendre avec lui qu'il va prendre les notes pour moi pendant que je vais être au Canada, ce serait d'ailleurs stupide, il va pas à ses cours. Ça me ressemble beaucoup, mais c'est drôle de le voir là sur un autre qui est encore pire et qui en plus porfite de soi. Il est là le problème. Mais enfin. En tout cas moi j'ai jamais abusé d'une seule personne et lui faire sentir que pendant que je me payais des vacances, j'escomptais profiter d'elle. C'est à la collectivité toute entière que je suçais le sang, alors ça paraît moins et ça fait moins mal qui si tu suce tout le sang d'une

- 509 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

seule personne. I am dead. Dead, dead, dead. Je vais aller me coucher.

J'ai pas pu dormir, on est allée à l'Envol, le bar québécois. C'est moins pire que ce que j'imaginais, même que l'atmosphère y est agréable. Bref, je me suis senti chez moi, surtout qu'on a écouté le téléjournal de Montréal et même que ça m'a fait un peu chier. Toute une mise en scène melting pot de toutes les pièces de Michel Tremblaie, spécialement pour Monsieur Tremblaie. On est en train de lui dire merci parce qu'il va murir bientôt ou quoi? Pourquoi ce soudain regain? Tout un show pour remercier Tremblaie d'avoir fait marcher la machine, à moins que ce show spécial fasse lui-même tourner la machine. Qui ne courrait pas voir ça, avec toutes les grandes comédiennes de Québec, à 100$ le billet, j'y aurais été. Pour le voir, lui, le monstre, l'immoraliste, l'imposteur. L'émotion l'a fait saigner du nez, jusqu'où on irait pas pour justifier une soudaine giclée de sang qui sort du nez sans raison aucune? Michel a tenu bon de nous dire qu'il pensait à Lucien qui était à l'hôpital. Évidemment, le gros message d'adieu de Lucien, que j'ai pas vu parce que je suis à Paris, a dû lui pogner au coeur. Je suppose que là aussi il a saigné du nez. Peut-être que ça vaut la peine de remercier un politicien à l'agonie qui est hors de danger, on attend les ristournes par en arrière, qui vienne à pocheter de toute façon je suppose. Je suppose aussi que moi j'aurai même pas mo prêt au complet après noël parce que j'ai trop travaillé durant l'année, Seigneur, j'ai fait un misérable 6 000$. Le seuil de pauvreté c'est 12 000$, et j'ai pas eu d'argent venant de l'extérieur ou presque. Comment donc ai-je pu passer au travers? Moi j'attends pas de salut extérieur, pas même une bourse pour étudier ou écrire. De toute façon je me sentirais mal d'en accepter. Bof, stupide idée, un bon gouvernement subventionne l'art, rien de mal là-dedans, rien à redire. En fait le problème c'est que moi il m'est impossible d'en profiter. Seulement ceux qui ont déjà leur no de fait en profite et les binneries pour découvrir les nouveaux artistes, ça n'a pas de tribune et comme par hasard on choisit jamais ceux qui risquent de déboucher quelque part. J'ai vu Cégep en spectacle, j'y ai participé. Non pas que j'aurais dû gagner avec ma pièce De par les Sept Lieux, mais il y a eu 4 gagnants sur huit et j'ai eu l'impression que ceux qui auraient dû gagner, ceux qui auraient peut-être vraiment la chance de déboucher, qui devaient se faire connaître, ont perdu. J'ai parlé avec un des gars du comité de décision ensuite, il sentait un peu trop le gars qui se retrouve ordinairement dans ces comités de décisions. Bref, les concours c'est fini pour moi,

- 510 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

perte de temps, trop grandes déceptions. Les espoirs conduisent le monde, on espère des choses et ça reste espoir, ça se réalise pas. Comment on fait pour devenir U2? On travaille fort, mais cela suffit-il? J'aimerais reparler de cette nouvelle mode de montrer une image de soi un peu homo et même travestie. Le Bono. Peut-il vraiment en tirer profit? C'est ça l'image un peu dur qu'ils recherchent? Un groupe non gay en arriverait-il à pousser la fausse image jusqu'au point de nous faire croire qu'il est gay? Moi je n'ose même pas avouer que je suis gay aux gens de la Maison des Étudiants canadiens, ni à ma classe, ni au travail, ni... eux ils en font une fierté et ils le sont pas. À moins qu'ils le soient et sincèrement je l'espère. Quoique je devrais peut-être me sentir flatté? Comme si c'était un modèle à suivre en société? C'est être branché d'être gay? Demandons à Mimi on the beach, Jane Siberry, pas lesbienne mais fait tout pour qu'on le croit. Elle l'a avoué publiquement, elle est pas lesbienne. Ce doit être un aveu difficile à faire. Je l'avoue, j'aurais voulu être gay mais je ne le suis pas. Dieu n'a pas jeté son dévolu sur moi. De toute façon je peux les comprendre, moi non plus je voudrais pas être straight, tout mais pas ça! Mais attention, il faut que je fasse attention aux préjugés. Je suis un peu vite à les juger. Peut-être qu'on arrive à être straigt et avoir des rêves et de l'imagination et être heureux et vouloir faire le bien. Ce serait déjà mieux que moi, parce que moi il ne faudrait pas me laisser m'amuser avec une centrale nucléaire, ça pèterait en trois minutes. Et il me faut me souvenir du scientiste que j'ai rencontré l'autre soir, à peine si j'ai dit une chose genre, ton univers de scientiste, et il s'est senti attaqué et a éprouvé le besoin de se justifier. Me disant qu'il était capable de sentiment et de passion et qu'il était capable d'aimer sa blonde et que les gens se font une fausse opinion de lui. J'avais un peu honte de moi, mais après trois heures de conversation plate à mort à propos de science, Dieu, vérité et des concepts et des notions tellement vagues que les morts sont plus réels, je me demandais si j'avais pas raison dans mes préjugés. Pauvre femme, ce doit être fatigant de vivre avec ça. Même Stéphane sentait le besoin de fuir, lui qui pourtant parle sans cesse de Freud et de Psychanalyse. Pourtant j'aime ça parler de ça et des mécanismes de l'existence. Mais l'autre j'en pouvais plus. Comment l'expliquer? Difficile de pas avoir des préjugés, j'ai probablement des fausses idées par rapport à lui, but sometimes we can't help it! Pourtant je devrais pouvoir, tant de gens se fnt de fausses idées sur moi, ouh, il est gay: immoral, sida, mérite la mort... De

- 511 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

toute façon souvent les gens ont raison dans leurs préjugés, surtout en ce qui me concerne. Oui je suis immoral, oui j'ai peut-être le sida et je suis très à risque de toute manière et oui je mérite la mort, pour renaître en antéchrist et tous vous exterminer. On relira peut-être ça un jour et vous pourrez confirmer vos préjugés. Oui, j'en avais des idées à la Staline, pour un juste rétablissement de l'équilibre pour l'histoire. Et moi j'aurais réussi à me débarrasser de tout le monde, parce que c'est tout ce qu'il mérite le monde. En psychanalyse, que voudrait dire cette volonté de détruire l'humanité? Frustration, refoulement, complexe inversé, drame de l'enfance, enfant qui s'est rendu compte que les origines merveilleuses il en existait pas sur terre et qui maintenant va se venger de sa misère. Ben non, je suis pas violent, ce serait encore un préjugé de le croire. Au contraire, la France est tombée amoureuse de moi. Me flattant sans cesse, se rapprochant avec des familiarités un peu folles. Elle garde pas tout pour elle, ce soir à l'Envol elle a presque carrément avoué à l'assemblée que j'étais gay. J'ai vraiment pas aimé. Et en plus je suis plus capable de lui dire que je veux plus me lever le matin à 7h pour aller déjeuner avec elle, parce que je ne dors plus de la nuit, pensant, même quand il est 3h, qu'elle va venir cogner. Une vraie obsession, reliée au fait que j'ai toujours l'impression qu'il est 7h déjà. Il faut noir à sept heures le matin en ce moment, à huit heures aussi. Je ne dors plus moi.

7 décembre 1994

Tritter, Tritter, Tritter. Encore un cours plate, paraît qu'il est chien. Mais son nom mais fait plutôt penser à un poisson d'eau douce. Je ne vais pas faire le test finalement, c'est définitif. Il mouille à sieaux aujourd'hui. Oui, oui, à sieaux, je n'ai pas lu mes livres de grammaire. J'ai bien peur que nous ne puissions faire notre promenade dans le parc. Nous resterons donc au salon. Is it n't funny que le livre qui a le plus marqué mon existence me fasse chier aujurd'hui parce qu'il me faut le décortiquer à en mourir? Une Liaison Dangereuse, s'est nouée, entre votre fille et le chevalier Danceny. Non, non, non, non, non, non, non, c'est parfaitement absurde. Cécile n'est qu'une enfant, elle ne connaît rien de ces choses-là. Et Danceny est aussi respectable qu'obligeant. Dites-moi, est-ce que Cécile a de nombreux correspondants? Pourquoi cela? J'étais dans sa chambre un matin de cette se

- 512 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

maine. Je l'ai vue dissimuler une enveloppe dans le tiroir situer en haut à gauche de son cabinet dans lequel je n'ai pu m'empêcher de voir quantité de lettre d'apparences similaires. On dirait que je connais encore le film par coeur, il se digère mieux que le livre. Mon passage favori c'est un des discours de Valmont avec Tourvel dans le parc. Est-ce que je savais que vous seriez ici? Du reste j'avoue que cela ne m'eut pas gêné du tout si je l'avais su. Croyez-le, avant de vous rencontrer, je n'avais ressenti que le désir. L'amour, jamais. Non, non, vous avez porté une accusation contre-moi, il faut m'accorder le temps de m'en défendre. Non pas que je songe à nier votre beauté, mais l'état où je suis est sans relation avec votre beauté. À mesure que je vous connaissais mieux, j'ai bien vu que votre beauté était la moindre de vos qualités. Et je ne savais pas ce qui se passait en moi. C'est seulement en ressentant les feux d'une souffrance aiguë, physique et mentale, que la lumière s'est faite en moi. J'aimais pour la première fois de ma vie. Je savais que c'était sans espoir. Mais je ne veux qu'une chose, c'est vous mériter. Indiquez-moi ma route, ma sentence, je m'y plierai. Eh bien la voici, je veux que vous quittiez ce château. Je crois que cette mesure ne sera pas nécessaire. La conséquence de votre vie passée rend cette mesure nécessaire. Et si vous refusez, c'est moi qui serai contrainte de partir d'ici. Mais non, je vous obéirez. Je pense que la simple justice mérite que vous me disiez lequel de vos amis a noirci mon nom. Ah monsieur, vous dévaluez la générosité de votre offre en en faisant l'objet d'un marché. Très bien, oubliez cette requête. Parlerez-vous aussi de marché si je mendie le droit de vous écrire ici et de prier le ciel qu'il vous octroit la charité de lire mes lettres? Comment un tel échange serait-il honorable pour une femme... Vous êtes déterminée à repousser mes attentes, soient-elles les plus respectables. J'aimerais mieux me convaincre que ce qui dicte ma conduite n'estt ni de la haine ni du ressentiment, mais... Mais quoi?

Dur retour à la réalité, il me faut encore aller à la FNAC. C'est moi qui les fait vivre! Il faut aussi que j'aille au bureau de poste, poster une lettre à mon bébé. Il pleut à boire deboutte aujourd'hui. On m'a dit que j'étais extrêmiste l'autre soir. Vivre dans les extrêmes... c'est moi ça? Ce pourrait être vrai et ça me dérange pas. Dans la vie, il en faut des extrêmistes. Je suis allé à l'école avec Maxime, on parlait des travesties et transsexuels. Quand tu vois un de tes amis arriver pour la première fois habillé en femme, ça fait drôle. Comme si ça faisait longtemps qu'il voulait sortir de l'ombre et que le soir en question, ça

- 513 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

faisait longtemps qu'il l'attendait. On voit tout le sérieux de la chose. N'empêche qu'on rit d'eux autres dans leur dos. Mais on se modère, on peut rire d'eux, mais n'empêche qu'on fait rire de nous autres aussi et qu'on se bat pour les mêmes idéaux.

Paris, 7 décembre 1994

Hello beau Bruno.

Comment va-t-il le bon bébé à son poupa? Tu vois que je ne perds pas de temps, voici ton billet pour le ciel. Si tu viens, bien sûr. J'ai fait la demande d'une chambre double, j'avais pas tellement le choix. Le choix que j'aurai c'est de la refuser si on me l'offre. Paraît qu'en janvier y'a beaucoup de changements de chambre, mais peut-être qu'au mois de décembre il y aura quelque chose. De toute façon, il n'y aura pas de problème pour que tu restes à tout le moins dans ma chambre jusqu'à ce qu'une chambre se libère parce qu'elles font tout pour nous aider. Elles sont vraiment gentilles, j'ignore si elles ont déduis que nous étions amoureux, mais si elle est pas capable de le comprendre, je lui ferai comprendre, parce que si tu étais ma blonde, je passerais avant les quatre autres qui sont sur la liste. Le meilleur c'est qu'une chambre double coûte 2 300 F par mois séparé en deux, et en plus Allocation logement nous rembourse la moitié. Ça coûte donc 155$ chaque par mois pour le logement, le téléphone je le payerai moi si tu veux. Alors ça coûte vraiment pas cher. Surtout que le resto de la Cité vient d'ouvrir et qu'il y a des plats végétariens. Alors pour 2$ on a un repas complet. Je te le dis, Paris va te coûter moins cher qu'Ottawa et en plus tu pourras voir à ce que tu peux faire pour la musique. Et on sera ensemble! Bien sûr, c'est si tu viens, mais il faut que tu prennes une décision, parce que ça aiderait pas mal pour la chambre, et savoir quand tu vas venir, la date, ce serait bien. Si tu reviens le 15 janvier avec moi, si je vais au Canada, ce serait parfait et ça te donnerait le temps de finaliser l'enregistrement de la cassette démo. On arriverait dans le bon temps pour la chambre, à la fin de janvier ça se libère les chambres. Il te faut remplir le dossier ci-contre, les deux exemplaires. C'est pas long, la lettre au délégué de la Cité, je l'ai écrite pour toi, copiée sur la mienne, pas de problème, ils les lisent pas qu'elle m'a dit. Remplis le dossier de toute façon parce

- 514 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

qu'il faudra le faire si tu veux rester plus que trois semaines ou un mois. Mais je sais qu'il y aura toujours moyen de s'organiser avec elles. Elles sont prêtes à nous aider, mais il faut être en règle avec la Cité. Si ça se complique, peut-être faudra-t-il que tu t'inscrives à un cours dans une école de Paris, ce sera plus facile. Au pire allé, les cours sont gratuits, tu t'inscris et tu y vas pas. Faut juste le papier. Mais peut-être voudras-tu prendre des cours de chants, ou même de piano avec un bon prof? Ou payer une cotisation pour utiliser des pianos dans une université? Je sais pas, on verra, c'est pas un problème, on peut voir ça après, quand tu seras sur place. Dans le formulaire, t'inventes n'importe quoi, dis que ça reste à définir ou à communiquer les études poursuivies. De toute façon ce n'est que de la paperasse administrative.

Ne sais-tu pas que je t'aime? Que je ne peux vivre sans toi? Que je suis fidèle à 100% et que je veux finir mes jours avec toi? Que tu doives venir ici pour réussir dans la musique? Que ça va rien te coûter ou presque parce que j'ai la chance d'être à la Maison des Étudiants canadiens? Que tu ne peux pas le regretter? Et mon Dieu, si tu es pour le regretter, tu repars et puis c'est tout. Tu devrais tout de même pas dépenser une couple de mille dollars ici, tu as une place où rester et faudra que je te contrôle dans tes dépenses, semblerait que c'est toi le dépensier du couple. C'est vrai que l'on s'est payé un peu des vacances en arrivant à Paris, on s'en payera pas si tu viens. Et puis Christophe avait de l'argent, on était toujours au restaurant, mais c'est fini ce temps-là. Christophe est plus là et les restos universitaires coûte rien, et en ce qui te concerne, la bouffe c'est pas si mal. De toute façon il m'est possible de manger aux deux autres restos universitaires, je me débrouille avec les à côtés, sans problème. Tu pourras même faire du sport ici avec moi, piscine, course dans le parc et tout. Et on pourra faire l'amour chaque soir, et je te ferai des massages, et tout. Viens, viens, viens! I love you! Je t'aime! Je capote à l'idée de te revoir à noël, mon bébé, que je te prenne dans mes bras, te mange, te touche, te masse, tout! Je veux tout faire! Sida? Je t'ai pas trompé, je suis sûr que tu me crois, on a pas été séparé assez longtemps et puis tu me connais, je peux rien te cacher, ou sinon, je serais incapable de te l'affirmer avec autant d'affirmation: je t'ai pas trompé et j'en ai même pas eu l'intention! Parce que je t'aime et que, ce qu'on a, c'est sérieux et c'est pour la vie. Tu veux te marier? Je dis oui tout de suite. Babsy, on aura notre maison, mais faut déboucher dans la musique et l'écriture. Ottawa,

- 515 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Canada, c'est un long processus, faudrait que quelqu'un ait suffisamment confiance en toi pour payer une publicité monstrueuse. Ici y'a du peuple et ils ont pas le préjugé du Canadien incapable de produire quoi que ce soit. Remarque que tous les groupes que l'on écoute sont d'Angleterre et pas des États-Unis. Paris, Paris, Paris! Aux dernières nouvelles je te dois 2 758$, et je pourrai te rembourser une bonne part de cela avec mon prêt, parce que le logement coûte vraiment pas très cher avec l'Allocation logement. Je ne relis pas la lettre, ce doit être effrayant. Je t'aime! J'attends ta lettre et les cassettes, tu es pas vite, pourtant tu as le temps. Mais est-ce que ça vaut la peine? Parce qu'on va se voir très très bientôt. Bien que si c'est moi qui vient, ce sera pas avant le 24 décembre, et peut-être me faudra-t-il aller à Jonquière pendant trois jours avant d'aller à Ottawa? R.M.

8 décembre 1994

I am in the Underground somewhere between l'Assemblée nationale and Concorde. Un quêteux a fait son speech et a insisté sur le fait qu'il acceptait toute forme de nourriture. Or, j'avais un sandwich gruyère à moitié mangé dans la main. Que pouvais-je faire d'autre qu'écouter mon coeur et dans un élan lui offrir mon sandwich gruyère? Il l'a pas voulu! J'arrive pas à le croire, c'est trop drôle. Mais ça a soulagé ma conscience. Ce qui est encore plus drôle c'est qu'il a commencé par dire que beaucoup de quêteux étaient pas sincères et d'autres l'étaient et que c'était sa propre situation, qu'il n'avait rien mangé depuis x jours. Or, quelqu'un qui n'aurait rien mangé depuis x jours refuserait-il trois quarts de sandwich gruyère? Et Dieu qu'il était appétissant ce sandwich. J'avoue qu'il serait immorale de juger la sincérité de quelqu'un sur l'acceptance ou non d'un sandwich gruyère. Si ça se trouve, ça prouve que quêter dans le métro c'est noble, dire que l'on accepte toute sorte de nourriture également, mais de ramasser un sandwich entâmé, ça par exemple un quêteux n'oserait s'abaisser à cela.

Parlant d'Underground, j'ai cherché à savoir s'il y avait eu une ligne de métro proche du parc Montsouris. Il existe deux livres sur les lignes de métro parisien, ils étaient chez Gibert à côté de la Sorbonne. Une femme consultait déjà le livre et à la FNAC ils étaient tous

- 516 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

vendus. Je ne suis pas le seul à m'intéresser au monde sous-terrain de Paris. Bref, j'ai rien trouvé. Mais la track passe sous terre, comment cela ne pourrait-il pas être un métro?

J'ai ouvert Pariscope et les bras m'en tombent encore. Il y en a tellement à Paris que je me dis que ça ne vaut même pas la peine de me déplacer. En effet, pourquoi aller voir cette pipèce plutôt qu'une autre? Ce film plutôt que ce concert? Et puis j'ai compris autre chose, c'est que l'histoire se construit dans le fond d'appartements minables à l'insu de tous. Regardons Ionesco à la Huchette. C'est un record mondial, il y a 82 places dans la salle, c'est la 2000ième représentations en 38 ans, eh bien, en admettant que la salle était toujours pleine depuis 38 ans, il y a seulement 164 000 personnes qui l'ont vu. Faites le pourcentage du nombre de Parisiens seulement qui l'ont vu? Moi je ne m'amuse plus avec les pourcentages, mes cours de math de dérivés et d'intégrales sont perdus dans les méandres de mon savoir. Alors cette pièce vue par un infime pourcentage de Paris, est passée à l'histoire, révolution, et patati et patata. N'est-ce pas de l'histoire inventée? Et combien l'ont vu parce qu'ils l'étudiaient dans un cours et qu'il fallait y aller par obligation? L'histoire se fait sur des pièces dont on peut ensuite raconter quelque chose d'intelligent à une classe de poches de la Sorbonne qui n'en a rien à foutre de toute manière. La pièce en elle-même n'a même pas besoin d'être intelligente. Ce qui m'insulte encore plus, c'est que l'on a réussi à caser toute l'histoire dans des grandes périodes comme le symbolisme ou le naturalisme, laissant tomber par la même occasion tout le reste. Comme si à cette époque-là, seuls les symbolistes ont produit des oeuvres intéressantes. Alors si tu suis pas la mode du temps, il ne te reste qu'une solution, il te faut être à la tête d'un nouveau mouvement, il te faut être près à cracher sur tout ce qui est venu avant et te faire cracher dessus à ton tour. Plus près de nous, est-il possible que toutes ces maisons d'éditions puissent se dicter une ligne de conduite, se construire des collections et passer à côté de tout ce qui pourrait justement être nouveau ou différent? C'est pas normal que l'on me renvoit mes manuscrits sans même les lire en disant que ça rentre dans aucune collection. Je perds mon temps, aucune démarche ne fonctionnera. J'ai appelé Fata Morgana pour vérifier l'adresse, le bonhomme était en Christ, il m'a insulté pour me dire de pas envoyer de manuscrit, qu'ils le liraient pas. Il voulait quand même me donner l'adresse. Mon côté Parisien est ressorti, je lui ai dit qu'il était inutile de me donner l'adresse. Un peu plus je lui donnais la mienne en lui de

- 517 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mandant d'écrire dessus que ça n'entrait dans aucune collection, ça n'aurait pas changé grand-chose par rapport aux autres maisons. Fata Morgana, je n'en acheterai même pas un livre. Ça respecte même pas les auteurs et ça vit à cause des auteurs. Comme Gallimard, dont je suis encore allé porter un manuscrit aujourd'hui, encore le même pincement au coeur. Que la vie est belle avant de comprendre qu'un éditeur c'est là pour nous fourrer et Gallimard le premier. C'est pas moi qui le dit, c'est Colette je crois. Paraît que ça te donne des pinottes et que ça garde un gros pourcentage au passage. C'est terrible ça! Faudra-t-il que les auteurs se créent leur propre coopérative d'édition? Là où ils retireraient le maximum de bénéfices? Ce sera à faire, ça, un jour. Les éditeurs, on en a plus besoin. Maintenant il faudrait changer la mentalité sociale, un livre qui n'est pas publié dans une grosse baraque vaut peut-être quelque chose. Un livre publié dans une grosse baraque est souvent plate à mourir. Un livre publié à compte d'auteur ne signifie pas un livre raté. Mais qui tient les rennes du monde littéraire? Une gang de conservateurs qui profitent d'un tel état de fait. Si j'ai le moindre succès un jour, je me crée ma propre coopérative d'auteur. Une maison d'édition à but non lucratif. Et j'essayerai d'aller chercher les plus grands auteurs, bâtir mon propre Gallimard à but non lucratif, en quelque sorte. Il n'y a pas de paradoxe si j'ose aller porter un manuscrit chez Gallimard et que je le critique. Parce que d'abord on peut critiquer un système et en faire partie, ça n'implique pas sa remise en cause mais l'avénement de certains changements dans les mentalités sociales. Deuxièmement, leur système de protection du monde littéraire, leur marché, est si bien protégé qu'il n'y a aucun moyen d'arriver quelque part sans passer par eux. Or, passer par Gallimard, c'est tout de même s'ouvrir toutes les portes pour ensuite les claquer dans leur dos après avoir acquis un titre d'auteur potable en société. On peut au moins se servir un peu d'eux autres, ils profitent tellement de nous. Et c'est André Gide qui est à l'origine de la NRF? J'ose croire qu'il a manqué une chance de poser des politiques plus avantageuses pour ceux qui somme toute se crèvent à essayer de faire des oeuvres pour une populace qui elle-même ne cesse d'écrire. Quels sont ceux d'aujurd'hui qui vont passer à l'histoire? Lesquels sont vraiment impressionnants? Je n'en connais aucun, et pour cause, l'histoire se construira ensuite, et n'aura rien à voir avec le présent, et surtout pas le présent que l'on retrouve dans Pariscope.

- 518 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

10 décembre 1994

France m'a complètement laissé tomber. Allez, ouste! Non seulement elle ne me parle plus mais en plus elle va prendre un verre de bière avec Fred et plus tard, un autre avec Steph. Et comme par hasard, tout ce beau monde tout à coup me regarde bizarrement. Ça a commencé avec Christel, elle est devenu bête du jour au lendemain, Fred me parle un minimum et Steph, lui, au contraire, m'observe avec des yeux d'un psychologue surintéressé à analyser enfin un cas gay. Quel est donc l'intéret de France d'avoir crié à tout le monde que j'étais gay? On ne peut pas faire confiance à ceux qui semblent les plus ouverts, ce sont ceux qui ont tellement banaliser l'homosexualité qu'ils le crient partout, se foutant des restes de préjugés qu'il reste à l'intérieur des gens. Et si moi aussi j'ai envie de les mépriser pour leur hétérosexualité? Hein? La fill d'à côté entre autres qui fait craquer le lit et qui jouit pour les trois étages? Elle s'en retourne à Montréal d'ailleurs, elle semble heureuse de laisser son Tunisien, à ce qu'on en voit. Être gay n'est pas si pire, mais que des gens qui n'en ont jamais côtoyés tout à coup en côtoient un, c'est pas toujours évident et c'est toujours un long apprentissage. Un peu comme de découvrir que ton voisin est sidatique je suppose.

Je suis allé marcher avec Maxime hier, on a marché dans les Marais, mais on est entré nulle part. C'est bien, comme ça j'aurai pas besoin de dire à Bruno que je suis allé dans les bars du Marais, déjà qu'il capote à cause de Maxime. C'est vrai que Maxime est beau (il s'entraîne), mais il m'intéresse pas, parce que j'aime mon Bruno! Mais quand on passait devant les bars gais (je vais me flatter la bedaine un peu), il y a des gars qui se retournaient pour me regarder. Maxime s'est mis à paniquer, c'est pourquoi je pense qu'il a pas voulu entrer. Il a dit que moi j'avais la jeunesse et que la jeunesse pognait en masse (parce que tous les gais sont pédophiles, c'est bien connu, chaque grand-mère de n'importe quel quartier vous le confirmera). Ça fait plaisir, surtout que moi je m'entraîne pas, je passe mes journées devant un ordinateur, compatible IBM en plus, c'est toujours bugué ces machines-là. Ça fait plaisir mais ça va finir très bientôt. Imaginons un peu tout le monde avec qui je pourrais coucher à Paris si je voulais. Je pourrais conquérir le Paris gay en entier, coucher avec tout le monde jusqu'à ce que je tombe sur le gros éditeur laid et riche qui voudrait

- 519 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

me publier. Sait-on jamais, je pourrais tomber sur Gallimard lui-même? Mais il est mort depuis le temps. D'ailleurs je suis tellemenet ignorant de ce qui se passe à Paris. Hier on passe devant l'hôtel de ville, je demande à Maxime qu'est-ce que c'est. Ensuite il me demande qui est le maire de la ville. Alors je réponds Le Pen. Il capotait, tout le monde sait bien que c'est Chirac. Bof, tu sais, Chirac, Le Pen, Mitterand, c'est pas mal tout du pareil au même. Tous des tueurs ou des collaborateurs, ou potentiels. Est-ce qu'on a expatrié les gays de France en Allemagne pour les mettre au four durant la deuxième guerre mondiale? Ou est-ce qu'on a trouvé un million de tapettes en Allemagne seulement? L'histoire est aussi écoeurante qu'il le faut, tellement écoeurante que ça donne jsute envie de cracher sur tout le monde, de mépriser la planète entière, de leur dire qu'ils peuvent bien aller se faire foutre et que leur petite réputation cul-cul je me la passe où les poules ont les oeufs.

Une autre maison d'édition me propose des plans de malades, c'est la troisième. Lettres du monde veut me publier mais demande que j'achète une couple de livres avant publication. Ça fait chier, ça hypothèque une vie, c'est le sacrifice d'un livre. Mais voilà, vais-je sacrifier La Révolution? On va voir ce qu'il va dire ce lundi.

Ah oui, j'ai appris hier que Michel Tournier préaparait un livre dans le même style que l'Underground. Ça aussi ça fait chier. Il me vole mon idée et lui il a poussé loin parce qu'on lui ouvre toutes les portes. Ça fait deux ans qu'il traîne dans les métros de Paris, conducteur à vérificateur de ticket, on lui a fait visité, probablement, tout ce qu'il y avait de stations désaffectées, et voilà qu'il nous produire son livre sur un gars qui poursuit un beau petit jeune dans les métros. Eh bien, si je pensais que j'allais rejoindre Tournier à un moment donné. Paraît-il il va crever en l'an 2000, vite-vite-vite!, il me faudrait le rencontrer avant qu'il crève, parce que lui il est déjà de l'histoire. Rencontrer l'histoire, ce doit être intéressant, j'ai lu une de ses nouvelles assez impressionnante, ça se passait dans le Jardin du Luxembourg(?), du petit gars qui étais obsédée par les toilettes des femmes, qui rencontre une transsexuée et qui finit par se couper la bite devant la femme qui garde les toilettes. C'est hot en christ, même moi j'oserais pas écrire des niaiseries comme ça. Ou l'autre nouvelle, ou l'autre nouvelle, celle du nain avec un membre gigantesque qui s'habille avec des costumes moulants effrayants et qui couche avec un gars qu'il dit protéger alors que c'est lui qui l'a mis en danger. Et le nain s'enferme avec les enfants et tout le monde ignore

- 520 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

c'est quoi qu'il fait avec les enfants, mais je pense qu'on nous laisse supposer qu'il éjacule sur les enfants et qu'ils aiment ça. C'est ça l'analyse universitaire que l'on fait sur Tournier, ça fait plaisir, Tournier, notre héros national! Mais vole-moé pas mes idées calice! Lui aussi doit-être impossible à rencontrer, et doit pas être parlable, avec ce qu'il écrit je pense qu'il doit être enfermé dans son univers. De toute façon je ne suis rien, rien, rien, dans cette société et que dans cette société on n'accepte de recevoir que ce qui a une grosse réputation cul-cul de prestige, même si elle est construite de toute pièce. C'est ça la vie. De toute façon c'est comme avec Bono, on aurait rien à se dire. Mais à l'âge que Tournier a, je pense pas que ça finirait pas dans le lit. N'est-ce pas d'ailleurs à cause de leur réputation que je voudrais coucher avec ces grands? Ou parce qu'à force de les admirer on finit par être aveuglé? Ou peut-être que ça nous donne l'impression de leur prendre un peu de leur titre en couchant avec, se mettre à leur niveau. Coucher avec l'histoire. Bof, rien me dit que je coucherais avec Morrissey s'il était en face de moi, je repenserais soudain à mon Bruno qui se morfonds au Canada en rêvant de conquérir la planète. Le pauvre, il veut pas que je descende à Noël et il veut pas venir. Argent, argent, argent, comme s'il n'y avait que ça sur la planète. C'est quoi ça? Une invitation à le tromper? Oui, oui, on se reverra en juillet si tout va bien, si l'avion pète pas, s'il a le temps ou l'argent... c'est beau la fidélité, mais quand ça atteint le degré de flagellation de Paul et Virginie, ça vaut qu'on y repense. Paul et Virginie sont morts tous les deux l'un par l'autre et l'autre par l'un parce qu'il s'était abstenu d'avoir du sexe leur vie durant. Et toute l'histoire s'est levé debout pour applaudir, bravo!, bravo!, et tous les couples de la planète, rongé par le remords de pas avoir été capable de faire ne serait-ce que 10% de ce que ce qu'ont fait PAul et Virginie, se sont mis à appeler leurs enfants Paul et Virginie, croyant sans doute qu'ils seraient aussi purs et qu'ils iraient direcement au ciel. Si ça se trouve, toute cette génération de Paul et Virgine était gay et couchait avec tous et chacun. D'ailleurs c'est peut-être ça l'explication, Paul était gay et il a pas pu coucher avec Virginie parce qu'il bandait pas. Ça expliquerait tout. Ça expliquarait pourquoi ils ont été capable de pas coucher ensemble pendant aussi longtemps. Et l'histoire nous a tout déformé la vraie histoire. C'est terrible le monde hétérosexuel. Ce qui était pourtant une grosse histoire à brûler dans les enfers, est devenue la plus belle des histoires moralistes du siècle.

- 521 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

10 décembre 1994

Hourra! Victoire! J'ai enfin découvert l'endroit par où j'entrerais dans mon tunnel. C'est par la rue Cacheux et ensuite la rue des Longues Raies. Pour ce que ces noms ont de psychanalytique... bref, il y a même un trou dans la cloture. Le seul hic c'est que c'est écrit que la voie est électrifiée et qu'il y a danger d'électrocution. Et si c'était là la dernière journée que j'écrivais mon journal? Le pire c'est qu'il est inséré dans mon ordinateur avec un mot de passe, TheThird, parce que cette année c'est Ed qui a enclenché le processus de mon journal. Sans lui je serais même pas à Paris. Ironie, il m'a téléphooné ce soir. Je lui ai dit que je m'ennuyais de lui, il a explosé. Il dit qu'il a encore montré ma photo à des amis hier. En plus, il a dit à son chum qu'il m'aimait avant tout et que je passais avant tout le monde. Il est malade. Il paye un appartement de 1100$ dans le centre-ville de New York, il veut que j'aille le rejoindre. Si je m'écoutais je partirais ce soir. Ainsi j'ai mon deuxième chum qui m'attend à New York avec une belle place dans son lit. Too bad he slept with the whole New York et qu'il a attrappé une couple de choses bizarres. Mais qui me dit que Bruno en a pas attrappé tout autant avant de me rrencontrer? Moi j'ai déjà attrappé des crabes avec Bruno. C'était dans le temps où il voulait me laisser, un mois de mars. Ni l'un ni l'autre ont a eu le courage d'en parler à d'autres, mais aujourd'hui je me rends compte que le pourcentage de gens qui ont eu des crabes est phénoménal, c'est comme l'homosexualité, on en parle pas, surtout pas dans les sondages. Mais moi j'ai été fidèle et selon les pharmaciens, ça s'attrappe pas comme ça les crabes. Faut un contact physique direct. Seule explication possible, j'ai pogné ça dans les toilettes de la cafétéria de l'Université d'Ottawa, parce que c'était pas mal sale et qu'avec tous les strangers that was working there without taking any showers, ça me surprendrait pas et ce serait l'exception qui confirmerait la règle, c'est-à-dire que ça s'attrape sur les toilettes quand celui qui en a vient juste de passer. Ceci dit, puis-je avoir une totale confiance en Bruno, surtout qu'il m'avait laissé dans ce temps-là. L'exception qui confirme la règle comme on nous dit comment on peut ne pas pogner le sida et voilà qu'il y a x% de cas qui sont inexplicables. Version des médecins? Les sidatiques mentent. Ils disent n'avoir rien fait de ce qu'il faut pas faire, ils les traitent de menteurs.

- 522 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Ça me rappelle toute l'histoire des médecins de Montréal et du monde entier qui, pendant 10 à 15 ans, ont jamais rien voulu savoir des sidatiques, trop dangereux, on veut rien savoir. Et c'est ces gens-là chargés de guérir le peuple. Ils en ont tué bien plus par leur inconscience que leur conscience ne pourrait en supporter. Tout ça a éclaté avec l'histoire de l'enquête Krever à Montréal, l'hsitoire du sang contaminé. De Molière à aujourd'hui, les temps ne changent guère. Bref, Ed m'attend à New York, il dit qu'il viendra peut-être à Paris quand il aurait trouvé un roommate et qu'il pourra enfin stocker de l'argent. Il se demandait s'il fallait mettre Bruno au courant. Je lui ai suggérer de venir pendant que Bruno serait là. Il a dit non. He doesn't seem to see that I don't want to sleep with him. First I love Bruno more than anything, secondly, I don't want to catch little friends. Que ferai-je lorsqu'il viendra? Il a passé une couple de gars depuis peu, son dernier chum l'a crissé là, il en a trouvé un autre qui n'est pas un vrai chum. Ces derniers chums étaient tellement beaux que ça s'explique pas au téléphone, Mais ce qui s'explique c'est que c'est impossible de garder des chums comme ça plus d'un mois. Et encore, ils te trompent. C'est beau la vie. Bref, demain il me faut me trouve une flashlight et descendre dans le trou. J'ignore ce que je vais y trouver, peut-être même y a-t-il des sans abris en dessous. C'est très dangereux, sans compter que la société secrète, ça m'inspire plus tellement. Je ne sais même pas s'il y a effectivement une station de métro désaffectée. Je ne le crois pas. LE chemin de fer me semble plus être une voie pour une industrie qu'il y avait là avant. Peut-être même que la voie est encore utilisée, mais rarement? Et où donc vais-je trouver une flashlight d'ici demain? Bon, je vais descendre en bas parce que ce soir on fête la noël à la Maison des Étudiants canadiens. Noël un 10 décembre, ça se comprend, tout le monde décrisse le 15 décembre pour le Canada. Mais qu'est-ce qu'ils vont tous faire au Canada, l'action, c'est ici qu'elle se passe, pas en Amérique!

11 décembre 1994

I feel so much like a numb that my fingers hurts. Qu'est-ce que j'ai fait? Huit bières, je vais fonctionner comme un zombi toute la journée. Je commence à me sentir coupable de rien foutre pour la maîtrise et l'université. Il y a eu la soirée dansante des sardines ici hier,

- 523 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ce fut terrible. Imaginez un peu, une gang de gens au doctorat ou en post-doctorat qui n'ont jamais sorti de leur vie ou du moins dans les cinq dernières années minimum, on en a fait des monstres. Ça danse comme des planches de bois séchées au soleil, mais surprenant, une bonne partie connaissaient les chansons. La musique était d'ailleurs très bonne, j'ai dansé. Mais bon, c'est le genre de party qui fait peur et que tu regrettes d'avoir trop crié le lendemain. Là j'ose pu sortir de ma chambre. Ils ont passé Tainted love, Sunday Bloody Sunday, une couple de Duran Duran, ça c'est pas pour me rajeunir. Moi qui est déjà si vieux. Il y avait une fille tellement niaiseuse, mais paraît-il elle est pas comme ça d'habitude. Elle était si près de moi que je ne comprenais pas. Après coup Maxime m'a dit qu'elle savait que j'étais gay. Semble que j'ai juste à approcher Maxime et les gens savent que je suis gay. En plus elle le contait à tout le monde. Ça va m'apprendre, à l'avenir je vais plus me faire d'amis gays dans les genres de pensions comme ici. Là il me reste la misanthropie pour ne plus me tracasser. Et si Bruno venait habiter avec moi après noël? Ce sera clair qu'on est chums. J'ose pas y penser. De toute façon, je rêve si je m'imagine que Bruno va venir après noël. Je suis arri`vé à côté d'un gars qui parlait avec une superbe de belle fille. Tout à coup j'entends parler philosophie hyper poussée, comme j'en voyais genre dans mes cours de philo anthropologique ou antropomorphique, je ne sais plus. Pauvre fille. L'autre malade de tantôt, Florence qu'elle s'appelle (je ne mens pas, voilà deux semaines je rencontrais France et hier c'était Florence), commence à me dire que ça n'a pas de bon sens parce que le gars est pas capable de parler d'autre chose que de philosophie. Juste en arrière il y avait l'autre scientifique avec qui j'ai passé une soirée à m'obstiner à propos de la vérification scientifique de l'hypothèse d'une vérité ou de la Vérité. Alors on commence à rire, que ces gens-là ont pas de vie, leur vie c'est leur études, etc. Alors j'ai soudain le malheur de demander à Florence qui est au doctorat sur quoi elle avait fait son mémoire de maîtrise. Oh my god! J'ai fait fait une étdue de lingusitique comparée entre un roman français... et un roman espagnol... pour comparer... ça a duré 25 minutes, la t^te m'en tournait. À la fin je me suis retourné vers Fred et je lui ai dit qu'elle était aussi pire que les deux autres popur faire une blague. Elle n'a même pas réagit, elle s'est défendue qu'elle c'étit pas la même chose, que c'était important et super intéressant. Ça me fait penser à l'étude que fait Maxime our une revue, une analyse du rôle social que joue Madonna par la dichotomie vierge\putain par

- 524 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

l'étude de Like a Virgin et Érotica. Son plan de travail est digne d'un mmémoire de thèse. Ça fait peur une telle analyse intellectuelle des vidéos de Madonna. Parlant de Madonna, Moi et Maxime nous sommes sortis au Queen. J'étais assez paqueté que je me souviens plus si on y a été en bateau ou en soucoupe volante. Sur les Champs Élysées. Plus d'autobus, de taxi, de métros, de RER et tout ce beau monde qui marchent d'un bord et de l'autre et qui vont comprendre bientôt qu'ils vont devoir marcher ou attendre 5 heures du matin popur reprendre le métro. Comme par hasard à l'entrée du Queen on se croirait à l'entrée d'un bar illégal ou pour entrer il faut un mot de passe et prouver que tu es bien la pire salope de la planète. Le gars a demandé à Maxime quel âge j'avais. Et là y'a eu quatre personnes qui ont passé avant nous qui était pourtant en arrière et là je commençais à paniquer parce que moi leur petit jeu plate ça me fait chier et que leur bar de trou de cul pourri avec trois ou quatre grosses drag queen, vieilles par-dessus le marché, je n'y tiens pas plus qu'il le faut. Et que faire têter les gens comme ça, même quand on a le titre du bar tapette des Champs Élysées, ça mérite pas que l'on se déplace du Canada pour aller voir ça. Surtout que, je l'ai déjà dit, les bars gays sur la planète c'est universel et que celui-ci fait pas exception, on se serait cru au KOX à Montréal. Identique. Surtout paqueté, je me sentais chez moi. Bref, j'ai pas trop niaisé, quand j'ai vu que quatre personnes ont passé devant nous, les deux autres en arrière voulaient passer aussi et j'ai fait le bloquage, je me suis mis sur le pan de la porte et la femme s'est mise à paniquer. Je lui ai dit qu'on pouvait passer là? En voulant dire que ça suffisait le niaisage? Finalement elle a dit oui. Maxime capotait, il me disait que c'était courant qu'ils te fassent pas entrer. Bulshit. Il m'avait averti de pas dire un mot sinon on pouvait plus penser entrer. Bref, dans les toilettes ils vendent des bars de chocolats et de la gomme. Aucune de bonne, c'est assez incroyable. Le sexe y est aussi en vente je suppose, il y avait un de ces gars, presque tout nu, il pissait là en me montrant sa grosse bite. Il y avait une dizaine de gars sans gilet et musclé dans le bar, c'est l'avantage des bars gays. Mais tu sors de là tellement en manque de sexe, ils provoquent des inhibitions, tu veux exploser, sauter sur le premier du bord, avoir du sexe là dans le bar, c'est pas mêlant. Un gars m'a trôlé, je lui avais enlevé une mousse sur son menteau. La nouvelle mode à Paris, enlevez-lui une mousse et il vous donnera le ciel, pour un soir. Bref, il me regardait, il était beau, je le regardais, j'étais pas mal amoché, il était beau, il me regardait, j'étais là à penser à Bruno,

- 525 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

je le déshabillais, je revoyais Bruno nu, je voyais sa grosse bite, sa petite bedaine, et j'essayais de penser à Bruno, et il me regardait, et Maxime disait qu'il était beau, et il me regardait et là Maxime m'a dit que si je voulais me ramasser quelqu'un qu'il n'y avait pas de problème pour lui, parce que lui aussi voudrait bien se ramasser quelqu'un et il me regardait et je voyais la forme de son corps et j'ai fait signe à Maxime de marcher plus loin, que je ne voulais plus rester là. Un peu plus tard Maxime m'a dit qu'il voulait trôler et me demandait si ça me dérangeait d'être seul. Bien sûr que non, me retrouver seul dans les rues de Paris à trois heures du matin, c'est mon style. Finalement il a pas osé parce que je pense qu'il a vu ses intérêts et que ses intérêts c'était moi. Masi faut jamais sous estimer un Roland-Michel, Bruno-Bruno-Bruno! C'est une épreuve que Dieu m'envoit de temps à autres, pour voir si je vais résister, si j'ai un once de volonté. On a marché à pied pour le retour. Des Champs Élysées à la Cité Universitaire. Deux heures de marche, paqueté. À se demander si on a pas été aidé par des extra-terrestres, ça me semble impossible aujourd'hui. Comme d'habitude la musique était d'un platitude qui caractérise tous les bars gays de la planète, de la Techno qui saute dans le House. Lequel malade a inventé ce genre de musique? C'est encore pire que le rap qu'on avait réussi à mettre partout en 1990, acheté à coup de milliard les succès que tout le monde déteste mais qu'on finit par se rentrer dans le crâne à force de sortir dans les bars. Tu entends le beat techno et tu bandes automatique, depuis le temps. Voilà pourquoi ce sera difficile de se débarrasser de ce genre dans les bars gays. J'envie le temps du bar La Renaissance à Jonquière où les gays encore beaucoup plus caché écoutaient de la musique alternative et s'habillaient en conséquence. Aurais-je vieilli? Incapable d'embarquer dans les modes actuelles? Pourtant hier je me suis bien rendu comptes que je fittais pas le modèle du petit étudiant en maîtrise de la Sorbonne. C'est un problème ça le rejet systématique de tout sur la planète. Je devrais réfléchir, mais veut veut pas, la musique Techno il faudra me la faire avaler de force, un beat de quatre heures de long sans arrêt, ça tue. Paris la nuit, c'est de l'arnaque. Quatre-vingt francs mes amis pour entrer dans le bar tapette des Champs Élysées. Vingt dollars! La bière? Cinquante francs! à ce rythme-là, pas besoin de vous dire que j'étais le seul qui avait bu avec Maxime dans tout le bar. Ne comprennent-ils pas qu'il y a de l'argent à faire avec la boisson? Pas cher et tout le monde boit et ça facilite tous les contacts? Qui peut payer 80 francs chaque fois qu'il veut sortir? C'est

- 526 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

de la ruine! Et que faire des pauvres petits étudiants, beaux, qui voudraient rencontrer quelqu'un? Non seulement on les effraie à l'entrée mais on leur demande toutes leurs économies. Paris l'arnaqueuse. Ce pays comence à me faire vraiment chier, j'arrive pas à comprendre que l'on puisse accpeter de telles choses. On devrait organiser un boycottage du Queen, ou ouvrir un bar qui demande rien juste à côté. C'est un bar pour l'élite ou quoi? Égalité, Fraternité, Liberté, ça vous dit rien ça? Ça c'est la plus grosse connerie du siècle. On aurait besoin d'une petite révolution pour ramener les gens sur la terre. Heureusement Montréal est encore épargnée et que l'on demande pas des covers-charges aussi exhorbitants. Maxime dit que d'habitude c'est bien pire que ce que je pense. Il y a qu'ils choississent les plus beaux et les plus fins et les habitués, en interdisant l'entrée aux femmes, aux laids, aux vieux et aux kétaines. Et quand il y a trop de monde, c'est encore plus humiliant, ils les font entrer et c'est à l'intérieur que la femme dit aux bouncers de sortir ceux-là. Et paraît que c'est encore pire dans les autres bars de Paris. Ça explique pourquoi il y avait aucun vieux. C'est discriminatoire mais de ce point de vue là, j'en suis bien heureux.

C'est ce soir que je vais descendre dans le ravin pour voir où conduit la track de chemin de fer. C'est lourd à porter, pas sûr que je vais descendre. Mais si j'y vais pas, comment aurais-je un autre rendez-vous? C'est pas comme l'idée de se dire, est-ce que je sors ce soir dans les Marais? Seul? On remet ça à plus tard parce qu'on pourra toujours le faire. De toute façon je n'aurais pas l'intention de sortir seul dans les Marais. Et j'irais là ce soir? Je me suis procuré une chandelle et des allumettes pour aller explorer ma station de métro désaffectée. Je vais partir d'ici vers deux heures. J'emmènerai pas de papier d'identification sauf ma carte de résidence ici à la Cité. Il m'a traversé l'esprit d'aller au Queen seul, comment ce serait. Eh bien ça m'a donné encore plus mal au ventre que d'aller explorer les bas-fonds de Paris. J'ai repris confiance, le dimanche Paris est tellement désert, je ne crois pas que je vais rencontrer quoi que ce soit. Quand j'étais jeune j'ai fait pire. Mais que vais-je rencontrer donc, qui? J'ai tendance à oublier qu'il y a un dessein à tout cela. C'est même très inquiétant. Mais je suis déterminé plus que jamais. C'est comme mon départ pour Paris, sans trop vouloir, tu fais toutes les démarches et c'est tellement de troules qu'à la fin tu pars pour pas que cela ait été fait pour rien. L'humain a horreur du travail fait pour rien, c'est bien normal.

- 527 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

12 décembre 1994

J'y suis enfin allé hier. J'ai passé proche de laisser faire, ça semblait trop risqué. J'en reparlerai tantôt. Là je m'en vais chez, qui sait, peut-être mon futur éditeur. En fait, j'y vais pour voir s'il s'agit d'une arnaque. Travail difficile, mais je me suis tellement fait fourrer depuis que je suis à Paris que je devrais commencer à être alerte.

(Plus tard) Il s'agit de la plus grosse arnaque du siècle! Je croyais qu'il calculait en ancien francs ou que je me trompais dans le taux de change. Au bas mot, il me demande 10 000$! Et il insiste encore sur le fait que ce n'est pas du compte d'auteur. Bien sûr que non, c'est bien pire, je cherche le mot, le qualificatif qui pourrait qualifier ça, aucun ne serait assez fort. Il a pas répondu à la question de savoir à combien des 450 manuscrits qu'ils reçoivent à chaque mois ils offrent ça. Il ne publie que des préfets, des généraux, des affaires qui veulent rien dire pour moi. Je crois qu'il est lui-même quelque chose comme général. Il arrive d'un voyage aux États-Unis et en Gaspésie (!), il a son petit encadré photo signé de Bill Clinton, un autre identique en dessous signé par Fidel Castro, sur le même mur! Quelle sorte de magouille un homme comme ça manigance-t-il? En fait, il me fait payer la publicité, le lancement du livre, la distribution et son profit. C'est la différence des deux autres maisons qui me demandent 3200$ et 2400$ indirectement. Elles, elles ne me demandent que leur profit, après tu t'organise avec ton nihilisme pour apprécier cinq cents copies de ton livre qui vont rester sur ton bureau. Ce qui prouve que les deux autres distribuent pas. À la vitesse à laquelle ils ont lu mon livre, je me demande s'ils l'ont lu. Paris l'arnaqueuse, et la décourageante. Misons qu'aujourd'hui encore je vais recevoir une lettre similaire.

J'ai eu le temps de décompresser mais je suis en christ. Le petit peckno d'en face, Fred, il fait crissement chier. C'est straight, c'est puceau, ça se nourrit d'Emmanuelle et ses quarante clients, ça s'affirme pas, et ça vient se permettre des commentaires comme quoi je suis pas évolué parce que je suis végétarien, et pourquoi pas aussi parce que je suis gay? Parce que ce soir France s'est pas empêcheé de parler de mon homosexualité devant Stephane, et de quel droit elle peut parler de ça ouvertement, surtout après mes mises en

- 528 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

garde? Christ, s'il m'aurait conté qu'elle s'est fait avorter deus fois dans la même année, sacrée enceinte par deux gars différents, j'irais pas le crier sur les toits. Et c'est presque le même problème parce que les préjugés auxquels ont a à faire face sont justement celui de l'immoralité. Mais le végétarisme, c'est fort. J'ai presque autant honte de le dire que d'être homo. Je parle du cadavre qu'elle a dans son assiette, elle me dit qu'avant elle le disait ça, c'est-à-dire parler des os de poulet comme d'un cadavre. Et que ça lui rappelle des mauvais souvenirs peut-être? Elle semblait suggérer que j'avais pas évoluer pour la seule raison que madame a décidé d'arrêter 12 ans de végétarisme militant l'an passé en même temps que sa prise de décision de venir en France parce qu'en France, on te regarde comme un martien quand tu dis que t'es végétarien. Bien c'est bien de valeur mais c'est pas parce que tu pensais quelque chose dans le temps et que tu le penses plus aujourd'hui que moi je suis arriéré parce que je le pense aujourd'hui et que je ne le pensais pas avant. Et Fred avec son petit commentaire, qu'elle au moins elle avait évolué. Qu'il vienne me reparler le p'tit christ, j'm'en vas te'l dévierger-moé, hostie! Tellement en manque de sexe que ça sait plus où se branler, étrangement il s'accroche aux hommes. Ô Dieu! Le p'tit fils à son poupa va bientôt découvrir les réalités de la vie? Come on! Peut-être que lorsque tu évolueras tu deviendras végétarien aussi, qui sait? Je pense pas qu'il soit possible de retirer quoi que ce soit de positif à vivre dans des résidences. Au contraire, tu deviens comme fou, tu t'évanouis dans la masse et tu réfléchis plus. Le cerveau de tout le monde deviens un et un seul. Et ils sont tous contents d'être Québécois en plus. Vive le Québec Libre! Maudits Français! Anglais Square head! C'est tout content de vivre, ça respire pour la première et dernière fois de leur vie, moi ça fait longtemps que je fais le plein au gaz! Mais moé chu pas pur tabarnack! Ça me regarde pis ça s'imagine que j'ai pas vécu, que je suis un p'tit crétin qu'y'a jamais sorti de chez lui. Ça donne envie de prendre un gun pis de tirer dans le tas. À savoir si je passais l'été ici, je ferais des recherches intensives d'appartement. Ici c'est caverneux.

Parlant de caverne. Je me le réservais. Raconter ma soirée d'hier. Je m'étais décidé à pas m'y aventurer sous prétexte qu'il y aurait sans doute un chien et qu'en plein jour il me faudrait revenir pour vérifier. Mais enfin bref, je me suis dit que c'était là où l'on distinguait les aventureux des peureux qui foutent rien. Et puis s'il y avait eu un chien, je n'avais qu'à courir. Il s'avère que la chemin de fer n'a jamais abrité de station de métro parisienne.

- 529 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

C'est plutôt une ancienne voie ferrée pour transporter des déchets. Il ma fallait d'ailleurs passer par le trou de la clôture qui donnait directement sur un gigantesque garage dont les portes étaient ouvertes et qui était éclairé pour au-dessus de 1000 watts. Ce pour être sûr que personne s'aventure là où la track d'à côté était électrifiée. J'ai eu beau pas esayer de faire de bruit, il y avait plein d'huile sur la track, j'ai failli tomber à quelques reprises et à chaque fois je faisais du bruit. Alors en m'aventurant vers le tunnel, il fallait longer une longue cabane d'un côté et les parois rocheuses de l'autre. Incrustée de chauves-souris qui volaient au-dessu de ma tête. C'est trop extraordinaire, des chauves-souris dans le 14ième arrondissement de Paris. Mais je suis habitué, j'en ai connu à Val-Jalbert. Mais le pire c'était le grand terrain vague genre stationnement à traverser avant d'arriver au tunnel. Et la cabane à chien au fond. Alors là c'était de pas faire de bruit au cas où le chien, si chien il y avait, allait se réveiller et venir me bouffer. Mais avec toutle bruit que j'ai fait, il y avait sûrement pas de chien. Enfin le tunnel. L'éclairage faisait que le sol semblait couvert de chaux, mais non, uniquement des roches. Plusieurs se sont fait des feux de camps là et des bouteilles de bières traînaient. Bref, j'entendais des bruits, ça semblait pas être des chauves-souris. Des rats peut-être, je l'ignore. Les gens vont penser que je radote des histoires si je raconte la suite. C'est trop incroyable pour être vrai. Mais j'ai l'impression qu'à sortir un tant soit peu de chez soi et à pas reculer justement là où ça devient dangereux ou inconnu, c'est là que l'on découvre toutes ces choses impensables justement pour le p'tit fils à son poupa qui s'est pas encore ouvert les yeux sur l'action cachée des autres. Bref, il y avait une porte d'ouverte directement dans le ciment. Il doit y avoir d'autres entrées puisqu'au dessus du tunnel c'est pas la rue de Rungis, c'est le gros bloc appartements ou édifice à bureaux. Quelqu'un se serait donc construit un genre de repère là-dedans, peut-être même illégallement? Peut-on creuser son sol et se bâtir des appartements plus grands? Et jusqu'à quelle profondeur? Je suis entré, l'idée de ne jamais en ressortir était forte, mais je me demandais qu'est-ce qui était le plus risqué, retourné par où j'étais venu ou bien entrer là-dedans où il y aurait sans doute une autre sortie. Et puis, est-ce que les sociétés secrètes tuent leur monde à la première rencontre? D'habitude ils attendent d'Avoir pu soutirer tout l'argent possible? Il est vrai que j'en savais déjà pas mal. Juste de connaître l'entrée, ce me semble être beaucoup. Mais si la porte de ciment était fermée, je me semande même s'il

- 530 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

serait possible de la retrouver là-dedans. Y'a pas à dire, c'est trop beau pour être vrai. Donc j'entre et il y avait même pas d'éclairage. Je regrettais d'avoir été cheap et de m'être aventuré avec une chandelle. Il y a que la chandelle de fait un halo autour de la tête mais n'éclaire absolument pas autour. Et quand je marche, la flamme devient petite. Il y avait des marches, j'ai descendu je sais pas combien d'étages, c'était vraiment profond. Deux-trois couloirs rendu en bas, ça a débouché, ô surprise, sur une station de métro, mais c'est là qu'est la surprise, sur une station de métro londonienne! Semi-éclairée, pas de nom, des éboulements à chaque bout, mais un début de métro qui ressort de l'éboulement d'un côté. Naturellement, il n'y a probablement pas de tunnel à l'arrière des éboulements, on a construit ça tel quel. Un nostalgique de Londres peut-être, c'est un peu fort. Mais l'impressionnant c'est d'avoir effectivement fait construire une chose comme ça et quelle belle cachette pour abriter une société secrète. La station est faite en rond, une dizaine de tables sont placées près du trou des rails. Il n'y avait personne, je n'ai d'ailleurs rencontré personne. Semblait pas y avoir de caméra, sur la table il y avait une seringue enveloppée et une petite bouteille à contenu plutôt suspect. Je me suis assis à la table, je croyais que des gens allaient venir. Non, je ne me suis pas décrotté le nez, persuadé que l'on m'observait. Je sais pas ce qu'ils s'imaginent, peut-être songaient-ils que j'allais entrer ici et m'injecter ça dans le bras? Si c'est effectivement là qu'il faut s'injecter ça... bref, je suis reparti après trois quarts d'heure peut-être. J'ai pas emmené la seringue, on m'a pas fait de problèmes pour sortir. Un coup l'autre côté de la clôture, tout-à-coup j'ai commencé à paniquer. Il y a une automobile qui se retournait là où je perdais mon temps à observer le chien hyppothétique. Je suis ressorti beaucoup plus vite, m'en foutant un peu plus, je ne crois pas que j'y retournerai. J'ai couru ensuite, couru comme un malade, de peur que l'on me suivait. J'ai sorti sur la rue des Longues Raies, mais pas par Cacheux, un peu plus loin. J'ai traversé tout le parc de la Cité Universitaire pour essayer de perdre un hypothétique suiveux puis j'étais soulagé quand les deux portes à l'entrée ont été refermées derrière moi. Mais tout cela aurait pu être vain puisque somme toute, ils connaissent mon adresse et qu'ils ont fait leur petite enquête. Maintenant c'est vrai que je n'ose plus sortir de chez moi. Ce qui serait bien, c'est que je puisse aller là sans peur de rien. Quel bel endroit pour écrire l'Underground. Je ne sais même plus si je devrais m'inspirer d'Artaud pour écrire ce livre, ce me

- 531 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

semble vain. Cette société secrète m'intéresse finalement, mais pourquoi diable a-t-il fallu que ça se passe comme ça? Et si je veux me risquer à nouveau? Et s'il fallait que je me pique ça dans le bras? C'est vrai que s'il y a une quelconque initatiation à cette soicété, me voilà qui a fuit à la première étape. Bien ça commence comme ça eet après tu te ramasses je sais pas où. Je pense qu'ils peuvent les garder leurs sociétés bizarres, j'en ai eu un entraperçu et cela me suffit.

13 décembre 1994

I received a phone call today, in english, of course. The guy said that tomorrow they will give me another chance. To not be afraid, the drug is just a little bit more interesting than alcohol. Yeah, sure... déjà que l'alcool a des effets secondaires sur moi, I become hot and I'm ready to sleep with anything that move, even a girl! And that was it. I'll need more than a phone call to decide to go back there. Maybe I should call back the first man at [...]. Ça commence à être vraiment inquiétant, ils me relancent jusqu'ici, par téléphone en plus. Et que puis-je faire? Je ne peux tout de même pas appeler la police? J'aurais vraiment l'air d'un cave, leur expliquer l'histoire de la société secrète, c'est un peu arriver à un policier à New York et lui demander où se trouve le premier restaurant végétarien. Je pourrais aussi déménager, ce serait difficile de retrouver ma trace dans Paris, mais s'ils ont fait un minimum de recherches sur mon compte, je serai vite localisé. Y'a qu'à aller à La Sorbonne ou regarder où j'ai fait suivre mon courrier à partir d'ici. Peut-être qu'ils me feront pas d'histoires? Dans quel pétrin me suis-je fourré donc? Est-ce que ça va me poursuivre tout le temps que je serai à Paris? Peut-être même au-delà de Paris? Comme s'il existait un au-delà à Paris.

(Plus tard) J'ai appelé mon bonhomme. He said that there was no danger. I go there, I shot that in my arm, it's even better (than the real thing) than the vaccins que j'ai reçu at the hsopital à la Place du Parvys Nostre-Dame. That I won't regret it. He said that I must be far from my generation if I had never experiment drugs. And drugs, when it's well used, can bring you a lot more than what my generation probably find in using this. But there is no one to telle me how to use it! I'll be there all by myself, maybe I'll get too much and I'll get

- 532 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

an overdose, maybe I'll go directly to hell, maybe j'vas devenir schizophrène, moi qui suis déjà pas mal avancé dans ma névrose! Si j'y vas, je suis malade, malade dans la tête. Et dans ce cas, aucun problème, j'y retourne tout de suite. Maybe me too I am the little baby à sa môman d'amoooouuurrrr! Moi aussi il faut me secouer un peu... faut me frapper un peu! Qui risque rien n'a rien. Qui ne (je sais plus), n'amasse pas mousse. L'avenir appartient pas à ceux qui restent dans leur poubelle. Et puis tant qu'à y être, rajoutons-y le proverbe préféré de Brunsy: It doesn't matter where your getting your appetite, as long as you eat at home. Les proverbes sont toujours à côté de la track, comme moi. Ils veulent tout dire, sans vraiment signifier quelque chose de concret. On peut les utiliser à tort et à travers sans que personne s'en rende compte. Malheureusement les proverbes qui pourraient contredire ceux que je viens d'énumérer ne me viennent pas à l'esprit. Est-ce que je vais trancher la question sur une série de proverbes sans queue ni tête?

L'école en France, à la maîtrise, c'est merveilleux. Je manque 3/4 de mes cours, j'ai aucun travaux à remettre, j'ai coulerai, mais j'ai un an à vivre sans souffrir, à être libre d'aller aux jardins du Luxembourg. Je ne me suis pas assis à ma place habituelle, en face du bassin en trompe l'oeil avec une grosse statue qui représente Dieu qui surprend un homme et une femme en train de faire l'amour. Je suis autour du grand bassin au centre. Venir ici c'est un peu venir à la rencontre d'André Gide. Je vais faire une vraie déclaration d'amour morale intellectuelle: j'adore Gide. Pourquoi tous les grands auteurs sont-ils morts? Eux ils étaient sacrés grands auteurs de leur vivant dans le temps, où sont-ils les grands auteurs aujourd'hui? N'y aurait-il que Tournier et Kundera? Tous deux à la veille de crever. Mais au moins ils sont à Paris. Je sais même pas à quoi ils ressemblent. Peut-être qu'ils marchent là dans les jardins du Luxembourg et que je suis incapable de les reconnaître. Peut-être y en a-t-il d'autres? Qui me dit que j'ai pas passé à côté des grands de l'heure en quatre ans d'études en littérature?

Treize décembre, et le gazon est tellement vert, on se demande quels produits chimiques ils mettent. Le parc Montsouris c'est la même chose, et je l'aime davantage que les jardins du Luxembourg. Ils mettent tellement de produits dans les arbustes de l'entrée de la Cité universitaire que j'atchoums sept fois avant de me décider à me boucher le nez et à courrir.

- 533 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

On voit très peu le drapeau français en France. J'y ai vu davantage le drapeau Québécois, même en étampe sur les sacs-à-dos ou dans les fenêtres des voitures. C'est tout dire. Le drapeau américain déborde dans l'état de New York. Mais cela ne veut rien dire, c'est proportionnel au degré de lavage de cerveau que l'on fait subir à une génération.

Paris, le 13 décembre 1994

Salut Bruno.

Je t'écris aujourd'hui parce que je m'ennuie énormément. Je pense à toi sans cesse, l'idée que l'on ne se voit pas à noël me fait paniquer. Mes parents m'aideront pas, c'est confirmé. Ils disent que ça fait pas assez longtemps que je suis parti. En fait, ça fait six mois que j'ai pas été à Jonquière. Je pense sans cesse à toi, je revois ton visage, tes mains, tes jambes, tes pieds, fallait être malade pour partir en France. Mais il le fallait. Je t'aime. Je suis allé au Queen, mais aucun ne te vaut même si comme je t'ai dit il y en avait quelques-uns de beaux. Mais non je t'ai pas trompé et j'en ai pas l'intention, tu me suffis même à distance. J'espère vraiment que c'est la même chose pour toi.

Tu te souviens de Granville ensemble? Comme je voudrais y retourner avec toi. Je voudrais y habiter et me débrouiller sur place pour trouver de quoi nous allons vivre. Cours d'anglais, cours de français, cours de piano. Pourquoi tous nos projets sont-ils pour plus tard? Pourquoi n'avons-nous pas des projets pour maintenant? Quand tu avais peur à l'hôtel de la Marmotte et que tu voulais venir dans mon lit, que tu es venu dans mon lit, je donnerais cher pour revenir à ce moment comme on en a beaucoup.

Pouvoir te prendre dans mes bras, t'écraser contre moi, t'embrasser toute la nuit, ma langue dans ta bouche, ma main dans tes caleçons, moi nu contre toi, ô Bruno, je descends à Noël parce que cet argent tu le reverras bientôt et que c'est un genre d'investissement. Ce que tu me prêtes, tu peux pas le dépenser, et si ton compte était aussi élevé qu'avant que tu me prêtes 2 700$, tu dépenserais sans t'en rendre compte. Je suis à toi car tu es beau, simple et gentil, que je peux avoir confiance, tu es stable. Avec toi je suis heureux. Heureux-heureux-heureux. Je prie pour que tu sois aussi fidèle que moi, tu sais, je connais pas

- 534 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

beaucoup de gays qui arriveraient à Paris seuls sans tromper leur chum. Tu m'aimes? Quand viendras-tu à Paris? Ce sont nos rêves. Faut pas avoir peur des changements radicaux, ils apportent tant.

Dans tes bras, dans un lit, ne serions-nous pas beaux? Survivre sans te voir, c'est impossible! Bruno, Bruno, Bruno! Amour de ma vie. Tous les deux à Granville et à Paris... Oh Bruno,, construis ton histoire, je viens à Noël, on repart ensemble le 15 janvier. Mais cela n'est pas une condition à mon amour tu sais, je t'aime de toute façon. J'attends ta lettre depuis longtemps, pourquoi ne peux-tu pas trouver le temps de m'écrire? Je rêve au jour où l'on va être ensemble en permanence. Je m'ennuie de mon Bruno. Le cap des trois ans est passé, on entâme notre quatrième année. Allons-nous nous tromper et risquer de perdre une relation qui pourrait durer une vie? Je t'aime!

Si tu était à côté de moi, je commencerais par enlever ton chandail, puis tes pantalons. Puis tes caleçons, tes bas. Je te mettrais sur le ventre, te caresserais les cheveux, te masserais le cou, les bras, les mains, le dos, les fesses. Et là j'embrasserais tes fesses, je les lècherais partout, le trou, je lècherais le trou pendant dix minutes en même temps que je masserais tes couilles. Je jouirais et toi aussi. Après je masserais tes jambes, tes pieds, je lècherais tes orteils, placerais mon visage dans le creux de tes pieds. Ensuite je te donnerais une claque sur les fesses et tu te retournerais. Je masserais tes seins, ton ventre. Je te frencherais jusqu'à ce qu'on s'étouffe. Je baverais dans ta bouche et toi dans la mienne, pendant que je gratterais ta bite et que je te masturberais. Après je masserais tes genoux et je t'attacherais aux pattes du lit sur le ventre. Je mettrais ma bite dans toi après avoir bien léché avant à nouveau. Je ferais cela, entrer et sortir, pendant quinze minutes sans venir. Ensuite c'est toi qui m'attacherais, tu entrerais en moi, et pendant vingt minutes tu entrerais et sortirais. Tu finirais par venir dans moi. Je me retournerais, te prendrais dans mes bras, me masturberais aussi et je viendrais à mon tour. Et là nous serions mort et on dormirait nu l'un contre l'autre. Voilà ce que nous ferions le 24 décembre. R.M.

14 décembre 1994

Je prévois des jours encore plus noirs arriver, car là c'est vrai que j'ai vraiment at

- 535 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

teint le fond du baril. J'ai 115$ dans le rouge sur ma carte de crédit, et ça c'est si j'ai bien compté. Or, j'ai probablement oublié une couple de factures, une couple d'achats, mon nom va être hypothéqué complètement. La baguette que j'ai achetée ce matin, c'était la dernière. Je vais avoir juste assez d'argent pour mettre 100 Francs sur mon téléphone et donner 200F à la préfecture de police pour ma carte de séjour. J'ai dépensé 4000$ depuis mon départ en novembre. C'est extraordinaire. Et tout cela à crédit. Un conseil à ceux qui pensent crisser le camp de leur pays, ayez 5000$ minimum pour le premier deux mois, car ce me semble, j'ai dépensé un minimum. Comment vais-je faire? Il me reste quatre coupons repas, je regrette d'en avoir donné un à une femme qui semblait même pas en avoir besoin. Ça me dit pas comment je vais payer janvier. Ça me dit pas comment je vais manger jusqu'à la fin du mois, comment je vais manger en janvier. Il est certes pas question que je retourne au Canada pour noël. Connaissez-vous l'histoire du malheur?

(Plus tard) Connaissez-vous l'histoire du bonheur? Il frappe encore à ma porte, est-ce possible? Je vais essayer de changer la date de mon billet pour le plus tôt possible. Je repars pour Ottawa illico-presto, j'ai convaincu mon Bruno que mon prêt après noël je lui redonne. Que si je lui dois de l'argent, ce sera pas si pire. En plus, il me confirme presqu'il va venir à Paris après noël. N'est-ce pas merveilleux? Ça me donne pas plus d'argent, mais ça va me permettre de respirer et de travailler sur ma biblio à Ottawa. Faudrait que je parle avec M. Autrand, lui faire croire que je dois descendre parce que mon grand-père est mort, et le pire c'est que c'est vrai.

(Plus tard) Connaissez-vous l'histoire du malheur? Je viens de rappeler Bruno, c'est 700$ qu'il faut qu'il dépose pour que je paye mon loyer avant de partir et qu'il couvre ma carte de crédit en souffrance. Tout à coup il s'est mis à paniquer. Quoi? Et ça c'est en plus du billet d'avion de 700$? C'est franchement irréaliste ce départ anticipé. Il capote trop, je crois pas que je vais partir. Il va rappeler tantôt pour me dire de laisser faire. La vie est complexe.

(Plus tard) Connaissez-vous l'histoire du bonmalheur? Demain je vais chercher un billet.

Paris, le 13 décembre 1994

- 536 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

M. Autrand,

Je ne puis vous rejoindre, il m'a fallu agir vite en vue d'un départ anticipé au Canada. Mon grand-père vient de mourir et il me faut être là près des miens, aussi pour soutenir ma mère pour qui la nouvelle est difficile. [Quelqu'un m'a dit par la suite que j'aurais pu inventer mieux. Mais il se trouve que mon nouveau grand-père est effectivement mort et qu'ilme faille soutenir non pas ma mère, mais ma mère cochonne. Aux dernières nouvelles elle voyait la mort de son père comme une délivrance.]

J'ai fait en partie ma bibliographie [quel mensoong éhonté], mais je voudrais qu'elle soit terminée avant de vous la remettre. Il me sera possible d'y travailler au Canada [les bibliothèques seront fermées] et je vous avoue que ce sera même plus facile car les bibliothèques sont plus accessibles. Je ne pourrai donc vous remettre ce travail qu'en revenant du Canada autour de la deuxième semaine de janvier. Il est très difficile d'avoir un billet d'avion pour revenir avant, ce sont les dates les plus demandées [et je viens juste de lui dire que j'avais pu avoir un billet pour aller au Canada].

J'espère que cela ne cause aucun problème, veuillez croire que ce sont des événements hors de mon contrôle. Bref, sachez que je travaille fort pour mes quatre cours que j'ai en plus de mon mémoire [ah celle-là est à se tordre par terre], et que je devrais être de retour sous peu [après mon gros mois de vacances!]. Merci de votre compréhension [avez-vous le choix?].

Vôtre, Roland-Michel Tremblay

Ce serait donc aujourd'hui my last chance. Aujourd'hui ou jamais, avant que je reparte au Canada. Ça me fait rêver. Jamais et que l'on n'en parle plus. Je gage que demain on me rappellera pour m'offrir une troisième chance. On comprend que je puisse hésiter, qui n'hésiterait pas. Le plus malheureux c'est que j'aurais finalement passé à côté du tout le pourquoi je m'étais aventuré là-dedans. Arrêté par la peur. Par l'arrêt cardiaque, mes cellules qui bloquent, qui sautent, qui veulent sortir de mon corps! Ouaaaaah! Artaud ne se

- 537 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

poserait pas de question, il était déjà assez sur la drogue, une shot de plus ou de moins, pas besoin d'électrochocs en bonus. Ainsi si j'avais été un habitué des drogues, je serais entré là la première fois et me serait shooté sans poser de questions. J'en doute. On m'aurait d'ailleurs dit qu'il y aurait une seringue qui m'attendait, je n'y serais pas allé la première fois. Je serais jamais capable de me rentrer ça dans une veine, jamais. Faut bien plus que du courage, j'ai peine à comprendre les gens qui se font ça tous les jours par plaisir. Ça me rappelle Julie qui était diabétique et qui devait se piquer quatre fois par jour je pense ou quelque chose du genre. C'était son gros secret, quand elle m'a avoué cela, si j'étais pas parti en courant, nous allions passer la première étape et nous aurions pu nous marier. Mais moi aussi j'avais mon secret, je suis donc parti en courant. Ça me rappelle une chanson des Smiths sur la meilleure cassette que j'ai jamais eu, la meilleure cassette de tous les temps, c'est-à-dire la première des Smiths (on entend ça des affaires de même parfois, genre que la première cassette de Led Zepppelin serait la meilleure du marché, impossible, j'ai jamais été capable de digérer plus de 10 secondes de Led Zeppelin (et eux autres ils sont gays, à moins d'être bouchés, le pire c'est qu'ils sont mariés?)): All men have a secret, here is mine, so let it be known. Bref, pouquoi pas une petite pilule? Une cigarette, une feuille bizarre? Un breuvage aux herbages naturels? Un champignol magique comestible? Un Schtroumpf à avaler tout cru? Eh bé no! Une seringue! The only advantage is that the seringue is new for sure, I won't take Aids with that. Le plus simple serait d'y retourner sans croire un seul instant que je vais m'injecter ça. Je vais emmener mon petit cahier, je vais écrire un peu sur place. Peut-être y aura-t-il du monde cette fois?

For sure there is people here. Heeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee! Even the metro is gone et les éboulis aussi! And there is only beautiful men around, all around! The Underground just passed, nobody went in or out. It makes the same stange sound than when I was there in 1990, in London. The sound of a big monster ready to grab you when you go in. The Freudien people will tell you that this is a traumatism from the enfance, I want to go back in the utérus of my gentille mother. And why not. The next Underground will be all mine!

Well, I must be somewhere between Paris and London, I'm in The Underground since maybe two or three hours, and he's going fast. English people never give life to object. Is it

- 538 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

not better to say He's going fast when we are talking about The Underground? But for that we need to say that The Underground is a masculin noun. And that doesn't existe in english. So the translator of René l'Aventure is going to fucked up my discoovery of love when he is going to translate all the occurrency whit the tree by it, even worse, with she? Quelle sensation! I never felt so en manque in my life. J'aurais envie to masturbate myself here in the Underground. Sleep with the Underground. And I don't even know where we're going. I just think about London, that will be logical, but what can be logical about an Underground doing Paris-London? Hormis en dessous de la manche. I'm gonna see London again! I'll by myself, discover the most black corner of the town. Rencontrer Roger, cet acteur anglais que le Bruno a rencontré en Turquie, maybe, why not? Mais he was a little bit too big, I need the perfection, I want the perfection. Que le métro arrête, je m'en vais découvrir la vérité dont Artaud parlait. En communication directe avec Dieu, ressuscité pour la circonsatance. Je note tout, je veux rien perdre pour l'Underground. On a retrouvé Artaud en Irlande avec la canne de j'sais pas quoi, criant partout qu'il venait délivrer les Irlandais du colonialisme Anglais. Le pauvre, on l'a enfermé juste après l'avoir expatrié illico-oresto. The résult? Les Irlandais sont encore pognés avec les Anglais. Just like us in Québec! Les Hostis d'Anglais! More determination than the french coommunity, La Gaule? Reculons pas tant que cela tout de même. Et si l'Underground me menait sur la route de l'Irlande? Ah non pitié, tout mais pas l'Irlande. Maybe with Bono one day, when will come the day to present the new boyfriend to his parents. They might give me a room over there, like at Bruno's place?

Le train vient d'arrêter. La porte est ouverte. Où donc suis-je?

Ah non, je sais où je suis. New York, deuxième étage d'une de ces rues where the streets have no name. C'est la place de malade où je suis allé avec Ed, Bruno et l'autre jeune con rencontré dans un des bars de la place un soir de l'été passé. Sauf que je suis seul. Seul et que le métro est reparti, les rails aussi. Et que moi je voudrais franchement me réveiller de ce cauchemar parce que ça fait déjà trente minutes que je tète, il fait noir dehors, je peux voir des gens marcher, je ne trouve pas de porte. Il y a les mêmes sales rideaux et les planchers en toiles. Je le savais que ça allait me revenir dans un cauchemar, mais pas sur la drogue, que pourrait-il arriver de positif ici? Pauvre René, vois-tu enfin que tu portes ton nom? L'Aventure, et voilà où elle conduit.

- 539 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

15 décembre 1994

J'ose pas écrire ma soirée d'hier. J'ai relu mon cahier, il manque la fin. Je me souviens plus très bien le retour. Je raconterai pas la fin à New York.

Je viens d'avoir un de ces rêves qui fait que je veux partir tout de suite, mais pas pour Ottawa, mais bien vers Jonquière. Un cri désespéré qui m'appelle là pour une raison que j'ignore. J'ai fait deux fois ce genre de rêve dans ma vie, qui me fait songer que parfois je m'ennuie plus inconsciemment de chez moi que je ne le crois. Comme la première fois, j'étais dans l'ouest canadien et je voulais tellement fort être chez moi à la maison du 1891, que je m'y suis retrouvé. À l'intérieur de ma chambre avant, constatant que mes meubles avaient changer de place, ce qui s'est avéré vrai lors de mon retour. J'avais même palper des disques cette première fois. Et selon le décalage horaire, il faisait effectivement clair à Jonquière, il était 5 heures du matin en Alberta. Cette fois-ci je voyais la vue de par ma chambre arrière, c'était tellement beau que le coeur me débattait et je touchais le rebord de la fenêtre tant que je pouvais, même que j'ai essayé d'arracher la petite fenêtre. J'y serais arrivé, mais je voulais pas la briser. J'y étais tellement, je me suis réveillé de mon demi-sommeil tout étourdi. Le seul hic c'est que tout était vert et que les arbres avaient des feuilles. Or je sais que là-bas il y a de la neige depuis trois bonnes semaines. Quelqu'un peut-il m'expliquer en quoi consiste ces rêves et jusqu'à quel point sont-ils réels? Car ils sont différents des rêves habituels, ils pognent au coeur, te lancent un appel, tu dois partir ensuite. Mais le seul problème, et là je vois que c'est vrai que j'ai un blocage, c'est le chum de ma mère qui m'en empêche pratiquement l'entrée et le stupide chien auquel je suis allergique. Peut-on espérer qu'il crèvent tous les deux? Mais alors ma mère serait tellement malheureuse. Et en plus il y a un pensionnaire, un deuxième bientôt, qui fera que ma mère pourra en vivre, mais que moi je ne pourrai même plus penser y coucher un soir même si André disparaissait dans la nature. Peut-être ma mère se trouvera un autre chum? Ils me semblent tellement liés par l'argent que ce me semble une possibilité impensable. Bon, je vais aller à mon cours de latin avant d'aller changer la date de mon billet d'avion.

(Plus tard) Aujourd'hui j'ai envie de repartir sur un bad trip, de retourner dans l'Un

- 540 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

derground et voir s'il va pas m'emmener ailleurs cette fois. Même s'il me ramenait à New York, je dirais pas non. Jamais j'ai vécu une telle expérience sexuelle. Le gars était tellement beau, mais cela n'aurait pas suffit, y toucher, le sentir vraiment là dans toi, mais vraiment n'être qu'un, l'acte complet pour vrai. À la fin t'en veux plus, t'es mort. Tout cela sur la drogue, je suppose que j'ai même pas couché avec le gars. Ma conscience peut s'en bien ressentir. Et heureusement, parce qu'il y a le sida et que ce serait de l'inconscience. Mais c'était de l'inconscience au vrai sens du terme, je n'étais pas conscient de ce qui arrivait, c'est comme, je n'avais pas le choix. J'étais attiré comme par un aimant, je désirais qu'il fasse tout sans le vouloir, aucune volonté. Ainsi c'est comme cela qu'on attrappe le sida? Mais n'était-ce pas un rêve? À quoi va ressembler le sexe avec Bruno maintenant que j'ai connu ça? Voici comment on développe une dépendance à la drogue? Vous auriez dû le dire que c'était aussi jouissif la drogue, qu'on jouissait pour vouloir en mourir? Tous ceux qui sont morts d'overdose sont morts de jouissance? Quelle belle mort. Morrisson, River Phoenix, la p'tit crisse de fatigante dont j'ai oublié le nom, ah oui, Janis Joplin, qui d'autres, ah oui, Édith Piaf... ils ont décidé de tout garder pour eux autres et même d'en mourir pour ne plus partager nos misérables peines à les écouter jouer de la musique ou jouer un rôle. Je vais y retourner, je me suis acheté une lampe de poche cheap à l'épicerie, de marque Mazda. Je me demande s'il s'agit de fabriquant automobile? sur la lampe rouge faite en reste de tôle à voiture, c'est écrit Made in France. On dirait que ça pas été fait en France quand c'est dit comme ça. Ne serait-ce pas une des conséquences directes des États-Unis d'Europe? Les maudits anglais, ils auront donc empiété partout!

(Plus tard) Qui suis-je moi mes amis pour venir au monde et venir vous dire ce qui est bien et ce qui ne l'est pas? Et vous, qui êtes-vous mes ennemis pour venir me dire que mes jugements sur ce qui est bien ou mal sont bien ou mal? Moi qui arrive à la fin de ma vie et vous qui me l'avez point encore commencé? Si je dis que je suis beau, est-ce du narcissisme? Ne savez-vous pas que si j'eus été laid je n'aurais jamais trouvé suffisamment de papier pour assouvir mes lamentations? Et si vous eûtes été un tant soit peu beau, votre vie en serait à jamais changée. Alors, ne cracheriez-vous pas sur moi qui suis laid?

Les cafés de l'opéra me rendent sociologique. Un café à même l'Underground de Paris. Dans les bas-fonds de la France. J'ai encore skippé mon cours de latin, je manquerai celui de

- 541 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Ménard. La vie n'est-elle pas merveilleuse? Mon walk-man déblate la chanson The one de U2, this incredible song. It gives me the needs to get an Heineken car le vidéo version 3 nous montre un Bono alcolo qui traîne sa bouteille assis à une table, puis en marchant à l'extérieur, une bouteille à la main. Fume-t-il pour l'image? N'est-il pas ironique qu'il dénonce le rock'n roll et ses fausses images, qu'il faille ne pas y croire, etc. et il est celui qui joue le mieux le jeu. La version 3 du même vidéo, j'en ai peut-être déjà parlé, on nous montre Bono et le drummer habillés en femme, in Berlin. Non, ça n'a pas nourri mes fantasmes.

J'ai passé l'âge d'aimer l'image d'un groupe. Le dernier c'était Morrissey voilà 4 ans. Ça me rappelle Ély qui suivait A-ha partout et qui a finalement soupé avec Morten, le chanteur. Sont pas inaccessibles. Mais on ne peut exercer sur eux le pouvoir de notre personalité en prenant un seul café. Faudrait qu'ils soient psychologues comme mon copain de chambre. De toute façon je n'attends pas après cela pour vivre, comme Bono dit: «Four jerks in a police escort». Voudrais-je être un mouton de plus? Oui Bono, baisse tes culottes et je te suivrai au paradis? Mais ceux qui refoulent ce besoin de s'identifier à des modèles qui nous motivent, qui nous inspirent, ne passent-ils pas un peu à côté de la vie? Quelle fierté de dire que l'on ne s'intéresse à aucun chanteur ou groupe en particulier, à aucun auteur, aucun peintre, aucun producteur, à rien. Je suis comme le tronc d'arbre, sauf que je prends l'oxygène et je recrache la mort. La naïveté a au moins cela de bon qu'elle soutient l'existence.

16 décembre 1994

Si je passe à travers mon année universitaire, je jure de... de... j'allais dire de me raser la tête, mais il y a tout de même une chance que je passerai à travers alors... je jure de remercier Dieu. Vaut mieux remercier Dieu que se raser la tête. Je suis dans l'avion, comme Labrêche dans la pièce de Lepage, je vous écrit mes lettres à la Cocteau. Non, je ne suis pas sur la drogue, mais l'alcool et l'altitude est un mélange qui me rend fôlatre. J'ignore s'il y aura des cours à la Sorbonne la semaine prochaine. Je me sens coupable, je me ronge les sangs. Il y a que je retourne un mois au Canada et que j'ai besoin d'une autre bière et que les hôtesses sont cheaps et que je veux pas passer pour un alcoolique sur les ailes d'Air Canada. J'aime mieux Canadian, ils se foutent du client sur Air Canada. C'est ça quand tu as ton

- 542 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

monopole. Je suis végétarien? Ça cause problème, elles sont toutes fuckées, plus capable de comprendre la chaîne industrielle de la distribution des cochonneries pour contenter le passager. Le service me fait penser un peu à ce film ou tout le vol l'avion risque de s'écraser, les moteurs pètent, les ailes partent, plus de roues, pire, plus de café, et voilà qu'à la fin on vous dit merci d'avoir pris Air Canada, nous espérons vous revoir bientôt sur nos lignes. J'aime mieux Canadian qui doit se battre pour nous prouver qu'ils sont mieux que Air Canada, malgré sa petite grosseur et ses problèmes financiers, et qui oblige ses hôtesses à nous sourire même artificiellement. J'aime bien l'artifice, dans le fond, lorsqu'il est absent, c'est encore pire, c'est intolérable. Can't believe it. J'étais bien mal pris ce matin quand Steph m'a demandé si j'allais à Jonquière, notre ville commune. Énervé comme j'étais, comment ma destination aurait pu être autre chose que ma famille? C'est qu'il comprend pas que mon Bruno m'attend à Ottawa et que j'en peux pu d'être loin. N'empêche que ce matin le coeur m'a plié en deux. Quoi? Quitter Paris? Je vais dire comme Franck, bientôt je ne pourrai plus me passer de Paris. J'y étais encore et je m'ennuyais déjà. C'est inexplicable. Je ne me suis même pas ennuyé une miette d'Ottawa. Je vais aussi m'ennuyer des sandwich pain baguette au brie et colombiers. Il fallait que je me dise que j'allais bientôt revenir, et ça suffisait parce que je m'imaginais que j'y resterais pas pour longtemps. Cinq mois pourtant. Je commence à connaître Paris par coeur. J'ai été chez plus de 70 éditeurs différents, si tout cela ne donne rien, aussi bien abandonner. Le hic c'est que cela ne me dit rien sur la qualité de ce que j'écris. J'ignore si je devrais pas arrêter d'écrire, ou bien publier à compte d'auteur, ou me partir une maison d'édition avec des amis. Natali, Patrice, Franck, Edgar, Mario, R.M., Christophe, Ludovic, on aurait là la maison d'édition qui aurait publié le plus de genres différents jamais vus sur la planète. Pataphysique, roman populaire, hermétisme, roman de café parisien, spiritualité\ésotérisme, posésie fuckée et théâtre, téléroman-feuilleton pour sidéens avancés et scénarios de cinéma. Faudrait appeler ça les «Les Éditions Fuckées», tout le monde littéraire exploserait à l'entente de ce nom, ils se pèteraient la tête au plafond. Ça ferait changement de se pèter les bretelles. On aurait perdu toute crédibilité avant même de dire un mot.

Oui, je regrettais de quitter Paris. J'y suis pas resté assez longtemps et j'y ai rien foutu. Je suis en train de téléphoner Bruno, mais ça a d'l'air qu'y'a beaucoup de gens qui

- 543 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

appellent en ce moment dans l'avion. Je suis en attente d'établissement de communication. J'ai bien peur que Bruno soit parti me chercher à Mirabel avec sa mère. J'espère qu'on va se voir, la dernière fois que Bruno est venu me chercher à Montréal au terminus de bus, il s'est assis devant la porte d'Ottawa et m'a pas vu embarquer.

Tout l'étage était là ce matin pour me dire à Dieu. C'était charmant, Steph en bedaine en plus. Tout à coup tu comprends que sans le vouloir tu deviens proche d'eux. Que tu existes par eux, que tu respires par leurs narines! Que lorsqu'ils sont dans le corridor, tu veux ouvrir la porte, et quand ils vont manger, tu y vas aussi. C'est complexe la vie. Aussi complexe qu'une truite disséquée sur le bord du comptoir. J'aime Paris aussitôt que je sais que je vais le perdre. Mais mon voyage au Canada va me faire apprécier pour vrai ma vie à Paris. Et qui sait ce qui va arriver pendant ce mois à Ottawa avec bifurcation à Jonquière. Poupa a dit qu'ils nous payerait à Bruno et à moi la location de la voiture (!?). Et surtout, je me sens entièrement métamorphosé. Ottawa ne sera plus la même, il y a Paris et je saurai que Paris reviendra. Et en plus, peut-être avec une bonne nouvelle d'un éditeur. Car si vous voulez mon avis, le seul bilan possible de cette visite de deux mois à Paris est que j'ai presque 60 manuscrits partout. On m'aurait fait aller à Paris que pour ça que ça m'étonnerait pas. Et/ou que Bruno y vienne pour réussir dans la musique. Et si Bruno m'offrait là, à Ottawa, d'acheter une maison et de demeurer au Canada, je retournerais paqueter mes p'tits à Paris en distribuant une autre cinquantaine de manuscrits avant.

Je viens de réaliser avec horreur que si les jardins du Luxembourg et du parc Montsouris est est vert fluo, celui du Canada est enseveli sous quelques pieds de neige. Oh non! Un mois au pôle nord durant la période la plus froide! Faut être malade. Je vais repartir avant, je reviens le 7 janvier au lieu du 15. Le froid à Jonquière se prend mieux qu'à Ottawa. À Jonquière il neige souvent la moitié de la semaine et ces jours-là il fait chaud dehors à cause de la propriété isolante des flocons en train de tomber. Et puis ça a une merveilleuse connotation, noël au Saguenay/Lac-St-Jean, y'a juste la famille des Girard et des Tremblay que je veux éviter. Ou alors je saute d'emblée au milieu de la foule et j'y embrasse mon Bruno devant tout le monde en criant: fini les tabous! C'est maintenant officiel, mariage le 7 avril. Pourquoi? Parce que c'est la date ou le frère de l'oncle de ma grand-mère a pu réserver la petite église Untelle... Céline Dion se marie avec son gérant. Je pensais que l'homme

- 544 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

en question allait épouser René Simard, le gars en question s'appelle René d'ailleurs (rien à voir avec le René de Chateaubriand). Mais non, il va marier la belle Céline. Célinas, pure beauty, like all the gays in United States, I need your picture all over my room. I love you so much, you became suddenly the Madonna of Quâback. Mais pas question que ça aille directement dans le lit si René a passé en avant de moi. Je mets pas ma bite là où René a mis la sienne. I want you to become more succesfull, so the Quâback will finally be on the map. But if Quâback is not on the map, who cares? And finally we will be able to get rid of any english everywhere and we will be free to speak french at last, and only french! I hate english so much, I can't stand anyone speaking that language at all. Moreover, when I hear just one english word, I want to take a gun and shoot! I am a separatist since Bouchard almost died for the cause. I am the separatist that you don't want to meet around the corner. Oh, oh, guess we arrive, can't wait to go to Ottawa, hear some chinese people, arab people. Soon french will be the third official language in Ottawa. And in facts, I can tell you french is not the second. Les statistiques mentent encore! Les statistiques sont l'outil rêvé des gouovernements, pour nous faire gober à peu près n'importe quoi. La différence d'avec le régime communiste, c'est que sous Staline au moins la Russie connaissait la vérité, il suffisait de prétendre ne pas la connaître. C'est déjà mieux que chez nous. De toute façon j'aime les Arabes, eux au moins ils parlent pas l'anglais. Et j'aime les Anglais. C'Est pas de leur faute s'ils sont nés dans des familles anglaises, il faudrait pas commencer à faire de la discrimination, être Anglais ou ne pas l'être, ce n'est pas un choix. Et puis j'aime Jean Chrétien, c'est un brave bougre. Ses politiques sont tout sauf transparentes et c'est ça qu'un pays a besoin. Et j'adore les Indiens qui veulent ravoir l'Amérique du Nord restitué en entier parce que leurs ancêtres y auraient peut-être habités et qu'on les aurait décapités jusqu'au dernier. Que voulez-vous, quand la civilisation arrive, il faut prendre le virage. Et puis j'adore CSIS, c'est grâce à eux qu'on nourrit le racisme et que l'on sauve notre pureté d'origine. Sans les services secrets d'intelligence canadien,nous serions privé de l'équivalent du Ku Klux Klan canadien, The Heritage Front, financé et composé à même l'argent et les agents secrets du pays, ce brave Grant Bristow par exemple. C'est bien, nous sommes en train de nous construire une histoire et un patrimoine. Je me sens fédéraliste aujourd'hui, et comment cela pourait-il en être autrement? Je vis à Ottawa, je veux m'y établir plutôt qu'à

- 545 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Paris, ça vous montre jusqu'à quel point je suis fédéraliste. Aujourd'hui j'adore vraiment les Anglais, sans eux notre niveau de vie serait encore les cavernes et les feux de camp, car la France ne se servait de ses colonies que pour les matières premières, pillages en fait. C'est pas du colonialisme ça. Je vous l'ai dit que je connaissais mon histoire, n'importe quel historien français me contredira, mais franchement, dites-moi, croiriez-vous vraiment un historien français qui parle de l'histoire de la France, ou bien moi? Montrez-moi un seul historien et s'il parle en mal de son pays, je le gracie. Aujourd'hui j'aime le pape, y'a pas plus saint qu'un pape, c'est ma grand-mère qui le dit. Selon ma grand-mère un pape ça devient pape par ordre du ciel, ça communique directement avec Dieu et ça pas tué personne pour arriver où c'est. Ça a même pas trafiquer quelques magouilles et écraser tous les autres pour arriver à la tête du gouvernement le plus puissant de la planète. Pour ma grand-mère, un pape c'est pur. C'est donc qu'il n'y a pas plus saint qu'un pape. On atterrit, c'est le temps, je commençais à devenir fou aliéné.

La première chose que j'ai faite en arrivant à Montréal c'est de chercher un guichet de la Banque Royale. Je saute sur la première vendeuse et je lui demande où ils l'ont caché. Or, elle sooort son ton pincé et avec un large sourire m'affirme qu'il n'y a pas, y'a juste un guichet de la Caisse Desjardins. Aucune autre banque n'a de guichet automatique dans tout le périmètre de l'aéroport. Eh, s'il fallait commencer à avoir un guichet de chaque banque, y'aurait plus de guichets que d'avions. Quoi? Ce sont des séparatistes qui sont à la tête des aéroports? Ou bien c'est le nouveau gouvernement Parizeau qui a exigé ça? Tout le monde sait que Parizeau a craché sur la Banque Royale voilà quelques années parce qu'elle avait prédit une baisse du niveau de vie s'il y avait séparation. Parizeau avait invité implicitement les gens à switcher à la Caisse Desjardins. Alors ma vendeuse me dit de son air fendant de séparatiste jusqu'à l'os qu'on a pas besoin des autres guichets, il y a le système Interact. Or, ignore-t-elle que ça rend impossible des gens qui ont d'autres cartes de crédit que Visa de prendre de l'argent? Je lui dit que c'est impossible, au bord de la crise, un peu à la française, que la plus grande banque du Canada n'ait pas un guichet auotomatique dans un des plus gros aéroports international du pays. Elle me dit alors que la Caisse Desjardins aussi c'est gros. Oui! Mais au Québec only! Sors de chez vous, en Ontario t'en trouves pas des guichets de la Caisse Desjardins. Je comprends très bien maintenant comment la Caisse Desjardins a

- 546 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pu se hisser deuxième au Canada en étant une caisse et en étant établie qu'au Québec. C'est pas pour rien qu'il s'appelle maintenant le Complexe Desjardins, ils font plus que les banques et le mot caisse les embarrasse. Ils devraient s'appeller le Complexe Desjardins Complexé. De toute façon, pour calmer les nationalistes endurcis, je dirai qu'ils n'ont pas à s'inquiéter si je suis à la banque fédéraliste plutôt que la caisse indépendantiste. Car avec ce que j'aurai de dettes à la fin de janvier 1995, il me faudra déclarer officiellement faillite à la fin de mes études. Or, vaut mieux que ce soit le Canada qui paye que le Québec, non? On s'entend là-dessus. Ah, c'est bien de se reconnaître chez les Québécois parfois. Mais reparlons de notre petite vendeuse non identifiée. Quand je suis arrivé au Québec je me sentais plus léger, je ne représentais plus l'image des Québécois en France, je pouvais donc envoyer chier tout le monde. Fardeau enlevé, je redevenais un dans la masse. La petite vendeuse qui me parlait des guichets automatiques du Complexe Desjardins complexé, je lui aurais fait croire que j'avais un tic incontrôlable et qu'elle ne devait pas faire attention, cette idée m'a traversé l'esprit, pourquoi ne l'ai-je donc pas mis à exécution? Un tic qui faisait qu'il m'arrivait de dire sans cesse: «Tu pues, tu pues, tu pues», sans m'en rendre compte. Je m'inspire de la soeur de Colin qui me disait qu'elle avait rencontré une femme qui avait ce problème, elle disait sans cesse Fuck off. Thank you very much, it is so nice from you, fuck off. You're so beautiful today, fuck off. May I present myself for this job, and fuck off. Je me suis demandé jusqu'à quel point c'était vrai et si elle faisait pas croire aux gens qu'elle avait pas ce problème pour se rire d'eux. Ensuite je me suis demandé si c'était pas vraiment un sentiment de négativité qui dans son esprit faisait qu'elle pouvait pas s'empêcher de dire vraiment ce qu'elle pense. Alors elle te déteste au nombre de fuck off qu'elle te dit. Quelle sorte de traumatisme elle a vécu pour en arriver à dire cela sans cesse? Mystère. Mais je retiens l'idée. Je la réutiliserai un jour.

Alors que j'étais en France, je ne faisais que dire que le Canada était mieux. Depuis que je suis à Montréal, Dieu que la France est mieux! Un sandwich me coûte 12F, et 20F quand il est cher. Ici il vient de me coûter 11$ avec un plateau de 4 carrés de fromage et un jus d'orange. Ça me coûtait 15$ de bus pour aller de l'aéroport jusqu'au centre-ville. Faire un transfert à Montréal et un autre 21$ pour aller à Ottawa. Le RER de Charles de Gaulle jusqu'à la Cité Universitaire coûte only 43 Francs et ça prend pas une heure. Bien sûr, quand

- 547 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

il n'y a pas de grève, parce que le RER B de la Gare du Nord à l'aéroport est en grève permanente sur une base hebdomadaire depuis 1990, date de mon premier voyage à Paris. C'est bien beau M. Miterrand la nouvelle station Roissy 2 qui maintenant va jusqu'à l'aéroport sans que l'on ait besoin d'utiliser des navettes infernales avec nos bagages. Mais à quoi ça sert si le RER B est constamment en grève? Surtout le jour exact où on décrisse? En 1993 on a réouvert la porte de l'Avion pour moi parce que j'ai été obligé de prendre un autobus qui arrivait pu à arriver à l'aéroport. La France est un grand pays? La France a une bureaucratie du tonerre? Dans ce cas, pourquoi ne garantit-elle pas à ses gens du transport des emplois stables et et des salaires pour se loger et se nourrir? Les métros sont déjà pleins de ces mendiants qui quêtent leur repas du soir. Enfin, Paris pourrait fonctionner et nous, nous pourrions enfin attrapper nos avions à terre plutôt qu'en vol.

Aujourd'hui à Montréal, la vie semblait terne. J'ai téléphoné Martin, son père a fait une tentative de suicide, dépressif parce qu'il a vendu la seule chose à laquelle il tenait à coeur, son restaurant où il y a eu de la chicane. LEs humains ne soont pas faits pour s'entendre. J'ai parlé avec le chum de Patrice, le beau Patrice qui comme moi tourne avec 56 projets dont aucun ne peut déboucher, il risque de toute façon d'aller beaucoup plus loin que moi, je lui souhaite sincèrement. Bref, le Patrice m'a posté une lettre à Paris alors que je suis à Montréal. Aujourd'hui à Paris, il pleuvait à sieaux. Je suis allé chercher ma carte de séjour, les personnes derrière les compteoirs jouaient à être bêtes pour faire paniquer le monde, ça marchait pas avec moi, j'ai l'habitude de ces endroits gouvernementaux, préfecture de police ou bureau d'immigration où on essayer de te pomper jusqu'à ce que tu craques. Alors je ne m'en formalise pas, il faut comprendre que c'est le mot d'ordre. Je dois dire qu'en France ils sont bêtes de nature, mais que quand ils essayent de jouer les bêtes, ils n'y arrivent pas, c'est trop artificiel, ça donne le goût de rire. Sauf qu'ils m'ont pas donné de problème, j'étais trop en règle. Mais en d'autres temps je crois que j'aurais moi aussi eu le goût de leur sauter à la gorge. Sont pas fous en France, ces bureaux sont directement dans une préfecture de police. T'as pas intérêt à pogner les nerfs. Par contre, comme d'habitude, j'ai pas été capable de quitter la France free of formalitys. J'Ai pas été capable de m'occuper de l'Allocation Logement, il manquait, tenez-vous bien, un papier qui marque mon état civil, c'est-à-dire un baptistaire ou extrait de naissance. Or j'avais le mien du Québec, ils l'ont refusé pour me

- 548 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

faire chier. Il me faudrait à mon retour du Canada retourner à l'Ambassade du Canada pour tenter de voir c'est quel papier qu'ils veulent et là il me faudra attendre une lettre du gouvernement français pour avoir mon numéro d'assurance logement ou quelque chose du genre et là il me faudra renvoyer une photocopie de mon état civil, fait à même mon passeport et moon extrait de naissance je suppose, accompagné du numéro qu'ils m'auront envoyé. Aujourd'hui à Hawkesbury, frontière québéco-ontarienne, j'ai rencontré l'utopie. Une ville entièrement bilingue pour vrai. Pas Ottawa, où d'un bord de la rivière tu n'as que des services et des panneaux en anglais et de l'autre côté que des pancartes en français et des services bilingues. Non, une ville dont toutes les pancartets sont en français et en anglais, où la population semble (je dis semble) bien s'entendre dans les deux langues. Quelle richesse, ça te fait réaliser jusqu'à quel point des vraies villes bilingues dans le monde il y en peu. You see that and the only thing you want to tell them is to continue, to preserve that, to be proud of. I think that when you have the chance to have that kind of population, c'est un devoir to taught to everyone both languages very well. Une population complète who's speaking franglish. Le franglish, n'est-ce pas la langue des United Nations? Ce qui frappe aussi c'est les décorations de noël. En france c'est nul, les gens semblent pas avoir l'esprit des fêtes, bien sûr, ils ont pas la compétittivité américaine où l'on te brainwash pour te faire dépenser tes derniers crédits. Mais Hawkesbury était merveilleusement décoré, ça donnait envie d'arrêter et d'y passer quelques jours. Mais bon, je ne doute pas que là aussi ça devait être une vile entièrement francophone au départ, et que la frontière a justement était dessinée pour que cette ville franconphone se retrouve en Ontario et pas au Québec pour être plus facilement assimilable, et que les Anglais ont toujours eu le pouvoir dans le passé et que les Français ont dû se attre longtemps pour avoir une misérable école et que les Français ont tous du crisser le camp de là et aller très loin pour poursuivre leurs études alors que les Angalis devaient avoir plein d'écoles et une université pas loin. C'est l'histoire des Franco-Ontariens, une histoire qui fait dégueuler et qui te fait vouloir reprendre les armes. Et au moins si c'était fini, mais non, à chaque mois une histoire comme cela éclate quelque part dans le Canada anglais, surtout en Ontario. Y'a toujours une communauté francophone qui se fait tout refuser à cause de comités pourris à majorité anglophone. Il y en a trop de ces comités insipides qui sont payés absolument pour rien et dont l'activité première est de

- 549 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

freiner tous les projets, les tuer dans l'oeuf ou même quand le poussin est né. Tous les comités de commission scolaire me semblent totalement inutiles, une vraie perte d'argent pour le pire blocage de projets jamais observé en société.

Avant-hier dans l'Underground londonien qui devait m'emmener en Irlande mais qui m'a emmené à New York, j'ai compris une chose. La ligne entre le réel et le rêve ou trip sur la drogue, la frontière me semblait mince. L'un et l'autre peuvent sembler si réel. Redéfinir immédiatemet une logique propre à la situation que l'on ne peut remettre en question. En effet, comment expliquer un métro qui m'emmène de Paris à New York et trouver cela normal car tout à coup mon esprit a changé sa perception des choses et accepte pour vraies des choses qui semblent impossibles à l'état normal? Il serait peut-être temps que l'on redéfinisse le mot, ou le concept du mot vérité puisqu'elle change selon notre état. Avant-hier à New York, une station de l'Undergound est apparue au deuxième étag d'un édifice où manifestement il était impossible qu'elle apparaisse. Lequel Undergournd fait le plus de sens? Je n'aime pas tellement les métros de New Yok, bien qu'il soit dangereux à souhait et qu'on peut y faire les rencontres les plus effrayantes. Il est sale, en décomposition, on y crève de chaleur ou on y meurt de froid. Le métro de Montréal, on en parle pas. Trop propre, des wagons bleus, kétaine, des stations trop belles, le quartier italien hérite de stations au design italien. Non, un métro faut que ce soit sale, comme le Métropolitain de Paris. Sale comme on peut l'espérer à quelques stations près. Tellement vieux qu'on se demande comment ils ont pu construire ça au début de 1900 et comment cela est possible que ce soit encore en fonction. Le mmétro à Milan aussi il vaut pas la peine qu'on en parle, surtout que les passagers eux-mêmes sont trop bien habillés, les métros sont larges, impossibles de s'y engouffrer et s'y écraser à l'intérieur, ils ont tout prévu. Rome et Vienne sont un peu plus respectable, mais rien ne vaut l'Underground de Londres. Il fait un bruit démoniaque, on dirait qu'il vit. Le monstrueux Underground, des stations fait en rond, on étouffe, des wagons petits, on étouffe encore, des corridors fait en rond, on étouffe encore plus, et quand les bombes sautent au dessus et que Londres est en feu, voilà qu'on peut enfin y étouffer tou à son aise partout sur les rails et dans les tunnels. Je connais la vie gay à Paris, à New York, à Montréal. C'est de se triangle que je peux parler, j'étais trop jeune quand j'étais à Londres la première fois. Les gays dans les bars de Paris sont plus beaux que la population en général.

- 550 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Ils sont à la mode des gays de Montréal et New York, je suppose que c'est pour ça que je m'y suis reconnu. La musique était la même qu'en Amérique, ce me semblait aussi simple de rencontrer quelqu'un et passer la nuit avec. Il y a cette uniformisation du monde gay dans le monde occidental, de ce que je peux constater à partir de l'observation de mon triangle. Comme si l'Underground pouvait franchir l'océan et contruire une vraie société ou communauté uniforme à l'intérieur d'autres plus disparates. J'ai vu Philadelphia, j'ai vu d'autres films gays, j'ai vu des images de bars gays à Londres, on se reconnaît. Nous pourrions former notre propre nation à travers les nations. Gays de l'univers, unissez-vous! Nous allons prendre le contrôle de ce tout. Et ce sera notre société secrète qui arrivera à agir dans le noir puis à la lumière. Car c'est de la lumière que l'on doit notre vie, et que c'est à la lumière que l'on vivra. Et que pour cela il faut façonner et les nôtres et les autres. Nous sommes l'Underground, plus pour longtemps.

Aujourd'hui à Ottawa, où il n'y a pas de métro et ça paraît, car je veux fuir, j'ai vu une ville de béton mal faite. Regardez ce que l'on arrive à faire avec le béton en Europe, et regardez les monstruosités que l'on arrive à faire en Amérique avec le béton. Il ne reste qu'à espérer qu'un petit tremblement de terre va nous faire disparaître tout cela et créer de l'emploi qui fera fonctionner l'économie et doublant notre dette. Quelle belle société nous avons. Demain à Québec, je vais observer ncore pire, le constraste fut plus que surprenant lorsque j'ai revu les petites maisons en carton qui jonchent nos routes, comparativement aux maisons avec des murs en pierre de quatre pieds de large qui jonchent les routes de la France. Tu le sens que ça va tomber et qu'en moins de 50 ans tout cela sera à reconstruire d'un bout à l'autre. Et il fait frois aussi bon dieu, allez-vous me faire corire que c'est le genre de maison dont nous avons besoin? Que le bois est notre isolation vaut mieux que la pierre de la France? Quelle consortium de construction vous a fait avaler une telle chose? La neige qui recouvre les terres, quelle pureté. Comme si on recouvrait ce que renferme le sol, recouvrir de blanc le sol noir qui renferme l'Underground. Ah oui, en surface tout à l'air beau, des maisons totalement enveloppées de globes de noël, rien nous dit que le bonhomme est pas en train de battre sa femme. Les statistiques sont de plus en plus effrayantes à ce sujet, vous pourrez pas me rétorquer trop longtemps de ne voir que les côtés négatifs des choses. Il faut les voir si on veut les changer en positif. J'ai hâte que l'on invente les avions

- 551 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

à réaction, celles qui feront Paris-Jonquière en une heure. Tant qu'à ça, vaut mieux prendre une seringue et d'embarquer dans le métro. Et les bus c'est encore pire. Trois heures pour me rendre de Mirabel à Ottawa, trois heures d'attente avant de pouvoir prendre le bus. Paris-Montréal me prend le même temps que Montréal-Ottawa. Qu'est-ce qu'ils attendent pour réinventer les chemins de fer? Construire leur TGV? Les lobby de bus fonctionnent très fort en Amérique. Il est temps que l'on redonne au train sa vraie place. Moi et Bruno on va prendre le train pour aller à Jonquière.

Demain à Jonquière, ce sera le temps des fêtes. Encore une fois, et on ira peut-être au Caméléon pour fêter le jour de l'an comme d'habitude. Bar semi-gay du Saguenay, musique pas mal plus intéressante que n'importe où ailleurs dans le monde, surtout dans les bars entièrement gays, musique alternative. Encore voir Christiane et son chum, pas sûr que ça me tente. Revoir mes amis, pas sûr que ça me tente. Pourtant je ne puis pas me passer de Jonquière, l'Envol surtout, mais pas celui de Paris, quoique les deux envols caractérisent moi. Un comme Jonquiérois et l'autre comme Québécois. Tout dépend dans quelle ville il est situé. Sauf que celui de Jonquère est 25% gay, plus certains soirs. Fleuron de notre patrimoine, faudrait sauver les ruines. Celui de Paris, on ne se pose pas la question. C'est parfois 100% touristes starights perdus du monde. Je vais bouffer comme un malade à noël, je vais me reprendre pour toutes les fois où j'ai crevé de faim cette année. Ma mère m'aurait fait pour plus que ça de patisseries, je regarderai dans l'Armoire, je verrai que la graisse qu'elle aura utilisée c'est de la Maple Leaf, alors on sait que c'est pas bon et que ça vient de la vieille bourrique morte qu'on a tuée pour avoir sa viande et sa graisse. Et là je serai pris pour lui demander quelle sorte de graisse elle a utilisée, puis elle me dira que je niaise, son chum va faire une crise, il va claquer la porte, elle pleurera, je retournerai chez ma soeur, j'aurai hâte de repartir, et puis finalement je quitterai Jonquière satisfait, comme je le quitte toujours. Tant pis, je ne suis pas le bienvenu chez moi, je serai le bienvenu dans le monde. Car je communique avec les étoiles et le monde m'appartient.

18 décembre 1994

Aujourd'hui me vient l'idée que la société secrète, je ne l'ai pas encore rencontrée et

- 552 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que d'embarquer dans l'Underground nécessite logiquement une épreuve. Mais laquelle? Ne l'aurais-je pas flanchée en couchant avec l'autre? Et que maintenant que j'y pense, qu'est-ce que j'ai appris là-dedans? Je sais en tout cas que si mon trip est dirigé, il y a tout de même que les images sont puisées à même mes souvenirs. Sinon comment aurais-je pu me retrouver à New York dans cette salle de calvaire? En plus, j'espère que ça cache pas un fantasme que j'avais lorsque j'y étais la première fois, parce qu'alors, toute ma crise était injustifiée. Si c'est une épreuve, j'ai peine à la percevoir car je ne connais même pas les principes de base de cette société. Elle peut être aussi bien immorale que morale, ou poursuivre des desseins loin de ce que je peux même imaginer. Quand ils commencent à parler de spiritualité et qu'ills sortent leur vocabulaire de malade, un dicitionnaire Robert ne suffit plus pour vraiment comprendre leur langage. Je ne puis comprendre ce que l'on cherche à me faire accomplir. Je voudrais rappeler l'Anglais, mais me voilà au Canada.

Novembre, le mois des morts, a bien fait son ouvrage cette année. Et comme le mois de mars, il déborde dans le mois suivant. Ainsi mon nouveau grand-père vient de mourir emporté par un cancer, la père de Ginette, où on allait l'été pour se baigner à St-Gédéon, est mort d'une crise cardiaque en revenant d'un corps (!). Quel est le troisième mort? J'arrive même pas à m'en souvenir, voyez, on les a déjà oubliés. Ma grand-mère, elle, je sais plus. Elle souffre d'alzheimer et voilà qu'on l'a retrouvé dans un centre d'achat, demandant à tout le monde où était son banc d'église, elle s'est mise à pleurer comme une enfant. Ma mère me racontait cela en riant, n'est-ce pas héréditaire l'alzheimer? Mais enfin, ça ne vaut pas la foois où ma grand-mère cherchait sa doublure de sein à l'église entre les bancs, pour se rendre compte ensuite qu'elle avait mis les deux bourrures du même bord dans son soutient-gorge. Alors elle avait une grosse boule d'un bord et de l'autre rien du tout. Et elle priait le Seigneur ainsi. Je propose que ma grand-mère est devenue folle à force de prier et de croire en Dieu. Vous pouvez le constater, tout ce que je raconte d'elle nous ramène à l'église. Ainsi je prends conscience que l'humain est mortel et que tout le monde qui m'énerve et qui m'écoeure vont finir par crever très bientôt. J'espère qu'ils crèveront tous avant moi, ça me permettra enfin de jouir de la vie. Mais dis-je, petit ignare que je suis, les cons crèvent, et sont immédiatement remplacés par d'autres. Et ces cons d'avant ou d'après guerre, souhaitent tout impatiemment que moi je crève. Je crèverai peut-être avant eux, qui sait, j'ai peut-

- 553 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

être le sida en ce moment. Ce qui me fait penser que je devrais aller me faire faire un test. Ça changerait pas grand-chose, je n'ose plus faire grand-chose avec les autres. Après ce qui s'est passé, en admettant que c'était rien qu'un trip sur la drogue, je crois pas que j'oserais tout de même faire des choses graves avec d'autres, ni avec Bruno. C'est bien de savoir qu'on va crever à l'avance, si tel est le cas. Ça change radicalement une vie j'imagine, Ludovic tout à coup se met à préparer des soupes à l'oignon, à nous donner la recette, à écrire ce qui sera sans doute son premier et dernier scénario de cinéma. On fera comme avec Bernard-Marie Koltès, que Ludovic a interrogé d'ailleurs, que Ludovic a pas été capable d'interroger d'ailleurs à cause de l'émotion car on savait qu'il en avait plus pour longtemps. On fera comme avec Cyril Collard, un dernier film et puis couïck, la mort au bucher, Edgar ou l'ami d'Edgar aussi le connaissait. On fera comme avec Yves de Navarre qu'Edgar me disait qu'il lui avait dit au téléphone avant son départ à Montréal:

19 décembre 1994

«Je m'en vais en Amérique pour renaître», à quoi Edgar a spontanément répondu «Comment pourras-tu renaître en Amérique alors que tu n'as même pas réussi à naître ici». Quelle insulte, je l'ai pris en pleine face, évidemment Yves à raccrocher le téléphone au nez à Edgar. C'est vrai qu'Yves Navarre était un homme impossible, Stéphane Privé l'avait rencontré à Jonquière dans le temps, il en était revenu traumatisé, il en a parlé pendant un mois. Ça l'a pas empêché de déguster son livre Le Petit Galopin de nos corps. Yves avait dit qu'il lui a fallu écrire huit livres avant d'être publié, affirmant cela je suppose pour montrer jusqu'à quel point le monde littéraire est fermé aux nouveaux auteurs et qu'il faut s'attacher en christ pour arriver quelquepart. Stéphane lui a rétorqué à brûle pour point que c'était là la preuve qu'il était un écrivain pourri. Vous connaissez Yves, il a explosé. Too bad que je m'étais pas levé ce jour-là, j'aurais rencontré Yves à sa conférence du Cégep de Jonquière. C'était le temps qu'Yves arrive, ça fait deux fois que je vois Albert Jacquard en conférence à Jonquière, et je commençais à en avoir ma claque. Pas besoin d'être à Paris pour connaître la planète quand la planète se déplace jusque chez vous. Mais à Paris c'est plus facile. En communication directe avec l'univers. À demeurer à Paris, je me demande qui encore je

- 554 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

voudrais rencontrer. Tournier? Mais il est pas théâtral comme Yves, j'aurais bien voulu apprivoiser Yves, trop tard, suicide qu'Edgar dit, Sida que M. Lemoine d'Ottawa dit (monsieur Lemoine qui connaissait la grande Yourcenar et qui disait que ses lettres arrivaient des États-Unis, où elle vivait vers la fin de ses jours, bourrées de fautes d'ortographes!). Et le monde littéraire en dit rien de Navarre à ce qu'il paraît, il était l'écrivain maudit, s'obstinant à écrire de l'homosexualité et du sida. J'ai lu sa première partie de biographie, que j'ai jetée au bout de mes bras à un moment donné. C'est difficile de lire une biographie quand la personne est pas encore morte, après on peut lire en fonction du mythe qu'il nous a laissé de lui. Je devrais aller les rechercher ses deux livres biographiques. Mais plus intéressant encore, il me faudrait aller rechercher les Cahiers de Navarre qui passaient dans le Devoir à chaque samedi. C'était du délire lyrique encore plus intéressant que Rimbaud. Il en était d'ailleurs fasciné de ce Rimbaud, regrettant peut-être de ne pas être Rimbaud, on s'y reconnaissant peut-être? Je crois qu'il s'y reconnaissait. Edgar regrette de lui avoir dit ça à Navarre, surtout depuis qu'il est mort. Une seule petite phrase sans importance devient les remords les plus gigantesques lorsque la personne meurt. Comme Lucien Bouchard qui attrappe la bactérie mangeuse de chair, il se fait bouffer tout cru, on nous annonce qu'il en a pour 24 heures à vivre, il fait ses adieux, lance son dernier appel à la séparation, le Québec devient soudainement 100% séparatiste (du côté francophone), et voilà que tout à coup, tous ses ennemis, pris de remords, se mettent à lui lancer des fleurs, comment il était ci, ou ça, respectable, bon homme, et patati, et patata... la vie est belle parfois, il s'agit d'être sur le bord de crever, et puis tous nos ennemis se rendent compte de la futilité de certaines idées, de certains débats. C'est qu'il y a quelque chose de plus haut que tout ça, de plus sérieux qu'on a tendance à oublier. La mort. Mais comme le proverbe dit, les humains pètent, les écrits restent. On devrait faire entrer Navarre à l'Académie maintenant qu'il est mort. Ouh, je viens d'en voir une moitié se lever debout. Une autre moitié se retourner dans leur tombe. La France ne voudrait-elle pas reconnaître ses grands auteurs? Mais ce n'est pas la France qui parle en un tel contexte, c'est une élite que j'ai même de la difficulté à situer. Les gens pourront rétorquer en tout moment que je ne sais pas de quoi je parle, et c'est vrai. Je suis pas sûr du rôle que joue l'académie, je suis même pas sûr que l'on puisse y entrer, encore aujourd'hui. Dans le fond, je ne connais même pas la France. Mais peut-on me

- 555 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

discréditer en entier parce que parfois je radote certaines choses? La France a perdu de grands hommes en faisant cela. Ou plutôt failli les perdre. Pascal l'Illuminé entre autres. Et puis Voltaire qui a dû quitter la France, et Hugo je pense, non? Qu'ont-ils dit ces auteurs pour être obligés de quitter les lieux pour aller se cacher? Les Provinciales, les Lettres philosophiques... des livres très loin du peuple aujurd'hui, le peuple a oublier que ces livres ont été essentiels à leur libération des contraintes toujours plus contraignantes de la religion et des politiciens et des riches bourgeois. L'histoire de la France n'est pas plus rose que celle du Québec, qui en fait, est aussi l'histoire de la France. La France connaît-elle son histoire coloniale en Amérique? Moi je l'ai tout oubliée. Mais je connais l'histoire de la France, pour autant que l'on m'en a dit et que j'ai vu les pièces de théâtre et les films, et j'ai étudié dans mes cours. Ceci dit, je connais une infime partie de l'histoire de la France. Et comment cela pourrait-il en être autrement. Il est rare que quelqu'un avoue son ignorance, il faut du cran pour ouvrir son cerveau à l'humanité et lui dire en pleine face, regardez! Vingt ans d'études et je connas une infime partie de toutes vos naiseries, à chaque phrase que je dis je me gourre complètement, et c'est tant mieux, parce que sinon ces vingt dernières années m'auraient été le pire des calvaires si aujourd'hui il me faudrait tout connaître, surtout tout connaître de l'histoire de la France.

Je viens d'apprendre que Rogers, la compagnie de câble qui va bientôt contrôler tout le marché de la cablo-distribution au Canada et qui va être le compétiteur direct de Bell Canada dans l'ouverture des marchés en rapport à l'autoroute électronique se fout pas mal des francophones hors-Québec et vient de faire sauter en Ontario, dont Ottawa la ville soi-disant la plus bilingue qui existe, Musique Plus, le seul canal québécois que j'étais capable de regarder, et ont l'intention de faire sauter TV5, notre seul lien avec la France, la canal que la famille François écoute tous les jours que le bon Dieu apporte. Je suis pas content, Rogers vient de prendre le bord, aucune pitié, je veux sa mort par tous les moyens. Si le CRTC a le malheur de lui offrir tout le marché de la compétition, je vais aller au bureau de M. Spicer lui dire ma façon de penser, le pousser par terre (il roulera, il est sûrement gros), et la première chose que je ferai quand j'aurais ma maison, c'est de m'acheter une antenne parabolique. Dieu merci Belle Canada pourra lui aussi offrir la cablodistribution, peut-être on aura le choix? À l'heure actuelle, on a pas le choix d'être avec Rogers. C'est quoi cette

- 556 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

bullshit, depuis quand on a pas le droit de choisir sa compagnie qui va nous offrir les canaux de télévision qui n'a de toute façon rien à voir avec elle? Rogers l'anti-francophone. Québécois de la Terre! Ne vous abonnez pas à Rogers si vous le pouvez! Ils sont vendus et ils sont en train de s'accaparer tout le marché des communications et des télécommunications. Et au lieu d'offrir plus, ils offrent moins. C'est ça le progrès. Toujours demander plus en offrant moins. On commence à s'habituer. Paraît que la région de la Capitale Nationale est vouée à la faillite, d'ici 1999, 20 000 personnes des services publics perdront leur emploi. Et que si 20 000 publics servants perdrent leur emploi, c'est indriectement la mort de plusieurs compagnies et donc d'autres pertes d'emplois. Le gouvernement doit être innocent. D'accord pour qu'on les vire s'ils sont payés pour rien, mais maintenant il faut leur trouver un autre emploi qui va rapporter de l'argent. Mais je rêve, le gouvernement est incapable d'investir dans un projet qui pourrait rapporter de l'argent. Ça mérite qu'on y pense. Mais pas moi. C'est pas mon travail.

Bruno est parti travailler, la soeur et la mère sont parties à la piscine. Ce qui fait que je me suis retrouvé seul avec le père et que depuis le chum de ma mère, je suis resté traumatisé des pères de familles qui n'acceptent pas leur enfant gay. Or, il n'y a pas eu de problème, je lui ai montré le jeun l'Incroyable Machine, il a fait les treize premiers tableaux, puis il est allé se coucher. Seule ombre au tableau, avant qu'il sorte il se demandait pourquoi Bruno était allé travailler ce soir. La mère se posait la même question. C'est bien simple, Mme François redoute le départ de Brunzy en France et elle a peur. Alors elle a mis en alerte son mari et Claire-Lise pour qu'ils se renseignent sur les intentions de Brunzy, au lieu de venir directement en parler à Brunzy ou à moi. Je serais d'ailleurs bien embêté de répondre, la réponse à la question est en suspend. Je sais que Bruno s'est assis un soir avec Paul et qu'ils ont mesuré les pour et les contre de son départ. Ils en sont, à ma stupéfaction, arrivés à la conclusion qu'il fallait que Bruno parte pour réussir dans la musique. Hier Bruno m'a demandé si je voulais qu'il vienne en France pour moi ou parce qu'il avait vraiment des chances de réussir? La question était très difficile et il me fallait répondre de façon honnête. Je lui ai dit que je croyais pas qu'il pouvait réussir à Ottawa. Qu'effectivement j'aimerais bien qu'il vienne pour qu'on soit ensemble. Et puis que je croyais qu'il avait de bonnes chances de réussir à Paris mais que je ne pouvais rien lui garantir, il peut tout aussi bien faillir, ne

- 557 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pas déboucher, rencontrer personne pour l'aider, en admettant qu'il faille effectivement compter sur des gens. Il y a d'autres choses aussi, moi je peux pas demeurer indéfiniment en France, ma carte de séjour se termine le 25 octobre 1995. Qu'adviendra-t-il du groupe alors? Mais cette question n'est pas nécessairement un problème puisque Bruno ne veut pas de groupe, il veut juste pouvoir utiliser des musiciens interchangeables selon le continent où nous sommes. Alors je ne sais plus. Oui je voudrais que Bruno vienne, mais en même temps je me rends compte qu'il va venir y dépenser ses derniers sous et tout cela pour rien. Et ce sera tout de ma faute. C'est moi qui aurai insisté, lui aura fait miroiter un paquet de possibilités qui ne sont pas arrivées, etc. Aujourd'hui il est allé à la banque, il lui reste 6000$ sur le 20 000$ qu'il avait en septembre. On a passé une demie heure à tenter de figurer où l'argent était passée, et pendan ce temps. il me reprochait très directement de l'avoir conduit à la faillite. Il a fallu que je compte, pour lui dire que le chèque de 1875$ demain on irait pour l'encaisser à son nom (la banque l'a refusé sous prétexte qu'ils disaient que c'était pas ma signature, je suppose qu'ils ont de bons professionnels, tellement bon qu'ils seraient capables de prouver qu'un chèque que j'ai signé ne porte pas ma signature?), qu'en plus, le 4000$ que je lui devais, il en aurait au moins 2000$ lorsque je recevrai la deuxième partie de mon prêt après noël, que ça lui faisait donc 10 000$ et que 2000$ de plus lui arriverait durant l'année. Douze mille, ce n'est pas à désespérer, peu importe où est passé le reste de l'argent. 3 500$ pour les impôts, 1500$ pour les poêlons, il recevra 350$ en retour de douane sur ça, puis semblerait que le voyage à Paris a été plus cher que prévu. Paris l'onéreuse. Paris l'arnaqueuse. Je suis convaincu que j'économise plus que le prix d'un billet aller-retour en venant passer un mois au Canada, j'aurais dépensé autant sinon plus à Paris dans la même période. Ce n'est pas une erreur de calcule, je vous jure que l'argent nous file entre les doigts à Paris. Il est venu un temps où je sortais 300 Francs par jour, claquer 75$ par jour à Paris, c'est normal. Autant j'ai pu insisté pour que Bruno vienne, autant je n'insiste plus. C'est plus facile remarquez de ne plus insister maintenant que je suis à côté et que j'oublie c'est quoi quand je ne suis pas à côté de lui. J'en aurai pour 5 mois et demi à être séparé. De quoi se tirer une balle, mais je voudrais vraiment pas être responsable de la perte de son 20 000$. C'est notre maison et terrain qui vient de s'envoler en fumée. C'est l'enregistrement de sa cassette démo qui sera difficile, c'est l'enregistrement de son compact-disc démo, par

- 558 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

exemple, qui est maintenant impossible, sans compter ses possibilités de faire des concerts, cela nécessite de l'équipement. Mais c'est le père de Bruno ce soir qui m'a subtilement fait comprendre que si Bruno allait travailler c'est qu'il avait besoin d'argent, fine, et puis après? C'est qu'il avait compris que l'on ne pouvait vivre d'eau fraîche et de philosophie, me suggérant ainsi que moi je vis d'eau fraîche et de philosophie. Je l'ai remis à sa place le vieux. Si je suis en France pour poursuivre mes études supérieures, il me semble que ce ne soit pas pour de l'eau fraîche, au contraire, j'ai un désir de m'en sortir, pas mourir dans la misère jusqu'à la fin de mes jours. Et puis c'est pas vrai que j'aime pas l'argent, je suis peut-être un idéaliste à un certain niveau, mais je suis pas inconscient. Ça lui en a bouché un coin, et enlevé un préjugé mauvais pour ma santé. Hier pour la première fois Bruno m'a fait comprendre que de ses parents il en avait assez et qu'il pourrait pas toujours tenter de les satisfaire, d'autant plus qu'ils ne croyaient pas du tout en sa réussite dans la musique et que par le fait même ils devenaient les plus grands obstacles à franchir.

Bruno vient de téléphoner du bureau, il est en christ contre moi parce que j'ai dit à Paul combien Bruno avait. Le coeur me débattait, comment pouvais-je savoir que ses finances devaient être tenues dans le secret des dieux? J'ai pas hâte qu'il arrive de travailler, ça m'inquiète, il avait vraiment l'air en christ. J'ai l'impression que je vais maintenant insister pour qu'il vienne pas en France. J'aime autant m'y engouffrer seul que d'y entraîner quelqu'un d'autre avec moi. Et je ne veux définitivement pas avoir la responsabilité de sa faillite. Mais comme il dit, c'est déjà trop tard.

21 décembre 1994

I am somewher between Metcalfe and Bank Street, in the Ontheground of Ottawa. The University was completely closed and I was waiting for Peter that has noot come. I did not sent a post card with the collective letter number one posted to him, and he is the only one I am seeing in Ottawa. Like David in Montreal, the only I forgot to tell Martin to send him my letter, he's the only one to call me in Ottawa (yesterday). Martin a eu la sagesse d'y donner une photocopie de ma lettre. Comment peut-on explain this? i.e. ceux qu'on juge moins important à écrire sont ceux qui sont sur notre chemin? Des obstacles? Faut s'en

- 559 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

débarasser! Even worse, Marlène at work didn't even receive a letter, just the one I sent to the whole office. She sent me a card in Paris with a letter inside. It was so funny, she started with the news at the office and finish with the problems of the day. I'm sure she can be a real good friend for me. Oh, am I at the point that my friends can be 40 years old? I think she's younger than that. She told me that at work we lost the biggest client, Indian Affairs, et qu'il y aura des lay off. Ainsi j'aurais perdu mon emploi. My «letter was well-received in the office. Helmut made photocopies for everybody and passed it around. Your Franglish was a big hit!» «From your letter, can't decide if you like it or hate it, or is it a combination? Glad to hear you miss Bowdens. Just remember, when you have this great master degreee and need a highpaying job, you can always come to Bowdens and get 10 bucks and [sic] hour!» «I'm going home for Christmas, of course. Wasn't I counting the months ages ago!» «I've almost got my Christmas shopping done...» «Tuesday I'm going to see a movie with a friend, Wednesday another friend is cooking supper for me (Greek), Thursday Jennifer and I will probably go out for supper, and Friday another friend and I are going to concert.» «Have you been doing any writing, or are your studies keeping you totally engrossed?» «Merry Christmas! Marlene» (sent 11 december, received on the 16 december).

22 décembre 1994

J'ai bien envie de faire du Maxime aujourd'hui, faire une petite analyse des vidéos de U2, Numb et Love is blindness. Numb. On voit là en interaction les membres du groupe. Comme si la vedette n'est que Bono, les autres feel a bit numb. Or, voilà que c'est le guitariste qui chante, on aurait tendance à croire qu'il y a eu de la chicane, ou qu'il voudrait chanter plus, voler la vedette. Tout le vidéo semble tourner autour de cette idée, comme si les gens, pour l'instant d'un vidéo, un peu à contre coeur, lui laissait sa place sous la caméra. Or, tout l'univers semble un peu être néagtif, plein d'interférence, comme si on l'emp^chait de mener à bien son vidéo. Un univers méchant, une petite fille lui donne des claques dans le visagem un autre lui entoure une corde autour de la tête, Bono semble lui crier, très lascivement d'ailleurs, ses quelques paroles qu'il a réussi à lui arracher, puis Laryy le batteur le tire par terre pour ensuite lui revenir s'asseoir en face de la caméra. Puis

- 560 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Adam le bass vient discuter avec Larry et Edge peut reprendre sa place. Deux pieds de femmes viennent interférer, un blanc, Bono, un noir, Edge qui reste toujours dans l'ombre. Puis on lui lance des fleurs, en voulant dire, tient, c'est ça que tu veux? And if he wants fame, voilà une main de motard qui vient lui caresser le visage, comme si c'était la seule chose qu'il pourrait en retirer. Et là la fille ressortie tout droit du vidéo Mysterious Ways vient le narguer ou danser pour lui, mais elle repart avec les fleurs, son fame. Puis pour le contenter, on s'arrange avec le gars des vues, on fait venir une couple de fans qui viennent se prendre en photo avec lui devant les caméras, un entre autres on se demande s'il va pas lui sauter dessus pour le bûcher. Enfin, ça se termine quand un bonhomme qui semble important vient lui dire quelque chose et que cela semble signifier que c'est assez, il faut qu'il s'en aille. Le temps alloué à lui est passé. Ce doit être difficile d'être dans un groupe et avoir l'impression de pas avoir la place que tu devras avoir ou au contraire avoir l'impression que tu fous pas grand-chose et ça devient difficile d'être là. Ça me fait me poser des questions en ce qui concerne Bruno. I don't want to feel like a numb.

Love is Blindness. L'amour est aveugle. Le vidéo élargit la définition de Bono à l'amour en général. Bof, je n'ai plus rien à dire.

C'est drôle, je repense au film Entretient avec un Vampire avec Tom Cruise, Christian Slater et l'autre dont j'ignore le nom. Une telle publicité ce film à Paris, comment aurais-je pu passer à côté? Même si les critiques ne s'entendent pas, cela va de la bombe au cinq étoiles, moi le film m'a fait réfléchir. Au-delà du petit jeu de rôle des bons acteurs d'Hollywood, malgré toute la trame homosexuelle enlevée du livre originale, il y avait là un discours à la limite de l'existentialisme. France m'a taxé d'être existentialisme d'ailleurs en lisant La Révolution. My god. Premièrement je n'ai jamais lu ni Sartre ni Heidegger, en admettant que j'épelle bien son nom. Ensuite, est-ce que parce qu'on parle de l'existence nous voilà devenu existentialiste? N'est-il pas ironique qu'en deux ans de philosophie à l'université et quatre cours de pseudo-philosophie au Cégep, je ne sache rien de la théorie existantialiste alors que l'on me taxe de reprendre les mêmes concepts? Bref, dans le film, il y avait cette question, exitentialiste peut-être, quand le Vampire demandait à Louis à propos de s'il n'y avait pas de Dieu, ni de diable? Et si boire le sang des autres et les tuer était finalement dans la nature de certains et qu'en tant que tel cela n'était pas mal? Le film est

- 561 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

déjà trop loin, j'arrive à peine à me souvenir. Mais il y a tout ce parallèle entre la vie d'un Vampire et celle d'un gay. Comme si la nuit il fallait se cacher pour aller sucer des bites loin des yeux de la populasse qui n'en peut supporter la seule pensée, sucer jusqu'à en crever d'une maladie bizarre, puis au grand jour, retourner dans les catacombes de Paris ou bien redevenir le gentil papa de famille, marié avec deux enfants, un chien-chien, un poisson rouge. Mais les temps changent mes amis, on a plus besoin de se marier et avoir des enfants pour l'apparence. On a plus besoin non plus de s'enfermer dans les égouts de la ville pour aller sucer la bite de son chum, on le crie partout et les gens trouvent ça même normal maintenant, car enfin, ils l'avouent enfin, eux non plus ne sont pas des anges au lit. La bonne mémére, elle aussi elle suce la bite de son mari. Sinon, le mari devrait se poser des questions, considérer la possibilité de changer de mémére. Ça me rappelle les parents à Christiane, capable de battre les enfants, mais incapables de se déshabiller pour faire l'amour. On fait ça de temps en temps, tout habillé, sous les couvertures, dans le noir, quand tout le monde est parti. Voilà pourquoi il est devenu alcoolique le vieux, et qu'il s'est mis à battre les enfants. Et qu'elle est devenue folle et qu'on a dû l'interner dans un hospice pour malade mental. Et moi j'ai fait office de père pour la Christiane qui avait un père absent. Moi aussi je l'ai fait souffrir. Longtemps j'ai essayé de me convaincre que l'on pourrait se marier un jour. J'ai éjaculé une couple de fois avec elle, jamais à l'intérieur, elle avait peur de tomber enceinte même avec un condom alors qu'en plus elle prenait la pilule et que le sida était loin de l'actualité. La vie d'un vrai vampire est d'être bisexuel. On se demande pas pourquoi, ainsi tu peux sucer le sang de toute la planète, les possibilités de jouir sont infinies.

Parfois j'ai de la misère à comprendre. La famille François fait pitier, son lave-vaisselle ne fonctionne plus, un seul rond du poêle fonctionne et à moitié, la porte du poêle est tombée sur le plancher cette semaine, cassant les tuiles du plancher, manquant de casse le pied à Bruno. Sans compter que Bruno a failli foutre le feu à la maison à cause de ce fourneau. Eh bien, il m'a traversé l'esprit tout à l'heure que si j'avais de l'argent le moindrement, c'est de leur offrir un nouveau fourneau et un nouveau lave-vaisselle. Et puis aussi une nouvelle laveuse à linge qui marche à moitié aussi et qui ne fonctionne qu'à l'eau froide. Aussi bien dire qu'elle est inutile. Aussi une deuxième sécheuse, la mère de Bruno s'obstine à faire sécher le linge sur des cordes à linge l'été et dans le sous-sol l'hiver. Puis

- 562 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tout à coup je me réveille. Ce sont des choix. Ils ne veulent pas dépenser pour de nouvelles machines, s'obstinant à sacrifier la sécurité de tous leurs biens, justement pour économiser, épargner jusqu'à la dernière cenne afin de ne rien perdre de tous ces biens. Un autre paradoxe, le père qui veut tellement une belle retraite qui va travailler trois ans encore, six si c'est possible, alors qu'il risque sa vie en le faisant puisqu'il est cardiaque. Les gens aiment faire pitié, ils sont incapables de jouir de la vie sous prétexte qu'ils veulent jouir de la vie plus tard. Il se trouve néanmoins plus tard qu'ils crèvent sans avoir profité de la vie ou qui se retrouvent, après en avoir tant fait, incapables de jouir de la vie, ayant sans doute refoulé un sentiment de jouissance, l'adaptant au quotidien routinier de la vie.

23 décembre 1994

La famille allait bon train, on s'était levé de bonne humeur, Bruno avait même proposé d'aller bruncher quelque part, lui qui compte ses cennes comme un malade ces temps-ci, c'était plutôt encourageant. Or, le père est arrivé du travail sans crier gare vers une heure. Et il n'a fait que des reproches. Maintenant que j'y pense, rien ne sort de sa bouche qui ne soit un reproche. J'ai eu envie de lui dire qu'il pouvait retourner au travail, mais j'ai fuis vers l'ordinateur, mon échappatoire. Il a les deux pieds sur la terre qu'il dit, et heureusement, ça nous permet de faire notre art. Parce que ce matin la mère de Bruno est arrivée avec une demie nouvelle qu'elle avait écrite et qu'elle veut finir aujourd'hui, elle veut écrire un livre de nouvelles avant de passer à écrire sa jeunesse durant la guerre en Roumanie, en Israël puis en France. Il y a que le vieux ne comprend pas, ne veut pas comprendre, ne comprendra pas qu'il fait sans cesse des reproches et que ceux-ci sont injustifiés, ou plutôt, que pour chaque reproche qu'il fait, on pourrait lui en faire un équivalent. Il fout rien dans la maison, sauf refaire le toit, refaire la salle de bain, toutes ces choses qui n'appartiennent pas au ménage et au quotidien. Mais là il fout rien ces temps-ci, il a jamais fait l'épicerie seul, il fait pas à manger, pas de vaisselle, pas de ménage, et il critique. Il trouve absurde d'aller acheter un cadeau de noël pour sa femme. Il là il commence à traiter Bruno de vache, qu'il se lève à midi, qu'il travaille pas alors qu'il travaille si fort dans sa musique, que Bruno

- 563 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

devrait prendre l'autobus et aller faire l'épicerie plutôt que de prendre l'auto, etc. Dieu merci mon père pourri à Jonquière et je ne le vois que deux fois par année et pas longtemps.

Dans le journal aujourd'hui il y a un paradoxe effrayant, je laisse le peuple juger de celui qui est mieux. D'un côté nous avons Robert Eady, mieux connu sous le nom que j'invente à l'instant d'ennemi public numéro un des divorcés, des divorcées, des avortées, des homosexuels, des lesbiennes, des pornographes et de leurs clients potentiels. Aussi bien dire l'ennemi numéro un de la société en générale. De l'autre côté vous avez Claudette Gravelle surnommée la Soeur C, la meilleure amie des sidéens d'Ottawa qui a vu mourir 15 de ses nouveaux amis sidatiques en 18 mois. Robert Eady lui-même se dit porte-parole de l'Église catholique, son message en est un de haine du prochain. Il prend souvent la parole dans le Citizen, en ce 23 décembre seulement, voici quelques-unes de ses paroles que l'on retrouve en page A10: «Thousands of people still go to church on Sundays, but very few are prepared to openly oppose homosexuality, divorce, abortion, pornography.», «Many believers have been so brainwashed [en particulier par toi] they actually sympathize with the false notion that Christianity has been a negative force in the history of this country» [sure, religion brings us only love and peace, that's why I love you so much I guess] «Instead of being afraid or ashamed, Christians should take pride in being highly visible non-conformists.» I just don't know where is he going by Time to non-conform, I think he's afraid the society is becoming multi-cultural, so he starts talking about «our so-called «multi-cultural» society» as he says. Bref, ce n'est pas dans cet article que l'on peut apprécier la violence de ce monstre, je vous réfère cependant au [date] où je parle encore de lui. Voyons maintenant Sister C et son vrai message d'amour qui me semble vraiment parler au nom de Dieu. Vous verrez également qu'elle a dû se battre avec l'Église pour faire le bien, car l'Église, c'est bien connu, est devenue une force du mal. Elle catégorise les gens et juge lesquels on peut aider, et franchement il faudrait m'emmener des preuves s'il s'avère que l'Église aide qui que ce soit. En première page:

«Heads turn when Sister Claudette Gravelle, dressed in a white habit, walks down the street flanked by men in leather and earrings.

«People are surprised,» she chuckles. «But if in shocking people once in a while I'm making a statement, that's fine with me.»

- 564 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Gravelle is a member of the Sisters of Charity. She's also a regular volunteer at the Living Room, a drop-in centre for people, mostly men, with HIV and AIDS. They call her «Sister C.» She calls them «the guys.» The statement she makes is that the Catholic church is building a bridge with the gay community, one gentle-hearted nun at a time.»

«She won't discuss church policy or the apparent contradiction of her many close friendships with gay men and the Vatican's anti-homosexual stance. «The church is more than a set of rules,» she allows. «There is a lot of love in the church.»» [How come it's the fisrt time I can see it? And the article is clear, Sister C is in contradiction with the church, with the Vatican. You just need to read The Insight Catholic to find out about it.] «»I feel at ease in the gay community just as I feel at ease in my own surroundings. People are people. You don't have to put up a barrier because your culture is different.»»

«He is one [Andrew Lafontaine] of several men who've confessed to her their hurt at being rejected by the church. But she has earned his respect and helped restore some of his faith.

«She's very giving,» he says. «Some of these people have pprobably never experienced unconditional love before. They're used to being judged. But she just accepts them for who they are.»

She recognizes that she is doing pioneer work.

«I'm sitting between two groups,» she says.

«There might be one or the otherperson who might not totally agree with what I'm doing but I've got an awful lot of help and support.»

She adds: «History will judge us not on how people got AIDS but on how we accepted to walk hand in hand with other people who were suffering.»»

Voilà tout un message que Robert Eady devrait avaler, de force s'il le faut. Ou plutôt non, laissons-le mourir dans sa haine. J'adresse plutôt mon message aux autres, je suis parfois haineux moi aussi, souvent parce que la société qui partout m'entoure est elle-même haineuse. J'invite donc les gens à prendre un recul quand n'importe qui s'approche pour parler de haine, même s'il dit parler en le nom de l'Église catholique. I repeat it today, the key of life, is happiness for everyone. Créer un fossé, quel qu'il soit, est contraire à n'importe quel projet d'amour. L'Église ou les religions ont un message de haine et de guerre à

- 565 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

transmettre, il suffit de lire l'ancien testament pour finir de s'en convaincre. Prenons donc le message de l'Église avec un grain de sel, et nous sauverons ce qui reste d'humanité dans ce monde. Si les gens n'auraient pas compris que c'était là le but de La Révolution, tout ce travail aurait été inutile. Il ne s'agit pas de transmettre un message de haine envers la religion et ce qu'elle prescrit, mais bien d'ouvrir les yeux des gens à certaines réalités qui leur échappe. Allez et vivez en paix que le curé dit à chaque semaine après avoir bien dit de détester les homosexuels et de se battre afin qu'ils n'aient aucun droit. Aimez-vous les uns les autres que le curé dit après vous avoir dit de détester et de rejeter la femme avortée, même si elle fait partie de la famille. Cherchez donc à comprpendre à qui profite que l'on ait une société de haine, de conformisme total, de gens à l'écoute parfaite, par peur, des préceptes de l'Église. Posez-vous la question: et si la vie était vraiment plus simple qu'on voudrait nous le faire croire? Pourquoi se compliquer l'existence. La vie est plus simple qu'on le pense.

24 décembre 1994

D'habitude noël est la date pour les crises. Cette année, la seule lueur de crise à l'horizon, nous sommes le matin tout de même, c'est la soeur de Bruno qui vient d'annoncer à Bruno que dorénavant quand son chum sera là, il faudra que je couche dans le sous-sol. Et moi qui suis allergique au sous-sol! Parce que lui il sait pas qu'on est gays. Tabarnack! Ça fait trois ans que je sors avec Bruno, deux ans que je couche chez lui dans son lit, tout le monde le sait, même que Fred a déjà couché ici plusieurs fois pendant que j'ai couché dans la chambre à Bruno, même que sa soeur s'est lamentée parce qu'on faisait trop de bruit. C'est quoi cette soudaine histoire? Y'a qu'à le lui dire qu'on est gays bon Dieu, une chose qu'il sait déjà en plus. C'est stupide les gens, ils savent que les autres savent, ils osent pas en parler même s'ils savent qu'ils savent, et en plus ça voudrait jouer le jeu jusqu'au bout, c'est-à-dire qu'il faudrait que j'aille coucher dans cave. Et moi qui commence à pourrir ici, moi qui voulais retourner voir ma famille pour noël et qui peut pas parce que Bruno, fils à sa môman, peut pas quitter la maison. Et on est invité à prendre un café chez Richard on Boxing day, et on a dû reculer le départ au 28 décembre. Dans quatre jours! Moi qui ne fait que tourner en

- 566 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

rond ici, qui prend trop de place inutilement, qui redoute une crise comme il manque jamais d'en arriver une quand je vais chez ma mère. Existe-t-il une solution? Comment faire comprendre ça à Bruno? C'est lui le problème en fait. Il se lève à midi, prend toujours l'automobile, respecte personne, ramasse pas ses affaires, la chambre de bain est un vrai calvaire lorsqu'il en sort, fait pas la vaisselle, il vit comme un roi sur le dos de ses parents, exagère plus qu'il n'en faut et ne se rend pas compte que le tout peut exploser et que quand je suis là en plus, ça donne l'impression qu'on est deux à profiter sur le dos des autres. Alors moi je veux partir, mais c'est impossible. Là c'est certain que je repars le 7 janvier parce qu'aussi mes études commencent à me peser lourd et que j'ai peut-être envie de passer au travers. C'est noël aujourd'hui, et comme d'habitude, ça explosera.

(17h00) C'est noël aujourd'hui et la vie est plate. Il neige même pas dehors, on voit le gazon. Je suis pas venu au Canada pour la famille, ni même pour Bruno, mais pour l'esprit du temps des fêtes et la neige! Or, il n'y pas de neige et encore moins d'esprit de temps des fêtes chez Bruno. La journée a été longue, elle a coulée loin ma conscience, et je me suis même senti coupable de rien foutre. Un jour de noël, j'aurais été prêt à enfin attaquer ma grammaire. Bruno a fait une misérable mousse au chocolat, j'ai lavé pour trois heures de vaisselle pour sa misérable mousse. Elle a pas l'air bonne en plus. Ils font du poulet bouillie qui bouille depuis deux heures, c'est le seul plat qu'ils vont avoir pour le repas de noël. Ces Français, aucun sens de noël. Noël, il fait que ça sente l'argent, il faut de la musique de noël qui joue toute la journée, une multitude de globes qui flashent partout tout le temps, cinq à six plats principaux, une dizaine de desserts différents, y faut qu'on bouffe à en mourir, se paqueter dans boisson par-dessus la tête, pu être capable de marcher avant six heures. C'est ça noël. On dirait qu'ils sont en crise, ils boivent plus autant de vin qu'avant, à croire qu'ils ont fait un overdose de vin après mon départ. À moins que toute la famille boive en cachette quand je suis là? C'est possible. Et moi ici j'ose rien manger et Bruno bouffe quand je suis par exemple dans mon bain ou sur l'ordinateur, me laissant me faire ensuite ce que je veux. Alors je crève encore plus de faim ici qu'à Paris. J'ai de la misère à digérer la salade depuis cet été, j'ai dégeulé trois fois après avoir avalé une salade, un vrai lavage d'estomac. Alors j'ose plus trop m'aventurer et ça complique les choses car il n'y aura que cela ce soir à manger pour moi et qu'en plus je peux pas leur dire que la salade je la digère plus parce que

- 567 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

le père va commencer avec sa série de commentaires: alors le végétarien incapable de manger de la salade, on aura tout vu, et que je vais encore passer pour un con et qu'ils vont se sentir mal parce qu'il va rien y avoir à manger pour moi, et je me demande vraiment pourquoi je suis pas descendu seul à Jonquière, ma soeur inaugurait sa nouvelle maison blanche au toit vert à deux étages et un sous-sol avec un garage et une coulée à l'arrière, qu'elle donnait le réveillon et que cela devrait être mieux qu'ici, et que la famille François n'a fait aucun spécial pour moi et que je suis mal qu'ils fassent du spécial pour moi et je vais encore attirer l'attention ce soir et que j'aurais dont bien dû décrisser et que le fait que je sois ici ils se sont tous sentis obligés de me faire un cadeau de noël et moi qui suis complètement hypothéqué et qui n'a même pas réussi à acheter the greatest hits de Charles Aznavour pour Bruno parce qu'à Ottawa la pseudo-bilingue les disques français sont introuvables et que Bruno aime la chanson où Aznavour crache sur sa femme en la traitant de grosse laite sans coeur et que je voulais lui faire plaisir et que j'ai manqué mon coup et que là je capote et que Noël est toujours affreux et que la crise s'en vient et que je sais plus où me mettre et que c'est noël et que la vie est plate.

26 décembre 1994

Too much heard about Vancouver these deys to not think about it. When I was in the West Canadian, in Alberta, everyone was telling me about Vancouver, the promise land. Vancouver, a nation in itself. Vancouver, so warm because of the gulfstream or something. Vancouver the town to live and die. Even in Paris the doctor who gives me vaccins, her son is in Vancouver, the little guy that Bruno was looking too much in the gay bar is going to live in Vancouver, and some other friends have friends that are in Vancouver. The bizarre thing about it is that they seem to have no problem to quit France to go to live in Canada. Me I must justify I'm going to school and it doesn't seem enough. So yesterday we met Mike in the gay bar of Ottawa, Detour. The only open bar on the 25th of december. Is an old boyfriend of Bruno, of course, that's why I never really loved him. Because he was still around when I arrive and I was not so sure about if it ws finished between them. Now I don't have much to worry about, he's in Vancouver. Nine hours in plane from Paris, with probably a stop in To

- 568 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ronto and Montreal. It's sooo Beauuutiiiiifullll that we don't think is ever thinking of coming back here in Ottawa. I can understand that. Like me, he was fantasming about coming back for christmas, but it was not exactly what we were expecting. I would have to visit Vancouver one day, perhaps I should not, it's too dangerous. You visit it, you move there right after. But sincerely, what am I gonna fucking doin' in an english town where's there's probably more chinese people than in China in itself? The most great grand pianist in Canada are Chinese, most are girls. The biggest writers are Chinese. Quebec is giving more grant to chinese people than Quebeckers (I have checked the list). University of Ottawa is accepting almost only chinese people to get a master degree in french litterature these days. Perhaps I missed the boat, I guess it's time to be proud of it before Canada sinks at our eyes. How can they be so good everywhere? How come they were the only ones working like hell at the cafeteria without sayong a word? How can they have so good marks so they get everything? Is it like that in China? Do all Chinese people are like that? My god, we should think about not to help them too much to develop or get rid of the communism, we won't have to much left for us after. Or maybe we should accelerate the process and see if we can get a better world if they all start to work like the ones I have seen. Ça me rappelle mon amie chinoise, où est-elle? J'ai perdu son numéro de téléphone dans mes boîtes. Wang Ynan. Je devrais rerssortir mes papiers où j'apprenais le chinois, ça urge, il ne faut plus apprendre l'anglais, il faut apprendre le chinois et vite. Ils sont un milliard à attendre patiemment le jour où ils pourront décrisser de leur pays pourri et en décomposition à cause du communisme. Lorsqu'il pourront enfin se répandre sur la surface de la Terre, we better be ready, on va l'avoir notre vrai monde de compétition.

Je lisais ces derniers jours le journal de Evelyn Lau, Runaway, Diary of a street kid. De Vancouver, of course, la voilà qui quitte la maison à cause que ses parents la poussaient trop pour qu'elle soit première partout et que lorsqu'elle revenait à la maison avec des 89% elle se faisait battre ou quelque chose du genre. Elle s'est donc échappée, est devenue some kind of a prostitute, on drugs, etc. et voilà qu'elle rivalise avec mon journal. Moi, enfant de famille riche d'ingénieurs, venant du plus beau coin de la planète, ayant terminé ses études universitaires le ventre plein à l'Université d'Ottawa, est rendu à la Sorbonne pour faire ses études supérieures, est voué à un brillant avenir, s'est fait adopter par sa belle famille mal

- 569 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

gré que je sois gay et que j'y corromps le fils, vient d'y célébrer un noël merveilleux sans crise plein de cadeaux. Well, y'a pas grand-chose à rivaliser. Ma vie est parfaite, sécuritaire et tout le tralala. Je me lamente par pur plaisir, je suis heureux comme tout, tout le monde qui m'entoure pourront vous le dire, j'ai toujours un grand sourire. Maybe I should finish that diary here. Or change the title for Diary of a top Kid. C'est trop drôle.

28 décembre 1994

Je suis dans l'Underground of Montreal, entre les stations McGill et Berri -Uquam. Bruno est à côté. C'est pas assez long pour que j'élabore.

Je suis dans la Travel Agency Voyages Campus pour les étudiants sur la rue St-Denis, on arrive d'Ottawa par le train, on repart à deux heures pour Jonquière non express avec Jonquière comme destination. Sur le board, Jonquière est placé entre deux départs pour New York. Il suffirait que l'on se trompe de quai et l'on partirait pour New York. On ne peut dire que Jonquière ne soit sur la map. Mais il n'y a aucune personnalité qui vient de là. C'est moi qui va mettre Jonquière sur la map. Il y a aussi un Jonquière en France. Bruno me reproche ce genre de chauvinisme ou nationalisme par rapport à ma ville. Ce serait même extraordinaire d'être fier d'être Jonquiérois. En fait, question trou on fait pas mieux. J'ai même pas l'impression d'insulter personne en disant cela, ça en dit beaucoup. La ville est pleine de crétin, j'ai longtemps cru que j'y étais le seul gay à travers une société à 100% homophobe. Ils ne seront certes pas fier de m'avoir comme personnalité, n'empêche que, I can't help it, and probably no one can't help it in Jonquière, I love to be Jonquiérois et je déteste la ville d'à côté que je refuse de nommer, bien qu'il s'agisse en fait d'une seule ville. Depuis le temps qui parlent de fusion. Et en plus, je suis né à Québec où j'ai passé les sept premières années de ma vie. Qu'est-ce que j'en ai à foutre de Jonquière? J'ai tout fait pour sacrer le camp. Well, j'y ai quand même passé douze ans de ma vie et comme atmosphère au centre-ville, j'ai pas vu mieux ni à New York ni à Paris. Même le centre-ville de la ville voisine est plus intéressant que tous les centre-ville que j'ai connu. Ce n'est pas peu dire. Et le plus beau, si une bombe atomique éclatait sur l'usine Alcan, je me débarrasserais d'un coup de toute ma famille. C'est ça la vie.

- 570 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Je pense que Bruno est irrécupérable. On est dans le train qui fait Montréal-Jonquière et comme par hasard il y a un beau petit garçon à côté. Alors Bruno est incapable de regarder ailleurs. Pire, il dit que je le surveille et que je l'empêche de regarder. Il fait chier en Christ. J'ai pu l'impression que je peux lui faire confiance. On regarde pas les gens comme il le fait si on a pas l'intention de faire déboucher les choses si l'autre aussi nous regarde. Or justement le petit gars passe son temps à regarder Bruno, sa petite bosse, sa grosse bosse dans ses pantalons. Bruno capote, il voudrait lire c'est quoi que j'écris sur l'ordinateur. Ça fait trois fois que je suis obligé de fermer la machine. De toute façon j'en ai pour pas plus que deux heures de batteries. Ça va être difficile de raconter ce qui s'est passé l'autre soir au party chez Richard on the Boxing Day. Parce que moi j'ai pu confiance en Bruno. Ne serais-je pas fish de m'abstenir alors que lui s'empêche pas? On est arrivé au party où l'on m'avait traîné de force. Il y avait un beau p'tit gars qui s'appelait Steeve. Bruno arrêtait pas de le regarder, alors j'ai fait de même. C'est vrai qu'il était crissement beau. J'ai jamais vu plus beau ni à Ottawa, ni à Montréal, surtout pas à Paris. Alors j'avais bu en maudit, 3/4 d'une bouteille de vin et du cognac dans du Egg nog. Beurk, rien de pire que le Egg nog, il faut que je sois saoul pour en boire. J'avais les lèvres violettes parce que j'avais trop bu de vin et je sais pas pourquoi, c'était un vin français pourtant. Or, le gars avait un parfum qui sentait si bon, et moi qui susi anti-parfum, ça m'a excité. Je lui ai juste senti l'arrière d'une oreille, il s'est retourné, m'a embrassé. Que vouliez-vous que je dise? Je l'ai embrassé, on s'est embrassé à quelques reprises durant la soirée. Quelle belle soirée. Je comprends M. Eastman, le riche du bar gay de New York, lorsqu'il disait qu'il voudrait être dans mes pantalons, parce que la richesse, quand on est laid, ne peut pas nous apporter ces moments magiques. Je lui ai touché la bosse, non pas qu'elle soit grosse, mais elle est pas petite. À la fin de la soirée je me demandais si tout cela allait s'arrêter là. Je n'osais pas lui demander son numéro de téléphone, j'ignore même s'il serait intéressé à me revoir. Il était caché parce qu'il étudie à l'extérieur d'Ottawa et qu'il sort d'une longue relation où ils se disaient toujours Fuck Off à ce qu'il dit. Bref, il nous a donné son numéro, Bruno lui a donné le sien, dans l'espoir peut-être qu'il va téléphoner while I'll be in Paris? He's english, I like it. My next boyfriend will be english. Je l'ai rappelé le lendemain soir, malade que je suis. Avais-je l'intention de tromper Bruno? Je n'excluais pas la possibilité, mais je ne le voulais pas particulièrement. Le

- 571 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

lendemain, c'est-à-dire hier, c'était plus la même chose. Autant j'ai pu être excité sous l'alcool, autant le lendemain, alors qu'il était plus là, je revenais à Bruno. Je l'ai appelé au cas où, pour savoir ce qu'il avait à dire, même s'il pouvait me rencontrer le soir même puisque Bruno allait travailler. Mais je savais qu'il pourrait pas et moi je partais ce matin pour Jonquière. Je lui ai dit que je le rappellerais le 2 janvier. J'espère le voir, je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi beau. Je me souviens de l'embrasser, le sentir en arrière de l'oreille, l'avoir touché, cela est déjà de bons souvenirs. Ce pourrait bien se terminer là d'ailleurs. Je reparlerai de mon immoralité plus tard, ma batterie est à terre. Je vais laisser Bruno fantasmer sur le flot à côté, je vais aller acheter un café en passant par les toilettes.

Je suis dans les jardins du Luxembourg, le gazon est vert, on est le 28 décembre 1994, l'ombre d'André Gide me poursuit, Dieu qu'il semblait malheureux. Sa vie a été une longue justification, de sa vie, de son art. Si bien que je n'ai plus besoin de me justifier, au demeurant, je vous réfère à son oeuvre. Il y a là une statue, un cheval avec un chevalier dessus. Gide n'en a jamais parlé. Je suis en train de lire Si le grain ne meurt, ça m'inspire les premières pages de la Révolution. Les lits pouilleux et les clients que je sera avant d'aller les satisfaire aux portes du désert. Je suis dans les jardins du Luxembourg, on est le 28 décembre 1993, la vie est un éternel recommencement. [Bruno (ne) regarde (pas) le flot à côté, le flot regarde Bruno. (les parenthèses ont été ajoutées par Bruno qui m'a arraché mon livre des mains)] Je me lève, je traverse le bassin au centre des jardins du Luxembourg, je me noie, personne ne m'aidera.

[C'est Bruno qui écrit] Bruno is getting very mad now. I'm a prisoner inside your jealous heart!!

Bruno s'imagine qu'il est prisonnier de mon coeur jaloux alors qu'il est libre de faire ce qu'il veut. Il peut même me laisser s'il veut. Il sait que je lui rembourserais l'argent de toute façon, quoique c'est un bon risque. Trop grand pour le Bruno? Bruno est libre de me tromper, il risquerait juste que je le laisse si je l'apprends. Or, s'il s'en fout, rien ne l'arrêtera. Bruno est libre de se tirer en bas d'un pont ou même de se faire des millions dans la musique, je me lèverais tout de même le lendemain et les millions ne seraient pas miens.

- 572 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Quand bien même ce serait moi qui l'aurait poussé dans la musique, forcer à composer, écouter et commenter toutes ses chansons, souvent au téléphone, lui donner mille et un conseils, lui inspirer des sujets de chansons comme celle qui parle du théâtre, lui composer quelques lignes qu'il semble déjà se battre pour dire qu'elles sont de lui, écrit la moitié de la chanson qui parle de notre voyage en train en France de 1993, bref, quand bien même j'y aurais mis beaucoup d'énergie, le gros du travail lui revient. Et nous qui sommes gays, quelle sorte de couple au sens traditionnel de la loi formons nous? Que serais-je en mesure d'exiger? Rien. Je serais un pantin, un genre d'accompagnateur comme on en voit un qui sort de la limousine d'Elton John parfois. Et si Bruno me trompait? Resterais-je pour l'argent? Et quelle vie de pof malheureux je vivrais. Ses chansons ont fini par prendre forme complète, un début et une fin. Il les chante une après l'autre quand il a ses leçons avec Mary, j'y vais tout le temps, sauf pour le mois où j'étais à Paris et que Bruno était ici, j'y étais hier. Il joue ses chanons une après l'autre au piano avec George qui l'accompagne au violon, j'y étais encore la semaine passée. Bruno est à la veille de toucher au but, déboucher dans la musique. Ou bien he's at the beginning. What the hell can it be to try to succeed in there. Je n'ai plus aucune motivation. Je suis mort, le train m'achève, mon retour à Paris sera pénible, je serai entièrement vidé.

C'est la troisième année en ligne que je me pays l'interminable train Ottawa-Jonquière. Il neige à chauqe fois, c'est le dépaysement le plus pur. Avoir son adresse à Paris, perdre son temps entre les villages de Montréal jusqu'à Jonquière. L'an passé peu avant Noël j'y ai écrit plusieurs chapitres de la Réussite. Ceux que je me souviens: le Rythem de l'âme, la Démythification du mythe. Serait-ce l'heure des bilans de fin d'année? Me forcer ainsi à me replier dans mes pensées, à tenter d'oublier l'obsédé lancer des coups d'oeil au flot d'à côté. J'aime mieux fermer les yeux et ne pas souffrir. The end of the World dans mon Walk-man. Les céouteurs sont scraps, impossible de m'en racheter, il me faut tenir le fil pour entendre la musique des deux côtés. Hier Bruno m'a fait une crise à propos de l'argent que je lui dois. On a parlé jusqu'à trois heures, il s'est vidé le coeur. Je ne me suis pas endormi avant quatre heures. C'est pas possible d'avoir autant de problèmes que j'en ai dans le moment et presque sans en être conscient. Tellement de problèmes d'argent, d'amour, d'école, de vie, ma vie, un gouffre dans fond, un trou noir qui aspire tout comme dirait Bruno. Comment ai-

- 573 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

je pu revenir au Canada? Je dois déjà tellement d'argent. L'argent, l'argent, l'argent, y'a que ça dans vie. Toujours l'argent, tout mêne à l'argent, on ne vitt que pour l'argent.

Bruno sait apprécier les bonnes choses, il sait jouir du luxe, des belles casseroles en cuivre, une montre de 2000$. De l'or, des lampes art déco à x mille dollars en vente aux enchères at Christie's. Moi c'est tout le contraire. Je suis incapable d'apprécier une lampe ou une montre, le luxe me semble inutile, on va tous crever un jour ou l'autre. Le luxe est à la limite du palpable, ce qui est palpable seulement ne change rien à ma vie. On ne se construit aucune motivation à vivre avec la richesse, sauf la peur de perdre cette richesse. Je déteste les jardins du Luxembourg, c'est de la frime. Quand la France au complet se met à payer des châteaux et des stautes recouvertes de fines feuilles d'or, ça change rien à ma vie, ça me donne rien à manger. Ça profite à quelques bureaucrates qui en font leurs tours à bureaux et c'est tout. Ça attire les touristes qui savent pu quoi faire de leur peau. Demandez leur, aux touristes, qu'est-ce qu'ils en ont à foutre de la tour Eiffel. On la voit, on y monte, on redescend, une journée de perdue, misérable ver de terre, 5000$ dans le feu, être venu à Paris pour voir une antenne TV. Je suis en train de me pomper, j'ai envie de tuer tout le monde, sauter hors du train et me perdre dans la nature. Ma cousine Caroline l'a bien fait. On l'a pas encore retrouvée. Elle a crissé son bébé là, chez une vague tante, elle est disparue dans la nature. Quelle joie, quel courage, quel détachement total de tout ce qui peut l'entourer, famille, chum, amis, argent, bébé. Elle ne saura sans doute jamais comment je l'admire. Mais faut pas se faire d'illusions, ses problèmes doivent être sérieux. Drogues dures, ça je sais, prostitution, ça je m'en doute. Je pourrais débarquer à la prochaine gare, j'ai mon billet d'avion, départ le 11 janvier. Repartir pour Paris et oublier mes études. Oublier la littérature, la voir mourir sous mes yeux, la mienne et celle des autres. Aller explorer plus profondément encore les bas-fonds de Paris, allez jusqu'au plus profond de cette vieille station désaffectée reconstruite, sans vouloir quitter Paris. Paris est le centre de l'Univers, pas besoin de l'Amérique pour nous soutenir. Avoir du sexe chaque soir avec une personne différente, mourir d'une maladie bizarre tout au bout. Voilà une belle destinée. Quelqu'un qui se crisse de tout, ne croit plus en rien, se laisse voguer sur les vagues, engouffrer dans les tourbillons pour voir jusqu'où ils vont l'emmener, jouit dans les bas-fonds, apprend à savourer la misère à son juste titre. Ne croire en rien ouvre toutes les

- 574 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

portes, fait disparaître toutes les limites. L'amour, Bruno vient de le dire, c'est une prison. La religion, une flagellation. Dieu, une autorité intolérante et dévastatrice selon les définitions. L'amitié, une exigeance impossible à combler, un blocage psychologique, une vie en fonction des autres. Les parents, je ne connais déjà plus ce que c'est, c'est déjà trop loin de moi. Des parents, c'est Dieu, et c'est pire. Ce qui me rappelle que c'est là que je vais, voir mes parents et ma soeurette et sa belle maison qui vient de lui hypothéquer la vie. J'ai bien envie d'aller quêter une cigarette au flot à côté puisque Bruno tient le coup et que c'est la première fois que je le vois insister pour rester dans unn wagon fumeur alors que moi-même j'étouffe. Mais un fumeur, c'est bien connu, ça étouffe pas, ça jouit à chaque bouffée, un suicide à moyen-terme. La cigarette c'est pas assez fort, tant qu'à se suicider à moyen-terme, il me faudrait pouvoir me suicider à court-terme. La drogue?

Je viens d'envoyer Bruno chercher de la bière, j'en ai profité pour quêter une cigarette au flot. Il vient de Montréal, il va visiter de la famille. Qu'elle est la meilleure façon de crever que le mélange de l'alcool et la cigarette? Dix pufs, mes bras et mes jambes shakent. Je pollue un peu ce bel univers que Bruno aime. Les fumeurs apprécieraient davantage la cigarette s'ils en fumaient moins. Chaque cigarette que je...

[Plus tard] Je reviens à la vie après une heure à me trodre sur mon banc et dans les toilettes. I'm so sick, one cigarette, half a beer, et je retire ce que j'ai dit. Il s'agit ici d'un suicide à court-terme. Le gars s'appelle Serge Dallaire, il fallait le voir reprendre le briquet une fois que je l'eus utilisé, il m'a pris la main, quelle chaleur dans cette prise de main. Le pauvre pitou, c'est probablement ce à quoi il doit se contenter, 16 ans, secondaire 4. Bruno dit que je l'ai traumatisé avec mes quelques questions.

Je suis malade! Fraîche innocence qui ne s'est jamais levée un matin pour découvrir que la vie existait et que l'on peut encore garder la foi en l'amour pour autant que notre naïveté nous en ouvre les portes, On dirait que je parle avec une grande expérience, on dirait que j'arrive à la fin de ma vie. Serge écoute The Cure, Sloan (?), Suède (?), les filles en arrière écoutent I'm Criminal Mind de Gowan, jai envie de me tirer une balle. Bang! Un peu d'action dans cet univers fétide et renfermé. Ce qu'on peut souffrir quand on connaît la destination du train, ça ne vaut pas un tour dans l'Underground de Paris. Bruno était tellement heureux que j'aie parlé à Serge, il avait un sourire intarrissable qui faisait sonner les

- 575 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

cloches de minuit dans mes oreilles, they were ringing all along, they were ringing all along. Enterrant the mad man taht was singing but that was drowned out by the church bell. Une belle histoire de gay, misérable en l'occurrence. J'ai envie de vomir, bière et cigarette, je vais dégueuler des cigarettes. Serge connaissait Valérie Bouliane, une fille que j'ai connue en 2ième année à l'école Jean XXIII. J'ai vraiment envie de dégoueuler et ce train qui n'arrive nulle part. La grande parche de Valérie, un vieux souvenir me remonte, j'ai envie de le vomir aussi. Il fallait emmener un article de journal en classe et le lire. Elle était toute fière parce qu'elle avait découpé un article sur Michel Jasmin (l'homme au genou de bois de ce que je me souviens). Mais un autre avait le même article, ils se sont chicané et elle a pas pu le lire. Elle était en crisse. Moi j'avais un paragraphe d'article tellement affreux, un vrai traumatisme d'enfance, avis aux intéressés, j'ai refoulé longtemps en dedans de moi ce jour terrible. Tout ce que je me souviens de l'article c'est que ça parlait de drogues et d'alcool et d'un gars qui disait qu'il voulait pas aller danser avec les filles mais qu'il pouvait pas... Tout notre petit monde était rdemeuré estomaqué de mon intervention, le prof a vite passé à un autre. J'avais passé trois heures à chercher un article et Michel Jasmin j'avais passé proche de le prendre mais c'était trop poche et trop long. Je détestais déjà Jasmin à sept ans, faut le faire. J'avais donc fini par prendre un parargraphe au hasard. De ce même jour je me souviens qu'il fallait trouver des mots de même famille que de je ne sais plus quel mot, et ça faisait déjà quinze minutes que j'avais la main levée pour dire «aspirateur» jusqu'à ce que le prof me nomme et qu'au dernier moment j'aie compris que c'était pas du tout de la même famille et que j'aurais fait rire tout le monde. Je lui ai dit que j'avais publié mon mot, elle nomma donc Valérie qui s'écrie alors «aspirateur»! J'ai éclaté de rire, et le pire c'est que la classe, gang de zombis pas encore réveillés à la vie, n'ont même pas réagi. J'avais tellement l'air mongol en deuxième année, mais so everyone was. Ils savaient même pas lire, c'est moi qui les reprenais quand on faisait de la lecture tellement j'en pouvais pu d'attendre deux heures pour que la classe à tour de rôle lise deux pages d'un p'tit livre plate à mort, vous savez comment on prend les enfants pour des crétins, on a peut-être raison finalement. Il arrivait souvent que la classe éclate de rire sans que je comprenne pourquoi, l'exemple le plus frappant était une cassette qui racontait une histoire, un gars qui prenait un choc électrique et qui répondait à son ami qui lui demandait ce qui s'était passé: «Du 220.» La

- 576 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

classe a ri aux larmes pendant cinq longues minutes où je me retournais pour demander aux autres ce que j'avais manqué qui était si drôle. J'ai souvent passé aussi pour celui qui comprenait jamais rien dans la classe, aucun problème de math ou de physique en tout cas. Je me débrouillais avec les livres la veille des examens. Je me demande aujourd'hui qu'est-ce qu'il en était des autres, s'ils feignaient de comprendre ou s'ils comprenaient vraiment directement en classe. Ce qui serait inquiétant de faire une étude là-dessus, ce serait de découvrir qu'en classe on a jamais rien appris et qu'il aurait mieux valu nous dire par écrit quoi étudier, quoi lire, quels problèmes faire, et nous laisser free of boring school. On aurait cru qu'à la Sorbonne on aurait pu adopter ce système, mais semble que non. Ces classes avec un professeur, n'était-ce pas pour l'époque où il n'y avait aucun livre de suffisamment complet pour nous enseigner une matière vide de sens? Mes deux cours par correspondance de la Télé-Université m'ont appris davantage que dix cours où un prof radote en avant et n'est capable de dire que peu de choses en une heure et demie ou trois heures. Et quel calvaire pour les étudiants qui ne font que prendre des notes machinalement pour les relire ou enfin les comprendre, ou peut-être même pas, la veille de l'examen. Il est temps que l'on révolutionne l'école pour maximiser le transmission du savoir et arrêter le suicide de nos jeunes qui n'y ont jamais trouvé aucune motivation. La société devrait se sentir coupable qu'après vingt ans à s'écorcher je ne sais quels os sur trois planches, je ne sache que très peu de choses et que l'on ait perdu temps et argent avec des niaiseries. Dans quel genre de société vivons-nous? Pourquoi faudrait-il tuer à petit feu un enfant avant qu'il puisse décrocher un emploi aussi stupide que de la retranscription de nouvelles radio sur papier? Une société qui se dit instruite et qui engouffre toute ses énergies à éduquer inutilement des enfants qui ne produisent rien pendant toutes ces années, ne courent-elles pas à sa perte? Combien d'années encore faudra-t-il laisser crever la moitié de la planète de faim pour satisfaire une maladie de l'instruction? Une obsession tellement institutionnalisée qu'en septembre je capotais de ne plus être à l'école, semble-t-il je voulais y crever, c'est ironique, sachant combien je déteste les études, pour la branche que j'étudie en plus.

Le p'tit christ de morveux de 16 ans qui lâche pas des yeux la grosse bosse de mon chum, j'ai bien envie de lui mettre ma main dans ses culottes pour le contenter. S'il manque de sexe, fine, mais pas sur le dos de mon chum. On paye toujours nos actions, moins de deux

- 577 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

jours après nos folies. Un jour, même, après l'histoire chez Richard. Plus j'avance, plus je comprends des choses, plus je comprends l'immoralité et ce qui la provoque. Huit heures de calvaire. J'écoute U2, toujours, il neige à manger debout. Nothing changes on new year's day. Life's so boring. Le flot fume comme un trou, so everyone in the wagon, j'en peux plus respirer. Bruno doit être en transe, il ne réagit plus du tout, lui qui est asthmatique à mourir. Vous savez qu'on a déjà quitté des restaurants où personne ne fumait mais qui n'avait pas de section non-fumeur? Il est même fâché que je le regarde regarder l'autre et me dit qu'il a le droit de faire ce qu'il veut. Il fait semblant de lire son livre, je ne regrette pas l'histoire chez Richard. Je viens d'ouvrir le Journal de Montréal, le journal du Québec qui tire le plus de copies: «Linda Paquette accusée du meurtre de son conjoint» «Un Noël en prison pour l'animateur Mario Lirette accusé de harcèlement à l'endroit de son ex-conjointe» «Le Palais de justice vit Noël à l'heure des drames conjugaux: Au Palais de justice, Noël met en évidence toutes les tensions familiales que peut créer cette période. Hier après-midi, 75 personnes défilaient devant le juge...» Je me demande si je devrais tourner à la page 4. «Nancy Martins a été enlevée, violée et étranglée au terme d'une soirée de courses de stock-cars à Napierville.» Ça commence à devenir franchement intéressant. Mon oncle Daniel reste là, Napierville, je vous raconterai pas l'histoire de sa femme, respectons les faits divers familiaux. «Colette Julien: elleaussi fut agressée sexuellement et étranglée» la pauvre fille. «Tara Manning: un meurtre inexplicable.» Passionnant. «Le 16 juillet disparaissait, à Sainte-Thérèse, une fillette de 10 ans, Marie-Chantale Desjardins. Certains croyaient à une fugue, d'autres à un enlèvement. Mais la terrible prémonition d'un meurtre crapuleux devenait une réalité brutale le 21 juillet: le cadavre de la petite fille était découvert dans un boisé de Rose-Mère.» «Un autre meurtre horrible fut celui de Sarah Dutil, 11 ans, agressée sexuellement, étranglée et la gorge tranchée. Le crime est survenu le 21 janvier dernier, la fillette fut retrouvée dans un conteneur à déchets quelques heures après avoir été martyrisée.» «Éric Arpin: étranglée par deux agresseurs sexuels?» Je vous épargne les détails. «Un chauffeur de Taxi de Lachine, Jean-Claude Audette, 57 ans, fut abattu de plusieurs projectile à la tête...» «La petite municipalité de Saint-Clet, [...] l'assassinat du maire [...] et la secrétaire-trésorière [...] abattus dans leur chambre à coucher de plusieurs coups de feu.» «Le meurtre de deux antiquaires...» «Le meurtre de deux zigotos dans le train est survenu

- 578 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

durant le voyage entre Montréal et Jonquière. Selon les renseingements obtenus, les deux victimes auraient été violées et étranglées puis jetés dans le Parc des Laurentides parce que le train arrivait pu à arriver. Il s'agit en effet des deux derniers meurtres crapuleux de l'année courante au Québec, nous vous donnons rendez-vous à compter du premier janvier pour la reprise de notre chronique «Satisfaire ses fantasmes» avec des meurtres, qui nous l'espérons, seront encore plus sexuels et encore plus crapuleux.» Parlant de meurtre et de mort, mes sujets préférés, on vient de passer l'hermitage Saint-Antoine, très connu près du Lac-Bouchette, bien des miracles s'y sont produits. Le dernier était un autobus remplis d'handicapés mentaux descendus de je sais plus où, ils ont tous été guéris instantanément. À l'été 1993, pendant que je travaillais à Val-Jalbert, ils ont tous trouvé la mort dans un face à face avec un dix tonnes. C'est merveilleux la vie parfois, plus de souffrance, Dieu a entendu une prière si vibrante qu'il n'a pas lésiné, même qu'il n'a épargné ni les chauffeurs, les organisateurs et un passager dans le dix tonnes. Parfois ça paye de croire en les Saints. Saint-Crème! Aidez-moi! Ce train n'arrive plus! Je deviens fou, je ris tout seul dans le wagon. Ça prend une heure en avion, ça prend treize heures en train. Faut être masochiste, et Bruno lui enjoy his trip. Tout à coup il me revient cette histoire de Gide, quand le gars pogne Fleurissoire et qu'il le jette hors du train sans que personne ne le sache. Too bad il n'y a pas de compartiments, ce serait plus facile. Ce train n'arrivera-t-il donc jamais? L'acte gratuit était déjà motivé par la folle envie de se décharger de toute la bullshit de la vie sur la première personne rencontrée, par la seule envie de tuer. C'est déjà là une très nette motivation. Et puis de toute façon on ne peut pas parler de l'acte gratuit du personnage d'un roman fictif. En fait c'est Gide qui tue pour prouver aux gens qu'on peut faire un meurtre crapuleux sans avoir de mobile et sans qu'Agatha Christie puisse remonter jusqu'au coupable. Dix minutes et nous sommes à Hébertville station. Ma grand-mère Tremblay (une Ouellet), y a passé la majeure partie de sa vie. Une belle petite maison verte sur le top d'une colline. Son plus vif souvenir c'est la période d'une grippe infernale où pendant tout un hiver tout le monde s'était enfermé chacun chez-soi, quarantaine totale. Quel plaisir. En quarantaine totale avec mon Bruno dans une belle petite maison verte pendue dans le fond d'Hébertville Station. Avec pas une christ de tapette à des kilomètres à la ronde, aucune chance de se laisser tenter par la Dernière tentation avant la crucifixion. On est passé par La Tuque, je m'en suis pas rendu

- 579 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

compte, c'est trop trou. Onze mille habitannts et un Poulet Mort Plein de Graisse Frit à la Kentucky. Mon mononcle Carol y pourri avec sa femme Ginette depuis quelques décennies. Une autre gang de scandalisés parce que je suis gay, qui parlent dans mon dos à planche. Ça touche même pas la bite de son mari pis ça me reproche de jouir de la vie! On se demande comment ça fait des enfants. Bien, on va tout faire pour les éviter ce Noël. Christ! Ils vont finir par se donner rendez-vous dans les toilettes et coucher ensemble. Il est vraiment le temps qu'on arrive à Hébertville. On a passé Shawinigan, impossible de le manquer, y'a tellement de boucane qui sort des cheminées d'usine, faudrait vérifier les statistiques. Les Shawiniganiens doivent tous être en trains de crever d'un cancer généralisé ou d'alzheimer ou de ces maldies bizarres qui nous frappent quand on habite ces villes industrielles, comme Jonquière par exemple, Capitale mondiale de l'aluminium, trois-quatre usines à papier. Il faut faudrait être fier de ses origines. On a tous un petit bagage de mercure qui nous flotte dans le cerveau, Jean Chrétien, le premier ministre du Canada pour au moins vingt ans j'espère, vient de Shawinigan et en est une preuve vivante.

1er janvier 1995

Life sucks! Une autre année qui vient de se terminer, je ne sais même plus où j'en suis. Je me demande bien si je voudrais le savoir d'ailleurs. Eh bien, je suis dans le train qui nous ramène à Montréal. Faudra ensuite prendre le bus jusqu'à Ottawa. Charmante journée en perspective. Je viens de perdre deux games d'échec en ligne avec Bruno et je suis d'humeur massacrante. Quand tu perds aux échecs, c'est ton intelligence qui est insulté. Et perdre aux échecs est une véritable perte de temps par rapport à tout ce que j'ai à raconté de la dernière semaine. Bon, par où commencer le récit de mes vacances éclaires à Jonquière? Allons-y selon jour.

28 décembre 1994

Lorsque nous sommes arrivés, c'était le soulagement. En partant de Montréal je conseillais aux touristes de prendre le train pour aller à Jonquière, mais ils jugeront de par

- 580 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mon mon récit du 28 décembre si ça en valait la peine. Enfin bref, le comité d'accueil était là pour nous recevoir, ma soeur, mon père et sa blonde Ginette. Ma mère attendait chez Fred avec Steph. Ainsi la famille était réunie au complet, il me manquait qu'André. C'est très rare ça. Pauvre môman, qui souffre tant car elle regrette mon poupa. Enfin bref, on a jasé, mais c'était bizarre. Je racontais Paris, et puis voilà. Ma soeur m'a fait visiter son château, très impressionnant. Très moderne, toutes ces machines dont il faut lire les instructions avant de les utilisr, le fourneau, le lave-vaisselle, le foyer, la chaufferette dans la salle de bain, les huit switches dans le salon, les cinq dans la salle de bain. On s'est couché.

29 décembre 1994

Le lendemain on s'est levé. On est allé dans la salle de bain. On s'est brossé les dents, on a chié des boulets de canon. C'est Bruno qui me dit qu'on a fait ça. Là il me parle de cracks bumpy and I don't know what is he talking about. On est allé soupé chez poupa, on a joué des jeux de société. On a joué aux Grands Maîtres, mais surtout à Scotland Yards. Comment pouvions-nous mieux tomber? Nous voilà en train de poursuivre monsieur X dans la ville de Londres, utilisant pour la cause les taxis, les bus et ô bonheur, l'Underground. Ça faisait bizarre d'entendre le mot à tout instant. On a coincé Bruno la première fois, la deuxième fois on s'est perdu ben raide dans l'Underground de Londres, se fourvoyant au passage en se plaçant sur une station d'Underground un cou trop tôt. Ce qui rendait la poursuite inutile, on arrivait l'autre bord de Londres pour découvrir que Bruno s'était engouffré dans l'Underground et qu'on ne savait plus où il était. J'ai tourné autour du St-James Park, comme je le faisais avec Martin en 1990. Observant le jeu en regrettant qu'il n'y ait aucun noms de stations. Ce jeu est inntéressant, doublement lorsque l'on écrit l'Underground. Je voulais partir avec le jeu, mais comment l'emmener en Europe? Je me demande si le jeu existe en Europe? Ensuite on a joué aux Grands maîtres, nous étions devenus de riches voleurs qui se négociaient en ventes aux enchères les tableaux des grands peintres. Of course j'avais caché le tableau d'un million sous moi, c'est-à-dire que j'ai essayé de tricher, mais mon père s'en est rendu compte. Il avait eu le tableau au début et se rappelait qu'il valait seulement 200 000$. Mais c'est bien qu'il s'en soit rendu compte, car pourquoi tricher si ce n'est que pour

- 581 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

le fun du jeu et la crise qui éclate un peu plus loin? Sinon il n'y aucun intérêt à tricher, il n'y a qu'aux échecs que je déteste perdre. D'ailleurs je perds toujours aux Grands maîtres, je crie comme un malade, je fais monter les enchères, je collectionne les faux, il faudrait surtout pas m'emmener chez Christie's, je ferais parler de moi dans les journaux et je ferais faillite peu longtemps après. Si Parker Brothers refaisait le jeu aujourd'hui, jeu qui est introuvable sur le marché aujourd'hui, il faudrait qu'il augmente le prix des tableaux, on va pas chier loin avec un million cinq-cent mille dollars aujourd'hui et les fleurs de Van Gogh se vendaient à 48 millions la dernière fois que j'en ai entendu parler.

30 décembre 1994

Le lendemain c'était le souper chez môman. Plate à mourir, Bruno n'a pas cesser de me reprocher de l'y avoir emmené. Heureusement il y avait les Douze travaux d'Astérix à la télévision et cela a fait passer le temps. Même que je voulais revoir ce comique, j'aime la scène des soldats morts qui reviennet hanter les lieux de batailles la nuit, c'est pas nouveau, j'ai l'obsession des fantômes, pour le parallèle possible avec la vie gay qui se passe dans l'ombre aussi je suppose. Mais surtout, je voulais revoir la scène de l'Underground dans la caverne où l'on apercevait Astérix et Obélix, l'instant d'un moment, dans une station de métro parisienne, Alésia, où un métro passe. Obélix demande alors qu'est-ce que c'était que ça et Astérix dit qu'il sait pas mais qu'il commence à en avoir son marre. Mais le plus beau c'est l'édifice qui rend fou par sa bureaucratie effrayante. Il leur faut se procurer le laisser-passer A-38 s'ils veulent passer à la dernière érpeuve, et tout le monde qui a essayé est devenu cinglé. On les voit dehors en train de sauter partout, faire le petit-train ensemble, c'est merveilleux. J'ai reconnu là exactement ce que j'ai vécu à la Sorbonne. Pour le formulaire A-38 (l'inscription pédagogique) il faut se rendre au guichet 1, le plan de l'édifice est au sixième. Bien sûr, le guichet un est au rez-de-chaussé. Au guichet un on dit que pour se procurer le formulaire A-38, il faut se procurer le formulaire rose (la feuille d'inscription rose de la Sorbonne) que l'on trouve au guichet 2. Et à il faut trouver où est le guichet 2: escalier C, 12 ième étage, troisième couloire, deuxième porte à droite. Là il faut le formulaire bleu, et ainsi de suite jusqu'à se qu'on devienne fou. Derrìère les portes on voit des gros

- 582 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

bonhommes qui foutent rien, un se balance poussé par une secrétaire. Les femmes aux guichets parlent entre elles et se foutent des gens, toute la bureaucratie française y est. C'est merveilleux. Jusqu'à ce qu'Astérix décide de les fucker en inventant la circulaire B-82 qui parle d'un nouveau formulaire A-39. Toute la bureaucratie devient folle et Astérix réussit à se procurer le formulaire A-38. Cela est tellement intelligent et montre tellement où la sottise bureaucratique nous a emmené, que je ne saurais regretter d'en trop parler.

Le même soir on a rencontré Christiane et son chum François, Patrice et son chum Luc à l'Envol. C'est drôle que voilà trois ans on ne parlait que de Jonquière, aujourd'hui on parlait de l'Univers. Christiane a passé quatre mois à Venise puis a fait le tour de l'Europe. François s'en va à Istanbul pour quatre mois et il jasait avec Bruno qui lui est déjà allé en Turquie. Patrice et Luc parlaient surtout de Paris et New York, bien qu'ils aient voyagé ailleurs, d'ailleurs tout le monde en parlait de Paris et New York, plus spécifiquement de Paris. Je parlais aussi de Londres avec François, si je me souviens bien. Mais je dis l'Univers, on dirait qu'il s'agit plutôt de l'occident, sauf peut-être la Turquie. Bref, on a encore quelque chose en commun après toutes ces années, c'est les villes que l'on a habitées ou visitées.

La veille j'étais au centre d'achat avec ma mère, après avoir reçu que des chandails pour Noël d'à peu près tout le monde, il me fallait bien des pantalons, et heureusement parce que je n'ai que des vêtements troués à me mettre et que la Sorbonne en entier commence à me dévisager. J'ai rencontré trois personnes. Dany Girard, un gars qui était en quatrième année en même temps que moi, l'autre classe, qui se souvenait de moi parce que quand j'ai sauté ma cinquième, j'ai pas passé inaperçu. Il travaillait au Château qui était pour les hommes et femmes mais qui n'est que pour les femmes maintenant. Il avait les cheveux longs, il avait tout du gay qui n'avait pas encore vécu. Christiane m'en reparlait le lendemain, elle disait qu'il était fatigant quand elle magasinait au Château et qu'en plus il s'affirmait pas mal plus que je le pensais. Bon. Il me disait que c'était son rêve de partir pour la France. Pauvre lui, il fait vraiment pitié, j'ai passé proche de lui dire de faire ses bagages et d'embarquer. J'ai rencontré aussi Suzanne Bourgeois, elle travaillait elle aussi dans un magasin de linge et pensait retourner aux études peut-être l'an prochain. Je passe sur l'épisode. J'ai rencontré un ancien professeur d'Arts Plastiques aussi chez Zellers, ancien

- 583 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

nement Woolco qui a fait faillite. Elle disait que j'étais pas très, si elle se souvient bien, pas très... elle a pas été capable de dire le mot. Je pensais qu'elle voulait dire que j'étais pas gêné, mais maintenant que j'y pense, elle m'a souvent mis en punition dans le fond de la classe, face au mur. Comme c'est drôle, ça l'a peut-être traumatisé, qui sait? Elle s'en souvenait après 13 ans, c'était quand j'étais en quatrième année justement.

31 décembre 1994

On est allé chez la grand-mère Girard et Tremblay, j'y ai traîné de force Bruno, il s'est lamenté toute la journée. D'ailleur il a chiâlé pendant les cinq jours du voyage. Frustré parce que c'Est stressant de rencontrer la belle-famille. Que voulez-vous, c'est la dernière fois que je traîne les enfants, à l'avenir je vais les laisser à la maison. Chez les Girards ça été émouvant. Chez les Tremblay ça a été conventionnel. Chez les Girard on a parlé de mon père et ma mère, comment tout était beau dans le temps et maintenant le méchant monstre qui est dans le décor, André, qui empêche ma mère d'aller à Alma et qui empêche mes grands-parents d'aller à Jonquière. Alors ils ont idéalisé Roland à un point tel que le gran-père s'est mis à pleurer. Nous racontant comment il avait invité Roland en même temps que ma mère le jour de noël et que malheureusement il n'était pas venu. Et sa joie quand il a été chez ma soeur et qu'il est arrivé. Il lui a sauté au cou et s'est mis à pleurer à chaudes larmes devant tout le monde chez ma soeur. Quand le calvaire des parents assomment les enfant et achèvent les grands-parents, les larmes sont au rendez-vous. Bruno capotait, deux heures à parler des infidélités de mon père, par un mot cependant sur les infidélités de Carol qui sont innoombrables à ce que ma mère m'en a dit le soir même. Elle pleurair aussi lorsque je lui ai dit que le grand-père avait pleuré. Pauvre Bruno, il m'en reparlera dans dix ans. J'ai pas été chez Sonia, les stores étaient fermés et ça tombait bien. J'avais aucune envie de voir son nouveau bébé, on est parti juste à temps pour manquer Carol. Que c'est dommage selon mon grand-père. Too bad, We have to see the other ones, la grand-ma Tremblay. Elle, malgré le deuil, elle était souriante et radieuse. Que le deuil vous va bien grand-ma que je lui ai dit. Ben non, le mort est enterré, il est trop tard pour les condoléances. On en a pas parlé du mort, il n'a jamais vécu le mort. Il est allé rejoindre sa première femme au cimetière le

- 584 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

deuxième mort. La délivrance, le cimetière, qu'on est dit. Délivrance pour les vivants à tous les points de vue. Les vivants qui en ont assez de souffrir à cause du mort-vivant, et les vivants qui en ont assez de la vie. Avez-vous tout compris? Je veux dire des autant pour le mort que ses proches.

On y a rencontré Mario et Édith, ils voulaient me voir. Good, mais je les ai vus et on a parlé de banalités. Est-ce que c'est ce qu'ils désirent? Me voir pour parler de banalités? À moins que mes études à Paris les passionnent au plus haut point? Il y avait Guylaine aussi, celle qui a travaillé sur le bras canadien avec son mari si je ne m'abuse. Paraît que Michel (Tremblay, mon oncle, pas l'imposteur) est à Ottawa, il travaille dans les laboratoires de l'Ontario, des projets de Spar qui ont été donnés et compilés pour le Québec alors que les laboratoires sont insuffisants pour que ça se fasse à Montréal. J'aimerais que l'on me dise vraiment quels sont les vrais transferts aux provinces dans ces conditions en ce qui concerne la recherche. Mais enfin bon, Claude était là aussi, le gay de la famille. Un moment donné il s'est approché de moi et s'est mis à me masser le cou. C'est la première fois que l'on me massait et que ça marchait, ça m'a fait du bien. Mais ce geste n'était pas vain. Il signifiait qu'il comprenait que moi et Bruno on était ensemble, il me signifiait également qu'il était gay lui aussi et qu'il faudrait qu'on en parle un jour. Mario faisait de la convertsation phatique pendant que Claude me massait le cou. Ça été pas mal bizarre ça. Bruno était jaloux en plus, c'est ce qu'il m'a dit ensuite. J'ai d'ailleurs passé proche de le dire, qu'il lui faudrait faire ça à Bruno, c'est lui qui aime ça le plus. C'est d'ailleurs ce qu'on faisaitentre 1994 et 1995, je massais Bruno, on a fait l'amour deux fois. Quoi de mieux pour commencerr la nouvelle année? On en a manqué le Bye Bye par exemple, et ça c'était pas pour me mettre de bonne humeur. Bruno est étranger à tout ce qui est québécois, ça lui passe cent pieds au-dessus de la tête et ça me met en christ parce qu'il a la prétention de m'en montrer sur le français et qu'il arrête pas de me corriger mes québécismes. Tabarnack! Il existe des grammaires québécoises tu sais, on peut parler comme on veut hostie! Bref, c'est le lendemain que j'ai pu écouter le Bye Bye chez mon poupa.

1er janvier 1995

- 585 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Le début du Bye Bye 94 était bien choisi. Coïncidence, on a repris l'histoire d'Astérix, juste pour vous montrer que je suis pas plus bébéiste qu'il le faut, comme mon père dirait. En tout cas, si je fait du bébéisme, je suis pas le seul, aussi bien en être fier. De toute façon c'est un éclair de génie qu'à eux Stéphane Laporte en inaugurant avec cela. Ça commençait avec une carte exactement comme au début de chaque livre d'Astérix, ça disait que l'on était en 1994 après Jésus Christ et que toute l'Amérique était occupée par les Anglais. Toute? Non, une petite province peuplée d'irréductibles Français résiste encore à l'envahisseur. Ils sont entourés de quatre camps fortifiés anglais, Ontarium, États-Unium, New-Brunswickium et Labradorium. Ils ont une potion magique, de la poutine, qui les rends distincts. Leur passe-temps: faire des référendums. Et là on voyait Jacques Parisix, le chef, arriver sur son bouclier et puis la femme du chef qui veut prendre sa place sur le bouclier. Puis arrive César Chrétienus, etc. Voilà, j'ai plus de batteries, il faut que j'arrête, d'ailleurs on est à Montréal.

4 janvier 1995

Life sucks! I'm depress. Le beau p'tit gars de l'aut' jour, Steve, il me fait chier maintenant. He already have his friends and maybe a boyfriend. I called him for the second time today, he hang out saying he have to make a quickk phone call because he was working tomorrow. Without saying call back later. So I'm not gonna call back, he won't either. Pourquoi m'embrasser s'il voulait rien savoir? I'm so depress, d'autant plus que je suis malade, le microbe que ma soeur m'a donné. Life sucks. Why does the want we want are the only ones that don't want us? Pourquoi les seuls que je veux sont les seuls qui me fuient? I'm not that beautiful I guess, I cannot have anyone that I want. Peter m'a déjà rejeté dans le temps, dans le temps où Bruno m'avait laissé. Christ, des petites pecknos laites comme lui je pourrais en avoir des centaines si je voudrais. Les plus beaux gars de la planète m'ont déjà cruisé, remarquez que je les ai repoussés. Alors peut-être est-ce normal de connaître le rejet finalement. On se fait rejeter sans cesse, il faut continuer. Croire qu'on vaut encore quelque chose. Peut-être suis-je laid finalement. Mon seul avantage est celui d'avoir l'air jeune, or, la jeunesse n'intéresse guère passée une certaine limite. Voudrais-je plaire en jouant le leu du jeune con naïf qui n'a aucune expérience? Voudrais-je plaire en faisant de la musculation pour

- 586 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

voir mes pectoraux grossirent? Puis-je faire confiance à Bruno? Là est la question. C'était tout le pourquoi j'allais vers Steve. Parce que le Bruno je n'ai plus confiance. Encore hier, on a été chez le coiffeur, un tapette qui nous fait croire qu'il l'est pas, Bruno refuse de se faire couper les cheveux par quelqu'un d'autre que lui. Bruno était obsédé par la question, à savoir, est-il gay? Bruno est peut-être à la veille de devenir riche dans la musique, et cela grâce à moi qui lui ai poussé sans cesse dans le dos, et voilà que je le laisserais pour une question de non confiance? Je suis bien content en définitiveque l'histoire de steve soit passée, je suis heureux de pas avoir couché avec. En ce moment c'est trop tricky et Bruno s'en vient habiter à Paris en février ou mars. Et puis ces derniers jours Bruno était très affectueux, ça m'a donné un choc et des regrets. J'ai gagné aux échecs hier, mon intelligence en reprend du poil de la bête.

Bruno et moi on a eu une grosse discussion sur l'infidélité avec ma mère le veille du jour de l'an. Ma mère parle un peu plus qu'avant. Le grand-père, il est non seulement gay, mais tout le monde le savait, surtout sur les chantiers, les gars l'avaient dit à Carol et ma mère. Alors on m'a fait croire que c'était sans fondements alors que c'est tout avec fondements. Mais ça change beaucoup de choses ça. N'est-ce pas héréditaire? J'ai toujours eu l'impression que MAG l'était, mon seul cousin chez les Girard. Or, il vient de perdre sa blonde et c'est lui le responsable. On verra qu'est-ce que l'avenir nous réserve. De toute façon les études le prouve aujourd'hui que l'on ait avec, il y a quelque chose de différent dans le cerveau, ce qui nous rendrait d'ailleurs créatifs. J'm'en fous de ces théories. I am here and it is now, comme dirais Morrissey.

Ma mère m'a raconté aussi ce que l'on étouffe un peu partout, les femmes qui abusent des enfants. Y'a pas que les hommes qui soient des monstres, y'a pas que les frères pour abuser sexuellement les enfants, ma mère a passé sa jeunesse dans des couvents de soeurs et chaque soir c'était le free for all. Des filles qui couchaient ensemble partout, des soeurs qui avaient du sexe avec des jeunes filles, les attitrés choux-choux de soeur Unetelle, et l'abus aussi. Elle se rappelle du nom de chaque soeur, moi je ne connais que les endroits: Black Lake ou Lac Noir, St-Côme de Beauce Lignaire. Je n'en sais pas plus, je me trompe peut-être quant aux noms. C'était sous l'ère Duplessiste ça aussi, mais on peut pas dire, ah, l'ère Duplessiste, c'est normal, et oublier le tout. Ces soeurs aussi sont coupables, on les

- 587 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

enverra pas en prison elles.

C'est décourageant parler avec les adultes. À chaque fois t'en apprends tellement et c'est pourtant tellement peu par rapport à tout ce qui s'est passé. Ainsi mon oncle Carol trompe sa femme depuis longtemps, plusieurs maîtresses, trouvées à même le lieu de travail je suppose. C'est décourageant la vie, ma mère dit que s'il fallait mettre une cloche au cou des hommes et qu'elle sonnerait quand il trompe sa femme, y'a pas beaucoup d'homme dont la cloche n'aurait pas sonnée. Et elle sait elle, elle est dans sa génération, elle vit avec ces gens-là. Ils ont fêté leur cinq ans, elle et André. Cinq ans? Ça fait juste trois ans et demie qu'ils m'ont mis dehors. J'ai appris que Louis avait un chum depuis des années, malgré qu'il soit marié avec quatre filles et un gars. Elle dit qu'il s'est essayé sur ses quatre gendres. Ça me donne rien d'essayer d'être fidèle si je sais que Bruno ne l'est pas. Je souffre pour rien. Je capote et je deviens prêt à tuer. Personne n'est fidèle, la fidélité n'existe pas. C'est ça la vraie épreuve de ce monde, la fidélité. La religion a bien compris, les moyens qu'elle a pris pour y arriver sont cependant trop drastiques et les conséquences désastreuses. Au gré des révolutions, les humains n'accepteront plus de vivre dans un état d'aliénation et de peur en fonction d'une autorité totalitaire. Je sais aussi que les femmes ne sont pas plus saintes et je les comprends. Elles aussi les cloches sonnent à la planche. Et il ne faut pas se leurrer, j'étais chez ma grand-mère Tremblay à observer des tantes qui a première vue semblent pures, laissez-moi rire, aucun couple n'a été épargné de la violence conjugale, peu importe la forme qu'elle peut prendre. En effet, j'ai bien peu d'expériences.

Life sucks. Sucks, sucks, sucks. I'm bored. I had some nightmares last night, unable to sleep at all. I was at La Sorbonne, in my class, seeing that I was in late and I was going to fail. I'm gonna kill myself. The last solution. I'm gonna fail everything, it will be the biggest failure of my life. What a waste, money, time, etc. I'm so sick, I cannot breathe. I am at the fourth level of Pavillon Simard in Ottawa U. The class of mister Lemoine. I'm gonna piouk everywhere. My head! It's going to explode! I think I need bigger problems than the ones I have right now. Just to show me that I can love these little problems in comparaison to what can be real problems. I might be losing my job if I was not in Paris. That wouldn't be a problem. I might be working 50 hours a week if I was not in Paris. That wouldn't be a problem. Steve might have spoke with the boyfriend of Richard that had spoke to Richard who had

- 588 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

spoke to Bruno about Steve. That wil be a real pain in the ass. My parents could be both dying of aids et my sister of Hepatite B, that will be a real problem, I would have to find some money to go back see them. Bruno can have a car accident tonight or told me it's finish between me and him, now he's going out with someone else but want his money back, as soon as possible. That will be some other problems. The plane could be pris en otage en vue d'une explosion-suicide au-dessus de Paris, that could be interesting. My parents will be finally proud of me. On me décorrerait de la légion d'honneur en France. Héros de la patrie pour les erreurs de la France en Algérie. Car c'est ça qui est arrivé voilà deux semaines en Algérie puis en France. La mère de Bruno a vécu l'événement à chaque 15 minutes, bulletins de nouvelles spéciaux de CNN, elle l'a vécu comme si elle y était, là, dans l'avion avec les autres. Ça l'a rendu nerveuse pour trois jours, elle aime ça s'inquiéter. J'ai laissé la cafétière ouverte pendant deux jours quand on est parti pour Jonquière. Bien sûr que non, c'est eux qui en la poussant ont accroché le piton. Voilà que l'on m'accuse d'avoir failli sacrer le feu à la maison. Parce que depuis l'épisode de Bruno dans la cuisine, c'est la panique générale. Les uns accusent les autres de vouloir délibérément sacrer le feu à la maison par tous les moyens. À ce rythme, cette maison passera effectivement au feu. Bon, semblerait qu'il va y avoir un cours bientôt, il me faut d'ailleurs aller rejoindre Bruno qui rencontre Georges au pavillon de musique.

1er janvier 1995

Le matin même une chicane monstrueuse avait éclatée entre ma soeur et son chum à propos du chat. LE pauvre petit minou à ma soeur, Shani The Master. Lui il est maniaque de sa belle maison, il en fait lle ménage 24 heures par jour. Il veut se débarrassser du chat. Je demande au lecteur une minute de silence. [...]

Sur le quai avant de prendre le train, pour la première fois mon père semblait fier de son fils. Il allait dire une phrase, on attendait la phrase, ça allait sortir, le mercure dans son cerveau agissait, il bloquait, on attendait, il allait dire sa phrase, aller! dit-le papa! chante-la ta chanson, n'est pas pire vas-y, chante la ta mélodie... malheureusement la phrase qui est sortie c'est: «Fais un homme de toi». Poupa, je suis pas un homme, mon prof de théâtre,

- 589 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Mme Lafon, l'a déjà dit lorsqu'elle parlait de Michel Tremblèèè, il faut pas avoir peur de ce qu'on dit, «les homosexuels sont des demis-hommes». On changera rien à ça. Et vive les demis hommes! et je vous encule! «Fais un homme de toi.», ça résonne dans ma tête, ça flotte avec l'aluminiun et le mercure. Ne me demandez pas d'interpréter ce qu'il voulait dire, ma définition d'un homme est beaucoup trop large pour le peuple. Ça me rappelle ce que disait Derek l'autre soir chez Richard quand son père a su qu'il n'était qu'un demi. Son père lui a dit: «I just want you to be a man!» On pourrait en faire une chanson à pleurer: «I juuust waanteed yooou to beeee a maaaaaaaaaaaaann!», et tout le monde pleurerait et on ferait reculer la cause des demis-hommes. Derek a répondu à son père ceci: «Sorry, but to put my dick in a count doesn't make me a man!» and he slamed the door, never came back. On pouvait pas mieux répondre. On va faire un peu de philosophie, qu'est-ce que c'est qu'un homme? Que fait un homme, un vrai? Il saute sa blonde, il saute la blonde des autres, il fait du sport and actually can enjoy it, and what else? En fait, c'est plus facile de dire ce qu'un homme n'est pas. Un homme ça fait pas son lit, ça fait pas à manger, ça fait pas le ménage, ça fait pas le lavage, ça s'occupe pas des enfants, ça magasine pas, ça fait pas l'épicerie, ça sort pas au restaurant avec sa femme, ça va pas danser. Par contre un homme ça se bat pour la télécommande de la TV, ça lit son journal, ça recherche du sexe facile. Maintenant que j'y pense, je suis un homme. À moins que mes idées sur ce qu'est un homme et un demi ne soient biaisées ou auraient changées? Today a man in no longer a man in the traditionnal manner. C'est pourquoi on nous a ramené le terme d'homme rose. N'est-ce pas une erreur d'inventer un autre mot alors que c'est le concept du mot qui a changé? Un homme n'est plus la chose forte, comme dirait Denise Bombardier, celui qui fait la besogne heavy duty de la ferme et des bois. Non, l'homme est maintenant l'égal de la femme et des demis-hommes. Il fait le ménage, change les couches, fait la vaisselle et la femme passe la tondeuse et gratte la neige dans la cour. L'homme n'est-il plus homme pour autant, qu'il faille l'appeler homme rose? La connotation de ce mot fait déjà frémir la vieille génération, m^me moi je voudrais pas qu'on m'appose un tel titre. Comme si les femms avaient voulu se venger de l'histoire en faisait accepter aux hommes une telle appellation. Je dirais même qu'elles ont réussi, on en finit plus de rencontrer ces hommes fiers de dire qu'ils sont des hommes roses. Pour éviter le terme qui permet trop le blocage psychologique de certains hommes qui pour

- 590 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

rait davantage reculer devant le ménage de peur que le traumatisme de jeunesse remonte et qu'on l'appelle homme-rose ou demi, je propose de dire l'homme d'aujourd'hui ou l'homme de la nouvelle génération. Ou plutôt je laisse la porte ouverte à une autre appellaqtion puisqu'il faut absolument différencier l'homme de l'ancienne génération qui foutait rien de l'homme de la nouvelle génération qui fait tout. Mais pas d'hommes rose, ça fait reculer les endurcis.

Je suis avec Bruno et George, ils pratiquent les chansons de Brunsy, c'est très avancé. Ils sont prêts à enregistrer. Bruno semble avoir travaillé fort sans que je m'en rende compte. Ou bien c'est qu'avec le temps ça a fini par porter fruit. Je suis tout bouché des sinus. Perdre la santé, ce serait-là un vrai problème. Mourir du Sida, une solution. Je suis allé voir mon docteur, Mme Brisson-Sasseville. Ma docteure voulait savoir si Bruno allait me suivre à Paris, c'est touchant quand ta doctrice te connaît plus que ta mère. It's a part of the revolution, the sexual one. Worried of me getting the HIV? That's why ma docteuse wanted to know about Bruno. She's a good doctor. L'article de la soeur C, of Charity, avait été découpé et placé sur le mur à l'entrée.

5 janvier 1995

Jean-Guy Couture, évêque de Chicoutimi, nous faisais son speech moraliste annuel dans le Progrès-Dimanche du 1er Janvier. Une belle ode au merveilleux best-sellers de tous les temps que Jean-Paul a décidé de nous pondre avant de crever. Le pire c'est que, qu'il crève ou non ça change rien. Il s'agit du seul gouvernement où peu importe qui le dirige, ses lois et politiques ne changent guère. Or, son livre papal a été tiré à vingt millions d'exemplaires en vingt langues différentes. Selon Jean-Guy, il en faudrait cinquante fois plus, c'est-à-dire un milliard de copie du dernier torchon du pape. Existe-t-il seulement un milliard de chrétiens sur la planète? Et que voudrait-il qu'on en fasse de son milliard de copies? Qu'on se torche avec? Alors il en faudrait deux milliards de copies parce qu'il y en a justement deux milliards sur la planète qui n'ont pas de papier de toilette. Jean-Guy parle de l'immense besoin d'espérance des hommes et des femmes. Il faut bien plus que de l'espérance pour pour contenter les hommes et régler leurs problèmes. Espérer c'est s'illusionner, ça

- 591 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

désespère et puis ça tue. On veut du concret et tout de suite! Un Américain sur cinq crève de faim dans le Journal de Montréal du 28 décembre 1994: «Un Américain sur cinq a recours aux programmes d'aide alimentaire du gouvernement, des milliers de personnes âgées sont sous-alimentées. «Des millions d'Américains ont faim».» Qu'a donc fait Jean-Guy pour leur venir en aide aujourd'hui, puisqu'il est en pouvoir et que les décisions ne viendront que de lui? On le voit photographié dans son bel habit, à côté d'une superbe crèche couronnée d'un sapin de Noël. Il parle. Il dit que c'est au niveau du coeur et de la volonté qu'il faut fonder les assises de la justice et de la paix. Mais surtout, il vante Jean-Paul et sert remarquablement bien d'agent publicitaire pour promouvoir la vente de l'escroquerie du siècle. C'est pas avec des mots qu'on réussit au «changement d'attitude nécessaire» à la paix dans le monde, bien au contraire. Chaque mot du pape soulève la colère et la haine du 4/5 ou plus de la planète qui n'est pas chrétien. Ça me fait penser aux Anglais qui chantaient: «Do they know it's Christmas» en parlant d'Africains en train de crever de faim qui sont tout sauf chrétiens et qu'ils n'en ont rien à foutre du Christ. «L'être humain est sorti de l'amour de Dieu et il est fait pour aimer et être aimé. C'est la base incontournable pour bâtir un monde meilleur.» Alors il faudrait commencer par accepter que je suis fait pour que Bruno m'aime, que moi je l'aime, et il faudrait que le pape m'aime même si moi et Bruno on s'aime. «L'amour qui est respect de l'autre, de sa différence, de sa dignité, et qui engendre la paix. Dans son message pour le premier jour de l'année qui commence, Jean-Paul II lance encore un appel ardent en faveur de la paix.» Pourtant il a reconfirmé sa déclaration de guerre contre les gays, on peut le lire dans chaque journal n'importe où en Occident, on peut l'entendre dans chaque discours de religieux. Et pourtant, il a même réitérer sa déclaration de guerre contre les femmes qui doivent demeurer l'esclave de leur mari et ne pas aspirer aux ordres. «Il veut apporter une lueur d'espérance [encore?] dans un monde si troublé par les lueurs du pouvoir.» Jean-Guy devrait s'ouvir les yeux et suivre un cours de politique. Ignore-t-il que le Vatican est à la tête de ces luttes du pouvoir? «On revient donc à la même et à la seule source du bonheur: l'Amour. Que la nouvelle année nous ramène à cette source!» Combien de vieux et de vielles vont s'enfler la tête en entendant un si beau discours, puis sortiront de la maison pour mépriser le premier venu? Quand je vous dis que les beaux discours ne changent pas le monde et n'engendrent que les guerres. Bravo Jean-Paul, vingt millions d'exemplaires, je ne

- 592 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

crois pas que je puisse rivaliser avec toi. Si j'imprime vingt copies de l'Underground, je serai déjà surpris. Mais je ne m'avoue pas vaincu pour autant. Je ne gagnerai pas la guerre, mais je marquerai des points.

«Au Canada il fait bon...» Cet article du Journal de Montréal me fait vomir parce que tout ça c'est de la manipulation. «Toronto (PC) - Neuf Canadiens sur dix [90%] considèrent que le Canada est l'endroit au monde où il fait le mieux vivre, une opinion que partagent 83 pour cent des Québécois.» Ne savierz-vous pas que sous Staline on avait tant bousté les Russes qu'ils croyaient que leur pays était celui où il faisait le plus bon vivre alors que c'était le pays où il faisait le pire vivre? Allez revoir Retour à mon Voyage d'U.R.S.S. de Gide. J'ai l'impression que les Canadiens sont en train de se déevelopper un complexe qui pourrait bien s'avérer vain. C'est la petite étude annuelle de l'O.N.U. qui a convaincu tout le monde, quand on sait ce que ça vaut et quels sont leurs critères d'analyse. Ils disent qu'au Canada il fait bon vivre, et touyyt le monde répète ça parce que Mulroney et Chrétien ont pas cessé de de s'en servir dans leur campagne électorale, à nous le répéter depuis dix ans, ça finit par rentrer. Quelle ironie qu'en ce moment l'économie va s'effondrer à cause des dettes. De toute façon, croyez-vous que 90% des Canadiens aient effectivement quitté le Canada et fait suffisamment de destinations pour répondre à une telle question? Mais les gens croient tout ce qu'on leur dit sans se poser de question. «L'enquête souligne que 77 pour cent des Canadiens croient que trop de politiciens ne sont intéressés que par l'appât du gain.» Mais ne vont rien faire pour changer ça et vont quand même aller voter pour les plus pervers d'entre-eux. Les réponses aux questions de ces sondages sont pratiquement suggérées.

Il me faut parler d'une bigotte de politicienne pourrie de l'Ontario qui avait crié plus fort que tout le monde lors de l'histoire des valeurs traditionnelles familiales et tout. Eh bien on a appris qu'elle est divorcée et accotée avec un autre et que sa fille de 15 ans vient de tomber enceinte et ça a fait un scandale. Parions qu'ils pensent à l'avortement. Eh bien, vous savez ce qu'elle a dit pour sa défense? «At least my daughter is not a lesbian.» Je propose qu'elle résigne son siège de députée. Obviously she failed as a good mother in the traditionnals terms. Rien ne peux me faire plus plaisir que des gens qui dénoncent des choses et que tout à coup tout leur tombe sur la tête pour leur prouver combien c'est le temps

- 593 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

qu'il vienne enfin au monde. Car je ne sais pas dans quel univers elle croyait vivre cette femme pour venir me dire que je suis un immoral et que je ne mérite aucun droit.

6 janvier 1995

Aujourd'hui je me sens coupable de vivre. Je me sens coupable d'écrire, d'avoir écrit, d'en avoir fait en tout temps ma priorité. Je me sens coupable d'avoir parti pour la France avec l'argent des autres, coupable d'avoir tant emprunté à la banque pour les études, l'ordinateur, l'imprimante. D'avoir emprunté à Bruno 5000$ que je suis incapable de repayer. D'avoir eu 600$ de mon père alors que je n'ai été le voir qu'un soir sur mes trois soirs à Jonquière. Je me sens coupable d'avoir rien lu encore pour ma maîtrise ou mes quatre cours à la Sorbonne. Coupable d'avoir distribuer mes manuscrits chez tous les éditeurs de Paris alors que même la publication ne pourra pas me sortir de mes dettes et de mes problèmes. Coupable au niveau de tous mes amis que j'ai perdus, de l'emploi que j'ai quitté, du Saguenay où j'aurais dû rester, d'avoir traîner Bruno de force à Jonquière, d'avoir trompé Bruno et encore essayé dernièrement. Coupable d'être gay, d'être entouré de gens qui m'aiment et que je suis incapable de contenter ou d'aimer à leur juste valeur. Coupable de ne rendre justice ni à moi ni à personne en tentant de publier ce journal. En un mot, je me sens coupable de vivre. Les parents de Bruno disent que c'est foutu pour moi la Sorbonne. C'est encourgeant. Bruno me reproche sans cesse d'exister. Il est toujours de mauvaise humeur, je viens de sortir de ma grippe et là il vient de l'attrapper, alors il se lamente plus que jamais. Coupable d'avoir une facture de téléphone de 552$ qui s'ajoute aux 300$ que j'ai payé en France. Existe-t-il une limite à ce qu'un humain peut faire pour s'enfoncer dans un trou? Et je ne pense guère au suicide, Paris m'a enlevé cette idée, et je comprends maintenant que ce serait vain et que ce ne ferait que rendre coupable mes parents et la famille de Bruno pour le reste de leurs jours. Et toute ma vie aurait été vaine. Encore une vie de perdue, misérable ver de terre qui n'a pas su trouver sa voie qui pourtant était là tout indiquée dans le ciel. J'aurais dû me faire prêtre et déblatérer des niaiseries à chaque dimanche. J'aurais au moins pu mettre les pendules à l'heure dans mon comté. J'aurais fait le bien et cela aurait donné un sens à ma vie. En ce moment je ne fais que le mal, et cela donne un sens à ma vie. Voyez

- 594 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

combien le tout est relatif. Je déraille complètement. Pourquoi pas me faire pape, je vendrais vingt millions d'exemplaires d'une pseudo-morale, aujourd'hui. De l'argent que je n'aurais même pas besoin. Je l'investirais pour montrer que je fais le bien alors que je fais le mal. Le pape n'est pas bien, il est mal. Un prêtre n'est pas bien, il est mal. Ils font souffrir beaucoup de gens. Souffrir ne peut pas être bien. La vie ne peut pas être bien. Elle est autre chose.

10 janvier 1995

Demain le départ. Je suis heureux d'aller retrouver le parc Montsouris, les rues de Paris, les jardins du Luxembourg, la Sorbonne, les baguettes et le fromage, mais je suis effrayé à l'idée de retomber dans la sale routine des études. Pire, aujourd'hui je regardais tous les papiers de formalités, mes notes de cours, toute la bureaucratie qui m'attend encore une fois que je serais là. Je brûle à l'idée de lire les lettres des éditeurs, mais pas de recommencer à aller chercher les manuscrits et les distribuer partout. Bref, repartir est un calvaire. Je suis vraiment aux limites de ma bibliographie et de mon mémoire court. Je suis aux limites d'être obligé d'aller voir M. Autrand pour lui dire où j'en suis dans mes recherches. Je suis en retard dans tous mes cours et personne ne voudra me donner ses notes. Je n'ai absolument ouvert aucun livre, je sens que je vais payer cette irresponsabilité. Et je ne peux pas ne pas réussir, on dirait que tout le monde ici est au courant, on sait que je suis à la Sorbonne, on s'imagine donc que j'ai déjà le diplôme. L'échec serait trop grand. J'ai rencontré une fille qui n'est même plus aux études et qui me demandait pourquoi je n'étais plus à Paris. Tout le département à l'Université d'Ottawa est donc au courant. Ma vengeance est donc acquise en rapport au fait qu'ils m'ont refusé en maîtrise sous prétexte que j'étais trop poche. Maintenant ça devrait rien changer que je faillisse? Au contraire, ils ont dû parier que j'allais tout abandonner. Évidemment, au rendement que j'avais, ils savent bien qu'on peut pas réussir à la Sorbonne dans ces conditions. And the worse is that I have absolutely no motivation at all. Tomorrow Paris, and so what?

11 janvier 1995

- 595 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Je ne cesse de faire des soupirs, je suis dans l'autobus qui m'emmène à l'aéroport, je ne veux plus partir. Paris c'est beau, mais pour ce que je m'en vais y faire, j'aime mieux rester ici. Être encore séparé en plus de Bruno, quel enfer. J'ai acheté des écouteurs Digital, 12,99$. 15,10$ avec la taxe. Résultat, ils ne fonctionne pas. Un son de casserole tellement pourri que j'ai ressorti mes Sony même s'il faut que je tienne le fil. Ça me fait penser à la Hynday que ma mère a acheté dans le temps. C'est quand même cher à cause des taxes, mais ça reste moins cher que les autres autos. Alors elle l'a acheté, un vrai citron. Les gens qui sont cheaps ne comprennent pas que ça leur coûte plus cher à long-terme. Il va falloir que je rachète des Sony à prix d'or en France, car ils coûtent le double qu'en Amérique. Le dollar canadien a encore baissé aux dernières nouvelles, peut-être coûteront-elles le triple? Il est impossible d'acheter une Ford à 15 000$ qui va durer trois ans avant de coûter une fortune en réparation quand on peut acheter une Volvo à 30 000$ quand on sait que la voiture va durer vingt ans sans trop coûter de réparation. Si j'avais écouté mon père j'aurais acheté un ordinateur non portatif parce que j'étais trop pauvre et que ça coûtait 600$ de moins. Résultat? Moi je voyage, je voulais un ordinateur portatif, et en plus la France s'en venait. Il m'aurait fallu le revendre à moitié prix ou le garder parce que ce sont des choses qui perdent le trois quart de leur valeur en trois ans, comme les voitures cheap d'ailleurs, et il m'aurait fallu racheter un lap-tot. J'aurais perdu entre 2700$ pour le premier ordinateur plus 3000$ pour le nouveau. Le double. C'est comme l'imprimante, si j'avais acheté celle que tout le monde achète en ce moment, semi-lazer, 300 dpi et 3 pages par minutes, ça aurait tout de même coûté cher et j'aurais quand même été obligé de payer pour des photocopies et j'aurais pas été satisfait, j'aurais payé pour de `imprimage au lazer ailleurs enc e qui concerne mes livres et j'aurais fini par acheter la grosse Hewlett-Packard de malade. Autre exemple. L'acheteur d'une maison usagée ne verra que le prix qu'il va tenter de bargaingner. Mais une maison à 150 000$ vaut en réalité 250 000$ car il faut refaire le toit, les fondations où l'eau s'accumule, changer la fournaise, les lampes, les fenêtres et leur cadre, changer les portes, les tuyaux qui gèlent, la famille d'écureuil qui vit dans le toit, les tapis à la mode des années 70, un mur de trop qui nous empêche de respirer, etc. Ça semble absurde? Dans la dernière année John a dû payer pour tout ce que je viens d'énumérer moins les tapis qu'il n'a pas

- 596 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

encore fait sauter et les murs de trop qui fait qu'on respire pas. Partout, tout le temps, ne pas payer implique repayer plus tard et des coûts plus qu'exhorbitants. Je fais le serment de toujours acheter ce qu'il y aura de mieux et je suis convaincu de toujours économiser à long-terme. Sauf si j'habite en France, naturellement, il faut être malade pour acheter tout le contenu d'une maison en France, ça coûterait moins cher de sortir du pays, acheter ailleurs, faire déménager le stock par bateau. As long as the government doesn't ask money for doing that. But it does actually.

Je survole Londres à l'heure actuelle, heure que j'ignore complètement. Tout ce que je sais c'est qu'il fait encore noir, qu'on arrive dans une heure et qu'il fait a black night and I'm wondering how come the day doesn't show up. We arrive in thirty minutes, he just said. Well, I was proud to recognize The London Bridge from the sky, so I told the girl beside me, I shouldn't had done that. More than 30 persons suddenly looked through the windows, like if I had discover something incredible: look, here is London, wouah! I feel stupid. Moreover, I don't want to cause too much problem, but I paid a long distance to Montreal to reconfirm that I was vegetarian, I was not on their list of vegetables on board. The woman, like usally on Air Canada wanted to kill me and didn't care at all. Je comptais enfin manger au déjeuner, des fruits en salade dont je suis à moitié allergique and une miniature slice of banana bread full of nuts, I'm allergic to nuts too. En sortant d'icitte j'vas m'payer une baguette et un fromage Coulommiers 60% fat with butter and I'll use the peanut butter big pot I brought with me cos they don't know peanut butter yet in France. I'll put some cassonade and some real good old american mustard and throw away the explosive mustard of Dijon. J'ai aussi a bunch of little bags of dill, cette épice est pas encore arrivée à Paris. I don't even know the french name of it. Je sens le Christ en décomposition, j'ai quatre gilets sur le dos, ça, pour faire de la place dans mes sacs. Heureusement qu'il y a une limite au nombre de bagages qu'on peut apporter. I'm still wondering how I'm gonna bring all my stuff home. (I bought 5000 sheets before I came). My home, sweet sweet home, 14ième arrondissement. Because my home is not at my father's place, the two rooms in their house where I never lived are for mes demis frère et soeur et leur amour de leur vie. At my mother's place the first room is for the old man pensionnaire and the second for my demie soeur et son chum. At my sister's place, I wonder even if my sister feel at home because la belle famille s'en mêle trop. And at

- 597 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Bruno's place, it was about time for me to leave. My room downstair is now to Angela who came back one wweek after my departure. Even à John's place, John took my room, his is now for Neil, his boyfriend who pass lot's of time there. So, at least, I'm happy to be back home in Paris. On arrive, comment dit-on atterrir en anglais, we are crashing? Where are now at Charles de Gaulle airport, there is no snow, can't understand that, it's too complex for my poor little brain.

I'm now in the RER, it was quitte hard to arrive here, but the worse is to go from the station Cité universitaire to the canadian house. I hope I'll have interesting mail, it's my only motivation right now. I am not happy, I am not sad. J'ai tout manqué mes cours, de cette semaine et de la semaine passée. There was no plane until wednesday and I arrive in Paris thursday. But, does someone can tell me why every plane I take are semi-fulland they tried to tell me I cannot go on monday? Sometimes it's better to be on Stand by, you're sure to go, whenever you want. And why does plane's tickets have to be so expensive? Why government stop companies from giving more services, more flights? Don' tell me it's because it will have too much traffic in the air. It's not like if the world was too small, as I know tue surpopulation don't grow in the air, even if we have to built higher building to survive.

When we were in the Montreal Underground, me and Brune met that woman that was telling us she write scénarios. She said she wrote four children programs «Le Traboulineur». I know this program, not too bad, but ils prennent encore les enfants pour des crétins, que voulez-vous. She told me that CBC was quite unfair and rotten. They give peanuts and they told her that some other people will now write, for cheaper, the next episodes. She's working in a store, of course she's not living from that, she sounds desesperate and reminds me what happen to the greatest dramaturge of Quebec before Tremblay, Marcel Dubé. They did some kind of campaign to give him some money. He was starving. Poor little boy, I can understand him. But c'est vraiment inquiétant pour mon avenir.

January, Friday the thirteenth, 1995

It's 3 am, might be 10 pm, I have never so fuck up with the décalage horaire, I cannot say if we're 13, 12 or 11, I just hope we're not 14 january. I have just called Ed in New York,

- 598 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

he makes a bad joke, like he was in Paris for the new year while I was in Canada. I feel bad, cannot know why. I want to go anywhere on vacation, but not Paris. I feel like I have no more choice, but to all these things I don't feel like doing. It was not the right year. I have just slept about more than 15 hours, Ed has a roomate in his appartment. He's stay quiet now, no boyfriend, not going in bars, he got too many sickness. Crabs, and the rest I don't want to know. I invite him in Paris, no money. It might be good that way. I was thinking in the plane, I guess I'll stay quiet too. Sign of stability for the next years, even if Bruno sleep with someone else, at least he won't leave me because my folies. I've read all the letters I had, never had so much mail in my life. Of course, ten letters of publishers, all negative. Welcome back in the real world. I'll stop trying to publish my books, no more time, I'm convince it won't work. I got this critique of the CEAD from Montreal, of course the guy wrote me this letter, five pages, and I'm unable to change anything from what he's saying about La Légende de Val-Jalbert. He just didn't understand what seems clear to me. Of what he's telling me about Antoine, this is very constructive. He's completely right, I'll have to write that again this summer maybe or even farther than that. L'Underground before. Mario wrote me, send me the new version of le Correcteur 101 and I'm very happy. Faster than ever, it is suppose to correct all the mistakes I'm gonna do on my mémoire. At the Sorbonne we don't laugh anymore, it is impossible to have one mistake in any paper I'm giving. Ély send me a letter from Saint-Remy, she's very nice. Hope she'll come to Paris soon, her boyfriend's comin' in february, her beautiful little spanish boyfriend Fabien. I got a letter from Roma, Italia, Franck was on vacation, he wanted to give me a guilt trip because I was not studying. From Ottawa, Bowdens Information Services was nice to send me a Christmas card telling a story from North Pole about a labour dispute between Santa and his elves that has been resolved. They accepted un gel salarial en échange d'in igloo fiscal. C'est-tu écoeurant tu penses? Thereofore, the presents wiil be delivered according to the December 25th deadline. In Jonquière I've received a letter from a Sylvain in Trois-Rivières. My mom took good care the relationship between me and Bruno, she said she hide the letter to be sure Bruno won't see it just in case Sylvain was un amour de passage. Of course he was not, the letter was from Lynda Vincent de la rue Sylvain à Trois-Rivières. She finally told me the last month we pass together in Jonquière was incredible for her. She wrote me a letter of nostalgia. You can be in Jonquière

- 599 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

and not knowing what to do or see, then you'll find that boring. That's why her last month with me was something memorable. I rember, it was very romantic but she had a boyfriend and I was gay. I guess she noticed, cos she was talking about that all the time, her uncle was openly gay in her family. I'm gonna write her and tell her the truth. But most interesting letter I received in Paris is the one from my french teacher of Ottawa U., Pierre-Louis. A letter sent from Cape Cod, United States of America. Now to my collection of letters of the world, it miss Michel Tremblay from Key West and Wang Ynan from Beijing, China. Here's the letter from Pierre-Louis, I'll need some help to decript the symbolism of this letter. He seems to tell me a lot, if only I could understand. The letter I sent him was quite ambiguë too. But I guess he understand the ambiguity, that's why his letter is so ambiguous:

Nantucket(?), le 20 décembre 1994

Bonjour Roland-Michel,

Je me réjouis de te savoir à Paris, assoiffé d'idées, affamé de livres. C'est une ville qui peut offrir beaucoup. Profites-en comme les écureuils que tu aimes. Ramasse et engrange: cacahuètes, arachides, glands de chêne [c'est l'illumination ça et c'est extravagant. Ça implique qu'il a compris que le chène sur l'île c'est mon chum, je n'avais même pas pensé au fait que les chênes avaient des glands], pistaches... Ou va sur le quai de la Mégisserie [il me faut vite me renseigner sur ce quai, as I suppose it must be some gay place]; tu y trouveras d'autres poissons pour ton vivier [comme si je couchais avec tout le monde]. À Paris, éloigne-toi des ruelles latérales, trop obscures. Descends plutôt les Champs (Élysées), lumineux comme la ville [what does that mean? Il n'a pas lu mes Champs verts, j'en parle un peu dans la Révolution, mais il avait le titre de mes livres dans la bibliographie, il a donc supposé ce que représentaient les champs à mes yeux. On dirait une mise en garde contre le sida ou autres maladies bizarres].

Je ne manquerai pas de te faire signe si je passe par Paris au printemps, ce qui est possible. [Mais tous ces professeurs vennent-ils en France à chaque année, plusieurs fois par année? À les entendre ils vont tous venir me voir, je ne suis donc pas au bout du monde,

- 600 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

je suis juste à Paris. Là où on remarque ceux qui sont enfin sortis de leur trou, et l'on m'estimerait soudainement pour cela. J'aimerais bien en être au moment où Pierre ou Dominique sera ici, voir ce qu'ils auront à me dire.]

Merci de l'envoi et des nouvelles. Porte-toi bien.

Cordialement, Pierre-Louis Vaillancourt

Well, this was my mail. I feel like reading the Revolution. C'est moi qui ai franchi les barrières redoutées, non sans aide, c'est moi qui ai révolutionné la vie en instaurant le bonheur! Je préside pourtant à la création du monde, j'actionnerai les êtres, provoquerai les séismes, déchaînerai les volcans, les eaux, les terres d'animaux à ma merci que je mangeais lors de réception de perdition. Il m'a fallu me débarrasser de gens qui gênaient la bonne marche de mes affaires, j'ai usé de choses illégales, j'ai même encouragé ces choses jugées immorales. La tentation est simple à provoquer, il suffit de se trouver au bon endroit, au bon moment. N'oublie pas que l'on te transmet un savoir à la seule conidtion que tu le surpasses. Mais se surpasser ne suffit point, il faut s'enfermer dans ses images, y croire fermement, bâtir un courant, immortaliser le désir, autrement l'essence de cette erreur demeure ambiguë. L'égocentrisme en est la source, l'impossibilité de bâtir si l'on ne s'attarde qu'aux autres. Il le faut cependant, et rien qui n'ait rien à dire mérite d'être entendu, ni même ceux qui disent. Comme de ces souvenirs qui aliènent, qui déversent dans le ciel ces cris. Si le désespoir alimente l'humanité, ou le mensonge, que vaut n'importe lequel système dont il n'en faut point connaître les rouages, si l'on désire un quelconque résultat.

On se croirait en plein symbolisme aussi. Ce qui est plate c'est ça dit tellement pour moi ces lignes et ça dit tellement rien aux autres, surtout quand c'est éparpillé en un livre de 170 pages. Et je n'ai en encore rencontré personne qui ait lu les 170 pages en entier, pas même la moitié. Surtout pas un comité de lecture d'un éditeur.

Ma mère m'a offert le plus beau cadeau de Noël possible, son journal de 1974 lorsqu'elle est partie pour Paris rejoindre mon poupa qui faisait sa maîtrise à la Sorbonne. Amazing hein, je suis les traces des mes parents à vingt ans d'intervalle. I was two years old at the time, me and my sister were staying at our grand-parents Girard's home in Desbiens Beach village around Lac-St-Jean. My mom begins her mémento quotidien on the 11 novembre

- 601 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

1974, a monday:

11 novembre 1994

Nous partons à 9 et 45 minutes de Montréal, et nous sommes arrivés vers 4 hr du matin à Paris. Dans l'avion c'est très plaisant [et moi qui trouve que c'est un vrai calvaire] on nous occupe tout le temps [je comprends, eux ils n'avaient pas la télévision intégrée à bord, mais ils ne manquaient pas grand-chose, encore une fois le film a été pour l'année internationale de la famille alors qu'il y a presque aucun enfant à bord et qu'ils dorment tous. Bref, on nous a présenté Getting even with dad, avec le flot con que Michael Jackkson lorgnait ces dernières années après qu'il eut tourné dans Home alone]. Au début on nous montre comment se servir de notre parachute et sac à osygène [aujourd'hui la sécurité s'est désamélioré, on a pas de parachute. On a plus besoin parce qu'avec les nouveaux avionsà réactions, un bris quelconque ne pardonne pas et on est sûr d'exploser en plein vol ou d'exploser lors de l'écrasement. En ce qui concerne les gilets de sauvetage, pour rassurer les passagers qu'il y a peut-être une façon de s'en sortir vivant, on nous passe ça à l'écran et on est libre de plus le regarder. Ainsi tout le monde est content. Pas besoin de nous montrer comment se servir des portes de secours si on est certain d'exploser en touchant l'eau.] Ensuite elle nous offre des journaux après on mange gratuitement. [Esti, elle est naïve ou quoi? À 700 dollars le billet, le repas pourri qu'ils nous donnent est loin d'être gratuit, tu le payes at least cinquante fois en rapport au profit qu'ils font.] Il y avait sur le menu Canetons à l'orange, cocquetail de crevettes, assiette de légumes, fromage camembert, gâteau, café, de l'eau, c'était très bon. Paraît que la tradition dans les repas dans les avions tend à se perdre et à devenir pire, je n'en doute plus. Ensuite ils nous ont présenté un beau film [!]. La dernière heure, tout le monde dormait presque. Ensuite on nous a servi le petit déjeuner. L'aéroport de Charles de Gaulle est très belle [sic], très moderne, elle ressemble à une soucoupe-volante. [C'est trop drôle! Moi je suis tellement fucké dans ce stupide aéroport, j'ai jamais réussi à savoir où j'étais, à quoi ressemblait l'ensemble de l'aéroport, pas capable de comprendre le plan]. Le coût de Montréal-Paris m'a coûté $350.00 [Ah ben ça, c'est pas cher. Aujourd'hui quand on est pas étudiant, un billet coûte 1200$. Parfois tu as un deal pour

- 602 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

900$, et quand tu es chanceux tu trouves pour 700$].

12 novembre 1974

Mardi. En arrivant à Paris il était 10 et 5 minutes du matin. Nous avons pris l'autobus pour se rendre à l'hôtel l'Écluse. Roland était plus beau que jamais. [Quelle belle histoire d'amour, it's too bad que je connaisse la suite.] Nous nous sommes retrouvés et ensuite nous sommes allés souper au selfe. Je me suis trompé, nous sommes allés dîner car il était 7 hr pour moi, mais 1 hr pour lui. [Aussi fuckée que moi dans le décalage horaire.] On est revenu se coucher. [Et c'est tout ce qu'elle dira de cette merveilleuse nuit d'amour en amoureux à Paris. Comme ç'aurait été beau si c'est là que j'aurais été conceptualisé, en admettant que l'avortement aurait pas suivi. Ben non! il a fallu que je sois conçu dans une nuit routinière de Québec, où mes parents faisaient l'amour tous les jours. Quel romantisme!] Dans la veillé nous nous sommes promenés à place des Champs Élysées, c'est beau et bien plaisant. [Eux n'avaient pas à aller dans les rues latérales obscures de Paris, comme moi. Mais il faut savoir que le Queen est sur les Champs Élysées. Pas besoin des rues latérales obscures pour se pervertir.] Nous avons soupé chez Whampy, les hamburgers sont très bons [bien sûr, on aurait cru que c'était un restaurant chic, mais on est à Paris, dans le pur romantisme d'un couple traditioonnel au sens religieux, alors les hamburgers étaient bons.]

13 novembre 1974

Mercredi. Roland est allé travailler et j'ai dormi une partie de l'avant-midi. [Paraît que mon père a bâti les plans d'un barrage hydro-électrique dans la banlieue de Paris, on m'avait jamais dit ça.] Je me suis levée à 12 1/2 hrs et à 1 hr je suis allé dînerau selve. Après j'ai décidé d'aller magasiner. [Comme toutes les femmes de la planète, elle va magasiner.] Je me suis fait accrocher par trois hommes. [Comme toutes les femmes de la planète, elle se fait cruiser dans Paris.] Les deux premiers je ne leur ai pas répondu et ils se sont en allé. Le troisième il a marché tout le temps avec moi et je n'ai pas réussi à m'en débarrasser. Finale

- 603 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

ment il m'a fait conaître tous les magasins de Paris. [Comme toutes les femmes de la planète, elle s'est laissée séduire.] Il est arrivé dans un magasin où la vieille dame le connaissait, il [elle?] n'a dit que du bien de lui. Je lui disant à la madame que j'en avais peur. Elle m'a dit n'ayez pas peur, il fait souvent visiter les touristes et je connais sa soeur, sa mère et sa famille. [Et voilà, il fait souvent visiter Paris aux femmes? Il faut donc pas en avoir peur, il leur veut du bien, et même sexuellement. Une femme connaît sa famille? Nous voilà de plus en plus rassuré, on le connaît maintenant, on sait qu'il a une famille.] Il est jusque venu me coucher [Argh! non, non, il est pas venu la coucher, c'est que le mot coucher se retrouve sur la page à côté et je croyais que c'était la suite de la phrase], reconduire jusqu'à l'hôtel, je n'avais pas le choix. Bien sûr que non, une faible c'est si faible et ça a si peur. Ça me fait penser à cette femme musclé que j'ai vue dans une revue. Elle était si musclé que les gens la prenait pour un homme et on se demandait où était la frontière entre ce qu'une femme doit être et ne pas être. Si toutes les femmes faisaient le moindrement d'exercice physique et des poids et haltères, elles seraient aussi fortes que les hommes et la différence entre les deux sexes, et surtout les préjugés qui entrent en ligne de compte, changeraient du tout au tout. On a voulu une femme frêle et faible, on la voulait mère de ses enfantst et bonne à tout faire. Alors elles sont devenues bien grasses et bien malheureuses (c'est des blagues).] Je suis arrivé à mon hôtel à trois heures [et elle a eu le temps de visité tous les magasins de Paris]. Lorsque Roland est arrivé, on est allé magasiner [encore?] à Samaritaine, des petites boutiques, et j'ai acheté mon menteau de peau de mouton chez C. & A. 540 F, ce qui veut dire 108$ [le dollar valait cinq francs]. Ensuite nous sommes revenus voir Exorcisme au cinéma «Caravelle au Welpler» [Quelle idée, l'Exorcisme à Paris] sur le boulevard de Cliché [sic]. Ensuite on est venu se coucher [et c'est tout ce qu'on saura de cette autre nuit amoureuse]

13 février 1994, well sorry, 14 janvier 1995

I'm on alcohol and I feel depress. I'll write to Bruno.

Paris, le 14 janvier 1995

- 604 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Hello Brunsy

Today I'm thinking of you and I have the wildest dreams. Are you gonna succeed in music or not? Are you coming in Paris next month or not? Then I guess you'll need help and maybe another person on the synthesizer to help you. How can I do that if I'm doing my study? Moreover, my book Underground have more than 700 pages already and is pratically finished. Now I need time to prepare it for the publishers. There is no way that book is not going to be publish. So how can I do that if I have to study and help you? Here is my solution.

I can tell the University I'm gonna do my master next year and then I'll be able to get another carte de séjour for sure for another year. And anyway, there is no way I can succeed in four courses as hard as the Sorbonne do it without the background the students already have, and a master degree on top at the same time. I need two years for that or I'm gonna fail everything. It's a real risk, like your science laboratories at Carleton, I'm not sure if I should take any chance. And anyway I think what's going to happen is exactly the same. I'll have to do it again next year because I'm gonna fail one course. So then it will be an échec.

So now that I know exactly what I have to do, I can take my time for doing it. So I can tell everyone that I decide to do my master degree in two years, so this year I can actually work on it without any pressure (and I can tell you it's more than a hell). I can also help you in the music and I really think you can do it and you will need my help for that. And finally I can work on the book who's gonna launch my career as a writer (it's as important as your music this book, you know). So no one would think que j'ai abandonné mes études, I'm just doing it in two years to give me the time to breath, succeed and work on other stuff in the meantime. At my teacher Autrand, I will tell I have too much money problems and that I have to go back in Canada to work full time until next october. He's really nice, I'm sure there's not going to have any problems. And I'll tell him that I will work on my mémoire in Canada to prepare next year. He will understand that I picked the most enormous subject, Antonin Artaud, and I have to study carefully nine books of more than 600 pages each. And after that, a lots more of books.

I tell you it's the only solution, so we can try to really succeed in arts. And the best of all, we can go farther than Paris, we can stay in London for as long as we need to see what we can do there. And we can try to do some concert in Italy, Roma, Milano, Florancia and even

- 605 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Venicia. For Venicia, I think you should go only with your piano in some luxurious places. It will be nice to try to have contract for that. I hope it will works, so we can go to Germany too, Berlin, and everything. But if I'm in school, I don't know what we can do, how far we can go. Maybe you will have to work without me? I'm not sure if it's a good idea. I hope we can do what I said without any problem, I'll be so happy and stop thinking about suicide. As I say, it's not a lost of money this year if I can finish it next year, I think that anyway I will have to finish it next year and de toute façon il fallait que je revienne en octobre pour présenter mon mémoire. And all the things manage our life to be both in Europe for two years without any problems, things must have been done this way, the destiny. Now, if we succeed in music, we'll laugh about that, and I'll be able to have my master degree more easier than working on it 24 hours a day for six months for the course and four months for the mémoire.

I love you so much, I need you so much, just to hold you in my arms, I'll do anything.

Love, RM

Ça c'était ma dernière trouvaille pour m'absoudre de la tâche gigantesque de passer à travers mes études. I don't feel like doing it, my motivation is more low than it was when I failed Law. J'ai parlé avec Bruno, of course il n'est pas d'accord. Pour lui c'est un échec et c'est une perte de temps et d'argent. I just have to begin and everything va se faire tout seul. But I have to start. First, get control on everything, every course, get the photocopies. That will be a real calvaire. Second, do my bibliography et faire mon travail de 20 pages sur le théâtre paysan, heeeeuuuurrrrrrkkkkkkk! Et ça c'est rien, ça ma donne pas le temps de regarder mon cours de grammaire, de latin et l'autre dont je ne me souviens plus le nom. Et j'ignore même s'il y a des travaux à remettre dans ces cours et j'ignore s'il y a des examens, j'ignore quels livres je dois lire et je suis certain que ça va être l'enfer et impossible. Le deuxième examen de grammaire, c'est sûr que j'y vas pas. Comme Bruno dit, do it! Il faut que je starte. Je vais commencer ma bibliographie, me rendre à la Sorbonne aujourd'hui, finir ma journée à la biblio de la Cité Universitaire. Une journée complète consacrée aux études. Ça va faire changement, et ce sera la première fois. Peut-être que ce n'est pas si infernal. Le problème c'est que je fous tellement rien même en travaillant toute la semaine, c'est un

- 606 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

minimum que je réussis à faire. Seul l'accumulation d'un travail quotidien vaut quelque chose. Et j'ai déjà perdu quatre mois. Là, si je m'en sors, je jure que je vais me mettre à croire en Dieu. So, there God, can you help me with that impossible task? Je refuserais l'aide de personne, pas même de Dieu s'il s'avère qu'il puisse m'aider. Tient, j'évoque M. Desmeules, mon pseudo-grand-père mort. Il est tout de même de ma famille, la mère de ma grand-mère Girard, (une Côté), était une Desmeules et soeur ou cousine de la mère de mon troisième grand-père Desmeules marié à ma grand-mère Tremblay (une Ouellet). J'invoque aussi la femme de M. Doucet à qui je passais les journaux. Venez à mon aide, faites quelque chose, n'importe quoi, il faut me sortir de cette terrible situation! I have to pass my master degree but I'm gonna fail everything. Ce sera la mort, aussi bien mourir tout de suite. Ça me rappelle le jour où j'ai ouvert mon bulletin de ma première session de Droit, fier de moi-même, je pensais que j'allais y constater une réussite totale sauf dans le Droit de la famille où je croyais tout de même que j'aurais fait pas si mal. Horreur, le système fonctionnait pas comme je croyais, on a bien vu que j'en avais fait moins que les autres. Et voilà où j'en suis. Ma vie serait-elle une longue série d'échecs?

J'étais si heureux à Ottawa avec mon Bruno, si heureux à ne pas à avoir à travailler ou à étudier, tellement heureux, à Paris c'est infernal. On allait pratiquer la voix, puis ensuite la musique, puis ensuite on allait prendre un café au café Rosie Lee, et l'on jouait une partie d'échec et l'on faisait un dessert. Je suis tellement pas heureux à Paris. Je pleure en ce moment. Jamais j'ai pleuré depuis je sais plus combien d'années. What's the matter with me? I was ready to start to live, not to die in the Sorbonne. On n'abandonne pas tout pour aller chercher une délivrance à Oxford ou Harvard, c'est de la folie. Je n'ai vu que Paris, que la chance d'y demeurer un an ou plus, mon ouverture sur la vie. Je pleure, c'est incompréhensible et c'est sérieux. J'ai vraiment l'impression que je vais laisser tomber. Ce n'est que six mois ou dix de calvaire pourtant. Je voudrais tout avoir sans rien faire, that's the problem. Dans un vrai bon film d'Hollywood, c'est à ce moment que l'acteur se retourne et qu'il passe à l'action, qu'il va réussir et qu'à la fin tout le monde sera content et satisfait. Qu'est-ce que j'en ai à foutre des autres, serais-je assez fou pour continuer à cause des autres, ce qu'ils vont penser? Oui, j'ai tout abandonné et je me fous de ce que vous pensez? La maîtrise à la Sorbonne je m'en fous, je n'en ai jamais voulu, je voulais vous faire peur et vous faire ravaler

- 607 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mon non-acceptation à Ottawa. Tout aurait été si simple si j'avais été accepté à Ottawa. Voilà la remise en question, rithème numéro cinq, retour sur soi, regrets, remords, et dans Philadelphia ça se termine par une victoire en cour de justice et par l'échec dans la mort. La mère de Bruno pleurait quand je suis parti, c'est la seule qui ait pleuré, je trouvais qu'il n'y avait pas de raison. Maintenant je comprends. Car moi je ne comprends pas, moi je n'ai jamais rien comrpis à l'amour. Moi je n'ai jamais aimé personne, moi je n'ai toujours écouté que moi, et aujourd'hui je comprends. J'ai ces lettres sur mon mur, des gens qui m'aiment, que j'ai abandonnés, mais qui comprennent que les études à Paris sont importantes. Et moi je ne puis les décevoir, mais seront-ils bien déçus? Ne s'en foutent-ils pas finalement? Je suis terriblement fatigué et je ne comprends plus rien et je ne veux plus rien comprendre.

Bon, qu'est-ce que je fais maintenant? J'ai un mal de tête, ma crise semble passée, j'en suis à ma deuxième tasse de café javelisante, bientôt mon estomac sera propre propre propre car je vais aller faire un bon tas dans les toilettes. Après une telle crise il me semble que je devrais partir pour la Sorbonne, mais j'ai plutôt l'intention de travailler sur l'Underground. Je suis incorrigible, je cours après des chimères, je vais mourir en enfer et je me demande si cela peut être pire que ma situation actuelle.

Pourquoi ai-je ce désir d'écrire qui m'empêche de lâcher cet ordinateur, qui m'empêche de réussir mes études, qui m'empêche de considérer mes proches qui sont loins, qui me pousse vers des folies aussi gigantesques que de partir vers Paris? Si c'est vrai que cette ville attire à elle les artistes du monde entier, elle a pas manqué son coup avec moi. Encore faudrait-il pouvoir m'appeler artiste et encore, voilà que ces artistes crèvent de faim. Je recommence la roue. Je suis 68$ dans le trou sur ma carte de crédit, il me reste 200F pour m'en sortir. Ça m'a coûté 400 F hier encore pour une visite médicale obligatoire qui aura lieu j'ignore quand, et ça me coûtera 40F encore vendredi prochain pour une fiche d'état civil de l'ambassade du Canada afin que je puisse enfin poster ça à l'Allocation logement et que ça me coûte moins cher que 400$ par mois. Au moins j'ai fait une épicerie de 200F, c'est-à-dire que j'en ai pour deux jours encore. Après je ne sais pas. Ma mère m'a confié qu'elle capotait aussitôt qu'elle devait un peu d'argent sur sa carte de crédit, genre 60$. Je lui ai alors confessé que le plafond de ma carte de crédit est défoncé depuis des lustres, que je dois les yeux de la tête à tout le monde, surtout à Bruno. Elle ne comprend pas comment je fais

- 608 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

pour dormir encore. Mais je ne dors plus pauvre môman! Ce jour viendra-t-il où je vivrai très bien de mon écriture et que je pourrai faire comme Michel Tremblay et aller passer l'hiver à Key West? En tout cas lui a réussi mieux que son prédécesseur Marcel Dubé. Mais il ne s'est pas limité au théâtre et moi c'est définitif, le théâtre je n'en veux plus rien savoir. Si les metteurs en scène veulent des pièces parfaites faciles à comprendre, ils n'ont qu'à les écrire eux-mêmes. Pendant ce temps je brûle de faire un scénario de film. J'ai vu Exotica d'Atom Égoyan et je capote littéralement à l'idée de faire mon propre scénario bizarre. Mais qui dit bizarre dit qu'il faut s'occuper soi-même de toutes les étapes, car les gens voient pas plus loin que je leur nez, pas d'imagination. On laisse la place à plusieurs interprétations, ils sont incapables d'en voir une seule. Lisez bien l'Underground, il n'a qu'un seul niveau d'interprétation. Il ne restera que le mythe pour me contenter. Le mythe que fera resurgir le nom et le symbole qui l'accompagne. Le voici ce sigle que j'ai dessiné dernièrement. En lui-même il ne signifie pas grand-chose. Certains vont me reprocher ce symbole, certains me cracheront dessus pour avoir pris la peine d'écrire un autre livre. Eh bien au point où j'en suis je vous avoue que je m'en balance. La force d'un mythe est plus puissant que tout ce que j'aurais pu écrire et qui justifierait davantage l'utilisation d'un symbole. Et à lui seul il dit beaucoup sur le monde gay. Tient, j'ai vu que Yan Muckle, celui qui a détruit ma pièce Antoine, a écrit une nouvelle dans la revue Stop que j'ai ramenée d'Ottawa. J'ai bien envie de la détruire, sa nouvelle. Je vais aller la lire, je reviens. Février mars 1989, Tournillons. Passons pour le titre sans queue ni tête. La nouvelle est plate à mourir. Rien d'intéressant, il s'imagine avoir découvert une trouvaille en coupant son texte de deux paragraphes qui décrivent une scène d'amour. Aucun rapport, aucun sens, pourri à mort. Voici trois passages totalement hors-contexte pour justifier mon point de vue, pour faire exactement comme il a fait quand il a craché sur Antoine: «C'est par ici, quatre étages plus bas, là où les voitures semblent moins ridicules et les crottes de chien plus glissantes, que nous sommes arrivés il y a à peine quelques jours les mains pleines de promesses». Ouh là, les crottes de chien glissantes, c'est révolutionnaire! «Détruite la rassurante certitude que tu pourrais pisser sur les murs si tu le voulais - qu'on t'entendrait en croyant à l'arrosage de plantes.» C'est tellement bien écrit que ça me donne envie de pisser dans le lavabo. Je reviens. Bon, c'est qu'avec trois cafés dans le corps, ça devient compliquer d'aller pisser plusieurs fois en ligne

- 609 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

aux toilettes, les gens s'imaginent des choses. «Tu as gardé ta camisole, celle que je tire dans tous les sens pour voir puis cacher; mon pénis entre-toi.» Un autre qui affirme sa sexualité en osant écrire le mot pénis dans une de ses nouvelles. Voilà, et moi je ne lui charge pas 75$ pour mes critiques, c'est tout à fait gratuit M. Muckle. Ça m'a fait plaisir. Je me sens justifié de critiquer ainsi quelqu'un parce que j'ai lu une critique de Jean Barbeau dans la Presse du 11 janvier à propos d'un livre de Mme Lanctôt qui, je pense, est un médecin qui a eu beaucoup de problèmes par rapport à la crise du sang de la Croix-Rouge. Elle s'est justifiée en écrivant un livre que Jean Barbeau a tellement détruit que sa critique ressemblait plus à un règlement de compte qu'à autre chose. Ça fait peur de telles critiques parce que les gens les prennent au sérieux et ça détruit complètement la crédibilité et la réputation de quelqu'un. Je ne donne aucune crédibilité à une critique aussi négative, l'objectivité, il n'y en avait pas. Comme les critiques de M. Muckle. Ils se sentent attaqués quand ils lisent et puis ils se défoulent dans des critiques qui frisent l'hystérie. Je me fous de ce que disait la Lanctôt, vrai ou faux, conne ou pas, l'ennemi ici c'est Jean Barbeau. Il a même osé dire qu'elle était toute fière to write some part of her book in english just to show us she was knowing english. Esti qu'il faut être bas pour dire une telle chose. Il ose même remettre en question le titre de docteur de la Lanctôt, ne serions-nous pas en mesure de remettre en question son titre de journaliste alors? Le christ de Barbeau, quelle destruction en règle ferait-il de mon Underground, ça commencerait par le titre, il n'aurait nullement besoin de lire le livre. Il me reprocherait sans doute d'être à Paris, d'avoir publié en France, car il ignore sans doute que publier au Québec est impossible, il faut être l'ami de l'ami de l'éditeur pour ça et ça ne publie que par subvention en plus. Hourra pour le Québec et sa belle littérature, but without me, please. Un vendu. J'étais à Ottawa, ce seul nom a une connotation tellement négative pour le petit prétentieux élitiste québécois qui croit avoir atteint le sommet parce qu'il écrit dans la Presse. On rejette en bloc ce qui est français et ce qui est anglais. Il disait que ça lui a été pénible de lire le livre de Lanctôt et il le dit d'une manière si méprisante, il avait juste à arrêter de lire si c'est si terrible. Je ne me fais pas d'illusions, il pourrait pas terminer La Révolution lui. Et si oui, ce serait pour me détruire en un article pourri, à crier à la face de l'humanité comment je suis à côté de la track. Merci M. Barbeau pour votre article qui attaquait Mme Lanctôt et notre intelligence tout à la fois. Car je me

- 610 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

suis senti visé par l'article au complet. Et il réussirait à atteindre sa cible? Les gens croiraient là noir sur blanc tout ce qu'il a dit et rejetteraient du revers de la main ce que dit la Lanctôt sans même la lire? De toute façon, qu'elle objectivité auraient-ils à lire le livre ensuite. Les gens sont-ils dupes de la critique? Posez-vous la question: est-ce que Michael Jackson est pédophile ou victime d'une famille en manque de millions? Qui aurait la prétention de répondre à cette question? I feel like finishing the whole Underground in english, just to show you I can speak english. Sans même me douter que vous n'en avez rien à foutre. C'est pas le cas du Barbeau. Fais t-en pas ô Barbeau, je l'attends ta critique, du pied ferme, et j'y répondrai et on me laissera un espace tout assigné dans la Presse, sinon c'est injuste. Alors les critiques pourraient se justifier et mépriser aux yeux de tous ceux qui crachent sur eux, les tourner au ridicule sans que l'on puisse rien faire? Ô monde d'injustices, n'y a t-il aucune critique à la critique? Je vous réfère à Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète.

I need to get out of here, I'm becoming Paris crazy. Je vais aller marcher dans le parc Montsouris.

15 janvier 1995

Mi-janvier, and still alive. I was so happy yesterday because I tought I might discover in Beaubourg the library that will have the right atmosphere for me to do all my homework. I was thinking that I was unable to work because all the libraries in Paris are full pack and it's like hell in there. So I went to Centre Georges Pompidou, there was a line up for more than one hour and a half to get in. I ask the guy what was that, he told me that inside people sit on the floor, in the ceiling, everywhere. Are they tourists? He did not answer. They might be tourists, there was no one with bags or pack-sac. I was quite down. I walk to the university to see if there was place. It was closing at six, I discovered a room at the back of the library with computers and bibliographies. Good, finally there is something in there to work on. So I start with the computer and naturally the women there didn't know how it was working, especially the printer, a Hewlett Packard, they were thinking it was open while the button

- 611 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

was on 0 and not on 1. We had a big discussion about that, you can imagine. So I spent more than 60F in trying to print, I spent three hours to figure out one of the three computer. So today everything is closed, but Pompidou. I don't think I'll go out of the house.

Yesterday I wanted to get out early, but France was passing, j'entends toujours ses talons hauts sur le plancher. She saw the Underground printed, knowing it was talking about her, she sats and said where! I said I'm not going to tell you anything and if you read anything bad, it's not my fault, but yours. But she's not stupid, she figures about the day we've met and start reading. She laugh, she cryied, and laugh some more. I have never wrote anything that makes people to get in saying there not going out until they've read everything. Franck react the same way at the Sorbonne the other day. France said that she was feeling like a voyeuriste. She was quite happy with what she read, even if some stuff were bad. But with her I was nice even in the Underground. Any other people I will have said no, you're not going to read that, you're not going to talk to me anymore after. We went to eat right after, she told me there was something wrong with me. I told her I was crying this morning. After lunch she told me that she tought I was going to cry again at lunch time. Impossible I told her. Fais pas ton orgeuilleux. How can it be orgeuil, I'm never crying, I was not going to cry at lunch. When you eat with all these people around, you don't have time to worry much. So it seems that I look very depressive. Oh yeah, I forgot, I went to bed directly at seven, I woke up at 2h30 this morning. France and Stephane had a supper somewhere, Steph told me yesterday. But at 2h30, I saw France entring in her room and I went to the WC. But there was someone in there. I went back to my room and after I heard France walking on the floor, trying to not make any noise with her shoes. So in the room was Stéphane. Guess they slept together and I feel bad, very bad, because there is her boyfriend in Montreal and he is coming next month. Like if I can talk about that. I'm not the one who can teach morale here. I don't even know what happen between them. None of my business anyway.

Tonight le fils a papa, Fred, is coming to my room to print four pages of some kind of a dissertation. He's going to borrow the computer of the guy who had my room before, he's going to write it on MS Word 6.0 and save it as Word Perfect 5.1 for my dump version of traitement de texte. I should have said borrow my computer, do it and print it after, but I did'nt know what to do when he told me about that. Because I have never felt any good with

- 612 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

him, always thought he was not too nice with me in my back. And suddenly he knock at my door to go to eat at the resto U. But the first time he saw me when I was back from Canada his smile was quite big and he was standing close to me. I don't know what there is in his mind. He was talking to Pascale two days ago and make a stupid joke about the pop-corn, comme quoi ils étaient orphelins de père et de mère et que je pouvais en manger. I understood he was meaning pop-corn is not meat, but Pascale was lost and I told her it was because I was not still evoluate, I'm vegetarian. He did not react. I should give him a version of the Underground and told him to find about him inside. He will then still be nice, he wants to print four pages tonight. I have met Véronique, the girl from the Beauce, next room of mine. She's studying in Génie civil, a program you can even follow in Jonquière at UQAC. France was not happy when she read about that she shouted everywhere I was gay, but she didn't said she had not. Perhaps she said when I was talking about that, it makes everyone doubt about it. Especially the night when I was drunk at l'Envol. From there everyone was knowing it. Yeah! She was unable to understand why I'm making so a big deal with it. That's right. I don't understand neither. An habit impossible to lose maybe. A fear of the unknown, of the others. A fear. But maybe a morale question. This is a secret, I'm gay, don't even think of sharing this secret with anyone. Shame! Shame! Shame! I want to stay in the Underground, nowhere else. It's the only place where I'm gonna tell everyone about it. Listen, I'm gay, I'm gay, I'm gay! Don't repeat it. It's my life, I want privacy and that's not your decision, none of your business.

I feel bored today. There is nothing to do, I don't feel like studying. I don't feel like writing or reading. I don't feel like breathing. I'm a big vegetable, I wonder why I live. I wonder why Fred live. I wonder why I have to live with him. I wonder what everyone on the planet are doing today. It's sunday. On sunday, according to the bible, all the Christians should do absolutly nothing but pray. So I guess I shoul pray, pray for something to happen to help me survive. What everyone's doing today? Qui êtes-vous M. Artaud? J'écoute Pour en finir avec le jugement de Dieu. C'est quoi le quai de la Mégisserie? Où donc est ma carte... j'ai passé à côté hier en passant par le boulevard Sébastopol pour aller à l'université. Quels sont donc ces poissons que j'y trouverais pour mon vivier? C'est une place où on rencontre des gays et qu'on a du sexe rapide? Quel dévergondé ce professeur, on comprend

- 613 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

qu'ils ont vécu avant d'être profs et on comprend qu'il y avait pas de sida dans ce temps-là et on comprend que je vais peut-être devenir prof aussi si ça continue et on comprend que je veux pas être prof et on comprend que je perds mon temps et on comprend pourquoi je suis dépressif. Il va falloir que j'aille sur ce quai, peut-être que la seule chose qui s'y passe c'est pour désaltérer mes idées et me nourrir de livres. Quelle déception. On comprend que ces professeurs sont professeurs depuis trop longtemp.

(Later in the Montsouris park). Comment le gazon peut-il être aussi vert? Une pancarte plus bas sur le bord de l'eau: Défense de monter sur la glace. Il fait 20oC, il y a des oiseaux partout. J'ai enlevé mon menteau. Au Canada aujourd'hui il doit faire -20oC avec de la chance. Je n'aime pas tellement écrire en public, les gens s'imaginent que tu t'imagines que tu vas devenir un grand auteur et ils te regardent avec leur sourire narquois. Et tous ces gens parlent français? Y'a pas de touristes dans le parc Montsouris. Y'a quelques beaux gars qui courrent, je me demande si quelqu'un va venir me parler. Y'a finalement de beaux gars en France, il s'agissait de leur enlever leurs vêtements ou du moins des les habiller en culotte d'éducation physique. Je déteste faire de la discrimination, mais parfois faut en faire. Un gros s'est assis à côté de moi. J'ai pas bronché, il est parti. J'ai acheté un billet pour les marionnettes de Montsouris «La Belle au bois dormant.» Ça comemnt dans quinze minutes.

Je suis maintenant dans la salle. Je me sens stupide car je suis seul dans mon coin, sans enfant à côté pour justifier ma présence. Pourtant Jonquière est réputé pour son festival international de la marionnette et c'est surtout les adultes qui y vont. Les parents sont chanceux, ils peuvent assister à tous les trucs pour enfant sans complexe. Paraît que c'est Guignol, comme à la TV, j'ai hâte que ça commence.

Il y a plus de parents que d'enfants dans la salle. Très lucratif le marché des enfants. J'ai l'impression qu'il y a des pères de famille qui, même accompagnés d'enfants, feel stupid to come in. Christie, la salle est pleine! Qui eut cru. J'aime le monde de la scène, théâtre et concert, mais on dirait que je devrai me contenter d'écrire pour eux, pour rien.

C'est l'entracte maintenant. C'est extra, la fée carabosse est venue annoncer la mort de la princesse, les enfants capotaient, un parent a dû sortir, elle était tellement laide, toute verte, que son enfant s'est mis à pleurer comme un malade. On devrait interdire les

- 614 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

enfants à ces représentations de marionnettes, ils sont incapables de se concentrer. Alors la bonne fée est apparue pour dire que la princesse dormirait pour 100 ans. C'est bien des enfants, j'aimerais vraiment en avoir, deux, comment faire? Me débarrasser des études premièrement, le flot en face de moi s'appelle Tristan et il est obsédé par la petite fille en face de lui qui lève sa robe dans les airs avec un large sourire. La grand-mère à côté lui a demandé si elle s'appelait pas Iseult par hasard. Ça recommence. C'est lui! c'est le vrai guignol, en chair et en bois. Je ne serai pas venu à Paris pour rien finalement.

J'ai demandé à la fille à l'entrée, je suis déçu, chaque parc à son guignol. Elle pense que «si» ça passait à la TV, c'était ceux du jardin du Luxembourg. Ça me fait penser qu'aujourd'hui j'ai rien foutu.

16 janvier 1995

I wonder if I should take a coffee or a beer. It's 5h10 in the morning, again I have got too much sleep. Au Canada on ne vit pas à l'heure de la France, ça fait quatre jours que je suis parti et j'arrive pas à m'ajuster. Hier, en revenant du théâtre Guignol, j'ai rencontré France. Ouh là, j'ai eu de la misère à me mêler de mes oignons quand elle m'a raconté sa soirée d'hier. Avait-elle oui ou non trompé son chum? Malgré moi la question est partie toute seule. Non, je n'ai pas posé la question. Elle me racontait sa soirée et après j'ai ajouté: et puis vous êtes revenus à ta chambre. Elle s'est vite justifiée, affirmant que c'était parce qu'il n'avait plus de cigarette et qu'il voulait en fumer une dernière avec elle. C'est crédible, je crois pas qu'ils aient fait quoi que ce soit. Du reste, c'est pas mes affaires. Elle doit croire, depuis qu'elle ait lu l'Underground, que je suis un renifleux malade mental qui la surveille, qui est jaloux quand elle parle à un autre. C'est trop drôle, pauvre France. Mais pour vite changer le sujet je lui ai parlé des marionnettes et nous y sommes retournés tout de suite, elle a bien apprécié. On a jasé de choses et d'autres, une chose en particulier qu'elle m'a d'ailleurs bien spécifié de ne pas en parler dans l'Underground. Voici donc toute l'histoire. C'est à propos de son ami gay de Montréal, comment elle se sent proche de lui, comment il lui disait qu'ils étaient pareils et tout le tralala. Elle lui a fait un genre de blague-vérité comme quoi elle voudrait finir ses jours avec dans un condo afin de garder son indépendance

- 615 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tout en étant entourée de gens. Aucune honte à ça, mais c'est difficile à comprendre. Je ne vais pas élécubrer(?) là-dessus. Elle disait aussi qu'elle n'osait plus me parler de peur que ça se retrouve dans mon livre et que l'on fasse vite le lien entre France et Poussin parce qu'elle espère publier sa thèse. Elle ne se rend pas compte que l'Underground ne sera peut-être jamais publié et qu'en plus ça prendra au minimum trois ans avant la publication définitive. Peut-être s'imagine-t-elle réussir à publier Poussin l'année prochaine? C'est bien mal connaître le monde de l'édition. Elle pense qu'elle aura une bourse car plusieurs personnes sont intéressées par Poussin. Sure, plusieurs personnes siginifie quelques illuminés universitaires qui ont de l'argent a jeter par les fenêtres. C'est beau la vie, et elle réussira. Ce petit monde fermé s'autosuffit en lui-même, des thèses insignifiantes il s'en publie des milliers à chaque année. Ma thèse sur Artaud je ne pense pas un seul instant à la publier. Ce serait trop insultant de faire un minimum de démarches et réussir.

(Plus tard.) Je suis dans le Jardin du Luxembourg, ma place habituelle devant la fontaine trompe-l'oeil. André Gide vient de s'asseoir à côté de moi et pour le plaisir de nos lecteurs je vais l'interroger.

-Bonjour monsieur Gide.

-Salut R.M.

-Entrons dans le vif du sujet, combien de gars avez-vous ramassés dans le Jardin du Luxembourg?

-En masse!

-Tous beaux?

-Even better than the real thing.

-Et moi, vous voulez coucher avec moi? Je suis en manque.

-Well, tu as déjà ton chum dans le fond du Canda.

-Quoi? Ah oui. Alors, comme aujourd'hui, il y avait des illuminés qui photographiaient les pots de ciment autour des fontaines dans votre temps?

-Des illuminés il y en aura à toutes les époques, surtout à Paris.

-Et il y avait des beaux jeunes hommes comme à côté qui s'échangeaient de la drogue?

-Quoi?

-Monsieur Gide, retournez dans les catacombes, j'en ai assez d'entrer dans le Jardin du Luxem

- 616 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

bourg et de ne pensez qu'à vous.

Et ils le fument en plus, je devrais allez les rejoindre. Qu'est-ce qui me retient. J'ai appris une bonne nouvelle aujourd'hui, ma maîtrise de la Sorbonne je suis certain de l'avoir. La question c'est en combien d'années je la veut? I don't even need to worry, at the end off the year they'll send me a reinscription paper. Dans la même veine j'ai appris que la période d'examen commence aujourd'hui. Guess I'm completely lost. Je vais aller à la biblio mais avant je veux savoir s'il y a du théâtre ici aujourd'hui.

Je sors de la biblio, le système informatique is a real pain in teh ass. Because anyway you have to look dans les fiches et dans les bibliographies. Ils couvrent un minimum d'informations de 1984 à 1990. Qu'attendent-ils pour engouffrer les années précédentes? Je gage qu'ils n'y travaillent même pas. Là je suis assis dans la station du métropolitain du Luxembourg, je laisse passer les trains. Il s'agit de la station la plus cleande l'Underground de Paris. La plus belle sur ma ligne c'est Port-Royal, toute faite de vieilles pierres, on se croirait dans une ancienne abaye. Mais je préfère Cité universitaire, on y respire l'air du parc Montsouris et mes nouvelles obsessions.

17 janvier 1995

La biblio de la Sorbonne ferme tellement vite que j'ai jamais le temps de rien faire. Hier, pendant que Fred tentait d'imprimer ses quatre pages, voilà que Véronique se faufile dans ma chambre pour venir raconter sa soirée d'hier pendant que Fred était retourné dans sa chambre. Alors bien sûr il lui a fallu la raconter une deuxième fois à Fred lorsqu'il est revenu. Après elle s'est enfuit dans sa chambre, a raconté son histoire une troisième fois à un inconnu au téléphone. Puis elle est revenu dans ma chambre la raconter une quatrième fois à France qui venait voir ce qu'on faisait. Si vous vous imaginez que je vais raconter cette histoire ici, vous vous gourrez complètement. Elle m'a ensuite dit que le gouvernement lui a octroyé une bourse, pas un prêt, une bourse de 15 005$ pour venir faire sa thèse. Comme elle s'imaginait que ce serait insuffisant, elle a dit qu'elle partait pas en France avec 15 000$ dollars seulement. Alors la compagnie pour laquelle elle travaillait lui paye un salaire en plus pour venir étudier à Paris. Demandez et vous recevrez, dit le dicton. Alors

- 617 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

elle me disait ça et puis elle se retourne vers moi et me demande ce qui se passe avec moi. Sure, lui ai-je dit, moi j'ai eu aucune bourse, un misérable prêt de 3100$, je crois que je n'aurais pas l'autre moitié après Noël qui de toute manière est déjà dépensée. Je dois 5500$ à un ami en plus de l'ordinateur et de l'imprimante qui ne sont pas payés et mes dettes de 20 000$ à la Banque Royale, et ma carte de crédit dans le rouge, et mon garde-manger vide... elle s'est mise à se sentir mal, elle voulait que j'aille faire mon épicerie avec elle. Elle m'a bien spécifié qu'avant de crever de faim je devais aller la voir. J'aime autant crever de faim. Ensuite Fred, qui n'a pas réussi à imprimer ses quatre pages parce que les merveilleux compatibles IBM sont pas trop compatibles, est revenu de l'imprimeur en me disant que ma machine était pleine de virus. L'alerte au virus s'est mise à sonner là-bas. Le pire c'est que c'est pire que le Sida, ça s'attrappe sans même qu'on enregistre sur le disque. Ça s'attrappe au simple contact. Alors le vaccin pour mon virus semble pas encore avoir été inventé parce que mon anti-virus détecte rien d'anormal alors que moi ça fait trois ans que je tête sur un ordinateur qui fonctionne à moitié.

(Plus tard). Je suis dans la stataion Pigalle. J'arrive de chez Franck, on était pas mal content de se voir aujourd'hui au cours de M. Neveu. La classe sérieuse de grammaire qui attendait le prof silencieuse capotait: «Hey, chu super content de't'voir! T'es super beau aujourd'hui! etc.» après j'avais honte d'aller m'assir à ma place. Je voulais éviter Autrand parce que j'ai pas terminé ma bibliographie. En début de cours il a dit que les trois qui n'avaient pas encore remis leur biblio devaient aller le voir. À la fin il a crié: «Ah, M. Tremblay, vous voilà de retour!» Un ton qui glace le sang dans les veines. Finalement il veut pas ma bibliographie, il a dit de la lui remettre avec le plan de ma thèse à la première semaine de février. Quoi? Le plan de ma thèse en trois semaines? Ce qui veut dire qu'il me faudra avoir tout lu! J'ai un examen de latin qui compte le 2 février, un examen de grammaire qui compte pas la première semaine de février. Not too bad for someone that have missed the first three weeks, missed half of his class and went back to Canada for a month. Je ne suis en retard nulle part, bien qu'il me soit impossible de respecter une échéance. Depuis que je sais que je peux terminer l'an prochain j'ai bien envie de m'en foutre cette année. Franck en est au même point que moi. En maîtrise, pas remis sa biblio, rien foutu, manqué autant de cours, plus un rond. À la seule exception que dernièrement il est allé à la Samaritaine et qu'il s'est

- 618 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

volé une garde-robe complète. Un Ralph Lauren à 3000 balles, un autre qu'il voulait me donner. Il estime qu'il a tant payé partout et qu'il s'est tant fait fourré qu'il a le droit de voler à la Samaritaine. Il n'a donc aucun problème de conscience. C'est passionnant quand tu penses que juste à imaginer qu'il couche avec quelqu'un le rend si coupable qu'il dit que ça revient au même que de coucher avec et il court raconter ça à Edgar: «Hey, Edgar, pardonne-moi, j'ai fantasmé sur un beau petit gars au gym aujourd'hui!» Rose-Marie et Vincent étaient là, visite surprise à Paris. Rose-Marie a pris le gilet volé. Moi j'ai pris une paire d'espadrilles de Franck et une de ses vieilles froque parce que le monde me regarde bizarrement avec ma froque de l'Université d'Ottawa. Ici la conformité c'est le terne, le noir, les couleurs sombres. Tout pour s'effacer dans la masse du million de personnes qui chaque jour sillonnent la station Châtelet-Les Halles. Je vais lui en devoir une au Franck. Je crois que notre amitié est bonne et durable. Ce qui est rare. Il est beau, aucun doute. Mais je ne voudrais et pourrais coucher avec ou en tomber amoureux. De toute façon il confesse tout à Edgar et ils habitent maintenant ensemble. Quels problèmes ça impliquerait, sans compter Bruno qui s'en vient bientôt.

J'ai reparlé avec Franck de l'épisode Christophe. Il fait semblant que rien n'est arrivé. Il voulait me faire croire que le fameux soir où on a failli tous crever, il l'avait oublié. Mais il se rappelle cependant l'élément déclencheur, il dit que Christophe était vraiment intéressé en Bruno et qu'il est dépressif parce qu'il se sent laid et qu'il pogne pas. Le fameux soir Bruno l'aurait, à la blague, traité de pédé frustré et il ne l'aurait pas digéré. C'est donc qu'il y a un souvenir net de la soirée et qu'ils semblent en avoir reparlé. Franck trouve aberrant que Christophe puisse tant cracher sur tout le monde mais ne tolère pas un seul commentaire le concernant. Il est minuit-trente maintenant, mon heure normale pour me coucher c'est 19h30, il est donc très tard. Demain je vais en avoir terminé avec le décalage horaire.

20 janvier 1995

Je n'ai plus rien à manger! Rien, rien, rien. Je suis 100$ dans le rouge sur ma carte de crédit, 440F en dessous dans mon compte d'épargne. La vie est belle, je viens de me faire

- 619 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

un café, c'est vendredi, j'ai quatre jours de congé, je m'en vais dépenser mon dernier quarante francs aujourd'hui à l'ambassade du Canada pour une fiche d'état civil que je vais poster à Allocation logement ensuite. Cette semaine à deux reprises je me suis rendu au resto U pour tenter de manger avec les quatre derniers tickets restaurants qu'il me reste. À deux reprises je suis ressorti en laissant mon plateau là, rien à manger là-dedans pour un végétarien sauf une assiette de légumineuses, et moi les légumineuses ça me fait vomir.

Je repense à une de mes amis qui m'a dit dernièrement qu'elle s'est mariée avec un homme et pendant six ans il n'y a pas eu de sexe. Ça lui a pris six ans pour se réveiller. Moi, trois jours sans rien faire et c'est: Bruno, Bruno, Bruno, ça fait trois jours, là. Elle est victime d'abus sexuels, un oncle, mais ça je suis pas supposé le savoir ni le dire à personne. Elle est si belle en plus, too bad que je pense qu'elle a dû avoir le sexe en horreur à cause de ça. C'est drôle que ça ne me touche pas, c'est-à-dire que je le dis, j'y pense, mais je suis pas capable d'imaginer c'est quoi qu'elle a vécu, ce qui peut devenir si lourd et bloquer tous ses sentiments, toute sa vie, qui lui donne l'impression d'être une moins que rien. Non seulement elle souffre, qu'elle y pense sans cesse, mais on le voit qu'elle est marquée à vie. Tu te demandes ce qu'elle apprend là-dedans, si elle peut apprendre quoi que ce soit à part que l'homme soit une vraie saloperie. Une famille de religieux je suppose en plus, quand elle voulait se séparer son frère lui a fait tout un speech comme quoi elle devait demeurer avec son mari et tenter de résoudre les problèmes, communiquer et patati et patata. Il est arrivé avec la chanson The One the U2, coïncidence, c'est à cause de cette chanson que je sais son histoire. Mais j'ai l'impression que le frère se gourre, la chanson parle d'unité, mais pas que Bono va crever avec l'autre, au contraire, il va le laisser son chum (ou sa blonde). Mon amie voyait ça dans le même sens. Enfin bon, il faudrait que je retrouve le numéro de téléphone de Bono dans mon carnet et que je l'appelle pour savoir c'est quoi le fond de l'histoire. Lui demander en même temps s'il veut venir prendre une bière à Paris avec moi, mais que c'est lui qui paye parce que moi c'est pas réaliste que je paye une bière à quelqu'un, même à Bono. La pauvre, le pauvre, et puis moi? Moi, moi, moi! Moi aussi je veux faire pitié, je veux pouvoir dire que j'ai été violé, que je me suis marié vainement comme tout le monde qui m'entoure et qui sont tous divorcés ou séparés. Y'en a qui ont de la chance et qui ne s'en rendent même pas compte.

- 620 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Tout mon entourage s'enrage à l'idée que je les détruise dans mon journal et que j'aie l'intention de le publier. Tout le monde est en panique et se battrait pour lire trois lignes de l'Underground. C'est la joie. Je n'avais jamais compris que ce qui intéressait les gens c'est qu'on parle d'eux en mal, comme de parler de Maxime comme la plus grande reine du quétaine. Les gens ont peur que j'avoue à la face de l'humanité leur difformité monstrueuse, même que je leur dit le minimum de leurs quatre vérités que j'ai écrit et ils veulent me bucher, pense déjà à me poursuivre en justice. La vie est belle parfois, sauf que je m'enligne pour couler mon année scolaire. C'est sûr, confirmé, écrit dans le ciel. Le latin c'est du vrai chinois et j'ai pris conscience hier que ce serait plus difficile de passer à travers ça que la grammaire. La prof écrit ses grands tableaux de signes incomprenables et je suis incapable de les noter parce qu'elle écrit trop mal et que c'est impossible de figurer c'est quoi ses petits dessins. Elle passe le cours à nous parler dans un vocabulaire latin et français pour définir le latin, tous deux incomprenables. Ablatif, datif nominatif de troisième degré de déclinaison, e degré zéro adjectival de deuxième classe. Mais bon Dieu, qu'est-ce qu'a radote, dans quelle langue qu'a parle? Et y'a pas un mot de latin dans ce que je viens dire, c'est ça le pire. Homo homnis lupus. Ça veut dire: «Les tapettes règnent sur le monde», et je suis convaincu que peu de gens qui liront ce journal pourront dire que j'ai tort. Le latin est une langue morte, mais personne n'a pensé à le dire aux profs de la Sorbonne qui vivent tellement dans leur bulle qu'ils ne l'ont jamais su. À moins que ce soit encore une histoire de bureaucratie. Ça fait peut-être des siècles qu'une mention a été déposée pour que l'on supprime ces cours et depuis ça tourne dans la machine et dans une couple de millénaires on va enfin réussir à éliminer ces infectes cours obligatoires. Écoutez, on apprend pas le chinois en huit mois à une heure par semaine avec une prof mongole incapable de communiquer une matière d'un autre prof qu'elle comprend même pas. Et la Sorbonne se bâti toute une réputation avec ces profs incapables de communiquer quoi que ce soit. Si j'ai un conseil à donner à ceux qui appliquent pour devenir profs à la Sorbonne, ce serait celui de montrer que vous êtes capable de parler en code indéchiffrable pour les étudiants et que vous n'avez aucun talent de communication. On vous engagera sur-le-champ. «Ce n'est pas ma faute». M. Tritter a passé une heure à faire l'apologie de cette phrase de Valmont des Liaisons Dangereuses ce mercredi. Jamais j'aurais cru que l'on puisse être plus passionné que moi encore

- 621 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

sur les violence et la cruauté de Valmont. Plus c'est dégoûtant, plus il en rafolle. Quand je vous dis que le peuple a besoin de sang, de chair fraîche et de cruauté, même les profs de la Sorbonne, qui semblent n'avoir aucune vie sexuelle, en jouissent quand cette violence sexuelle est là dans un livre qu'ils ont mythifié, cristalisé dans les murs des amphitéâtres. M. Godard est en crise existentielle permanente, peu importe le livre qu'il décortique, Céline en ce moment, il voit de la crise existentielle partout. M. Neveu lui, je lui arracherais sa chemise jaune serein flashante qui m'empêche de suivre son cours, et j'avalerais son noeud papillon rouge vif avec les petits carrés bleus pâles dessus. Ils feront donc n'importe quoi pour nous déconcentrer de leur matière désuète et plate à mourir? M. Autrand lui achève de mourir dans l'oeuvre de Racine. Il peut citer n'importe quel passage par coeur de n'importe quelle pièce. Toute la littérature mène à Phèdre! Y'a de quoi se tirer une balle. Je me demande si un jour un prof trippera autant sur l'Underground. Toute la littérature mène à l'Underground! Y'a de quoi se tirer une balle. Pendant que le tout Paris achève de mourir à lire Céline. Céline, je pensais que c'était une femme avant d'arriver à Paris, ma marraine en l'occurrence. Son livre a quelque chose comme 500 pages, j'ai vraiment pas envie de le lire, et surtout pas d'y lire la crise existentielle de Godard. «Va, je te hais, point.» Monsieur Tremblay! Vous êtes de retour du Canada! Euh oui, oui, ça vous dérange? Ça vous ramène sur la Terre? Après qu'on ait faillit vous perdre dans le symbolisme crétinisme religieux de Claudel. Y'a pas plus plate auteur sur la planète vous savez. Et je me posais la question, pourquoi plus de la moitié de vos étudiants font leur mémoire sur l'auteur le plus plate de toute la littérature française? Prenez Artaud, ça c'est fucké juste à souhait. Ça c'est digne de la littérature internationale. J'en ai pour preuve tous ces articles anglais venant des quatre coins des États-Unis et d'Angleterre. Enfin quelqu'un qui va décortiquer Artaud et ses Cahiers du retour à Paris sans le prendre pour un fou malade pyschotiquement. Les petits freudiens en herbe qui ont traité Artaud de malade sont malades eux-mêmes et ne savent plus où donner de la tête pour transposer leurs propres névroses. Moi moi crise sexuelle je ne la transpose pas, je la vie pleinement. Et si les profs de la Sorbonne en faisaient autant, les cours provoqueraient déjà moins de suicides. Ah, ça fait pitié, les étudiants de la Sorbonne. Ils passent leur vie à tout couler et à recommencer leurs années scolaires. À paniquer, à étudier, à se bidonner, à se lamenter et j'en passe. Moi pendant ce

- 622 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

temps je fais la pluie et le beau temps. «M. Tremblay! Vous êtes de retour à Paris, et vous passez votre temps à écrire vos Cahiers du retour à Paris.» Oui monsieur, mais c'est déjà mieux que Michel Tremblay qui nous raconte, via Key West, ses traumatismes d'enfance. «Michel Tremblay?» Vous connaissez pas? C'est le plus grand auteur du monde! Il a publié dans vingt-deux langues, on peut pas en dire autant de Racine. Maintenant que j'y pense, je pense qu'il y a un crétin qui a traduit les pièces de Racine en Latin, ce ne me surprendrait point. Ainsi il y a un gros gap dans vos études littéraires puisque vous ne conaissez pas Michel Tremblay. Eh bien tant mieux, vous n'aurez rien manqué.

21 janvier 1995

Aujourd'hui je vais rétracter de que j'ai dit à propos de Claudel ou bien je vais planter le dernier clou sur la tombe, je m'en vais voir Partage de Midi ici même à la Cité Internationale. J'ai lu la pièce, j'ai analysé la pièce en classe, je vais maintenant voir à quoi ça ressemble sur la scène. Vous pourrez dire que c'est la faute au metteur en scène, à ses études, à ses professeurs, à ses acteurs, à l'éclairage, mais ça ne m'empêchera pas de juger. C'est le troisième acte qui m'intéresse.

Aujourd'hui France m'a traîné voir l'exposition de Bernard Paquet, peintre au doctorat de la Maison des Étudiants canadiens qui expose à Gonesse en banlieue de Paris. Rien à redire, c'était bien. En cinq minutes on avait fini. Alors on cherche un café, il n'y en avait qu'un d'ouvert, France ne veut pas trop y aller car elle ne trouve pas l'atmosphère intéressante. On retourne et voilà Bernard dans la salle d'exposition, on entre, il était accompagné de la directrice de la Maison du Canada avec son mari. Bon. Mais là vous voyez que je fite pas du tout, mais alors là pas du tout dans le décor. Tous des professionnels de l'histoire de l'Art et moi qui ne connaît absolument rien. Mais le mari, lui, s'y connaît en littérature et en théâtre. Sauvé vous pensez? Tabarnack, jamais j'aurais cru être aussi ignorant de la littérature et du théâtre. Il m'a demandé où j'avais étudié, j'étais fier de lui dire Ottawa. Mais le problème tient du fait qu'il me parlait de l'actualité et que nous à l'université on ne parle que du début du siècle et avant. Et là il commence à me dire qu'il faut que je lise tel livre, que j'aille voir telle pièce, ne comprend-t-il pas que je n'ai même pas le temps de lire mes

- 623 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

livres de maîtrise et qu'en plus je n'ai pas l'argent pour aller voir des pièces de théâtre? Sa femme qui veut me donner des billets pour des colloques de l'histoire de l'art, que voulez-vous que j'aille faire là, que j'aille crier Poussin, Poussin, Poussin! et que l'on m'applaudisse ensuite? Après on est allé prendre un café au café que France venait de rejeter, moi assi entre la directrice et son mari. Coincé comme un canard, ignorant comme une carpe, fuyant comme une autruche. Je voulais mourir. Car ils se prennent peut-être pour de la haute société, n'empêche que quand t'es avec des gens qui se prennent au sérieux, t'as pas le choix de te prendre au sérieux. J'ai sorti mon accent du dimanche, mes commentaires de début d'année scolaire, ma prestance d'entrevue de télévision. Bien sûr je suis incapable de tout cela. Et comment leur dire que j'ai encore rien foutu dans mes études et que je m'en vais couler tous mes examens? Le bonhomme connaît la planète entière, jusqu'à la Marguerite Yourcenar avec qui il a souper jadis, il me parle des Mémoires d'Adrien et comme par hasard le seul livre que j'ai lu d'elle c'est Alexis et le Traité du vain combat. Il en a parlé, alors là j'ai dit en vrac tout ce que je savais sur le sujet. Homosexualité, nature, etc. Ils ont dû prendre peur. Que voulez-vous, deux heures à parler d'histoire de l'art, de peinture, de lithographie, de Poussin, de colloque, d'auteurs inconnus et de pièces dont je suis incapable de me souvenir les noms. Alors quand on aborde enfin l'homosexualité, tous mes refoulements s'expatrient dans l'automobile. En tout cas c'est chiant de se retrouver dans la haute société. Affreusement chiant quand c'est pas du tout la branche que tu étudies et encore. Et c'est triplement chiant quand t'es trop jeune et que tu connais rien. Bon, il faut que je parte voir Claudel, je vais me coucher mon ignorant ce soir et peut-être qu'un jour je pourrai reparler de cette représentation et ça remplira un trou dans une conversation à sens unique que j'aurai avec un autre bonhomme de 70 ans U.S., comme il dit, qui connaît tout. N'est-ce pas la seule raison pour laquelle je veux engouffrer mes derniers trente francs empruntés dans Claudel?

(Plus tard). Dieu que c'était long et plate! J'ai survécu au premier acte, un miracle. Le deuicième, misère. Le troisième, les effets spéciaux ont sauvé la pièce. Dieu que le texte est long et qu'il ne dit que des choses insipides. Et que les acteurs criaient et que la poésie on ne l'a pas entendue. J'avoue que c'est mieux représenté que je l'aurais imaginé. Il est vrai que le texte est déjà d'un intérêt plat. On dirait du Racine d'une époque plus récente. Moi

- 624 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

c'est fini pour Claudel, il faudra que l'on me paye pour que j'y retourne. Mais passons à un sujet plus intéressant. J'y ai rencontré un beau p'tit gars que ça fait trois fois qu'il me dit son nom et que je suis incapable de le retenir, trop complexe. Il était avec Franck le premier jour que j'étais à la Sorbonne. Cela est drôle que je le rencontre là ce soir. On a parlé. Il vit chez ses parents. Lui il travaille fort, il va passer à travers ses études. Fred en face vient d'avoir 6 sur 20 sur son examen de mi-session. 30% et il a étudié comme un malade. C'est pas pour m'encourager avec le latin et la grammaire. J'ai envie de balancer les études mais je n'en ai pas le courage. Pourtant j'agis comme si elles n'existaient pas et que je vais ne pas aller à mes examens. On dirait qu'inconsciemment j'ai accepté que je fouterais rien et tout à coup je recommence à vivre. Et l'an prochain j'espère que quelque chose va arriver, en tout cas je vais pouvoir demeurer en France encore car je vais me réinscrire et peut-être bien ne rien foutre encore. Il me faudrait juste trouver un emploi parce que c'est bien beau mais mes dettes sont comme le Canada, je risque l'effondrement. Il y a une limite à ma solvabilité, surtout quand on réussit pas ses études. J'aime Paris, si mes études sont effectivement terminée, je n'ai pas de poort d'attache. Je ne me vois certes pas rettourner à Jonquière. Je me demande pourquoi je retournerais à Ottawa. Sinon pour Bruno. Mais je n'ai pas plus d'argent pour habiter à Ottawa qu'à Paris. Ainsi il me faudrait trouver un job. Je ne me vois pas retourner à Ottawa pour me chercher un emploi. Bien sûr il me faudrait Bruno à côté de moi, en permanence, à Paris. Aurais-je l'audace de le laisser? Lui dire que moi j'habite Paris et que s'il veut rester avec moi, c'est ici qu'il doit habiter? N'est-ce pas merveilleux qu'il soit Français? Les coïncidences dans ma vie n'arrêtent plus, voilà pourquoi je suis fataliste. Où cela va-t-il me conduire? Que vais-je apprendre? Je l'ignore. Ce que je sais c'est que j'ai faim et que je n'ai rien à manger sauf du pain sec et du beurre de peanut et qu'il semble que je n'aie pas suffisamment faim pour manger ça. Mais que je dois manger car je me sens mal. N'est-ce pas intéressant de vraiment avoir faim et de ne pouvoir manger? Quelle belle sensation. J'ai une dernière bière que je devrais m'ouvrir. Voilà qui est fait. Mais je ne fais pas pitié. Tellement de gens ont faim, je ne vois pas pourquoi il faudrait que ce ne soit pas moi. C'est sûr que ça fait mal, je suis un Canadien, Maxime me reprendrait pour dire un Québécois, mais bon. Et je suis en France. Alors ça se digère mal que je puisse avoir faim. Ce qui est davantage surprenant c'est que je puisse posséder, entre parenthèses, un ordinateur porta

- 625 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tif, la plus chère imprimante du marché, un walk-man, des cassettes, une bibliothèque dont la moitié de l'Oeuvre complète d'Artaud, qui vaut une fortune, tout cela en ayant faim. Je n'ai qu'à tout vendre! Mais ça ne marche pas comme ça. Comme ces mendiants que l'on rencontre dans le métro et qui ont une froque de cuir, des bottes en cuir, des gants en cuir, des bagues en or, et ils quêtent dans les métros et j'ai juste envie de leur dire de décrisser parce qu'ils sont habiller mieux que moi. Mais ça marche pas comme ça. On a toujours l'impression que quelque chose va tomber du ciel bientôt et que le sacrifice serait vain et inutile. Mais qu'arrive-t-il lorsque le sacrifice devient une nécessité? Aujourd'hui sur une lumière un gars tenait une pancarte et demandait de l'argent parce qu'il avait faim. La directrice de la Maison du Canada a fait semblant de chercher de la monnaie dans sa sacoche, elle disait qu'elle avait trouver un ou deux francs, mais j'ai ouvert la fenêtre et j'ai donné 10 francs au gars. Madame Hould m'a remercié et a serré sa sacoche. Le gars l'a tellement regardé de travers que je ne regrette pas mon geste. Parions qu'elle ne s'en souvient même plus de l'épisode du gars qui crève de faim et qui quête dans la rue. Dix francs et il me reste, voyons voir, 19 francs et 40 centimes. Demain le restau U est fermé, ce qui veut dire que je devrai me débrouiller pour manger. Du pain sec et du beurre de peanut. J'ai pas osé demander à Bruno de l'argent, pourtant il m'a appelé deux fois la nuit passée. Tout le monde m'appelle durant la nuit, Ed m'a aussi appelé la nuit passée, ça fait des nuits mouvementées. Je n'ose plus lui demander de l'argent, la deuxième fois qu'il m'a appelé c'était pour me demander quand est-ce que j'avais l'intention de le rembourser. Ed m'a dit qu'il m'aiderait financièrement si j'avais besoin. N'est-ce pas là une vraie preuve d'amour? Je ne lui demanderais jamais d'argent, mais quelle chaleur juste à l'idée qu'il ait proposé une telle chose.

L'Underground c'est bien beau, mais j'en ai maintenant 1000 pages et je ne sais pas comment je vais pouvoir en faire sauter 600 à 700 pages. Et lesquelles? J'en aurais assez pour cinq livres. J'aurais le goût d'envoyer les 1000 pages à M. Filion des éditions Leméac qui me reprochait mes livres de longueur timide. À moins d'être gay, je ne crois pas qu'il soit capable de lire le manuscrit au complet. Maxime a tout lu en trois jours. Parce qu'il avait de l'insomnie, décalage horaire oblige, mais parce qu'il a trouvé ça passionnant. Serait-ce le jackpot? L'Underground donc. Il m'aura fallu attendre tout ce temps et tous ces livres. Je n'ai que 22 ans tout de même, qu'est-ce que c'est 10 ans quand il me reste toute la vie et

- 626 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

que je sais que l'on va me lire? Au point où j'en suis. Au point où j'en suis. Au point où j'en suis. Je peux bien répéter la chose trois fois, et me foutre de ceux que je détruis dans ce journal. Espérant qu'ils comprendront que moi j'ai souffert et que ça se paye. Et que lorsque je ne souffrais pas je n'en avais aucune besoin de l'écrire dans mon journal et que tout semble soudainement noir. Noir. La vie est belle pourtant, je suis heureux. Noir et heureux. Le monde m'appartient, je m'en vais le conquérir, Paris. Je pense que je vais bientôt arrêter d'écrire dans mon journal. Because I need a life.

22 janvier 1995

Aujourd'hui j'ai rencontré une Mexicaine avec son ami. J'en ai profité pour lui demander ce qu'elle pensait de Nafta, notre célèbre traité de libre-échange. Elle a commencé par me dire que beaucoup de gens dans le peuple trouvaient ça bien, mais que des «spécialistes, parce qu'il y a de très bons spécialistes au Mexique, d'excellents économistes, d'excellents administrateurs et d'incroyables politiciens», disent que ce n'est pas avantageux pour le Mexique parce que les compagnies, «d'extraordinaires compagnies ultra-compétentes et compétitives» n'ont pas suffisamment de capitaux pour lancer leurs produits à l'échelle de l'Amérique du Nord. Ah bon. Et puis toi? «Moi je suis tout à fait contre tout ce qui est étranger et plus particulièrement tout ce qui est Américain. Le Mexique s'autosuffit à lui seul et n'a pas besoin des Américains, parce qu'au Mexique il y a de très bons politiciens et de bons analystes et...» Ah bon. Et lui, c'est ton frère? «Et...» Ton chum? «Quoi?» Ton copain? «non, c'est juste un ami et il parle pas très bien le français ni l'anglais» Ah bon. Et il est gay ton ami mexicain qui parle pas très bien le français et l'anglais? «Il y a une réunion à la Maison du Canada la semaine prochaine et chaque résident et chaque résidente devrait se faire un devoir d'y aller.» Ah bon.

Maxime m'a prêté une revue porno-gay intéressante. Idol. Je l'ai refilé à France qui la montre à tout le monde. Mais! tout le monde va s'imaginer que je suis un vrai pervers! Tant mieux, c'est exactement ce que je suis. Je vais m'abonner un jour quand j'aurai de l'argent. Il est bien qu'ils s'ouvrent aux réalités du monde gay, le seul problème c'est que je me demande s'ils sont ouverts aux réalités du monde straight. Je suppose que je suis pas

- 627 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

dans le milieu où l'on retrouve des revues pornos un peu partout. Mais enfin, peut-être bien que oui. En tout cas elle l'a bien aimée, la petite France, la revue porno-gay. Elle l'a empruntée pour quelques jours. Maxime était pas très content quand je lui ai dit ça. Lui qui crie partout qu'il est une reine et qui est tellement fier de ce que j'ai écrit sur lui dans l'Underground, qu'il a photocopié le passage et il voulait le mettre sur son mur de chambre. Des fois les gens sont durs à comprendre.

26 janvier 1995

Tout ce que je fais ces temps-ci ces la cause désespéré. Je dirais que je suis en décompression de ma rencontre avec une de ces misérables taupes de l'administration française, Mme Crettiez du bureau des équivalences des étudiants étrangers qui m'a lancé par la tête: «si vousn'aviez pas assez d'argent pour venir étudier à la Sobonne, vous n'aviez qu'à rester au Canada.» Mais madame, c'est pas ma fute si le Canada de me permettre de poursuivre mes études. Et c'est pas gentil ce que vous dites, imaginez si l'on disait la même chose aux Chinois au Canada au lieu de leur donner des bourses, la Chine au complet se lèvera pour cracher sur le Canada. Et c'est pas ma faute si le gouvernement québécois se fout de ses étudiants et que dans notre société élitiste seuls ceux qui auront des A+ de moyenne auront 15 000 fois plus de dollars que moi pour faire leurs études et qu'ainsi ils peuvent ne pas travailler et garder leur moyenne et voyez la roue vicieuse, et je ne m'en sors plus. Elle a explosé après que je lui ai dit que mes cours de grammaire que j'ai fait au Canada valent bien que l'on m'exempte du cours FR 310. Elle criait tellement qu'il me semble qu'elle a dû se rendre dans le bureau à côté pour justifier à ses acolytes une totale perte de contrôle de sa personne. Elle est vraiment intraitable, bête comme ses dieux pieds. Hier quand je suis entré dans son bureau, avant même que je ne dise un mot, la voilà qui me dit que j'avais déjà fait une demande de revision de dossier pour entrer en Maîtrise plutôt qu'en Licence. Qu'il fallait quand même pas que j'exagère, que c'était un peu fort de demander un second examen de dossier. Vieille peau. «Si vous êtes si bon, vous n'avez qu'à le faire et on en parle plus.» Yeah, yeah, fuck off! Moi j'abandonne tout. Fini pour moi la Sorbonne. J'ai encore manqué mes cours cette semaine, en plus je n'ai même pas l'impression de profiter de Paris.

- 628 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Je n'ai encore rien étudié, je fous absolument rien, c'est incroyable comment les journées passent vite et que l'on a le temps de rien foutre. J'abandonne. Je n'ai jamais eu aucune motivation à rien, voilà où l'accumulation de tout m'a conduit. Je continue à aller à quelques cours, essaye d'avoir les notes, mais il va falloir que je prenne une décision, parce que le Autrand devient pressant et que moi j'ai même pas fait la bibliographie. Je vais devoir lui dire que je vais le faire l'année prochaine, sans lui que l'an prochain je serai déjà loin de Paris.

Hier j'ai acheté à plus qu'à crédit trois grosses revues cochonnes, 146 Francs, moi qui mange même pas pour pas m'enfoncer davantage. Eh bien il n'y a même pas cinq pages qui sont énervantes. Le reste c'est trop gros, trop vieux, trop bizarre.

Je viens de renverser l'entonnoir de café, j'ai ai ramassé pour plus d'une heure, les murs et les planchers me semblent tacher pour la vie. J'ose à peine imaginer à quoi ça ressemble dans mon estomac. Depuis que je suis en France, il me faut boire cinq cafés normaux pour faire le même effet qu'un seul café français.

Hier on s'est rendu compte à la réunion des étudiants de la MEC, couronnée par la directrice, que les canadiens à l'étranger traînent tout leur petit bagage de problèmes avec eux. Ainsi c'était le gros free for all, tout le monde criait, était fâché sans que je puisse comprendre pourquoi, il fallait un corrum pour passer au vote sur une couple de décision et il n'y a jamais suffisamment d'étudiants, selon la constitution de la MEC pour voter et enfin accomplir des projets. Entre autres, le budget, assez serré, ne peut pas être ni déposé ni être accepté parce qu'on est pas capable de réunir les dix provinces et qu'on veut pas rapatrier la constitution du Canada en France, ce qui nous permettrait d'oublier le corrum, afin d'avancer dans nos politiques canadiennes en France. Ensuite, à la tête de la Maison du Canada il y a une Mexicaine qui étudie en politique, ma Mexicaine de l'autre jour, un Anglais, John, de Toronto, puis une québécoise tellement niaiseuse qu'elle me fait honte. Je dois avouer que ma Mexicaine elle fonctionne fort. John était silencieux mais paraît-il la semaine passée il faisait de l'abus de pouvoir en crachant sur tout le monde parce que tout le monde se fout pas mal de la MEC et qu'ils n'ont pas que cela à faire aider le Canada à se désembourber. Déjà que le Canada ne nous aide pas tellement question finance. Bref, à un moment donné tout le moonde parlait en même temps et je disais qu'on avait des problèmes consti

- 629 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

tutionnels et à un moment donné j'ai crié qu'il fallait faire la séparation. Ouh, la directrice qui est pro-séparatiste, s'est retournée pour regarder si c'était pas pour rire d'elle que je disais ça. La pauvre, j'en ai pas assez eu de l'insulter l'autre jour quand je parlais de M. Lemoine qui avait marié une femme beaucoup plus jeune que lui pour me rendre compte tout juste après que son mari a bien trente à quarante ans de plus qu'elle, qu'il est riche et qu'ils demeurent à Outremont. Outremont, je ne sais plus si ça appartient au fédéral ou au provincial? Bref, à un moment donné la directrice nous annonce que depuis deux ans on a sauté le budget d'une couple de 1000 Francs. Alors j'ai demandé si le déficit, via le Canada, avait été épongé avec notre budget annuel. Elle m'a dit de pas m'inquiéter, qu'on avait le même budget que l'année passée. Plus tard on s'obstinait à acheter un ordinateur PC à crédit avant même de savoir si les 5 à 7 allaient rapporter suffisamment d'argent. J'ai crié qu'il n'y avait pas de problème, que le déficit serait épongé de toute manière! La directrice capotait, elle m'a dit qu'on était pas au Canada ici. Je lui ai dit que c'était la même chose. Voyez comment on a bien appris notre leçon, nous la nouvelle génération.

27 janvier 1995

Hier dans mon cours de latin il y avait un jeune homme que j'ai regardé un peu trop longtemps. Il ressemblait étrangement à Edwin. Il me regardait lui aussi, pas de doute, tous les gays parlent le même langage. À la fin du cours il est allé poser une question à la vache, Mme Colot, ça m'a permis de lui demander ce que la Colot venait de dire. Il était fier de me répéter ce que j'avais déjà très bien compris. Je ne pouvais rien lui demander de plus. Alors en montant les marches on se regardait avec un sourire, à la sortie il attendait sur le trottoir. Je lui ai donc demandé son nom et son numéro de téléphone pour qu'il m'aide dans un latin que je ne comprends nullement. Le courage que ça m'a pris pour lui téléphoner aujourd'hui. La peur du rejet surtout, je shakait quand je prenais son numéro de téléphone en note, il m'a fallu me reprendre par trois fois à une heure d'intervalle chaque fois avant de signaler son numéro. Bref, on est allé au Banana café, le bar gay branché de Paris. Paraît que toutes les célébrités débarquent là. C'est dans les Marais, y'a pas plus Underground. Le jeudi ça se promène à poil, même la grosse propriétaire et paraît que c'est le meilleur re

- 630 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

mède contre la boulimie de voir ça, ça coupe le souffle et l'appétit pour une semaine. Il m'a bien averti avant d'entrer, c'est un bar gay, il était juste pour pas ajouter qu'il l'était pas. Il m'a avoué ensuite qu'il prenait un grand risque en admettant que je l'étais pas. Mais faut croire que je suis pas discret, qu'elle pute je fais, il m'a accusé de vouloir coucher avec. Je dois être un allumeur, et même, un allumeur inconscient, incapable d'aller jusqu'au bout de ses fantasmes. Oui, bien sûr, je sais bien que je le regardais bizarrement, il ressemble tellement à Edwin, en plus on est à Paris. Je vais bien dormir ce soir, c'est le renouement du passé avec le futur. Je venais à Paris pour être avec Bruno. Bruno n'y étant pas, je revenais à Paris courrir après des chimères, retrouver un Ed qui était pourtant à New York. Mais je pouvais pas aller à New York. Il ne me restait plus qu'à rencontrer Arnaud. Faut pas je me trompe, je m'en vais l'appeler Artaud celui-là aussi. Bref, on a parlé de fidélité toute la soirée. Une vrais obsession pour lui, je me demande jusqu'à quel point. Je n'ai pas particulièrement l'intention de coucher avec, mais j'ai l'impression que je réussirais assez facilement. On a parlé de sexe toute la soirée et de... fidélité. Il sort avec un Libanais, Habibe, ça fait un an et demi. On sortira tous au Queen lundi soir. Nous sommes allés au cinéma, voir Zero Patience, film canadien fucké à souhait qui dénonce l'industrie qui s'est construite sur le dos des sidéens. Comment dire tout ça à Bruno?

Je viens d'appeler chez Bruno, sa mère a répondu et elle avait pas l'air de bonne humeur. Je pense qu'elle est fâchée contre moi parce que Bruno vient me retrouver. Il vient de lui annoncer, et ça a l'air qu'elle est bizarre depuis. Elle me vouvoyait, la distance psychologique qu'elle a mise entre nous est devenue soudainement aussi grande que la distance qui nous sépare physiquement. J'étais mal, ne sachant trop quoi lui dire, je lui ai demandé pourquoi elle me vouvoyait tout à coup, elle m'a dit que c'est l'habitude, qu'elle dit vous à tout le monde. Elle m'a jamais dit vous, elle ne repond jamais au téléphone de Bruno. C'est drôle comment j'arrive à comprendre comment tout semble chambardé au Canada. Je me demande même pas pourquoi Bruno travaille exceptionnellement un vendredi soir, c'est clair qu'il fuit la maison.

Je viens de parler avec France, je lui ai raconté ma soirée bizarre au Banana café. Je

- 631 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

lui ai demandé ensuite si elle avait été fidèle. Je pensais qu'elle allait me mentir, non. Elle a déjà trompé ses deux chums. Je commence à croire que la fidélité n'existe pas. Même si mon jeune Arnaud en a fait tout un essai de dix longues pages et qu'il essaye de se convaincre qu'il va pas tromper son Habibe. Bibi Habibe, tchèque your baby, `cos he's goin' to bring me in his lit! Hi, hi, hi, et tout son long essai sur la fidélité va prendre le bord. Comme c'est dommage. Ben non, garde-le ton bébé, il est beau mais j'en ai pas besoin. Le mien s'en vient bientôt et j'en peux pu d'attendre. Je n'ai pas réussi à réveiller mes fantasmes avec ma rencontre d'aujourd'hui. Je vais aller me masturber en pensant à Bruno, et peut-être même à la proprio du Banana café. J'ai un faible pour les grosses. Quand on aura terminé la sensibilisation sur l'homophobie, il faudra commencer la sensibilisation sur les propos anti-gros. Je ne crois pas que dans les sociétés actuelles nous devrions tolérer plus longtemps que l'on puisse abaisser à ce point plus de la moitié de la planète sans soulever les foules. Gros de l'univers, je vous ai compris! Parce que le Arnaud m'a traité de gros ce soir, alors j'en fais mon obsession. Je l'avoue, j'ai un petit pneu et je suis flasque, autant que la peau qui pend sous le bras d'une vieille. Les propos anti-vieux aussi il va falloir attaquer ça bientôt, pourquoi le gouvernement ne commence-t-il pas ses publicités? Éventuellement on aura une société parfaite à 100% hypocrite qui osera plus rien dire de ce qu'elle pense. Comme la vie sera belle alors! Alors moi je fais le serment de me taire le jour où je n'entendrai plus aucun vieux marmonner contre moi. Ce jour sera celui du jugement dernier. Arnaud m'a avoué sans honte qu'il croyait en Dieu créateur de l'Univers. Ça m'a coupé le souffle. Il m'a aussi parlé qu'Hadibe a reçu une lettre d'un curé qui lui a avoué que l'homosexualité n'entrait pas en contradiction avec Dieu. Pas fou le gars, il s'est renseigné au bon curé pour pouvoir continuer à croire en Dieu. Le curé en question, M. Guilloux je pense, vient de se faire excommunier du catholicisme par le Saint-Siège à Rome. Son livre est devenu un best-sellers du jour au lendemain, j'ai même pu l'observer à la place d'honneur chez Virgin Records Mégastore sur les Champs Élysées. Pauvre Dieu, il vient de se retourner dans sa tombe. J'ai appris de source sûre qu'il est enterré au Père Lachaise. Quand je vous dis que Paris est le centre de l'Univers, c'est vrai!

28 janvier 1995

- 632 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

Et le gouvernement du Québec, lui, il est même pas sur la map. Ils viennent de m'envoyer leur avis de calcul pour m'aider dans mes études. J'ignore comment ils ont fait leurs comptes, mais ils me donnent 1400$ de moins que prévu. Alors je ne peux pas rembourser Bruno, alors je peux pas espérer finir l'année. Voyons voir la crise que Bruno va faire? Et pendant ce temps je suis le seul sur mon étage à crever de faim, la fille d'à côté avec ses 15 000 dollars du même gouvernement pour écrire un papier sur le béton, et l'autre à côté, même chose, pour écrire un papier sur Poussin. Semblerait qu'Artaud est moins important qu'un poussin en béton. J'ai envie de leur renvoyer le papier et leur dire que si c'était tout ce qu'ils peuvent faire pour moi, ils n'ont qu'à laisser faire, je vais m'arranger autrement. De toute façon ça changerait rien. Quand je pense qu'un petit mille dollars de moins à chacune des deux filles à côté pour le mettre à mon nom ferait toute la différence. Je ne revendique même pas 15 000$ en bourse comme elles ont, je souhaiterais que l'on me laisse le 1 400$ que l'on m'avait promis en prêts. Qu'importe que je ne travaille pas encore dans mes études ou que ne passerai peut-être pas à travers? La question n'est pas celle du mérite, mais de la justice. Quand tu crèves de faim, tu n'as pas envie d'étudier, tu veux juste écrire une brique de lamentations. Quelle idée ont-ils de l'égalité des étudiants, de la liberté de s'éduquer, de la fraternité entre Québécois? Ils n'en ont aucune, comme ma famille. Et il me faudrait être pro-séparatiste, sans même savoir si ce ne sera pas pire ensuite. Merci M. Parizeau d'avoir rien changé au système Bourrassa-Johnson. Comme la vie me sera belle, il va falloir que je trouve une solution. Il faut que je travaille, je pense que les études vont définitivement prendre le bord. Je ne peux pas continuer comme ça. Je dois trop d'argent à tout le monde et tout ce monde est en branle-bas le combat contre moi. Je leur ai dit que j'allais les rembourser et me voilà prêt à leur demander encore de l'argent. Les choses ne peuvent qu'aller plus mal.

29 janvier 1995

Le gazon a beau être vert, il a beau faire entre 15 et 20 degrés Celsius au lieu de -25, je suis dépressif. Insécure face à mon avenir social et amoureux. J'arrive de prendre une

- 633 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

bière avec Edgar et Franck. Si j'avais une vie de couple aussi mouvementée, je deviendrais fou. Ça allait mal, Franck a pris peur qu'Edgar aille voir ailleurs, alors il lui a proposé un plan pour avoir du cul à trois. Il a essayé de ramener quelqu'un de beau d'où il s'entraîne, mais on a refusé de répondre à son plan. Finalement il en a ramassé un plutôt moyen et l'a ramené à l'appart. Tout nu dans la douche il était bien, paraît-il, mais dehors c'était autre chose. Edgar n'a même pas bandé pendant que Franck et l'autre venait. Alors comme Edgar était pas contenté, il voulait coucher avec un autre. Alors ce soir ils vont à la Banque, un sex shop bizarre où il y a des compartiments et où tu peux avoir du sexe. Ça fait trois fois qu'ils y vont ensemble, ils y sont allés plusieurs fois chacun de leur côté. Franck y va à contre-coeur, il est jaloux mais c'est là tout le paradoxe, lui même n'est pas fidèle. Ils m'ont proposé d'y aller. J'ai dit que ça semblait intéressant à voir, mais pas pour avoir du sexe. J'ai dit ça comme ça, j'ai vraiment l'air d'un crétin ignorant face à eux autres. Semblerait que le tout Paris et le tout New York en font une pratique commune de ces endroits pour le sexe. Edgar m'a proposé de les regarder faire l'amour à une condition, que je me montre un peu. C'était clair, ça a été dit, je n'avais qu'à dire oui ou non. Je me demande même si cette idée allume un quelconque fantasme dans ma tête. Ça me rend plutôt dépressif. J'ai dit que Bruno serait ici dans une quinzaine de jours, il serait ridicule que je remette en question ma relation avec lui pour ça. Somme toute, je l'aime et je serais bien mal pris sans Bruno. Je serais là à la merci de cette jungle. Moi qui n'avais même jamais acheté de revues pornos avant la semaine passée. Puis j'ai repensé à Maxime, il dit que parce qu'il n'a pas de chum, il peut coucher avec qui il veut. Alors il couche avec tous ses amis et il a pas voulu me dire s'il avait couché avec des gens à Paris. Il est déjà sorti seul au Queen, c'est sûr qu'il a ramassé des gens. Mais il veut pas passer pour immorale. Ce qui m'inquiète dans tout cela c'est, comment Bruno pourrait-il être vraiment fidèle quand on regarde tout ce monde autour de nous? Je l'ai appelé ce soir, il semblait de mauvaise humeur. Il dit qu'il veut que notre relation soit construite sur la confiance. Mais c'est ça le problème, comment faire confiance? C'est bien beau quand ton chum veut aller à la piscine, mais même s'il veut pas te tromper, rendu là il risque de te tromper. Je lui ai dit que s'il tentait de s'inscrire à un club de sport à Paris, lui et moi c'était fini. Parce que c'est clair que le sport à Paris vient avec le sexe. Peut-être qu'un jour j'en serai là, peut-être plus rapidement que je le pense si ça vient qu'à se terminer

- 634 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

entre moi et Bruno, mais pour l'instant je n'en suis pas là. Quand ton chum te trompe, c'est souffrant. Juste croire qu'il te trompe, c'est déjà suffisant pour que tu commences à chercher des portes de sorties. Quand bien même je lui ferais confiance, si ça me rend malade, j'aime mieux être seul et m'en payer un à l'occasion quand je suis trop en manque. Parce qu'il dit qu'il veut se baigner à Paris. Fine, on peut y aller ensemble, mais il voudrait que je lui prouve que j'ai confiance en le laissant aller tout seul. Je devrais pousser plus loin avec Arnaud pour voir jusqu'où il irait avant de me sauter dans les bras. Tester sa fidélité et constater jusqu'à quel point cela peut exister. S'il en viendrait à laisser son chum pour moi avant de coucher avec moi, ou s'il serait finalement prêt à tromper son chum. En fonction de cela je pourrais voir s'il serait bien pour moi. C'est pas évident de vivre en couple à Paris, j'en serai incapable. Je ne veux pas d'appartement à Paris plus tard si je veux que ça marche entre moi et un autre. Je pense que je panique ce soir parce que soudainement je vois que Bruno fera encore des erreurs et que je voudrai le laisser. Alors je me rends compte que je suis seul au monde.

- 635 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

22 février 1995

(Deuxième trip) Jonquière futuriste, ou plutôt différent, oui, ce serait mieux. Jonquière dans un rêve. Rencontre de personnalités bizarres, et tout.

Faut être malade, y a-t-il une limite à ce qu'on peut faire? Quand j'ai raconté ma première soirée à Maxime (je n'ai pas pu me retenir, il me fallait la raconter) il me croyait, mais à la fin il m'a demandé confirmation de la vérité. Alors je lui ai dit que ce n'était pas vrai, qu'il était vraiment naïf d'avoir cru une historie pareille. Alors là il n'avait plus aucun doute, tout était faux. Je l'ai raconté aussi à France, elle m'a pas cru mais un doute persistait. Mais elle je l'avais bien trop préparée lui disant ce que je voulais écrire pour l'Underground, les faits en fait. À la dernière minute il valait mieux qu'ils pensent que c'était inventé. Ainsi ça devient une histoire banale.

Il y a des gens assis à toutes les tables. J'ai tenté de parler avec un ou deux, c'est comme si je n'existe pas. Mais il y en avait un qui me regardait, je me suis donc assis à sa table, la conversation a été bizarre. Il m'a demandé ce que je faisais là. Question irrépondable. Il voulait savoir ce que j'espérais d'eux, si j'avais la moindre idée de ce qui se passait ici. Des questions inquiétantes à répondre. Je ne voulais pas répondre n'importe quoi. Mais en effet, comment saurais-je moi ce que font ces sociétés secrètes en admettant qu'elles fassent toutes la même chose? Alors je lui ai posé des questions. Je lui ai demandé ce qu'il faisait là, il m'a répondu qu'il n'était pas là. Très drôle. Continuons. Je lui ai demandé ce que je pouvais espérer d'eux. Y'a pas de limites à ce qu'on peut espérer d'eux, me dit-il. Ce qui s'y passe? On te transmet un savoir, en tout premier lieu. Bien, mais quel savoir? Une vision des choses que je n'ai pas. Mais quelle vision des choses? Le cours de vocabulaire, nous ne sommes pas à la Sorbonne, pas besoin de passer huit mois à t'enseigner un tout nouveau vocabulaire avant de te faire couler ton test. On ne peut pas m'en dire plus. Le comité d'accueil n'a pas encore pris de décision? Semble-t-il, les formalités sont d'un tout autre ordre que celles de la Sorbonne. La vie n'est qu'une longue série de formalités. Avant, pendant et après la vie. J'en ai assez des formalités, que ça marche et puis vite! Comment peut-on faire

- 636 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

confiance à ces gens. Et si vous ne me dites rien de ce pseudo-savoir, comment voulez que je crois qu'elles existent effectivement ces connaissances? Et d'abord, que dois-je faire?

(Plus tard) Je suis seul dans l'Underground.

Voyage en Amérique, New York dans le passé, comme colonie anglaise. Ce qui me fera peur cette fois c'est de me retrouver dans la salle mais c'est plus terrible ce qui arrive. Le métro tombe dans un gouffre, I don't know.

23 février 1995

J'ai été passé un test de dépistage pour le Sida, même si je sais que j'ai pas trompé Bruno et que j'ai pas fait grand-chose avec lui. C'est absurde mais juste à y penser, je n'ai plus motivation à rien, juste de me laisser mourir.

28 février 1995

Bruno m'a laissé, ça fait plusieurs mois déjà qu'il sort avec un autre. Il aimerait bien que je n'insiste pas pour lui reparler, à moins qu'il ne s'agisse de l'argent. Il me dit qu'il ne reviendra pas avec moi. Je n'ai plus la force de commenter.

2-3 mars 1992

Ça a commencé tout simplement le soir où je suis sorti, le premier soir. J'y ai rencontré Bruno. Je me souviens, il me regardait avec ses yeux charmants et pleureurs pendant que Colin me faisait une conversation du christ. Il aurait voulu me sauver, me parler à la place de Colin. Il a risqué pour demander: «Tu retournes chez toi comment?» Il m'a proposé de me ramener. Quand j'allais danser il venait aussi, je m'en surprends aujourd'hui car ça ne lui ressemble pas. Tout comme de sortir dans ce bar d'ailleurs. Chose bizarre il semblait seul ce soir-là. Mais il était venu voir ses amis qu'il n'a pas vu de la soirée puisqu'il est resté à côté de moi. En parallèle, c'est à peine si je m'intéressais à lui, curieux de voir les gens dans

- 637 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

le bar. Pour une première expérience en un tel endroit, tout m'était permis. Mais on s'est retrouvé seul et il semblait vouloir dire quelque chose. Je lui ai dit: «Parle!» Il a dit: «Tu es très beau.» Je n'ai pas été dans la capacité de dire quelque chose sur le coup. Deux minutes plus tard je lui disais: «Tu es très beau toi aussi.» On est allé reconduire Luc avant de me déposer, celui-ci a protesté que je devais être déposé en premier, peut-être s'intéressait-il à Bruno ou à moi. N'empêche, enfin seul dans la voiture, Bruno a mis sa main sur ma jambe et m'a pris la main. Je lui ai dit: «Wow, ça va trop vite.» Juste avant de me déposer, il dit: «C'est de valeur, j'aurais aimé parler plus longtemps. On devrait aller prendre un café pour se connaître davantage.» Aujourd'hui je me rends compte de mon ignorance et je comprends qu'il savait ce qu'il faisait. «Je n'aime pas les mind games. J'ai envie de te prendre la main alors je le fais.» «La littérature anglaise est intéressante, j'ai moi-même écrit quelques histoires que mon professeur a qualifiées de très bonnes.» Je lui dit que le lendemaine on peut se revoir à l'université pour travailler. Le lendemain est une journée mémorable. Lui assis sur une chaise, je le regardais en réfléchissant à ces bras qui pourraient m'entourer. C'est possible et ça va arriver. Je l'observais, il était si beau, un vrai gars, je me demandais si on pourrait s'aimer. Je n'avais jamais aimé, peut-être que si, mais des illusions dès le départ c'est pas aimer, du moins ce n'est pas l'amour. Entre les rangées de la bibliothèque on se tenait très près. On se touchait et la sensation était incroyable. Il a proposé d'aller jouer du piano dans une petite salleexprèsà l'université. J'ai été impressionné par son classique, il se décide à m'embrasser. Moi, embrasser? Je n'Ai jamais fait ça en aimant ça. Je croyais qu'il fallait me résoudre à oublier cet acte car ça ne me procurait aucun plaisir. Sur le fait je voulais plutôt être dans ses bras. J'ai dit: «J'aimerais être plus près de toi.» Je lui tenais les mains, inoubliable, pour la première fois je tenais les mains d'un homme, moi. «J'aimerais aussi être plus près.» Je me suis approché sur le banc du piano, je le tenais dans mes bras alors que son chandail était un peu relevé. Il voulait voir ma circoncision parce qu'il pensait à se faire circoncire lui aussi. Je lui ai montré et quand le moment fut venu de serrer ma chose, il a dit: «Pas tout de suite.» Le soir même on s'est retrouvé dans un salon de l'université après les heures. J'ai enlevé mon gilet, lui aussi, on s'est embrassé, on s'est masturbé, je le regardais, nu, il était beau. J'avais cette chaleur de son ventre sur le mien, je pouvais lui toucher le visage, les mains, lui ronger les ongles. Il s'est assis sur une chaise

- 638 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

rembourpublique et qu'il n'y avait personne, on s'embrassait et c'était fameux. On marchait dans les corridors vides en se tenant la main. Dans l'automobile, ses mains sur moi me faisait capoter. Je m'approchais de lui sur les routes isolées, je l'embrassais dans le cou. On a fait l'amour dans un champ vert, dans la voiture. Tous les deux, là, nus sur le banc avant. Il était assis sur ma jambe, je pouvais me coller contre lui, incroyable. On a éjaculé comme des déchaînés, il me trouvait beau, je le trouvais beau. Des souvenirs pour marquer une vie. Lorsque l'on faisait l'amour dans ma chambre, il m'a dit à plusieurs reprises que j'étais son plus beau chum et que je l'excitais en christ. Un soir on a fait l'amour et j'ai pénétré en lui. J'ai éjaculé en lui. Ce jour-là, je me suis considéré comme n'étant plus vierge. Bientôt ce sera mon tour. «T'es le premier que je veux voir venir dans ma bouche et que je veux sentir en moi.» Des fois on se voit, on est tellement excité, c'est l'enfer. On se saute dessus, on éjacule deux et trois fois dans la même demi-heure. Quand je le vois en caleçon, ses fesses rondes et belles, je me dis, il n'y a pas plus beau. Profitons-en pendant que ça passe, on risque fort de ne plus revoir ça un jour. Si beau quand il dort, quand il se réveille fuckké le matin. Je lui fais des massages, je le touche partout, ses bras, son dos, en dessous les bras. Je l'embrasse à l'occasion, je lèche ses fesses et même plus. Il dit alors qu'il est au paradis. On est allé mangé au restaurant chinois une fois. J'aime sa désinvolture, sa façon simple de dire ce qu'il veut, de demander de l'eau, de remarquer des détails qui me surprennent. C'est une expérience de la mienne qui roule dans sa tête. Il pense différemment que les gens. Il apprécie l'art, il sait apprécier ce qui est beau. Peut-être appréciera-t-il ce que j'écris s'il lit mon livre un jour. Il aime que je sois écrivain, il a confiance que je serai très bon, il m'encourage et mieux, il m'inspire en christ. J'aime sa senteur, il a une senteur particulière. Quand j'entends un piano, je réagis. Il me ressemble beaucoup, je crois. Je pense que l'on est fait pour vivre ensemble. C'est même bizarre de voir jusqu'à quel point nous avons les mêmes intérêts, les mêmes ambitions. C'est même surprenant que le premier gars que je rencontre soit pratiquement l'homme parfait pour moi. Personne n'est parfait, mais les avantages sont incroyablement satisfaisants et laissent croire que les défauts sont extérieurs et secondaires. D'ailleurs, nos principaux points de litiges sont plutôt le temps et la société qui nous arrêtent dans notre relation. Il est combien de valeur de découvrir après de telles phrases que la personne en question se demande si elle m'aime. Alors qu'au début je me

- 639 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

demandais si je l'aimais, si c'était plus vert ailleurs, espérait aller voir ailleurs, aujourd'hui c'est tout le contraire. Je n'ai pas besoin d'aller voir ailleurs, je sais que j'ai ce qu'il y a de mieux pour moi. Je l'aime, je crois que ma vie ne oeut se faire sans quelqu'un qui possède les mêmes qualités. Je m'accroche au fait que le temps nous manque tellement qu'on a pas eu le temps de vraiment se connaître. Je m'accroche aussi au fait qu'un jour notre temps viendra où l'on pourra vraiment vivre un peu ensemble afin que cette vie s'ouvre enfin à nous et que notre relation commence pour de bon. Mais il faut être réaliste, le temps ne permet même pas cet état de fait. Alors je lui laisse le temps de m'aimer, de voir les choses avec pplus de distance, mais il faut être réaliste. Il rencontrera quelqu'un d'autre un jour et c'est avec lui qu'il finira ses jours. Peut-être. Les gens sont tellement changeants, méchants, je m'inquiète plus que tout d'être dans l'obligation de me trouver une autre personne dont j'anticipe les conflits. Seul Bruno m'apportait une raison capable de distinguer les faits justement. Seul Bruno m'apportait cette assurance que l'on ne perdrait pas vainement une énergie dans des discussions du christ et des obstinations de l'enfer qui n'aboutissent nulle part sinon à la destruction. Enfin, je crois posséder les mêmes qualités, je pense être quelqu'un de pas compliqué, dans la capacité de comprendre et de pardonner. Il caractérise la sagesse et j'adore. Trop parfaits pour vivre ensemble implique une séparation. Est-ce vrai? Je n'ai pas la chance de le croire et de me défaire de mes idées, il m'offre la possibilité de croire aux jours où nous serons heureux ensemble. Et je le crois car je le veux. Je sais que nous pouvons nous entendre à long terme. Je comprends qu'il est cet humain avec qui je peux partager ma vie. Jamais personne m'impressionne en disant une réflexion qui pourtant à première vue reste ordinaire. Pas beaucoup de gens provoquent chez moi une jalousie par rapport à une pensée et à des actions qu'elle peut faire. Il existe dans ma vie une valeur importante, la stabilité. On vieillit, on comprend qu'il nous faudra bien finir nos jours un jour. Se trouver quelqu'un, s'installer quelque part, être heureux. Mais croire que je pourrais trouver cette personne à 19 ans aujourd'hui, c'est rêver haut en couleur. Je dois rencontrer ma bunch de personnes intéressantes, en faire souffir plusieurs, souffir moi de même quelques années, j'espère au moins ne pas souffir jusqu'à 30 ans. C'est un drôle de temps que celui où nous vivons, je n'aime guère cette liberté trop grande qui fait de notre vie une chose instable au point de vue affectif. Il faut croire, je n'ai pas fini mes réflexions, mais

- 640 -


Roland Michel Tremblay        Underground Uncut        www.lemarginal.com

chose certaine, tout a déjà été dit sur le sujet et je n'ai aucune inspiration à aller y chercher. Je veux quelqu'un qui m'aime, que j'aime, une relation stable. Grâce, j'avais trouvé, il me faudra chercher encore. J'ai plein de choses à vivre, je ne dois pas me décourager. Je vais rencontrer quelqu'un d'intéressant, des qualités différentes, des valeurs différentes, je vais être heureux aussi. Combien de temps? Bof. Je vais les revivre ces moments extraordinaires sexuellement avec ou sans Bruno. La vie tourne vite, on vieillit trop vite, on meurt tôt, peut-être même que je n'atteindrai pas le 30 ans, Bruno non plus, qui peut prévoir l'avenir? Vivons le jour le jour, soyons heureux, tentons les folies, et espérons puisque voilà le sens de notre vie.

R.M.

Paris

Mars 1995

- 641 -

Retour à la Bio-Bibliographie

Imprimez et lisez ces pages à partir d'une des versions à télécharger :

 

    Underground Uncut:                Tous les Livres de RM:                Les Applications:

   Acrobat Reader (PDF)            Acrobat Reader (PDF) (EXE)               Get Acrobat Reader

      MS Word (DOC)                      MS Word (DOC) (EXE)                      Get Acrobat eBook Reader

      MS Reader (LIT)                     MS Reader (LIT) (EXE)                     

Téléchargez la version coupée et corrigée de l'Underground:

Acrobat Reader (PDF)

MS Word (DOC)

MS Reader (LIT)