Travailler à Westminster

Intelligence non requise

 

 

Roland Michel Tremblay

44E The Grove, Isleworth, Middx, Londres, TW7 4JF, UK

+44 (0)20 8847 5586, +44 (0)794 127 1010

rm@themarginal.com    www.lemarginal.com

 

 

Préface

 

Ceci est mon journal personnel, bien que finalement l’ensemble forme un tout suffisamment consistant pour avoir un titre et former un livre. Il n’est pas exclu que ce livre soit publié un jour, mais pour l’instant il n’y a aucun projet en ce sens, j’ai plusieurs autres livres à considérer avant (ils sont tous en version intégrale sur mon site). Seule mon indécision et mon manque de temps prévient la publication de mon septième livre, mon éditeur attend mon prochain depuis longtemps.


Inutile de me faire des commentaires (en particulier Sakkat), c'est un juste un journal. Je le mets ici parce que je dois le relire au moins une fois avant de le mettre en ligne sur mon site. Le mettre en ligne ainsi au jour le jour, au fur et à mesure, est ce dont j’ai besoin pour me motiver à le corriger. Notez aussi qu’après quelques commentaires négatifs, je vais tout simplement le faire disparaître de ce forum. Je n’ai pas besoin de critiques négatives, non plus de positives, j’écris d’abord pour moi sauf si j’écris de la fiction. Et je veux aussi encourager les autres à mettre leur blog en ligne ici.


Notez que ceci sera mon dernier livre écrit en français. Après onze ans à Londres, et six mois à Los Angeles, j’ai décidé de n’écrire que ce qui vient naturellement, l’anglais. À part ce livre, il y en a juste un autre francophone qui n’est pas en ligne sur mon site : « Un Québécois à Hollywood ». Mais celui-là me demanderait trop de temps à corriger, alors c’est pas pour demain.


Anyway, être un écrivain Québécois reconnu seulement en France, ne m’a pas tellement aidé. On me regarde encore comme une sorte de phénomène bizarre. Un handicapé de la langue française (pourtant, oui, oui, j’ai étudié à la Sorbonne de Paris IV, un échec lamentable). Alors, aussi bien être un écrivain handicapé anglophone, avec une maîtrise en littérature française de l’Université de Londres. Beaucoup plus respectable que la Sorbonne dans mon cas, car j’ai passé (tout juste).

 

Si mon blog anonyme anglophone actuel vous intéresse, « Mycroft Holmes in Los Angeles » ou « Corporate America, If there ever was a hell on earth, this is it », il est en ligne ici : myholmes.blogspot.com

 

C’est la suite de ce que vous lirez ici en français. Je n’ai aucun visiteur sur ce site, je n’ai jamais dit à personne qu’il existait. Si mes employeurs lisaient ça, je serais mis à la porte immédiatement et je devrais quitter Los Angeles pour retourner à Londres. Encore une fois, c’est juste une motivation pour moi de corriger au fur et à mesure mon blog. Ce n’est peut-être pas de la grande littérature, mais c’est un besoin pour moi d’écrire les événements importants de mon existence. Vous n’êtes pas obligés de lire ça, j’ai autre chose plus intéressant à lire sur mes quatre autres sites Internet, en deux langues.


Roland Michel Tremblay


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19 octobre 2004

 

Mon deuxième jour au travail. Je tente d'écrire avec mon iPaq Compaq Pocket PC et un clavier portatif, mais je pense que le train bouge trop et que tout le monde va me regarder, une fois qu'ils entreront durant les stations prochaines. Je devrai trouver des endroits où écrire, je pense que je ne serai pas trop capable d'écrire un livre comme j'espérais.

Je sais à peu près à quoi ressemblera ma deuxième journée au travail, j'ai décidé de tout prendre au jour le jour, seule façon de ne pas capoter. Bon, j'arrête d'écrire.

 

 

22 octobre 2004

 

   Eh bien, finalement cette dernière réunion n'avait rien de bien effrayant. Semblerait qu'il y a beaucoup de confusion à propos de ce que fait l'organisation, ce que fait notre département et ce que les employés eux-mêmes font. Bref, je n'ai pas à m'inquiéter à savoir ce qui se passe dans l'organisation, personne ne sait. Cependant, écrire des conférences sur les 30 sujets potentiels identifiés jusqu'à maintenant ne sera pas de la tarte. Ceux qui semblent avoir travaillé là depuis des années, pour plus de 20 ans, ne sont pas du tout contents de la nouvelle administration, et je n'envie pas mon patron d'être obligé de transiger avec ces vieux cons qui ont eu la vie trop facile pendant trop longtemps, et qui ont perdu le nord et la tête parce que par trois fois dans le passé on leur a dit qu'ils déménageraient de bureau et ça ne s'est pas encore produit depuis.

   En plus, je crois avoir identifié deux autres gais et ils semblent intéressés à me parler, bien que franchement je n'ai rien d'attirant en ce moment, et en plus c'est pas évident que je suis gai, je ne l'ai dit à personne. Le premier est un Libanais avec un style pas mal impressionnant et d'une intelligence hors pair. Cependant il est un peu fatigant et pense tout savoir (bien qu'il soit fort possible qu'il sache tout). Il est aussi possible qu'il ne soit pas gai et que son enthousiasme ne soit que, finalement, il est écœuré de produire des conférences et je pense qu'on lui a dit que je prendrais cette responsabilité.

Aujourd'hui il se lamentait qu'il lui fallait un assistant au plus vite et qu'il serait temps que l'on explique aux nouveaux employés ce que l'on attend d'eux. J'ignore s'il parlait de moi, en tout cas je lui ai expliqué hier qu'en ce moment je faisais une analyse de toutes les conférences actuelles, passées et à venir, et que j'élaborais un plan d'action. Il voulait me rencontrer aujourd’hui, sans doute pour me balancer par la tête toutes ses conférences, mais je lui ai dit que je devais d'abord rencontrer les directeurs au milieu de la semaine prochaine et ensuite les subordonnés (dont il est).  Je pense qu'il ne comprend pas que je suis responsable de toutes les conférences, tel un consultant, et non comme un producteur en tant que tel.

Juste à regarder à l'ensemble des conférences, il y en a au moins 200 par an réparties entre les 16 facultés et 6 forums. À moi seul je peux en produire environ 7 par an, lesquelles alors ? Certainement pas les siennes, les évaluations (de propriétés je suppose) ne sont pas un sujet qui m'intéresse tout particulièrement, d'autant plus que je n'ai aucune idée de ce que c'est. Je pense qu'il sera plus probable que l'on engagera plusieurs producteurs de conférences et que ce sera mon rôle de leur montrer comment faire et de superviser le tout. J'aimerais bien cela, d'autant plus que si le profit n'est pas ce qui compte, alors je ne serai jamais sous pression de produire des succès. Tout le monde s'en fout si le tout échoue, et je puis également blâmer notre base de données qui ne contient que des membres de l'organisation, et aucun nom de nos délégués passés qui n'étaient pas membres.

   Je dois également ajouter que j'ai bien aimé ma première semaine, et je ressens une sorte de buzz à travailler à Westminster où la famille royale habite depuis des milliers d'années en des châteaux tout le tour de St. James’s Park où je vais tous les jours sur l'heure du dîner. Si je ne perds pas trop de temps, si je suis capable d'impressionner le patron, mon futur dans cette association est assuré pour des années, et j'aimerais bien cet emploi sur plusieurs années.

   Ah oui, à propos du deuxième gai, cela est encore plus évident et positif. Il est un peu queeny, et il n'a pas de bague au doigt. En plus, tenez-vous bien, il est le deuxième en charge et il était le grand patron pendant plusieurs mois jusqu'à ce qu'ils trouvent le remplaçant du patron précédent. Si je réussis à m'approcher de lui, je n'aurai plus rien à craindre, je monterai vite dans la hiérarchie. Il n'est pas exceptionnellement beau, mais il n'est pas laid. De toute manière, je suis tellement en manque de sexe, que je suis convaincu qu'il me comblerait amplement. Cependant il ne semble pas trop m’aimer. Sans trop savoir comment, je pense que je l’ai aliéné avant même de l’avoir rencontré pour notre réunion à propos des conférences.

   Je parle comme si j'étais un vrai capitaliste endurci et ambitieux, prêt à marcher sur la tête des autres pour arriver à mes fins. Bien entendu il est clair que je suis tout le contraire et que tous ces jeux me dépriment. Cependant je joue un peu ce jeu maintenant pour m'encourager et me motiver un peu. Sinon, le tout est si triste, que je penserais certes à me tirer une balle dans la tête. J'espère sincèrement que Watson soit gai et qu'il sera intéressé à moi. Je ne veux même pas que cela aille trop vite, car s'il sort déjà avec quelqu'un et s'il est inaccessible, ou s'il est marié avec enfants, je serai bien déçu et je perdrai ma motivation. Notons que je ne souhaite pas particulièrement coucher avec lui, mais avoir un allié serait déjà une bonne chose.

Je dois également parler d'un homme qui travaille là, il est aveugle et ressemble étrangement au Prince Charles. Lors de mon entrevue il parlait avec un membre de l'organisation (il est membre lui-même) et après que la rencontre fut terminée, il s'est carrément frappé dans un panneau, pensant que c'était la porte. Je n'ai pu m'empêcher de sourire, bien que je le regrette. Jamais je n'aurais cru alors que moins de deux semaines plus tard, je serais dans une réunion avec lui. En plus il s'est beaucoup lamenté, il semblait en avoir gros sur le coeur. D'autant plus qu'il déménage dans la bibliothèque et cela ne semble pas faire son affaire (alors que moi je serais très heureux d'être dans la librairie). Bon, j'arrive à destination, vaut mieux fermer l'ordi.

 

22 oct 04 partie 3

 

Mon patron devait bien savoir lorsqu’il m’a engagé que j’écrirais un livre sur lui et l'organisation dont il a héritée. Sinon, il est plus imbécile que je ne le pensais. Je lui ai montré mes livres en entrevue, je lui ai clairement dit que quelques-uns  étaient des livres autobiographiques qui racontaient ma vie alors que je suis arrivé à Paris, à New York, à Londres. Peut-il vraiment croire que je n’allais pas décrire tout ce qui passe ici ? Peut-être souhaitait-il être immortalisé ? Dans le décor du Parliament Square… Oh dear, certains ont une psyché incompréhensible. Je pense qu’il était trop con pour imaginer que j’allais écrire un livre complet sur lui et ses échecs. Inutile de penser que je pourrais parler de ses succès, seul l’enfer mérite d’être dit, dénoncé, construit en littérature anarchiste contre le capitalisme éhonté. Bah… bah. Je baillerai sans doute entre deux réunions, et oublierai de mentionner ses short-comings.

Encore faudrait-il que ses erreurs m’atteignent, car ils ont bien expliqué aujourd’hui qu’ils pratiquent une sorte de communication interne basée sur un style de cascade. C’est-à-dire que le grand patron radote à ses directeurs, les directeurs radotent à leurs subordonnés, mais seulement ce qu’ils jugent nécessaire d’être dit, et les subordonnés placotent avec le reste de la compagnie, et le tout devient une sorte de jeu de téléphone chinois où tout m’arrive avec distorsion. Mais n’oublions pas que j’ai des réunions avec le monstre à la tête de l’organisation, j’entends donc les rumeurs de première main. Je suis dans le secret des dieux, je peux moi aussi partir des rumeurs sur les événements à venir. Non pas que cela m’intéresse, mais je suis toujours prêt pour un bon gossip juteux. They better be juteux, or else I won’t have a book to write.

Pendant ce temps, sur mes heures de lunch, je marche autour du St. James’s Park. Là où tout autour la famille royale actuelle habite, y compris le jeune prince Harry. Harry est officiellement hétérosexuel, et cela est vraiment ordinaire. Il sort tout le temps, french des filles à moitié nues stupides, frappe des photographes, bref, rien d’intéressant. Pourtant il fait la une des journaux chaque fois qu’il sort en ville, et tout le monde lit ses déboires, même moi. Je dois me sentir bien près de la mort pour lire des articles sur le jeune prince sans avenir et ses déboires. Il ne me faudrait pas le rencontrer dans St. James’s Park, alors qu’il ferait marcher le chien, car je te le déviergerais pour vrai et lui ferais comprendre les vraies réalités de la vie. Un jeune con comme lui, sans cerveau, riche à craquer, sans rien avoir à faire, il mérite une bonne dose de réalité. Mais voilà, il entre dans l’armée l’an prochain, et cela est plus qu’une bonne dose de réalité, bien que je sais qu’ils vont y aller doucement parce qu’il est le fils du futur King. Good. Ou alors ils vont le martyriser à cause de cela, je ne sais pas. J’espère qu’il en écrira un livre, alors nous saurons. Il semble être tout à fait sans envergure, mais s’il écrivait un livre, nous verrions sans doute qu’il existe en trois dimensions (au moins) et que ce sont les journalistes du Evening Standard qui sont à blâmer pour nous avoir convaincu que le jeune idiot n’avait rien dans la cervelle.

 

 

Lundi 25 octobre 2004

 

Je m'en vais au travail, encore une fois, pour ma deuxième semaine. J'ai travaillé toute la journée du dimanche à chercher des fichiers de mes anciens emplois dans les conférences pour m'aider dans mon emploi actuel, mais je n'ai pas trouvé grand-chose, et finalement je devrai écrire moi-même ce manuel pour aider à produire des conférences. Ma peur la plus grande est que mon patron veuille me rencontrer et que je n'aie pas grand-chose à lui montrer. Il me faut donc bouger vite et travailler fort.

La première semaine a été perdue à mon avis, même pas à apprendre ce que font ces facultés, mais juste à établir la liste des conférences actuelles. Une semaine ça m'a pris, sans compter que le tout était déjà dans une base de données sur le réseau et que je n'avais qu’à extraire l'info dans une feuille Excel. Voila comment on arrive à perdre son temps radicalement, même lorsque l'on désire être productif.

Je pense que je vais accélérer le mouvement et tenter de rencontrer les directeurs des facultés et forums aujourd'hui et demain, car on dirait que j'ai peur de me lancer et je retarde ces réunions le plus possible, de peur de ne pas être trop au courant de leurs histoires et d'oublier de poser les bonnes questions. Puisque, en fin de compte, je ne sais toujours pas ce que je fais là, dans cette association. Mon patron n'a pas été très clair et je pense que c'est parce que dans le fond il ne sait pas trop quoi faire avec moi. Ce qu'il avait besoin était plutôt un consultant en conférences, mais alors cela lui aurait coûté trois fois le salaire qu'il me paie pour sans doute pas beaucoup plus de résultats, ou alors je me trompe et ces consultants valent vraiment le prix qu'on les paie, et alors il a mal choisi en m'engageant. Je m'en balance complètement.

Ce week-end je n'ai pas travaillé sur la traduction du scénario du film, et je ne prévoie pas pouvoir y travailler avant le week-end prochain, à moins d'un miracle, tel un acte terroriste à Westminster, qui me permettrait de demeurer à la maison pour travailler sur mes projets. Je n'ai pas non plus remis à jour mon site Internet depuis la parution de mon dernier livre, et mon éditeur insiste maintenant tous les jours pour que je modifie le tout. Cependant j'ai passé tout samedi à faire fonctionner le TomTom Go de Stephen, un navigateur électronique pour la route, et à entrer tous les bureaux de Mercedes dans la mémoire afin qu'il puisse s'y rendre, et j'ai également programmé d'autres points d'intérêts dont l'installation de listes de cameras en Grande-Bretagne pour qu'il sache à l'avance lorsqu'il en rencontrera une. Il ne lui reste que trois points à perdre avant que la cours ne le bannisse de la route pour un an, alors qu'il est un conducteur.

J'ai aussi perdu le reste de la journée, de même vendredi soir, à tenter d'établir un réseau entre mon ordi et mon portable en utilisant deux onglets Bluetooth. J'ai partiellement réussi, mais il faut que les fichiers soient dans un dossier spécifique, alors je commence un peu à regretter ne pas avoir acheté du Wireless LAN, mais alors mon téléphone n'aurait pas pu communiquer avec mes ordis. Dans le fond j'aurais peut-être dû aller vers l'infrarouge. Windows ne semble pas connaître ou reconnaître Bluetooth. Ne suis-je pas devenu un vrai geek avec le temps ? Considérant que je suis celui qui, le premier dans le monde, a produit des conférences sur Wireless LAN et Bluetooth, ça m'a pris des jours à figurer comment installer le tout. C'est qu'à l'époque où je faisais mes conférences, la technologie n'existait que sur papier ou presque. Et ça a pris des années pour finalement devenir un standard et d'être installé dans tous les produits sur le marché. Et le pire, c’est qu'il me semble que tout cela n'est pas très nouveau. Même quand j'étais bébé dans les années 70, il me semble qu'il existait bien des technologies sans fil, et pas seulement l'ultrason ou l'infrarouge. Ils ont réinventé la roue avec Bluetooth et Wireless LAN. Et je suppose qu'ils la réinventeront encore, en autant que cela leur fasse de l’argent.

Je n'ai dormi que trois heures la nuit dernière, et j'ai passé la journée à écouter Stargate et Stargate-Atlantis à la télévision. J'avais vraiment besoin de m'évader, en pensée du moins, et heureusement ces séries à la télé réussissent à me faire oublier la réalité qui n'a plus rien d'enviable dans mon cas. J’aimerais travailler à nouveau sur une telle série plutôt que dans les conférences ! Comme lorsque je développais cette série télé de science fiction pour la NBC, durant la nuit, avant de retourner au travail le lendemain. Je donnerais n'importe quoi. Je suppose qu'il me faudrait écrire des scénarios afin qu'un jour je puisse en revenir là. Mais c'est une catch 22, je n'ai plus le temps d'écrire, et avec 20 jours de vacances par an, je n'aurai plus jamais le temps d'écrire. Ma vie appartient désormais à une association sur Parliament Square à Londres, c'est ma prison, et ils sont mes bourreaux. J'ai dû accepter cette sentence à cause de l'argent, alors que j'ai toujours dit que l'argent ne m'arrêterait pas dans mes projets. Il me faut donc trouver les solutions, et vite. Voyez, une semaine, et déjà je cherche les portes de sortie. Il n'y a pas d'espoir pour moi.

Je suis maintenant dans le train du retour. Je suis fort découragé parce que mon patron s'imagine que je puis tout faire ce qu'il m'a demandé d'ici vendredi, alors que finalement je n'aurais pas suffisamment des trois semaines allouées initialement pour accomplir ce miracle. Je lui ai rappelé que l'on avait dit trois semaines, et j'ai tout simplement ajouté que je lui montrerai ce que j'ai vendredi, voilà tout. Je ne puis tout de même pas faire plus que ce que je fais, j'y travaille même à la maison les week-ends et les soirs de semaine. Je sens que cet emploi sera fort stressant et je pense que je vais continuer à chercher du travail ailleurs, avant que je ne prenne mon élan et que j'aie 12 conférences à produire en 2 semaines, puisqu'il semble que ce sera la mentalité dans cette association de malheur. Je devrai les décevoir, mais bon, que voulez-vous. Mon seul problème est : comment irais-je aux entrevues? Et à quels emplois devrais-je postuler? Cette fois il me faut vraiment ce que je veux, mais on dirait que j'ignore ce que je veux faire. Tenter de trouver un emploi comme écrivain, et qui paie, est impossible, alors ce n'est pas une option.

   Stephen a commencé son emploi comme conducteur de voitures à temps plein pour Mercedes aujourd'hui. Il a passé l'avant-midi dans le train à lire ce qu'il voulait, puis l'après-midi dans une Mercedes sport luxueuse. Il me dit que ce n'est pas toujours rose, qu'en fait c'est l'enfer, parce qu'on lui téléphone toutes les 5 minutes pour lui cracher dessus et lui demander où il est, mais il me semble que ce doit être dix fois mieux que d'avoir un livre à écrire sur le comment produire une conférence, et une étude de marché complète à faire sur les conférences relatives aux propriétés, tout cela en 4 jours. Serait-ce humainement possible de toute manière ? Ce que je donnerais pour recouvrer ma liberté ! Serait-ce trop demander qu'un miracle survienne pour que j'arrête de travailler ici le plus rapidement possible, genre, demain matin ? Une grande manne d'argent qui tomberait du ciel, ou un autre emploi dans n'importe quoi... c'est toujours possible. Si l'homme n'avait pas menti aussi, je produirais en ce moment ma première conférence, lentement. Au contraire, je fais du 100 milles à l'heure et je n'arrive pas à arriver à bon port.

 

 

Mardi 26 octobre 04

 

Je voyage à la Harry Potter way depuis quelques jours. Je voyage en première classe entre Isleworth et Waterloo, depuis que je me suis renseigné et que j'ai appris que je n'ai pas besoin de billet première classe. Dans mon compartiment ce soir, j'une une bitch pincée, coincée du cul, qui lit Charlotte Gray comme si elle allait dans quelques instants rencontrer le pape. J'ai également un beau jeune homme professionnel qui lui aussi me fait chier, car il a le mot classe estampillé dans le front. J'ai une autre femme qui semble être une lesbienne intelligente mais une activiste anti-tout. J'ai un homme d'affaires qui parle au téléphone à ses subordonnés pour leur dire que ce serait très bénéfique s'ils se rendaient à une de ces soirées vendredi, alors que ses subordonnés doivent en avoir plein leur casse du boulot rendu au vendredi soir, et qu'ils aimeraient bien avoir une vie en dehors du travail. Finalement, j'ai une grosse vache qui doit être une Marketing Manager dans la City, pas trop intelligente, mais qui pense probablement tout savoir et qui se permet de juger tout le monde et de faire la morale à tout et chacun, car elle, elle est certainement parfaite.

Bref, dans mon compartiment de train ce soir, j'ai la représentation exacte des gens avec qui je travaille tous les jours et que je ne puis plus endurer, cela après seulement quelques jours. Vraiment, je ne vois pas ce que la société perdrait si une bombe d'Al Qu’ada ferait disparaître tout ce petit monde. En tout cas ça les ferait revenir sur terre et leur enlèverait cet air sérieux qu'ils se donnent. Pour qui se prennent-ils ? Ils font de nous des esclaves pour faire des millions à des gens qu'ils ne connaissent même pas et qu'ils ne rencontreront jamais. Ils rendent notre vie misérable juste pour pouvoir se prouver à eux-mêmes qu'ils sont capables de remporter un certain profit plus élevé que l'année d'avant, alors qu'un autre imbécile jugé incompétent s'occupait du département. Ces gens-là apprendraient tellement à aller vivre en Iraq pour même quelques jours, ou en Afghanistan. Là où le peuple ne travaille que pour se nourrir, se loger et se vêtir, et non pour des concepts dont personne ne comprend la signification. Là où une journée, il est trop dangereux d'aller travailler et il faut s'adapter à un monde bien plus volatile que celui du centre de Londres.

Ma perfect bitch est en train de se maquiller maintenant, comme si tout son avenir en dépendait, comme si elle avait été invitée ce soir à souper avec le Managing Director. Et l'homme d'affaires à côté de moi est en train de lire ce que j'écris et semble me le reprocher, comme si j'étais devenu par extension un de ses employés qui n'a le droit de rien faire sauf travailler à son ordinateur toute la journée. Mon jeune monsieur qui a de la classe lit son journal, j'ai envie de le frapper. Ma lesbienne a arrêté de lire, elle regarde par la fenêtre. Ma Marketing Manager semble retourner dans sa tête les événements de sa journée de travail, ses interminables réunions où rien d'important ne se dit et où rien de concret n'en ressort, pourtant nous n'avons jamais suffisamment de réunions selon eux, il en faudrait toujours davantage, juste au cas où un mot nous aurait échappé. Il faut dire que ces patrons n'ont pas grand-chose à faire de leur journée, ils ne font que déléguer le travail, demander des dossiers, des rapports, des programmes, des plans et des objectifs. Leur boulot est de nous tenir occupés, nous assommer avec ces réunions et ces rapports à écrire qui ne seront lus par personne.

Merde, j'ai un livre complet à écrire en deux jours, j'y travaille jour et nuit. Aujourd'hui ils demandaient l'impossible d'un autre employé, lui aussi a un livre à écrire d'ici vendredi. Ils lui ont demandé si ça l'aiderait s'ils lui donnaient jusqu'à lundi, autrement dit, ils veulent qu'il travaille tout le week-end là-dessus et je suis convaincu que tout cela est inutile. Il avait l'air dégoûté en affirmant qu'il travaillerait à la vitesse de la lumière pour faire tout ce qu'ils lui demandaient d’écrire. Et je sais maintenant pourquoi tous ces gens quittent, ce n'est pas tant le changement, le fait qu'ils avaient la vie facile et qu'on leur demande maintenant de travailler un peu, mais bien parce que le patron est en effet un tyran et qu'il veut tous nous achever à la tâche.

Pourtant il me semble être un gentil père de famille, et je me demande pourquoi il a ainsi décidé de sacrifier sa famille et ses enfants pour devenir notre chef de prison à double plein temps. Et tu te dis que dans la tête de ces gens-là, ça ne tourne pas rond et il souffre d'un problème psychologique profond, alors que du point de vue du monde des affaires, il est un modèle à suivre, un succès de notre civilisation moderne. Tout ça me fait vomir.

Je n'ai pas envie d'embarquer dans leurs petits jeux, de me stresser pour rien alors que ce qu'ils veulent peut très bien attendre une semaine de plus. Je ne veux pas devenir un névrosé à leur image. Ces gens-là ont vraiment besoin de découvrir qu'il existe quelque chose à l'extérieur de leur petit univers, et malheureusement les événements du 11 septembre au World Trade Center de New York sont déjà tous oubliés dans la mémoire collective.

 

29 octobre 2004

 

Vendredi, dernière journée de ma deuxième semaine. Je ne croyais pas que j’allais être payé si vite, mais j'ai reçu 800 livres pour mes deux premières semaines d'enfer. Mon impression initiale était que c'était beaucoup d'argent pour très peu de travail accompli, l'écriture d'un rapport de 20 pages et d'une liste de toutes les conférences passées et actuelles de l'organisation. Pourtant lorsque l'on regarde le marché, c'est peu d'argent comparé aux autres emplois à Londres, et surtout pour ce début rocambolesque d'écriture de rapports alors que je ne suis, en théorie, qu'un producteur de conférences, et que ceux-ci d'habitude ne décident par leurs sujets, ils font ce qu'on leur dit de faire.

Heureusement je ne suis pas seul dans ma situation, le patron aime les rapports et il continue à en demander à tout le monde, et tout le bureau est en panique absolue car ils n'ont jamais eu à faire cela. Heureusement l'écriture me vient assez facilement, et surtout l'imagination. Aucun doute, pour écrire un rapport, il faut surtout avoir quelque chose à dire, et comme le tout doit venir de notre tête, il faut savoir inventer et bullshiter notre way through. J'ai donc une longueur d'avance sur tout le monde, et pour la première fois dans ma vie, je pense que lorsque le patron a vu tous les livres que j'ai écrits, il s'est dit, that's it, il me faut cet homme, il va m'écrire des briques assez facilement. D'un autre côté cette idée ne m'enchante pas, car ce sera certes fort difficile d'écrire des rapports de 20 pages en un temps record. Une semaine, celui-ci. Et ce n'est pas encore terminé, je souhaite le finir aujourd'hui entre deux réunions.

   Stephen a passé une journée infernale hier et il m'a fait subir son stress toute la soirée et ce matin. Il n'est point capable de gérer son stress, et je vois maintenant que toutes ses crises précédentes n'avaient rien à voir avec le fait que je ne travaillais pas. Il est comme avant, même si maintenant il n'a plus cette pression de l'argent qui flotte sur nos têtes. Même lorsque je travaille comme un malade, et que je fais encore à manger, la vaisselle, le lavage, le repassage, m'occuper de l'eau et de la bouffe des 5 chats, il n'est toujours pas content. La seule job qu'il lui reste est de nourrir les deux serpents.

   Il y a énormément de policiers en ce moment à Londres. Lorsque l'on se tient quelque part, on en voit toujours au moins entre 2 à 6, toujours. J'ai compris hier que c'était dû sans doute aux élections américaines qui ont lieu dans quelques jours. Ils pensent que les terroristes vont attaquer. Je visionnais un programme sur l'Algérie, l'Égypte et l'Afghanistan voilà quelques jours... et vraiment, je ne souhaiterais pas un tel état terroriste ici à Londres, ou nulle part ailleurs dans le monde. Et je me suis rendu compte qu'avec un site Internet qui s'appelle Le Marginal, et un livre avec un titre comme l'Anarchiste, le bon peuple va s'imaginer que je suis un terroriste, ou que j'appuie leurs causes. En fait, je n'ai aucune opinion à propos de leurs causes, et à vrai dire je suis tellement éloigné de tout cela que je ne saurais me prononcer. Tout le monde peut être blâmé dans ces histoires de terroristes, et je suis trop ignorant pour en parler.

Alors pourquoi j'affirme des choses comme il serait temps qu'une bombe explose à Parliament Square, pour que les employés avec qui je travaille se prennent moins au sérieux et cessent de jouer leur petit jeu de la hiérarchie sociale (je suis le directeur, nah, et toi tu n'es rien, alors fait ce que je te dis, nah!). C'est simple, c'est de l'ironie, je m'amuse, du cynisme aussi peut-être, mais je ne pense pas ce que je dis, c'est certain (même si ce n'est pas évident). Il y a aussi que de travailler toute la journée au centre de Londres avec tout ce que cela implique me déprime tellement que je passe mon temps à repasser en mes idées les moyens à ma disposition pour me suicider. Malheureusement, je puis dire maintenant qu'aucune des solutions à ma disposition n'est adéquate, je n'oserais passer à l'acte. Alors j'ai certes ce désir de mourir indirectement par des raisons externes, tel un acte terroriste. Mais bon, ça pourrait être autre chose, mais ce n'est pas aussi romantique, grandiose, scandalisant, effrayant, tel un opéra de Wagner.

   Hier je réfléchissais à cette volonté de mourir et je me disais qu'alors cela faisait de moi quelqu'un que l'on devrait envoyer en Iraq, par exemple comme journaliste, car je n'ai certes pas peur de mourir, je ne regretterais pas que l'on me fusille. Cependant aller en Iraq serait un tel changement radical que je risque d'aimer cela et de ne plus vouloir mourir, et alors je recommencerais à avoir peur de la mort. Je sais, fort compliqué tout cela. De toute manière, j'ignore comment je réussirais à aller en Iraq ou en Afghanistan, légalement du moins. Et surtout y trouver du travail. Je pourrais toujours simplement écrire un livre, mais il me faudrait au moins 25,000 livres pour que je me lance dans une telle aventure, et en ce moment j'ai plutôt 60,000 livres de dettes.

   Hier je lisais à propos des élections américaines, et des systèmes de votes électroniques, et comment il pourrait y avoir fraude. Et en plus, toutes les irrégularités des élections américaines depuis plusieurs années, pratiquement toutes à l'avantage des républicains et Bush, père et fils. Et soudainement j'ai perdu complète confiance en la démocratie, je sais que Bush va encore gagner ses élections et qu'il n'y a plus de différence entre le système politique américain et ceux que l'on retrouve en Afrique. Ils ont juste trouvé un meilleur moyen pour cacher leur jeu et ne semblent pas du tout s'inquiéter que l'on sache la vérité, en autant que l'on ne puisse pas prouver qu'ils peuvent faire disparaître 14,000 votes d'un coup aussi simplement que cela, en utilisant ces applications en partie financées par le parti républicain.

   C'est simple, je ne fais même plus confiance aux sondages, il me semble dérisoire que Bush puisse avoir un pourcent de plus que Kerry du parti démocrate, après tout ce qui s'est passé. Évidemment, si les sondages disaient que Kerry est en avance, nous ne croirions pas les résultats des élections. Et en ce moment les journalistes dénoncent le fait que tous les derniers sondages indépendants disent que Kerry va gagner avec entre 1 % et 5 %.  Alors qui croire dans tout cela ?

   Je suis en ce moment au Hilton à Mayfair. Commencé au Trader Vics avec des Tikka Pukka Pukka, et fini au Windows of The World au 29ième étage avec Stephen. Je vais raconter cette soirée infernale dans le train, à mon retour au travail demain.

 

 

Westminster, 8-9 nov 2004

  

   Je dois être fatigué pour vrai ce soir, trois personnes parlent dans mon compartiment, et bien qu'elles parlent l’anglais, je ne comprends rien. On dirait du chinois, mais sans doute c'est de l'irlandais ou scottish fort prononcé.

   Bon, où en suis-je au travail? Rien de nouveau, vraiment, bien que j'entame ma quatrième semaine. Enfin je suis prêt pour ma réunion avec mon patron où l'on décidera sur quoi je travaillerai dans les prochains mois, et alors mon vrai emploi commencera.

   Je n'ai plus tellement envie de raconter ma soirée de l'autre jour, ça fait une semaine maintenant et j'ai peine à me souvenir de tout ce qui est survenu. Sauf que je n'ai pas dormi de la nuit et que le lendemain j'étais malade comme un chien pendant 5 jours, et que j'ai manqué 3 jours de travail (après deux semaines seulement, je pensais qu'ils allaient me mettre à la porte).

   Nous sommes sortis à Popstarz à King's Cross, là où je sortais tous les vendredis soirs voilà 10 ans. À l'époque j'avais beaucoup d'admirateurs, mais cette fois je n'en avais aucun. Il faut dire que j'ai 32 ans, ils doivent avoir en moyenne 18 ans ceux qui sortent là aujourd'hui, et je comprends maintenant pourquoi je ne sors plus. Bref, j'ai vraiment eu l'impression que j'étais trop vieux et que je n'avais pas le droit d'être à Popstarz. Je suppose que tout le monde avec qui je sortais alors ne sort plus non plus, ou alors ils vont ailleurs et j'ignore où. Peu importe, j'ai passé l'âge de vouloir sortir toutes les semaines.

   Mais ce sont les personnes que nous avons rencontrées avant Popstarz qui m'ont donné le plus grand mal de tête le lendemain, lors de ma fièvre virulente. J'avais tellement honte de moi-même, saouls que nous étions, Stephen et moi.

   D'abord j'ai rencontré Stephen au Québec, un pub gai à Marble Arch à Londres un peu sleazy et vieux. Jusque là, à part tous ces vieux qui nous dévisageaient, rien de bien embarrassant ne s'est produit. Puis nous avons pris un taxi jusqu'au Trader Vics.

   J'ai eu une longue discussion avec l'homme dans les toilettes qui vient des Philippines. Il m'a raconté sa vie en long et en large, pendant que j'étais complètement saoul. Avec un salaire misérable de 14,000 livres par an, en plus qu'il est ici depuis 25 ans, c'est assez triste. C'est comme si depuis mon arrivée à Londres, je n'avais subi aucun avancement social quelconque, comme si je travaillais encore à WHSmith depuis tout ce temps à un salaire de misère. Heureusement, j'ai réussi à plus que tripler mon salaire depuis mon arrivée en Angleterre. Mais ce n'est pas son cas, et en plus son fils est un artiste qui tente de vivre de sa peinture. Il me disait ça complètement découragé, comme s'il s'agissait de la fin du monde. J'ai dû lui dire qu'il fallait qu'il encourage son fils, peu importe ce qu'il faisait. Si le capitalisme gagne sur l'art, nous sommes tous perdus. C'est fort connu en sociologie que, l'épanouissement d'une société, ou la marque de son succès après s’être déclarée riche avec une économie en santé, est bien combien elle investit dans les arts et sait l’apprécier. Or, sans art, cela signifie que cette société n'est pas en santé, n'a pas de loisirs, est plutôt mécanique, centrée sur autre chose tels que sa survie ou l'argent. Triste. Bref, mon bonhomme, lui, aimerait bien que son fils devienne avocat, car il s'inquiète justement avec l'argent et sa survie. La honte quand Stephen est venu aux toilettes pendant que je lui parlais, et qu'il a donné un pourboire de 10 pence. Le vieux, sans savoir que Stephen était mon copain, a pris le 10 pence, me l'a montré et s'est exclamé: regarde comment les britanniques sont cheaps, 10 pence! Je lui ai dit que j'étais avec lui, et qu'effectivement il était avare, et je lui ai offert une deuxième livre pour compenser.

   Assis à côté de nous, au début de la soirée, étaient deux femmes qui nous ont parlé l'instant d'un moment, pour savoir ce que nous buvions : des Tikka Pukka Pukka, un drink bizarre fait avec plusieurs sortes de rhum. Stephen était découragé de moi car je leur ai offert d'y goûter, et selon lui, c’est comme si je leur avais dit des obscénités. Comment pouvais-je savoir que d'offrir à un inconnu d'essayer notre drink était une chose obscène au Trader Vics ? Stephen me disait que c'était justement parce que nous étions au Trader Vics, un endroit où les gens ont de la classe et là où il faut péter plus haut que le trou. Ouais. Ces deux femmes étaient des délégués à une certaine conférence, et franchement cette idée ne m'enchantait pas. Elles étaient américaines et réservées, elles ont vite quitté et disaient qu'elles reviendraient plus tard pour essayer les Tikka Pukka Pukka.

   Alors deux autres femmes se sont assises à côté de nous. Une Française qui, dans les premières 30 secondes, nous a lancé qu'elle était propriétaire de sa propre entreprise. Well, well, elle a quelque chose à prouver celle-là. En face d'elle se tenait une petite grosse Britannique fatigante qui, lorsque la serveuse est venue prendre leur commande, a eu le malheur de demander ce que c'était que nous buvions. Après un certain échange qui a fini par nous mêler à la conversation (et où j'ai encore une fois proposé à la grosse d’essayer mon Tikka Pukka Pukka (au grand désarroi de Stephen)), j'ai lancé comme ça : vous devez être en Marketing ! Et avec un large sourire elle ont dit oui. Ce type de personne, je connais trop bien. J'en ai rencontré tout plein dans ma vie, le mot Marketing lui ressort par tous les pores de la peau. Ces deux là ont radoté pendant une heure à discuter l'incompétence des nouveaux employés qu’elles ont engagés. Pour la première fois j'ai compris que le haut management devait s'amuser des heures et des heures à tous nous juger, nous ridiculiser, et puis quoi encore, dans notre dos et en privé.

   Quand la Française a demandé à Stephen ce que nous faisions dans la vie, il lui a répondu que j'écrivais, qu'en fait j'avais écrit plus de vingt-cinq livres. Comme je suis revenu des toilettes à ce moment, elle était toute embarrassée, car je l'ai entendu dire que je semblais bien jeune pour avoir écrit autant. Elle m'accusait pratiquement de mentir, et elles ont dû rire ensuite en se disant que sans doute j'en inventais. Quand elles se sont levées pour partir, je lui ai dit que je n'avais pas encore eu la chance de lui parler de ce qu'elle fait, et elle m'a dit de l'imaginer. Eh bien, imaginons-le. Elle doit être propriétaire d'une cabane à patates frites avec trois employés, et elle s'imagine être une PDG de premier ordre, le criant à tout le monde au Trader Vics, pensant qu'elle est spéciale. Peut-être ignore-t-elle que les femmes en affaires, ça pleut aujourd'hui ? Il n'y a rien de bien particulier ou de remarquable là-dedans. Enfin bref, elle m'a jugé rapidement, pensant que je mentais sur ce que je fais dans la vie, je lui donne donc le bénéfice du doute, impossible de la juger ainsi après l'avoir rencontrée pendant une heure, et ce, sans vraiment lui avoir parlé plus de cinq minutes.

   Mais c'est à ce moment qu’est entrée au Trader Vics ce qui semblait être une princesse merveilleuse, accompagnée de deux gros et gras hommes noirs, immanquablement ces gardes du corps. Je brûlais de savoir qui elle était, mais je savais bien qu'au Trader Vics, tu dois agir comme si les célébrités n'existaient pas, c'est implicite. Sinon, on risque de te mettre à la porte. Lorsque je me suis levé pour aller lui parler, Stephen m'a répété par deux fois de ne pas y aller, que ses monstres allaient me sauter dessus. Je savais donc à quoi m'attendre, ils allaient me repousser, mais je me disais que j'étais suffisamment fort psychologiquement pour subir cet affront, que dire, cette humiliation. Je ne l'étais pas, le lendemain, non seulement la honte me tuait, mais en plus, j'ai maintenant peur de tous les Noirs un peu gros que je rencontre. Il m'a traumatisé complètement, pourtant il ne m'a pas dit grand-chose, il m'a dit avec un air bête quelque chose que je n'ai pas compris, bien que je savais qu'il me disait de déguerpir, maintenant que sa bouffe était arrivée (des huîtres). Comme si avant que leur commande n'arrive, il avait suffisamment de concentration pour me laisser parler à la princesse. Mais après, il ne pourrait pas manger et me surveiller en même temps. Bref, je lui ai parlé à la princesse, mais elle m'a menti, me racontant qu'elle travaillait dans les grandes expositions et qu'elle venait de la Macédoine. Je ne sais pas trop que croire. Enfin, je les ai quittés et nous sommes allés en haut, au dernier étage de l'hôtel, au Windows of The World.

   Comme si ma soirée n'était pas déjà trop remplie, nous avons rencontré un drôle de couple comme il y en a beaucoup à Londres. Ils étaient trois assis dans le coin, deux femmes et un homme, nous étions par la fenêtre juste à côté d'eux. Cette fois, ce n'est pas moi qui ai fait les premiers pas, ils nous ont littéralement invités dans leur cercle. C'est qu'il y avait un débat qui faisait rage, lequel des deux amants avait raison. La femme a longtemps été la secrétaire du monsieur, ils sont tombés en amour et l'homme a laissé sa femme et ses deux enfants pour elle. Mais voilà, maintenant qu'il a fait ce sacrifice (peut-être un peu tard, je ne sais pas), elle n'est plus amoureuse de lui, elle l'a laissé. Tout cela s'est passé voilà environ dix ans, et semblerait qu'à l'occasion ils se revoient au centre ville de Londres pour se convaincre qu'ils n'ont pas fait une erreur en se laissant définitivement. Et alors, pourquoi ne pas demander l'avis de parfaits étrangers ? Nous sommes incapables de nous comprendre, peut-être seront-ils en mesure de nous aider ? Eh bien, Stephen et moi avons attentivement écouté les deux versions, et à vrai dire l'homme en question, malgré son âge, est assez beau. Considérant en plus le sacrifice qu'il a fait pour sa secrétaire, c'est pratiquement criminel qu'elle l'ait laissé tomber, et nous lui avons dit. Cependant, nous ne savons pas toute l'histoire, et semblerait que les deux enfants et l'agissement de l'homme en question ont beaucoup joué dans sa décision de le laisser. Une fois il l'a cachée dans le coffre de l'auto, si on peut la croire.

   Comme elle ne voulait pas être seule avec lui, elle a emporté sa bonne amie avec elle qui vient de Glasgow. Elle était une parfaite mais ferme blonde, policière en plus, qui travaille avec les animaux. Elle ressemblait en tous points à une de ces poufiasses que l'on voit à la télé dans ces émissions pour la rescousse d'animaux. La femme immaculée, prête à arrêter n'importe qui alors même qu'elle est en vacances à Londres. Cette sorte de personne qui n'est en fait jamais en vacances, et qui pense qu'elle a l'autorité de faire respecter toutes les lois, peu importe où elle est sur la planète. Bref, elle s'était mise en tête de savoir si nous prenions de la drogue. Quand elles m'ont posé la question, j'étais déjà tellement saoul, que si effectivement je prenais de la drogue, je ne me serais pas méfié et je leur aurais dit. J'ose à peine imaginer les conséquences aujourd'hui. Cette Écossaise, qui prend définitivement son job à cœur, aurait peut-être décidé de m'arrêter sur le champ, incapable de se détendre pour prendre une bière avec ses amis. Mais voilà, maintenant elle s'était mise en tête que Stephen avait un grave problème d'héroïne, et elle me demandait s'il en prenait, m'affirmant qu'il montrait tous les symptômes. Dieu merci, même saoul j'ai été capable de lui dire que c'était impossible, qu’il n’en prenait pas. En tout cas, ils nous ont finalement laissés, et il était temps.

   Après cela, j'ai parlé avec deux avocates qui semblaient être en manque d'amis et qui se sont montrées très intéressées à moi, même si je me suis imposé. J’aurais certes pu faire l’amour à l’une d’entre elles si j’avais voulu, si j’avais eu un quelconque intérêt, et belles, elles l’étaient. Mais bien sûr, cela ne m’intéressait pas. Et j'ai parlé avec un gros Américain con qui disait vouloir voter pour Bush, et qui en plus semblait venir du Texas. Si j'avais pu, je l'aurais balancé par la fenêtre. Malheureusement les fenêtres ne s’ouvrent pas au Windows of the World de Londres (celles de New York n’existent plus, le Windows of the World du World Trade Center n’est plus, et j’y étais, au 101ième étage, en voyage d’affaires, six mois avant sa destruction absolue).

Enfin, on rencontre toute sorte de monde lorsque l'on sort à Londres dans ces endroits chics. J'ai parlé à bien plus de gens que lorsque je sortais dans les clubs voilà dix ans. Je devrais peut-être sortir plus souvent, mais finalement c'est d'un intérêt limité. Tout le monde se ressemble et ont pratiquement la même histoire à raconter, et c'est une histoire plate à mourir.

 

10 nov 2004

 

   La routine qui tue. Comment pourrais-je ne pas en parler ce soir, lorsque deux jours en ligne j'ai fait exactement la même chose de A jusqu'à Z, à la minute près. Sauf peut-être ce que j'écris ici. Pourtant je l'écris dans un compartiment de train où exactement les mêmes personnes qu'hier sont assises. Je n'ai même plus la gêne d'ouvrir mon clavier et mon Compaq iPaq, ils me connaissent maintenant, ils sont habitués. Je sais même à quelles stations ils arrêtent. Mon vieux bonhomme arrête à Brentford, mon gros constructeur bâti arrête à Isleworth comme la plupart des autres, et une des filles sort à Putney.

   Sur l'heure du midi je suis allé chez McDonald de l'autre côté du pont du Parlement, près de la galerie Saatchi. Eh bien, j'ai été servi par le même gars qui me sourit tout le temps et qui m'a reconnu d'hier parce que je n'avais pas beaucoup d'argent, et ça l'amusait que je demande combien coûte un Quorn Burger et un chausson aux pommes. Le con, il pensait sans doute que je mentais lorsque je lui ai demandé où était le guichet automatique, qu'en fait je n'avais pas d'argent. Pourtant je fais sans doute trois fois son salaire, alors qu'il ne vienne pas me faire chier.

De toute manière je n'ai plus d'honneur ou de fierté, je m'en balance pas mal que l'on pense et sache que je n'ai pas un sou et que je compte mes cents, ou plutôt mes pennies. Mais bref, je n'ai pas du tout aimé cette sensation de répéter la même chose qu'hier jusque dans les moindres détails. Ça me tue, pourtant ce n'est que deux jours en ligne. C'est déjà trop, c'est inacceptable, sans compter la peur que cette journée soit répétée à l'infinie pendant des semaines, des mois, voire des années. Ça m'avait pris bien plus de temps, lors de mon dernier emploi dans les conférences, avant de me rendre compte que j'étais entré dans une routine et qu'il me fallait trouver des portes de sortie. Cette fois, ça m’a pris moins d'un mois, et je trouve cela très souffrant. Je ne comprends pas comment les autres arrivent à survivre, à répéter la même journée pendant des années.

   Ça me donne juste envie de faire comme cet autre homme gai cuisinier qui a décidé de se stationner sur une ligne de train rapide entre Paddington et Reading, mourant sur le coup. Les gens l'ont blâmé parce que le train a déraillé et que six autres personnes sont mortes, alors que j'aurais cru que personne d'autre ne mourrait. Je pense que le suicidé ignorait lui aussi quelles auraient pu être les vraies conséquences de son acte désespéré, mais en ce moment les médias disent que non seulement il voulait se suicider, mais en plus il voulait tuer d'autres personnes. Bref, quelle bonne idée que de placer son auto sur la voie ferrée, plus facile me semble-t-il que de se lancer sur les rails. Malheureusement, je sais maintenant que ça risque de tuer des innocents, alors cette façon de se suicider est à oublier. Tout cela pour dire que je ne supporte pas la routine et que je ne sais pas quoi faire pour m'en sortir. J'ai passé près de visiter l'aquarium de Londres aujourd'hui plutôt que d'aller chez McDonald, juste pour faire différent, et je pense que vendredi je le ferai.

   Je serais également prêt à accepter cette routine telle une sentence de prison, si le soir durant la semaine j'avais la liberté de faire des choses différentes afin de ne pas avoir l'impression que je répète sans cesse les mêmes choses, mais malheureusement je n'ai pas le temps de faire autre chose que de me préparer pour le lendemain, répondre à mes quelques e-mails avant d'aller me coucher. Ainsi il n'y a pas moyen de m'en sortir, seuls mes week-ends seront différents, et ça ne me laisse pas beaucoup de temps à moi ou mes projets. C'est vraiment décourageant.

 

11 nov 2004

 

   J'arrive d'une célébration sur la Tamise où deux DC4 de la deuxième guerre ont lâché 3 millions de pétales de fleurs en plastique sur la tête des Londoniens, du Tower Bridge jusqu'au Westminster Bridge. Apparemment 3 millions de personnes d'Angleterre sont mortes durant ces deux guerres mondiales. Cela me semble tellement loin, je me demande pourquoi on célèbre ça à chaque année. Ils auraient dû arrêter après les célébrations du cinquantenaire, ou alors nous donner une journée de congé, tout le travail que j'aurais pu faire aujourd'hui si je ne m'étais pas rendu au Parliament Square.

   J'ai finalement eu ma première grosse réunion avec mon patron depuis la rencontre initiale où j'ai manqué faire une crise cardiaque parce qu'il m'a demandé mer et monde. Et voilà, aujourd'hui c'était comme la fin de toutes ces choses que je devais faire, la fin de ma lune de miel. Il va lire cela ce soir, tous mes rapports. Dort-il, arrête-t-il de travailler de temps en temps ? Je ne crois pas. Et demain nous allons discuter les conférences sur lesquelles je vais travailler. Je dois dire qu'il m'impressionne par sa capacité de tout garder en tête et de recracher des comptes-rendus et résumés forts concis de l'ensemble de nos conversations. Bref, il a une grande capacité à évaluer tout le travail et de faire une synthèse.

   Ça m'a pris un mois à figurer ce qui se passe dans l'organisation, à rencontrer tout le monde et à établir la liste des projets et objectifs à atteindre pour les 6 prochains mois. Eh bien, aujourd'hui il savait déjà sur quoi j'allais travailler, il a lui-même réussit à faire la même chose que moi en parallèle des 1001 choses dont il est responsable. En fin de compte, tout ce que j'ai fait depuis que j'ai commencé, semble-t-il, n'était que pour lui prouver que je n'étais pas incompétent, que j'arriverais aux mêmes conclusions que lui, et aussi que je savais comment produire une conférence (ce rapport de 26 pages que j'ai écrit et que personne ne lira). Je dois donc admettre que l'homme sait ce qu'il fait, qu'il a le cerveau pour diriger la baraque, et qu’il va produire des résultats assez tôt et tout chambarder pour le mieux (je l'espère du moins, bof, en fait je m'en contrefous complètement).

   Des nouvelles aujourd'hui, à propos du deuxième au pouvoir, j'ai osé demander à Anita si Watson était gai. Je n'avais rien à perdre, demain est sa dernière journée pour un bout de temps. Elle m'a confirmé qu'implicitement tout le monde sait qu'il est gai, même s'il ne l'a pas ouvertement annoncé à tout le monde. Il parle de son partenaire, jamais de sa femme ou de sa blonde. Cependant, je sais maintenant qu'il a un partenaire, ainsi je n'ai plus rien à espérer avec lui, et sans doute cela est une bonne chose. De toute manière, à la première occasion je vais lui avouer que je suis gai, on verra bien les résultats. C'est pas comme s'il allait le dire à tout le monde, dans la situation où il est. C'est clair que si personne ne le sait officiellement, si je lui demandais directement, il se désisterait et me dirait que c'est personnel. Ainsi je devrai lui dire que je le suis avant de lui demander, et encore, il pourrait choisir de ne rien me dire, car il juge que son avenir dans l'organisation dépend de son silence.

   Comme il était le grand directeur pendant plusieurs mois, il a certes toutes les raisons de croire qu'il sera un jour grand directeur, sauf si soudainement tout le monde sait qu'il est gai. Mais tout cela est fort ridicule, car tout le monde sait qu'il est gai, c'est écrit sur son front. Pendant ce temps, tout le monde pense que je suis hétéro, et qu'en plus je cours après l'assistante du grand directeur, la fille du Brésil. C'est que je ne suis pas discret avec mes compliments, mais je pense ce que je dis. Ce sont eux les pervers, s'ils lisent à travers mes compliments que je voudrais lui faire l'amour. De toute manière, elle ne manque jamais une occasion de nous parler de son mari merveilleux et riche qui l'emporte dans les meilleurs restaurants de la ville.

   Triste que je parlerais enfin en toute honnêteté de mon homosexualité avec Watson, le jour où je changerai de bureau et que je ne le verrai plus. Triste aussi que cette fois-ci, j'avais l'intention d'annoncer à tout le monde au travail que j'étais gai, mais que finalement je n'ai jamais trouvé le courage, et on dirait qu'en ce moment il est trop tard. Pourtant Anita me disait que trois autres au moins sont gais et ils sortent souvent ensemble pour manger sur l'heure du dîner. Je pense que je sais de qui elle parle, et ils semblent être de vraies bitches. Je n'ai pas l'impression que je serais le bienvenu dans leur cercle, et à vrai dire je n'ai même pas envie de tenter de m'y intégrer.

   Nous sommes allés au restaurant ce midi, une pizzeria dégueulasse à Victoria pour célébrer le départ d'Anita. J'ignorais que cela me coûterait 18 livres que je n'ai pas, et je dois rembourser le tout demain. Hier j'ai appelé la Bank of Scotland pour savoir combien d'argent je pouvais prendre sur ma carte, et elle m'a dit que je devais payer 60 livres à cause des intérêts, même si je viens juste de leur payer 260 livres. Mon cas est vraiment désespéré. Je n'ai rien appris à ce dîner, cependant j'ai beaucoup parlé à cause du vin rouge. Mais bon, deux verres, ce n'est pas la fin du monde. Je me suis contrôlé.

   Voilà, je suis arrivé à Isleworth, mon bébé sera là avec son auto pour me prendre. Il arrive d'Hammersmith pour un travail, le pauvre.

 

12 novembre 2004

 

   Quel misérable jour, aujourd'hui. D'habitude j'aime la pluie, mais ce matin je voulais tellement demeurer à la maison. Quand on désire une telle chose à ce point, je pense qu'il faut prendre la décision de demeurer à la maison. Mais voilà, trois jours malade dernièrement m'a instantanément enlevé cette idée.

   J'écoutais Bridget Jones's Diary ce matin, le premier film, car le deuxième vient de sortir au cinéma et les critiques disent que c'est pourri. Je n'en crois rien, comment le deuxième pourrait être merdique alors que le premier est si parfait? En tout cas, ils ont certes encapsulé mon existence à Londres en milieu de travail, ça m'encourage à quelque part qu'ils aient identifié tous les problèmes reliés à l'emploi à Londres, bien qu'ils n'en parlent pas, ils nous le montrent. Dans le fond, je ne vois que les acteurs, que j'aime bien.

   Encore la routine ce matin, un autre jour de la marmotte. Sauf qu'au moins dans le film, Bill Murray s'en sort et éventuellement il peut recommencer à vivre une vie moins routinière. Ce n'est pas mon cas, c'est tous les jours la même chose, bien que les jours soient en fait différents. Et ma plus grande peur, justement, était qu'après la mort certaines personnes semblent revivre les mêmes moments forts indéfiniment, comme prisonniers d’une boucle du temps, et que je n'aimais pas l'idée de me retrouver dans cette situation si je me suicidais. Pourtant je ne vois pas très bien la différence entre ma routine actuelle et être prisonnier d’une boucle du temps.

C'est comme ce rêve que j'ai fait dernièrement, où soudainement je décidais de briser la boucle, commençant à comprendre que les événements de ma vie recommençaient sans cesse, bien que quelque peu différent chaque fois, et que mes déjà-vu soudainement me faisaient comprendre que j'étais prisonnier d'une réalité amère où la destinée semblait s'amusait avec moi. J’en ai écrit un scénario de film complet, et plusieurs maisons de production sont intéressées à le produire. Je ne voulais plus jouer ce jeu, je cherchais des portes de sorties de cette bulle artificielle. J'ai sauté sur un escalier roulant, puis un autre qui allait dans l'autre direction, et j'ai vu des portes de verre que je n'avais jamais remarquées auparavant. De l'autre côté se tenait ma liberté, la brisure de ce jeu grotesque qu'est cette existence. Où j'apprenais que tout le monde dans ma vie n'était que des acteurs préprogrammés par un ordinateur, et qu'ils tentaient de me faire oublier par tous les moyens qu'il existe autre chose que cette futile existence. Et je le crois, nous sommes complètement aveuglés par les problèmes quotidiens, nos émotions, nos tracas, la nécessité de développer ces relations humaines et de se battre pour notre survie. Ainsi, s'il existe une simple porte qui nous ouvrirait à un tout nouvel univers, loin de cette réalité actuelle, on ne la verrait pas, même si elle était cachée en pleine lumière, directement en face de nous. Est-ce que ce sont les films de la Matrice qui m'ont apporté ces idées? Inconsciemment peut-être, le tout m'est arrivé en rêve. Je cherche donc à comprendre ce qu'est la Matrice et comment m'en sortir. Merveilleux... Reste plus qu'à prendre la pilule rouge. Mais il n'y a pas de Morphéus dans ma vie, et ce ne sont que des films, qui certes font réfléchir, ce qui est rare de nos jours.

   Comment faire pour que ma journée d'aujourd’hui soit moins routinière, sans pour autant que je me lance dans la tamise en marchant au-dessus du Westminster Bridge? Premièrement c'est vendredi, et je n'ai pas ce stupide costume de clown sur le dos (habit et cravate). Je vais arriver à 9h40 plutôt que 9h10, car j'ai pris le deuxième train, et c'est ok, je vais juste finir à 17h30 au lieu de 17h. Au moins il y a flexibilité dans ma prison et ma sentence. Joie. À part cela j'ai l'intention de ne rien faire aujourd'hui au travail, car je voulais demeurer à la maison pour ma santé mentale, et je ne l'ai pas fait. Alors je vais tenter par tous les moyens de faire passer le temps rapidement sans travailler sur ces conférences. Sauf bien sûr lors de ma réunion avec le patron.

J'ai emporté mon avant-dernier livre publié qui mentionne en arrière que je suis gai, je vais le montrer à Watson si j'ai la chance. Mais voilà, il devra être seul, et personne d'autre ne devra entrer dans la pièce, car je ne puis montrer ce livre à personne, bien que je l'aie montrée à mon patron lors de l'entrevue, mais je ne crois pas qu'il ait lu le mot homosexuel à l'endos. J'étais motivé à parler avec Watson hier, mais plus aujourd'hui. Parce qu’hier, moi et Stephen avons fait l'amour et c'était extraordinaire. Et ce n'est pas tout, c'est au moins la cinquième fois en moins d'un mois que nous faisons l'amour, et semble-t-il cela devient meilleur chaque fois. Finalement, c'était peut-être vraiment le problème d'argent qui était le problème dans notre vie sexuelle, et maintenant il débloque sa libido avec mon retour au travail. Mais aussi qu'il a changé d'emploi et que ce n'est plus aussi infernal, même s'il travaille encore pour la même compagnie. Eh oui, ses collègues ont été mis à la porte, et même son ex-patron, qui a tout fait pour lui faire perdre son emploi, vient de perdre le sien. La direction a décidé de jouer le même jeu avec lui qu'il a joué avec Stephen ces deux dernières années. Sauf que pour le patron, le stress était trop, il a quitté en moins de quelques semaines pour aller travailler chez le compétiteur (BMW), alors que Stephen lui a enduré tous ces mois infernaux où chaque jour ils trouvaient de nouvelles raisons de lui prouver qu'il était incompétent et qu'il méritait d'être mis à la porte. Stephen a une très grande endurance, je suis fort surpris. Je ne tiendrais pas une semaine dans une situation où l'on chercherait à me mettre dehors par tous les moyens, je quitterais sur le champ, peu importe les conséquences. Et maintenant, le nouveau patron de Stephen est comme tombé en amour avec lui, il voit combien mon bébé est parfait, le meilleur de tous, et il sait le récompenser. C'est aussi que tout le monde là était les petits amis du patron précédent, et là bien sûr ils ont perdu tous leurs avantages sociaux, qui faisaient que s'ils faisaient des gourdes monumentales, pas de problème, le tout est balayé sous le tapis. Ainsi ils se sont tous retournés contre le nouveau patron, un peu comme dans l'organisation où je travaille en ce moment, et le nouveau a compris que Stephen était peut-être son seul allié, puisque tout le monde parle en mal de lui et qu'il avait été mis dehors voilà pas longtemps. Stephen me dit qu'il est à la veille de se faire proposer une promotion, pas mal pour quelqu'un jugé incompétent voilà encore un mois. Le patron pense que Stephen est le seul compétent de toute cette baraque, et on ignore encore si c'est dans les ventes ou l'administration que Stephen se verra offrir un nouvel emploi qui paie mieux. Mais voilà le dilemme, mon copain est très bien là où il est, il aime conduire les voitures toute la journée, même si ça ne paie rien. Voudrait-il retourner dans cet enfer où les autres vont lui cracher dessus à longueur de journée? Il me dit oui, car les pires de tous ne sont plus là : nouveau patron qui sait voir son potentiel, des vendeurs qui soudainement se sentent coupables que le service à la clientèle a été mis à la porte, et que soudainement ils ont à faire ce que Stephen et ses collègues faisaient. Pourtant c’est ce qu’ils voulaient, le département du service à la clientèle mis à pied. Ils ont maintenant tous compris l'enfer que cela représentait. Bref, on verra bien ce qui surviendra.

 

   La journée est enfin terminée. Et quelle journée ! Je pense que je devrai dormir longtemps et profondément afin de comprendre exactement comment et combien j'ai été humilié ce soir. Sans compter, qu'encore une fois, j'ai honte de moi-même, mais je suis suffisamment saoul pour ne pas avoir honte et, plutôt, exprimer de la colère contre autrui.

Aurais-je envie de me suicider après tant d'humiliation? Oui. Le ferais-je? Non. Parce que je connais trop bien cette planète maintenant, elle est remplie de gens coincés. Et j'ai rencontré les deux plus coincés de la planète ce soir. Mon directeur et un idiot au rétro bar. Le tout lundi prochain.

 

13 novembre 2004

 

   Je n’arrive pas à comprendre ce qui s’est produit hier, non plus à tenter d’expliquer à quels niveaux il faut comprendre le tout. J’ai également peur de faire des parallèles entre ce qui s’est produit au bureau et au Rétro Bar après coup, près de Charring Cross. Finalement, je risque fort de faire une grande généralisation hâtive pour en arriver à décrire l’humanité au complet, et comment pourri le tout est devenu sur cette planète. Et certes, tout dépend du point de vue, du si vous avez 18 ans et tout le monde veut vous parler, ou 32 ans et plus personne ne peut même supporter votre vue, encore moins répondre à des questions personnelles impertinentes que seules les célébrités et les jeunes beautés semblent avoir le droit de poser.

   Eh bien, je n’ai pas changé en 15 ans, même si le peuple semble avoir changé d’attitude à mon endroit. Ainsi, au lieu de raconter ce que j’apprends de mes relations avec autrui, je vais maintenant radoter à propos du comment le monde est devenu impatient et rude. Il est impossible de soutirer quoi que ce soit de qui que ce soit, mais alors on apprend sur les relations humaines qui ont pris le bord.

   Bref, une longue introduction pour une petite histoire qui m’a fait me retourner bien des fois cette nuit, où ma culpabilité a pris le dessus. Dommage que le seul moyen pour moi d’apprendre des autres aujourd’hui, est de courir le risque de me faire rejeter royalement et de regretter le lendemain tout ce que j’ai dit, ainsi que mon audace. Il semble qu’avec la perte de la jeunesse et de la beauté, plus personne ne veut te parler, ou même avouer que tu existes, et j’en arrive à comprendre qu’en milieu de travail c’est la même chose. Mais comme ces gens sont justement tes collègues, ils doivent faire un effort inouïe pour demeurer polis, alors que bien franchement ils auraient juste l’envie de t’envoyer chier aussi férocement que ce con de Britannique que j’ai rencontré au Rétro Bar. Un autre endroit où je n’irai plus jamais, car c’est la deuxième fois je crois que je doive quitter les lieux parce que je semble poser les mauvaises questions aux mauvaises personnes.

   Bon, j’avoue qu’il est vrai que je parle bien trop, surtout une fois saoul, et que je suis incapable de me contrôler. J’identifie immédiatement tous les problèmes embarrassants de tout le monde, ceux qu’ils n’osent même s’avouer, et alors le tout tourne au vinaigre. Enfin, par où commencer?

   Un vendredi routinier comme les autres, semblerait que ma peur du jour de la marmotte a pris un tournant pour le pire. Ainsi, j’ai comme décidé inconsciemment de tout bousiller, sortir de mon arbre et d’embarrasser le bon peuple londonien rempli de problèmes inavouables, au point où la bonne hypocrisie anglaise n’existe plus. Il aurait fallu leur dire que j’arrivais en ville voilà 10 ans, un petit resserrement dans les lois de l’immigration m’aurait fait retourner au Canada depuis longtemps. Malheureusement pour eux, ils ne l’ont pas fait, au contraire, ils ont changé les lois sur l’immigration des gais et leurs partenaires, et je suis encore ici à les insulter quotidiennement, et je le regrette amèrement, un peu.

   Deuxième tentative. Un vendredi routinier comme les autres, mais au lieu de retourner à la maison le plus vite possible comme d’habitude à 17h, je suis demeuré jusqu’à 18h30, en attendant d’aller prendre une bière avec mes collègues dans le pub de l'organisation au deuxième étage. Bon, ça n’a pas été complètement peine perdue, mon patron à la dernière minute m’a demandé de venir dans son bureau, il voulait un mot. D’habitude cela est synonyme de problème, mais au contraire il voulait me complimenter sur mon travail. Il m’a affirmé que ce que j’avais fait depuis un mois était tout simplement impressionnant, à tel point qu’il va avoir une réunion générale lundi avec tous les directeurs, où il va leur faire une morale insupportable en leur montrant tout ce que j’ai fait, tel un exemple à suivre de ce qu’ils doivent faire dans leurs groupes. Il m’a cependant mis en garde, qu’ils vont maintenant tous me détester, un peu parce que je vais ainsi devenir le Teacher’s Pet, le chouchou de la compagnie. Pas un rôle que l’on veut lorsque, justement, tout le monde est contre lui et souhaite secrètement sa mort sous un Route Master, un autobus rouge à deux étages sans porte à l’arrière, ainsi on peut entrer et sortir à son bon vouloir.

   Ainsi, comme si soudainement j’avais réussi à avoir un peu de respect et à être reconnu pour mon potentiel, mon cerveau s’est comme dit : il est temps de tout bousiller. Ou alors mon cerveau se disait, nous sommes en sécurité maintenant, prenons quelques risques, de très grands risques, pour que justement le jeu devienne plus intéressant, pour que je ne m’endorme pas pour toujours, parce que ma vie est trop plate.

   Alors j’ai montré mon livre Un Québécois à Paris à mon cher Watson, le gai coincé qui n’ose pas l’avouer de peur que ses chances de monter dans la hiérarchie meurent avant même qu’il n’ait eu la chance d’apprécier être le directeur remplaçant de la compagnie pour six mois. Alors il a compris que j’étais gai, comme lui. Mais il n’a rien dit. Je ne m’attendais pas à ce qu’il m’avoue le tout sur le champ. Voilà pourquoi j’ai dû aller ensuite à cette drinking session, pour célébrer les six employés qui quittent cette semaine (ou était-ce dix ? Ils quittent en série en ce moment). Et rendu là, une petite conversation avec ma Brésilienne a tourné au drame d’horreur. Elle disait avoir une théorie sur moi, mais n’osait pas me la dire. Finalement elle m’a avoué que son septième sens lui disait que j’avais quitté ma femme Française pour aller vivre avec un homme. J’ai été incapable de lui dire que ce n’était pas le cas, je ne veux pas mentir dans cet emploi. Et voilà, de toute manière tout le monde le sait maintenant, je suis homosexuel. C’est comme si à la fin de la soirée, complètement saoul, je l’avais crié à tout le monde, pour le meilleur ou pour le pire.

   J’ai pris d’attaque notre pauvre Watson, et comme je l’avais prévu, il n’a rien dit à propos de sa vie privée. Cependant, il était également incapable de mentir, et me disait alors que c’était personnel. Quand j’ai suggéré assez directement qu’il avait un partenaire, il m’a corrigé pour me dire qu’il n’avait rien dit de la sorte. À partir de ce moment, j’étais déjà très amoché. Une pinte de bière et trois grands verres de vin rouge, et une autre pinte je crois, je ne me souviens plus. Le mélange était assez explosif. Et c’est comme si mes expériences passées où j’étais complètement saoul, et où j’ai insulté toute la compagnie, n’avaient jamais existées (on apprend très lentement dans cette existence). Mais voilà, si Watson n’osait rien m’avouer, tous ses autres petits amis gais de l'organisation lui tournaient autour, c’était assez évident. Et je n’ai eu à l’avouer qu’à l’un d’entre eux avant que tous les autres le sachent. Quand j’ai quitté, une tapette du Marketing, ou ressources humaines, m’a suivi en dehors de la salle et m’a dit : you are leaving? J’étais fort surpris qu’il sache mon nom, il a passé son temps à m’ignorer complètement depuis un mois, et j’ignore encore son nom.

   Donc lundi je commence une nouvelle semaine, où la perception que les gens ont de moi va changer du tout au tout. Un, je suis gai, deux, je suis le chouchou du grand directeur que tout le monde déteste. Ils vont finir par me jeter du troisième étage, aucun doute. S’ils ont réussi à ignorer mon existence jusqu’ici, je serai le gossip numéro un de toute l’organisation ce lundi prochain. Seul moi suis capable de me mettre dans un tel pétrin. Je ne changerai jamais. J’espère juste que je n’ai pas dit des choses que je n’aurais pas dû dire, et que je ne suis pas plus enfoncé encore que je ne le sais pour l’instant.

   Comme si je n’en avais pas suffisamment fait dans l'organisation, voilà que je devais continuer mes déboires au Rétro Bar. Eh bien, la musique était peut-être bonne, mais les gens qui y vont font vraiment chier. Pourtant le tout avait bien commencé. J’ai osé identifier immédiatement la fille la plus intéressante du bar, et je suis allé lui parler. Elle était bizarre, elle ressemblait à Virginia Wolfe, elle aurait été mieux dans ce film que Nicole Kidman. En plus elle était à moitié Française. Je lui ai montré mon livre, et elle m’a demandé si elle pouvait le garder. Sur le coup j’ai dit non, c’était mon dernier exemplaire. Mais je ne pouvais pas lui refuser cela, elle parle français en plus. Et après je ne regrettais pas, parce qu’elle travaille pour le journal The Observer. Non pas que je pense que cela changera quoi que ce soit, mais enfin bon, on ne sait jamais.

   Elle était l’amie d’une lesbienne qui m’a semblée également fort intéressante, et nous avons beaucoup parlé. Mais avec eux il y avait un autre couple, et un gai vraiment con. Il était évident que le gai était en amour avec le mari de l’autre fille, et comme je suis assez incontinent, je l’ai pratiquement crié tout haut. Peu après le gai en question m’a rudement dit qu’il ne savait pas qui j’étais et qu’il ne voulait pas me connaître. Il m’a carrément dit de sacrer le camp, et je l’ai fait, car j’ai encore de l’orgueil. Ça m’a bien ébranlé, mais aujourd’hui j’arrive à voir clair, ce n’était pas un acte gratuit de pure méchanceté de la part d’autrui, j’ai dû sans le savoir le blesser. Bon, si je suis responsable de sa crise, en tout cas j’ai dû lui ouvrir les yeux. Sinon, tant pis, je m’en fous. Ils peuvent tous crever tant qu’à moi.

   Sur le coup j’ai soudainement compris pourquoi certains rejetés de la société décident de prendre un fusil pour en exterminer plusieurs. Il faut comprendre combien certaines personnes sont toujours repoussées et rejetées au point où il leur devient impossible de ne pas penser à tuer tout le monde. Leur vision de ce qu’est l’humanité est noire, et non moins valide que l’idée qu’un optimiste s’en fait.

   Aujourd’hui je voulais disparaître dans un trou, déménager loin de toute population. Si je voyais une seule personne, c’était déjà trop. Je suis moins extrémiste aujourd’hui, mais j’aimerais certes ne plus avoir à faire avec autrui. Leur regard, leur jugement, même lorsque je monte ou descend les escaliers roulants de ces stations comme Westminster. Le tout devient insupportable, au point où maintenant j’évite de regarder autrui, et ainsi j’espère les faire disparaître de ma vie. Mais cela est un rêve trop beau pour devenir réalité.

   Oh, pendant que j’y pense, Stephen qui m’a attendu tout le vendredi soir patiemment, et que j’aime plus depuis les derniers événements (ainsi que nos cinq chats), pense maintenant que son grand patron, qui l’apprécie grandement, veuille le nommer Sales Manager chez Mercedes. Et ainsi il deviendrait le superviseur de tous ces imbéciles qui lui ont mené la vie dure ces derniers mois. Si c’est vraiment le cas, ce serait une de ces ironies de l’existence dont je me ferais un plaisir de raconter ici. La semaine prochaine devrait être intéressante, peu importe nos succès et nos déboires.

 

Westminster, 16 nov 2004

 

   Les nouveaux développements au travail. Rien de bien particulier. Je n'ai pas vu de changement dans le comportement des directeurs, j'ignore si le grand patron a vanté mes mérites ou non à cette réunion hier. Pour ce qui est de Watson, il ne me parle pratiquement plus ni ne me regarde, je ne sais pas si c'est un signe de complicité (faisons semblant de ne pas se connaître pour ne pas éveiller les soupçons) ou plutôt un désintéressement absolu. C'est peut-être aussi qu'il a peur de me parler, de peur que l'on sache qu'il est gai. Bref, je l'oublie complètement, je n'ai pas de temps à perdre avec ces enfantillages, il me parlera lorsqu'il sera prêt et non traumatisé.

   Hier j'ai assisté à ma première réunion à propos d'une conférence que je suis supposé reprendre, alors qu'elle est pratiquement terminée et que je n'ai aucune idée de ce que c'est. J'avais l'air d'un con dans cette réunion, car j'ignorais ce que je faisais là, et en plus, ça a fini vers 19h (ces gens-là sont incapables d'avoir des réunions durant la journée sur les heures de bureau?).

   En plus mon patron voulait une réunion rapide après coup pour savoir ce que j'en pensais. Merde, je n'en pensais rien, je n'ai rien compris à ce qui se passait. Et comme il m'a interdit de rencontrer le département de conférences, je n'ai encore aucune idée du comment ils font leurs conférences. Bref, comment pourrais-je les juger ou dire comment améliorer le tout?

   Peu importe, la nuit dernière mon cerveau s'est mis en fonction, et ce matin j'ai écrit 4 pages de radotages sur ce que je pensais de cette misérable conférence et comment améliorer le tout. J'espère que je ne suis pas tout à fait à côté de la voie, et qu'il appréciera tout autant mon zèle. Si je puis lui prouver que je suis indispensable à tous les niveaux, et que je devrais faire partie de la direction, avec un peu de chance, la femme en charge des conférences partira et je prendrai sa place. Et j'espère qu'elle emportera avec elle tous ses fainéants et que je serai en charge de trouver de nouveaux employés que je pourrai contrôler au doigt et à l'oeil. N’est-ce pas là la leçon que nous avons toujours apprise à travers nos divers emplois dans ces compagnies capitalistes qui n'ont jamais suffisamment de millions ? À mon tour maintenant de jouer ce jeu, d'écrire quelques petits rapports innocents qui seront utilisés pour anéantir des années de travail acharnées dans l'organisation, et qui certes feront déguerpir tout le monde que je le veuille ou non, car il est impossible pour quelqu'un qui a eu la vie facile pendant autant de temps, de soudainement se compliquer l'existence au point où je le demande dans mon manuel de procédures. Alors je passe pour le monstre, mais pourtant, je ne suis qu'un simple outil de mon patron qui semble avoir une vendetta contre l'organisation au complet. Alors je dois jouer son jeu, tout en prétendant ne pas le jouer. Car je vois bien que mon petit Watson semble être à la tête de la résistance, où tout ce monde qui déteste le patron se recueille ensemble pour lui cracher dessus et comploter dans son dos. Et Watson en ce moment doit être convaincu que je suis le chien de garde du patron, alors qu'au contraire, je suis quelqu'un qui voudrait obéir à la loi du moindre effort.

   Au diable mon manuel du comment faire la conférence parfaite, je suis le premier à ne rien respecter de ce que j'ai écrit. De toute manière, ce n'est même pas moi qui l'ai écrit, c'est composé d'un paquet de fichiers que j'ai recueillis dans mes emplois précédents. J'ai rencontré un de mes anciens collègues aujourd'hui, et il me disait que ça s'appelait l'expérience. Ainsi j'ai compris que c'est exactement ce que fait la direction, elle trouve l'info appropriée dans certains livres, et semble briller en rapportant tout cela comme s'ils avaient écrit le tout.

   Une drôle de coïncidence que d'avoir rencontré Leigh aujourd'hui à Westminster. Il a été mis dehors avec les autres producteurs, juste après que j'aie quitté mon emploi voilà quelques années. Il travaille maintenant dans les ventes à Hampshire et se rend souvent à des conférences au Parliament Square. Ainsi je le reverrai sans doute, il a parfois des conférences dans mon bâtiment. C'est un monde très petit, faut croire. Il pense que notre rencontre n'est pas une coïncidence, mais pour l'instant je ne vois pas ce que cette rencontre va changer à ma vie, bien qu'il me disait que de m'avoir rencontré allait influencer ses décisions futures à propos de savoir s'il devrait abandonner le monde merveilleux des ventes pour continuer à écrire de la musique professionnellement. Je lui ai donc souhaité bonne chance. Nous planifierons peut-être des retrouvailles, avec les différents collègues avec qui nous avons travaillé à l'époque.

   Je suis dans le train, en route vers la maison. Mon patron voulait enfin cette réunion aujourd'hui avec moi, mais il me semblait que ça s'en allait vers les 17h30 avant que cela ne survienne. Ainsi j'ai quitté les lieux avant qu'il ne me retienne au bureau jusqu'à 19h30-20h, comme hier. Christ, j'ai encore une vie en dehors du bureau, si eux l'ont déjà hypothéquée. Et je n'ai pas peur de leur faire comprendre que je ne veux pas de réunion après les heures du bureau. Merde... ils me font chier à la fin.

 

 

Lundi 22 novembre 2004

 

   Lundi matin, je ne sais plus où j'en suis, combien de semaines je travaille dans cette organisation. Tout ce que je sais, est que soudainement je me suis levé stressé à mort avec l'idée fixe d'arriver au travail avant 9h, tout ça parce que mon patron disait vendredi qu'il voulait que l'on arrive au travail à 9h, encore mieux 8h30, et idéalement à 8h. C'est que j'ai eu le malheur d'aller prendre une bière avec la PA, et malheureusement le patron est venu s'asseoir avec nous.

Il a fait toutes sortes de commentaires, comme quoi nous n'avions pas le droit de porter de jeans même si c'est le dress down policy le vendredi, et que tout le monde malheureusement quittait en trombe dès qu'il est 17h. Il aime répéter que lors de son premier jour, lorsque 17h a sonné au Big Ben, il pensait qu'il y avait une alerte à la bombe, car tout le monde sortait du bâtiment. Quel enfer cela devait être lorsqu'il était Managing Director, et le top Directeur Commercial et du Développement de toutes ces grandes organisations. Un peu de sa psychologie de patron, et voilà, une armée d'employés n'a plus de vie sociale. Ils arrivent à 8h le matin et quittent à 21h le soir. Et ça marche tellement bien ! Le stress ce matin pour que j'arrive à l'heure, ça m'a mis d'une humeur désastreuse. Il faut dire qu'il n'y avait plus d'eau chaude (l'Angleterre et son système de chauffage d'eau manuel merdique) et quoi encore, tout allait mal. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi j'embarque dans son jeu mesquin de patron pourri jusqu'à l'os. Peut-être que je ne veux pas qu'il pense qu'il a fait une erreur en m'engageant ? Je devais être le blue eye boy, l'exemple parfait pour les autres. Celui qui vient du monde commercial et qui travaille du matin jusqu'au soir, et même la nuit, et qui performe comme jamais on n'a vu ça. Je devais leur prouver que mes conférences sont dix fois meilleures, qu'elles allaient rapporter 400 % de profit sur le retour en investissement. Bref, je suis celui dont il a vanté tous les mérites devant tous les directeurs : voici comment vous devez être, regardez tout ce que ce jeune homme a réussi à faire en moins d'un mois. Cependant il a parlé trop vite, et il semblait dire cela vendredi soir. Je suis un être humain comme les autres, et je suis à deux doigts de crier, comme mon autre patronne Rachelle : j'arrive tôt le matin pour pouvoir quitter le soir à l'heure, et non pour avoir une réunion à 17h30 et quitter à 20h ! Que je l'admire pour ainsi crier ce qu'elle pense, et agir en conséquence. Cependant elle travaille là depuis quelques années, et elle n'a plus à faire ses preuves. Moi j'ai tout à prouver, la première des choses, que Sherlock n'a pas fait d'erreur en m'engageant. Malheureusement je pense qu'il a fait l'erreur du siècle, je suis un véritable petit anarchiste et je veux en faire le moins possible. En plus, je n'ai aucun respect pour l'autorité, et ses petits jeux d'esprit ne trouveront pas preneur chez moi. Je ne ferai pas plus de stress que durant mon premier mois, j'arriverai au travail à l'heure où j'arriverai, je partirai à l'heure, sans faire d'heures supplémentaires. Sinon je suis foutu. Je devrai travailler comme un malade jusqu'à la fin de mes jours.

   Ce qui est intéressant est que la PA m'a donné le CV du patron hautement confidentiel vendredi pour que je l'aide à écrire la bio de Sherlock. Il doit parler à une conférence (et j'espère qu’il disparaîtra pour trois jours) et ça lui donnait un mal de tête d'écrire une bio à partir d'un CV. Ainsi j'ai pu lire le passé de Sherlock, et comment impressionnant est son cheminement. Cependant cela n'explique pas pourquoi il est maintenant dans l'organisation, il me semble que ce soit une régression. Une bonne chose aussi, est qu'il n'est jamais demeuré dans le même emploi plus de 1 à 2 ans, souvent moins de 9 mois. Je pense qu'il quittera très bientôt et avouera sa défaite. Et c'est ce dont il parlait vendredi, qu'il ne réussirait jamais à changer la mentalité de l'organisation, personne n'a jamais travaillé, et personne ne travaillera jamais. Et cette constatation le tue, d'autant plus lorsque les petits nouveaux entrent vite dans le moule de cette mentalité. Mais que veux-tu, il n'y a qu'une seule raison pourquoi les gens sont prêts à accepter une coupure de salaire aussi signifiante comparé au si nous travaillions dans le secteur privé, c'est que nous ne voulons pas mourir à la tâche ou sous la pression et le stress. Malheureusement, je constate que mêmes ces endroits ne sont plus des refuges, ils engagent des monstres comme Sherlock, où c'est clairement indiqué sur leur CV qu'ils vont mettre tout le monde dehors et transformer le bâtiment en une sorte de cocotte, ces poêlons sous pression que ma mère appelait la Bombe. Et effectivement, ces cocottes explosaient au moins une fois par deux ans, où toutes les patates, les carottes et les navets miraculeusement sortaient par le petit trou au-dessus de la cocotte pour aller peindre les murs et les plafonds au complet, de leurs couleurs maintenant effrayantes. Je ne doute pas que la même chose se produira dans l'organisation, la Bombe est prête à sauter, et je serai le premier à être squeezé en dehors de la cocotte.

   Quoi d'autres Sherlock a dit ce vendredi qui embarrassait tout le monde, surtout Jackie sa PA. Nous avons parlé des drogues, d'Amsterdam où les lois sont plus relaxes (c'est lui qui tentait de convaincre le peuple que le système des Pays-Bas fonctionnait mieux que celui de l'Angleterre), et quoi d’autres aussi? Rien de bien important. Sauf que j'ai dit suffisamment de conneries que le lendemain j'en étais encore rouge de honte, alors que vraiment je devrais m'en foutre complètement.

   Qu'est-ce que ça change à ma vie que mon patron comprenne que je ne suis pas parfait ? Que je suis comme les autres, un fainéant qui ne veut absolument rien faire ? Est-ce mon problème s'il en vient à constater que mes conférences sont royalement en retard et qu'il a fait une erreur en m'engageant ? J'ai encore une certaine fierté, un honneur. Je ne puis tout simplement ne rien faire. Je vais donc travailler fort, mais je n'embarquerai pas dans ses jeux. C'est de l'enfantillage pur et simple. Mais voilà, les patrons n'ont que cela à faire, jouer des petits jeux d'esprit afin de créer du stress.

 

 

22 nov 04 Partie 2

 

   Il est 16h13, j’t’écoeuré comme c’est pas possible. Ce que je donnerais pour décrisser tout de suite. Quand bien même je me serais enflé la tête après le discours de mon patron vendredi dernier, et que j’avais décidé de prendre toute une série de nouvelles résolutions, comme d’arriver à 8h le matin et de partir à 20h le soir, en pratique je vois bien que je n’aurais rien respecté de tout cela. Il me reste encore une heure et j’ignore quoi faire de ma peau, voilà pourquoi j’écris mon livre à la place de travailler. Pourtant j’ai une conférence de trois jours à produire en moins de 30 jours, il me faudra un miracle pour accomplir ça. Je m’en contrefous éperdument.

   J’ai un grand besoin de m’évader loin de cette réalité. Vendredi, je suis allé acheter un jeu PC sur Sherlock Holmes, malheureusement j’ai passé au travers ce week-end et je ne sais plus comment m’évader les soirs de cette semaine. En tout cas je vais aller télécharger les histoires de Sherlock Holmes sur l’Internet, et je vais placer ces fichiers sur mon Compaq iPaq. Je suis en crise de lire du Sir Arthur Conan Doyle en ce moment, c’est la seule chose qui me maintienne encore en vie.

   J’ignore pourquoi je suis en crise permanente, surtout que je sais maintenant sur quoi je dois travailler. Mais le sujet est tellement vague et infini, et j’ignore tellement par où commencer, que je ne commence pas, tout simplement. Il faudra bien que je m’y mette, éventuellement. Notre petit Watson vient de nous signifier carrément que nous parlions trop dans ce bureau et qu’il ne pouvait pas travailler. Monsieur doit écrire un rapport et a besoin de concentration. Je connais la chanson. Pourtant je n’ai pas parlé de la journée, mais voilà, il était ailleurs toute la journée. Et maintenant qu’il est là, je parle 10 minutes, et monsieur est en crise. C’est sans doute parce qu’il n’est pas habitué d’écrire des rapports, le pauvre. Moi non plus d’ailleurs, bien que j’en aie produit un à partir de pièces détachées d’autres documents que j’avais. Je pense que les rapports, on ne m’en demandera pas trop, maintenant que j’ai commencé mes cycles de production de conférences à tous les 30 jours. Et l’Irlandaise qui me racontait comment c’était lors de son voyage la semaine dernière à Key West, où sa sœur et son copain travaillent deux heures par jour dans un bar, font une fortune en pourboires, et le reste de la journée ils s’amusent dans la mer bleue extraordinaire, où en kayak tu peux aller très loin au large et marcher dans l’eau sans même voir l’horizon. Je comprends pourquoi Michel Tremblay a déménagé là, le maudit a écrit deux fois plus de livres que moi, mais il est riche, alors que moi je suis pauvre et aucun journal n’a encore parlé de moi. Je ne réaliserai jamais mes rêves d’enfance, je suis éternellement condamné à travailler pour des cacahuètes jusqu’à 80 ans (l’âge probable de la retraite lorsqu’il sera temps pour moi de prendre ma retraite).   

   Je ne puis plus supporter la vue de ce Watson, le regarder me donne de l’urticaire. Que j’aie pu penser même un instant qu’il serait peut-être intéressant pour moi, même comme allié, est incompréhensible. Heureusement nous changeons de bureau ce week-end et je ne le reverrai plus. Je serai avec Sherlock (qui est toujours en réunion de toute manière), ainsi qu’avec Rachelle et Jackie. Rachelle parle tout le temps, nous ne ferons absolument rien, c’est officiel, elle semble avoir beaucoup de temps à perdre. Jackie semble avoir plus de travail à faire et il est difficile pour elle de parler toute la journée. Moi je prends le temps de bavarder, placoter, raconter des histoires toute la journée. Vivement lundi prochain, d’autant plus que c’est le jour où nous sommes payés, et pour la première fois de ma vie, je dois admettre que la seule raison du pourquoi je souffre autant, est bien parce que j’ai définitivement besoin de cet argent. Et le pire est qu’il sera entièrement dépensé en deux jours, et ce sera encore la misère pour survivre tout le mois, comme cette semaine… plus d’argent du tout, mes paiements rebondissent, mes banques s’en donnent à cœur joie. Elles vont me saigner jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Voilà pourquoi elles ont fait des profits dans les milliards. Il est temps que le gouvernement saute là-dedans et régularise le tout. Mais j’ai déjà parlé de tout ça. Et je suis fatigué de me lamenter tout le temps. Rien de bien m’arrive en ce moment, c’est la misère absolue peu importe vers où je me retourne. J’aimerais tellement avoir le courage de me suicider.

 

23 nov 2004

 

   Je dois écrire ceci, comme ce que j’ai écrit hier, entre les lignes du fichier sur lequel je travaille au bureau. Non seulement cela, nous n’avons pas d’ordinateur, juste une sorte de station virtuelle sans possibilité d’enregistrer sur un floppy disk ce que nous faisons. Ainsi je dois m’envoyer par e-mail ce fichier modifié, caché à travers d’autres fichiers, dans l’espoir que Big Brother n’y verra que du feu.

Il est clair que tous nos messages sont filtrés, si je n’écris pas partout le nom de l'organisation dans mes messages, d’habitude je ne reçois pas ce message à la maison, ou vice versa. Si un seul fichier dans mes dossiers ne semble pas faire partie de mon travail à l’association, il est effacé par les gens du département technique qui font régulièrement le tour de notre espace virtuelle. Enfin, inutile de risquer d’installer un programme quelconque ou même une mise à jour d’Internet Explorer, le tout serait immédiatement repéré et enlevé.

Bref, plus d’ordi au travail, plus de liberté ou de vie privée non plus. Je cours un très grand risque en écrivant ainsi au travail et en m’envoyant ces fichiers par e-mail, mais je n’ai pas le choix, et de toute manière c’est en français. Je pense que je suis le seul dans tout le bâtiment, ou même à Westminster, qui parle cette langue bizarre, une chance.

   Aujourd’hui c’est le jour où la Reine fait son discours annuel, ce qui veut dire que le Premier ministre lui a donné un discours qu’elle doit lire. Je pense que la Reine n’a pas d’opinion propre, en tout cas elle s’est toujours fermé la gueule, pour éviter justement d’être dans les journaux tous les jours comme son fils Charles. Encore cette semaine Charles fait la une de tous les journaux pour avoir écrit dans un mémo personnel que le peuple ne devrait pas tenter d’accéder à des positions dont clairement ils n’ont pas les compétences requises, ou la détermination de travailler fort pour y arriver. Ce qui est tout à fait vrai, pourtant les bons sujets de la Reine viennent de se réveiller, ils dormaient bien confortablement avant de comprendre que leur futur roi venait d’exprimer une opinion dont il n’avait aucunement l’intention que cela devienne public. Moi je dis qu’au moins il exprime quelque chose, il a le courage de parler. La Reine, sa mère, me semble déjà morte, et ce depuis plus de 50 ans.

   Je suis encore sous le choc de cette simple petite conversation de mon patron vendredi passé. Je comprends maintenant, personne ne lui a dit que je suis allé chez le docteur jeudi pour un vaccin contre la grippe. Il doit penser que je suis arrivé à 11h30 jeudi, et en retard vendredi parce que les trains, encore une fois, étaient tous brisés, et me rendre au travail chaque matin devient un sport digne des jeux olympiques. Bien, je comprends maintenant qu’il me surveille d’en arrière son bocal à poisson, observe mes allées et venues, l’heure de mon arrivée et l’heure de mon départ, et si je reviens une minute en retard de mon heure de lunch. Quand on pense qu’il est responsable d’au moins 200 personnes et qu’il n’y a aucun moyen pour lui de surveiller les autres, je suis donc, avec son assistante, le seul qui est surveillé ainsi du grand patron, qui s’avère justement être un freak en rapport au nombre de secondes que l’on travaille chaque jour. Eh bien sûr, il nous suggère de travailler 4 heures de plus que la normale, et cela sans raison, car nous ne sommes pas dans le jus, il n’y a pas d’échéances brûlantes pour peu importe ce que nous faisons.

Et je pense que ça a marché pour Watson, il reste très tard au travail chaque jour, mais je vois qu’il cherche déjà les portes de sortie, prenant des jours de congé pour travailler à la maison, et aussi hier où il disait qu’il voulait partir tôt pour enfin travailler tranquille à la maison sur ce fameux rapport. Donc comme tout le monde, il veut sacrer le camp, mais doit utiliser ces prétextes comme quoi il va continuer à travailler à partir de la maison. Et j’ai justement regretté de ne pas avoir dit à mon patron que je travaillais beaucoup à la maison, et que finalement il importait peu que je parte une heure plus tard ou non, ou que je travaille jusqu’à la dernière minute au travail. Mais ça fait tellement pitié quelqu’un qui se justifie, qui tente de dire qu’il travaille à la maison, que finalement je suis heureux de ne pas avoir pensé à m’expliquer ainsi.

J’aime bien mieux ce que je lui ai lancé lorsqu’il nous a suggéré d’arriver à 8h le matin et que ma réponse cinglante a été : on va essayer d’arriver pour 9h. J’ai regretté toute la soirée d’avoir osé dire une telle chose, et le lendemain aussi, mais aujourd’hui je m’admire pour cet affront. C’est comme si je lui avais dit : va chier, on va travailler exactement ce que notre contrat et la loi prescrit, au diable tes combines pour faire de nous des esclaves. Inutile de se justifier, vaut mieux agir comme on veut et subir les petits discours moralistes de temps en temps, et alors continuer à n’en faire qu’à notre tête. C’est beaucoup plus professionnel et on peut garder la tête haute. Ces petites humiliations d’employés que l’on rappelle à l’ordre aussitôt une petite déviation, c’est mesquin, et il ne faut pas répondre par l’embarras et les justifications, mais plutôt par le mépris, la confiance en ce que nous faisons, ainsi que l’innocence et l’ignorance. Ça devrait leur boucher un trou, à ces patrons, qui n’ont jamais vu d’employés développés une petite psychologie de contre attaque à leur petite psychologie de bas niveau reliée à la hiérarchie sociale.

   J’ai finalement installé le programme MobiPocket sur mon Pocket PC, et soudainement toutes mes histoires de Sherlock Holmes et d’Arthur Conan Doyle sont accessibles ce matin. Je n’ai eu le temps que de commencer la lecture de Scandale en Bohémia, mais ça m’a revigoré complètement. Je me suis couché tard cependant, comme la nuit d’avant, cette fois parce que je répondais à un prof de grec et latin qui s’intéresse à mes deux derniers livres. Il faut dire que j’ai également fait l’épicerie hier, et je me suis ruiné complètement. Au moins 10 paiements ne passeront pas d’ici lundi, je vais être terriblement dans le rouge et ça va me coûter un bras. Je dois regarder à mon compte de banque ce soir, mais je n’ose plus. Ça me fait trop peur.

   Il est presque midi, je vais bientôt aller me promener dehors. Ça devrait être intéressant, il y a plein de parades partout, une légion de policiers qui me regardent tous comme si j’étais un criminel, et même que l’armée vient de débarquer. Vraiment, le discours de la Reine va coûter 100 millions de livres aux contribuables qui paient pour tout ce cirque. Ils auraient mieux fait de lui faire dire son discours à partir de Buckingham Palace. Il y a plusieurs hélicoptères qui buzzent autour, ça devient impossible de travailler, entre les cloches du Big Ben et de Westminster Abbey qui s’en donnent à cœur joie. Je comprends maintenant pourquoi personne ne fait rien dans ce gouvernement, c’est parce qu’il se passe toujours quelque chose à Westminster et qu’il devient impossible de se concentrer. Alors pourquoi même essayer ? Ils viennent de changer le drapeau au-dessus de la tour de Westminster Abbey que je vois de ma fenêtre. J’ignore pourquoi, et personne ne sait au bureau. C’est sans doute parce que la Reine vient d’entrer dans le Parlement, ou quelque chose du genre. Quand les faits et gestes d’une seule personne affectent des milliers, sinon des millions d’autres, il y a un problème. Mais ce n’est pas moi qui vais le régler.

   Je reviens de marcher autour de Westminster, voir les préparatifs de la Reine. Tous les policiers m’ont regardé bizarrement, comme si j’étais un fou prêt à tout faire sauter. C’était amusant de les voir paniquer, juste parce que je marchais lentement autour, avec un sac de cuir noir. J’ai marché là où je n’avais pas le droit, passant à côté d’un policier qui parlait avec un touriste, et je me suis rendu au deuxième sans problème, sans qu’il ne me voit. Je flânais juste en face des portes principales du Parlement, voyez-vous. Puis soudainement il m’a vu et m’a demandé de traverser de l’autre côté de la rue Millbank.

   Je regardais ces imposants bâtiments qui font partie du gouvernement, deux vieux sont sortis de l’un d’eux, avec des papiers, et il m’a semblé voir là deux spécimens qui n’ont rien à faire d’autre toute la journée que d’inventer de nouvelles lois, tout régulariser jusqu’à ce que l’on meurt tous étouffés sous la bureaucratie et les tribunaux. Il m’est soudainement venu un dégoût marqué pour eux et je me suis retenu de leur marcher dedans, prétendant ne pas voir où je m’en allais.

Et je suis allé marcher sur le pont à la fin de Millbank, regarder une vue superbe du Parlement. Encore plus beau qu’un château, c’est assez impressionnant, comme la plupart de l’architecture du coin. Au moins ils ont construit de belles choses durables. Et je me disais, tiens, si cela devait être détruit aujourd’hui par une organisation terroriste quelconque, le moment serait bien choisi, car j’avais la plus belle vue possible. Finalement rien ne s’est produit, mais j’aurai vu le tout une dernière fois si aujourd’hui est le dernier jour où le Big Ben se tiendra debout.

   À mon retour j’ai marché dans les petites rues en arrière de Millbank, il y a un drôle de bâtiment dans le Smith Square, assez bien, et j’ai vu la maison où T.E. Lawrence habitait sur la rue Barton, mieux connu sous le nom de Laurence d’Arabie. Et moi qui croyais qu’il était un personnage de film fictif. Bref. Il devait être quelqu’un qui a causé beaucoup de morts, créé des guerres et tout, et aujourd’hui il est un héros. Un peu comme Bush deviendra avec le temps, malheureusement.

   Merde, je suis en train de lutter pour ne pas m’endormir, c’est toujours la même chose. Ce soir il faut vraiment que je me couche. Je repasse mes chemises, je regarde mes e-mails pour voir si la bonne nouvelle qui me permettra de quitter mon emploi demain matin est arrivée jusqu’à mon inbox (dans mes rêves), et je vais dormir. Sinon, demain je ne survivrai pas, c’est certain. En tout cas, mon patron et sa PA déménagent aujourd’hui, ils s’en vont au troisième. Rachelle et moi les suivrons ce week-end. Cela me laissera quelques jours de répit, sans mon patron sur mon dos. J’arriverai en retard et je partirai tôt pour les trois prochains jours. Il veut être obsédé, d’accord, moi aussi je serai obsédé, à faire tout le contraire de ce que monsieur désire le plus au monde.

   J’ai écouté le CD de Rachelle hier, pas pourri, aucun doute elle sait chanter, mais ce n’est pas mon style de musique. Comme c’est triste, qu’elle aime chanter, que j’aime écrire, mais que nous soyons tous les deux coincés à Parliament Square, comme deux misérables. Au moins moi j’en trouve l’inspiration pour écrire ces lignes, j’espère qu’elle a écrit certaines chansons en conséquence. Sinon, quelle perte de temps, d’énergie et de talent. Au diable les Arts, ils ont été engouffrés par le capitalisme et le Corporate London.

   De ma fenêtre, je vois exactement, comme dans un cadre, la tour qui termine Westminster Abbey. Et le ciel autour est toujours menaçant, noir et gris, avec des nuages effrayants. On dirait un film d’horreur permanent. Il est vrai que l’hiver à Londres est assez misérable, bien qu’il n’y ait pas de neige. Il est 14h, pourtant il fait noir et nous avons besoin de lumière pour travailler.

   Ah, ce que la journée passe lentement ! Je ne sais plus quoi faire de ma peau, encore deux heures avant que je ne puisse partir d’ici. Au moins si j’avais pu trouver le moyen d’avoir des histoires de Sherlock Holmes sur mon ordi, je les lirais en ce moment, je pourrais même les imprimer sur papier, ça ne paraîtrait pas que je ne travaille pas. Mon problème est que je me suis couché trop tard les deux derniers jours, et en ce moment je suis tellement fatigué, que l’idée de travailler est dérisoire. Même lire des histoires que j’aime risque de m’endormir. Je devrais aller marcher dehors un peu, cela me réveillerait. Mais je quitte bien trop le bureau, ils vont commencer à se demander où je vais sans cesse. C’est trop souffrant d’être assis à ma chaise et de devoir travailler 8 heures en ligne pendant 5 jours, sans avoir la chance de dormir ou d’écrire les soirs de semaine. Je suis à bout. Bon, je sors de ce bureau, je vais dehors. Je reviendrai dans 15 minutes. Ils sont dans une réunion, ils ne se rendront peut-être pas compte que je ne suis plus là. Espérons-le…

   Voilà, je suis de retour, absent 20 minutes. Personne ne semble s’être aperçu de ma disparition. J’aurais pu être en réunion moi aussi, avec les fantômes des employés passés. Il doit y en avoir un moyen paquet, le bâtiment doit avoir au moins 300 ans. Si ça se trouve, il y a une centaine de personnes de plus qui travaillent dans le même espace que nous, vibrants à une fréquence différente ou tout simplement dans un monde parallèle. En tout cas, ils n’utilisent certes pas d’ordinateurs, comme la vie devait être facile alors. On ne pouvait certes pas trop espérer ou en demander de gens sans ordinateurs, les outils étant assez limités. Il devait y avoir davantage de secrétaires, utilisant ces machines à écrire pour retaper les mêmes pages, page après page. Mon père a connu ça, les emplois sans ordinateur, et encore, ils utilisaient ces ordinateurs primitifs qui utilisaient des cartes à trous. Comme je n’ai jamais vu à quoi ressemblent ces ordinateurs, je ne sais pas trop exactement ce qu’ils faisaient avec, si cela les aidait ou non. Je ne comprends pas le principe de ces cartes à trous, il n’y avait certes pas de traitement de texte, alors était-ce pour faire des calcules? Aucune idée. Ce qui me rappelle que j’ai vu au centre de science de Manchester le premier ordinateur construit (à l’Université de Manchester). Quand je pense que toute cette histoire a commencé là, c’est assez impressionnant. Et que si cet ordinateur n’avait pas été inventé, Dieu seul sait quels avancements nous n’aurions pas fait. Et ça me fait réfléchir, quoi d’autres on n’a pas inventé qui aurait pu nous aider à sortir de ce stupide système solaire, parce qu’un génie devait aller travailler inutilement pour une organisation inutile à Parliament Square au lieu de réfléchir et de créer ses nouvelles inventions ?

 

23 nov 04 - partie 2

 

   À la fin de la journée, il ne restait plus que moi et Watson dans le bureau. Je pense qu'il m'a comme invité à aller à la conférence sur les Évaluations demain, qui est juste à côté d'où je travaille, le Queen Elizabeth II Conference Centre, et comme il était tout bizarre (comme d'habitude), j'étais assez embarrassé. Mais je le suis un peu moins depuis que je le vois geler ben raide tout le monde avec qui il parle, en particulier toutes les femelles qu'il a interviewées cet après-midi pour les différents postes d'assistants que nous offrons. Je dis femelles, parce que ce n'étaient ni des hommes (bizarre), ni des femmes ou des jeunes filles. C'était des femelles, à défaut de dire des bitches ou des sans cervelle. Elles iront très bien avec le décor de l'organisation, je n'ai aucun doute qu'il va tous les engager. Bien, demain j'irai donc à cette conférence, et cela me permettra de lire plusieurs nouvelles de Sherlock Holmes plutôt que d'être assis à mon bureau, et aussi également sonder le petit Watson, savoir enfin s'il va m'avouer des choses sur sa vie personnelle, peut-être même me courtisera-t-il? Je ne le crois pas une seconde, il est bien trop coincé, et nous sommes bien à deux jours de ne plus jamais se voir dans le bâtiment, car je déménage en haut. Trop tard, il a manqué sa chance, on ne se reverra plus et c'est sans doute une bonne chose, car il est vraiment téteux et souffre d'un manque de personnalité flagrant. Faut l'écouter lorsqu'il parle au téléphone, il n'a jamais rien d'intéressant ou d'intelligent à dire, quand je pense qu'il pourrait bien se retrouver à la tête de tout le département lorsque Sherlock quittera, et qu'il était responsable de tout ça pendant des mois. Il est peut-être gai, mais c'est à peu près tout ce que nous avons en commun. Il est vrai que je parle par frustration, un peu. Ça m'a fait chier qu'il n'ose m'avouer qu'il était gai et qu'il m'ait ignoré pendant des jours au travail, prétendant que je n'existais pas. Et là je vois qu'il m'invite à cette conférence et cela m'agace, car je ne veux pas m'imaginer des choses, d'autant plus que je sais très bien qu'il n'y a rien à imaginer. C'est clair qu'il n'a aucunement l'intention de me parler davantage. Tout est professionnel, et de toute façon, pourquoi cela devrait-il être différent ? Pourquoi deux gais en milieu de travail devraient-ils être solidaires, devenir amis ? Aucune raison, nous sommes des étrangers, nous sommes des collègues, par définition nous devons nous détester, demeurer froid. Se dire bonjour avec embarras tôt le matin lorsque l'on se croise, et ce, même si nous partageons plus de temps ensemble chaque jour que j'en partage avec celui que j'aime.

   Je ne sais pas ce qui va se passer demain, nous verrons. Je vais lui dire clairement le matin s'il veut que j'y aille par moi-même ou s'il veut que je vienne avec lui. Il me semble que ce sera là un message clair. Mais il dit qu'il ne va rester que 30 minutes, et sans doute il a des réunions et tout. Alors il ne faudra pas trop que je lise la signification de ses réponses.

 

24 nov 04

 

   Je suis à deux doigts de leur dire qu’il y a un dégât d’eau à la maison et que je doive partir maintenant. Mais ça ne vaut plus la peine, car la PA m’a demandé de l’aider à déménager en haut et une heure vient de passer assez rapidement. Alors pour une heure, je vais garder mon dégât d’eau pour un autre jour, et le jumeler avec une arrivée en retard le lendemain matin à cause de l’attente d’un plombier. Le problème est que lorsque l’on pense à une telle chose, il faut agir vite et ne pas trop penser. Si on le garde pour un autre jour, souvent on ne le fait pas. C’est seulement quand on a besoin d’évasion que l’on doit agir, et cet après-midi j’en avais besoin.

   Watson me sourit maintenant au travail, mais il est un peu tard car dans trois jours je déménage en haut, dans un bureau où on étouffe et où je ne pourrai pas voir dehors par la fenêtre, car le bocal à poisson où mon grand patron sera, me bloquera la vue. Et en plus, il y aura deux fois plus de monde en haut et moins d’espace. Encore une fois, tout le monde pourra voir mon écran d’ordinateur. Je déteste cela, je ne peux alors que travailler, sinon c’est évident que je ne fous rien. Misère. Et moi qui ai pris ce boulot surtout parce que je me disais que le bureau où je travaillerais ne semblait pas si mal. Et l’emploi que j’ai refusé à Kensal Green, nous allions déménager dans une vieille église rénovée, et cela aurait sans doute été mieux. C’est toujours comme ça, je commence un emploi dans un bureau où on respire et où c’est paisible, et soudainement, souvent moins de deux mois après, on déménage où tout le monde est assis un par-dessus l’autre, sans fenêtre, sans la chance de respirer, et aussi là où on passera la journée à parler plutôt que de travailler. Pas d’autre choix lorsque nous sommes dix à partager le même deux mètres carré. Apparemment ceux en haut ne sont pas trop heureux que le patron partage maintenant leur territoire. Ils se sentent observés et jugés… bref, j’espère qu’ils ne foutent rien, ainsi Sherlock comprendra que je ne suis pas si mal comparé aux autres, je travaille bien plus que la plupart du peuple dans ce bureau, même si je ne sais plus quoi inventer pour sacrer le camp et faire autre chose que cette conférence.

   J’ai remarqué quelque chose aujourd’hui et hier, en marchant autour de Westminster. La plupart des gens sont vieux, laids et ils ont l’air assez inintelligents. Et je me demandais pourquoi, alors que partout ailleurs où j’ai travaillé à Londres, les gens sont jeunes, beaux et brillants. Et soudainement j’ai compris. Dans le domaine privé, les gens qui sont laids, vieux ou handicapés mentaux souffrent de discrimination, ils ne sont jamais engagés, et si oui (par erreur), ils sont mis dehors assez rapidement. Alors où donc vont travailler tous ces mongols, ces erreurs de la nature ? Dans les gouvernements et les associations, là où il n’y a pas de discrimination et où l’intelligence importe peu, car on n’a de compte à rendre à personne. On peut facilement souffrir un déficit annuel gigantesque, et même si on ne fout rien de la journée, c’est acceptable. Ainsi tout le monde à Westminster est con, ce sont ceux qui ne pourraient jamais vraiment travailler et réussir dans le monde stressant et commercial de la ville.

   Il y a plusieurs choses que je veux maintenant visiter parce que je suis à Westminster tous les jours. Le musée de la guerre où Churchill a planifié la destruction de l’Allemagne, l’aquarium, le Parlement, Westminster Abbey, la Vieille Tour de l’ancien Parlement, etc. Mais je ne me vois pas revenir un week-end pour visiter ces musées, ça me donnerait l’impression d’être au travail. Et en ce moment, le plus loin possible je suis du Big Ben, le mieux je me sens.

   C’est drôle comment on peut juger les gens, mais se tromper. Et c’est très rare d’habitude que je suis complètement à côté de la voie, je pense être bon juge de caractère. Mais cette fois-ci je me suis trompé sur deux personnes avec qui je travaille assez près. La première fois que j’ai vu la PA, j’ai été surpris de voir une fille du Brésil, et elle m’a semblée incompétente, pas à sa place. Pourtant, j’ai découvert après coup, maintenant qu’elle est ma seule vraie alliée dans ce bâtiment, qu’elle est précieuse et a trop de classe pour cet établissement. Elle a des goûts de riche, et son mari fait beaucoup d’argent. Elle vit à Chiswick, à une longue rue de chez moi, sauf que c’est le coin de riche, et moi je suis dans un coin correct, mais pas de riche. D’ailleurs, je m’en rends compte en sortant du train à Isleworth, ils sont également tous laids et sans génie. Drôle, mais être riche et avoir du succès, semble bien aller avec avoir de la classe et avoir un cerveau. Sans doute pour les raisons mentionnés plus avant.

   Et l’autre personne dont je me suis trompé sur sa personnalité, c’est Rachelle. Elle m’a semblé très sérieuse, et une pimbêche pincée lorsque je suis venu à l’entrevue. Je lui ai dit bonjour de la tête, car je savais qu’elle deviendrait importante dans ma vie, étant assise juste à côté du bocal à poisson du patron. Eh bien, elle est jeune d’esprit (même si elle perd ses cheveux), un peu fo-folle, et n’hésite pas à crier tout haut ce qu’elle pense. Elle est chanteuse de Western et veut déménager à Nashville aux États-Unis. Elle est la première à sortir le soir lorsque c’est l’heure de partir, même que ce soir elle veut quitter une demi-heure avant l’heure parce que le patron n’est pas dans le bureau, et je me demande comment je pourrais faire de même. Le problème est que j’arrive à 9h, elle arrive à 8h. Elle aurait donc le droit en théorie de quitter à 16h, et moi à 17h. Donc rien ne l’empêche de décrisser, et si elle ne décrisse pas d’habitude, c’est parce que le patron a dû réussir à la convaincre de travailler un plus grand nombre d’heures. Voilà, elle part, j’en ai encore pour 30 minutes. Que vais-je faire, tout ce temps seul dans ce bureau ? Je crois que je vais lire une nouvelle de Sherlock Holmes. Et espérer que personne n’entrera et regardera mon écran.

 

25 nov 04

 

   Je n’ai pas fait grand-chose aujourd’hui. D’abord je suis allé à cette conférence sur les IFRS, Dieu seul sait ce que ça mange en hiver. J’ai assisté aux deux premières présentations, et j’ai dû lutter comme jamais pour ne pas m’endormir. Pourtant je me suis couché tôt hier, justement pour pouvoir survivre l’heure où je serais dans cette salle de conférence. Il n’y a rien à faire, moi les conférences, ça m’assomme complètement, il n’y a rien de plus plates sur toute la planète. En plus, je n’ai jamais assisté à une conférence où je me suis dit : oui, tout cela était essentiel, ils ont appris quelque chose de concret, ça valait le coup. Je pense que tout cela est une perte de temps effrayante et que c’est tout à fait inutile. Vous imaginez si j’osais dire ça à mon patron, après avoir travaillé dix ans dans ces damnées conférences ? Je serais fusillé ou crucifié. Le tout se passait au Queen Elizabeth II Conference Centre et c’est le Libanais, Pink et Bubbly (comme dirait Stephen), qui a organisé le tout. Il me disait que ce bâtiment était anti-nucléaire. C’est-à-dire que si une bombe nucléaire sautait tout près, nous serions protégés, et il y aurait sans doute des bunkers dans le sous-sol. C’est bon à savoir, mais je ne crois pas que nous aurons la chance de nous réfugier là si les terroristes attaquent et que nous voudrions entrer là pour nous protéger. Ils seraient bien trop heureux de nous laisser crever à l’extérieur de leur forteresse.

   En tout cas, jamais vu une bande de péteux plus haut que le trou que ces délégués aujourd’hui. J’ignore pourquoi ils sont aussi prétentieux, mais ils ont tous des habits cravates, et aucun d’eux n’a enlevé son côte d’habit. Ils se prennent pour la Reine elle-même, pourtant ils ne sont toujours bien que de simples géomètres, c’est pas la mer à boire. Ils se donnent tous des airs d’aristocrates anglais qui jouent au polo et qui savent apprécier le cricket, un sport que personne sur cette planète ne comprend et ne veut comprendre. J’étais heureux lorsque je suis sorti de là.

   Après, tant bien que mal, d’avoir tenté de survivre la première heure de la conférence, j’ai quitté immédiatement, et en sortant j’ai lâché un grand soupir de soulagement. Je me disais que je déteste tant aller aux conférences que je changerais la date de ma conférence actuelle de Mars à Juin, dans l’espoir qu’en juin prochain je ne travaillerai plus ici ou je serai déjà mort quelque part dans un fossé.

   Je suis allé à la banque, pour tenter de sortir de l’argent de mes cartes de crédit pour le mettre dans mon compte, et j’ai dû marcher jusqu’à Victoria pour ça. Si je ne l’avais pas fait, 5 paiements n’auraient pas passé d’ici à lundi prochain et ma banque m’aurait chargé 5 fois 35 livres. Joie. Je suis revenu au bureau vers 12h30, et après avoir rencontré la Brésilienne, je suis parti avec elle pour une heure de lunch. Bref, il était bien 15h quand enfin je me suis assis pour travailler un peu.

   J’ai appris bien des choses aujourd’hui. De la PA, qui est maintenant en haut avec le grand patron, et aussi des directeurs qui partagent maintenant mon bureau actuel et qui n’ont plus peur de cracher sur le patron devant moi. Ils sont tous en christ, ils se lamentent comme jamais, car ce que le grand patron demande ne fait aucun sens et ils sont convaincus que c’est pure perte de temps. Ils ne savent pas à quoi cela sert, et ils disent avoir bien plus important à faire que ces rapports et comptes-rendus, ou peu importe ce que c’est que Sherlock leur a demandé de faire. C’est qu’ils ne comprennent pas ce que fait Sherlock. Il ne travaille plus pour la masse, les membres, les produits et les services, dont il est le directeur, il travaille pour le Management, les grands patrons, les détenteurs d’actions, ceux à qui il a des comptes à rendre. Et maintenant il transforme peu à peu les tâches de tous ses directeurs. Maintenant ils ne travailleront qu’à produire des grilles de chiffres, des rapports, des statistiques, qui prouvent comment nous sommes beaux, bons, excellents et les profits que nous faisons. En ce moment, plus personne ne fait rien d’autre que de travailler sur une campagne d’image, pour prouver que nous sommes les meilleurs au monde. Et c’est ainsi que ces grands directeurs engagés à grand salaire font afin de prouver que l’argent qu’ils reçoivent est justifié. Ils ne font que prouver que l’équipe fait quelque chose et que cela porte fruit. La réalité est tout autre, bien sûr. Ces directeurs travaillaient très fort, mais maintenant ils ne font plus rien d’autres que de travailler à démontrer que le directeur est l’être le plus efficace de la planète. C’est triste.

   J’ai particulièrement aimé entendre la Brésilienne me confirmer que tout le monde dans le nouveau bureau est effrayé par le directeur et n’ont plus de liberté, ils détestent. En plus ils n’aiment pas trop la PA, ils pensent qu’elle est l’espionne du directeur. Pendant ce temps j’apprécie mes deux jours sans l’avoir sur mon dos.

   Dans la rue, les travailleurs de la construction arrêtent de travailler pour regarder la Brésilienne passer. Je pensais que c’était parce que, comme l’Allemande avec qui je travaillais, elle est belle et ces cons de la construction sans cerveau sont incapables de se contrôler. Mais là ça y va fort. Aujourd’hui un gros camion transportant des choses lourdes, et bloquant la circulation dans les deux sens, juste en face des escaliers Cockpit Steps, s’est arrêté et nous a klaxonné ça pendant deux minutes. Maintenant tout le monde me regarde bizarrement, et avant je ne m’en inquiétais pas outre mesure. Mais voilà, Jackie a dit quelque chose qui m’a illuminé. Elle a dit : ai-je l’air d’une prostituée ou quoi? Et soudainement ça a fait clic dans ma tête. En effet, elle s’habille comme une putain, et on me regarde bizarrement parce que j’ai l’air de l’homme d’affaire qui a ramassé une pute et qui l’emmène au restaurant. Alors ce n’est peut-être pas juste parce qu’elle travaille avec le directeur que les gens se tiennent loin d’elle, sans doute ils ont peur d’être jugés, pendant qu’ils se meurent dans leur préjugés.

   Il est 17h, mais je n’ose pas partir, tout le monde est encore là dans le bureau et ça ferait bizarre que je parte maintenant. Je pense que je vais rester 30 minutes de plus. D’autant plus que je suis en train de boire du vin avec d’autres collègues. C’est rien, on m’a versé un verre de whisky imbuvable. Je suis à peu près certain que nous ne boirions pas si le directeur était encore sur notre étage.

   Il y a de ces jours où partir du bureau n’est pas facile. Et demain je pense que je vais arriver à 21h30, car les chances seront grandes que je ne pourrai pas sacrer le camp à 17h comme je l’espère.

 

25 nov 2004 - partie 2

 

   Mon Dieu que j'ai entendu des choses politiquement incorrectes dans les derniers 30 minutes. Rachelle disant: Sherlock et homme dans la même phrase ? Affirmant ainsi qu'elle ne pensait pas qu'il était très masculin, pourtant il a trois enfants. Mais Sinéad a répété ce que lui-même, Sherlock, disait à propos de Watson, qu'il était so girlish, autrement dit tapette. Je pense qu'elle se trompe, en fait il disait que Watson avait une sonnerie sur son téléphone mobile un peu girlish, mais je ne crois pas qu'il ait dit que Watson était girlish. Encore que, je me trompe peut-être.

   Drôle que c'est tout à fait acceptable que Michelle dise de Sherlock qu'il n'est pas un homme, mais qu'il est tout à fait inacceptable pour Sherlock de dire que Watson est comme une femme. C'est qu'il est l'autorité incarnée, il vient directement après Dieu le père, il demande la perfection de tout et chacun, il doit donc être parfait lui-même. Et s'il ne l'est pas, hourra !, nous les mécréants pouvons le dénoncer, l'attaquer, bref, s'en débarrasser. Et sinon, alors, nous n'avons pas besoin d'être si parfaits, si monsieur lui-même n'est point parfait.

 

26 Novembre 2004

 

26 novembre, je ne pensais pas que j’atteindrais cette date. Je serai payé un salaire complet ce lundi, et c’est la fin du mois. Si je suis encore ici, c’est que je vais y rester. Bien que ce matin il m’est passé à travers le cerveau toutes ces idées du comment m’en sortir, quelles étaient les solutions à mon problème. Et il ne me semble plus que ce soit le retour au Canada ou de déménager ailleurs. Ce qu’il me faut vraiment, et c’est ce que font par milliers les professionnels de Londres qui ont des salaires faramineux, c’est de tout laisser tomber et d’aller vivre à la campagne. Le problème est que j’ignore comment ces milliers de personnes réussissent, un, à trouver l’argent pour déménager à la campagne, et deux, que font-ils pour survivre ensuite ? Trouvent-ils des emplois à la campagne avant de planifier leur déménagement ? Ce serait logique. Ainsi il me faudrait chercher de l’emploi à l’extérieur de la ville, mais là c’est Stephen, lui aussi doit vouloir partir, trouver de l’emploi dans le même coin et vendre ou sous-louer son appartement. Tout ça, ce sont de grands obstacles. Trop grands peut-être, pour l’instant de toute manière. C’est lorsque tous les deux n’avions pas d’emplois qu’il fallait y songer, je l’ai mentionné à Stephen alors, plusieurs fois, mais il était devenu sourd, dû à sa panique existentielle de ne pas avoir d’emploi et d’argent, et de perdre son appartement, etc.

   Ce matin, tout ce qui aurait pu mal aller, a tourné au vinaigre. Je pense que c’est peut-être dû, en partie, au fait que je me suis levé 10 minutes plus tard que d’habitude. À partir de cet instant, ma vie est devenue comme un château de cartes qui s’écroulait, et j’ai passé très près de franchir cette frontière entre être sain d’esprit et devenir complètement cinglé.

   Tout me poussait à bout. Rien n’était repassé à 5 minutes avant que mon train n’arrive, je n’avais pas assez d’argent et j’ai demandé 2 livres à Stephen, j’avais versé de l’eau dans la cafetière hier mais j’ai oublié de mettre le café, et je ne sais pas quoi d’autre, mais il y avait plusieurs autres petites choses. Ainsi Stephen m’a reconduit à Richmond afin que je puisse prendre le train et arriver au travail pour 9h, mais voilà, j’ai manqué le train par 30 secondes, et le prochain en était un qui arrêtait à toutes les stations, et qui en plus était en retard. C’est à ce moment que Stephen m’a téléphoné pour m’annoncer qu’il avait oublié de me donner 2 livres. J’ai dû faire un détour rendu au travail pour aller sortir 10 livres de mon compte de banque, et comme je sais que certains de mes paiements risquent de ne pas passer, je ne voulais pas faire ça. 70 livres que ce deux livres risque de me coûter maintenant. Et là commencent les annonces : « Mesdames et messieurs, votre train est en retard, il n’arrivera jamais à Richmond-upon-Thames, et le jour où il arrivera, il arrêtera partout et n’atteindra jamais Waterloo, sa destination finale ». Et rendu dans le train, à Clapham Junction, voilà qu’encore une fois je tombe sur un conducteur de train zélé, qui décide de nous aliéner complètement en répétant au moins 12 fois dans une langue pratiquement inconnue que le train n’arrêtera pas à Queenstown Road et que les gens qui veulent aller à Queenstown Road doivent sortir du train et se rendre à la plate-forme 14. Si je transcrivais ici exactement tout ce que cet homme a dit à tue-tête dans le train ce matin, au moins 12 fois en ligne, je perdrais tous mes lecteurs. À la fin je n’en pouvais tellement plus que j’ai claqué mon livre, je l’ai jeté dans mon sac, je l’ai zippé, et j’étais comme une soupape sous pression prête à exploser. N’importe quel passager à ce point, qui aurait osé me parler, en aurait souffert les conséquences. Morsures, brûlures, violence verbale et physique, j’étais vraiment à bout et prêt à n’importe quoi. C’est dans ces moments-là que les voleurs devraient tenter leur chance, avec toute cette haine intérieure qui ne paraît même pas, ils auraient affaire à un cas déterminé.

   Rendu finalement à Waterloo, je suis devenu comme une sorte de robot. Je ne sentais plus mon corps, je regardais en face de moi au loin à l’horizon, alors qu’il n’y avait rien à regarder. Je suis devenu un automate, je n’avais plus besoin de réfléchir pour me rendre au travail le matin, aussi bien se déconnecter complètement du corps. Et c’est ce qui s’est produit aujourd’hui, je n’étais définitivement plus là, bien que mon corps marchait machinalement vers l’Underground pour se rendre à Westminster. Et c’est seulement lorsque je me suis rendu compte de ce fait, que je suis revenu sur terre. De comprendre que je n’étais plus là, dans cette sorte de transe, comme si la réalité m’était devenue si insupportable que j’en étais au point où j’allais perdre connaissance. Trop de souffrance, alors la conscience décide de partir. Après avoir pris les 10 livres que je n’ai pas au guichet automatique à Westminster, je continuais à marcher avec mon air absent, jusqu’à ce que j’entende cette musique intolérable de ces musiciens dans le métro, et il m’est venu soudainement l’envie de prendre un élan et de sacrer un bon coup de pied à la tête de ce musicien. Et c’est par un miracle, et une fraction de seconde, que j’ai su me contrôler. Il était à la fin de ce voyage infernal et il allait payer pour tout ce que j’avais enduré. Et pourtant, un autre jour, tout cet enfer m’aurait semblé tolérable et sans problème, mais voyez comment quelques petits détails peuvent emmener des gens complètement normaux au bord du gouffre de la folie furieuse. Et le pire est que nous ne savons jamais quand nous allons rencontrer quelqu’un qui en est à ce point, il y a de la destinée là dessous.

 

7 décembre 2004

 

Ça fait un petit bout de temps que je n’ai rien écrit ici, depuis en fait cette critique négative d’un de mes livres dans un magazine français. Depuis, je n’ai plus tellement la motivation d’écrire, surtout en français. Ainsi j’ai décidé de laisser tomber les écrits à propos de tout et de rien, et de ne raconter que les événements importants, ou lorsque j’en aurai gros sur le cœur. Ainsi, je suppose, ce livre ne sera jamais terminé ou n’aura jamais suffisamment de pages pour un livre, et donc éventuellement tout ceci sera oublié. Enfin… parlons des derniers événements.

   Aujourd’hui j’ai raconté à Rachelle que j’étais gai. Comme elle est ma patronne, je n’avais pas envie de commencer à lui mentir. Mais voilà, bien que je lui aie dit de ne le dire à personne, moins de 30 secondes plus tard elle courait déjà à travers le bâtiment pour le raconter à toutes ses amies. Encore une erreur, je ne sais pas. On verra bien.

   Noël approche. C’est inutile, je n’ai à dire qui me semble valoir la peine, et cette critique négative m’a vraiment démotivé. Il ne me faudrait écrire que lorsque j’ai quelque chose à dire, mais semble-t-il, c’est en écrivant que l’on trouve des choses à dire. Bon, bon, ce livre va commencer, pas d’inquiétudes. Rien de banal à partir de maintenant. I’m going to move into a higher gear, so watch out!

   Je viens de parler avec la plus vieille employée de la compagnie. Je parlais français avec une collègue de l’Afrique, et est elle est venue nous dire : alors, vous apprenez les différences entre vos accents coloniaux ? Nous sommes tous les deux restés surpris et béats d’un tel commentaire, c’était dit comme s’il était normal de parler de l’Afrique et du Canada comme des colonies, et que nous avions des accents coloniaux. Je suppose que ce type de langage était acceptable voilà encore quelques décennies, mais aujourd’hui c’est presque ahurissant d’entendre une telle chose. Pauvre elle, elle est demeurée toute mal à l’aise, comprenant qu’elle avait dit quelque chose qu’elle n’aurait pas dû. J’ai hâte de découvrir d’autres mots de son vocabulaire qui trahissent l’histoire de l’Angleterre et son empire colonial.

 

13 décembre 2004

 

   Samedi matin je me suis réveillé avec un grand mal de tête. C’était le lendemain de la veille, le party de noël au bureau. Je savais que j’allais me lever avec de graves problèmes de conscience, d’avoir insulté des gens, d’avoir fait des erreurs, de toutes les stupidités que j’allais dire, cependant j’ignorais que ça atteindrait 9 sur l’échelle de Richter. Comme une sorte de grand tremblement de terre, ma vie a été retournée encore une fois et je voulais m’enfoncer dans les entrailles de la terre où personne jamais n’allait me retrouver. Et pourtant, c’est à peine si j’ai insulté qui que ce soit, en fait, jamais dans ma vie suis-je allé dans un party aussi saoul en ayant tout de même un bon comportement.

   Oh bien sûr, j’ai rencontré des gens du département des conférences, qui sont en crise en ce moment parce qu’ils ont peur de ce que je représente, car je suis dans les conférences, mais pas dans leur groupe. Et en plus, le patron m’a interdit d’aller les rencontrer. Alors ils imaginent le pire. Sans doute pensent-ils à tort que leur patronne va être mise dehors et que je vais prendre sa place.

   Je les ai tous insultés, premièrement en ne les reconnaissant pas, pourtant je les ai rencontrés voilà 2 semaines à une conférence au Queen Elizabeth II Conference Centre. Et je leur ai demandé à nouveau s’ils étaient des managers ou non, et bien sûr, ils ne sont que des assistants, et cette question les offusque, et je leur avais déjà posé cette question voilà deux semaines. Ce qu’ils ont dû penser de moi. Et à un moment donné la fille a explosé, elle me criait par la tête que je devais rencontrer la femme responsable des conférences le plus rapidement possible, que je devais lui dire ce qu’il en était, ce que je fais ici, etc. Mais voilà, je ne le sais pas moi-même, le rôle que je rempli, dans cette organisation. Que m’en irais-je lui dire ? La rassurer, et comment ? Je paris qu’elle aussi samedi matin s’est levée en panique, de m’avoir parlé ainsi (elle était saoule apparemment, quelle surprise). En tout cas, si j’étais le patron, me rendre à ces soirées serait une priorité, une fois que les gens sont complètement fêlés de la tête à cause de l’alcool, la vérité sort de partout.

   Autres choses stupides que j’ai faites, vouloir reconduire à la maison Sinéad et la PA, même insister pour reconduire la PA jusqu’à sa porte. Elle a dû croire que je voulais coucher avec elle, même si elle sait que je suis gai. En tout cas, ceux dans le bureau aujourd’hui, qui ont entendu cette histoire, doivent penser maintenant que je souhaitais lui faire l’amour. Ils ignorent que j’ai peine à me souvenir tout ce voyage du retour.

   Une discussion avec l’autre Irlandais m’a fait littéralement perdre la tête et devenir parano. Je n’arrive même plus à me souvenir de ce qu’il m’a dit, mais ça résonnait dans ma tête de saoul comme : « Moi et Mohammed sommes pro-islamistes, nous sommes pro-Bin Laden, nous trois (avec un autre que je n’ai pas compris), nous sommes toute l'organisation, nous la contrôlons, et nous allons faire exploser Parliament Square, et toute l’Angleterre, et toute la planète ! » Pourtant, je pense que tout ce qu’il m’a dit est qu’il était pour la Palestine, ou sa libération, ou quelque chose du genre, et je suis certain que finalement cela n’est pas très inquiétant. Mais voilà, cette nuit-là j’étais saoul, alors apparemment je disais à Sinéad de se méfier de ces extrémistes, et je criais au téléphone à Stephen en plein milieu de la rue à Turnham Green à 2 heures du matin que les islamistes extrémistes s’étaient infiltrés partout et que nous allions tous mourir ! Heureusement ce lundi matin, Sinéad m’a affirmé de ne pas m’inquiéter, qu’elle avait la même opinion que moi à ce propos (quelle opinion, je n’en ai aucune !). D’ailleurs nous avons les mêmes idées et idéaux à propos de tout. C’est assez surprenant en ce moment, car on m’a dit qu’il y avait beaucoup de snobs et de gens d’extrême droite qui travaillaient dans cette organisation.

Je me tracassais tellement samedi, toute la journée, avec ma conscience, qu’à un moment donné j’ai dû me dire que j’étais en train de devenir fou et qu’il fallait que je passe à autre chose, que j’oublie le tout. Je me parlais constamment à moi-même à voix haute, me reprochant ce que j’avais dit, et souffrant plusieurs attaques à chaque cinq minutes. J’ai compris que c’était là les premiers stages de la folie, et c’est alors que je me suis senti mieux et que j’ai compris la futilité de tout ça. Somme toute, peu importe ce que j’avais dit la veille, cela ne valait pas la peine de sombrer dans la névrose.

Et cela me prouve que la frontière entre être sain d’esprit et la folie furieuse, est assez mince. J’étais heureux cependant d’entendre Sinéad ce matin me dire qu’elle aussi avait souffert des moments de panique samedi matin. Elle aussi croyait en avoir trop dit, en particulier, je suppose, ce qu’elle m’a raconté à propos du directeur de son département, qui est selon elle un imbécile qui joue un jeu. Tout ce qu’il fait est artificiel, qu’elle me disait. Et moi j’y ai été de plus belle, lui affirmant que c’était vrai, qu’il était prétentieux, et qu’il ne lisait le Financial Times en face de tout le monde au bureau que pour prouver quelque chose, et non pas parce que ça l’intéresse ou qu’il apprend là-dedans quoi que ce soit. C’est pour l’image, mais le pauvre ne se rend pas compte que tout le monde le sait que c’est de la frime et qu’en fait il n’a pas de cerveau. Cependant, certains directeurs plus haut que lui semblent être aveugles, car ils viennent de lui donner une promotion et il est maintenant dans un autre département. Ce qui a soulagé tout le monde, au moins on s’en est débarrassé.

En tout cas, de savoir que Sinéad s’était elle aussi inquiétée, m’indiquait que je n’étais pas complètement cinglé, qu’il est normal de s’inquiéter le lendemain d’un party de noël alors que nous étions saoul et que le lendemain on a des trous de mémoire. Pourtant, d’autres au travail ne semblent pas du tout s’être inquiété le lendemain, je pense qu’ils ont peut-être dit pire que moi et Sinéad, et malgré tout, ils n’ont même pas réfléchi à tout cela. Et bien que je les admire à un certain niveau pour être capable ainsi de s’en foutre, je dois tout de même dire que je préfère être capable le lendemain d’apprendre de mes erreurs et de ne pas les répéter dans l’avenir, justement vendredi prochain où nous aurons une autre soirée de Noël, mais cette fois-ci de notre département. Même s’il me faut risquer la folie lors de mon mea culpa le jour d’après.

   Il me ne reste que cinq jours au travail avant que Stephen et moi soyons en vacances jusqu’au 4 janvier, 18 jours en tout. Je dois avouer que je n’arrive pas à le croire, 18 jours de congé payés, c’est ça les emplois au gouvernement ou les institutions similaires. Tous mes emplois précédent à Londres, et même au Canada, je travaillais jusqu’au 24 décembre et les 26, 27, 28 et 29 (je crois), et je recommençais le 2 janvier. En tout cas, on travaille toutes les heures possibles, et seulement lorsqu’il faudrait que l’employeur paie double, nous ne travaillons pas. Mais ces jours sont des jours de congé obligatoires que la compagnie nous oblige à prendre à Noël. Même que lorsque je travaillais à la cafétéria de l’Université d’Ottawa, j’ai travaillé deux ans en ligne toutes les heures et les jours du temps des fêtes, et ils ont oublié de me payer mes heures supplémentaires et le temps double. Ces gens-là sont très avares, même si en fait cet argent qui nous revient par la loi, ne sort aucunement de leurs propres poches. Qu’est-ce que ça change à leur existence que l’on me paie ce qui me revient au lieu d’aliéner tous les employés et provoquer leur fuite ou l’assaut des bureaux du syndicat ?

   Bref, où je suis en ce moment, je n’ai 18 jours que parce que j’avais trois jours et demi à prendre de vacances et qu’en plus je vais manquer une journée sans être payé. Et trois jours entre Noël et le jour de l’an sont des congés obligatoires, et par conséquent, j’ai bien moins de journées de vacances que la normale, parce que c’est trois jours sont déjà enlevés du nombre que je puis prendre. Je n’ai que 22 jours de vacances par an, alors qu’avant j’en avais 28. Alors les institutions, c’est pas si terrible, bien que ma collègue en face de moi m’affirme qu’elle aura 45 jours de congé l’an prochain, en tout. 1 mois et demi ! Mais elle a ajouté les jours fériés et 5 jours de plus qu’elle n’a pas pris cette année et qui seront transférés à l’an prochain.

   En ce qui concerne où nous irons en vacances, Stephen n’en peut plus, il doit sacrer son camp du pays le plus rapidement possible, un seul problème, il ignore où. Il semblerait que la perte prochaine de son permis de conduire ne l’affecte plus autant qu’avant, car maintenant il est le Manager du Site où il travaille, sous les yeux jaloux de ses collègues qui l’ont tous traités comme de la merde. Il ne croit plus perdre son emploi même s’il n’a pas le droit de conduire. Sauf qu’il ne veut pas partir plus de 7 jours, car il ne peut manquer cet appel en cour de justice, pour défendre son point de vue. Il est vrai qu’il va perdre son permis de conduire pour des niaiseries, dont 6 points de perdus sur 12 juste pour avoir deux fois été par erreur dans une rue miniature à sens unique. À croire qu’ils l’ont déclaré sens unique juste pour placer une caméra et collecter l’argent. Sauf que de perdre 3 points sur ton permis, alors que tu es conducteur sur la route, ça te fait perdre ton permis assez rapidement, alors qu’en fait tu n’es pas du tout un danger de la route. Mais voilà, l’Angleterre, comme ailleurs j’imagine, l’État du Big Brother est bien présent. Il y a maintenant des caméras dans toutes les rues et dans tous les bâtiments. Et cet argument est suffisant pour convaincre bien des gens de quitter les grands centres. Si j’en avais la possibilité, je le ferais aussi. Mais c’est impossible, pas d’argent, pas d’emploi garantis pour Stephen et moi, etc. En tout cas, pour l’instant Stephen fera plus d’argent qu’avant. Alors nous survivrons.

   Questions écriture de scénarios de films, je dois avouer avoir refusé deux chances dernièrement, mais je ne regrette pas, car vendredi j’ai reçu un nouveau projet d’un dessinateur 3D avec une équipe, qui veut que j’écrive un scénario de 30 minutes dont le sujet n’est pas trop pire. Science Fiction, alors j’en avais beaucoup à raconter. J’espère que ça débouchera sur quelque chose et que les idées que je lui ai données hier seront acceptées. En ce moment l’histoire souffre un peu. Enfin, on verra.

   Je dois dire que je ne me plais pas trop au travail depuis que nous avons déménagés un étage plus haut. J’ai perdu ma belle vue par la fenêtre de l’Abbaye de Westminster, j’ai perdu tout l’espace que j’avais autour de moi, et j’ai perdu Sinéad. Bref, le matin maintenant je n’ai pas trop la motivation de me rendre au travail pour aller voir Rachelle et Jaz qui ne semblent pas du tout m’aimer, sans compter l’autre qui ne vient que trois jours par semaine de Coventry, mais qui ne semble pas du tout être capable de m’endurer non plus. C’est pire maintenant, tous les cinq sommes pratiquement assis l’un sur l’autre. Ma personnalité ressort trop et elles ne le digèrent pas. Serais-je trop flamboyant, comme justement Stephen a été accusé la semaine dernière de l’être au travail ? Semblerait que nous sommes gais, cela est indéniable, au travail nous prenons beaucoup de place, notre personnalité déborde de partout. D’autres m’aiment beaucoup, entre autres la PA et Sally la vieille, qui disent qu’avant que je n’arrive c’était plate. Ainsi on ne peut pas plaire à tout le monde.

   En tout cas, il semble que Jaz commence à m’apprécier, mais j’ai dû faire un effort. L’écouter pendant quelques jours et la flatter. Elle aime bien entendre qu’elle est le mouton noir de toute l’organisation, qu’elle a raison dans sa marginalité, du moins elle se pense différente parce qu’elle est de la gauche et qu’elle aime Clinton. Je suis assez certain que la majeure partie des gens au travail préfèrent Clinton à Bush, mais elle dit que la plupart sont d’extrême droite. Je n’ai pas encore eu la chance de faire la rencontre de ces monstres, mais il semble que plus on approche du Parlement de Londres, plus l’extrême droite se fait sentir. J’ignore pourquoi. Ailleurs dans la City, on dirait que les gens de la droite n’existent pas. Mais je pourrais me tromper. Il se pourrait que je sois entouré de gens de la droite sans le savoir, car ils se taisent sur leurs idéaux, comme des meurtriers qui cernent leur victime. J’ai hâte de faire leur connaissance. Enfin, tout cela pour dire que Jaz commence à m’aimer, mais certains jours elle est de mauvaise humeur et il faut que je fasse attention. Je semble lui tomber sur le système assez facilement. Elle a trouvé une oreille attentive pour l’instant, mais tout pourrait changer demain matin.

   Peut-on vraiment soudainement commencer à aimer quelqu’un parce que l’on a trouvé qu’ils écoutaient nos problèmes ? Il me semble que c’est impossible. Quand je déteste quelqu’un, je le déteste, je ne changerai pas d’opinion avec le temps. Impossible. Sans doute parce qu’il est très rare qu’une personne change d’attitude à mi-chemin. Et que si soudainement ils semblent plus agréables, parce que justement soi-même avons fait tous les efforts en ce sens, alors c’est qu’ils n’ont tout de même pas changé leur nature et doive encore avoir en tête ce sentiment pour soi. Sans nous connaître vraiment, c’est avec l’instinct qu’ils nous jugent fatigants ou gênants. On verra bien.

   Là je voudrais bien partir une demi-heure à l’avance, mais deux bitches qui étaient déjà là lorsque je suis arrivé sauraient que je pars 30 minutes avant l’heure. Sinon, ce ne serait pas un problème, personne d’autre ne sait à quelle heure je suis arrivé ici, 9h ou 9h35, quelle différence pour eux? Mais voilà, ces super-women arrivent ici à 8h le matin, elles pourraient partir à 16h, mais à 17h30 elles sont encore ici, elles semblent partir à 18h. Inutile d’indiquer ici qu’aucune d’elles n’ont de vie sociale ou d’homme qui les attend à la maison. Et la manière dont elles me regarderaient, si je partais 30 minutes à l’avance, est un début d’explication pourquoi ces folles ne partagent pas leur vie avec quelqu’un. Enfin, encore cinq minutes et je puis enfin décrisser d’icitte. Hourra ! Enfin ma liberté…

 

19 décembre 2004

 

   Deux jours après le commencement de mes fameuses vacances de noël, je suis à l'hôpital. Pas n'importe quel hôpital, le pire de toute l'Angleterre, tel que jugé par toutes les statistiques dans les journaux depuis 10 ans : West Middlesex Hospital à Isleworth. Les gens ici meurent pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le pourquoi ils sont venus ici en premier lieu. Apparemment la saleté à elle seule est responsable pour bien des morts, et la Chinoise qui est responsable de moi est d'une humeur à tout casser. Elle m'a tout de suite identifié comme cas problème et c'est juste si elle n'a pas appelé la police lorsque je paniquais parce qu'elle me disait que je devrais payer parce que j'étais Canadien, alors que ça fait dix ans que j'habite à côté d'ici. Bitch ! Finalement il semblerait que je ne paierai pas.

   Enfin, pourquoi suis-je à l'hôpital, vous vous demandez bien. Encore un de ces virus, le deuxième que j'attrape en 2 mois, et comme mon asthme est assez marqué, pour moi c'est plusieurs jours à ne point être capable de dormir ou respirer. C'est la troisième fois en un an que je souffre ainsi, mais la première fois que je viens aux urgences, car mon docteur est fermé le week-end. Eh bien, après plusieurs injections et prises de sang, ils avaient l'air convaincu que j'allais mourir bientôt. Pas assez d'oxygène dans le sang, et quoi d'autres, « chest infection ». Bref, sans avoir trop bien compris les conséquences de venir aux urgences, voilà que je suis prisonnier de mon lit, et que si je veux aller aux toilettes, je dois emmener mon poteau avec le sac de liquide blanc. Et la petite Chinoise panique parce que je ne respire pas son gaz. C'est donc une véritable prison, d'autant plus que je ne puis utiliser mon téléphone mobile, et donc je n'ai plus de communication avec l'extérieur. Bref, si Stephen n'était pas venu avec moi, personne ne saurait que je suis ici.

   Enfin, ils ont un petit ordinateur sophistiqué qui te permet d'aller sur l'Internet, faire un appel, envoyer un message SMS, écouter la radio, la télé et les films, merveilleux, me direz vous ! Eh bien, il faut une carte, et aucune des machines sur les trois étages n'est capable de nous en vendre une. Ainsi, sans mon Pocket PC, j'étais foutu.

Les quatre premières heures, je les ai passées à regarder la vieille en face de moi en train de mourir. Elle tousse, elle crache, elle chante, elle est vieille, et elle porte cette petite robe laide que nous portons tous et qui sont les signes de notre humiliation. Quand j'ai demandé à l'infirmière si je pouvais remettre mon t-shirt, elle m'a demandé pourquoi, m'affirmant que ces chemises ouvertes qui montrent ton dos et ton cul à tout le monde sont bien plus confortables. Je lui ai dit : tu blagues, là ? C'est à ce moment je pense qu'elle pensait à appeler la police, comprenant que je serais un cas difficile. Je lui posais trop de questions aussi, j'aime comprendre ce qui se passe, mais elle est habituée à des gens qui ne posent pas de questions, et elle a évité de me donner les réponses. Ainsi j'ignore encore pourquoi je suis ici.

   Typique de Stephen, ça lui a pris trois heures pour aller chercher mon stock, m'acheter un Macdonald et me trouver. Pendant une heure, il se promenait dans tout l'hôpital plutôt que de retourner là où nous étions pour que la femme lui dise où j'étais. Ainsi il est arrivé avec un Macdonald froid immangeable, sans compter qu'il a acheté un veggie burger dégueul, au lieu d'un Quorn Burger, et bref, je ne pouvais pas manger ça. Et la bouffe de l'hôpital, je ne pouvais pas la manger non plus. Apparemment ils n'ont jamais entendu parler de végétariens ici, c'est comme si je leur avais dit que j'étais un extra-terrestre.

   Donc je n'étais pas de bonne humeur, et je me suis lamenté quand Stephen est arrivé, et là je regrette un peu, mais il faut avouer que la Chinoise était bête. Heureusement elle n'est plus là maintenant, deux autres Chinoises sont arrivées pour la nuit. Au moins, depuis que Stephen est venu, il a fermé les rideaux et maintenant j'ai un peu plus d'intimité. Nous sommes six dans cette chambre. Si je ne meurs pas d'asthme, j'attraperai certes le cancer, avec tous ces vieux qui crachent et toussent partout. Et je suis le seul qui soit jeune ici, et instantanément j'ai décidé d'arrêter de fumer. Je ne veux plus d'asthme, je ne veux plus manquer mourir chaque fois que j'attrape une grippe, et comme je ne dors jamais, j'attrape tout ce qui passe, même si j'ai été vacciné contre la grippe. Quelle blague ce vaccin ! Moins d'un mois après, et voilà, un autre virus d'attrapé.

   Stephen a été très gentil, je dois avouer, pendant que je me lamentais à propos de tout. Je me sens un peu coupable. Ce que je n'ai pas aimé, est que personne ne sache en haut si on m'a donné mes antibiotiques en bas. Ainsi ils ne m'ont rien donné jusqu'à 22h, de peur que je fasse une surdose. Je lui ai demandé si ce ne serait pas indiqué dans mon dossier qui fait maintenant 50 pages. Elle me dit que non. Et je comprends, trois docteurs sinon quatre, et autant d'infirmières, s'occupaient de moi en bas aux urgences. C'était un après-midi tranquille, paraît-il, et à tour de rôle ils venaient me prendre du sang, m'injecter des choses, me faire respirer des liquides bizarres. Et semblerait que pendant tout ce temps-là, aucun d'eux ne prenait en note ce qu'ils me donnaient. Et maintenant je comprends pourquoi les statistiques sont élevées en rapport aux empoisonnements dû aux mauvais médicaments donnés aux patients et les surdoses.

Quand la Chinoise quittait, elle disait à ses deux collègues très rapidement mes problèmes et les médicaments dont j'aurais besoin. Elle disait cela tellement rapidement, et sa collègue n'avait tellement pas le temps de prendre tout cela en note, que les erreurs doivent être courantes ici.

 

20 décembre 2004

 

   Est-il normal que la veille ils me donnent des injections et des pilules jaunes, et le lendemain d'autres injections sans pilules jaunes, et lorsque je demande à propos de ces autres pilules, soudainement ils me les donnent ? Et puis cet après-midi, quelque chose de tout à fait nouveau : des antibiotiques au compte goutte sur mon poteau. Ils ne semblent jamais me donner la même chose, j'ai eu de nouvelles pilules aussi, aujourd'hui. J'ai l'impression d’être un cobaye et qu'ils essaient toutes leurs drogues sur moi, sans trop écrire quelque part tout ce qu'ils m'ont donné. Et je ne me sens pas mieux du tout, au contraire, après tous ces médicaments je me sens pire. Alors c'est certain que je serai ici une journée de plus, et nul doute ils me donneront encore plein de nouveaux médicaments.

   Aujourd'hui j'ai gardé mes rideaux fermés pour la plupart de la journée, car je ne pouvais plus supporter la vue de la vieille vache en face de moi. Ça a 85 ans, ça a l'air innocent, ça en a pour 3 semaines à vivre, et ça trouve le moyen de me faire chier toute la nuit comme c'est pas possible. Chaque fois que je toussais, elle toussait aussi tout en disant quelque chose en même temps. La seule fois où j'ai pu distinguer ce qu'elle disait, c’était : shut up ! Ce qui est assez violent pour une vieille à l'article de la mort. Ce matin je l'ai presque confrontée, je voulais lui demander si c'était elle qui pensait pouvoir nous insulter en nous chantant des bêtises toute la nuit. Mais elle aurait nié le tout, et comme ce qu'elle fait semble fort innocent, elle n'aurait eu qu'à me dénoncer à l'infirmière pour comportement menaçant. Comme elle est une vieille de 85 ans, qui croirait-on ? La vieille autruche. Il n'y a pas d'âge pour les agresseurs psychologiques (les bully), on les trouve même sur leur lit de mort.

   Ici il y a trop de docteurs et trop d'infirmières différentes qui s'occupent de tout le monde. D'un shift à l'autre ils ne reviennent pas, nous en avons de nouveaux. La communication se perd, ils sont incapables de garder par écrit tout ce qui se passe, c'est comme le jeu du téléphone chinois. Quand tu entres, tu as une infection et une crise d'asthme, trois jours plus tard tu as le cancer et tu as une tumeur au cerveau. Ce matin, à 8h précise, il devait bien y avoir 40 docteurs et infirmières à côté, qui tous parlaient en même temps et même criaient, pendant que les patients et moi dormaient encore. Je me souviens m'être dit que jamais nulle part où j'ai travaillé dans le passé le niveau de décibels n’a dû ainsi dépasser la limite permise par le gouvernement local. C'est comme s'ils se foutaient des patients. Encore à toute heure de la nuit leur téléphone sonne pendant 15 minutes à pleine capacité, ils parlent très fort, bref, j'ai l'impression qu'ils pensent que puisque l'on ne paie pas directement (mais l’on paie beaucoup via nos taxes), ils nous rendent un service et nous ne pouvons nous plaindre.

   Je dois avouer que de ce côté je suis fort impressionné, bien que ce soit la même chose au Canada, mais tout est gratuit. Le lit, la bouffe, et le 200 livres de drogues qu'ils m'ont injectés depuis deux jours. On dirait un hôtel gratuit. Si tu es un mendiant dans la rue, fais-toi admettre à l'hôpital pendant plusieurs jours. D'après ce que je peux comprendre, sortir d'ici est bien difficile, il faut pratiquement leur prouver que nous sommes guéris, ou alors, comme à l'hôpital des fous, leur prouver que nous ne sommes plus fous (et comment prouver ça ?).

 

21 déc 2004

 

   Après trois jours dans cet hôpital, je suis convaincu que je suis en prison et j'ai peur qu'ils ne me laissent jamais partir. Tous les jours j'espère qu'ils vont me dire que je puis sacrer le camp, mais chaque fois c'est non, car je fais encore de la température. Merde, trois jours dans un hôpital bourrés de médicaments à longueur de journée, comment puis-je me sentir plus malade chaque nouveau jour, et comment puis-je encore avoir cette fièvre ? C'est simple, leurs médicaments ne fonctionnent pas, c'est trop et pas la bonne chose. Ma condition empire, c'est clair. Mais ils sont incapables de voir ça, de l'admettre.

Là je vais commencer à refuser certains traitements, car je pense qu'ils exagèrent. Leur nébuleuse, ou je ne sais pas comment ils appellent ça, ce sont deux petits flacons de Ventolin dans un masque que tu respires pendant cinq minutes, je n'en peux plus. C'est trop et trop souvent, je m'inquiète vraiment de l'impact de tout ceci sur ma santé. Ils sont tout simplement devenus fous dans les hôpitaux, ils te bourrent de médicaments sans raison, ils sont malades dans la tête.

   Je dois trouver le moyen de partir demain, d'une manière ou d'une autre. Je ne resterai pas ici jusqu'au 26 décembre, comme ils le planifient sans vouloir me le dire. Encore cinq jours de ce régime et je mourrai, c'est certain. En tout cas, j'ai appris une leçon essentielle : ne va aux urgences qui si vraiment tu sais qu'ils ne vont pas te garder, car alors s'en sortir est impossible. Ils ont tout à fait le contrôle sur ton existence. Me laisseraient-ils partir si j'avais acheté des billets d'avion pour le Canada ? Voudront-ils voir les billets ? Quelle autre raison pourra faire l'affaire ?

   La vieille femme à côté de moi veut partir depuis deux jours, apparemment elle est tombée en face de son appartement, et finalement c'était plus de peur que de mal. Mais voilà, ils l'ont gardé ici contre son gré pendant des jours, ils l'ont bourré de médicaments qui ont fait monter sa pression dans le sang, alors ils pensaient qu’elle était malade, mais en fait ils l'ont rendu malade. Une autre raison pourquoi ils ne voulaient pas la laisser partir est que plusieurs travailleurs sociaux sont venus la voir, et maintenant ils s'imposent dans sa vie sans qu'elle ne le veuille. Elle tentait de dire que ce n'était pas nécessaire, deux personnes viennent déjà la voir chaque jour, mais ils ne voulaient rien entendre. Maintenant elle va recevoir la visite d'un travailleur social le matin et le soir, pendant trente minutes chaque session. Pauvre femme. Elle aussi regrette sans doute sa petite chute.

   Et que dire des infirmières. Ok, elles sont gentilles, mais franchement, elles sont négligentes. Des bulles d'air dans mes veines, des caillots de sang remontés dans le tube qui sont retournés dans mes veines, et plein d'autres choses qu'il me serait trop long à expliquer. En tout cas, moi qui déteste les aiguilles, par cinq fois on a dû me réinsérer cette maudite aiguille gigantesque par laquelle leur liquide entre. Et je vois qu'encore une fois c'est en train de sortir du trou, et qu'une sixième fois sera nécessaire, car l'infirmière est incapable de la faire tenir en place. D'ailleurs, cette technologie du tube pour le liquide, c'est la pire technologie que j'aie vue dans ma vie. Premièrement il n'y a aucun moyen de se déconnecter vite fait de cette machine du diable, et tu dois traîner tout ça avec toi peu importe où tu vas. Tu ne peux pas mettre non plus un chandail, parce que ce maudit tuyau te sort par le bras. Ça sonne à toutes les 20 minutes, surtout la nuit, pour toutes sortes de raisons, réveillant tout le monde sur l'étage. Ou bien le tube est bouché ou le sac est vide. En plus, elle est grosse cette machine et fait un bruit infernal. Bref, à elle seule elle est responsable de bien des maux et me rend complètement malade.

   Le plus difficile la nuit est de m'endormir, et lorsque je dors je suis ok. Quand je me réveille, je tousse, je crache, j'ai mal à la tête, je suis incapable de respirer. Comme on me réveille à chaque heure, vous imaginez l'enfer dans lequel je suis. Et quand je tousse, je réveille tout le monde et c'est la panique absolue. Hier un vieux bonhomme m'insultait à voix haute en faisant semblant de parler dans son sommeil, il ronflait en même temps. Je n'ai rien compris, car en ce moment je suis tellement paqueté de drogues et de gaz, que je n'entends plus rien, ni ne vois plus rien. Mais j'ai entendu quelque chose comme « Fucking French ». Et vous savez qui a pris ma défense ? La bully d'hier, qui semble avoir développé une soudaine sympathie pour moi. Elle lui a dit de se fermer la gueule (shut up !). Et pas en même temps qu'elle toussait, assez clairement. L'infirmier au comptoir capotait, il se demandait ce qui se passait.

   Stephen pense que l'idée des billets d'avion est une mauvaise idée. Sans doute ils se pensent les dieux tout puissants qui ont le droit de te faire manquer ton vol pour ta propre santé. Il faudra trouver mieux. L'idée de bouffer encore ici ce soir me lève le coeur, ces légumes décongelés et ce pouding dégueulasse, je n'en puis plus.

Maintenant ils veulent analyser mon mucus, je dois leur cracher ça de mes entrailles dans un bocal. Que vont-ils apprendre de cette matière verte visqueuse ? Et je ne sais pas comment en faire sortir dans un bocal. Pourquoi je suis autant malade est bien ce mucus, et la seule raison du pourquoi j'ai autant de mucus c'est qu'ici c'est sec et chaud. À la maison je n'aurais pas ce problème.

   Les deux vieilles assises l'une en face de l'autre depuis trois jours, qui se regardent en chien de faïence sans se dire un mot, viennent finalement d'échanger un mot. Une des vieilles se demandait si elle allait un jour partir d'ici, ils lui ont dit qu'à 14h30 elle partirait. Il est 16h21. Mais ils lui ont dit la même chose hier.

   Pas une seule infirmière ou infirmier dans cet hôpital semble être de nationalité britannique. Je ne savais pas que c'était un emploi comme nettoyeurs de bâtiments ou ramassage des poubelles, autrement ces infirmiers et ces infirmières seraient certes britanniques. Plusieurs docteurs sont de nationalités bizarres, mais il y a encore des Brits. Ils se promènent en troupeau d'une pièce à l'autre et discutent très fort tous les problèmes des patients. C'est sans doute à ce moment qu'ils perdent la tête et crient : donnons-lui ces pilules, on ne sait pas trop à quoi elles servent, voilà notre chance de savoir. Injectons-lui tous ces liquides, et voyons les résultats. Ou alors ils n'arrivent pas à s'entendre sur ce qu'ils veulent nous administrer, se contredisent tous, et comme les infirmiers ne parlent pas l'anglais, ils comprennent que tout ce qui est mentionné doit nous être administré.

   Stephen vient de partir, c'est un vrai supplice pour lui d'être ici. Il a vu deux de ses amis proches mourir dans cet hôpital, et ça lui rappelle aussi de mauvais souvenir parce que, souvent il s'est retrouvé à l'hôpital. Mais il a dit qu'il viendrait à tous les jours. Cependant il prend son temps, il trouve des raisons pour arriver très tard et il ne sait plus quoi inventer pour sacrer le camp au plus vite. N'empêche, il doit m'aimer pour vrai, et en plus, il croyait que j'aurais pu mourir. Mon docteur aussi, il me disait que beaucoup de monde même à 25 ans peuvent mourir d'une crise d'asthme comme celle que j'ai souffert ces deux derniers mois. Et je le crois. Mais je lui ai fait relaxer les médicaments quand même. Maintenant ils ne me les donneront qu'aux moments clés (les nébuleuses). Encore, voyez comment la communication ne fonctionne pas : l'infirmière arrive et me dit qu'ils ont arrêté mes antibiotiques. Franchement ! La logique elle-même sait que l’on n’arrête jamais des antibiotiques, surtout quand on voit que le patient est encore malade. Heureusement je ne suis pas suffisamment vieux ou gaga pour prendre tout ce qu'elle me dit pour de l’argent comptant, et je lui ai dit que cela était impossible. Elle a vérifié, et en effet, ça n'avait pas été cancellé.

   Mon docteur, que je vois assis au comptoir depuis trois jours mais qui ne m'a jamais parlé ou ausculté (des dizaines d'autres l'ont fait cependant), m'a ausculté et parlé ce soir pour la première fois. Son accent ne me revenait pas, il parle très bien l'anglais, ce n'était donc pas facile de deviner. Il est Français. Alors nous avons parlé français. Je lui ai demandé ce qu'il pensait du système de santé britannique. Il me disait qu'ici tout le monde pensait qu'en France c'était luxurieux et efficace, mais il me disait que c'était sans doute la même chose qu'ici. Ainsi les journaux de Londres nous font peur inutilement en criant partout qu'en France et en Allemagne leur système de santé est merveilleux, tandis qu'en Angleterre il est en décrépitude. Mais il a bien dit qu'ici il y avait beaucoup d’administrateurs, qui n'avaient pas grand-chose à faire d’autre que de tourner en rond et prendre des décisions qui prennent le dessus sur les décisions des docteurs, qui eux, agissent dans l'intérêt de leurs patients. Surtout ils ont un Bed Manager qui semble tout à fait inutile, selon lui. Enfin, il ne me confirmait que ce que j'avais remarqué. Tous ces gens qui marchent partout et crient le matin à 6h maintenant, ce sont tous des administrateurs qui n'ont rien à faire. Et personne ne comprend pourquoi il y en a tant et leur utilité. C'est simple, il y en a plus que des infirmières et des docteurs. Eh bien, ils sauront où couper lorsque ce sera le temps de se serrer la ceinture, mais malheureusement, j'ai comme l'impression qu'ils couperaient sur les docteurs et les infirmières avant de couper les patrons, ce sont eux finalement qui prennent les décisions.

   Ma bonne femme d'en face soudainement me fait bien pitié. Toute sa visite est enfin partie, elle a reçu quelque chose comme une centaine de personnes de 2h de l'après-midi jusqu'à 8h le soir, c'est juste si je n’ai pas vu le pape à la fin. Il y avait une telle racaille juste en face de moi, heureusement j'ai pu fermer mes rideaux et dormir malgré le poulailler. Mais elle est une femme joviale, elle semble intelligente quand elle a de la visite (elle n'arrête pas de répéter à tout le monde que son fils est revenu d'Iceland pour la voir), mais en arrière de tout ça c'était la panique absolue. Enfin les visites sont terminées (Dieu merci !), et apparemment elle a vomi partout dans les toilettes. Quand l'infirmière est venue lui demander si elle avait dégueulé partout, elle a dit oui, plusieurs fois, et elle s'est mise à pleurer. Elle racontait tout fort que c'était horrible, que ça venait de ses poumons pour ressortir par la bouche, couleur effrayante, goût insupportable, etc. Sa crise semblait indiquer que soudainement elle avait peur de la mort. Ou alors que son expérience est tellement déplaisante qu'elle est insoutenable. Bref, elle m'a fait pitié. Et quand l'infirmière lui a demandé quand le tout avait commencé, elle a affirmé que c'était survenu à partir du moment où elle recevait sa visite la plus importante, pendant qu'elle tentait d'être Posh. Elle a donc une certaine humilité. Cependant de mon point de vue, c'est encore une bitch. Ses écouteurs sont disparus, sans doute parce qu'elle écoutait de la musique full blast toutes les nuits, et les infirmières lui ont confisqués sans lui dire. Hier soir, sans preuve ou même une idée de ce qui était survenu à ses écouteurs, elle a accusé Stephen de les avoir volés. Faut pas une salope pour ainsi juger les autres sans savoir ? C'est clair qu'elle me déteste, et qu'hier, loin de me défendre contre ce vieux dans le coin qui parlait, elle voulait juste qu'il se taise. Lui aussi jouait son jeu, parler fort en une sorte de délire où nous sommes supposés comprendre ce qu'ils veulent nous dire. Arrêter de tousser peut-être ? Et comment arrête-t-on de tousser lorsque nous avons une crise d'asthme, je vous demande ? Voilà pourquoi j'ai passé plus de deux heures dans les toilettes la nuit dernière, pour qu'ils puissent dormir. Mais aller aux toilettes, je crois, les réveille. Vaut mieux ça de toute manière que je tousse comme un malade jusqu'à ce qu'ils soient tous aliénés.

   Il y a un gai qui travaille ici, fort jeune, qui en plus est d'une beauté assez hors du commun, même pour les bars gais de Londres. Il est d'une perfection à tout casser, mais bien sûr je ne suis pas du tout intéressé. Je suis malade, j'ai l'air d'un zombi (les hôpitaux sont excellents pour transformer leurs patients en zombi, et on m'a dit que ça me prendrait une semaine pour me remettre de l'expérience traumatisante d'être à l'hôpital). Bref, il est bien trop jeune et beau pour moi, je n'aurais aucune chance. Cependant je suis le seul jeune patient de toute mon aile (ce qui fait me demander ce que je fais ici, vraiment), et les autres travailleurs qui sont des hommes, sont ou vieux ou ils viennent du Zaïre (il y en a un qui est pas mal zélé qui vient du Zaïre, qui est fier de son pays qu'il a sans doute dû quitter à la première opportunité, et le problème est qu'il chante tout le temps pendant que l'on tente de dormir). Rien de bien intéressant pour la Beauté Parfaite. Aussi, lorsque ce matin je voulais prendre ma douche, et que je me suis rendu compte que je ne pourrais jamais enlever leur jaquette d'hôpital à cause de ce fichu poteau et tubes qui m'injectent le tout dans mon bras, j'ai dû faire appel aux deux infirmières. Et fort non professionnellement il est venu aussi pour me voir sans gilet. Très embarrassant tout ça. Mais quand on est malade, on accepte les pires humiliations. On a autre chose dans la tête. Puis, plus je l'écoute, plus je me rends compte que son sourire estampillé sur son visage en permanence, et qui me semblait être un tour de force du calice de maintenir ainsi un tel sourire toute la journée, lui était peut-être collé au visage parce qu'il est stupide et qu'il n'a pas toute son intelligence. Il parle comme un mongol, mais il est fort possible qu'il vienne de Kosovo ou d'un de ces pays bizarres, alors j'ignore s'il est con ou juste incapable de parler l'anglais. Sa voix est assez fatigante en tout cas, si l'on faisait l'amour, faudrait que je lui dise de se la fermer, sinon je débanderais, c'est certain.

   Ils viennent d'allumer les lumières à 5,000 Watts qui sont juste au-dessus de nos têtes. C'est simple, avec un tel éclairage ils pourraient opérer dans n'importe quel compartiment. Et c'était peut-être le but à l'origine, et donc ces lumières ne devraient pas être allumées, jamais, sauf en cas d'urgence. C'est tellement éblouissant, que moi et Stephen, hier, la tête nous en tournait. J’ai demandé à l’infirmière de les fermer, elle s'est exécutée, mais deux minutes après un autre con qui passait par là a décidé de les rouvrir (sans doute un administrateur), et nous avons dû souffrir cela toute l'après-midi, et toute la soirée jusqu'à 22h. Il y a qu’avec un tel éclairage, il est impossible de dormir entre 20h et 22h, ainsi c'est peut-être un moyen d'être certain que nous tomberons tous endormis dès 22h. On n'a pas le choix, sinon on ne dormirait pas. Les lumières se rallument à 6h exactement. 8h pile de sommeil, et moi qui croyais que justement les malades devaient dormir beaucoup pour reprendre des forces. Mais je comprends qu'au rythme auquel ils nous forcent à avaler ces médicaments, ils ont besoin d'exactement 16h par jour, puisque 8h sans pilules ou injections, c'est un peu trop pour eux à mon avis.

 

22 décembre 2004

 

   Ma nuit d'hier n'était pas mieux que les précédentes, bien que ma fièvre soit enfin partie. Et aujourd'hui je ne peux m'empêcher de tousser à longueur de journée, ce qui n'aide pas mes plans d'évasions. J'ai déjà dit à l'infirmière que j'aimerais bien quitter aujourd'hui, mais il me faut encore le dire au docteur français qui va tenter de me convaincre de rester un autre quatre jours. Je suis prêt à me déconnecter de ma machine et de partir en courant, s'ils n'agissent pas trop vite. Je sais bien qu'ils devront me donner une prescription ou autre avant que je ne parte, et ils pourraient traîner jusqu'à 21h ce soir.

   Ma détermination de partir ce matin a été amplifiée par une infirmière du diable qui m'est tombée de nulle part, que je n'ai jamais vu en quatre jours, et qui me dit que les rideaux doivent être ouverts, que nous n'avons pas le droit au plus simple droit de l'intimité. Tellement bête, je me suis dit chanceux de n'avoir eu que des infirmières gentilles depuis le début, même la première était tout de même correcte.

   Si ce n'était que ça. Mais ma batch de vieux, qui sont peu à peu disparus (soient ils sont retournés à la maison, ils sont ailleurs dans l'hôpital ou ils sont morts), a été remplacé par des jeunes, tard la nuit dernière, qui m'ont beaucoup inquiétés. Le problème des jeunes qui se ramassent à l'urgence, c'est que souvent ils y sont pour avoir été saoul et avoir assommé ou poignardé quelqu'un. Un était déjà parti à mon réveil, mais le deuxième est juste à côté de moi. Il ne parle pas du tout l'anglais, je n'ai aucune idée de sa nationalité, bien qu'il ne soit ni noir ni blanc. Il louchait vers mes affaires un peu trop. Tout de suite j'ai compris qu'il me volerait peut-être tout, et depuis je ne suis plus tranquille, je ne puis même plus aller aux toilettes.

   Bon, quand je dis qu'il ne parle pas l'anglais, je pense qu'il prétend ne pas le parler. Il semble être capable de communiquer avec le balayeur et l'homme du café, mais aucun des autres employés de l'hôpital. Je pense qu'il a été poignardé, quoi que ce soit difficile de savoir exactement. Ce doit être assez sérieux, ils avaient bien des grosses machines dans son compartiment ce matin.

   Bien entendu, ce matin notre troupeau de directeurs et de docteurs s’est retrouvé juste à côté de mon rideau pour discuter en long et en large le nouveau patient qui vient d'arriver. Ils étaient un nombre record d'au moins 25 personnes. Puis soudainement ils ont tous marchés vers notre homme perdu, à moitié nu, qui tentait de dormir. Pauvre lui, je comprends alors qu'il ait pu prétendre ne pas parler l'anglais, dans l'espoir qu'ils partent. Et finalement ça a marché, ils sont partis. Le dernier étant un gros aristocrate riche anglais qui parle à la Sherlock Holmes, et qui s'est écrié : il ne parle pas l'anglais ! Comme s'il venait d'affirmer que cet homme n'était pas civilisé du tout, et sans doute peut-être était-il un sauvage ? Cependant il a été le premier, et très rapidement, à dire que notre homme avait peut-être commis un crime sérieux la veille, et qu'aujourd'hui il ne voulait pas parler par protection. J'avoue que je n'y avais pas pensé, mais je ne savais pas alors qu'il avait, semble-t-il, été poignardé, ou même fusillé. Et c'est peu après que j'ai compris qu'il parlait l'anglais. Alors son histoire, je ne veux pas la connaître, je veux juste décrisser d'icitte au plus vite.

   Ils viennent de me faire une prise de sang, je pense que d'habitude ça prend entre une heure trente et deux heures à avoir des résultats. Donc je dois encore un peu attendre.

   Découragé par la bitch infirmière, j'ai décidé de parler au balayeur de plancher du Zaïre. Bien entendu il parle français, et en plus son frère habite au Québec. Well, si c'était ma décision, tous les francophones du Zaïre pourraient déménager au Québec, ainsi la langue française serait sauvée pour quelques années encore. Cependant il me disait qu'il y avait beaucoup de Canadiens au Zaïre. Et cela m'a beaucoup inquiété. Qui sont-ils ? Que font-ils ? Des missionnaires ? Alors que nous sommes dans le nouveau millénaire ? J'aurais cru qu'ils étaient tous morts. Ces pauvres Africains se font encore laver le cerveau par nos propres religieux qui ne sont plus qu'une minorité dans notre propre pays, parce que ça fait longtemps en christ que l'on a compris leur jeu, leur manipulation, et leurs intérêts mesquins qui n'ont rien à voir avec la religion. Plutôt des desseins floues de contrôle de l'humanité, partout dans le monde, le pouvoir, et aussi l'asservissement des individus. Quand un Africain me parle de Dieu, et comment c'est merveilleux, et que je vois que rien d'autre dans sa vie n’existe sauf sa religion catholique romaine, je comprends qu'il est non seulement lavé du cerveau, mais également qu'il est maintenant comme un automate. Au moins il ne sera pas un danger pour son prochain, sans doute parce qu'il n'a plus trop la faculté de penser. On devrait arrêter ces missionnaires d'aller en Afrique, et surtout par leur donner le droit de salir le nom de notre pays.

   Enfin, je pars d’ici !

 

6 Janvier 2005

 

   Je suis tellement découragé en ce moment, je suis au bureau mais c’est comme si je n’y étais pas. Tout provient du fait que ce matin, lorsque je suis arrivé, la jeune de 20 ans et ma patronne me faisaient la gueule et n’ont pas vraiment répondu à mon bonjour. Je me suis comme souvenu des deux journées précédentes et tout ce que Rachelle a dit à propos de tout ce que j’ai dit, et vraiment je constate qu’elle ne m’aime pas du tout. Elle me trouve fatigant et c’est à peine si elle peut me supporter. En plus elle ne le cache même pas, sa personnalité ne lui permet pas cette hypocrisie. Elle vient de se faire jeter par son copain et maintenant elle est partie en guerre contre les hommes (pas dans le sens d’humanité). Elle déteste ouvertement les hommes et crie souvent qu’ils sont tous des salauds (wankers, bastards, etc.). Elle sait que je suis gai, mais cela ne semble pas aider ma situation. Je suis toujours un homme, et en plus je suis fatigant.

Il est également possible qu’elle me déteste parce que certains rapports que j’ai écrits ont comme détruit le travail de ces petites amies, en particulier la grosse torche du département d’en bas que je ne puis plus sentir. Deux fois elle est venue ici ce matin pour parler pendant 20 minutes avec Rachelle, alors que ce midi elles sont allées manger ensemble pour plus de deux heures, où sans doute elles s’amusent à critiquer tout le monde et à faire du commérage. Ainsi je ne l’aurai jamais de mon côté, c’est peine perdu, les dommages sont faits.

   Elle est supposée devenir ma patronne, bien qu’elle ne le soit pas encore tout à fait. Pour l’instant je réponds encore directement à Sherlock, et heureusement. Elle me fait trop chier et je suis à la veille de lui demander c’est quoi son problème et pourquoi elle me déteste autant. Ce pourrait encore être de la paranoïa à ce stage, il est vrai que je suis un être assez sensible qui appuie sur le bouton de panique assez rapidement, mais je me trompe rarement. Et puis c’est assez clair. Je me souviens qu’avant les fêtes elle disait que j’étais fort curieux, et que justement c’est pourquoi elle ne m’avait rien dit de sa vie privée. C’est un peu con de sa part lorsque l’on considère qu’elle est la plus grande radoteuse de l’organisation et que personne n’a de secrets qui valent la peine d’être gardés. Elle les raconte à tout le monde, et tous ses problèmes aussi. Alors on s’en fous-tu qu’elle me raconte son cancer, son copain qui l’a jetée à la rue, son alcoolisme marqué qu’elle ne semble pas cacher non plus, et sa non-satisfaction au travail parce que Sherlock ne l’aime pas trop et qu’il cherche à s’en débarrasser ? J’espère maintenant qu’il réussira, car ça devient de plus en plus difficile de venir au travail le matin et de faire mon boulot. Au contraire, je n’ai que l’envie de crisser le camp. Je me cherche déjà des raisons pour ne pas venir demain, et j’ai déjà mentionné que nous n’avons pas d’eau chaude en ce moment, ce qui est vrai de toute manière.

   Peut-être aussi que la semaine a été difficile parce que c’est le retour après les vacances. Et que nous sommes allés en Belgique, Hollande, Allemagne, Autriche, Suisse et France. Après ça, retomber dans le moule de la routine est tuant. Ce midi, le chanteur habituel de la station Westminster chantait encore Losing My Religion, et j’ai passé près d’y dire de changer de chanson parce que ça commençait à me déprimer de ne plus être capable de distinguer à chaque fois que je passe si oui ou non une autre journée s’est déroulée depuis la dernière fois que j’ai entendu cette chanson. Je me disais que peut-être j’ai rêvé le reste de la journée d’hier, et le matin même, et que finalement chaque jour était la même journée.

   Patrice est venu du Canada avec Caroline de Paris. Nous sommes sortis avant hier après ma journée de travail, et j’ai revu tous mes amis d’antan, de lorsque nous étions tous à Londres et heureux dans des vies plus simples. Le Bébésito était là, avec son nouveau copain, un comptable qui se prenait pour le nombril du monde. Je n’ai rencontré que deux comptables dans ma vie, les deux étaient gais, travaillaient dans la City à Londres et avaient une tête aussi enflée que la tour du CN à Toronto. L’autre était George, notre ancien colocataire lors de mon premier six mois à Londres.

   Celui d’avant-hier était tout un spécimen de prétention. Je me croyais prétentieux, mais au moins j’ai encore les deux pieds sur terre. Lui il est parti depuis longtemps. C’est un frustré de la vie qui chie plus haut que le trou parce qu’il est comptable, non mais. Il m’a raconté en détails comment il était le seul responsable de presqu’un million de livres et comment tous ses collègues au travail devaient venir mendier pour avoir de cet argent, et qu’il n’avait toujours qu’une seule réponse : non. Il m’a d’abord fait pitié, mais le lendemain mon sentiment était plutôt l’écœurement. En plus il m’a raconté comment il avait attrapé la malaria voilà quelques temps en Afrique, et que son corps était toujours un demi degré au-dessus de la normale. Peut-être était-il saoul, en tout cas je l’espère. Il a tout du détestable et je ne comprends pas ce que le Bébésito fait avec lui. Ils sortent ensemble depuis 6 mois, à mon avis ça va durer un autre mois et ce sera fini.

 

14 Janvier 2005

 

   Aujourd'hui c'est vendredi. Deuxième semaine depuis le retour des vacances. J'ai travaillé cinq jours complets cette fois, malgré que j'étais malade comme un chien (encore !) pendant au moins deux jours. Mais je ne pouvais plus manquer le travail parce que vendredi dernier il n'y avait plus d'eau chaude et j'ai dû demeurer à la maison pour attendre le plombier. Ce n'était pas tout à fait nécessaire, car le père de Stephen était là de toute manière, mais nous pouvons travailler à partir de la maison, et dans mon cas, seulement si j'ai une bonne raison, comme vendredi dernier.

   Stephen a également été malade cette semaine et il n'a pu prendre qu'une seule journée de congé, car ils l'ont obligé à retourner au travail le lendemain alors qu'il était réellement mourant. Ce qui n'a pas aidé son humeur et son comportement. Depuis quelques jours il est littéralement hystérique, et je ne pouvais pas sortir de la maison assez rapidement ce matin pour l'éviter (car le stupide contrôleur d'eau chaude n'a pas fonctionné, encore une fois, et l'eau était froide ce matin). Il a explosé au travail hier, et même avec son patron qu'il a insulté complètement alors que tous les problèmes qu'il a subis hier provenaient d'un conducteur qui a menti à tout le monde pour que certaines tâches se fassent. Ce qui a provoqué une explosion de problèmes qui a mis Stephen dans la merde (n'est-ce pas toujours le cas ?).

   Mes contacts en France à propos de cette série télévisée sur laquelle j'aurais dû travailler, mais j'ai à peine réussi à traduire quelques lignes en deux semaines, doivent commencer à perdre patience. À mon avis, à moins que je ne travaille comme un malade tout le week-end, ils vont me remercier pour mes services et m'envoyer promener. En plus, les Québécois qui travaillent sur un autre de mes scénarios m'annoncent que le projet n'a pas reçu d'argent du gouvernement, mais qu'il y a encore espoir si nous réécrivons le tout en entier. Où ai-je déjà entendu ça ? Ah oui, lorsque j'ai envoyé mes pièces de théâtre à cette association de directeurs au Québec voilà bien 15 ans. Là encore on me demandait de tout réécrire, et en plus, de tout réécrire en joual québécois. Ainsi au Québec, si on n'écrit pas en français, pas de subvention, et si on n'écrit pas dans le jargon des pionniers, faut pas rêver en couleur, pas de subvention. L'ironie est qu'avant Michel Tremblay et ses Belles-sœurs en... quelle année déjà ? 1939 je crois, ou peut-être 1979... avant cette pièce de théâtre, personne n'écrivait dans la langue parlée du peuple. Maintenant, grâce à lui, on n'a plus le choix.

   Pourquoi donc faut-il que tout dans cette société fonctionne par les extrêmes ? Sans doute parce que nous sommes tous des extrémistes dans le fond de nos coeurs. Ou alors nous n'avons aucune intelligence. Bref, je dois tout réécrire, mon personnage principal leur a semblé trop diabolique, cynique, ironique, psychologique et impénétrable. Tient, il me semble là me reconnaître tout à fait dans tous les livres que j'ai écrits.

   Heureusement que je n'ai jamais attendu après les subventions gouvernementales pour écrire. Premièrement je n'aurais jamais reçu de bourse, ils m'auraient demandé de tout réécrire au moins 100 fois, un peu comme un gouvernement communiste et socialiste. Et même après avoir tout réécrit et avoir détruit l'oeuvre, cela n'aurait pas suffit. Ainsi il n'y a pas de portes de sortie. Il faut avoir un bon emploi dans les conférences dans une bonne société capitaliste, et se tuer à la tâche pour écrire la littérature que nous désirons écrire la nuit, alors que nous travaillons le lendemain. Ou alors, comme je fais en ce moment, j'écris dans le train qui m'emporte à Westminster. Tout ce livre a été écrit dans ce train, sauf lorsque j'étais mourant à l'hôpital, sans doute d'une grippe attrapée dans le train. Lorsque nous sommes une centaine par wagon qui sommes assis un par-dessus l'autre à se respirer chacun le trou du cul, comment ne pas attraper toutes leurs maladies ? Depuis octobre je suis malade en permanence. J'ai dû arrêter de fumer, de boire, d'écrire et de vivre. Pas pour rien que je suis maintenant incapable de respirer, dans le sens littéral et symbolique. Cette société m'étouffe, elle me tue, et je n'en peux plus.

   Encore hier au travail, la PA mentionnait que tout pour moi ramenait à la mort. Cela m'a surpris. En effet, je parle de la mort assez souvent, de catastrophes, d'inondations, de tsunamis, de terroristes, de mourir pour peu importe quelle raison. Je pense que le tout est intégré à mon sens de l'humour, un humour noir et cynique que personne ne comprend. Elles, semble-t-il, elles sont heureuses de vivre. Elles aiment la vie, c'est merveilleux, c'est époustouflant, c'est à mourir de plaisir. Je dois leur demander quelles drogues elles prennent le matin pour se lever et venir au travail presque 6 jours par semaine, arriver une heure avant l'heure requise et ne plus partir le soir tellement elles adorent leur existence et leur emploi merveilleux. Mon Dieu, auraient-elles été lavées du cerveau ? Peut-être suis-je immunisé de par mon pessimisme marqué ? Sinon, comment expliquer leur comportement ?

   Je discutais hier avec Sinéad l'Irlandaise, que plusieurs personnes avaient besoin de discipline, d'une hiérarchie sociale, d'une autorité toute puissante et d'une routine réglée au quart de tour. Sinon, leur vie prend le bord, ils perdent la tête, ils prennent un fusil et commencent à tirer dans toutes les directions (encore la mort, disons plutôt qu'ils entrent en dépression et vont chez le médecin pour être bourrés de pilules, ah ces pilules miraculeuses). Et je lui disais, vraiment, il existe des gens qui ne peuvent vivre sans ces choses, qui justement m'exaspèrent tellement que je refuse de vivre dans une société Big Brother ainsi régimentaire. Il semblerait qu'avec le temps et le simple outil de sensibilisation de par les médias, on finit par convaincre le peuple qu'il faut des caméras partout, il faut des figures d'autorité partout, il faut 100,000 policiers dans les rues de Londres, et 300,000 personnes en charge de donner des tickets de stationnements. Il faut également que dans chaque train et sur chaque plateforme, une voix d'ordinateur nous disent toutes les lois de la sécurité, ce que nous n'avons pas le droit de faire, où nous sommes, ce que nous devons faire, etc., tout cela répété deux secondes après par un humain qui lui aussi s’imagine que nous n'avons rien compris et que le lavage de cerveau n'est pas tout à fait complet, à moins que l'on nous dise au moins 10 fois qu'il est interdit de fumer, qu'il existe une section où les téléphones mobiles ne peuvent pas être utilisés, que nous n'avons pas le droit de mettre nos pieds sur les bancs, qu'il existe un espace entre le train et le quai et que nous devons faire attention de ne pas tomber dans le trou, et quoi d'autres vont-ils inventer pour nous rendre cinglés ? Christ, pensent-ils que nous ne savons pas depuis le temps qu'il est interdit de fumer partout sur cette planète ? Et dites-moi, qui donc dernièrement est tombé entre le train et le quai, ou a mis ses pieds sur un banc ? Personne. Pourtant, comme si nous étions des enfants, ils nous répètent ça sans cesse, et là, je dois être certain de ne pas oublier mon sac, qu'ils viennent de dire, nous sommes enfin arrivés à Waterloo.

 

Lundi 17 Janvier 2005

 

   Aujourd'hui a été une journée éreintante. Je ne crois pas avoir utilisé ce mot auparavant, et si je l'utilise aujourd'hui, c'est que cette journée n'a pas été infernale ou fort stressante, juste éreintante. Pourquoi ? C'est Rachelle. Sans vraiment m'attaquer de front, elle a un couteau et elle m'en donne de petits coups toute la journée. Alors à la longue ça devient stressant, et c'est rendu au soir que l'on se rend compte de l'impact de ces jeux innocents, lorsque soudainement l'idée de retourner au travail le lendemain devient insupportable, où on pense à chercher un autre emploi, etc.

   J'ignore pourquoi, mais Rachelle tout simplement me déteste. Il n'y a rien que je puis faire à ce sujet, elle est assise à côté de moi et ça je ne l'ai pas choisi. C'était sa décision, comme elle doit le regretter maintenant. Son problème est qu'elle est incapable de cacher son mauvais caractère, encore moins de prétendre être indifférente à un employé lorsque cet employé l'énerve. Et aujourd'hui nous avons eu plusieurs différends sur bien des sujets, aucunement reliés au travail.

   Alors la solution à ce problème délicat, je n'ai qu'à me fermer la gueule et faire mon travail. Mais voilà, ce n'est pas une vie, c'est déprimant, ça te donne juste l'envie de trouver un autre boulot. Et je vais m'y mettre, lorsque j'aurai terminé tous les projets sur lesquels je travaille en ce moment, mais comme ces projets me prendront une éternité...

   Semblerait que toute la journée nous avons eu la chance unique de se prouver combien toutes nos opinions diffèrent de A jusqu'à Z. Assez extraordinaire, elle est comme mon opposée absolue. En plus elle déteste ouvertement tous les hommes, cela n'est pas nouveau. Et certes, en premier lieu, elle ne peut pas sentir Sherlock, elle ne l'a jamais caché, même en face de lui. Elle s'imagine sans doute que ni moi, ni Sherlock, n’avons une quelconque intelligence, puisque nous sommes incapables de partager au moins une de ses idées. Bref, elle est maintenant enragée contre moi, alors que je n'ai pratiquement rien fait et que nous n'avons pas, à proprement parler, de lien commun au travail.

   Mais voilà, elle va devenir ma patronne bientôt, c'est avec elle que je devrai avoir toutes mes réunions, de qui je recevrai mes ordres. Et bien que je serais heureux de ne plus avoir à répondre à Sherlock, je commence à m'inquiéter de ce que cette bitch pourra faire pour me détruire dans mon dos aux yeux du patron. Et déjà aujourd'hui, puisque cela était évident qu'elle m'a craché dessus toute la journée, j'ai discuté avec les deux autres filles avec qui je partage notre petit deux mètres carré (la troisième fille n'étant pas là cette semaine). Je leur ai demandé pourquoi Rachelle ne m'aimait pas, qu'il était clair qu'il y a avait de la tension, etc. La fille des finances a bien admit qu'il y avait une divergence d'opinion, un clash de personnalités, car nous avions tous les deux de fortes opinions opposées.

   Et tout cela était fort important que je le dise, car si je vais annoncer à Sherlock que je ne travaillerai pas avec Rachelle à cause d'une divergence d'opinion, et qu'aussi, tout simplement, elle ne puis pas me sentir, il me faudra au moins pouvoir affirmer qu'il y a des témoins à tout cela et que le tout n'est pas juste dans ma tête. Il est bien certain que Rachelle n'avouera jamais ses sentiments et sa conduite, ce n'est d'ailleurs pas son style. Elle est une de ces personnes complètement imprévisibles qui ont une opinion arrêtée sur tout et qui vont lutter contre le monde entier pour faire accepter ces opinions, et qui sont incapables d'accepter que les autres puissent avoir des opinions contraires. Et ça c'est assez nouveau pour moi dans mes relations avec les Londoniens. Si je me suis déjà battu avec des gens similaires, alors ils étaient un peu moins extrémistes qu'elle, et tout simplement me détestaient et m'ont poignardé dans le dos à maintes reprises sans même que je le sache, ou alors il n'y a pas eu trop d'échanges entre nous. Mais cette fois c'est fort, c'est puissant, c'est une haine pratiquement ouvertement déclarée. Et ce n'est pas parce que je suis gai, non plus parce que je suis Canadien-Français (quoique que d'être un peu imbécile parce que je ne comprends pas tout n'a certainement pas dû aider, je lui tombe alors encore plus sur le système), et ce n'est pas non plus parce que je suis une menace à son intelligence ou son emploi. C'est clairement parce qu’elle est une personne à principes et que moi sans doute je n'ai aucun principe. Elle est morale et moraliste, et moi je n'ai aucune morale. Elle pleure encore sur les morts des tours de New York, je m'en contrefous éperdument, ça fait des années cette histoire. Finalement elle est rangée et croit en l'autorité, je suis un véritable anarchiste.

   Cependant je pense que justement elle n'est pas complètement folle. Elle a su voir ce que les autres ne peuvent pas voir, car ils finissent tous par succomber à mon charme innocent. Oh que oui, je réussis toujours à charmer les plus endurcis, mais malheureusement jamais tous. Il y en a toujours un ou une qui résiste encore à l'envahisseur. Cette fois, je crois que c'est parce qu'elle a su voir clair, ce qu'est vraiment ma personnalité. Alors que tous les autres passent par-dessus mes commentaires quotidiens, comme si je n'avais rien dit, elle, elle bloque à chaque fois, scandalisée.

   Je ne crois pas que nous puissions nous accorder sur une même opinion, pas une seule. Il existe ainsi des gens sur la planète qui sont nos opposés absolus, et voilà, elle et moi c'est le jour et la nuit. Comment alors survivre ? Comment travailler ensemble à des objectifs communs ? Impossible. Ça va tourner au vinaigre, surtout lorsque finalement elle sera responsable de moi, et j'espère juste qu'au dernier moment cela ne surviendra pas. Et quelle erreur ce serait de toute manière, que connaît-elle au monde des conférences ? Absolument rien. Si elle ne demande pas de ne pas être responsable de moi, je le demanderai.

   Mais il s'agit peut-être également d’un début d'explication au pourquoi elle m'a dans le collimateur. Elle aurait dû être responsable de moi dès le départ, mais ne l'a jamais été. Elle devait reprendre les rênes, juste après le Jour de l'an, mais voilà, cela ne s'est pas concrétisé. En plus, tout cela est venu symboliser le fait que Sherlock lui a enlevé plusieurs responsabilités, une après l'autre, et je couronne cet échec lamentable de sa carrière qui s'en va chez le diable.

   Tout cela serait bien suffisant à justifier pourquoi elle me déteste autant, même si je lui donne le crédit que peut-être c'est à cause de nos divergences d'opinions. Dieu seul sait ce qui se passe dans la tête de Rachelle. Et j'ai tout fait, et je fais encore des efforts, pour qu'elle m'aime, pour qu'elle aussi succombe à mon charme, comme les deux autres en face de moi qui me détestaient mais qui maintenant me disent qu'elles aiment venir au travail à cause de moi. Mais tout cela est peine perdue.

 

18 Janvier 2005, Putney

 

   Je m'en vais au travail, encore une fois. Je me sens bien mal ce matin, après m'être saoulé hier et avoir relu ma vieille poésie (et fumé un paquet complet de cigarettes !). En tout cas ça remet les idées en place, ça aide à tout remettre dans son contexte. Je regrette ma petite crise d'hier, même si elle est nécessaire à la solution de mes problèmes futurs avec Rachelle. J'ai eu l'air d'un pleurnichard, d'un homme cassé qui s'apitoyait sur son sort : « je ne suis tellement pas chanceux, il y a toujours une bitch ou un con pour me détester et me causer du trouble ! », que je semblais crier.

   Pourtant Rachelle est la moins pire de toutes les bitches et les malades qui m'ont fait chier dans mes emplois antérieurs. Je dois admettre que même les réunions avec le grand patron ne sont pas si effrayantes, même si le stress peu parfois me bouffer tout cru lorsque je suis en retard ou que je n'ai rien fait depuis quelques jours. C'est pratiquement l'emploi de rêve, même s'il s'agit tout de même d'un vrai emploi qui ne me laisse plus le temps de rien faire, surtout pas de dormir (et comme j'aimerais dormir ce matin !). Donc, je ne puis pas trop me lamenter, personne n'est vraiment méchant, même si la plupart ne sont pas des cerveaux ambulants, à première vue. Pourquoi alors se lamenter ?

   Bof, ce n'est pas vraiment que je me lamente, mais plutôt que je fais juste raconter mes journées lorsqu'un événement survient, car en ce moment la routine est tout ce qui existe. Alors une petite crise, même toute petite, vaut bien que j'en fasse tout un plat. Espérons aussi que tout cela n'est pas un exercice inutile, je vois déjà mes critiques me dire, après avoir lu ce livre, comment ils se sont emmerdés à mourir. Eh bien, à ce que je sache, je ne vous ai pas demandé de lire ces lignes, alors arrêtez dès maintenant et oubliez d'écrire votre critique.

   Ce qui est intéressant et différent de mes emplois antérieurs, est que je doive utiliser le mot éreintant plutôt qu'infernal. Une journée un peu stressante plutôt que la pire journée de ma vie. Une femme qui semble avoir une divergence d'opinion d'avec moi, plutôt qu'une bitch qui vient de me poignarder dans le dos et qui m'a pratiquement fait perdre mon job. Enfin, on voit la différence d'avec le monde commercial, où les gens se coupent la gorge à longueur de journée.

   Après avoir survécu à tout cela, je dois dire qu'une semaine à Westminster, loin du vrai monde des affaires, est une partie de plaisir. Et leurs petites simagrées me font bien rire. Rachelle ne mérite même pas que je m'arrête un instant pour considérer la menace qu'elle représente et que j'élabore un plan d'action pour que son attaque soit renversée et qu'elle soit blâmée à ma place. Elle ne me semble pas très dangereuse, comparée à ce que j'ai confronté dans le passé. Mais ne sous-estimons pas nos adversaires, il est clair que je ne suis pas encore sous son aile, et là les problèmes risquent de commencer. Elle pourrait s'avérer être une adversaire redoutable, et aux grands maux, les grands moyens. Il me faudra la détruire aux yeux de tous, et surtout aux yeux de Sherlock. Et ce ne sera pas très difficile, elle le déteste autant qu'elle me déteste. Avec un peu de chance, je la remplacerai en tant que Directeur des Opérations.

   Elle ne semble pas faire grand-chose de toute manière, aussitôt que je sors de la pièce, elle parle sur son téléphone mobile ou elle visite des sites Internet non reliés au travail. Mais je constate qu'elle ne me fait pas trop confiance, car aussitôt que j'entre, elle arrête et prétend travailler. Amusant, alors que c'est moi l'employé, et donc moi qui devrait cacher le fait que je ne fous rien de la journée. Mais en ce moment, je travaille comme un malade.

 

27 jan 2005

 

   J'arrive à la fin de cette damnée première conférence, cela m'aura pris en tout plus de trois mois, un nouveau record de longueur, puisque d'habitude il faut en produire une en 30 jours. Bon, il est vrai que j'ai fait des rapports, des analyses de marchés, d'autres projets, et que ça a pris bien du temps avant que le département de Construction finisse par me donner le feu vert, et qu'à mis chemin ils ont changé mon programme au complet, et puis quoi encore. L'important est que je puisse justifier pourquoi ça m'a pris une éternité et que, malgré tout, mon patron pense que je suis un travailleur miracle, même si, il faut bien se rendre à l'évidence, ce que j'ai fait jusqu'à maintenant est fort médiocre. Never mind, nous sommes à Westminster. Comparé à tous les autres qui travaillent ici, je puis vous affirmer que ma médiocrité brille d'intelligence. Voilà pourquoi je suis encore le « blue eye boy » aux yeux de Sherlock, alors que mes yeux sont noirs, comme ceux du diable.

   Hier une fille est revenue pour une troisième entrevue, pour la position dans les ventes, c'est-à-dire publicité et exposition. Ça commençait à être le temps, hier j'ai passé la journée à négocier un contrat de publicité de moins de 9000 livres, et déjà cela était trop. Ils veulent payer la moitié de ça, pour quelque chose qui leur aurait coûté 20,000 chez notre compétiteur, alors même qu'ils sont les publicitaires principaux sur les conférences de ce compétiteur. Alors je me fais jouer ici, pas assez d'expérience dans les pubs. Je dois leur extirper le plus d'argent possible, et je sais qu'ils peuvent payer.

   Cette fille commence lundi ou mardi prochain, et comme les autres qui travaillent ici, avant que je ne commence, je m'imagine qu'elle va reprendre toutes ces négociations et me débarrasser de ce rôle de vendeur que je ne veux absolument pas. Mais je me trompe grandement. Je vois déjà comment le tout se produira. Elle prendra au moins un mois pour juste apprendre ce qu'est l'organisation, et puis un peu d'analyse pour comprendre où nous pouvons faire de l'argent. Et comme elle est aussi en charge de vendre de l'espace dans nos magazines et autres publications, alors voilà, elle ne travaillera jamais avec moi sur mes conférences. Donc je ne dois pas trop rêver et croire qu'elle va changer ma vie, on ne peut compter que sur soi-même dans ce monde. Ces conférences ne feront d'argent que si je deviens un vendeur, alors même que j'ai toujours dit que si mon emploi devenait un emploi de merde, je quitte. Pour l'instant c'est ok.

Mais vendeur, à Westminster ? Vous voulez rire ? Il n'y a aucun vendeur dans un rayon d'un mille autour du Parliament Square. Il y a juste des bureaux gouvernementaux remplis de vieilles laides au nez crochu (à peu près comme Margaret Thatcher) et qui sans doute sont faites en plastique et se pensent meilleures et plus importantes que la Reine d'Angleterre. J'en ai vu une hier au Café Néro, j'ai dû arrêter mon désir grandissant de lui ouvrir l'estomac et de répandre ses tripes sur le sol. Parce qu'elles me font chier comme c’est indescriptible. Et chez les hommes aussi, il y a ce look typique du politicien pourri qui a trop de pouvoir sans bonne raison, et qui franchement aurait dû ne plus être à Westminster depuis longtemps, si on veut un quelconque changement dans les mentalités. Il est d'ordinaire assez vieux avec les cheveux gris, assez gros ou alors très mince et très grand, souvent des lunettes, un attaché-case et cet air ahuris d'homme scandalisé en permanence devant tout ce que la vie pourrait apporter. À croire qu’ils n’ont jamais vécu. Ma présence seule les choque, alors c’est simple, tout les offense. Tous sont d'une prétention à tout casser et se prennent pour la royauté qui règne sur le monde entier. Bref, quand on les rencontre on veut juste les frapper pour les ramener à la réalité. Ces gens-là ne seront jamais en mesure d'aider qui que ce soit, et certes, ils n'ont aucunement l'intention d'aider autrui. Au contraire, ils font juste créer plus de lois, plus de règlements, plus de complications, au point où nous ne pouvons plus respirer ou rien faire en société. Et les seules fois où vraiment ils vont faire quelque chose pour aider le peuple, c'est que vraiment ils n'ont plus le choix. Le peuple s'est mobilisé, ou alors des associations imposantes se sont créées, ou alors la presse n'en démord plus et ne fait que parler du sujet. Ils ne leur viennent jamais à l'idée d'aider les autres, mais ils trouvent toujours le moyen de nous compliquer l'existence.

   Hier au travail, il y avait un peu trop de familiarité. À un moment donné tous riaient de moi (avec moi comme ils aiment dire), et je me rends compte que je suis devenu le clown du département. Cela est fort dangereux et je devrais faire attention. Lorsque le respect disparaît, nous sommes foutus. Et tout ce travail que j'ai fait pour demeurer plus sérieux au travail ces dernières semaines, tout est à l'eau. Il semblerait que garder la tête basse à Westminster soit impossible dans mon cas. Je suis bien trop extroverti. Et maintenant je vais en payer le prix. Heureusement Sherlock est toujours dans son bocal à poisson, et pour lui ce monde parallèle où je suis frivole et le clown de l'organisation, il ne connaît pas. Pour lui je suis encore l'employé modèle qui va faire de l'argent. Misère.

 

Westminster, 28 Janvier 2005

 

   Extraordinaire comment une journée et une carrière peuvent être détruites en moins de 30 secondes, et tout à fait de façon inattendue. Il est vrai que je n’ai pas respecté le fait que je doive me fermer la gueule au travail, prétendre ne pas entendre ce que les pies radotent à toute heure de la journée, tout simplement faire mon boulot, m’enfermer dans ma bulle, prétendre ne pas exister. Mais ce matin elles parlaient du fait que plusieurs personnes, dont tout le département du marketing, portent des jeans, alors qu’elles n’en ont pas le droit. Au lieu d’encourager ce mouvement pour qu’elles puissent aussi porter des jeans, au contraire, elles font tout pour arrêter les autres d’en porter, car elles jugent cela comme étant injuste. Comme je commençais à parler, Rachelle m’a confronté avec ses opinions tout à fait contraires aux miennes (comme d’habitude). Pourtant j’ai bien eu une attaque précédente pour me signifier l’alerte rouge, et que je devais être sur mes gardes. Mais je n’ai pas écouté tout ça. Parce que c’est vendredi et que le vendredi nous sommes remplis d’énergie, parce que nous savons que c’est la fin de la semaine. Alors nous sommes en air, prêts à danser, chanter, se saouler et mourir crucifié à l’autel à la fin d’une journée de party qui n’a plus de fin. Je suis vite revenu à la réalité cependant. Et l’envie de célébrer s’est évaporée dans la nature.

   Lorsque le petit différend amusant a commencé entre moi et la fille du Brésil, et que Rachelle s’en est mêlée pour me « blaster », j’ai mis ma main devant elle comme pour l’arrêter, et je me suis retourné pour signifier que je ne lui parlais pas. Comme elle a continué de plus belle, j’ai dû me lever et partir de la pièce en affirmant que je n’avais pas l’intention d’argumenter aujourd’hui.

   Je suis alors allé dans les toilettes et j’ai compris à ce moment l’étendue de ma bévue. Que pouvais-je alors faire ? Une démonstration aussi claire que je ne puis plus la supporter, qu’il existe un problème réel et que nous ne pourrons jamais travailler ensemble ? Qu’allais-je ensuite faire, retourner à ma place dans l’espoir que personne ne s’en rendrait compte, que personne n’aurait vu quoi que ce soit, ou aurait miraculeusement tout oublié ? J’étais dans la merde, il n’y avait pas de porte de sortie. Je voulais alors repartir à la maison pour travailler, mais comment allais-je justifier ça, sans rendre la situation encore pire qu’elle ne l’était ? Impossible. Je dois demeurer à ma place, sans parler de la journée, prétendre que tout va bien. Mais tout le monde sait que quelque chose s’est produit, que ça ne va pas, et que je suis d’une humeur massacrante.

   Après cet orage, voilà qu’elle me pose une question à propos de mon emploi, me demandant si je voulais des procédures établies à propos de mon emploi. Une question si compliquée, que je ne la comprends toujours pas. Elle me pose cela alors que je suis prêt à retourner à la maison pour la journée, ou même ne plus jamais revenir à Westminster. Avais-je vraiment envie de lui répondre ? Et pourtant la seule chose qui me venait à l’esprit était : pourquoi me demande-t-elle ça, maintenant ? Elle qui ne me parle jamais de choses reliées au bureau ? Était-ce parce qu’elle voulait savoir si j’allais répondre sans exploser et quitter les lieux ? Comme pour me tester ? Ou alors elle se sentait coupable d’avoir sauté dans notre conversation et d’avoir commencé à argumenter avec moi alors que je ne le voulais pas ? Elle revenait donc à des sujets plus terre à terre, le travail. Mais voilà, en me demandant ça, c’est comme si elle réaffirmait qu’elle serait bientôt ma patronne, et alors je n’aurai pas le choix de transiger avec elle. Mais je pense qu’elle tente d’être gentille. Elle m’a donné une sorte de support spongieux pour mettre devant mon clavier d’ordinateur, mais je n’en voulais pas de toute manière.

   Elle a tout intérêt à être gentille, elle s’est déjà bataillée avec plusieurs employés dans les dernières semaines. Depuis deux semaines elle est tout simplement hystérique dans ce bureau. Plus rien ne va l’arrêter dans son élan, elle est devenue incontrôlable. Et ce n’est pas Sherlock qui va l’arrêter, elle l’envoie promener aller-retour et il demeure impuissant. Le pauvre, je suppose que c’est la même chose à la maison, sa femme doit le faire mettre à genou et il doit lui obéir au doigt et à l’heure. Voilà sans doute pourquoi il demeure au travail en permanence. Il semble arriver à 6 heures le matin et il semble partir à 20h. Comme il habite très loin en banlieue, et que fort souvent il a des réunions en dehors du bureau le soir, il ne doit jamais voir sa femme ou ses enfants. Heureusement au travail il peut s’enfermer dans son bocal et il n’a pas à supporter le monstre. Moi je n’ai pas le choix.

 

1er Février 2005

 

   Je n’arrive pas à croire que ce soit déjà le mois de février. Les filles non plus au travail. C’est bizarre, lorsque le temps passe vite pour moi, le temps leur semble également aller rapidement. Et lorsqu’il me semble que je vais mourir d’ennuie avant la fin de la journée, elles aussi ne sont que des zombies endormies qui n’en peuvent plus d’attendre que le Big Ben sonne les cloches de 17h.

Peut-être que tout cela est connecté à la température et la pression dans le bureau, et donc notre humeur générale, mais je pense plutôt que le tout a plus à voir avec la Relativité d’Einstein, et que parfois le temps tic à un taux beaucoup plus rapide que la normale, bien que parfois ce taux soit énormément lent. Normalement nous ne devrions pas nous rendre compte que ce taux va plus rapidement ou plus lentement, mais je pense que notre subconscient s’en rend compte. Avec un peu d’entraînement on arrive aisément à figurer si le temps passe vite ou non. Le tout bien sûr est influencé non pas par la température et la pression au bureau, bien que ces éléments à mon avis influencent notre capacité d’identifier si le temps passe vite ou non, le tout est plutôt influencé par la vitesse à laquelle nous nous déplaçons dans l’espace, et également la gravité (qui dépend de la masse environnante) qui est exercée sur la Terre. Ces choses influencent non seulement le taux du temps, mais également la géométrie de l’espace. Plus le temps passe vite, à mon avis, moins on est contorsionné et rapetissé. Plus le temps va lentement, plus on est enfoncé dans une sorte de début de trou noir où s’en sortir devient impossible.

   Bref, depuis octobre dernier, il me semble que le temps a passé très vite, bien que franchement je n’aie même pas eu le temps de terminer une première conférence. J’ai beau me dire que tant que je puis justifier ce retard, il n’y a rien à craindre, mais sans doute faut-il que je me rende à l’évidence. Je ne pourrai sans doute pas le justifier et ça commence à mal paraître. Un directeur aujourd’hui s’est exclamé : tu travailles encore là-dessus ? Et il avait crissement raison, bien que ça m’ait insulté ben raide et que je souhaitais lui dire qu’il se mêle de ses affaires.

Une bonne nouvelle aujourd’hui, cependant, un grand changement a été annoncé à propos du département de conférences. C’est officiel depuis un mois, bien qu’on ne le savait pas, on n’a plus besoin d’utiliser ce département très bien organisé pour s’occuper de nos conférences. La raison est bien simple, ils demandent 65 % des profits. Alors maintenant on va aller à l’extérieur, et donc donner nos profits à une organisation externe. C’est un peu stupide, il me semble que ce qu’il faut faire est plutôt de s’arranger pour un partage du profit un peu plus raisonnable et ainsi garder tous les profits à l’intérieur de notre association. Sinon, il faudra se reconstruire une toute nouvelle structure de conférence, sauf qu’ils ne sont pas prêts à engager qui que ce soit. Et je pense que Sherlock ne se rend pas compte que d’engager une compagnie externe nous coûtera un bras. Je n’ai pas le choix cependant de trouver ces compagnies externes et demander des estimés. Et alors je dois retourner vers le département des conférences et leur dire : voici combien vous devez me charger au lieu de votre 65 %. Et s’ils refusent, alors oublions-les. Ils fermeront bien assez tôt et alors je serai le seul responsable des conférences à l’intérieur de notre département.

Tout le monde doit maintenant faire leurs conférences comme je le fais, trouver les conférenciers et écrire les programmes. Ils pensent que tout cela se fait automatiquement et en moins d’une semaine, parce qu’ils savent déjà qui ils veulent inviter. Ce sont des imbéciles qui n’y comprennent rien, un mois n’est pas suffisant pour produire une conférence de deux jours avec 25 conférenciers. Et le tout va mal tourner, je le sens, lorsque tous les assistants seront prisonniers de conférences interminables qui ne vont nulle part, et qu’ils ne pourront rien faire d’autre. De l’organisation sera nécessaire alors, et je pense que je jouerai un rôle dans tout ça. Mais quand ? Et est-ce que mon salaire va changer ? Et surtout, mon ordre du temps. C’est-à-dire, vais-je devoir continuer à produire des conférences, ou plutôt superviser toutes les conférences ? Nous verrons. Mais il faut que quelque chose survienne, sinon je vais recommencer à postuler à d’autres emplois dans les médias. Je ne détesterais pas travailler pour la BBC, même s’ils viennent de mettre 6,000 personnes dehors.

 

9 fév 05

 

Je suis tellement fatigué, j’arrive de Clapham South. Je me suis absenté pendant deux heures cet après-midi. Ça a fait plaisir à Rachelle, je me demande bien pourquoi. À mon retour, lorsque j’ai annoncé que je partirais plus tard pour compenser, elle a dit de ne pas m’en faire, de partir à l’heure. Je me demande si elle cherche à être gentille, encore une fois, ou si au contraire ce soir, à la grande soirée des Directeurs des Facultés et Forums elle ne va pas me poignarder dans le dos en racontant à tout le monde que j’ai passé l’après-midi à Clapham South, puis revenu au bureau pour passer des coups de fil et envoyé un fax. Le problème est que c’est la première fois que cela m’arrive d’exagérer ainsi, et sans doute la dernière fois pour un bon bout de temps. Cependant, pour elle, c’est inespéré, surtout si elle cherche à me discréditer. Bien sûr, que je parte à 18h au lieu de 17h pour compenser détruirait sa belle histoire. J’aime croire qu’elle tente d’être gentille, mais je ne saurais dire.

 

10 fév 2005

 

   Hier a été une journée non pas éreintante, mais fort stressante. Lorsque je suis revenu à l’appartement j’étais d’une humeur massacrante, ça m’a pris deux heures pour décompresser. Je n’avais pas l’argent non plus pour acheter de la bière, alors j’ai bu une petite bouteille de vin de framboise laissée par mon oncle la dernière fois qu’il était à Londres. Cette petite bouteille était inespérée.

   Le pire de toute cette histoire est que le tout est une histoire d’avocat. Ma première demi-heure au travail a été rendue fort compliquée à cause de cette histoire de visa pour que je puisse demeurer en Angleterre. Oui, un avocat génial, qui a tout réglé mes problèmes voilà deux ans et qui nous a coûté ₤ 1,300. Cette année, pour un autre visa qui, semble-t-il est le dernier que j’aurai à demander (sauf que l’an prochain je devrai encore payer pour avoir ma citoyenneté), il me faut encore payer ₤ 1,400, et je ne sais pas où les trouver. Les histoires d’immigration c’est de l’arnaque, un moyen pour un pays de faire de l’argent et engraisser ses avocats.

Je viens d’acheter un ordinateur, Stephen me disait que c’était ok, mais là ce n’est plus le cas. Il comptait sur sa mère pour payer l’avocat, mais comme il a manqué certains paiements de remboursement de dettes à sa mère, il est bien convaincu qu’elle va dire un non catégorique. Et Stephen, comme toujours, a trouvé le moyen de me blâmer pour toute cette histoire. J’ai acheté l’ordinateur, et je ne lui ai pas rappelé qu’il fallait qu’il paie sa mère. Ainsi la solution qu’il me reste en ce moment est de vendre cet ordinateur sur eBay à pure perte. Je vais attendre quelques jours encore avant de lui offrir cette possibilité, car j’aimerais certes garder cet ordinateur qui me rend la vie bien plus facile.

   Le deuxième avocat est une histoire d’horreur. Toute la journée je me suis débattu avec cette histoire, mais ça date déjà depuis cinq mois. Ce foutu camion qui a détruit tout le côté de ma Renault 5 et qui a fait au-dessus de ₤ 2,000 de dommages. Bien que je ne demande que ₤ 300 à cause de la valeur de la voiture, ces compagnies d’assurance se sont engagés des avocats. et cette tempête inutile pour 300 misérables livres dure depuis septembre dernier. Ils ont certes déjà dépensé plus de ₤ 30,000 en tout pour éviter de payer ₤ 300. Il y a tous les gens qui travaillent là-dessus aux compagnies d’assurance et dans les deux bureaux d’avocats, au moins trois assesseurs ont fait le tour de mon auto pour figurer l’état de destruction, et alors que tout est évident et qu’il n’y a même pas à discuter cette histoire, l’autre parti proclame qu’il n’y a jamais eu d’accident. Depuis cinq mois et je ne voyais plus la fin du tunnel. Ça allait se rendre en cours de justice, ça allait nous coûter ₤ 50,000 sinon ₤ 100,000 pour nous battre contre eux. Ils auraient sans doute dépensé le double de tout ça, et sans doute les compagnies d’assurance aussi. Les seuls qui auraient profité dans toute cette histoire sont bien les avocats qui, j’en suis certain, sont à la source de cette escalade de problèmes et ce manque de diplomatie marqué qui fait que l’on est prêt à poursuivre le monde entier en justice juste par principe, oubliant que toute cette histoire au départ n’était que pour un misérable ₤ 300. Et ce misérable ₤ 300, je ne le l’obtiens pas immédiatement, j’ai au moins 10 paiements qui ne passeront pas d’ici à ce que je sois payé, et le tout va me coûter ₤ 600 en frais de toute sorte.

   Alors hier j’ai pris mes petits pieds, j’ai dû oublier toute la journée mes responsabilités au travail, et je suis parti pour Clapham South pour faire ma propre enquête à la Sherlock Holmes. Et je dois dire que j’ai certes arrêté le procès du siècle en dénichant un témoin, en obtenant une confession écrite que le conducteur en question a bien détruit ma Renault 5, et en retrouvant la personne qui a laissé la feuille explicative sur mon pare-brise. J’ai faxé le tout à mon deuxième avocat (oh combien suis-je important maintenant, qu’un homme sans histoire et sans argent ait maintenant deux avocats). Alors cette fois ces cons ne peuvent plus refuser de me payer ₤ 300. Ils sont sous contrat avec la compagnie que j’ai mis sans dessus-dessous hier pour trouver les informations dont j’avais besoin. Et cette compagnie maintenant leur a envoyé une lettre pour leur dire qu’ils ne sont pas très impressionnés par cette histoire d’accident et que cela devrait être réglé au plus vite. Alors maintenant ils ont comme remis en cause leurs affaires avec cette autre compagnie. Jusqu’où cette histoire d’accident dérisoire ira-t-elle ?

Je constate que la plupart des gens que je rencontre individuellement sont des gens honnêtes. Et je pense que le conducteur du camion l’était aussi, puisqu’il a pris le temps d’aller dans le bureau du site de construction pour donner tous les détails à propos de l’accident. C’est aussitôt que les avocats sont tombés là-dedans que le tout a commencé à prendre une éternité et que les coûts ont commencé à monter de façon vertigineuse. Ils en sortiront tout à fait gagnants, peu importe l’issue du conflit.

 

14 février 2005

 

   C’est la Saint-Valentin aujourd’hui, et la fête de ma sœur. Je ne l’appellerai pas, je ne lui fais pas de cadeau, pas de carte non plus. C’est maintenant ainsi dans la famille, que l’on ne célèbre plus les anniversaires ou ces futilités comme la Saint-Valentin. Stephen et moi ne ferons rien de spécial, pendant que la Brésilienne au travail sans doute sortira dans le restaurant le plus cher à Londres ce soir. Certes, j’aimerais bien avoir l’argent pour aller manger dans un de ces restaurants où les stars vont tout le temps, jamais en 10 ans à Londres je n’ai trouvé l’argent ou le temps pour m’y rendre, c’est à peine si je sais que ces endroits existent. Ainsi ces célébrités connaissent un Londres tout à fait différent du mien, car une ville doit bien être qualifiée par les endroits où tu sors et les personnes que tu rencontres.

   J’ai passé la journée entière hier à chercher tous les papiers nécessaires à ma demande de visa. Tabarnack que je suis écoeuré de faire ça, de payer une fortune, d’espérer encore une fois que je ne serai pas expulsé par un escadron le lendemain de ma demande, etc. Stephen a trouvé l’argent finalement, emprunt chez sa mère. Quand il s’est assis pour me faire la morale du siècle, comme quoi je lui coûtais cher et que j’étais irresponsable, je lui ai proposé de vendre mon ordinateur à la place. Soudainement ça l’a comme bloqué dans sa morale, et il m’a affirmé que ce ne serait pas nécessaire. Tant mieux. Maintenant si je pouvais juste recevoir ce ₤ 300 de cette compagnie d’assurance, ça règlerait tous mes problèmes ce mois-ci. À partir d’aujourd’hui, tous les paiements dans mon compte jusqu’à ce que je sois payé dans deux semaines ne passeront pas et je n’ai même pas l’argent pour manger le midi. Tout ça à cause de ce damné ordinateur, mais heureusement je suis en train de m’en servir pour écrire en ce moment, alors il faut au moins que je reconnaisse que, peu importe les conséquences, ça en valait la peine.

   Lundi encore une fois, le train est plein à craquer, comme d’habitude. Avoir ajouté deux trains par heure ne semble pas avoir changé le fait que les trains sont toujours trop pleins de monde. Je m’en vais au bureau au Parliament Square, et cette idée ne m’enchante pas, bien que ce retour au travail soit moins pire que la semaine dernière où je revenais d’un quatre jours de congé.

Je souhaiterais que quelque chose d’exceptionnel survienne, comme une inondation, une tempête de neige effroyable, que mon patron ou Rachelle fasse une crise cardiaque spectaculaire, peu importe. Mes journées sont tellement longues et inintéressantes, que même des événements moins extrêmes me satisferaient, tels que mon patron ou Rachelle malade pour un jour ou deux, et je suis incapable d’imaginer quoi d’autre. En fait, Rachelle travaille à partir de la maison aujourd’hui, et dans son cas, c’est clair qu’elle ne va rien foutre de la journée. Ça doit être évident même pour Sherlock, pourtant il n’a pas dit non lorsqu’elle l’a demandé. Je ne crois pas que l’absence de Rachelle aujourd’hui soit suffisante pour me rendre heureux, ou même faire de ma journée quelque chose de tolérable. La plupart du temps elle est toujours en réunion de toute manière.

Je dois avouer que ça m’a fait un choc d’apprendre qu’elle soit plus jeune que moi d’un an. Soudainement j’ai perdu beaucoup de respect pour elle, il ne me semble pas justifié qu’elle soit ma patronne. Je me rends compte aujourd’hui, que jamais je n’ai eu un patron plus jeune que moi. Mais tout cela c’est dérisoire, qu’importe son âge ? Ces sont des préjugés, c’est psychologique, ce n’est pas justifié. Cependant ça m’a drôlement soulagé. Soudainement, cette grande et grosse figure autoritaire, pour ne pas dire totalitaire, n’est qu’une enfant plus jeune que moi. Sans doute remplie de doutes sur ses capacités à être en charge. Encore des préjugés, mais je suis incapable de les arrêter. Je dois bien m’accrocher à ce que je peux pour survivre dans ce bureau. Et tout cela est bien de la jalousie pure et simple. Je suis jaloux que quelqu’un de plus jeune que moi puisse être mon patron, parce que cela m’indique que moi je ne suis pas encore patron alors que j’ai passé cet âge, et que j’ai dû prendre un mauvais tournant à quelque part, sinon je serais là où elle est. Ça c’était ma première pensée, mais j’ai tout de suite compris également qu’il est facile pour moi de me justifier pourquoi je ne suis pas encore Président-directeur général de la compagnie, j’ai toujours su lâcher mes boulots pour écrire un certain temps avant de devoir recommencer à travailler. Alors je dois bien accepter des gens qui pourraient être bien plus jeunes que moi me donner des ordres. Au moins elle a un air d’autorité et donne l’impression de savoir ce qu’elle fait. Ça pourrait être pire. Je pourrais recevoir des ordres d’un enfant de 18 ans qui n’y connaît rien mais qui pense tout connaître. Ça ferait sans doute un bon roman.

   Je suis presque à Waterloo. J’ai une folle à côté de moi qui semble lire ces lignes et comprendre le français. Je déteste ça quand on lit au-dessus de mon épaule, surtout lorsque l’on lit ce que j’écris et que je me sens jugé au fil de l’écriture.

   Je suis dans un café à Embankment maintenant, à cause de la connexion Wireless LAN. J’ignore pourquoi je suis tombé dans le piège de payer ₤ 5 de plus par mois pour pouvoir me connecter à l’Internet dans plusieurs cafés. Sans doute parce que passer par BT, au lieu de payer ₤ 5 par mois pour 8 heures d’Internet, ce serait ₤ 5 par heure. Mais voilà, je dépense une fortune en panini, shortbreads et cafés chaque fois que je veux me connecter à l’Internet. En plus, je n’ai pas besoin de me connecter durant la journée, tout peut attendre le soir à la maison. Peut-être vais-je canceller le mois prochain. Parfois c’est bien, si j’attends un message important, mais c’est rare. Bref, j’ai eu le temps d’écrire un paragraphe, télécharger mes e-mails prend bien trop de temps. Je dois retourner au bureau, une journée lente et plate.

 

15 février 2005

 

   Je suis dans une sorte de panique en ce moment. Je viens d’expérimenter en une seule journée tout ce que le livre The Dilbert Principle de Thomas Scott tente d’exprimer. Je viens de me rendre compte que l’homme à la tête du département de marketing est un imbécile pur qui n’y connaît rien et est incapable de faire une campagne de marketing. En plus, il m’a bêtement dit que le département de marketing ne s’occupe pas de la promotion des conférences. Il n’y a pas tant de produits et services que nous offrons, et je dirais qu’avec 200 conférences par année, voilà certes quelque chose qui mériterait son propre département de marketing. Malheureusement notre département de marketing ne semble pas vouloir faire son boulot, et je suis bien mal pris en ce moment, car j’ignore qui s’occupera du marketing. Sans marketing, c’est clair que cette conférence tombera à l’eau. Bien sûr, si notre département de conférences s’occupe de mes conférences (et j’ai hâte que cela soit enfin déterminé), ils s’occuperont du marketing, cependant tout ce qu’ils font est de poster la brochure à nos membres des facultés concernées. Je pourrais faire cela moi-même en cinq minutes. Ils ne font pas de plan de marketing, ils ne contactent pas les autres associations susceptibles d’avoir des membres intéressés à venir à la conférence, ils n’entrent aucunement en contact avec d’autres compagnies susceptibles d’avoir des listes qui pourraient nous apporter une trentaine de délégués. Bref, avec un budget de ₤ 12,000, mon problème sera de figurer comment le dépenser. Mais un autre problème immédiat est qu’il semble que je devrais également faire le marketing de mes conférences. Cela devient ridicule, je suis même responsable des publicitaires (et surtout des ventes), mais en plus, en ce moment, c’est mon nom et mon numéro de téléphone qui sont sur les brochures pour que les délégués s’enregistrent. Ainsi je vais devenir une centrale téléphonique et travailler 24 heures sur 24. Dans cette baraque, ils s’imaginent que l’on peut faire un plan de marketing en un après-midi. J’ai vu des marketing administrateurs qui travaillaient sur trois conférences seulement pendant des mois. Je me rends compte que tout simplement personne ne cherche à m’aider, aucune structure n’existe, personne ne veut travailler davantage et perdre de son budget. Et voilà en plus que le plouk à la tête du marketing, après m’avoir envoyé chier, envoie des e-mails à toute la compagnie comme quoi ils peuvent venir chercher de l’argent sur le budget de ma conférence pour un kiosque d’exposition à une conférence quelconque. Non mais, pour qui se prend-t-il ? ₤ 500 de mon ₤ 12,000, c’est 4.2 % de mon budget. Et cela ne paraît peut-être pas si grave, mais voilà, tout est en l’air en ce moment et j’ignore combien me coûtera ma campagne de marketing, car j’ignore encore qui fera le marketing. Je pourrais bien me retrouver à payer une compagnie plus de la moitié de ce ₤ 12,000 juste pour faire mon marketing. Et maintenant c’est ₤ 500, demain ce sera un autre ₤ 1,000, et voilà, cette conférence sera un flop. Le culot de cet imbécile qui ne veut rien savoir de moi et qui prend ainsi la décision de couper mon budget. Demain je vais écrire à mon Directeur pour mettre un frein à ce con. Chose certaine, pour moi nous n’avons tout simplement pas de département de marketing, alors cet idiot n’a certainement aucun pouvoir sur mes conférences et surtout sur le budget. Il pense que ça vient du département de Construction, mais ce n’est pas du tout le cas, ça viens de tous les départements. Alors je ne vais pas commencer à donner mon budget à droite et à gauche par plaisir, qu’il aille se faire foutre. Il me faudrait ₤ 18,000 de budget pour faire de cette conférence un succès, pas ₤ 12,000. Misère.

Je devrais commencer à préparer ma porte de sortie. Je pense que de m’engager était une mauvaise idée et que je ne suis pas suffisamment payé pour cumuler tous les titres d’un bureau de conférence et de mettre en place toutes les structures d’un nouveau département. Je n’ai aucun pouvoir décisionnel, je ne peux rien faire avancer, car tout le monde dort dans cette association, pourtant j’ai des échéances infernales impossibles à respecter. Mon Dieu, que vais-je faire ?

 

17 février 2005

 

   Hier je me suis battu toute la journée pour que le département de marketing ne prenne pas ₤ 500 de mon budget, et je pense avoir réussi ça. Mon patron m’a dit : apprends ta leçon, un rapport financier ne doit jamais être montré à personne, pour éviter que tout le monde vienne te voler ton budget. Merde, et moi qui pensais que j’avais toute l’expérience du monde, je ne savais même pas cette règle de base.

Ainsi, tu fais le rapport financier de ton projet, et ensuite tu l’enfermes dans les tiroirs fermés à clé de la secrétaire, et ainsi tu t’éviteras bien des ennuis. On pourrait alors se demander pourquoi devrais-je perdre mon temps à faire quelque chose que personne ne lira. Malheureusement il faut encore que mon patron le lise, ou que ce soit à portée de main lorsqu’il en a besoin.

   Autre fait bizarre, Sherlock ne comprenait pas pourquoi j’agissais comme si le département de marketing n’existait pas. Selon lui, ils allaient encore faire les campagnes de mes projets. Je lui ai montré les deux messages du directeur du marketing, et bien que Rachelle et moi le lisons comme s’il m’envoyait promener (et assez radicalement), Sherlock lui y lit une invitation à partager le lit du marketing. Bref, nous sommes revenus au même point. Il doit contacter le directeur du marketing, à nouveau, et comme il va oublier, je dois à nouveau lui rappeler de communiquer avec le marketing en début de semaine prochaine. Il a laissé un message au directeur du marketing de rappeler, mais c’est ça le secret de ces grands directeurs, ils refusent de faire le boulot, ne retournent pas tes appels, et alors tu dois comprendre que tu dois faire faire ton marketing par une organisation externe, qui te chargera trois fois plus que son ton propre département de marketing l’aurait fait.

   Ce qui m’apporte un autre problème impossible à régler. J’ai contacté une quinzaine de compagnies de management de conférences, leur demandant simplement des devis, et j’en arrive à comprendre, par leur silence, qu’eux aussi doivent avoir un directeur de marketing qui ne veut pas faire son job et qui ignore mes appels et mes messages. Lorsque tu imagines l’impact que pourrait avoir le management de peut-être 60 et potentiellement 200 conférences par année, il me semble que je laisserais tout tomber pour préparer un devis. Le problème est que tout cela est tellement vague… par exemple le management des délégués peut signifier bien des choses et pourrait coûter de ₤ 20 à ₤ 100 chacun. Ou alors une campagne de marketing, ça pourrait coûter entre ₤ 3,000 et ₤ 150,000. Ainsi mes questions sont impossibles à répondre, et je constate aussi qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent, car aucun d’eux ne réussit à s’entendre sur combien telle ou telle chose va coûter. Leurs prix fluctuent tellement, je pense que ceux qui m’ont envoyé des devis, ont tout simplement écrit n’importe quoi, et que l’addition finale sera au moins trois fois plus grande. Bref, si j’avais leurs compagnies, je pense qu’il serait temps que je fouette mes employés, car ils m’auraient fait perdre beaucoup d’argent. Il me semble qu’ils devraient savoir combien ça coûte pour eux de faire le management d’une conférence ? C’est ce qu’ils font tous les jours. Je commence à me demander s’ils ont de l’expérience ou non. Ou alors c’est que leurs prix sont fort relatifs, et changent en fonction du client. Si c’est Microsoft ou Mercedes, la facture atteindra ₤ 150,000. Si c’est une petite association du trou du cul, 110,000 membres ou non, on veut rien savoir. À ₤ 150,000 la conférence, comme une des femmes me disait hier que ça me coûterait, que font-ils exactement ? Ils font sauter une bombe nucléaire à la fin de l’événement ? Acheter une bombe nucléaire sur le marché noir coûte environ ₤ 20,000 maintenant, moins cher que le marketing d’une de mes conférences. Je lui ai dit qu’à ce prix je m’attendais à perdre connaissance à la fin, et elle m’a affirmé que je verrais la différence. Eh bien, dans la semaine des quatre jeudi peut-être.

 

23 février 2005

 

   Autant je parlais de conférences et de contrats lors de ma dernière digression, autant je me sens loin de tout cet univers aujourd’hui, alors que je reviens au travail après une absence de cinq jours, dont trois où j’aurais dû me rendre au travail. J’ai été malade encore une fois, mais rien d’aussi grave qu’au mois de novembre ou juste avant noël. Cependant, c’est la troisième fois en mois de six mois et ça commençait à m’inquiéter. Je suis allé chez le docteur hier et je l’ai bombardé de questions. Finalement je vais aller dans un centre spécialisé pour l’étude des maladies pulmonaires et on va savoir exactement comment avancé mon cancer des poumons est. Je blague bien sûr, c’est peut-être moins grave, je suis peut-être juste séropositif, et alors c’est le système immunitaire qui fait défaut, et non mon asthme. Dans mon cas le VIH serait mieux que le cancer, car si ce sont les poumons, à mon avis je n’en ai plus que pour six mois à vivre. Je blague encore. En fait, elle m’a dit que j’étais alarmiste et que plusieurs de ses patients ont été malades trois fois cet hiver. Et je me souviens qu’au Canada en hiver, toute la population est malade tout l’hiver. N’empêche, je vais aller à ce grand centre Bromley, ou quelque chose du genre, où apparemment toute la famille royale va, qu’elle m’a dit, ainsi je n’ai pas à m’inquiéter, c’est le meilleur centre pulmonaire au monde. Ça devrait être une bonne expérience à raconter. Et faut-il toujours ajouter ensuite que la Princesse Diana y a séjournée pendant deux jours en l’an 1748 ? Quand c’est rendu que notre publicité est basée sur le fait que la royauté nous visite, ça fait un peu pitié. Ça doit être une coutume qui date d’Henry VIII, quoique si Henry visitait ton organisation, il repartirait sans doute avec ta tête (il a fait décapiter toutes ses femmes).

   Comment je me sens ce matin, retourner au travail après trois jours de congé, commencé un vendredi ? Bien mal à l’aise. On se demande toujours si on a encore notre emploi, si tout notre travail ne s’est pas écroulé de lui-même en notre absence, si un opportuniste ne nous a pas poignardé dans le dos. Bref, on se retrouve dans une situation entre la vie et la mort, encore pire que la maladie. Je n’ai pas hâte de confronter mon patron, ou de répondre aux gens à propos du comment je vais, comment malade j’ai été, quelle couleur était mon vomi, etc. J’ai l’intention d’être assez économique dans mes dires, de toute manière personne ne serait suffisamment malade dans la tête pour prendre trois jours de congé de maladie s’il n’était pas malade, non ? Même moi n’aurait pas ce culot.

   Je n’ai pas l’intention non plus de commencer à paniquer parce que soudainement mon patron, qui n’a pas eu de feedback depuis des lustres, viendra sans doute me voir ce matin pour lui demander un compte rendu de ce que je fais, alors que je reviens d’un congé maladie. C’est son style. Devoir aller dans une réunion pour dire que nous n’avons rien fait et que nous ne savons plus où nous en sommes, parce que logiquement, nous n’étions pas au bureau. Mais les patrons ne comprennent pas ces choses, ils n’ont jamais lu The Dilbert Principle de Thomas Scott, ils sont convaincus de ce qu’ils font et s’entêtent à nous casser les pieds. J’espère qu’il me donnera au moins une journée, le temps que je ponde quelques pages pour mon rapport.

   Peut-être que quelque chose a changé au travail. Souvent, et je ne me l’explique pas, nous travaillons quelque part pendant des mois et rien ne change. On s’absente quelques temps et soudainement, à notre retour, tout a changé. Comme si nos collègues et nos patrons n’attendaient que ça, que nous tombions malade ou allions à une conférence pendant une semaine, pour se décider à tout changer. À prendre de grandes décisions, à nous causer une crise cardiaque à notre retour. Souvent c’est négatif, mais dans mon cas n’importe quel changement ne peut être que positif.

   Ah oui, il neige depuis trois jours à Londres, et moi qui disais tout le temps qu’à Londres il ne neigeait qu’une fois par année, et seulement pendant cinq minutes. Cette neige tente de rester au sol, mais ça semble bien difficile, elle fond rapidement. En tout cas j’adore. Les Anglais n’ont pas l’air trop impressionnés par cette couverture blanche sur le sol, et ces merveilleux flocons de neige qui tombent du ciel, tel un miracle du créateur tout puissant. Pourtant, ils n’en voient jamais, j’aurais cru qu’ils ouvriraient le Champagne. Stephen vient de me téléphoner, il m’a dit qu’aujourd’hui Londres va avoir sa pire tempête de neige depuis 100 ans. Je ne puis plus me contenir.

   Hier j’ai appris que j’ai finalement obtenu mon dernier visa, celui avec lequel je peux demeurer en Angleterre indéfiniment, pour travailler, et sans condition. Enfin, je pense. Je vais aller chercher mon passeport aujourd’hui chez l’avocat, il est situé près de la station de métro Mansion House sur la District/Circle Line. Maintenant il ne me reste plus qu’une seule étape, ma citoyenneté britannique que je pourrai demander dans un an. Il n’y a pas à dire, ils nous compliquent l’existence comme c’est pas possible. Dix ans que ça m’a pris pour me libérer du Home Office, et ce n’est pas encore fini, la naturalisation doit être le pire processus de tous, et une demande prendra un minimum d’un an avant d’être acceptée ou refusée. Je serai donc peut-être britannique un jour, dans deux ans. On pourrait se demander pourquoi je souhaite ainsi devenir britannique, c’est bien simple, avec mon passeport anglais, je peux sacrer mon camp de l’Angleterre et habiter n’importe où en Europe. Je pensais tout particulièrement à déménager en France, sans avoir à souffrir leur système d’immigration qui m’a semblé être le pire jamais rencontré jusqu’à maintenant.

 

23 feb 2005 – partie 2

 

Je suis au bureau en ce moment, et je ne comprends pas pourquoi, mais je suis en panique absolue. Est-ce parce que le premier mot que la Rachelle a dit est que je devais remplir le formulaire d’absence, qui en plus était dans mon Inbox, alors vraiment elle n’avait pas besoin de me le souligner à nouveau. Je n’ose pas non plus regarder mon patron Sherlock, mais il me tourne autour comme une mouche noire, et je vois qu’il brûle de me poser 1,000 questions, mais qu’il doit attendre un peu avant de me sauter dessus. Et puis j’ai dû descendre en bas quelque chose comme cinq fois trois étages pour les sandwichs de la PA. Je suis complètement mort, je ne sais plus quoi faire, je ne me sens plus à ma place, j’ai l’impression que personne ne me croit… je suis paranoïaque aujourd’hui. C’est juste que c’est difficile de revenir au travail après plusieurs jours de congé. Tout le monde me tombe sur les nerfs et je ne veux parler à personne. Le prochain qui essaie de me parler, je vais lui dire : pas aujourd’hui, je suis encore malade. Et c’est vrai.

Le gros congrès sur les jeux olympiques, que j’ai détruit avec mon rapport, je viens de trouver la brochure en bas. Le problème est qu’ils ne m’ont pas tenu au courant du tout, et qu’ils ont été de l’avant même si tout pointait vers un échec marqué. Je ne sais plus quoi penser, peut-être que ce sera un succès, et alors de façon éclatante on verra que je suis complètement incompétent ? Et vraiment, si ce congrès est un succès, alors ils ont accompli des miracles, tout simplement. Mais si c’est un échec, alors on verra que j’avais raison et je serai soulagé. Cependant je souhaite que ce soit un succès.

Pour les changements, il y a une fille assise au bout de la table et elle me regarde en permanence. Elle n’a pas le choix, son bureau est collé au mien et, avec elle à cet endroit, je ne puis pas travailler. Il faut avouer que c’est une sixième personne ajoutée dans notre petit carré de quatre mètres par quatre mètres. J’espère qu’ils vont tous attraper ma grippe, malheureusement je ne tousse plus du tout. Aucune preuve donc que j’étais malade.

On dirait que tout a changé ici, mais non, rien n’a changé. C’est tout dans ma tête. J’aurais besoin d’une autre heure à rien faire avant de me retrouver dans le bain et de pouvoir enfin me concentrer sur quelque chose. Mais je suis tellement surveillé ici, si je ne fous rien pendant deux minutes, une alarme sonne, une cerise gigantesque se met à tourner, et une grande flèche illuminée qui part du plafond pour me pointer directement montre à tout le monde que je ne fous rien pendant deux minutes.

 

25 février 2005

 

   La fameuse tempête de neige que l’on attendait n’est finalement arrivée qu’aujourd’hui. Tout est magnifique, d’un blanc éclatant. Enfin les dépotoirs qui peuplent ma ligne de train d’Isleworth jusqu’à Waterloo disparaissent sous une mince couche de neige, et soudainement il me semble que mon esprit s’est réveillé.

   Je me sens très philosophique aujourd’hui, j’ai les idées claires, je suis inspiré. Cependant, dans moins de dix minutes je serai arrivé à destination, et cette inspiration ne servira même pas à écrire mon rapport, puisque je l’ai terminé hier. Et ceci dit, soudainement je n’ai plus rien à dire. Sauf peut-être qu’aujourd’hui, à la station, j’ai regardé les maisons aux toits blancs, et la rue, et la neige tombante, et soudainement un flux de souvenirs du Canada m’est revenu. Drôle à dire, ce n’était pas plaisant. La neige, c’est beau quand ça ne tombe pas pendant six mois. Quand l’hiver n’en finit plus, ça n’en vaut plus la peine. Alors je me suis retourné pour regarder les rails du chemin de fer à la place, et alors cette vision des enfers de l’hiver du nord québécois a disparu de mon esprit à jamais. Je puis maintenant habiter l’Angleterre pour l’éternité, et ce, sans aucune condition, sauf celle que je doive habiter ici de façon permanente et ne jamais quitter pour plus de deux ans. Mentir à propos de ça ne sera certes pas un problème, alors je puis ainsi dire sans condition. Et j’ai bien l’intention d’habiter ici pour toujours. L’an prochain je serai Britannique, et alors peut-être j’irai habiter en France. J’aimerais bien aussi habiter à l’extérieur de Londres, peut-être dans le nord près de York, ou même le Pays de Galle, ou l’Écosse. Ce dernier permis de résidence m’a vraiment libéré, un poids immense a été levé. Je ne dépends plus de Stephen pour demeurer ici. Mais c’est peut-être la pureté de cette neige qui me remet les idées en place, et remet le tout en perspective. Il n’y a pas à dire, la neige a un drôle d’effet sur moi, elle débloque mes neurones, elle est grandiose, elle a le pouvoir de changer le monde physique et psychologique. Aucun politicien en ce moment n’est capable de faire ça, au contraire, comme la télévision, ils abrutissent la population. Aujourd’hui toute l’Angleterre devrait prendre un jour de congé pour aller marcher dans un parc. Et demain, tout le monde serait heureux.

 

28 février 2005

 

   Master Bitch m’a vraiment dans le collimateur aujourd’hui, et j’ignore pourquoi exactement. Elle semble prête à me sauter à la gorge pour m’étrangler. Petits coups de couteau encore une fois, toujours au même endroit. Toute une histoire parce que je ne mettais pas à jour, tours les jours, le message de mon répondeur automatique, alors qu’elle s’en fout bien que personne d’autre dans la compagnie ne mette à jour son message. C’est donc clair que c’est de la discrimination, puisque je suis le seul qu’elle a chicané à ce propos.

Un peu plus tard, je dis que mercredi matin je vais à l’hôpital pour des prises de sang, et que je serai une heure en retard, et alors elle me dit que je devrai partir une heure plus tard que d’habitude pour compenser. Or, jamais depuis que je travaille ici, n’a-t-elle exigé une telle chose pour personne qui se devait d’arriver en retard pour une raison ou une autre. Certainement pas elle-même, alors que justement elle a souvent de ces rendez-vous personnels en dehors du bureau, mais sur les heures du bureau.

Je pense qu’elle souffre parce qu’elle voudrait un plus grand contrôle sur moi, mais que justement elle n’a pas encore cette autorité. Alors elle tente par tous les moyens de s’approprier ce pouvoir en m’exigeant mille et une choses, mais moi je fais tout pour que justement elle n’ait rien à voir avec moi. Et plus je me distance d’elle, et que je demande à Sherlock directement ce que je veux, le plus elle tente de s’imposer comme ma responsable et m’exige des choses. Si elle va trop loin éventuellement, je devrai faire quelque chose, demander à mon patron si justement elle est responsable de moi ou non.

Je l’ai vue dans le passé aller lui demander directement la responsabilité de plusieurs personnes dans le département et elle l’a eue. Je ne voudrais pas qu’elle tente de m’avoir ainsi. Elle fait la vache avec moi, me demande de rester une heure de plus parce que je serai une heure en retard, alors qu’en ce moment elle est en train de surfer l’Internet depuis plus de 45 minutes. Elle regarde des vases sur le site d’Argos. Ça me brûle les lèvres de lui dire sèchement, comme elle fait : alors, tu vas rester 45 minutes de plus ce soir pour compenser tout le temps que tu perds à te promener sur le Net au lieu de travailler ? Vous imaginez sa réaction, ce serait la guerre déclarée entre elle et moi, et je serais à la rue dans le temps de le dire.

D’ailleurs elle a mentionné cet après-midi que ma période de probation ne se terminait que dans deux mois. En fait, ce qu’elle me rappelait est bien qu’ils sont encore tout à fait libres de me jeter dehors à une journée d’avis juste avant le 20 avril. J’ignore à quoi elle s’amuse, mais si elle veut une guerre, je lui en donnerai une, et on verra bien qui se ramassera à la rue avant le 20 avril.

 

1 mars 2005

 

   Le stress de revoir Master Bitch aujourd’hui me tue littéralement. J’avais un plan simple et précis d’arriver une demi-heure avant mon heure habituelle pour compenser mon rendez-vous chez le docteur demain, surtout parce que je sais qu’elle arrive à 8h30 et ne fous rien de la première demi-heure, sauf parler avec toutes ses petites amies dans les autres départements, qui elles aussi arrivent toutes très tôt pour ne rien faire pendant ce temps, en attendant que les autres arrivent à 9h30. Bref, ce fut un désastre. Quatre flocons de neige par minute tombent en ce moment sur Londres, alors vous comprenez bien que tout le système de transport est complètement paralysé ! Les deux premiers trains ont été cancellés et le troisième était en retard. Quarante minutes je me suis gelé le cul sur la plateforme à Isleworth, et non seulement je n’arriverai pas 30 minutes à l’avance, mais en plus je serai en retard de l’heure à laquelle habituellement j’arrive. Et les trains semblent fonctionner maintenant, ainsi si j’étais parti à l’heure habituelle, je n’aurais pas attendu autant. Alors en ce moment je suis d’une humeur massacrante, et si une seule personne a le malheur de venir me parler, je vais la mordre.

   Ça tombe mal, aujourd’hui commence le nouvel employé Américain qui, apparemment, est d’une beauté hors pair. Toutes les filles semblent être tombées en amour avec lui. Il sera assis à côté de moi, son visage face à mon côté droit. Toute la journée il va me regarder travailler, et j’espère qu’il travaillera. Malheureusement je ne serai pas responsable de lui, ainsi je ne pourrai pas lui faire faire ce que je veux qu’il fasse. Je devrai passer par Sherlock, lui dire : c’est ça qu’il faut qu’il fasse, et alors il lui dira. J’ai la nette impression qu’il ne fera rien du tout et que toutes mes espérances tomberont à l’eau. Je me suis déjà fait à l’idée qu’il ne travaillera pas à trouver des publicitaires pour mes conférences, qu’il aura trop vite d’autres responsabilités, et que ce seront ces autres façons de faire de l’argent qui deviendront ses priorités. Au moins je me suis déjà fait à l’idée.

Master Bitch va passer l’avant-midi avec lui, pour lui expliquer combien merveilleux ce sera de travailler avec elle, j’imagine. Pour mon malheur, il tombera sans doute amoureux d’elle, et elle de lui, et alors je serai comme le fromage entre deux tranches de pain sec. Je n’ai pas à m’en faire à ce sujet, personne n’aime le pain sec, et surtout un pain sec aussi défraîchit que Rachelle. Je n’ai pas l’intention de la détruire à ses yeux, au contraire, j’espère que tout naturellement ils en viendront à se détester. Et cela ne saurait tarder, Master Bitch déteste les hommes, tous les hommes. Même les beaux Américains ? Et c’est peut-être ça le problème.

   Ma journée est enfin terminée. J’ai rencontré le nouvel Américain qui vient d’Alabama en Georgie. Premièrement il est vieux, cheveux blancs, au moins 50 ans. En plus, j’aurais dû y penser, il est marié, sinon il ne serait plus en Angleterre. Lui, il a eu son permis de résident permanent voilà neuf ans, le jour où il est débarqué à Londres et qu’il a marié sa British d’Ealing. Quelle discrimination qu’il ait pu ainsi avoir via son mariage, la même journée, ce qui m’a pris dix ans à avoir, après quatre visas différents à grand prix et maux de tête. Ça m’a fait chier.

   Comme j’ai le don de toujours poser les mauvaises questions, ma première question a pratiquement été : as-tu ou aurais-tu voté pour Bush ? À cette question il s’est abstenu de répondre. J’ai alors lancé qu’il est pro-Bush, mais qu’il n’ose l’avouer de peur d’aliéner tout le monde autour contre lui. Il n’a pas nié ce fait. Alors, tout ce qu’il me reste à lui dire maintenant est que je suis gai, et sans doute il en perdra la raison, s’il est si pro-Bush. Mais je ne lui ai pas avoué encore, j’attends au moins qu’il apprenne à m’apprécier à ma juste valeur. Alors je prendrai le risque de l’offusquer dans ses fibres morales. De toute manière il m’a avoué ne pas avoir d’enfants, sans doute un crime aussi punissable que d’être gai sous le régime Bushien. Je pourrai lui reprocher ça. Il semblait d’ailleurs regretter me dire qu’il n’avait pas d’enfant, who cares anyway ?

L’homme n’a aucune expérience en marketing, et son expérience est surtout la vente d’espace publicitaire dans des magazines. Ensuite une petite expérience à vendre des espaces à des expositions, mais ça ne m’a pas trop convaincu. Heureusement je pourrai lui montrer tout ce qu’il doit apprendre, et je serai capable de lui indiquer comment faire le marketing des conférences. En plus il me semble capable de faire toutes ces choses, et je pourrai également le façonner et prendre le contrôle. Cela me soulage, j’ai eu peur de n’avoir aucun pouvoir sur lui et que, finalement, il ne travaille aucunement sur les conférences. Encore que, je pourrais encore me tromper. Son titre est Sales Manager, alors que moi je ne suis qu’un exécutif. En théorie il est donc plus élevé que moi dans la hiérarchie, mais en pratique il n’y connaît rien et moi, au contraire, j’ai toute l’expérience nécessaire.

Autant j’aurais voulu qu’il comprenne par lui-même comment Rachelle est un cauchemar et un frein à tous nos projets, autant je me suis lancé sur lui pour lui dire de l’éviter et de tenter de demeurer sous Sherlock, et non elle. Il m’a confirmé que la première chose qu’elle lui a dite c’est : je suis ta patronne, tu réponds à mes ordres. Je suis convaincu que Sherlock ne lui a jamais dit ça, c’est sa façon de reprendre le contrôle sur moi et d’éviter un problème similaire. En tout cas je lui ai dit de tout faire pour demeurer sous Sherlock et de l’ignorer. Nous verrons ce que cela donnera.

En tout cas, il commande un certain respect par son âge et son allure. Il n’aura aucune misère à convaincre le peuple d’investir ₤ 24,000 dans une conférence, il a un air d’autorité en qui on peut avoir confiance. Je suis très heureux de ce choix, et j’ai un peu honte des enfantillages de Rachelle qui commenceront demain, et qui nous donnera tous une mauvaise image. La maman qui compte ses petits à toutes les minutes, et veut un compte rendu à la seconde près de notre horaire du temps. Et qui explose à toutes les heures pour des raisons inconnues, mais qui certes n’en valent pas la peine. Je ne voudrais pas qu’elle aille lui dire que, parce qu’il est cinq minutes en retard, il devra partir cinq minutes plus tard le soir même. J’en mourrais de honte. J’espère juste qu’il ne s’offusquera pas de toutes ces choses et qu’il ne décidera pas de partir pour tant d’enfantillages. Cependant l’homme en question est sans doute un vendeur déterminé qui travaillera toutes les heures supplémentaires possibles afin de faire le plus d’argent possible. Après tout, il travaille à la commission, et probablement qu’il fera deux fois mon salaire. Ainsi Master Bitch n’aura jamais à lui crier par la tête, à être découragé de lui, ou à lui dire de faire des heures supplémentaires pour compenser les heures perdues. Je pense qu’il sera l’employé modèle, et je n’aime pas trop cette idée. En tout cas, moi, je ne suis pas à la commission et mon salaire est très bas comparé au monde privé. Alors à 17h, je fous le camp. Et je vais lui apprendre à faire la même chose. J’espère qu’il m’écoutera.

 

2 mars 2005

 

   Je suis vraiment découragé de moi. Ce midi je me sentais tellement coupable, tout ça parce que depuis deux jours je crie à tous ceux qui veulent l’entendre que Rachelle est un obstacle à la bonne marche des conférences dans l’association. En détails, je me suis assuré que le nouveau Manager des ventes soit complètement conscient que Master Bitch est une bitch, et qu’il faille l’éviter et tout faire pour ne pas être sous elle. Mais voilà, je pense que je n’ai pas été très discret, et en plus de courir le risque que George (l’Américain) raconte tout cela à Rachelle, je pense que j’ai parlé un peu fort dans la salle de réunion, et que tout le département des Constructions a entendu mes plaintes. En plus, je n’y suis pas allé avec le dos de la cuillère, j’ai également blasté tout le département des constructions, dans leur propre salle de réunion, me rendant compte seulement après coup de mon erreur. Ainsi, durant toute mon heure de lunch, je me disais que j’allais certes en réentendre parler et que je devrais être prêt à quitter l’association à la fin du mois. Je ne voyais pas d’autres moyens de m’en sortir, après avoir été surpris en flagrant délit d’avoir anéanti l’image de tout le monde aux yeux d’un nouvel employé. Ils ne comprennent pas qu’il est en panique absolue et que si je n’avais pas intervenu, George aurait quitté la compagnie avant la fin de la semaine. Je dois sans cesse le rassurer et le convaincre que tout sera facile une fois qu’il sera installé.

   Enfin bref, ça ne faisait même pas deux minutes que j’étais revenu dans le bureau avant d’apprendre que Rachelle voulait une réunion mise à jour dans moins de deux minutes. Ça m’a tué. Je suis allé aux toilettes pour réfléchir, j’en étais pratiquement à me frapper la tête dans le mur, me demandant comment j’avais pu être aussi con et raconter ainsi haut et fort comment cette femme me fait chier. Alors je suis retourné dans le bureau et nous sommes allés dans une salle de réunion. J’étais en mode destruction, ma mauvaise humeur pouvait se lire sur mon visage. J’étais prêt à lui dire ceci, que je retournais dans ma tête : écoute Rachelle, c’est clair que tu me détestes, je ne t’aime pas non plus, je rends ma démission, je finirai à la fin du mois. Et même, je peux quitter les lieux dès maintenant. Et alors dans ma tête je me disais que j’allais envoyer mon CV partout et le plus rapidement possible, et qu’avec un peu de chance je n’aurais pas à attendre très longtemps un nouvel emploi dans les conférences. Mais je voyais déjà d’ici la crise de Stephen, et sans doute sa famille : quoi, encore un emploi de perdu alors qu’il n’a plus un sou ? Ça aurait été la crise, et sans doute encore une fois reconsidérer l’idée du retour au Canada, surtout si j’allais être incapable de trouver de l’emploi rapidement, et ce, juste après avoir enfin eu mon visa de résident permanent.

   Bref, je n’ai pas eu à attendre longtemps ma confirmation que quelqu’un qui m’avait sans doute entendu parler contre elle lui avait rapporté mes propos. Elle disait qu’elle avait entendu dire que j’étais encore mêlé en rapport à qui est ma patronne, elle ou Sherlock. Elle m’a clairement assuré que même si j’ai des réunions avec Sherlock, elle est bien ma responsable directe, et qu’il n’y a aucune confusion à ce propos. Elle me demandait si ce serait plus facile si elle devenait ma seule contacte, ainsi je n’aurais plus jamais rien à faire avec Sherlock. Je lui ai affirmé clairement que la situation n’était pas du tout confuse et que j’aimais très bien la situation telle qu’elle l’était. Que j’aimais ma relation avec Sherlock et que, contrairement aux apparences, il y avait beaucoup d’échanges entre lui et moi (sans doute parce que je passe mon temps à lui écrire des rapports pour lui prouver que je ne perds pas mon temps, alors qu’écrire ces rapports inutiles prend tout mon temps). Ce que j’ai réussi à éviter, c’est de la voir sauter dans le bureau de Sherlock pour lui exiger toute coupure de relation de travail entre lui et moi, et que dans le futur je n’aurais à faire qu’à elle. Dieu merci cela a été évité (j’espère).

   Jusqu’à maintenant la situation n’était pas tout à fait intolérable, elle ne m’avait pas encore confronté avec : tu as dit à untel que j’étais une vache énervante, à contourner pour éviter les ennuis, et qui explose à toutes les minutes pour aucune raison valable, et qui rend la vie de tout le monde impossible. Au contraire, malgré que quelqu’un doive bien lui avoir parlé, elle m’a semblée bien plus intelligente que je ne l’imaginais capable. Elle a décidé de jouer la carte de la flatterie pour restaurer une certaine complicité et me rassurer. Elle m’a lancé que c’était un plaisir de voir comment je m’étais intégré à l’association, comment j’avais réussi à tout apprendre aussi rapidement les différents sujets, et avoir su également identifié les pommes pourries de l’organisation. Bref, elle était impressionnée de mon travail et elle s’en réjouissait. Vous imaginez ma surprise, moi qui me suis soudainement retenu de lui lancer en plein visage que je quittais mon emploi, à cause d’elle ! Mais voyez-vous, si j’avais annoncé à tout le monde que je quittais parce que je me sens incapable de travailler avec elle, cela aurait été tout ce que Sherlock aurait eu besoin pour décider de me garder et de se débarrasser d’elle. Les dommages sur sa personnalité auraient été incalculables. Si elle-même a été capable de voir ma valeur et mon potentiel, et qu’elle sait l’apprécier malgré qu’elle ne m’aime pas trop, il est bien certain que Sherlock a fait la même constatation et en est arrivé aux mêmes conclusions. Et cela, en dépit du fait que mes objectifs n’ont pas du tout été atteint, en cinq mois je n’ai pas produit cinq conférences, mais bien une seule qui est très en retard. Dans le monde commercial je serais déjà à la rue. Bien sûr j’ai fait toutes ces analyses, recherches, rapport sur comment mettre sur pied notre nouvelle structure de conférence, alors je n’ai pas trop à m’en faire, je ne parais pas si incompétent. Enfin, c’est seulement la semaine prochaine que j’aurai ma rencontre avec Sherlock, qui est la révision de mon travail des derniers mois. C’est donc à ce moment si je saurai s’il pense comme Rachelle. Il est fort possible qu’il m’annonce sa déception, mais je serais certes surpris d’une telle nouvelle.

Enfin, je dois dire que je ne sais plus à quoi m’attendre avec Rachelle. Je ne sais pas qui lui a parlé et combien elle en sait. Peut-être cela lui aurait été impossible d’être si positive à cette réunion si elle en savait davantage. Ainsi peut-être que pour l’instant je suis sauf.

 

4 mars 2005

 

   Hier j’ai eu une journée stressante où toute la journée j’étais comme stressé à mort et je courrais dans toutes les directions, et ce, sans raison valable. Hier aurait dû être une journée relax, mais j’ignore pourquoi, je ressentais le besoin de me frapper la tête dans les murs et de me dépêcher à pratiquement ne rien faire.

   Peut-être est-ce la nouvelle situation au travail, ce nouvel employé d’Alabama, qui a tout chambardé notre petit univers, puisqu’il est imposant, assis au bout de la table. Il a certes eu un impact sur Rachelle, je l’ai trouvé beaucoup plus calme, donc la présence de l’Américain l’intimide également. Je ne doute pas que la semaine prochaine elle en sera au même point qu’avant. Et moi aussi, j’imagine. La nouveauté ne dure jamais qu’un temps. Et j’ai également compris qu’il ne travaillera pas beaucoup sur mes conférences, il est responsable de faire de l’argent sur n’importe lequel de nos produits et services, au-dessus de 2,000, je suppose. Depuis deux jours il travaille surtout à trouver des contacts et publicitaires pour vendre de l’espace dans une série de nos magazines (puisque nous avons perdu la compagnie qui s’en chargeait, en plus de l’imprimerie de tous nos magazines, à cause de Rachelle et son caractère de chien). Je ne vois pas George commencer à téléphoner des bureaux d’avocats pour trouver de l’argent, et je m’en fous royalement.

   Pendant ce temps j’ai trouvé ce qui me sauvera peut-être de mon incompétence marquée : la compagnie qui va s’organiser de l’organisation de mes conférences, y compris le marketing et les publicitaires. Nous les rencontrons aujourd’hui, ce matin, et c’est pourquoi j’ai quitté la maison une demi-heure plus tôt. Quand quelques flocons de neige tombent du ciel en Angleterre, tous les trains sont cancellés. Je n’ai donc pris aucune chance, mais heureusement mon train était à l’heure (pour une fois !).

   Cette réunion devait avoir lieu avec un directeur et un subordonné, mais j’ai dû les effrayer au téléphone en tentant de les préparer à cette réunion. J’ai décrit mon patron tel un Corporate Monster qui avale les vendeurs dans son sommeil. Qu’il fallait éviter le discours traditionnel des ventes et combien leur compagnie est merveilleuse. Je voulais une réunion qui nous montrerait le côté pratique des choses, c’est-à-dire, comment peuvent-ils dès lundi matin prendre cette conférence et la sauver du désastre, alors qu’il ne reste que deux mois avant qu’elle ne prenne place. Comment feront-ils, et peuvent-ils le faire, pour faire un cool ₤ 100,000 de profit sur cette conférence. Et pas de tataouinage, parce que mon patron n’a pas beaucoup de temps ou de patience. Bref, maintenant ils vont apporter leur Managing Directeur grand Vice-président pour toute l’Europe. Wow, me disais-je. Retournement soudain. Ils voient certes ce contrat comme quelque chose d’important, alors que pendant un instant je pensais qu’ils allaient dire à mon patron : vous êtes un compte insignifiant, on fait trente fois plus d’argent avec d’autres Blue Chip Companies qui sont suffisamment crétins pour nous lancer des millions à la tête pour organiser leurs campagnes publicitaires. Mais voilà qu’ils nous envoient leur Managing Director.

   Pour ajouter à l’enfer, et ce qui explique sa venue, c’est que Sherlock le connaît ! Dieu seul sait comment ces deux là se connaissent, mon patron semble avoir eu des réunions avec la planète entière. Alors soudainement il fallait avoir la salle de réunion York, qui est la plus luxueuse de tout le bâtiment, et j’ai également commandé du café, du thé et des biscuits (avec l’aide généreuse de Rachelle, je dois avouer). Et Dieu que ça a été difficile de sécuriser cette salle de réunion, car elle était déjà réservée à quelqu’un d’autre que j’ai dû contacter.

   Ainsi Sherlock veut faire bonne impression, et alors je fais du stress parce que ce sont eux qui devraient s’inquiéter avec l’idée de faire bonne impression. J’avais l’intention de prendre le contrôle de cette réunion, d’entrer dans les détails des coûts, mais plus maintenant. Ce sera une réunion entre grands patrons, et moi je suis l’exécutif de service, je vais me taire et observer le cirque. Je leur donne cinq minutes avant qu’ils ne commencent mutuellement à se lécher le derrière.

 

7 mars 2005

 

   Un autre retour au travail après un court week-end, je me demande quand ce sera le congé de pâques. Dans trois jours j’ai ma réunion avec mon patron pour figurer ce que j’ai fait depuis quelques mois, et je commence à avoir peur qu’il me dise que je n’ai produit qu’une seule conférence. Pourtant ce serait injuste si on considère tout ce que j’ai fait d’autres en parallèle, qui tient plus du consultant que du simple producteur. Je suis prêt pour lui, mais je vais tout de même me faire une liste de tout ce que j’ai fait depuis le début, afin d’être armé contre son attaque. Heureusement je n’ai pas cette réunion avec Rachelle, bien qu’elle se soit tout de même arrangée pour avoir une petite réunion éclair avec moi la journée même où elle rencontrait les brebis dont elle est responsable. Bref, elle n’avait que du positif à dire, je commence à m’inquiéter que Sherlock aura peut-être du négatif.

   Hier je contemplais envoyer mon CV à une compagnie qui disait avoir trouvé un de mes vieux CV sur un site quelconque. Une agence qui recherche des producteurs de conférences pour un salaire qui va jusqu’à ₤ 32,000 par année. Je me disais qu’avec une augmentation de salaire de 35 %, ce serait plus simple de payer mes dettes, même si c’était sans doute pour une compagnie commerciale dans la City. Avec un peu plus d’encadrement et des échéances précises, j’aurais certes déjà produit trois conférences à Parliament Square, au lieu de tout faire à part produire des conférences. Heureusement à la dernière minute j’ai vu que c’était pour des conférences légales, et plus spécifiquement pour une des compagnies de conférences que je connais déjà (et je sais qu’aucune d’elles ne valent la peine que je me déplace pour une autre entrevue).

   Tout ça cependant m’a fait comprendre que je pouvais laisser cet emploi, en autant que j’en trouvais un autre auparavant. Et je me sentais bien mal de me voir dans la position de devoir leur dire que je quitterais l’association. Sans doute parce que ça ne fait pas suffisamment longtemps que j’y suis, et que je n’ai pas encore tout à fait accompli ce que je devais faire, instaurer toutes les structures de leur nouveau département de conférences. Mais je pense que c’est surtout la peur de leur avouer une telle chose, leur sentiment que je les laisse tomber. Et l’humiliation après coup que je devrais subir pendant un mois à continuer à travailler avec eux. Bien que je pense encore être dans ma période où je peux les laisser tomber à une journée d’avis, ne l’oublions pas. Cette belle protection qu’ils se réservent pendant six mois, de pouvoir me jeter dehors n’importe quand, c’est à double tranchant. Et si des avocats sont suffisamment imbéciles pour avoir écrit de telles clauses, et que les employeurs sont assez fous pour les avoir acceptées, eh bien moi je vais les utiliser pour me libérer de cet univers fétide qui me fait débander. Pourtant, je ne me vois pas chercher de l’emploi de sitôt, je n’ai tout simplement pas le temps ou la motivation.

   Ce matin je m’en vais au travail à reculons, et je pense que le tout est dû au petit commentaire de Rachelle que nous devions chuchoter lorsque nous parlons au téléphone plutôt que de parler normalement. Je suis incapable de faire ça, et elle non plus, elle crie sans cesse. Cependant elle est directrice des opérations, et les directrices ont le droit de crier au téléphone, de faire des crises, de sauter partout dans le département, et de nous dire de nous la fermer. Donc maintenant je ne désire plus parler au téléphone et je vais faire mes appels lorsqu’elle sera en réunion.

Je donnerais n’importe quoi pour qu’une bonne nouvelle surgisse ce matin, n’importe quoi qui viendrait détruire cette routine qui tue. Quelque chose qui pourrait me motiver pour le reste de la journée, sinon le reste de la semaine. Ils n’ont pas besoin de se faire écraser par un autobus à deux étages pour me satisfaire, ils n’ont qu’à donner leur démission et à partir le plus rapidement possible.

 

8 mars 2005 

 

   Je pense être en panique absolue en ce moment à cause de ce que je suppose pourrait être appelé ma conscience professionnelle. Je veux commencer à travailler sur ces deux nouvelles conférences, mais chaque jour quelque chose m’en empêche, ou alors rien ne sort. Je veux au moins dire que j’ai trois conférences à mon actif, je veux commencer le processus, je veux en finir avec ces deux conférences encore non commencées. Aujourd’hui je vais y travailler comme un malade.

   Ce qui n’aide pas non plus c’est que Stephen pense encore avoir enfreint une de ces nombreuses infractions du code routier et que cette fois-ci il va perdre son permis de conduire et son emploi, pour avoir fait un U-Turn juste en face d’une caméra. Extraordinaire comment un U-Turn et passer en face de trois caméras à cinq mille à l’heure plus rapidement que la limite permise puisse nous faire perdre notre permis comme si nous étions des terroristes dangereux, et aussi notre emploi, et finalement notre appartement. Vraiment, ce qu’il nous faut dans cette société, c’est davantage de caméras partout, pour être certain que lorsque je jette mon chewing gum dans la rue ou mon bout de cigarette, j’aille en prison au plus vite. Dernièrement ils montraient à la télé la police donner des contraventions de ₤ 100 à qui jetaient des bouts de cigarettes sur le trottoir. Ce n’est pas tant que la société soit devenue Big Brother qui m’inquiète, mais plutôt toutes ces lois dérisoires qui passent au Parlement, et surtout, l’obsession compulsive avec laquelle les autorités tentent de faire des millions sur le dos de la population enragée, en tentant d’atteindre un niveau zéro de tolérance sur des chimères. S’ils avaient tenté d’enrayer le crime organisé avec autant de ferveur (mais ça, malheureusement, ça coûte de l’argent au lieu d’en rapporter), il n’y aurait plus de crime organisé.

   Mais de toutes ces histoires de caméra et Big Brother et d’aliénation, hier a battu tous les records à ce sujet. Je revenais dans le train de 17h22 de Waterloo jusqu’à Isleworth, lorsque j’ai malencontreusement placé mon manteau sur le banc à côté de moi pendant trois minutes, tout cela alors qu’il y avait autour de moi plusieurs bancs vides. Aussitôt que les voyageurs sont arrivés en trombe, j’ai tout de suite enlevé mon manteau. Et s’il y a un seul avantage à ces nouveaux trains qu’ils viennent de nous imposer, c’est que ça ne coûte rien de plus pour utiliser la première classe, et que personne ne le sait sauf quelques passagers éclairés. Ainsi avec un peu de chance il reste toujours un banc en première classe, et cela est fort important, parce que les bancs dans ce train sont trop petits pour une personne même très mince. C’est comme si les ingénieurs s’étaient dit : bon, une personne a besoin de 30 centimètres pour s’asseoir, donnons-leur 25 centimètres juste pour les voir souffrir un peu. Et alors un Directeur qui passait par là a dit : non, donnons leur 20 centimètres et ajoutons un banc de plus. Ce sera encore plus inconfortable comme ça, et en bonus ils ne pourront plus marcher dans les allées. Tout ça leur a semblé être la solution parfaite, des gens qui sont juste capables de penser en termes de statistiques, et non en termes de réalité. Je pense que s’ils avaient eu carte blanche à 100 %, ils auraient placé 5,000 chaises de Barbie de plus et auraient convaincu les autorités qu’ainsi 5,000 passagers de plus peuvent maintenant s’asseoir dans chaque train.

   Bref, l’imbécile qui s’occupe de fermer et ouvrir les portes du train a réussi à voir via la caméra au-dessus de moi, que mon manteau était sur mon banc pendant trois minutes. Cela semble l’avoir enragé. Alors pendant 50 minutes il a tout fait pour me tourmenter via le système de communication interne, aliénant ainsi les 1,000 passagers du train. Il criait à tue tête que les bancs n’étaient pas pour les bagages mais bien pour les personnes, et que la première classe était pour tout le monde sur ce trajet, et il invitait tout le monde à trouver cette première classe et à l’utiliser. À chaque station il répétait son discours de cinq minutes pour les nouveaux passagers. À travers tout ça il se devait encore de faire tous les autres messages habituels, et l’ordinateur aussi (car le tout doit être répété au moins quatre fois, comme je l’ai déjà mentionné). Ainsi pendant 50 minutes il était impossible de se concentrer, d’écrire ou de lire quoi que ce soit, nous ne pouvions qu’écouter cet ouvreur de portes enragé et cet ordinateur de bord nous raconter des conneries que tout le monde connaît déjà. Pour plus du trois quart du trajet je me suis bouché les oreilles tellement je n’en pouvais plus, c’est comme s’il nous tenait tous en otages, et tout cela était de ma faute.

Je n’étais pas de bonne humeur lorsque je suis arrivé à la maison, j’ai passé près de tout débâtir. Et je me suis dit, si ça ne m’a pas tout à fait convaincu de quitter mon emploi et de partir travailler ailleurs qu’au centre de n’importe grande ville de ce monde, rien ne me convaincra de le faire. Si je dois encore prendre un seul train, ou un seul autobus, ou surtout un métro, mieux vaut mourir.

 

9 mars 2005

 

   Ce matin je me suis levé et comme d’habitude je courrais partout dans l’appartement pour me préparer à partir. Je me suis souvenu qu’hier, toute la soirée, je courais partout pour faire le lavage, préparer mes vêtements et mes gadgets pour le lendemain, enregistrer quelques émissions à la télé, et finalement il y a une dizaine de choses que je devais faire et que je n’ai pas pu. Et alors que je courrais vers la station Isleworth ce matin, je me suis arrêté une demi-seconde pour observer que les fleurs étaient sorties dans les arbres, et les feuilles commençaient à sortir. Je l’avais constaté voilà quelques jours, mais je n’avais pas encore eu le temps de m’y arrêter ou d’y penser. Finalement j’ai compris que nous étions dans le mois de mars, et que dans une dizaine de jours ce serait le printemps.

   Ce qui m’a découragé le plus, a été de constater que je ne me gardais aucune minute pour réfléchir à l’existence, ou même réfléchir. Je ne fais que courir toute la journée pour attraper un train, pour ne pas être en retard au bureau ou pour arriver le plus vite possible à la maison. Le temps passe très vite, mais je ne le vois pas passer. Et je suis fatigué de courir ainsi, de ne pas avoir le temps de rien faire, de ne point voir ma vie passer. Non pas que je pense que cette vie vaille la peine d’être vécue, donnez-moi un cancer n’importe quand, cependant dans les conditions actuelles, la vie est devenue tout simplement intolérable.

   Je cumule les frustrations, les lamentations, le stress, la panique, et je sens que tout va bientôt sauter. Je me constate complètement impuissant pour changer ma vie du tout au tout, pour vivre une vie sereine loin des grandes villes, n’importe où à faire n’importe quoi. Et que ferais-je de mes dettes… qui font que mon salaire actuel est insuffisant, alors que c’est déjà impossible d’avoir un tel salaire même où j’habite, à peine à l’extérieur de Londres. Seul le centre de Londres offre de bons salaires, parce qu’ils savent que c’est un enfer de s’y rendre chaque jour et d’y vivre.

   Il y avait un temps où je me disais qu’un jour, écrire tous ces livres, me libérerait de cette vie infernale. Après avoir écrit plus de vingt-cinq livres, j’étais bien convaincu que quelque chose surviendrait. Six livres publiés plus tard, avec moins de 10,000 exemplaires vendus en tout, je comprends maintenant que l’écriture ne sera toujours qu’un passe-temps, et rien d’autre. On se demande comment quelqu’un arrive à le prendre au sérieux. Et l’instant d’un moment, j’ai écrit cinq ou six scénarios de films, et plusieurs idées de scénario. Et encore une fois je pensais que tout cela allait me libérer de mon enfer. Mais ça n’a pratiquement rien payé, et je ne vois pas non plus de porte de sortie à l’horizon.

C’est une chose d’avoir des rêves et de vivre dans l’espoir de les réaliser. C’est également merveilleux de croire l’instant d’un moment que nous en sommes à la réalisation de nos rêves et que nous sommes à deux doigts d’être heureux. Mais c’est affligeant de constater que ces rêves ne se réaliseront jamais et que nous en avons la preuve incontestable devant les yeux. Ou alors ils se réalisent et rien ne change ! Alors il faut accepter cette existence pourrie et médiocre, accepter notre misère et la souffrir. Et je suis incapable d’accepter ces choses.

Merde, quelle belle lettre de suicide cela ferait.

 

11 mars 2005

 

   Cette semaine, je ne suis pas très fier de moi. Je n’ai rien fait au travail, ni à la maison, bref, j’ai fait du remplissage toute la semaine. Je n’ai fait que tenter de remplir mon temps pour qu’il passe plus vite, mais je n’ai rien accompli de concret, ni sur mes conférences, ni sur mes scénarios de film. J’ai travaillé très fort à trouver les moyens de ne pas faire ce que je devais faire, bien que j’aie tenté d’y travailler, mais personne au travail ne voulait m’aider et finalement ça m’a découragé. Ma première conférence s’en va chez le diable, d’un côté le département du design n’y travaille pas, de l’autre mon patron est incapable de rencontrer au moins une autre compagnie de logistique en conférences pour enfin prendre sa décision à propos de qui va s’occuper de cet événement, et en plus, je ne parle pas de la mise en place de toutes les structures nécessaires comme le marketing, ventes, publicitaires et puis quoi encore. C’est clair que si cette conférence a lieu en juin comme prévu, ce sera un flop monumental. D’un autre côté le directeur ne veut pas changer la date au mois de septembre parce qu’il a une autre conférence en tête qu’il veut que je fasse, et il la veut pour le mois de septembre également. En tout cas Master Bitch n’était pas là de toute la semaine, ce qui a facilité mon inaction absolue.

Je n’oublie certes pas mon ambition dans tout cela, je suis demeuré debout hier jusqu’à 1h30 du matin pour trouver le moyen pour mon patron de synchroniser ses e-mails de son ordinateur principal à son Compaq iPaq Pocket PC, un gadget vieux de 5 ans mais que j’utilise encore tous les jours (nous en avons tous un au travail, mais bien sûr le mien je l’ai acheté moi-même voilà des années). Bref, je n’avais jamais synchronisé mes e-mails là-dessus, et en plus je n’avais pas compris d’abord qu’il tentait de synchroniser des sous-dossiers. Je lui ai envoyé un e-mail à partir de la maison à une heure du matin. Lui régler un problème sur lequel il a fucké pendant trois jours, et dont aucun membre du département informatique n’a su l’aider. J’espère juste qu’il n’a pas trouvé la solution par lui-même depuis hier, c’était simple comme problème, que ça m’a pris moins de cinq minutes pour trouver la solution, et personne d’autre dans les forums sur le site de HP ne s’est lamenté sur ce problème. J’en conclue que tout le monde est suffisamment intelligent pour savoir synchroniser ses e-mails avec son Pocket PC, mais personne dans toute mon organisation n’avait cette capacité de cliquer sur trois boutons pour se rendre aux fonctions appropriés. Travailler à Westminster, intelligence non requise, c’est le cas de le dire.

Je n’ai pas eu ma réunion d’évaluation de mon premier six mois, finalement. Cela a été déplacé de deux semaines. Heureusement, en deux semaines j’aurai eu le temps de développer deux programmes de conférence et sans doute ma première conférence sera en pleine campagne de marketing. Cela paraîtra mieux. Hier, avant le fameux 14h, j’ai passé mon temps à écrire tout ce que j’avais fait depuis le 20 octobre dernier, pour justement être capable de justifier clairement que malgré les apparences, je n’ai pas perdu mon temps. Oh, c’était convainquant en plus, une longue liste de tous les rapports, projets, études de marchés et manuels que j’ai écrits depuis que j’ai commencé à travailler au Parliament Square. Et certes, je vais utiliser cette liste dans deux semaines à ma réunion. Mais il faut savoir tout remettre en son contexte. Plusieurs de ces projets ne m’ont pris que quelques heures à écrire, mais moi je brandis tout ça comme s’il s’agissait d’une œuvre miraculeuse que seul un travailleur miracle aurait pu accomplir. Tout cela, bien entendu, pour leur faire oublier que je n’ai fait qu’une conférence en cinq mois. Et malgré que Sherlock soit tout de même d’une intelligence supérieure aux autres, je pense que j’aurai tout de même réussi à le manipuler à ce niveau. C’est ce doute qui me tuait hier, jusqu’à quel point saurait-il voir dans mes combines et mes mensonges ? Il n’est peut-être pas si imbécile qu’on le pense. Mais il paraît peut-être intelligent seulement parce que tous les autres autour de lui sont d’une nullité assez extraordinaire, et n’ont absolument aucune intelligence, et certes, aucune capacité de travail. Par contraste il doit bien voir que je suis un travailleur exceptionnel, bien que je ne fous rien. C’est que je travaille très fort à lui prouver que je suis cet employé essentiel, et que finalement je passe plus de temps à lui écrire des rapports détaillés et à l’aider quand son Pocket PC a des problèmes, que de travailler sur mes conférences. Ça s’appelle « sucking to the boss on a massive scale » ou « lécher le cul du patron sur une échelle astronomique ». Et j’espère que ça va porter fruit, sinon, quelle perte de temps.

Je me demande comment toute cette histoire va se terminer. J’estime avoir déjà 140 pages écrites. Encore quelques semaines et j’en aurai un livre complet, et écrire davantage ne serait que me répéter. J’aurai également terminé mon livre de poésie en anglais relié à cet emploi, et en fait, celui-là peut déjà être terminé car je puis prendre d’autres poèmes ailleurs pour en faire un livre, ou le fusionner avec mon dernier livre de poésie. Et par expérience je sais que lorsque je n’ai plus rien à dire sur ce qui se passe dans ma vie, ordinairement un changement radical survient. Mais quel changement pourrait survenir ?

 

11 mars 2005

 

Nous sommes Vendredi après-midi, c’est assez tranquille au bureau. Mes patrons travaillent à la maison (Sherlock) ou sont malades ou sont en voyage d’affaires au Pays de Galle (Rachelle). Comme chaque vendredi, mon étage est vide, sauf mes collègues immédiats qui, eux, sont bien trop parfaits pour manquer une heure de travail. Cette perfection leur permet ensuite de calculer le nombre de secondes où je vais en période de lunch, pour rapporter ensuite à mes patrons que je suis parti 20 secondes de plus que j’aurais dû. À la longue, par leur mesquinerie, ils deviennent plus fatigants qu’un patron qui a décidé de se débloquer les sinus à nous crier après. Je n’ai envie de rien faire aujourd’hui, comme je disais ce matin, et je tiens bon, je n’ai rien fait de la journée.

Ce matin j’ai perdu mon temps à couper en six fichiers mon fichier d’e-mails, que je me suis ensuite envoyé à la maison. Ils ont tous rebondis et donc finalement j’ai perdu un avant-midi complet. Bref, j’ai tout de même appris qu’un e-mail de plus de 2 MB est impossible à envoyer ou à recevoir à partir du bureau. Assez surprenant lorsque l’on se rend compte que 2 MB est assez facile à sauter, et qu’aucune présentation PowerPoint de conférence est plus petite que 2 MB. Mais ce n’est pas la première compagnie pour laquelle je travaille qui a ce problème technique.

Dieu qu’ils sont silencieux aujourd’hui, on vient déjà de me reprocher de trop parler, je pense que tout le monde sait maintenant que j’ai décidé que je ne ferais rien de la journée. Le pire est qu’à écrire ainsi mon livre au bureau, je tape très rapidement et ils s’imaginent alors que je travaille très fort. Écrire un livre, ce n’est pas travailler, sinon ça paierait quelque chose. Écrire un livre, c’est perdre son temps.

   Je me suis rendu compte aujourd’hui, disons que je le savais, mais c’est la première fois que j’en ai la preuve, bref, je me suis rendu compte aujourd’hui que tous les sites que je visite se retrouve dans mon historique sur l’ordinateur. Ce que je ne savais pas est qu’ils ont également un historique complet de tous les fichiers que j’ouvre et combien de temps j’ai passé sur chaque fichier. Ainsi c’est assez dangereux quand je lis mes Sherlock Holmes au bureau. En plus, lorsque j’efface mes fichiers, ils se retrouvent tous dans cet historique. Pourtant lorsque l’on efface un fichier par erreur, le département d’informatique nous fait toute une histoire à propos qu’ils ne pourront peut-être pas retrouver ces fichiers, ou que c’est très compliqué, et alors ça va leur prendre quelques semaines avant de nous trouver ce fichier. Ou bien ils mentent et ils savent que ces fichiers se retrouvent dans notre historique, ou alors ils sont paresseux et, en effet, ils vont chercher ces fichiers sur les copies du réseau.

   Je viens de parler avec mon Américain d’Alabama, je l’ai appelé George, puisqu’il est un grand admirateur de George Bush. Il me dit croire en Dieu et d’aller à l’Église catholique assez souvent, bien qu’il soit protestant. C’est que sa femme d’Ealing est catholique. Ils habitent Guildford, le coin le plus reculé possible, afin que pour le moins d’argent possible, ils puissent tout de même avoir une petite maison et un jardin de la grandeur de ma Renault 5. Il me confirme qu’en Georgie ils avaient une gigantesque maison, 3 acres de terrain, deux belles voitures et suffisamment d’argent pour économiser en plus. Depuis qu’ils sont en Angleterre, il se fait des sandwichs le midi et évite de manger au restaurant ou au café de l’association, ou ailleurs. Ainsi ils sont maintenant très pauvres. Il refuse de me dire son âge, je lui donne environ 50 ans. En plus il ressemble beaucoup à mon père. Mais bon, ça ne change pas grand-chose qu’il ressemble à mon père ou non. Peut-être qu’il m’est alors plus sympathique.

   Je me suis aventuré pour lui demander s’il en était à sa deuxième femme, et il m’a dit oui. Lorsque je lui ai demandé si sa première femme venait de la Georgie, il m’a répondu qu’elle venait des enfers. Il m’a affirmé qu’elle a changé avec le temps et qu’elle s’est transformée en bitch. Quelle surprise ! Lorsque je lui ai demandé si sa deuxième femme s’était elle aussi transformée en monstre, il m’a répondu par l’affirmative, et ce, juste après le mariage.

   Alors je pensais qu’il s’agissait de blagues de vendeurs, et que peut-être qu’il ne pensait pas nécessairement ce qu’il disait, mais il m’a confirmé qu’il le croyait sincèrement. Well, ça confirme certainement que les femmes que ces hétéros marient ne demeurent pas sereines et gentilles très longtemps, et que le mariage semble enfin les libérer contre leurs caprices et leurs lamentations qu’elles gardaient à l’intérieur, de peur de faire fuir leur futur mari.

Les femmes sont tellement obsédées à l’idée de ne pas mourir seules ou « spinsters », l’idée du mariage est tant ancrée en elles, qu’elles ne semblent pas tellement se soucier du qui elles vont marier, en autant qu’elles se marient. C’est après cette étape enfin accomplie qu’elles comprennent leur erreur. Que tous les hommes sont des salauds, et que seuls les gais valent vraiment la peine d’être mariés. Puisque d’une manière ou d’une autre, le sexe devient vite secondaire après le mariage, et un gai au moins demeure romantique jusqu’à la fin des temps.

Il faut bien sûr que ces femmes sachent d’abord qu’elles marient un gai, et sachent à quoi s’attendre, sinon, oh quel enfer, il leur faudra un psychologue jusqu’à la fin des temps. Marier un gai dans le placard, c’est le désastre, parce que lui-même ne sait pas ce qu’il fait. Qu’avons-nous à faire des hommes, ces incapables qui ne comprennent jamais rien ? Après ça, vaut mieux virer lesbienne !

Cependant je n’ai pas l’autre côté de la médaille, je n’ai pas parlé avec ses deux femmes pour savoir si peut-être il est lui-même devenu un maniaque de la propreté une fois marié, ou alors un porc qui ne pense qu’à sa bière dans les pubs après le travail.

 

14 mars 2005

 

   C’est encore lundi matin, et le seul avantage est que les directeurs seront dans leur réunion jusqu'à 10h. Hier j’étais encore en crise existentielle, bien que je n’aie pas trop eu le temps d’y réfléchir, puisque je travaillais comme un malade pour cette compagnie française d’animation 3D. J’ignore comment j’ai fait mon compte, mais je fais maintenant partie de cette nouvelle compagnie, et je me retrouve à travailler sur leurs projets comme un malade, sans être payé, et sans pouvoir leur garantir avoir le temps d’y travailler.

Vendredi et samedi j’étais déjà en crise existentielle à propos que je devais écrire les idées de scénario de deux films, et je me demandais comment je trouverais le temps. Finalement j’ai plutôt travaillé tout le week-end à retravailler la réponse à un investisseur potentiel de Dubaï, et à négocier avec un Américain de la Georgie ( ! ) que 3,000 dollars ne suffisaient pas à produire 18 films d’animation, et à écrire la présentation de la nouvelle compagnie.

J’étais tellement fatigué hier que je ne pensais pas que j’allais pouvoir me lever ce matin pour aller à Westminster. J’ai besoin de quatre jours de congé, mais pâques n’est que dans deux semaines. En plus, c’est tellement difficile de plaire au responsable de cette boîte, je peux me défoncer, et après on se rend compte qu’il me faut tout recommencer. J’ai l’impression d’avoir déjà beaucoup travaillé pour eux, mais que le tout était tout à fait inutile. Je pourrais me retourner et lui dire maintenant qu’il me sera impossible d’écrire ces scénarios, qu’il me sera impossible d’écrire tous les e-mails aux investisseurs potentiels, et traduire à peu près tout du français à l’anglais. Impossible tant que je travaille à plein temps à Londres dans les conférences. Mais ce week-end je me suis enfoncé davantage. Maintenant mon nom est sur leur site, j’ai mon e-mail personnalisé au nom de leur organisation. Je suis en pleine négociations d’affaires avec Dubaï et la Georgie. J’en suis à écrire leur paperasse promotionnelle et à écrire des idées qui n’iront sans doute nulle part. En plus, je suis en panique absolue de devoir les laisser tomber, car je pense avoir le droit à au moins une heure par semaine à pouvoir respirer, ou rien faire, ou regarder le plafond. Je le fais parce que j’aime bien le faire, parce que c’est ce que j’aimerais faire si je ne travaillais pas dans les conférences, que mon anglais me donne un avantage immense, et aussi parce que si leur compagnie décolle, peut-être m’engageront-ils à temps plein. Il m’a déjà garantie 10 % de tous les contrats, peu importe si je travaillerai dessus ou non. En tout cas, j’espère juste que j’aurai la chance de faire tout ce travail sans aliéner Stephen, et sans que cela me rende malade. Éventuellement d’avoir une équipe d’animateurs 3D me sera peut-être bénéfique. Ils dessineront peut-être mes idées, et alors je serai libre d’écrire ce que je veux, puisque dessiner quelque chose plutôt que de devoir le construire est certes un grand avantage. Pas d’acteurs, pas de budget immonde, pas de sets, bref un paradis. Oh, que j’aimerais connaître l’avenir et savoir où je m’en vais. Prenons le tout au jour le jour, c’est tout ce que je puis dire.

Je viens de me faire bouffer le cerveau par une énervante au bureau de qui je dépends pour enfin commencer à travailler sur ma prochaine conférence. Elle est toute stressée et condescendante, en plus elle se trouve des raisons ridicules pour ne pas m’aider avec cette conférence. Quand on pense en plus que je ne demande que dix minutes de son temps. Elle est maintenant une manager, mais agit encore comme une exécutive.

Les exécutifs ne font rien, prétendre ne rien savoir, et nous radotent des conneries évidentes sur le pourquoi ils ne doivent rien faire. Quand on trouve facilement les détours à prendre pour qu’il se mettent au travail, ils se retournent surpris et inventent de nouvelles raisons. Lorsqu’ils n’ont plus d’idées (un mois plus tard), alors ils se mettent au travail, et ce travail est inutile car je ne pourrai pas m’en servir de toute manière. Ils feront tout pour que ce qu’ils nous donneront soit d’une qualité si médiocre, qu’on ne leur demandera plus jamais rien dans l’avenir.

Où je travaille au centre de Londres, au parlement, c’est rempli de cette sorte de mentalité. Par exemple, dans le bureau qui s’occupe des conférences pour l’Écosse et le Pays de Galle, une grosse gnochonne travaille juste à l’entrée du bureau en face de la cuisine. Ainsi, chaque fois que l’on passe on peut voir son gros cul, et surtout, son écran d’ordinateur. Eh bien, je ne l’ai jamais vue travailler, et je l’ai toujours vu surfer sur le net sur des sites qui n’avaient aucun rapport avec son boulot. On se demande ce qu’elle peut bien ainsi chercher sur le net toute la journée, et durant toute l’année, juste pour faire passer le temps au travail. Je reviens de la cuisine, je viens de la voir encore à ne rien faire, à parler à tout le monde. Ok, parfois je prends une journée de congé, alors même que je suis au travail, mais elle, c’est tous les jours de l’année. Et je n’arrive pas à comprendre comment elle réussit son tour de force, à moins d’avoir l’accord de sa patronne immédiate qui est assise juste à côté d’elle.

   Je n’ai pas encore parlé de ceci, mais ça fait longtemps que je désirais le mentionner. Ou peut-être en ai-je déjà parlé. J’ai déjà dû en parler, alors je n’en parlerai pas. Enfin, lorsque je suis arrivé en Angleterre voilà dix ans, je travaillais à l’aéroport d’Heathrow dans un WHSmith, qui est comme de travailler chez McDonald’s. Je restais assis toute la journée à ma caisse à regarder les hommes d’affaires et les touristes passer, pendant que je pitonnais sur la caisse enregistreuse tout ce qu’ils achetaient. J’étais heureux alors, malgré tout ce que j’ai écrit de négatif à ce sujet à l’époque. C’est que j’ignorais que plus je monterais les échelons de la vie sociale londonienne, plus infernal cela deviendrait. Maintenant que j’ai comme atteint le sommet (bien sûr, en termes relatifs). Je vois chaque matin ce « cute » petit Indien qui travaille dans le WHSmith à Westminster. Et comme je l’ai déjà mentionné, il ne parle pas l’anglais très bien (vient-il juste de débarquer des Indes, comme je venais juste de débarquer du Canada à l’époque ?). Et ça me rappelle des souvenirs. Je me demande où il sera dans dix ans celui-là, et comme il va souffrir de discrimination, il en sera peut-être au même point. Tant mieux pour lui.

   J’ai du travail aujourd’hui, beaucoup de travail, je dois m’y mettre. C’est pas aussi pire que je pensais que ce serait. Je pense que c’est plus difficile lorsque l’on n’a rien à faire et que l’on doive prétendre travailler très fort. Ces derniers temps, j’attendais après les directeurs pour commencer à travailler, mais je me rends compte maintenant qu’ils sont aussi ignorants que moi, et alors, je ne dois pas attendre après eux. Je dois inventer, à partir de rien, je suis en monde connu. Je dois me mettre au travail, et tout faire, et trouver par moi-même. C’est la conclusion à laquelle j’en suis venu ce matin, et c’est ce que je vais faire. Alors j’ai beaucoup de pain sur la planche.

   Quand je suis parti à 16h57 du travail, mon patron est sorti de son bureau et a regardé sa montre pour me signifier que je partais 3 minutes avant l’heure. Et ça m’a fait chier. Tant d’enfantillages, je ne jouerai pas son jeu. Je m’en fous. De toute manière, j’ai maintenant une nouvelle raison de m’inquiéter qui rend tout le reste fort futile. J’ai enfin attrapé une maladie bizarre que personne ne semble avoir. Mon docteur lui-même ignorait ce dont il s’agissait, et pense qu’il s’agit d’une erreur. Jeudi je dois donc me rendre chez le docteur une nouvelle fois, et ensuite rencontrer mon docteur, en plus de mon avant-midi chez l’autre institution à propos de mon asthme et mes poumons. Je vais être obligé de prendre une journée de congé pour tous ces rendez-vous, parce que je n’ai pas du tout l’intention de faire une journée d’heure supplémentaire pour satisfaire Master Bitch. Tout le monde dans la compagnie a été fort surpris d’apprendre que j’ai dû travailler une heure trente d’heures supplémentaires parce que je suis arrivé une heure trente en retard la semaine dernière pour cette prise de sang. Ainsi, Rachelle fait de la discrimination. Seul moi doit faire du supplémentaire, parce qu’elle ne m’aime pas du tout. Alors je vais lui rendre la vie difficile demain, je vais lui demander exactement ce qu’est la politique de l’organisation à propos des rendez-vous chez le médecin, et si tout le monde doit bien refaire les heures supplémentaires, car beaucoup étaient fort surpris de cette politique. Et alors je vais la regarder pédaler dans le vide pour s’expliquer là-dessus. Bitch.

   Bref, j’ai appris que le taux de mes « platelets » est deux fois plus élevé que la normale. Mon docteur m’annonçait ça comme s’il m’annonçait que j’avais le cancer. Cependant, lorsque je lui ai demandé ce que cela signifiait, il m’a dit que personne ne le savait dans l’établissement médical où il travaille. Bien, quelle compétence ! Il me semble que si je devais téléphoner un de mes patients pour lui annoncer sa maladie, je prendrais le temps d’apprendre ce qu’est cette maladie, surtout si je prenais un air mortuaire comme il a fait.

Ainsi j’ai passé à travers plusieurs sites Internet pour apprendre ce qu’était une « platelet », ce que ça mange en hiver, et si je peux en mourir, et quand. Après une heure trente de lecture, je n’en sais toujours pas plus. Il me semble très peu probable que j’en meurs, et ce serait bien surprenant que ce soit sérieux, bien que le plus sérieux serait la leucémie. Ça pourrait également être une maladie qui concerne les os, et je dois avouer qu’en ce moment mes genoux me font mal, et je me trouvais bien jeune pour avoir des rhumatismes. Il est très peu probable que ce soit le VIH, parce qu’alors ce serait le contraire, mon taux de « platelets » serait très bas. Tant mieux, quand on est gai, mourir du sida manque d’originalité. Mourir d’un surplus de « platelets » est bien plus mystérieux. Je pourrais avoir le cancer, c’est une possibilité.

Le tout peut être relié au fait que je fume comme un trou et que je fais de l’asthme. Apparemment les stéroïdes peuvent te donner un surplus de « platelets », et ça on m’en a donné beaucoup à l’hôpital voilà 3 mois. Ainsi il est fort possible qu’à me bourrer de médicaments pour une simple grippe, ils m’aient donné une autre condition médicale sérieuse. Je suis prêt à les poursuivre en justice, car à mon avis ils le méritent certes. Ils ne semblent pas avoir réfléchi beaucoup à ma condition avant de me prescrire une pharmacie complète. Plus je dois faire affaire avec les docteurs et les hôpitaux, plus je me rends compte qu’ils en sont encore à l’âge des cavernes, et qu’ils ne sont pas mieux que les docteurs du temps de Molière.

   Et ça ne semble pas avoir évolué non plus du côté des employeurs, je devrais me lancer dans les calculs pour être certain que je ne travaille pas une minute de moins que ce qui est requis par mon contrat. Ainsi je vais prendre une journée de congé, et m’assurer également que je ne travaillerai pas une minute de plus. Je ne suis pas tellement heureux de cette existence de toute manière, j’espère que l’on me trouvera un cancer, mais j’espère que je vais en mourir vite. Car je n’ai pas le temps d’attendre et de me morfondre pendant 10 à 20 ans, je veux en finir rapidement. Peut-être devrais-je refuser les soins médicaux ? Quelle solution radicale, qui me semble être la seule solution à mon incapacité de quitter cet emploi et de déménager en banlieue, hors de toute existence. Mais j’ai trop de dettes, et je ne pourrai pas payer pour ma survie. Il ne me reste donc que les solutions radicales.

 

15 mars 2005

 

   Je suis au bureau. Je ne sais pas trop pourquoi, mais on dirait que je suis incapable de demeurer en place. J’ai envie de sauter dans les airs, parler toute la journée, tout sauf me mettre à travailler. Voilà pourquoi j’écris, c’est la seule façon de prétendre travailler. J’avance dans mes projets pourtant, même si je n’y mets pas 100 % de mon énergie.

Je dois avouer que c’est la faute à Rachelle. Elle a trouvé le moyen (merde, je savais qu’elle était une grosse fainéante, mais à ce point !), d’être malade à cause de son dos depuis déjà une semaine, et on m’a dit qu’elle ne revenait pas cette semaine non plus. À mon avis elle doit être en train d’enregistrer son nouveau disque dans un studio quelconque, quoi d’autre pourrait prendre deux semaines, et avec un peu de chance, trois ? Certainement pas son dos.

Je viens de proposer de lui envoyer des fleurs, avec un grand sourire sarcastique que personne n’a semblé remarqué. L’ironie demeurera toujours incomprise. Bref, tout le monde est tellement convaincu qu’elle prétend avoir mal au dos, que personne ne veut lui envoyer de fleurs. N’est-ce pas merveilleux ? Je pense que bientôt elle ne travaillera plus ici. Enfin, j’espère que bientôt elle ne travaillera plus ici. Cependant, je dois avouer que si elle ne revient pas, il me sera bien difficile de produire une autre conférence dans les trois prochaines années, je trouverai sans doute le moyen de perdre mon temps comme ça n’a jamais été vu !

Je devrais cependant faire attention, je ne suis pas encore permanent. De toute manière, avec Sherlock de l’autre côté de son bocal à poisson, avec vue sur mon ordinateur, je doute que je pourrais perdre mon temps. Je suppose que la nouveauté de ne pas toujours avoir mes deux patrons autour de moi finira par passer, et alors je me remettrai au travail. Le plus tôt possible j’espère. Quoi que je doive maintenant aller en lunch.

   Je suis dans un état bizarre. En fait, je ne suis pas dans mon assiette. Je me meurs de chaleur, alors que ces femmes sont toutes en train de mourir de froid. En plus, j’ai l’impression d’être complètement saoul, alors que c’est bien certain que je ne le suis pas. À moins que mon taux élevé de plaquettes ait su garder mes deux bières d’hier soir dans mon sang, pour miraculeusement me faire agir comme un malade mental ce matin au travail.

Je vais aller en pause rapidement, avant que je n’affole tout le département. Je me sens comme une petite bombe sous pression prête à sauter et réveiller les 6 étages endormies de l’association. Ils n’auront jamais vu ça. Vite, déguerpissons.

   Enfin, je ne puis tout de même pas aller en pause à midi exactement. Je vais attendre un peu plus longtemps. Et continuer à radoter ici. Hier une autre Américaine a commencé au travail. Elle vient d’Houston au Texas. Cette fois ça n’a pas semblé déplacé lorsque je lui ai demandé si elle aimait George Bush. Elle s’est élancé vers George, l’autre Américain de la Georgie, presque en pâmoison à l’idée de reconnaître un compatriote, et lui a dit à moins de cinq centimètres du visage : je l’ai rencontré, mais je déteste George Bush. Il en fallait de peu qu’elle ajoute : et je ne crois pas en Dieu, c’est la plus grosse hypocrisie du siècle !

Alors que George hier nous annonçait que c’était bien de sauver l’énergie de la planète, en permettant à Dieu de sécher notre linge dehors plutôt que d’utiliser une sécheuse (bien qu’il ait ajouté peu après, qu’aussitôt que sa femme l’a emmené une fois dans une Launderette, ça a été le jour où il a acheté une sécheuse à linge).

Bref, il n’était pas impressionné par elle, et c’est avec embarras qu’il lui a dit bienvenue. Alors qu’elle semblait déjà être en amour et ne voulait plus quitter les lieux. Elle doit s’ennuyer d’Houston pour vrai !

 

16 mars 2005

 

   N’est-il pas extraordinaire qu’aussitôt que l’on réussit à se débarrasser d’une Master Bitch, bien que celle-ci sans doute reviendra, une autre dans la foule se lève avec force et puissance, balaye tous les petits mécréants sur son passage, et vient se lever toute haute contre notre petite personne, pour remplacer la dernière ? Même pas une semaine de répit, enfin oui, une seule semaine.

   Donc, ce n’est pas une, mais deux bitches qui viennent de se réveiller soudainement. Et le pire est que d’habitude elles sont toutes les deux d’ordinaire très gentilles. Mais voilà, l’une d’elle a dû aller à plusieurs réunions dernièrement, un peu trop en fait, partout en Angleterre, et surtout les week-ends. Alors maintenant elle est devenue un monstre, et elle a contaminé son assistante, une exécutive. Elle, qui d’habitude ne foutait rien, ne venant que trois jours par semaine à cause de ses enfants, la voilà maintenant qui a dû travailler des heures normales. La transfiguration digne du Christ s’est produite pratiquement instantanément. Elle n’est plus parlable, elle est frustrée ben noire, elle nous crie après, elle ne veut plus aider personne. Et malheureusement, je dois transiger avec elle tous les jours, car je produis une conférence pour eux. Heureusement, je sais que ce sera la dernière, car je vais certes éviter ce département à l’avenir.

Et son assistante, qui elle aussi d’habitude ne fout rien, vient juste de revenir d’un congé maladie d’un mois. Il doit y avoir de la tension entre ces deux femmes en ce moment, car bien que d’ordinaire toujours gentille, timide et refermée sur elle-même comme une huître, hier cette femme malade et ratatinée, me criait après sans raison. Inutile de dire que j’ai perdu foi en la race humaine. J’ignore comment va se terminer cette conférence, mais je ne les contacterai plus une seule fois. Je vais tout finir tout seul dans mon coin. Cette conférence aurait dû durer deux jours, mais maintenant ce sera une journée. Je tente de confirmer la ministre, et pfuit, je passe à autre chose.

   Et hier ça a été du sport. J’ai tenté de confirmer six dates pour mes conférences pour l’automne, ainsi je serai certain d’avoir le Lecture Hall pour mes conférences. Mais voilà, pour confirmer six dates, il me faut six formulaires IB. Ne me demandez pas ce que c’est, mais je sais qu’il me fallait aller les mendier à toutes les misérables exécutives de chaque faculté, et comme ces formulaires signifient que de l’argent va sortir de leur budget, vous imaginez comment elles gardent ces petites feuilles comme s’il s’agissait d’une liasse de millions de livres. Quand je pense en plus que ces formulaires pour moi sont la seule façon possible de réserver le Lecture Hall !

C’est d’ailleurs pourquoi Miss Timide s’est transformée en Master Bitch l’instant d’un moment, hier. Elle criait que ma conférence n’avait rien à voir avec son département. C’est à ce moment qu’elle a décidé qu’il serait bien de devenir une bombe nucléaire et d’exploser, comme ça, juste pour le fun. Et puis tout à coup je lui ai montré le brouillon de ma conférence actuelle, le titre à lui seul indiquait qu’elle avait tort, et qu’elle venait de me lancer une bombe H au visage que plus rien ne pouvait maintenant arrêter. Alors elle a comme implosé à l’intérieur, et maintenant je pense bien qu’elle doit se sentir coupable. Sinon, merde, ça va être difficile de finir cette conférence !

   Hier j’étais tellement sur l’adrénaline, je suis speedé au maximum, et ce depuis plusieurs jours, sinon mois. Pas pour rien que mes plaquettes se multiplient comme des folles, elles doivent avoir l’impression qu’une crise cardiaque est imminente. Il doit y avoir une Master Bitch à travers ces milliards de plaquettes, pauvres elles.

   Bref, je ne dors plus, je bouffe comme un malade, je suis dans un état de panique permanent, je cours sans cesse sans trop savoir où je vais, finalement je pense que ma vie n’a jamais été aussi stressante. C’est que le soir, et tous les week-ends, ça continue, je travaille pour cette compagnie française. Tant de travail depuis la semaine dernière, pour produire la présentation et écrire à cet Américain pour qu’il signe le contrat, pour deux fois plus d’argent qu’initialement. On m’a dit que j’en recevrais 10 %, et si c’est le cas tant mieux. Mais pour l’instant, je ne puis voir que la fatigue généralisée où ce régime m’a mené. Cependant je dois m’accrocher, car cela pourrait être mon prochain emploi à temps plein, et un emploi que j’adorerais faire, car il implique l’écriture de scénarios avec une équipe qui adore la science fiction. Il faut que je continue, ça devrait être ma priorité. C’est peut-être ma seule porte de sortie.

 

17 mars 2005

 

   J’ignore pourquoi, mais aujourd’hui le mois de mars a tenté de reprendre le dessus, et tous les événements, petits ou grands, qui avaient la chance de mal tourner, ont mal tourné.

Je devais tenter d’arriver au bureau à 10h, et finalement je suis arrivé à 10h45. C’est à cause de mon deuxième test à propos des plaquettes dans le sang, et la femme me disait que sans doute tout cela aurait disparu. Peut-être qu’elle n’y connaît rien, ou alors finalement je ne mourrai pas de sitôt. Cependant, il y a encore une chance, ce rendez-vous du 4 avril pour mes poumons. Je découvrirai peut-être que j’ai un cancer généralisé, et que je n’en ai que pour six mois à vivre. Pour l’instant un taux élevé de plaquettes ne fait que m’obliger à prendre des médicaments, tous les jours, jusqu’à ce que ça redescende. Une farce.

 

21 mars 2005

 

   Nous sommes lundi encore une fois, le 21 mars, le printemps. J’ai un mal de tête terrible, je ne me sens plus tellement comme un être vivant. Heureusement cette semaine et la semaine prochaine, si tout va bien, je n’aurai que trois jours de travail à faire : congé de Pâques. Nous irons en France, en Bretagne, et je m’accroche à cette idée comme s’il s’agissait de ma dernière bouffée d’air frais avant de retourner à Westminster pour plusieurs mois sans voir la vie passer.

   C’est drôle comment deux jours de congé, où l’on s’est bien reposé, ne nous motive pas à retourner au travail. Tandis que des week-ends comme ce dernier, où je n’ai pas arrêté de travailler, est moins dérangeant. C’est n’est alors pas un retour au travail le lundi matin, mais plutôt la continuation du travail jusqu’à ce que mort s’ensuive. J’ai travaillé tout le week-end, sauf hier où nous avons bu trois bouteilles de vin chez une amie à Enfield, que je n’avais plus revue depuis un an.

Vendredi soir j’ai bu comme un défoncé avec mes collègues. Le Butler du grand Chairman quittait la compagnie, et les filles autour de moi au travail ont réussi à nous convaincre (moi et l’Américain) de venir au moins prendre un verre. Après un verre, inutile de vouloir partir, elles m’enchaînent pratiquement et je ne puis plus partir. Résultat : j’ai dû insulter bien du monde sans que je ne le sache encore, ce sera ma petite surprise du lundi matin, d’apprendre les conneries que j’ai faites et dites.

J’ai tellement bu que je suis tombé endormi dans le train. Lorsque Stephen m’a téléphoné pour me réveiller, pour mon malheur, j’étais à ma station, mais la porte était en train de se refermer. Vous auriez pu croire qu’une seule station, entre Isleworth et Hounslow, n’était pas suffisante pour laisser la chance à quelqu’un comme moi de me transformer en monstre, mais c’est tout ce dont il a fallu.

Premièrement j’ai insulté Stephen de vive voix dans le train devant tout le monde, j’ai également insulté tout le monde en criant qu’Hounslow c’était un trou, et que je ne voulais pas débarquer là, etc. Ensuite m’est venue l’idée de vomir, alors je me suis levé pour aller aux toilettes, une minute avant l’arrivée à Hounslow. Eh bien, les toilettes étaient brisées, et alors je suis tombé par terre dans la porte du train, j’ai vomi partout dans le train devant tout le monde, et finalement la porte s’est ouverte. On parle de mauvais timing dans cette existence, ce soir-là c’était pratiquement fait exprès pour me mettre dans une rage hors du commun.

Et enragé, je l’étais. Je frappais tout ce que je voyais avec mon sac, je criais comme un pestiféré dans les rues d’Hounslow, je me souviens même d’avoir fait déguerpir un trottoir complet de personnes en gueulant : Move Away ! (Tassez-vous !). Aujourd’hui je suis fort surpris qu’aucun d’eux ne m’ait frappé au visage, mais j’étais prêt à me battre avec n’importe qui, et je puis vous assurer que j’étais dans une telle rage que je l’aurais tué.

Certes ma vie plate à Westminster n’aurait plus existée, et alors là, Dieu seul sait si ça aurait été mieux ou non. Me vient alors l’idée, pendant les trois milles que je marche pour retourner à Isleworth, de commander de la bouffe indienne au restaurant du coin. J’avais du vomi partout sur mes pantalons alors que j’attendais dans le restaurant plein à craquer. Ils ont dû voir que j’étais complètement saoul, que je sentais mauvais, mais ils n’ont rien dit. Sans doute parce que sept livres sont pour eux plus important que de causer une scène dans leur restaurant. Ou alors ils avaient peur que je cause une scène, et certes, j’aurais tout débâti.

Et comme on doit toujours payer un très grand prix pour toutes nos folies, il y un mort dans cette histoire. Mon Compaq iPaq Pocket PC, dont l’écran est maintenant tout cassé. Et le remplacer par un nouveau sur eBay me coûtera au-dessus de 80 livres. Je n’arrive pas à comprendre comment un gadget électronique vieux de six ans peut encore se vendre à un tel prix après tout ce temps. Alors que je sais qu’il est impossible de remplacer la batterie, et qu’elle ne dure même pas une heure. Et que si le gadget demeure non connecté à une prise de courant pour plus d’une journée, on perd toutes nos données. Bref, je ne lirai plus de Sherlock Holmes en allant au travail. Heureusement mon nouvel ordinateur a survécu à cet enfer du vendredi soir dernier, cela m’aurait fait bien plus mal.

 

22 mars 2005

 

   Hier Rachelle était de retour de ses deux semaines de congé maladie. Elle avait une canne et avançait encore plus lentement qu’une tortue. En tout cas, si elle nous fait un show, elle est prête à y mettre le paquet. Quinze minutes ça lui a pris pour franchir la distance entre le café et son bureau. Elle était radieuse, avec le sourire, et gentille avec moi comme elle ne l’avait jamais été.

Je n’ai pas été dupe de cette soudaine amitié, je sais très bien que tout ceci est amené par cette culpabilité de n’être pas venue au travail depuis deux semaines, et cette possibilité qu’entre temps les patrons aient trouvé le moyen de nous jeter à la rue. Et alors nos ennemis pourraient jouer un rôle dans cette destruction. Mais ces peurs sont toujours injustifiées, la loi la protège tellement, que la seule peur qu’elle puisse les poursuivre en justice pour mise à la rue injustifiée, est suffisante pour la calmer.

Je suis certain que sa gentillesse artificielle n’aurait durée que quelques heures, une journée tout au plus. Mais voilà, le patron lui avait déjà dit de retourner à la maison pour le reste de la semaine, bien qu’elle doive cependant travailler à partir de la maison. Aussi bien dire qu’elle ne fera rien. Et je m’en fous.

C’est drôle comment trois semaines de congé surviennent seulement aux personnes qui, d’habitude, partent 15 minutes avant l’heure et manquent souvent le travail. Tous ceux qui, comme moi, feraient tout pour ne pas aller au travail même une journée de plus. Sans doute les autres êtres de la race supérieure, comme l’Indienne en face de moi, qui n’a jamais été malade en quatre ans, sont capables de marcher par-dessus leur mal de dos et venir travailler de toute manière.

Tiens, un mal de dos. Voilà bien la meilleure façon de manquer du travail, le docteur lui-même ne peut vérifier la douleur ou le mal. Ainsi on peut en inventer autant que l’on veut.

Ce n’est pas moi qui vais se plaindre de la disparition récente de Master Bitch. Et tant que je suis capable de tenir à distance les deux autres dans le fond du bureau, alors je ris et je chante toute la journée comme un canarie.

Maintenant mon seul problème, ce sont les êtres de race supérieure, qui sont assises en face de moi. Dans leur perfection, elles se permettent de nous faire chier et de nous remettre à l’ordre. La chance qu’elles ont d’être responsables des finances, semble leur avoir monté à la tête, elles ont l’impression de faire partie du bureau du personnel et d’être responsables de tout le monde. Heureusement elles m’aiment beaucoup, et ainsi je ne souffre pas trop d’être un être de race inférieur. J’arrive tout de même à me hisser à la hauteur de leurs attentes, et tant qu’elles pensent que je n’exagère pas (une heure trente de lunch par exemple, ou arriver en retard et partir tôt), alors je les ai de mon côté. Cependant, une seule étincelle suffit à alimenter leur feu. Une seule erreur et elles me dénonceront.

Je pense qu’Hitler n’a rien compris, et que ce ne sont pas les êtres de races inférieures qui sont dangereux, mais ceux de la race supérieure, qui peuvent ensuite nous faire une morale et nous faire perdre notre emploi (nous poignarder dans le dos). Si j’avais été Hitler, j’aurais fait exterminer tous les Nazis, comme j’aurais envie d’exterminer ces êtres parfaits de mon étage, pour qu’elles ne puissent plus compter les secondes de mes allées et venues, et garder leur œil réprobateur sur tout ce que je fais.

Heureusement celles-là j’ai réussi à les charmer, je me demande d’ailleurs pourquoi j’ai réussi avec elles, mais pas avec Rachelle. Ces choses sont inexplicables. Peut-être parce qu’elle est ma patronne, et elle me voit comme un élément perturbateur, un cas problème. Aussi ses hauts principes qui ne suivent aucune logique précise, ses grands idéaux de l’existence qui la transforme en un être qui sait tout de ce que la race humaine devrait être. Et si quelqu’un ne respecte pas ses opinions, alors ils ne méritent pas de respirer. Charmer ces personnes devient impossible, l’amitié est impossible. Cependant je demeure ouvert, et je suis toujours prêt à faire la paix, dès que la personne devient gentille et que je sais que ce n’est pas « plastic ».

Mais ces choses sont impossibles avec les Anglais, comme avec les Américains ou les Canadiens. Ils sont trop hypocrites et rancuniers. Quand ça ne marche pas, ça ne marchera jamais. Tandis qu’en France, il y a toujours de l’espoir que soudainement la bitch va changer d’opinion du jour au lendemain, et va soudainement être ouverte à une amitié, sans aucune rancune. Mais bien sûr, pas d’hypocrisie dans ce cas-là, la guerre va avoir fait rage ouvertement depuis quelques jours, avant que le calme ne vienne.

 

26 mars 2005

 

   Je suis en vacances de Pâques en Bretagne, une petite maison moyenâgeuse qui appartient à mon amie Sherry qui l’a achetée après qu’un de ses livres fut un succès à la grandeur des États-Unis. Ce que la littérature aurait pu m’amener si j’étais né dans un pays anglophone plutôt que francophone. Il est clair que je ne pourrai jamais m’acheter une maison, ou même une voiture autre qu’une Renault 5 vieille de 20 ans. Mais ce n’est pas ce qui me décourage le plus.

   Ce qui est maintenant intenable dans ma vie, en plus de comprendre que je ne fais pas suffisamment d’argent pour payer mes dettes chaque mois, avec deux emplois à temps plein, sans compter l’écriture, c’est Stephen. Il a la mentalité d’un enfant colérique de 9 ans. La plupart du temps il est complètement hystérique, et un minimum de stress l’emmène dans une roue vicieuse de lamentations infinies où il me blâme pour tout et rien, à me reprocher des futilités comme s’il s’agissait de drames. Avec lui, les vacances n’en sont jamais, c’est un enfer.

   Il est pratiquement impossible d’entrer dans un magasin sans qu’il ne vole quelque chose, comme s’il s’agissait d’une maladie mentale. Aujourd’hui, en allant visiter le Mont Saint Michel, qui pour lui a été d’une souffrance effrayante, nous nous sommes arrêtés dans un centre de reptiles à Beauvoir. Il voulait voler deux tortues, et là il veut téléphoner demain pour savoir s’il peut en acheter. Mais voilà, apporter des tortues rares en Angleterre te vaut au minimum dix ans de prison. Il semble trop imbécile pour comprendre les conséquences, et en plus il risque ma liberté aussi. Dix ans de prison, voyons voir ce que je pourrais faire à la place qui serait risqué et qui m’apporterait suffisamment d’argent pour acheter une maison à la campagne et une voiture… tant qu’à risquer sa liberté, autant que ça en vaille la peine. Des tortues, bon Dieu ! J’aurai tout entendu !

   Et puis hier j’ai fait un cauchemar bizarre qui m’a bien indiqué mon état d’âme en rapport à mon emploi dans les conférences à Westminster. Mon patron Sherlock, qui n’a jamais rien dit à propos de la lenteur à laquelle je produis mes conférences, sauf qu’il m’en fallait au moins une avant l’été, m’a invité dans une pièce pleine de journalistes, où je devais prouver que je connaissais le sujet de ma conférence, alors que j’en étais incapable. En plus, comble de l’humiliation, dans mon rêve, je me masturbais dans un coin pendant qu’une journaliste me prenait en photo. J’ignore d’où proviennent ces cauchemars, sauf que mon imagination est peut-être un peu trop fertile.

   Je ne crois pas que je serai jamais en paix avec moi-même, j’ai un sentiment de culpabilité marqué assez flagrant, qui n’est pas du tout aidé par Stephen qui ne cesse de m’accuser de plein de choses. J’ai longtemps pensé que je le méritais, parce que moi aussi j’ai fait la même chose à Sébastien pendant les cinq ans de notre relation ensemble. Mais là ça fait dix que j’endure Stephen, n’y a-t-il pas une fin à cette punition de la destinée ? Et moi qui prenais en pitié George, l’Américain au travail, parce qu’il semblait me dire que ses deux mariages avaient été des échecs lamentables, avec des connasses qui doivent justement lui rendre la vie impossible.

Je me rends compte que j’en suis peut-être au même point. Je pense que les relations entre humains seront toujours un désastre, je ne vois pas très bien comment nous pourrions réussir à nous entendre. Nous sommes toujours des contraires, ou alors il y a toujours un paquet de choses à propos de l’autre pour lesquelles nous serons à jamais incompatibles.

La première est notre goût pour les émissions télé et la musique, complètement à l’opposé l’un de l’autre. Lorsqu’il n’y a qu’un seul téléviseur dans l’appartement, ou que nous voyageons pendant des heures en voiture, cela devient d’un pénible effroyable. Il doit toujours avoir une radio qui joue à tue tête, peu importe quoi. Des centaines de commerciaux, peu importe la langue. En plus, il déteste se retrouver seul pendant cinq minutes, mais lorsque je reviens, il recommence à me crier après sans raison. Au moins en Bretagne il y a deux étages, je peux me sauver au premier pour enfin écrire. Notre problème majeur, qui est celui de tout le monde, et la raison de tous les maux, c’est l’argent. Sans problème d’argent, déjà, je pense que nous pourrions être heureux.

   Une petite maison au bout du champ de Sherry est assez isolée. Apparemment elle était à vendre pour pas grand-chose voilà quelques années. Maintenant elle semble avoir été vendue à des British qui n’y vont jamais. Nous aimons bien allez marcher pour faire le tour, en imaginant que nous pourrions l’acheter, si jamais nous retracions le propriétaire. Hier soir nous y sommes allés, et répétions combien c’était isolé et que ce serait bien. Et soudainement, de nulle part, sort trois personnes qui marchaient vers nous. Mais voilà, c’est impossible, car ils ne pouvaient venir de nulle part, à moins qu’ils ne fussent cachés dans les ruines. Stephen est convaincu qu’il s’agit de fantômes. Je dois avouer qu’ils ont fait des bruits qui ne ressemblaient en rien à des humains. Eh bien, me voilà bien parti pour une belle histoire paranormale à la Arthur Conan Doyle (ses autres histoires, pas les Sherlock Holmes). Je pourrais appeler cela l’Aventure des Fantômes de Ménéac. Un si beau nom, pour un village si petit. On ne peut pas dire que les Français ont manqué d’imagination dans le nom de leurs villes et villages, au moins ce n’est pas comme au Québec, où tout est pris dans le catéchisme. Et pire au Canada anglais et aux États-unis, ils n’ont repris que les noms de l’Angleterre.

Mais j’ai déjà mentionné ça quelque part dans un de mes livres. Il est peu probable que vous lirez ce livre, alors je crois pouvoir me répéter d’un livre à l’autre sans trop m’en soucier. Au moins je sais que ce livre sera lu, ce qui n’a pas été le cas de tous les autres livres que j’ai écrits. Alors que je n’écrivais que pour moi seul, sans savoir pourquoi au juste. Mais rien n’a changé, je n’écris toujours avant tout que pour moi-même. Tant pis si ça fait fuir la critique. La vie est trop courte pour écrire sur demande. Je vais mourir tôt, aussi bien léguer à mes quelques lecteurs une sorte de testament de mes jours sur terre, plutôt que de la fiction inutile. Je n’écris pas pour divertir le peuple, j’écris pour dire quelque chose, rapporter ce que je constate, ce que j’observe. C’est ce que j’écris, et au diable ce qu’autrui en pense. Ceci dit, j’écris pourtant beaucoup de fiction à l’heure actuelle pour le cinéma et la télé, alors ça compense.

Hier nous avons visité Rennes. Une très belle ville vide de touristes. Nous n’avons même pas visité la partie médiévale. Il existe à Rennes, comme partout en France, un sentiment pro-québécois. C’est clair qu’ils aiment les Québécois. J’ignore pourquoi, mais c’est fort plaisant, même si en fait cela devient difficile, car alors je suis comme un ambassadeur du Québec et je dois faire honneur à ma nation.

Je me demande aussi si cette vision romantique du Québec va s’éteindre un jour, et s’ils vont commencer à nous détester comme ils tentent de chasser les Britanniques qui sont en train d’acheter toutes les maisons de la Bretagne et de la Normandie. Peut-être, s’ils finissent un jour à en avoir assez de Céline Dion, qui je pense doit être une des sources, avec Rock Voisine, du pourquoi soudainement le Québec est à l’honneur en France. Sans compter Diane Dufresne, qui est toujours à la radio avec son « On est toujours tout seul au monde ». Il n’y a pas à dire, c’est une chanson extraordinaire, et ça me manque en Angleterre la musique francophone. Surtout ces petits chansonniers qui sont interviewés à la radio, dont la musique ressemble à du Brassens. Nous aussi nous avons une vision très romantique de la France, moi en tout cas.

Cette stupide question d’immigration, j’espère la régler l’an prochain en demandant ma citoyenneté britannique. Alors je vais travailler à convaincre Stephen de déménager en France, sinon je le laisse et je pars seul à l’aventure. Je m’en fous si je dois ramasser des raisins sur la vigne pour survivre (en admettant qu’en quittant le Royaume-Uni je décide de ne plus rembourser mes dettes). La seule erreur à éviter, est de déménager dans une grande ville. La campagne française a bien trop à offrir pour aller s’enfermer à Paris. Rennes me semble parfait, en autant que l’on vive à l’extérieur de la ville. Mais j’aimerais explorer plus à fond le sud de la France, le Canal du midi, c’est dur à battre. Ah, si je pouvais vivre d’un emploi qui se fait à distance, peu importe où je serai dans le monde ! Un jour peut-être, et alors je pense que ma crise existentielle se terminera d’elle-même et je serai enfin heureux.

Demain nous ne faisons rien. Stephen s’occupera des plantes de Sherry, et moi je m’occuperai d’une passion encore plus grande. Je vais jouer à un jeu d’aventure sur PC. C’est mon seul moyen d’évasion de cette réalité, vivre dans un monde virtuel fabriqué de toute pièce. Un peu comme le film Immortel, que cela aurait fait un bon jeu d’aventure. Et c’est là-dessus que je devrais travailler, un jeu d’aventure. Je dois justement écrire une histoire avec ces robots que j’ai mentionnés avant. Et l’idée me semble bien plus passionnante qu’une série télé ou un film. Le hasard fait bien les choses, le directeur a rencontré récemment un de ses amis dans le domaine du jeu vidéo. Et voilà, je vais maintenant créer mon propre univers virtuel à la « Immortel », dans lequel je voudrais aller m’évanouir pour l’éternité. Je n’ai qu’à imaginer le tout, et une équipe de dessinateurs 3D va imaginer le reste pour moi. Ah, il me faut de la technologie extraterrestre, il me faut la possibilité d’aller sur un autre système solaire, il me faut sortir de la fabrique de l’univers. Il me faut du voyage dans le temps, il me faut des mondes parallèles, il me faut tout ce que la science fiction nous a apporté ces derniers 50 ans. Il me faut également penser plus loin, aller plus loin, inventer à mon tour la sci-fi de demain. Et j’ai la science dans ma tête pour créer ce nouvel univers, j’ai le background nécessaire avec mes théories farfelues de physique théorique qui remettent en question Einstein. Toutes ces années à comprendre l’univers dans lequel on vit n’auront pas été futiles. C’est ma nouvelle mission. Tout pour ne plus vivre dans cette réalité pourrie de tous les jours.

Sherry a beaucoup de bibliothèques, dans ses maisons en Angleterre et en France. J’ai toujours rêvé un jour d’arriver dans une maison bizarre, isolée quelque part en France, et trouver mes livres dans une de ces étagères. Et voilà, quatre de mes livres sont dans sa librairie. Ça m’a fait sourire. J’en ai pris un et j’ai lu au hasard. Ça parlait de désespoir et de suicide. Je n’ai pas changé en quinze ans, lorsque ces livres ont été écrits. Tiens, je vais aller prendre « l’Éclectisme » et l’ouvrir au hasard… une araignée a eu le temps de faire une toile sur mon livre, certes il a été lu voilà quelques temps. Page 200 : « Comment interpréter le viol ? » Holy shit, sur quelles drogues j’étais lorsque j’ai écrit ça ? Un argument sans queue ni tête, qui saute du coq à l’âne, et qui a dû envoyer chez Sherry des shivers down her spine (des frissons dans sa colonne vertébrale). Parce que son fils a été abusé sexuellement. Elle en parlait encore alors que nous étions à Londres pour prendre les clés de sa maison. Elle se sent coupable, de son aveuglement, de la confiance qu’elle a eue en ce gardien d’enfants. Heureusement je n’ai rien de tel sur ma conscience, je ne me le pardonnerais jamais. Mais maintenant c’est devenu une excuse magique pour expliquer le comportement criminel de ce fils, incapable de s’empêcher de se faire arrêter par la police pour mille et une raisons. Et de s’évanouir dans la nature pour éviter de prendre ses responsabilités et paraître en justice. Et Sherry me dit qu’il vit maintenant dans la rue, à mendier peut-être. Ça la tue. Moi ça me rempli d’admiration, quelqu’un qui refuse les lois de la société, qui refuse de trouver un emploi et de payer ses taxes. Quelqu’un capable de faire fi de toute autorité et de refuser cette existence là offerte à lui, comme un chemin à suivre sans embûches. Ça me donnerait envie de me trouver de telles raisons pour justifier un tel rejet des valeurs sociétaires. Tout, à propos de Sherry, est bizarre, weird, non conventionnel. Si ses enfants avaient été normaux, j’aurais été déçu.

Parlons de Sherry, elle en vaut certes la peine. Et comme elle a apparemment beaucoup écrit à mon propos dans son dernier livre, qu’elle refuse de me faire lire, je vais être franc. Je suis saoul, au Port, et je fume des roll-ups avec du tabac Golden Virginia acheté à moitié prix sur le bateau de Brittany Ferries. Je suis assis à la table où sans doute elle a écrit la plupart de ses derniers livres, y compris celui qui parle de moi. God only knows ce qu’elle raconte dans ce livre, mais une fois qu’elle était saoul elle m’a lancé : pourquoi as-tu débarqué dans ma vie !? Elle le disait comme si elle aurait mieux aimé ne jamais m’avoir connu. Non pas parce que je lui ai causé du tort, au contraire, j’ai toujours aimé Sherry, et ce, dès notre premier jour d’études à Birkbeck, là où nous faisions notre maîtrise en littérature française à l’Université de Londres. Je l’ai aimée sans savoir qu’elle avait plusieurs livres de publiés, dont plusieurs à succès, et surtout, sans savoir qu’elle a été mariée à une de ces pop stars des années 60. Si je vous disais le nom, les cheveux vous en friseraient. Je dirai seulement, pour votre curiosité, aussi grands que les Beatles et Rolling Stones. Well, aussi bien le dire, Manfred Mann.  

Pourquoi je l’ai aimée au premier regard ? Je l’ignore. Sans doute la curiosité d’un écrivain. Je voulais lui parler, connaître son histoire, savoir pourquoi une Écossaise faisait sa maîtrise en littérature française à Birkbeck. J’étais un jeune gai innocent qui s’intéresse au peuple, pour apprendre, connaître, comprendre le monde dans lequel on vit. Je pense que j’étais plus désinvolte et intelligent alors, aujourd’hui je suis abruti et au bord du suicide. De telles rencontres ne se font pas souvent, elle est en fait ma seule amie à Londres à l’heure actuelle, c’est tout dire. Well, d’être capable de parler de Roland Barthes et André Gide des soirées durant, alors que nous étions complètement saouls, est certes un grand avantage. Nous avions déjà des points en commun. Je n’ai certes jamais eu un moment inintéressant avec elle. Et plus je la rencontrais après les classes pour discuter davantage, plus elle m’en a dit sur sa vie passée. Une vie de femme riche à craquer, mariée à une pop starz. Dear me, non pas que cela aurait fait une quelconque différence. J’étais déjà accroché avant de le savoir. Je vais tenter d’être honnête. Elle a une personnalité fascinante, il n’y a pas à dire. Et certes, ces personnalités fascinantes ont accompli de grandes choses que je n’accomplirai jamais, bien que j’avais certes la prétention alors, et encore aujourd’hui, que j’allais aller encore plus loin. La jeunesse pour vous servir. Et c’est peut-être ce qui l’a attirée aux premiers abords. Une jeunesse insouciante qui pensait tout accomplir dans les prochaines années, mais qui en était encore au point zéro. Alors qu’elle, elle avait déjà tout accompli, tout vu et tout connu, et maintenant elle en était à l’après. Comment vivre et être heureux, alors que ce succès est dans le passé et que l’on a passé la soixantaine ? Ou encore pire, comment retrouver ce succès passé ? La chanceuse, elle a un fils qui n’a plus parlé depuis qu’il a été abusé sexuellement, alors son dernier livre s’appelle « Speak to Me ». Un autre grand succès pour répéter son passé. Sauf qu’elle en était au même point que moi, tenter de se faire publier, et ce n’est pas facile, même pour quelqu’un qui a eu tant de succès. Alors nous avons beaucoup parlé de partir notre propre maison d’éditions, et c’est encore sur la table de travail. J’aimerais bien mieux me publier que de dépendre de ces maisons d’éditions.

Mais voici le juteux. La dernière fois que j’ai couché chez elle, je me suis déshabillé et je me suis allongé contre elle une bonne partie de la nuit. J’ai trouvé cela fort excitant sexuellement, bien que je sois gai. Et c’est peut-être pourquoi. Je suis un être sexuel, il n’y a pas à dire. Et Stephen certes ne me satisfait pas, parfois ça prend plus d’un mois avant que l’on ne fasse l’amour, et encore, je m’en passerais. Et je n’ai plus ce désir de sortir pour rencontrer du monde, cela m’emmerde. Bref, j’étais nu dans ses bras, et pour moi cela n’avait pas trop de conséquences. Mais pour elle je pense que ça a été toute une histoire, et sans doute plusieurs chapitres de son livre.

Comble de malheur, un soir que j’étais complètement saoul, je lui ai envoyé un e-mail disant que son mari et cette chanson imbécile qui a été un hit mondial était quétaine. Et aussi, je pense l’avoir insultée en disant que, si elle aurait voulu en faire plus sexuellement, elle aurait pu, je ne l’aurais pas arrêtée. Elle m’a envoyé un message de femme insultée, en demandant un peu plus de respect.

Ça a pris un an avant que l’on ne se reparle. Et aller chercher les clés de sa maison a été notre première rencontre depuis cette fameuse nuit. Et tout ça, parce qu’un soir où j’étais saoul, je l’ai appelée. Et alors, c’était comme si rien ne s’était produit. Nous avons repris notre amitié là où elle s’était terminée. Elle a vaguement mentionné qu’il y avait eu un froid entre nous, mais pour moi cela n’avait été que de son bord.

Je suis au-dessus de ces choses, elle m’aurait appelé bien avant, et pour moi rien n’aurait changé. Nul doute dans son livre cela a été une partie complète, que je suis indécis à lire. Toute cette histoire sera sans doute devenue un conte d’horreur, alors que pour moi ce n’était qu’une nuit où j’étais saoul.

Et ce soir, dans sa maison en Bretagne, alors que je suis encore saoul, je dois difficilement avouer que j’aimerais encore être dans ses bras et me sentir désiré. Je ne saurais l’expliquer. Je suis gai à 100 %, je ne pourrais jamais désirer une femme, quelle qu’elle soit. Mais cette femme de 65 ans, ratatinée par l’âge, comme je la décrivais dans « l’Éclectisme » qu’elle a lu et cité en groupe à l’Université, a un effet sur moi que je suis incapable de décrire. Et ce n’est certes pas son mari, qui a été l’icône sexuel de millions de jeunes filles, ou le fait qu’elle a écrit un livre à succès, qui m’a convaincu. C’est bizarre et c’est inexplicable. C’est même effrayant. Et j’ose à peine imaginer ce qu’elle a écrit à ce sujet. Sans doute elle a tout compris et interprété de travers, et voilà, ça se retrouvera au numéro un du best sellers list du New York Times, comme ses autres livres. Car comment aurait-elle pu comprendre quelque chose que je n’ai pu comprendre ou tenté d’expliquer ce soir ?

Il y a peut-être une histoire sordide en dessous de tout cela. Je dois l’avouer, le considérer. Si elle n’était rien, si elle n’avait jamais rien écrit, si son mari n’avait pas été ce pop star des années soixante, aurais-je les mêmes sentiments envers elle ? C’est cette certitude en mon esprit que non, qui me fait continuer, accepter ces sentiments saugrenus pour une femme. Alors est-ce inconscient ? D’autant plus que cette réalisation que je la désire sexuellement me vient alors que je suis dans sa maison dans le nord de la France ? Je pense que je suis tellement en manque de sexe, que cette histoire m’excite, et c’est tout. Aussi extraordinaire que cela puisse être.

C’est juste une histoire de bas instincts animaux. Que ce soit un homme, ou une vielle femme ratatinée par l’âge. Je pense que ça n’a rien à voir avec quoi que ce soit d’autre, car toutes ces choses d’habitudes n’ont aucune influence sur moi. Je suis trop prétentieux pour m’arrêter au succès des autres. Je sais que secrètement elle me désire, c’est mon amie, et je trouve cela excitant. Alors pourquoi pas ? Lorsque je serai de retour à Londres, je trouverai une raison pour retourner coucher chez elle, et j’espère qu’il s’en passera davantage. Et je ne puis attendre, ça devient inquiétant. Je devrais aller retrouver Stephen en bas. Quoique de tenter de faire l’amour avec lui est comme d’attendre la tombée de la glace sur le Lac-St-Jean au printemps, ça n’arrive jamais.

   Je me vois descendre en bas et avouer à Stephen, qu’après dix années de vie commune, j’ai décidé que je désirais sexuellement une vieille femme de soixante-cinq ans que je vais le laisser. Je pense que ça le tuerait. Heureusement je n’ai pas la chance d’appeler Sherry ce soir. Peut-être que demain je vais me réveiller de cette torpeur et tout rentrera dans l’ordre. Je l’espère, en tout cas.

   Pas du tout, je commence à en faire une obsession. Lui faire l’amour, faire l’amour à une femme pour la première fois, même si Sherry n’est pas une femme pour moi, c’est une personne que j’aime sincèrement, pour peu importe la raison. L’âge importe peu dans mon cas, j’aimerais certes faire l’amour à une femme pour une fois. Je suppose que tant qu’à penser au suicide, pourquoi pas l’impossible ? Sans condom, surtout, parce que ça me fait débander. Je ne crois pas être VIH+, mais le sait-on vraiment ? Même si l’on a rien fait de compromettant en ce sens ? Je pense qu’il est temps que j’aille passer un test, juste pour ma conscience. Je verrai si je trouve le temps, je dois trouver le temps. Priorité number one, quand je retourne en Angleterre.

 

27 mars 2005

 

   Je me suis réveillé ce matin en stupeur, comme si encore une fois la veille j'avais trop bu et que j'avais déconné au point d'avoir perdu ma job ou des amis. J'ai longuement réfléchi à savoir si j'allais faire sauter toute la partie précédente, parce que cela me semble aujourd'hui extravagant et je ne pense rien de ce que j'ai écrit. Je ne désire pas Sherry, je ne pourrais jamais lui faire l'amour, j'ignore ce qui se passe dans ma tête lorsque je suis aussi saoul.

S'il était possible de transposer à l'écriture combien sauvage je deviens une fois que j'ai trop bu, toute la partie précédente est un très bel exemple de l'extrême que je puis atteindre. Et je l'ai même appelée hier, j'allais tout lui avouer, quelque chose que le lendemain je ne pensais plus du tout ! Comme elle aurait alors pensé que je me jouais d'elle ! Heureusement que son fils, qui vivait dans la rue, est revenu à la maison, et il a répondu au téléphone. Ça a comme brisé l'ambiance et j'ai su me retenir (autant que je puisse me souvenir, du moins). Ah, la jeunesse…

   En plus j'ai une sorte de diarrhée en ce moment, je panique à cause du travail. Si j'avais été seul, je pense que je serais ou bien reparti pour Londres pour travailler sur mes conférences, ou alors je m'y serais mis toute la journée aujourd'hui. J'ignore d'où me vient ce sentiment de culpabilité, cette impression que je suis tout à fait incompétent et en retard sur mes projets. J'ai presque eu une attaque de panique aujourd'hui, je ne pouvais plus respirer. Je suis déstabilisé mentalement, je suis non fonctionnel. J'ai besoin d'un update ou un upgrade, peut-être une meilleure version de mon ROM dans le cerveau me serait bénéfique. Plus de mémoire, et un processeur de vitesse plus rapide. Cela me donnerait une meilleure organisation de mon temps et une rapidité à terminer mes projets. Je devrais aller chez PC World en revenant, comme les filles au travail blaguent tous les jours à ce propos. C'est que j'ai dit un jour que j'avais un gilet rouge que je n'osais même pas mettre pour aller chez PC World. Et à la blague j'ai lancé que PC World et Tesco étaient les seuls magasins où j'allais.

   Il faut me guérir de ce stress au travail. Au départ cet emploi n'était que pour ma survie financière et l'occasion pour moi d'écrire ce livre. Mais voilà, ça a pris le contrôle de mon existence, j'en fais des cauchemars toutes les nuits. Ce matin je me disais que c'était juste ma conscience professionnelle, mais je crois plutôt que j'ai vraiment perdu mon temps ces derniers mois et que mon patron le sait.

   C'est peut-être également le fait d'être en Bretagne en France, un tel isolement te fait paniquer. Un avant-goût de ce que serait cette fameuse existence loin de la grande ville. C'est peut-être de ça que parlent tous ces gens qui enfin quittent la ville pour aller s'isoler très loin à la campagne, juste pour revenir peu longtemps après, lorsqu'ils comprennent que leur crise existentielle a été doublée par cet isolement.

Je ne sais pas. Je vais me sentir mieux lorsque je serai de retour au travail et j'ai bien l'intention de travailler fort pour finir mes deux conférences. Et surtout, faire aboutir cette première qui est dans moins de deux mois, alors que la brochure n'est même pas encore imprimée. C'est désastreux, pas pour rien que je ne dors plus et que le stress est en train de me manger vivant. J'ai dû me mettre un CD de Dépêche Mode pour me calmer, me ramener à une certaine réalité que je connais. Heureusement ça marche un peu, avec le Porto et les cigarettes. Je suis bien loin de m'inquiéter avec mon taux de plaquettes élevées et ma prochaine auscultation à propos de mon supposé cancer des poumons au début d'avril. J'espère juste que Sherlock a su voir mon potentiel à travers tous ces autres rapports que j'ai écrits, au lieu de produire mes conférences, comme si je faisais tout sauf produire ces damnées conférences. Misère.

   En tout cas Stephen a oublié son idée de ramener des tortues en Angleterre, mais je me demande si dix ans de prison ne serait pas mieux que cette réalité minable qui m'attend à mon retour. J'en aurais du plaisir en prison lorsque l'on me demanderait pourquoi j'y suis. On me donnerait certainement le surnom de tortue pour le reste de ma sentence. Et ce Stephen qui a été d'une humeur massacrante toute la journée, surtout après avoir lavé le plancher de Sherry. Considérant que nous n'avons jamais lavé notre propre plancher en dix ans, je peux comprendre sa crise. Il dort maintenant, quel soulagement. Je pense que je vais écrire un peu de poésie, ma crise alors ne sera pas tout à fait inutile.

 

30 mars 2005

 

   Je viens de terminer ma première journée de travail depuis mon retour de Pâques. Soudainement d'être dans le jus et d'avoir couru toute la journée d'un bord et de l'autre m'a fait oublier ce qui semblait m'inquiéter alors que j'étais en Bretagne et aussi hier toute la journée. J'avais peur de revenir au travail parce que j'avais l'impression de ne pas en avoir assez fait et d'avoir perdu mon temps, ce qui sans doute n'est pas vrai, c'est juste ma parano. Je fais ce que mon patron me demande, et il m'a demandé de faire beaucoup de choses, autres que les conférences. Cependant il est fort possible qu'à la réunion où l'on va revoir mon premier six mois il ait oublié tout ça ou s'imagine que finalement tous ces petits projets en parallèle auraient pu compter pour une semaine de travail seulement, alors que ce n'était pas le cas. Enfin, tant pis s'il n'est pas content, je m'en fous. Comme j'aurais voulu m'en foutre pendant que j'étais en vacances et hier lors de ma dernière journée de congé. Mes vacances ont été ruinées par la peur et le stress que cet emploi m'apporte. Mais je vais survivre.

   Pendant ce temps Rachelle fait la belle vie. Son mal de dos qui l'empêche de marcher fait qu'elle est venue deux jours seulement cette semaine et revient lundi prochain. Sans doute elle ne viendra que pour une journée ou deux. Elle ferait tout aussi bien de demeurer à la maison et de ne plus revenir du tout. Ça ne m'inquiète même pas si l'association doit lui payer son salaire même si elle ne revient plus.

   Et l'autre qui m'avait mordu lorsque je lui ai demandé un formulaire de dépense, et qui s'est elle aussi absentée pendant trois semaines pour j'ignore quelle maladie. Elle est malade également toute cette semaine. Et ses deux collègues, dont Master Bitch 2, ne sont jamais là, sous prétexte de réunions avec le gouvernement sur de nouvelles lois qui vont sortir l'an prochain.

   Parfois je me demande ce que je fais au bureau quand tous les autres trouvent facilement des raisons pour ne jamais y être. Et je me demande également pourquoi je m'inquiète avec le fait que je n'aie produit qu'une seule conférence en cinq mois alors que j'ai tant travaillé sur d'autres rapports et que je suis aussi énergétique. Il me semble qu'il est clair que tous les autres ne foutent rien et que Sherlock doit bien le savoir. Le seul problème est que ces autres qui ne foutent rien ne répondent pas à Sherlock, ils répondent à leur directeur qui semble bien s'en foutre si personne ne fait rien.

   Je ne sais plus quoi penser. Je dois travailler plus fort, avancer rapidement et prendre le tout au jour le jour. Je m'inquiéterai de cette réunion avec Sherlock lorsqu'elle survendra, et comme par hasard je pense qu'elle a lieu demain, alors que j'ai déjà une autre réunion avec la compagnie qui s'occupe de l'administration et le marketing de mes conférences. Misère, ce que je peux être con parfois.

 

5 avril 2005

 

   Ce mois de mars, je dois avouer, a été mon meilleur depuis bien des années. D'habitude c'est problème après problème, et bien que ça n'ait pas été facile, je dois avouer avoir vécu pire durant tous les mois de mars des années précédentes. Chaque année je comprends également que ça déborde toujours dans le mois d'avril, et pour l'instant, tout va bien et je n'ai pas cette impression que quelque chose d'horrible va survenir. Serait-ce la première fois depuis plus de dix ans que the curse du mois de mars ne surviendra pas ? D'habitude, juste de mentionner une telle chose m'assure une crise pratiquement instantanée, on verra dans les prochains jours.

   Pour l'instant je n'ai jamais été aussi près de ma routine quotidienne, aller au travail à Parliament Square tous les jours, en tentant ici et là de manquer des journées ou des demi-journées. Hier je n'y suis pas allé, je suis allé à l'hôpital sur Fulham Road, pour confirmer mon cancer avancé du poumon. Finalement mes poumons sont en parfaite santé et semblerait que je ne fais que souffrir d'asthme, d'allergies et d'eczéma, le tout bien enveloppé dans un paquet malicieux qui disparaîtra le jour où je déménagerai hors de cet appartement rempli d'humidité et de moisissures, sans compter les cinq chats. Je le sais, même cinq jours en France fait que mon eczéma et mon asthme disparaissent. Ainsi il ne me reste plus que ce double taux de plaquettes pour m'inquiéter, et j'en saurai plus à ce sujet éventuellement, après avoir été au West Middlesex Hospital éventuellement. Ils ne sont pas pressés de me donner un rendez-vous, si j'avais le cancer, j'aurais le temps de le développer en entier avant même qu'ils ne fassent leur diagnostique.

   Je devais retourner au travail hier après le docteur, mais je suis plutôt allé faire l'épicerie avec l'argent que je n'ai pas, et j'ai téléphoné à 15h pour leur dire que j'étais encore à attendre après un test et que ça ne valait plus la peine que je vienne au bureau. Et j'ai compris que la belle secrétaire aime bien créer des problèmes là où il n'y en a pas, et m'accusait de ne pas avoir téléphoné plus tôt, et que tout le monde était en panique au propos d'où j'étais et si quelque chose de grave était survenu. C'était écrit dans mon calendrier que je reviendrais durant l'après-midi, entre 13h et 14h, tout le monde le savait. J'ai téléphoné à 15h. Et ce matin ce sera toute une histoire cette histoire, et je n'ai pas la patience pour toute cette merde corporative. J'ai bien trop à faire pour commencer à me faire chier par ces conasses qui n'ont rien d'autres à faire que de compter les secondes où l'on n'est pas au bureau, et aussitôt que cinq minutes passent qui ne sont pas comptabilisées dans notre horaire, déclenchent l'alarme et appellent le grand patron pour nous dénoncer.

   Tant mieux, plus elles me feront chier, plus facile ce sera pour moi de décrisser de cet emploi. Je me suis rendu compte que finalement je ne puis pas survivre avec un tel salaire, même si c'est très élevé pour Londres, relativement parlant. J'ai trop de dettes, je n'arrive pas à la fin du mois, il m'a manqué 150 livres le mois passé et ça a fait toute une crise avec Stephen qui a été emprunté ça à sa mère et qui elle en a fait toute une histoire, l'appelant chaque jour pendant plus de vingt jours pour ravoir cet argent. Il aurait pu s'épargner tout ça en prenant l'argent sur une carte de crédit, mais non, il fallait en faire tout un cirque, toute une parade, et me faire une morale infernale tous les jours depuis vingt jours, qui se termine en crise et presque en pleurs. L'argent, l'argent, destructeur de ce monde.

   Je dois donc me trouver un nouvel emploi et je n'ai pas tellement le choix. La seule chose qui me paiera au-dessus de 30,000 livres par an, ce sera dans les conférences. Et tant qu'à faire, faudrait que ce soit 35,000 livres par an, sinon je ne crois pas vouloir faire le grand saut. 5,000 de plus par an après les taxes ne me donnera sans doute pas beaucoup plus d'argent qu'en ce moment. Je gagnais plus avec mon salaire de 23,000 lors de mon dernier emploi qu'en ce moment à 25,000 ou mon avant-dernier emploi à 28,000. Ce qui est fort ridicule, mais que voulez-vous, je n'écris pas les lois de ce pays.

Cet emploi que je cherche sera un véritable enfer, dans le monde commercial, avec un patron sans merci, et une conférence à produire à chaque vingt jours, ou alors c'est la porte. Je n'ai pas tellement le choix, je dois retourner dans cette arène. Pour l'instant je suis fort surpris d'avoir tenu six mois dans cet emploi à Westminster, et en plus, sans aucune sorte d'arrière-goût amer qui me dise : il faut que tu trouves une porte de sortie. Mon seul désir de trouver un autre emploi est bien parce que ça ne paie pas suffisamment, ou plutôt que mes dettes sont trop élevées, et que si j'ai le potentiel d'aller chercher 10,000 de plus par an, pourquoi pas ?

   The next station is Vauxhall. Encore une fois j'arrive à Waterloo. Bien que ces bitches vont tenter de me créer des ennuis ce matin, je me sens d'attaque à les ignorer et à ne pas être effrayé. J'ai perdu tout mon respect pour Master Bitch alias Rachelle. Peut-elle vraiment venir me reprocher de ne pas avoir téléphoné une heure avant, hier, pour dire que j'étais encore à l'hôpital alors qu'elle a manqué 3 semaines complètes de boulot, depuis deux semaines ne vient que le lundi et mardi, sans compter qu'elle quitte le bureau à 14h ? Jamais dans ma vie je n'ai vu une employée autant exagérer, alors qu'elle ne tente pas de me tenir en laisse après ça.

   Ma journée est maintenant finit. Rachelle m'annonce aujourd'hui qu'elle ne revient pas de la semaine, mais sera peut-être là vendredi. Avec ça elle ajoute que demain elle sera à l'hôpital toute la journée. Dans ma tête, me vient soudainement cette envie de lui dire : à propos de ma journée d'hier à l'hôpital, dois-je la compter telle une de mes journées de congé, ou même prendre une coupure de salaire d'une journée ? J'aurais bien voulu voir sa tête, alors qu'elle en est à sa vingtième journée payée dans les hôpitaux. Mais avant même que je ne puisse ouvrir la bouche, elle a dit : « Ne t'inquiète pas pour hier, tu ne perds aucune journée de congé et tu n'as pas à faire d’heures supplémentaires ». Et heureusement, pensais-je ! Elle le disait comme si elle me faisait une faveur, alors que c'est la loi et la normalité. Bitch.

 

6 avril 2005

 

   Non seulement j'étais déjà tant fatigué hier que je me suis endormi dans le train (je tombe endormi vers Barnes et je me réveille habituellement à Brentford, et c'est le cas de plusieurs des passagers, on tombe de sommeil et on se réveille aux mêmes stations), mais en plus je me suis couché après 2h du matin. J'écrivais, voyez-vous, ce livre de poésie supposément inspiré que je me fais un devoir d'écrire, alors que je n'ai aucune raison valable de l'écrire. C'est le cinquième recueil d'une série dont seul le premier a trouvé un éditeur, et ça a été un flop monumental bien que c'était scandalisant à souhait. Un manque de visibilité flagrant, aucun doute, mais tout de même, pourquoi s'obstiner à écrire ces livres si je sais qu'ils n'iront jamais nulle part ? En tout cas c'est en anglais cette fois, et le titre est merveilleux : Working in Westminster, Intelligence not required. Tout le monde que j'ai rencontré dernièrement confirme que ce titre est génial. Au point où je commence à penser que le titre fait le livre et qu'il faut continuer à chercher jusqu'à ce que 'on trouve ce titre magique qui fait se pâmer les masses. Combien de titres de livres et de chapitres ai-je écrits dans ma vie ? Serait-ce le premier titre génial que je trouve ? Est-ce que cette fois ce livre sera publié et sera un grand succès sur la liste des best-sellers de Londres ?

   À un moment donné je m'accrochais au titre parce que, je me disais, les textes sont moins intéressants que le recueil précédent. Je me forçais à écrire un texte par soir, peu importe si j'avais bu ou non. Et tous ces textes écrits sans alcool étaient clairement moins intéressants que ceux écrits sous l'influence, non pas de la bière, mais du vin rosé. La bière inspire, mais moins que le vin. Et je constate à mon grand désarroi que sans le vin, je suis incapable d'écrire de la littérature inspirée telle de la prose ou de la poésie. Et je pense à tous ces artistes qui nous ont pondu de grandes œuvres, une musique de génie, sous l'influence des drogues, et comment il doit être difficile pour eux aujourd'hui de faire quelque chose de bon et de génial sans ces drogues, parce qu'ils sont supposément clean. Impossible, arrête les drogues et tu ferais tout aussi bien d'arrêter également ta carrière musicale. Un jour il est fort possible que j'en vienne au point où je bannirai l'alcool de ma vie, j'ai presque hâte à ce jour. Mais ce jour-là je ne pourrai plus écrire de poésie ou de prose inspirée. Mais pourquoi s'inquiéter ? Ce n'est pas comme si ça changerait quelque chose à mon existence, cette catégorie de livres ne trouve pas de lecteurs ni d'éditeurs de toute manière. Avant d'abandonner l'alcool, je devrais abandonner l'écriture et me libérer de se fardeau inutile. Ce serait bien plus intelligent. Je dois avouer que mes parents avaient raison à ce propos. Quelle perte de temps, sans parler de tous ces sacrifices qui n'ont abouti à rien. Malgré tout, j'ai encore ce sentiment que je réussirai un jour, que l'on me lira un jour, je suis incapable de baisser les bras et d'accepter la défaite. Une crise obsessionnelle illimitée. Il faut vraiment être bouché, je ne comprends pas pourquoi je n'arrive pas à comprendre que c'est un combat inutile. Peut-être parce que j'écris d'abord par pur besoin, et l'idée de publication et d'être lu est secondaire. Peut-être.

   Je commence sérieusement à être malade de Londres. Je ne puis plus supporter la vue des stations Clapham Junction et Vauxhall. Je pense qu'en dix ans je les ai suffisamment vues. Revenir en touriste à chaque année me suffirait. Quand les deux livres que j'écris à l'heure actuelle seront terminés, j'aimerais partir de Londres. J'aimerais la banlieue anglaise, à défaut d'avoir accès à la banlieue française. Pas de retour au Canada possible, je dois attendre une autre année pour avoir ma citoyenneté britannique. Je ne pars pas d'ici jusqu'à ce que j’aie ça. Et si je dois quitter le pays, je reviendrai l'an prochain pour en faire la demande. Ça veut dire que je serai ici pour un autre deux ans, puisqu'ils prennent un an ou presque pour te donner ton passeport. Alors la banlieue anglaise me semble la seule solution.

Voyons voir, comment faire pour déménager en Cornouailles ou au Pays de Galle, tout au bout de la M4 ? Il n'y a pas d'emploi là-bas, et il faudrait en plus que Stephen trouve un emploi. L'idée de déménager ne l'enchante pas, même si l'on pourrait sans doute récolter entre 600 et 700 livres par mois en sous louant l'appartement. Faudrait presque un emploi que nous pourrions faire ensemble, une entreprise alors ? Trop risqué, ça l'effraie, il est convaincu que ce serait la faillite. Quoi alors ? Sans compter que mon salaire de 25,000 en ce moment ne suffit pas à payer mes dettes. Il n'y a pas de solution à ce problème. Les gouvernements paniquent parce que 80 % de la population vivent dans les grandes villes, ils veulent changer ce problème grandissant, en même temps il n'y a de l'emploi que dans les grandes villes et les salaires y sont deux fois plus élevés qu'à la campagne. On n’a pas le choix de vivre dans les grandes villes, bande d'imbéciles.

   Je suis maintenant dans le train du retour. Si je ne me sentais pas aussi détaché de cet emploi, je dirais qu'aujourd'hui fut ma pire journée, bien qu'il soit rare que j'aie vécu un tel moment au bureau, peut-être parce qu'avant je n'ai jamais eu autant de responsabilités. En tout cas, donnez-moi un rien de responsabilité, et voilà, je m'en vais tout vous bousiller. J'ai certainement prouvé aujourd'hui mon incompétence absolue, et je ne peux que m'en vouloir d'avoir pris autant de temps pour comprendre la situation.

   Premièrement il faut comprendre que je suis très en retard sur ma première conférence et qu'il reste moins de deux mois pour vendre les places, ce qui est déjà une mission impossible. Ensuite ça a pris une éternité pour trouver la compagnie parfaite qui allait tout nous faire, mais voilà, j'ai découvert aujourd'hui qu'ils me chargeaient une fortune. Une semaine ça m'a pris pour regarder à leurs derniers prix, et voilà que je me rends compte que pour trouver des publicitaires ils me chargent 4,500 livres plus un pourcentage de 15 %. Et ce n'est rien, juste en temps, la campagne de marketing me coûte 8,500 livres. Je n'ai appris qu'aujourd'hui que ce 8,500 n'était que pour le temps, et non pour toute la campagne de marketing comme me l'avait confirmé hier le directeur qui est mon contact. Dans ces conditions je leur ai dit de tout arrêter jusqu'à ce que je puisse parler à mon patron qui revient seulement lundi. Et me voilà dans un grand merdier dont les portes de sorties se font rares.

   Je n'ai que deux solutions, ou bien je baisse les bras et je dis à Sherlock que nous allons utiliser le département de conférences de notre association, alors que justement j'ai perdu plus de trois mois à trouver une compagnie qui nous offrirait une seconde option plutôt que d'être pris avec une seule organisation. Ou alors en catastrophe demain je téléphone les autres compagnies candidates et je tente de comprendre les vrais coûts à considérer et laquelle fera l’affaire. Et alors lundi convaincre Sherlock d'oublier cette compagnie de Richmond, que c'est bien trop cher.

   Il sera certes en panique absolue, il me dira incompétent. Pourquoi n'ai-je pas compris ces chiffres avant ? Parce que l'on me les a donnés la semaine dernière seulement et je n'ai pas eu le temps de tenter de comprendre leur signification avant aujourd'hui. Est-ce une bonne justification ? Sans doute que non, d'autant plus qu'il est clair maintenant qu'il faudrait changer la date de cette conférence, et tout le monde au bureau semble déterminé à ne pas changer la date et à faire de cette première conférence un flop.

   Je suis dans le trouble, aucun doute. Je ne sais plus quoi faire et je ne sais pas ce que je ferai. J'ai l'impression que l'on m'a triché et que ça m'a pris une semaine complète pour m'en rendre compte, et que maintenant c'est trop tard. Je suis en train d'arrêter un TGV dans sa course, et je vous jure qu'il en faut du cran et de la détermination pour ainsi se lancer aux fauves. J'espère que je me sortirai de ce pétrin.

 

8 avril 2005

 

   Ce matin a été un de ces matins où quoi que tu fasses, tout va de travers et tu seras en retard. Hier j'étais 45 minutes en retard, aujourd'hui, au moins 15 minutes, mais je ne suis pas encore à destination, comme hier un train brisera peut-être sur la ligne et les métros prendront peut-être 10 minutes à arriver.

   Aujourd'hui apparemment, comme tous les vendredis, il n'y aura presque personne au travail. Difficile de se motiver à travailler dans ces conditions. D'autant plus que mon problème de coûts des conférences est loin d'être réglé. J'espère que quelque chose surviendra. Tout doit suivre une sorte de loi mathématique et sans doute au début de la semaine prochaine tout rentrera dans l'ordre. En attendant, j'ai un mal de tête terrible et si quelqu'un a le malheur de s'approcher de moi pour me parler, je vais certes exploser.

   Je suis en retard sur tout au travail, et pourtant, aujourd'hui j'ai envie de ne rien faire. Je dois finir de lire The Valley of Fear, Sherlock Holmes, Sir Arthur Conan Doyle. Je pense que je vais lire toute la journée. Sinon je suis en retard pour mon online shopping, il doit bien y avoir une série de sites Internet que je voudrais visiter. Je dois également écrire les bases de ce nouveau jeu vidéo, et là on m'a appris hier que je devais faire un game design. Christ, rien n'est simple sur cette planète, et je n'ai aucune idée à quoi ressemble un game design, mais je suis certain que ça va me demander un autre 100 heures de travail alors que je n'ai pas une seule seconde à moi.

   Tous les week-ends, tous les soirs de cette semaine je travaillais pour cette nouvelle compagnie d'animation 3D, et même pas à l'écriture de scénario, et sans être payé. Je suis sur le bord de la crise de nerf parce que je travaille jour et nuit sans cesse sans dormir. Et hier, le pauvre propriétaire de cette compagnie me demande d'envoyer du spam à des inconnus, à des compagnies de jouets en fait, pour leur faire prendre connaissance de sa compagnie. Je n'ai jamais envoyé de spam pour mes propres sites, je ne le ferai certainement pas pour sa compagnie. Et hier je voulais écrire, ou même me reposer. Je savais que j'en avais pour à peine trois heures avant d'aller me coucher. Et je pense que ça l'ait choqué que je puisse vouloir prendre une soirée de congé. Un long silence a suivi. J'ai passé près lui dire que notre partenariat était terminé, qu'il n'avait sans doute pas vraiment besoin de moi puisque je suis incapable de dessiner quoi que ce soit. Traduire des e-mails, répondre à des anglophones, écrire des présentations, tout cela est un job à temps plein d'administrateur ou même de secrétaire. Tout cet investissement ne sera peut-être pas inutile, mais j'ai vraiment l'impression que ça le sera. Parce que s'ils décrochent un contrat et qu'il n'y a rien à écrire, alors je prends le bord. Et dans toute probabilité, à mon avis, ils vont être engagés par une compagnie quelconque et alors je serai de nouveau seul, à avoir fait tout ce travail pour rien au lieu de travailler sur mes propres projets qui sont urgents.

Depuis une semaine maintenant je tente de corriger les quatre scénarios que j'ai écrits pour cette autre compagnie pour les mettre sur mon site. Et je n'y arrive pas, ça me prend une éternité. Pourtant faut que ce soit en ligne samedi, et alors il faudra que je m'assure que cette autre compagnie ne me poursuivra pas en justice pour avoir mis en ligne les 400 pages que j'ai écrites pour eux, alors que je n'avais pas les droits moraux et que je n'ai pas écrit les quelques lignes initiales. Il faudrait que plus jamais je n'écrive quoi que ce soit si je n'obtiens pas les droits après un certain temps. Quelle perte de temps et d'énergie tout cela a été ! J'ai même refusé deux emplois dans les conférences à haut salaire pour écrire ces scénarios, et je n'ai jamais reçu même un dollar. J'espère ne pas faire la même erreur en ce moment en travaillant sur cette histoire de robots.

 

18 avril 2005

 

   Un autre lundi matin, tard en avril. Je ne croyais pas que je travaillerais ici six mois, mais voilà, aujourd’hui j’ai été fait permanent. Le plus ridicule de cette histoires est que je dois maintenant donner six semaines d’avis si je veux quitter cet emploi. Cela ne m’arrange pas du tout, Stephen allait peut-être me trouver un emploi là où il travaille, et aussi une agence est en train de tenter de me convaincre qu’un emploi qui paie moins cher que celui que j’ai, à travailler dans les conférences pour une compagnie commerciale, serait mieux que ma position actuelle. Et une troisième possibilité, est cette compagnie que nous allions utiliser pour le management de nos conférences, tous les employés viennent de quitter pour créer leur propre compagnie. Me laissant dans la merde, mais également me faisant espérer qu’ils m’engagent. Mais ces trois options ne sont que des moyens psychologiques pour moi de m’évader de cet emploi, qui somme toute n’est pas très infernal. Si je pouvais commencer à produire des conférences comme une machine, une chaîne de montage comme l’on construit des automobiles, alors je serais ok.

 

20 avril 2005

 

   Je n'ai plus rien écrit depuis une éternité. Sans doute parce que je pensais que rien de nouveau ne survenait ou que ça n'en valait pas la peine. Pourtant il s'en est passé des choses. Je suis devenu un travailleur permanent, comme je disais, et Rachelle a pris le contrôle de mon existence. Elle parle déjà d'établir une sorte de calendrier qui établira les échéances impossibles qu'il me faudra respecter. Elle aime montrer son petit pouvoir misérable en élevant le ton parfois pour m'arrêter dans mon élan et prouver son autorité absolue. Le problème est qu'elle n'est pas aussi intelligente ou connaissante qu'elle semble le penser, et souvent ses décisions prises sur le pouce et criées pour que tous puissent entendre ne font aucun sens. Jusqu'à maintenant, rien de bien grave, rien qui ne justifie que je me rende dans le bureau de Sherlock pour la dénoncer et lui dire que je suis incapable de travailler avec Master Bitch. Mais je sens que cela viendra. Et la seule et unique raison qui fasse que je suis capable de ne pas m'en faire, c'est que je sais que mes jours dans cette organisation sont comptés. Je sais qu'il serait bien surprenant que j'y sois encore dans six mois.

D'ailleurs ce week-end j'ai été à deux doigts de commencer à travailler pour la compagnie de Stephen, mais la question d'argent n'est pas réglée et maintenant il me faut donner six semaines d'avis, ce qui est très long. Cependant je dois avouer qu'il soit fort possible que sans m'en rendre compte, dans six mois j'y travaille encore.

   Hier Rachelle était heureuse d'exercer sa nouvelle autorité sur moi en criant qu'elle ne me permettrait pas d'aller à aucune de mes conférences, que c'était inutile et une perte de temps. Lorsque je lui ai indiqué que ça ne ferait pas très professionnel que le producteur de la conférence ne soit pas là pour accueillir les conférenciers, elle m'a lancé qu'elle connaissait le monde des conférences car elle en a produit plusieurs elle-même. Que ce serait une perte de mes talents que de me rendre à mes conférences, que j'étais plutôt bon à la préparation, la production, et l'administration, mais pas comme figure de proue représentant l'organisation le jour même. Je pense qu'en d'autres circonstances, un producteur de conférences normal aurait explosé à ce moment-là, car la plupart adorent être là le jour même, faire la star, être en charge d'un événement avec des centaines de personnes. Ils en ont un buzz qui ne s'éteint pas facilement. En plus, leur conscience professionnelle leur dit qu'ils doivent accueillir tout le monde, rencontrer ces conférenciers, apprendre pour leur prochaine conférence et développer des amitiés qui aideront au développement de conférences futures. Le problème est que je ne suis pas un producteur de conférence ordinaire, je déteste mon emploi et surtout de me rendre à mes conférences. En effet, je préfère et de loin la production à distance et ne pas avoir à être là le jour même. C'est toujours d'un pénible effrayant et tout va toujours mal. Il faut une série successives de miracles pour mener à bien une grande conférence, et bien qu'en dix ans j'aie été chanceux et que les miracles se soient toujours matérialisés, éventuellement sans doute ce ne sera pas le cas et le désastre m'achèvera. Alors, lorsque la folle a tenté de me faire exploser, au contraire j'étais ravi. En fait, je me sens tellement éloigné de cet emploi et de cette organisation que très peu de ses décisions pourraient m'atteindre, je me fous éperdument de tout.

   J'ai remarqué aussi que Sherlock lui dit quelque chose et alors peu après elle revient vers moi pour m'annoncer en grandes pompes les nouvelles décisions, comme si tout cela venait d'elle. Son problème est que Sherlock aussi a ses petits jeux d'esprit et peut changer d'avis d'un instant à l'autre, et te convaincre que ce qu'il avait dit auparavant, il ne l'avait jamais dit. Alors souvent Rachelle se retrouve dans la merde, le monde des contradictions et la soudaine découverte que son autorité vient directement de Dieu le père, et non elle. Un autre jeu d'esprit de Sherlock, il te fait venir dans son bureau, il ne t'a rien dit auparavant à propos de certaines choses que tu aurais pu faire, et alors il te lance : quoi, tu n'as pas encore fait ça ? N'est-ce pas la logique même que tu aurais dû le faire ? Et alors, ça fonctionne très bien, on se sent coupable, on regrette amèrement notre incompétence, alors qu'il faut justement s'arrêter pour réfléchir qu'en fait, il était impossible de lire ses pensées et que ce qui semble évident que l'on aurait dû faire ne l'était pas du tout. Conclusion, cet homme qui me prend pour un imbécile est lui-même un imbécile.

   La plupart de mes collègues commencent vraiment à me tomber sur le système, j'ai maintenant les nerfs à fleur de peau. Ils sont bien trop familiers et m'attaquent en se moquant de moi à longueur de journée. C'était drôle au début, mais hier ça frôlait le ridicule absolu et ce n'est pas bien pour ma réputation au travail. En plus ça mange ton énergie et je commence à trouver ça ennuyant, pour ne pas dire emmerdant. Hier je ne pouvais plus les supporter, la journée a été longue et aliénante, routinière en plus. Ce matin en me levant j'avais tellement l'impression que si aujourd'hui serait aussi plat et inintéressant que la journée d'hier, et ressemblante aussi, alors je pourrais finalement avoir la conviction totale que je suis prisonnier d'une boucle du temps et que je revis la même journée jour après jour. Comme quelque chose survient toujours pour justement m’empêcher d’atteindre ce point où je serais convaincu d'un tel état de fait, j'en déduis qu'aujourd'hui quelque chose de grave ou d'important, qui changera de façon significative la configuration scénique de cette pièce de théâtre, surviendra. Et ça m'a motivé à me rendre au travail. Je dois admettre qu'il est fort probable que rien ne surviendra et que je serai convaincu de la nullité et de la futilité de cette existence.

   Bon, j'ai déjà passé à travers l'avant-midi, rien de particulier n'est survenu. Je ne vois pas comment l'après-midi pourrait apporter ce quelque chose de différent que mes sens revendiquent en cette journée plate à mort.

 

26 avril 2005

 

   Je suis en période de crise, de grands changements j’espère, bien que pas grand-chose devrait changer. Il y avait un temps où une période de grand changement signifiait changer de pays, recommencer une vie à zéro, la grande aventure à ma porte là toute ouverte. Mais après dix ans dans le même appartement, à vivre avec la même personne, les grands bonds de la destinée signifient maintenant tout autre chose.

Bref, j’ai flushé les Français avec qui je travaillais sur des projets hyper intéressants, de la science fiction animée 3D avec énormément de potentiel dont je ne ferai plus partie faute de temps et d’argent, et j’ai également entrepris les procédures pour non pas déclarer faillite, mais presque.

   Je n’avais plus le temps pour rien, même pas une heure pour payer mes factures. Et tout cela est fort démoralisant car je sais maintenant que je paie £ 1,000 par mois juste en intérêts pour mes prêts et cartes de crédit. Mon prêt le plus gros est encore mon prêt étudiant que je n’arriverai jamais à repayer. Même pas, en fait c’est mon deuxième plus grand prêt, puisque la fameuse Royal Bank of Scotland m’a prêté beaucoup d’argent pour mon passe-temps favoris qu’est l’écriture. Et c’est bien cette écriture qui m’a ruiné. J’avais toujours l’espoir que ça déboucherait et maintenant je pense sincèrement que c’est terminé. Écrire n’est qu’un plaisir personnel et cela ne devrait jamais plus m’empêcher d’avoir une vie normale, un emploi dans les conférences de 9 à 5 à Parliament Square, sans être fatigué mort, une vie de zombi qui me coûte les yeux de la tête.

   Enfin, je n’aurai pas à tout payer de cette fameuse dette de £60,000, je n’en paierai que la moitié en cinq ans, si tout va bien, si je suis accepté dans ce programme gouvernemental britannique (si mes créditeurs acceptent à 75 %). Si cela survient, je vais recommencer à vivre, je pourrai à nouveau aller manger au restaurant de temps en temps, je ne me tracasserai plus si j’achète un sandwich sur l’heure du midi. Et surtout, je n’aurais plus à transférer de l’argent d’une carte de crédit à l’autre et à tenir compte de douze créditeurs et des paiements en retard qui me coûtent une fortune.

   Et pour les Français et leurs merveilleux projets, je pourrai enfin dormir le soir, ne plus m’inquiéter avec l’écriture d’un scénario de film ou même un plan, alors que les idées de bases sont indéfinies et que mes idées sont toutes rejetées. Travailler avec un perfectionniste dans ces conditions signifie qu’il doit lui-même tout faire, c’est simple. Je le savais depuis longtemps, mais c’est seulement maintenant que je trouve le courage d’abandonner ce projet. Parce que je sais que ce projet prendra encore plusieurs mois, ça dure depuis cinq mois déjà et nous n’avons pas beaucoup avancé. J’ai eu le temps d’écrire deux livres en parallèle de tout ça dans les six derniers mois. Si je prenais autant de temps à terminer mes projets, je n’aurais rien accompli dans ma vie, non pas que ce que j’ai déjà accompli soit si impressionnant, mais tout de même.

   Et je me sens horriblement coupable aujourd’hui, rongé par la culpabilité d’avoir laissé tomber les Français et aussi les Anglais au travail, faut dire que c’est mon deuxième jour de congé, tout cela pour me remettre sur pied et me remettre à jour dans tous mes comptes. Pas d’autres solutions, je n’arrive plus à faire quoi que ce soit et ma santé s’en va chez le diable. J’ai même arrêté de boire de l’alcool ce week-end dans le but de tenter de me débarrasser de cette fatigue permanente et ce mal de tête qu’aucune pilule ne semble pouvoir guérir. Je me demande si je souffre d’anémie avec tout ça. Et il y a encore ce problème de plaquettes dans mon sang qui est deux fois plus élevé que la normale, un problème que personne ne semble comprendre les conséquences et dont le système de santé britannique ne semble pas trop se soucier. Mon rendez-vous est dans un mois, et ça fait déjà plus d’un mois que ce problème a été identifié. Et voilà comment on meurt du cancer ou d’une tumeur au cerveau, ça prend six mois avant d’avoir un simple rendez-vous pour une radiographie ou des tests. On a le temps de mourir trois fois.

   Si mon existence n’était pas si misérable, cela me donnerait peut-être le goût à la vie. Un renouveau absolu où la joie et le bonheur seraient au rendez-vous. Et je dois admettre que j’aimerais bien écrire un livre pour une fois qui donne l’envie de vivre et non de se suicider. Et justement mon Français accuse la société de nous rendre à ce point, à cette misère insupportable qui fait que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Et je dois dire, je ne connais personne en ce moment qui semble être heureux de vivre, avec un goût de l’enchantement et de la curiosité que cette existence devrait en théorie nous octroyer. J’aimerais écrire les Bucoliques, bien que je n’aie jamais lu ce livre, mais ça ressemble à l’idée de ce que je voudrais faire. Je pense qu’il est clair que je ne réglerai jamais tous mes problèmes, ni ceux de l’humanité. Je ne changerai pas les systèmes politiques et le contrat social. Je ne puis peut-être que me payer un bonheur virtuel et offrir un petit aperçu de cette joie à travers au moins un livre. Donner le goût de vivre alors que plus personne ne l’a.

Et justement c’est le temps des élections en Angleterre. Et les arguments sur les panneaux publicitaires sont à propos de taxes municipales et les taxes sur l’achat de nouvelles maisons. Des taxes ! En payer moins, alors que tout cela, comparé au reste, est insignifiant, d’autant plus que je ne paie aucune taxe moi-même et je ne vais certainement pas acheter une maison durant cette existence. Je suis hypothéqué ben raide pour le reste de mes jours avec aucune solution pour m’en sortir. Que je sois encore vivant aujourd’hui pour en parler, est tout simplement un miracle, puisque rien ne me motive à demeurer en vie. Je suis tellement fatigué de cette existence, et cette culpabilité aujourd’hui n’aide vraiment pas. Peut-être que des jours meilleurs s’en viennent, mais ça fait longtemps que j’ai compris qu’il n’y a pas de messie, personne ne va venir me sauver ou me sortir de mon marasme.

   En fait, c’est sur ça que devrait porter les élections. Quelque chose de bien plus crucial et existentiel. La joie et le bonheur. J’imagine d’ici le chef de parti qui oserait dire : nous allons travailler à vous rendre la vie plus facile, à vous octroyer plus de bonheur et de joie ! Je pense que la population, zombie comme elle est, ne voterait pas pour son parti. De toute manière ces politiciens sont aussi misérables que le reste de la population, il est clair que d’aller en politique demande une personnalité qui demande pouvoir et argent, une certaine ambition pour arriver au sommet de ce système hiérarchique, qui est peut-être le problème à la base. On n’élit pas les personnes les plus aptes, on élit les ambitieux et les opportunistes, les seuls qui puissent survivre dans ce système.

   Ce qui ne règle pas le problème du comment rendre les gens plus heureux. Moins de bureaucratie, dans un premier temps. Moins de surveillance à la Big Brother dans un deuxième temps (caméras, systèmes de sécurité, policiers et contraventions). Moins d’heures au travail, plus de temps libre, plus de développement dans la culture et les arts, je ne sais pas. La possibilité de travailler à distance, aider le déménagement à la campagne, empêcher les banques de prendre le contrôle de notre vie, faire disparaître ce monde merveilleux de la finance qui n’est que virtuel et qui n’apporte rien à personne sauf une poignée de milliardaires qui ne semblent pas plus heureux de vivre pour autant, ce système d’études qui n’en finit plus et qui prend 30 ans pour prouver que nous sommes moins cruche qu’un autre, alors que l’on meurt d’un cancer à l’âge moyenne de 45 ans, sans pouvoir recevoir les traitements appropriés avec un système de santé incapable de régler ses problèmes peu importe combien de milliards on y jette, changer le système de transport sur une échelle globale pour arrêter cette frustration de trains qui n’arrivent jamais nulle part, désencrasser le monde légal qui prend une éternité, emploi des millions de personnes et coûte une fortune, etc. La liste est infinie, de ces détails qui pourraient nous rendre la vie moins pénible. Mais est-ce suffisant ?

   Ce qu’il faudrait, c’est pratiquement des idéaux utopiques, avec le pouvoir de faire des changements à un niveau global. Changer tout le système, à même les Nations Unies. Adopter des idées pratiques dans le but de créer le bonheur et la joie plutôt que la misère et l’humiliation de ces systèmes hiérarchiques capitalistes. Malheureusement le socialisme et le communisme ont prouvé plusieurs fois ne pas être la solution idéale. Personne n’a été heureux ou même ont eu l’impression d’une certaine liberté sous ces régimes. Il faut autre chose, quelque chose qui ressemble peut-être à ces idées de lunatiques que l’ère supposément appelée New Age a apportées. Comment intégrer leurs bases de bien être et d’épanouissement, sans sauter dans la religion ou quelque chose qui ressemble à une religion ou une société secrète, et qui ne peut finalement que conduire à la noyade généralisée.

   Je suis peut-être prêt à écrire ce fameux livre qui remettra tout en question. C’est peut-être la marche à suivre, comment désencrasser le tout pour rendre les gens heureux, apporter le bonheur et la joie. Prendre tous les domaines de la société un par un, identifier le gros du problème, et offrir des solutions radicales pour changer le tout.

La solution globale ne viendra peut-être pas d’un changement du système social et politique, ça viendra peut-être de plusieurs milliers de petits changements à tous les niveaux. Si seulement j’avais le temps, le courage et l’argent. Ce n’est pas moi, semble-t-il, qui va réécrire la Bible.

   Peut-être que la solution est beaucoup plus simple. Je dois admettre que je passe la plupart de mon temps devant un ordinateur, et ce, depuis l’âge de 10 ans. Et avant mes 10 ans, j’avais toutes les consoles de jeux qui ont existées, comme Atari par exemple. Je ne pourrais vivre sans mon ordinateur, une sorte de nouveau monde virtuel qui me permet de m’évader psychologiquement. Et c’est sans doute une bonne chose que les gouvernements aident la population à acquérir des ordinateurs (au Canada du moins). Cependant je me demande si offrir des aquariums au peuple ne serait pas une meilleure idée en parallèle de tout ça. Regarder des poissons nager, un écosystème qu’il faut entretenir, sinon les poissons meurent, est assez fascinant et créatif. Je vois d’ici mes critiques me démolir pour affirmer que la solution aux problèmes de l’humanité est un aquarium dans chaque maison. D’accord, je me tais. Je vois que je suis arrivé au bout de mon inspiration pour aujourd’hui. Je manque peut-être d’inspiration pour recréer les nouveaux schémas de l’humanité, cependant ma crise existentielle bat son plein.

Je me sens mal parce que je ne suis pas allé au travail aujourd’hui et hier. Incapable même de savourer deux journées de congé, parce que la culpabilité me ronge. J’espère au moins que ce repos me remettra sur pied, aidera ma santé qui se détériore, j’en avais certes besoin, je n’arrivais plus à reprendre le dessus. Et je n’ai même pas encore repris le dessus, je n’ai pas regardé à mes finances, mes cartes de crédit, mes paiements en retard, et je ne crois pas que je trouverai l’énergie ou le courage. J’ai cancellé tous mes paiements automatiques pour empêcher ma banque de me charger £ 35 livres chaque fois qu’un paiement saute, et les compagnies de cartes de crédit un autre £ 25 pour paiement en retard et un autre £ 25 pour être au-dessus de ma limite à cause de leurs charges. J’ai tout simplement tout cancellé et j’ai tout laissé aller, et là mes cartes de crédit s’en donnent à cœur joie, des charges qui atteindront £ 300 avant la fin du mois. Ma vie s’en va chez le diable.

 

29 avril 2005

 

   Où suis-je, cette nuit ? Au Osterley Park, ma demeure de toujours. Je venais ici déjà lorsque je me chicanais avec mon ancien propriétaire, lorsque j'habitais de l'autre côté du parc. Je viens maintenant ici lorsque je me chicane avec Stephen, et alors que je j'ai débâtit l'appartement dans ma rage. Cette entrée sera la dernière du livre. Ça fait si mois, et six mois c'est assez pour changer une vie, et ciel, ma vie va changer.

   Comment cette histoire a-t-elle commencée ? Je ne parle pas encore du livre, mon dernier emploi dans les conférences à Parliament Square, on ne peut pas faire plus central. Je parle de ma chicane. Stephen avait égaré deux lettres, il croyait que je les avais perdues, je ne les ai jamais vues. Il pousse, il crie, il me dérange, il m'empêche de travailler, jusqu'à ce qu'à mon tour j'explose, je détruise tout dans ma marche vers l'extérieur. C'est la première fois en six mois que je viens au Osterley Park, chaque fois je retourne à la maison et il se sent coupable et tout est Ok. Même si encore une fois il m'a lancé par la tête qu'il en avait assez de moi, qu'il avait trop dépensé pour moi, et que je doive retourner au Canada immédiatement. D'habitude je le considère, dans ces périodes de crise, je suis prêt à repartir, mais cette fois c'est différent.

   Deux choses me tenaient ancré à Stephen, mon statut d'immigration et mes dettes. Or, j'ai maintenant mon visa de résident permanent, je n'ai plus besoin de lui. Et mes dettes seront d'ici six semaines effacées, sauf un paiement d'environ ₤ 230 par mois à mes créditeurs pendant cinq ans (£ 500 en fin de compte). Qu'est-ce qui me retient maintenant ? Rien. Mais ce n'est pas pour le Canada que je partirais, n'importe où fera l'affaire. Mon premier choix est la France, ensuite les États-Unis. Et vous auriez pu croire que je parle de Paris ou Los Angeles, mais je ne serai jamais suffisamment éloigné des grandes villes. Je partirais pour Utah ou Rogues (je suis incertain du nom de ce village sur la montagne, mais c'est près d'Aiguille).

   Ça fait dix ans que je pourris à Londres, ça suffit. 260,000 professionnels par an quittent Londres parce qu'ils en ont assez, seuls ceux-là ont l'argent pour le faire, et l'expérience pour trouver un emploi bidon en région. Moi j'ai prouvé que pour déguerpir, s'enfuir outre Atlantique, il ne faut rien, sauf la détermination, le courage et le cran. Je l'ai fait plusieurs fois, je peux le faire encore. Ne plus croire en la destinée, ne plus croire qu'elle arrangera tout et viendra nous sauver. Seuls nous pouvons provoquer les circonstances, créer notre propre destinée. J'ai appris ça, en dix ans où rien n'est survenu dans mon existence. Tu t'assois sur ce que tu crois être des lauriers, et tu te rends compte après la décennie que tu 'as rien de concret, aucun succès, aucune possession, même pas l'amour. Tu as eu le temps de vieillir, de devenir laid, de croire que tu es devenu une sorte de monstre qui n'a plus droit de vivre, rejeté de tout et chacun.

   J'ai aveuglément accepté tout ça. Mes échecs constants sur toute la ligne. Socialement, au travail, en amour, en amitié, partout. Je pensais mériter mon sort. Mais lorsque je suis, comme cette nuit, seul à Osterley Park, je sens ma liberté, une liberté absolue qui n'a plus rien à voir avec autrui. Je suis encore maître de mon existence, j'ai droit à la vie, le droit d'accomplir ce que je veux, de partir à l'aventure, de tout laisser derrière moi, de tout recommencer ailleurs.

   Je parle comme s'il s'agissait de la fin de ma vie. La fin d'une carrière dans les conférences, ça c'est certain. La fin d'une relation de dix ans, ce serait trop beau. La fin d'une carrière d'écrivain qui n'a jamais débouchée, quel poids serait enfin levé de mes épaules. La fin de mes aventures en Europe, ou ailleurs. C'est souvent après avoir trouvé toutes les solutions à ses problèmes, que soudainement on lâche tout, parce que soudainement il n'y a plus de lutte, plus d'obstacles à conquérir, plus de challenge à l'existence. On a prouvé être à la hauteur, être capable de passer au travers. On a appris ce qu'il y avait à apprendre, et soudainement il n'y a plus rien à apprendre ou à accomplir. Ainsi va cette destinée. Je suis enfin libre de recommencer à ailleurs ou de ne plus recommencer quoi que ce soit. Je suis enfin libre de mourir en paix.

 

28 Juin 2005

 

   Je pensais avoir fermé ce livre, je me rends juste compte ce matin que les chapitres intéressants s'en venaient. Suffisait de le laisser en jachère pendant deux mois, et voilà, la configuration scénique de la pièce de théâtre a changé.

   Vous ne serez pas surpris d'apprendre que pendant que je travaillais comme un malade à mes conférences, et notons au passage que dans toute l'organisation je suis apparemment le seul qui travaille et qui semble montrer un peu d'intelligence, bref, pendant que je me défonçais, Master Bitch a également été fort occupée. Elle organisait mon procès avec le bureau du personnel, notant tout moindre détail de mes journées de travail depuis ces derniers mois, pour que chacune de mes paroles puissent être retenue et utilisée contre moi.

   En effet, hier, sans aucun annonce préalable, surprise absolue, je fais face à une procédure disciplinaire où ils risquent de me mettre à la porte instantanément. Ils partent toujours avec l'idée la plus horrible, mais ils oublient que l'on a le droit de se défendre, et qu'après cette défense, on voit plus clairement qu'une Master Bitch pensait. Elle croyait aisément utiliser le bureau du personnel pour se débarrasser d'un problème personnel. Heureusement les bureaux du personnel ont toujours un peu peur que le tout se rende en cour de justice, et de la mauvaise publicité, ils hésitent avant de prendre des décisions radicales. Et heureusement, car depuis que Michael Jackson a gagné son procès, je me sens invulnérable et je crois pouvoir moi aussi prouver aisément mon innocence. Ce que je ne puis dire cependant, et qui est la vérité, est que Master Bitch est derrière tout ça.

   Je ne peux nier qu'une des membres de l'association ait explosé après que je lui ai annoncé qu'elle ne pouvait plus parler à ma conférence. Et ce n'est pas ma faute si dans son élan de délire elle a décidé de copier l'organisation en entier, le président inclus. Cependant je n'ai toujours été que très gentil avec cette peau de vache qui a un très grave problème d'Ego. Je ne puis nier non plus que j'ai perdu patience une seule fois en huit mois au téléphone avec la compagnie qui fait la logistique des conférences, cependant elle ne peut pas généraliser ça pour confirmer que mon attitude et mon comportement envers eux n'est pas acceptable. Il est plus qu'acceptable, et ils le confirmeront tous. Meilleur chance avec la prochaine accusation. Le reste se sont des e-mails un peu mal tournés et directs, cependant tous acceptables en tant que tel. Il est possible qu'ils aient trouvé autre chose pour m'accuser et se débarrasser de moi, et je devrai me débattre avec ça mercredi.

Pour l'instant je pense qu'ils ont tout tenté pour monter un faux dossier contre moi, avec des détails de ces derniers mois, en tentant de me convaincre que c'est déjà le troisième avertissement que je reçois. Dans ma défense, j'annonce que je n'ai jamais reçu d'avertissement, je n'ai eu que des réunions où certaines choses ont été discutées, comme s'il s'agissait de bien autre chose que l'on discute dans ces réunions. Et c'est vrai, ils n'ont jamais clairement dit : cette discussion est sérieuse, tu as un problème de comportement et d'attitude, tu n'adhères pas aux valeurs de l'association.

Alors la surprise de ce procès hier m'a choqué, ça n'arrivait de nulle part. Je me suis levé et je suis parti, en n'avertissant que la secrétaire. C'est que leur petit jeu fonctionne, je me suis senti mal, j'avais de la misère à respirer, je devais partir. Je me sens mieux depuis que j'ai écrit ma défense. J'imagine que maintenant tout va dépendre de l'énergie que Master Bitch mettra à convaincre le bureau du personnel de me mettre à la porte, et aussi la décision de la bitch du personnel à propos du si c’est risqué ou non de se débarrasser de moi dans le contexte où le tout se rendrait en justice.

   J'ignore cependant si une plus grande surprise m'attend. La semaine dernière l'Américain a eu une réunion avec le bureau du personnel. Je ne crois pas que lui aussi souffre d'une procédure disciplinaire, il n'a jamais rien fait ou dit dans cette organisation (en fait, je pense qu'il n'a même jamais travaillé, il s'assoit en face de son ordinateur toute la journée en silence à ne rien faire). Peut-être qu'il tente de devenir permanent ? Je sais que ça le fatigue beaucoup de devoir remplir des feuilles de temps chaque semaine et de ne pas avoir de sécurité d'emploi. Mais maintenant je me demande surtout s'il n'a pas été au bureau du personnel pour me planter un bon couteau dans le dos. J'espère que non, parce que toute ma défense tient surtout sur le fait que ma relation avec la compagnie de logistique et très saine et forte, ce qui est très vrai. Mais si l'Américain est maintenant en ligue avec Master Bitch, si elle a réussi à le convaincre de parler avec le bureau du personnel alors qu'elle faisait sa petite enquête pour trouver tout ce dont elle aurait besoin pour mon procès, c'est alors qu'il va mentir, et alors c'est certain que je vais perdre cet emploi.

   Ce n'est pas tant que je veuille garder cet emploi pourri à Westminster qui soit le problème, c'est l'humiliation de se faire accuser de choses injustifiées et d'assister à une conasse capable de détruire des carrières et des vies par vengeance personnelle. Et que tout cela soit freiné un peu par les lois est bien - on ne peut pas impunément mettre à la porte ainsi les employés permanents - mais c’est seulement freiné. Rien n’arrêtera cette machine qui vient de se lever pour m’éliminer.

Maintenant ça fait juste prendre plusieurs mois de calvaire, plusieurs réunions disciplinaires où le moindre de tes mouvements ou paroles est décortiqué, et à la fin de tout cela tout le monde a juste l'envie de s'enlever la vie. Et juste sous le nez du premier ministre en plus, il fonctionne bien notre système de protection des employés, ils finissent toujours par trouver le moyen de se débarrasser de nous.

Ainsi, systématiquement, je suppose, les seuls qui travaillent fort à Westminster sont éliminés par ceux qui ne veulent rien faire de la journée. Évidemment, ça paraît mal pour eux. C'est ainsi qu'à Westminster, non seulement aucune intelligence n'est requise, mais être idiot et incapable de faire quoi que ce soit est également un pré-requis.

   Rentrer dans le bureau n'a pas été facile. Heureusement il n'y avait que l'Américain et l'Indienne. Je leur ai dit que je faisais face à une mise à la rue, et George a été for surpris, d'autant plus que c'est tombé du ciel, comme ça, sans que l'on s'y attende. Je lui ai demandé si sa réunion de la semaine dernière avec le bureau du personnel avait quelque chose à voir avec moi. Il m'a assuré que non, et je le crois. Je lui ai demandé d'être mon témoin. Comme prévu il n'a pas tellement aimé l'idée. Il m'a dit de d'abord demander à Rachelle, ce que je ferai demain.

   Entre temps, la PA a pris un ton fort autoritaire, à la demande dirait-on de Sherlock. J'ai compris ce matin que je ne pouvais plus rien lui demander, et même, que je ne devrais plus lui parler. Une sorte de conflit d'intérêt peut-être, en tout cas celle-là m'a abandonné raide, alors que je la croyais de mon bord. Elle m'a souvent protégé dans le passé, mais elle a implicitement dit que cette fois j'étais seul dans le trouble.

Pauvre George, lui qui justement tente de devenir permanent de peur qu'on le mette à la porte faute de résultats convenables dans ses ventes, doit maintenant bien réfléchir à son avenir dans l'organisation. Que je puisse ainsi faire face à la mise à la porte du jour au lendemain, et sans clair avertissement, a dû le laisser fort songeur. Nous ne sommes pas dans le monde commercial, où perdre son emploi est comme d'acheter un nouveau complet, cependant nous avons les preuves maintenant que c'est pareil dans le secteur public et les associations.

   En tout cas, pour créer une diversion, ce matin à 10h nous étions invités à visiter la Tour de l'horloge et le Big Ben au Parlement. Et je me disais, quel bon timing. Je vais terminer mon emploi mercredi, et je visite finalement le Parlement une journée avant. On dirait une façon pour la destinée de me dire : voici ce que tu vas perdre. Ou alors, un message qui me dit : il faut te battre pour ton droit à l'existence, à travailler ici, sans laisser la première bitch effacer tous tes accomplissements et ton dur labeur. Je n'ai pas envie de me battre, je n'ai pas envie de continuer à travailler à Westminster. Je ne vois pas tellement comment je ferai tout ce que j'ai à faire de toute manière, et j'aimerais bien voir en action la personne qui me remplacera. Alors seulement ils comprendront l'ampleur du département de conférences que j'ai créé. Cependant, le plus dur est maintenant fait, les structures sont en place, une personne le moindrement capable pourrait se débrouiller sans problème.

   Le Big Ben. Wow ! Ce genre de grandes entreprises de fou, avec une cloche de plus d'une dizaine de tonnes, avec un bâtiment gigantesque d'une architecture effrayante juste à côté, tout cela ne peut appartenir qu'au passé. Personne aujourd'hui n'est prêt à faire de tels monuments à la gloire de l'humanité. Nous nous sommes endormis avec les siècles, les idées de grandeurs ne sont plus de ce monde.

Monter les escaliers jusqu'au sommet, regarder les cloches sonner, et voir l'arrière de ces cadrans gigantesques, c'était toute une expérience. George avait peur que je me lance en bas, après la merde qui m'est tombée sur le dos hier, et à la blague (à moitié), je lui ai dit que c'était une idée absolument géniale ! Cependant il m'aurait fallu le préméditer un peu plus. Sur le coup, sans préparation psychologique, c'était impossible.

En marchant dans le grand hall d'entrée, qui ressemble fort au grand hall d'Henry VIII à Hampton Court Palace, avec les grandes poutres en bois formant le plafond, j'ai demandé au directeur d'un des grands groupes s'il avait une aspiration à devenir un politicien. Il m'a affirmé que non, mais m'a demandé si j'en avais l'aspiration. Et je me suis surpris à lui dire que l'on ne savait jamais, que je serais peut-être intéressé. Cependant, qui voudrait d'un anarchiste suicidaire d'un autre pays, incapable de garder un emploi, comme Premier ministre ? Tout le monde sans doute, je serais le seul à dire la vérité telle qu'elle est dans tout Westminster. Et certes je ne ferais pas long feu au Parlement.

   Au travail, maintenant, je me méfie de tout le monde, je ne sais pas qui est mon ennemi et qui est prêt à m'aider dans cette crise que je traverse. J'en suis venu à la conclusion que je ne puis attendre d'aide de personne. La peur les égorge déjà, que cela puisse m'arriver ainsi alors que je ne le mérite certes pas. Et que si je le mérite vraiment de par leurs propres standards, alors Rachelle la Master Bitch aurait dû être mise dehors voilà des années. Le message est clair : don't fuck with your Line Manager, tu ne tiendras pas une seconde de plus ici.

Ses mensonges deviennent la vérité, ta défense devient une piètre excuse. Tu es coupable dès la première accusation, les gens se détournent de toi, plus personne ne rit dans le département, prouver ton innocence est impossible. Ça devient un jeu pour les ressources humaines : comment se débarrasser de toi sans que le tout ne finisse en un feu d'artifice et de publicité en cour de justice. Et ils ne prennent aucun risque, alors c'est un jeu assez simple. Ils sont bien organisés, ils ont des années d'expérience, ils savent exactement comment justifier à peu près n'importe quelle de leur décision. Bref, tu n'as jamais aucune chance en ce monde. Tu prouves tes compétences, tu construits une Tour de l'horloge à toi tout seul, avec un gros Big Ben tout en haut, et l'on te remercie en te piétinant, t'accusant d'avoir un problème de comportement et d'attitude, et tu es renvoyé. Merveilleux, tout simplement merveilleux.

 

29 Juin 2005

 

   Je me suis réveillé ce matin en pensant qu'aujourd'hui je m'en allais en cour de justice, où mon avenir et ma crédibilité en tant qu'être humain allait être décidés. J'avais en tête que mes seules erreurs ont été d'arriver en retard de cinq minutes à deux reprises, et cela suffisait à eux pour décider de sortir la garde royale, le grand juge, la cour de justice complète avec jury.

   Les gens qui se sont assis un jour pour écrire les procédures que les employés doivent suivre, et celles que les départements de ressources humaines doivent obéir, à mon avis ont également travaillé en milieu carcéral. Les gens ne comprennent pas jusqu'à quel point ils sont prisonniers de leur emploi, que de partir comme je l'ai fait hier sans avertir un supérieur, leur a tous coupé le souffle. Je faisais là une erreur tellement grave, ils en sont tous demeurés estomaqués. Peu importe que je ne pouvais plus respirer et que j'allais perdre connaissance, c'était comme si j'avais trouvé la porte de la prison ouverte et que je m'étais décidé à voler le camion de vidanges pour m'échapper d'Alcatraz. Pourtant le lendemain je reviens toujours pour demander mon reste, pour continuer ma peine.

   Le problème est qu'il n'existe aucune flexibilité, tu dois être au travail à 9h exactement, et tu ne dois pas partir une minute plus tôt. Sinon on commence à te regarder de travers, on te surveille, on te ramène à l'ordre, on multiplie les problèmes, on appelle le bureau du personnel à la rescousse. On va immédiatement agiter mer et monde pour ramener tout le monde à un conformisme si réglé au quart de tour qu'un directeur de prison en serait fier. D'autant plus qu'il n'aurait même pas à s'inquiéter que ces prisonniers fassent quoi que ce soit, nous connaissons tous les conséquences de la moindre petite action qui dévie de la norme. Procédures disciplinaires, humiliation, hypothèque de ton nom chez tes prochains employeurs, dépression, brisure de famille, etc. Et ce n'est que lorsque l'on a dévié un tant soit peu, et que soudainement l'autorité s'est levée pour t'anéantir, inventant la plupart des accusations ou en les amplifiants pour être certain de pouvoir te remettre à ta place et gagner sa cause, que tu te rends compte jusqu'à quel point tu étais conformiste, et jusqu'à quel point des détails dérogeant à la règle sont tout ce dont ils ont besoin pour faire de ta vie un enfer.

Tu paies très cher pour avoir pris même une petite liberté, et tu n'as même pas besoin d'en prendre, comme dans mon cas il te suffit de travailler avec une Master Bitch qui trouvera bien le moyen de te détruire sans que tu n'aies quoi que ce soit à faire. Et ça, je l'ai vécu à chacun des emplois que j'ai eus. Ce doit donc être fort commun, et ainsi notre système procédurale réglé au quart de tour est loin d'être parfait, si la première Master Bitch du bord peut l'utiliser pour se débarrasser de ceux qu'elle n'aime pas, sans raison, ou à cause d’une divergence d'opinion, mais rien n’à voir avec les compétences, et qui devra mentir à tour de bras pour arriver à ses fins, car ses raisons personnelles ne sont pas suffisantes pour justifier l'action disciplinaire.

   Enfin, j'arrive presque à Waterloo. J'ai l'impression de marcher vers mon exécution. De 9h30 à 11h je serai dans un bureau avec trois ou quatre personnes qui vont me questionner, mais si ce n'était que ça, me poser des questions pour apprendre la vérité. Non, ils ont été entraînés pour être insidieux, te faire dire ce qu'ils ont besoin pour ta condamnation. Il n'y a pas de juge et de jury en fait, seule une « prosecution » qui a tous les pouvoirs et qui ne cherche que les arguments pour justifier ce qu'elle a déjà décidé.

Ils vont tenter de me faire perdre patience, prouver que je suis incapable de rester calme, que je suis une petite bombe sous pression qui crie après tout le monde. Mais je serai plus calme qu'une tortue. Ils vont suggérer des choses qu'ils voudront que j'admette même au plus petit degré, mais je n'admettrai rien. Et ce sera fort difficile. Il faudra que mon comportement soit comme si j'étais sous sédatif, et j'espère être capable de jouer l'endormi, alors qu'à l'intérieur je veux juste sortir une hache et leur arracher la tête, que le sang gicle partout et qu'ils comprennent dans quel état ils m'ont mis.

Dear me, Vauxhall, j'arrive presque. Et après cet enfer, je devrai travailler le reste de la journée comme si rien n'était. Avec Master Bitch à côté de moi, à prétendre que nous nous aimons, que nous avons une bonne relation de travail, alors que la christ de tabarnack de vache vient juste de prendre un long couteau et me l'a rentré très profondément dans le dos, tout cela avec un large sourire. Je la tuerai, je me retrouverai en prison, et je ne crois pas que ce milieu carcéral soit si différent de travailler à Parliament Square.

   Ma réunion est enfin terminée, et l'incident est maintenant clôt. Jusqu'à ce que, évidemment, je dise une seule parole, ou que j'écrive un seul mot, qui pourrait être utilisé contre moi pour le second round de cette procédure disciplinaire. Pourtant, mon humilité, mon incompréhension apparente, mon silence de mort, tout cela a fait que la réunion s'est terminée sans même un avertissement verbal ou écrit. Cependant il y a un dossier à ce sujet dans les fichiers de Rachelle, mais cela n'atteindra pas les Ressources Humaines. Et finalement j'ai reçu une lettre résumant la réunion.

   Tous ces enfantillages n'en sont pas. Ils représentent leurs convictions, leurs preuves que j'étais un mécréant. En fait, ils n'avaient pas grand-chose sur moi, pas assez pour sauter directement à l'étape 1, 2 ou même 3 de leurs procédures disciplinaires, qui aurait pu garantir mon renvoi immédiat aujourd'hui même. S’ils avaient réellement voulu ça, je suis certain qu’ils auraient pu en inventer beaucoup plus.

Et comme ils ont relu les e-mails que j'ai envoyés, et qui ont causé toutes ces personnes à se lamenter sur mon attitude, ils se sont rendus compte que, bien que parfois certains mots ici et là apparemment pourraient rendre inconfortable le répondant, lorsque l'on relit le tout froidement, lorsque l'on se demande si l'on peut me renvoyer pour ça, on ne peut que se rendre à l'évidence que les répondants ont réagit hors de proportion et que leurs plaintes n'étaient pas justifiées.

   Apparemment l'Angleterre est devenue un pays rempli de pleurnichards et de gens qui se plaignent pour mille et une raisons sans raison valable. Je suis coupable aussi de me plaindre ainsi, mais j'ai décidé après ma dernière expérience voilà quelques années que je ne le ferais plus. Aux États-unis ils se plaignent très rarement, ou alors seulement lorsque ça devient nécessaire. Le problème est que se plaindre entraîne bien des problèmes et fort souvent des licenciements. J'ai presque perdu mon emploi aujourd'hui à cause d'une membre de l'organisation qui s'est plainte parce que je l'avais invitée à parler à une conférence, alors que j'ai dû lui annoncer qu'elle ne pouvait plus parler. Et bien que j'ai toujours été poli avec elle, et qu'elle n'avait aucune raison d'agir comme elle l'a fait, à se plaindre au Président de l'association et tous les e-mails qu'elle a pu trouver, maintenant les conséquences sont que les procédures disciplinaires ont commencé, je suis sous haute surveillance, et cet événement ne partira jamais plus de mon dossier. Dans 20 ans, si je travaillais encore là, on rapporterait cela comme une preuve que j'ai un trouble de comportement et d'attitude. Alors que j'ai dû refuser plus de 500 personnes dans ma vie de parler à une conférence, et tous sans exception ont réagit avec grâce et la compréhension.

   Ce que je n'ai pas aimé non plus, c'est la secrétaire ensuite, de venir me dire dans la cuisine que j'avais mal agit en partant avant-hier, et que Sherlock voulait m'appeler pour que je revienne au bureau immédiatement, sinon il me mettait à la porte. Je ne serais pas revenu, c'est certain. C'est elle qui a dû le convaincre de s'arrêter dans son élan.

   C'est exactement ce que je disais ce matin à propos du conformisme. Tu peux être le meilleur de tout ton département, le seul qui travaille et apporte des résultats, mais en fin de compte, si tu quittes ton emploi pour la journée parce que tu es malade physiquement et mentalement, au point où tu vas perdre connaissance, on te met à la rue sous l'impulsion, et de façon tout à fait légitime, pour ton insubordination. Si cela n'envoie pas un message clair au peuple que s'ils dérogent une seule seconde à ce conformisme, les conséquences seront terribles, j'ignore ce qui les convaincra.

   Arrivez 10 minutes en retard trois jours en ligne et voyez les conséquences pour vous-mêmes. Continuez à arriver en retard deux jours de plus après le ou les avertissements, et voyez combien sérieuse sera alors votre situation. N'allez pas au travail une journée sans les appeler, ce sera difficile, mais vous pourrez sans doute vous en sortir avec une bonne excuse. Faites-le une deuxième fois, et je doute que vous travaillerez encore là peu importe si ça fait 20 ans que vous y travaillez.

   Entendre que Sherlock allait me mettre à la porte parce que j'ai quitté avant-hier, a été un argument beaucoup plus convainquant que tout le reste, que je doive partir le plus vite possible de cette organisation. Il est clair qu'il se fout de mes compétences et de mon potentiel, ou de tout ce que j'ai fait jusqu'à maintenant pour l'organisation. Je ne crois pas non plus que cela le dérangerait si je lui annonçais aujourd'hui que je quittais l'organisation dans six semaines. Et avec toutes ces procédures disciplinaires qui viennent d'être entamées, aussi bien dire que je suis foutu. Je dois maintenant sérieusement me remettre à trouver du travail.

   Eh bien, le reste de la journée s'est déroulé sans problème, en fait Rachelle a été radieuse et joviale. Elle compensait pour les quelques erreurs qu'elle a commise dans toute cette histoire. La première étant de m'envoyer un tel message par e-mail au lieu de me le dire en personne. Évidemment, il n'y avait aucune raison de ne pas l'envoyer par e-mail, puisque le tout n'avait rien de bien grave, il ne s'agissait pas d'une réunion disciplinaire officielle, mais bien juste un avertissement préliminaire qui pourrait conduire aux procédures officielles. Cependant, en écrivant que ça pourrait conduire aux procédures disciplinaires, je n'étais pas du tout éclairé sur s'il s'agissait des préliminaires, de la phase 1, 2 ou 3. J'étais même convaincu qu'il s'agissait de ma dernière journée, qu'elle allait ressortir un lapin de son chapeau pour justifier comment ma conduite a été inexcusable et que je méritais la porte. Certes, je sais bien que dans son cœur c'est bien ce qu'elle désire le plus au monde pour l'instant, mais heureusement elle doit suivre la procédure, et paraître crédible devant les autres.

   Je me demande pourquoi elle prétend être gentille le reste de la journée, après m'avoir ainsi aussi clairement détruit le matin même. Elle a montré ses intentions de se débarrasser de moi, c'est maintenant officiel, copié à Sherlock et la plus haute bitch du bureau du personnel. A-t-elle peur que je me retourne maintenant pour me plaindre contre elle ? Plaidant incompatibilité de personnalité ? J'y ai pensé.

Néanmoins je vois que ce serait une erreur. Malgré tout, j'ai tout de même le reste de l'organisation contre moi, et ils placent tous les pires obstacles sur mon chemin, et somme toute le caractère de chien de Rachelle m'aide énormément à leur botter le cul. Aussi, malgré tout, j'aime mieux répondre à elle qu'à Sherlock, qui lui me glace le sang et demande toujours l'impossible. Aussi, demander de ne plus être sous elle me brûlerait sans doute. Ma seule solution serait plutôt de demander si je peux travailler à partir de la maison. J'ignore quand sera le bon moment pour faire une telle demande, je dois laisser un peu de temps passer, mais pas trop, car en ce moment je n'ai qu'une idée, trouver autre chose. Si je pouvais travailler à partir de la maison, je reconsidérerais peut-être cette idée. Je ne serais pas hors de danger, n'importe qui n'importe quand pourrait encore se plaindre contre moi, et certes, cela s'ajouterait à mon dossier qui devient de plus en plus épais. Il serait peut-être plus sage de décrisser pendant qu'il en est encore temps.

   Christ que j't'écoeuré !!! Toute la journée je me répétais dans la tête la seule phrase que j'aurais voulu leur dire : je vais terminer mon emploi ici dans six semaines. À un moment donné je le répétais en anglais à voix haute dans la cuisine, et j'espérais que personne ne m'avait entendu. Ce serait une bonne chose, mais pas si c'est pour aller travailler pour une autre firme de conférences où l'enfer recommencera, surtout si c'est pour être en plein centre de Londres. Pour moi, Central London, Parliament Square, c'est fini. Je ferai partie de ces 275,000 professionnels qui n'en peuvent plus et qui quittent Londres à chaque année vers des terrains plus verts et moins stressants.

 

30 Juin 2005

 

   Nous sommes le lendemain de cette journée infernale et je suis encore sous le choc. Je ne sais pas où me mettre, comment agir, si je dois parler ou me fermer la gueule au travail. Ma relation avec mes collègues en a mangé un coup. Ils me parlent moins, comme si je n’existais plus. Et alors j’ai tenté de discuté de toute cette histoire avec George l’Américain, et alors même que je suis encore assommé par les événements des deux derniers jours, il m’a dit : tu aurais pu au moins me dire merci, j’ai passé une heure trente hier dans ce bureau pour toi. Ça m’a non seulement fort surpris, mais en plus ça m’a insulté complètement. Premièrement il aurait pu refuser de venir à cette réunion. Deuxièmement, ma carrière était en jeu, des procédures disciplinaires qui signifient peut-être que le tout finira en justice. Et lui, monsieur, est pas content et a arrêté de me parler parce que j’ai oublié de lui dire merci.

Je dois avouer qu’il ne me serait jamais venu à l’esprit de le remercier, pourquoi le devrais-je ? Je ne m’attendrais pas à ce que l’on me remercie d’avoir participé à une réunion alors qu’il s’agit d’une obligation d’employé en tant que témoin, surtout lorsque la carrière de quelqu’un est en jeu.

   Ça c’est typique d’une certaine catégorie de gens qui sont prêts à t’aider à ne faire pratiquement rien pour toi, et si tu oublies de leur dire merci, ils sont capables de ruiner des amitiés de longue date et des familles entières. Ça me donne envie de ne jamais plus remercier qui que ce soit pour le reste de mes jours. Et de l’indiquer à tout le monde, lorsqu’ils me feront la gueule pour ne pas leur avoir dit merci, que j’ai décidé de ne plus jamais dire merci depuis cet incident. Parce que je pense que nous avons poussé trop loin ces règles de politesse, qu’elles deviennent plus importantes que les grands moments de notre existence (la mort, le meurtre, les pertes de carrière, le suicide). Et que tout cela est maintenant inacceptable. D’autant plus que l’on doit bien passer plus de dix ans de notre vie à dire s’il vous plait et merci, et qu’il suffit de l’oublier une seule petite fois pour se faire dénigrer et rejeter en société.

 

1 juillet 2005

 

   Je peux voir mon pouls sur mon poignet gauche. Il bat toujours. Ce soir c’est vendredi. J’ai bu comme un malade. J’ai tenté de me déconnecter complètement de la réalité, en rêvant à l’idée que je suis un grand auteur reconnu de ce monde. J’ai relu toutes les critiques positives de mes livres, j’ai surfé mes forums littéraires qui sont trop populaires pour ma bande passante allouée chaque mois, j’ai regardé mon site qui est mon accomplissement personnel de toute une vie. J’ai même visité les sites d’Amazon et de la Fnac, pour voir les critiques positives de lecteurs assidus. D’habitude cela m’apporte dans une sorte de réalité virtuelle où je suis fier d’exister. Mais aujourd’hui ça n’a pas fonctionné.

   Je me demande quel livre sera publié cette été, prêt pour la rentrée, et je pense que le livre actuel n’en sera pas. Je pense qu’il ne sera jamais publié. Je n’ai pas envie, dirait-on. J’ai autre chose, écrit des années avant, qui mérite cette place cette année. Mais je marchais à Parliament Square aujourd’hui, et je me disais qu’un jour je serai reconnu pour avoir craché sur cet endroit, comme un endroit pourri où tout survient. Mais ce n’est que de la merde.

 

4 juillet 2005

 

   Hier, dimanche, j’aurais tout fait pour ne pas venir au travail ce matin. J’avais mal au ventre, j’étais en crise, panique absolue. C’est tout ce qu’ils ont réussi à faire avec leur petit manège la semaine dernière. Ils ont du jour au lendemain transformé ma vie sans histoire en un cauchemar de premier ordre.

   Ils m’auraient attendu lundi dernier avec une batte de baseball à l’entrée, plutôt que cet e-mail au ton déchirant et définitif, copié au grand patron et le bureau du personnel, et ils m’en auraient donné plusieurs coups sur la tête, que je pense que je me sentirais mieux aujourd’hui et je trouverais cela plus acceptable. C’est que la torture psychologique ne laisse aucune trace, on ne se retrouve pas à l’hôpital, c’est impossible de mesurer les effets primaires et secondaires.

   Je n’étais plus capable de me concentrer sur rien. Hier, j’ai tenté de jouer à Dungeon Master Java pour me changer les idées, mais c’était peine perdue. Et ce matin je dois travailler sur le marketing, les publicitaires, les articles dans les magazines, etc., etc., et devinez quoi ? Je n’ai encore rien fait en deux heures trente, et je n’ai rien l’intention de faire ce matin. Ma motivation a été instantanément anéantie. Ma passion pour ces conférences, qui sans doute est ce qui m’a apporté dans le trouble en premier lieu, ou du moins a donné de bonnes raisons à Rachelle de m’accuser de ces frivolités, s’est envolée complètement avec leurs procédures disciplinaires.

   Nous avons maintenant manqué toutes les échéances pour les magazines pour le marketing de la première conférence. J’aurais dû tout faire en début de semaine passée, à vitesse rapide, dans la première heure. Une semaine complète ça m’a pris, après cet e-mail qui a eu l’effet d’une bombe sur mon moral. Il n’y a pas meilleur exemple d’une entreprise qui se tire dans le pied, ou même dans la tête. Ce système qui fonctionne sur la peur, ne fonctionne pas du tout. La productivité de tout le département de conférences, dont je suis responsable, a été éliminée en moins de temps qu’il leur en a fallu pour eux d’écrire leur e-mail destructeur. Et ça va prendre du temps avant que le tout reprenne la vitesse de croisière initiale, en fait il n’y a aucune chance. Je n’ai plus l’intention de faire quoi que ce soit jusqu’à ce que je trouve un nouvel emploi.

   Entre temps, je ne crois plus tellement en la destinée, puisque je pense que c’est maintenant devenu une sorte de religion, une béquille pour accepter les injustices de ce monde. Mais Rachelle a été la victime d’un accident de voiture vendredi. Rien de sérieux cependant. Malheureusement. Ça lui a juste permis de manquer deux jours de travail, heureusement.

 

6 juillet 2005

 

   Nous sommes maintenant le 6 juillet, la fête des États-unis, du Canada et du Québec sont enfin terminées. Hier j'ai manqué mourir d'ennui au travail, je pensais que la journée ne se terminerait jamais. J'ai vraiment besoin de vacances, je n'ai pratiquement eu aucune journée de congé depuis Noël. Une journée de plus est un vrai calvaire, bien qu'aujourd'hui soit ma dernière journée complète pour cinq jours. Demain c'est la fin de l'année fiscale au travail. Nous allons tous à Chelsea, Ranelagh Gardens ou quelque chose du genre, là où ils font toujours le festival de fleurs. Ce n'est pas optionnel, nous devons y aller. Et là tous les christs de patrons vont nous faire leurs discours annuels et je devrai lutter pour ne pas ronfler trop fort. Après, cinq heures plus tard, nous mangerons un barbecue, aussi bien dire que comme la dernière fois il n'y aura rien pour les végétariens, à part ces saucisses dégueulasses qui m'ont rendu malade lors du dernier barbecue sur la terrasse, sur le toit du bâtiment. Au moins la vue sur Parliament Square en valait la peine. Après on boira de l'alcool pendant un autre cinq heures. Merde, ce que je devrai inventer pour sacrer mon camp le plus rapidement possible, je ne le sais pas encore.

   Hier la journée a été tellement pénible, l'atmosphère stressante, lourde, je ne savais plus où me mettre, quoi faire pour sortir du bureau, n'importe quoi. Et aujourd'hui j'y vais vraiment à reculons. Je me dis, il est fort rare que deux journées en ligne peuvent être aussi terribles. Mais j'ai déjà également expérimenté une deuxième journée qui est encore pire que la précédente. Et quand on sait que la plus petite des nouvelles d'habitude est suffisante pour me motiver, comme par exemple Master Bitch quittant la compagnie dans quelques semaines, ou même changement de département immédiatement… je ne demande quand même pas beaucoup à la destinée. Ou alors Sherlock est maintenant à l'hôpital pour au moins six mois, ça aussi m'aiderait grandement. Il ne m'a pas dit un seul mot depuis toute cette histoire de procédure disciplinaire. J'ignore comment interpréter ce silence. Mais je dois avouer que, même avant, il ne me parlait pas beaucoup. Je tente de me souvenir quand était la dernière fois. Nous travaillons à moins de trois mètres l'un de l'autre, même si une vitre nous sépare la plupart du temps. Encore, il sort de son bureau à tous les quarts d'heure, et trouve le moyen de parler aux autres.

   Ce silence est devenu insoutenable. Est-ce qu'il pratique une sorte de psychologie de bas niveau ? C'est-à-dire, me démontrer par ce silence que je ne suis pas dans ses grâces en ce moment, parce que j'ai un problème identifié de comportement et d'attitude négative ? Est-ce de l'embarras, de m'avoir fait passer au travers cette stupide procédure, où pendant un instant j'ai cru qu'il s'agissait de la fin de mon emploi, « gross misconduct », instantanément jeté sur le trottoir ? Est-ce juste un manque de temps et d'intérêt ? Je l'ignore.

   Je savais que ce matin il y aurait un autre message infernal dans ma boîte de réception. Ils n'arrêteront pas avant d'avoir tout anéanti, détruit toute ma crédibilité. Au point où je me demande maintenant si je vais les mentionner sur mon curriculum vitae. En fait, c'est assez extraordinaire. Je tente de produire une conférence, de faire le marketing, les brochures, les annonces, etc., et partout dans l'organisation personne n'a voulu m'aider. Cependant, à la première opportunité ils ont tous explosé pour m'empêcher de faire quoi que ce soit. Tous les délais qui ont été encourus sont leur propre faute, pas la mienne. Cependant, ce matin, j'ai reçu un nouveau message qui m'accuse d'incompétence parce que le marketing n'est pas encore parti et qu'il n'y a que deux délégués d'enregistrés. Ils parlent de tout canceller, et sans doute me mettre à la porte dans le même élan. Ah, j'en aurai du plaisir la semaine prochaine lors de ma réunion de fin d'année fiscale, où l'on va discuter mes compétences, mon comportement et ma possible augmentation de salaire. Je dois, je pense, avoir rendu ma démission avant cette réunion. Sinon six semaines plus tard, et nous serons en septembre, et je devrai rester pour la conférence en tant que telle. Comme ce sera le flop de l'année, j'ai bien l'intention de ne plus y être. C'est pas ma faute, mais bien sûr personne ne voudra accepter ça ou le comprendre, pour eux c'est tout ma faute. Ils ont bien joué leur jeu, et je comprends maintenant pourquoi Sherlock ne me parle plus. Il voit le mot échec à tous les niveaux écrit sur mon front. Il aurait une seule envie, me cracher dessus alors qu'il marcherait vers son bureau, et me dire : déguerpis, sale raté !

   Il fallait s'y attendre, et je suppose que ça aurait été pire si j'avais accepté l'autre emploi dans les conférences que l'on m'a offert en même temps voilà neuf mois. Ces cons s'imaginent qu'à nous seuls nous pouvons produire dix conférences par année, alors qu'il faudrait une équipe complète d'au moins dix personnes, et une machine si bien huilée avec tous les autres départements. que le tout fonctionne comme sur une chaîne de montage. Seul et sans le support d'aucun des autres départements, c'était dû pour la faillite absolue. Je dois maintenant rendre ma démission, mais mon copain Stephen ne sera pas content du tout de tout ça. À six semaines d'avis, je ne puis pas non plus attendre de trouver un autre emploi avant de laisser celui-ci, quel imbécile serait capable d'attendre six semaines avant que tu ne puisses commencer ? Quel cauchemar !

   Et certes ça a continué durant l'après-midi. Échéances après échéances sont manquées à cause de tous ces tabarnacks de départements incapables de faire quoi que ce soit pour moi. Et eux n'ont aucune responsabilité pour le fait que le bateau soit en train de couler. Quand j'ai quitté ce soir, Rachelle me regardait d'un air ahuris, elle semblait en avoir long sur le cœur, à me dire, à m'avouer, de ce que Sherlock a dû lui dire à mon propos. Je ne pense pas un instant qu'il soit satisfait de ma réponse en rapport au fait qu'aucun délégué ne soit encore signé sur cette conférence. Il est définitivement parti en croisades contre moi et cherche le moyen de se débarrasser de moi, et c'est ça que je pensais lire ce soir sur le visage découragé de Rachelle. Et maintenant, juste pour couronner cette journée d'enfer, le train est coincé à Waterloo sans air climatisé, pour la deuxième fois en deux semaines. Au moins cette fois-ci le chauffage ne fonctionne pas à pleine capacité comme la dernière fois, cela justement pendant une canicule. Le tout Londres s'organise pour te faire dépasser cette limite qui te rend complètement fou.

 

12 juillet 2005

 

   Moi qui s’inquiétais avec l'air climatisé détraqué des trains, quatre bombes ont explosé voilà quelques jours dans les métros et un autobus à deux étages de Londres. J'ignore à quel moment vous lirez ce livre, mais si quelques année sont déjà passées depuis sa publication, peut-être même vous ne vous souviendrai pas d'avoir entendu parler de cette attaque terroriste à Londres.

Entre 50 à 70 personnes sont mortes, au moins 700 blessées, et tout cela à quelques stations de Westminster. Le tout à explosé au moment même que je sortais de la station à Parliament Square. Je suis le dernier qui soit sorti de l'endroit, les lumières et l'alerte battaient leur plein. Nous avons eu le reste de la journée de congé et le lendemain également. Dans mon cas j'avais déjà tout ça de congé pour un rendez-vous à l'hôpital le lendemain et notre fête de fin d'année fiscale l'après-midi même, qui a été annulée dans les circonstances.

   Les bombes ne m'ont pas affectées, ni les morts. Je suis devenu, ou alors j'ai toujours été, un être qui demeure insensible à ces choses. Sans doute parce que les médias ont dédramatisé tout ça et que cela ne m'affecte plus. Ou alors, le mensonge constant et l'amplification infinie des événements que les journalistes construisent sans cesse ne peuvent plus que me faire douter des vrais événements. Maintenant, c'est simple, si je ne suis pas juste à côté, si la bombe ne me saute pas au visage, je ne puis me conceptualiser les événements, et alors je ne puis non plus avoir de réaction émotionnelle.

Quant à savoir si en effet les journalistes déforment la réalité pour en peindre un tableau dix fois plus noir que la réalité, j'ai expérimenté le tout de première main. Bien que je tente de me convaincre que, en tant qu’écrivain québécois vivant hors du Québec, personne ne me connaît, je pense que l’on me connaît bien plus que je ne le pensais. Une ribambelle de journalistes m’a contacté, les plus importants, à croire que j’étais le seul Québécois connu qui vivait à Londres, alors que les bombes ont sauté.

J'ai été interviewé par téléphone par une journaliste au Québec. J'ai parlé pendant vingt minutes, où jamais on ne m'a dit que l'on m'enregistrait. Ensuite, ils ont édité tout mon discours en remplaçant des mots ici et là, pour en reconstruire des phrases que je n'ai jamais dites. Ainsi, avec un discours qui disait que je n'avais rien vu, rien entendu, et que j'aurais facilement pu ne pas me rendre compte des événements si un collègue au travail n'avait pas averti tout le monde, et qu'il y avait certains reportages qui mentionnaient des bombes et des morts sur le trottoir, le reportage est devenu une panique absolue, où pour me rendre au travail j'ai dû confronter les alertes à la bombe, pour retourner à la maison j'ai dû marcher pendant quatre heures (je n'ai pas marché du tout), sur mon retour j'ai vu les bombes, les morts gisaient dans les rues, une femme au visage fondu, c'était effrayant ! D'autant plus que mon patron lui-même était dans l'autobus qui a explosé et qu'il est presque mort à l'hôpital (en fait notre président marchait à proximité de l'endroit et serait en effet à l'hôpital). Ensuite ils sont allés voir ma mère, et ils l'ont filmée alors qu'elle pleurait, affirmant avoir imaginé le pire. Ainsi, toute l'entrevue a été un tissu de mensonges. Rien de ce que la voix narratrice disait, entre mes paroles, n’était vrai. Et ce n'est pas parce qu'ils avaient mal entendu. Au moins l'entrevue télé que j'ai donnée à Radio-Canada, et qui a été passée en direct d'un bout à l'autre du Canada, n'a pas été éditée. Cependant je n'ai pu retrouver une copie de cette entrevue. La deuxième entrevue télé donnée qui n'était pas en direct a également passé partout au Canada, et cette fois c'était bien. Pas d'éditage. C'est peut-être plus difficile lorsqu'il y a des images, on ne peut pas aussi impunément reconstruire une histoire différente, les images doivent suivre les paroles. Cependant ils ont choisi les segments les plus effrayants et ont laissé tomber tout le reste. Alors encore une fois c'était biaisé.

 

15 juillet 2005

 

   Je ne croyais pas pouvoir survivre jusqu'à la mi-juillet au travail, mais voilà, aujourd'hui est enfin ma dernière journée, j'ai ensuite onze jours de congé. Enfin, pas tout à fait, je dois travailler à partir de la maison, au moins une journée ou deux pendant mes vacances, parce c'est certain que la conférence va couler à pique, aussi bien tenter d'amortir le choc. Ça me laisse onze jours pour trouver un nouvel emploi et quitter non seulement Parliament Square, mais le centre de Londres, pour toujours.

   Étrangement, lorsque les bombes ont sauté jeudi passé, malgré tout le temps perdu juste à discuter ces événements avec mes collègues, malgré tout j'ai réussi à faire pas mal de travail dans les deux heures où j'ai en effet travaillé. En plus, le temps m'a semblé aller moins rapidement que d'habitude. Il y avait un article sur le site de Radio-Canada, dont je faisais partie, avec le titre : « Londres va au ralenti ». Et c'est très vrai, non seulement tout le monde était comme assommé et n'allait nulle part très rapidement, mais en plus le temps semble avoir changé de taux et j'ai clairement pu constater que je pouvais accomplir davantage que d'habitude en rapport à un temps donné.

   Aujourd'hui j'ai ressenti la même chose. J'ai pressenti que le taux du temps allait plus lentement que d'habitude, et même si j'étais cinq minutes en retard à entrer dans la salle de bain, j'en suis ressorti dix minutes plus tôt que d'habitude. Je suis également arrivé à la station quatre minutes avant mon train, pourtant je suis parti à la même heure que d'habitude, et d'habitude j'attrape mon train de justesse.

   Pendant un instant je me disais, ça y est, il y aura d'autres bombes aujourd'hui, ou quelque chose de plus grave encore. Mais je crois que c'est plutôt relié à cet orage électrique gigantesque qui semble vouloir nous tomber sur la tête ce matin. L'atmosphère est électrique, lourde, grave. Ça a toujours un effet foudroyant sur la population en générale, les gens ont beaucoup de misère à se calmer ou à ne pas être surexcités. Et maintenant je me souviens que jeudi passé aussi était une journée similaire, l'atmosphère était lourde, il a plut une pluie torrentielle qui m'a trempé complètement. Cependant ce n'était pas un orage électrique, bien que je me souvienne d'une certaine électricité dans l'air.

   Est-ce juste une coïncidence, si des moments très graves de l'humanité surviennent lorsque l'atmosphère est prête à éclater sur le dessus de nos têtes ? Et que ces jours-là le temps semble aller plus lentement, nous laissant le temps d'accomplir davantage ? Certes, décider de se suicider avec une bombe dans le métro ou l'autobus londonien, est une chose préméditée. Ils n'auraient pas pu prévoir que ce jour-là l'atmosphère allait être électrisante, ça ne les a pas influencés. Peut-être qu'à un niveau plus ésotérique ils pressentaient que cette journée-là allait être une journée différente et que c'était le temps d'agir. Ce sont peut-être de ces journées chargées d'énergie que les médiums disent pouvoir accéder plus rapidement que les autres jours sans histoire.

   Si quelque chose de grave survient encore à Londres aujourd'hui, sur une base individuelle ou collective, je me mettrai à croire que je puis maintenant deviner, pressentir un malheur grave. Et la prochaine fois je resterai à la maison lorsque je sentirai soudainement le temps aller plus lentement que la normale.

 

15 Août 2005

 

   Ça fait exactement un mois que je n'ai rien écrit. Rien ne se passe dans ma vie, c'est d'une platitude extraordinaire. Je travaille encore à Westminster, pas encore trouvé un autre emploi pour leur dire que je quitte, et pas encore trouvé le temps de chercher ce nouvel emploi. Ma première conférence a les 40 délégués requis, un mois avant l'événement, pour ne pas être cancellée (Dieu merci !) et ma deuxième conférence s'annonce un grand succès, avec plus de 60 délégués déjà, alors même que nous n'avons pas commencé le marketing et que la conférence est dans plusieurs mois. Ainsi maintenant je puis marcher la tête haute, Sherlock a recommencé à me parler et à me demander des rapports, et Rachelle ne semble plus être en train de comploter pour m'emporter une fois de plus dans le bureau du personnel pour m'offrir cette procédure disciplinaire. Tout est bien qui finit bien.

Maintenant c'est le temps de crisser mon camp. D'autant plus que je ne quitte pas alors que le bateau coule, ça fait du bien pour le moral. Mais mon Dieu, ça a été un enfer. Et pendant presque une année, je croyais vraiment qu'ils avaient mal choisi en m'engageant et que j'aillais leur perdre des milliers de livres, sans compter la réputation de mon directeur qui a décidé de partir ce département de conférences malgré les crises de tous les autres départements. Comme on respire mieux soudainement. Miraculeusement les délégués se sont matérialisés, l'argent commence à entrer, à la fin de la semaine j'aurai fait autant d'argent que nous en avons dépensé, et ce n'est que le début. Non seulement ça, mais c'est tout à fait la naissance d'un nouveau département, avec toutes ses procédures mises en place et son manuel de producteur. Et tous les rapports financiers imaginables pour un tel département. Alors que je me lamentais et que tout allait mal, sans le savoir, le tout prenait forme, et ce nouveau département sera bientôt rempli de petits producteurs de conférences qui feront du 500 % de profit. Triste que je n'y serai plus pour assister à ma création. Mais cette première année a été un tel calvaire que je ne puis imaginer que les flammes de l'enfer soit pire. Ça m'a tellement écoeuré que, maintenant que je pourrais avoir une vie plus facile, je n'ai qu'une envie, partir. Et comme je disais, au moins, je pars la tête haute. Je n'aurai pas besoin de faire sauter cette année de travail de mon curriculum vitae de peur que mes futurs employeurs décident de les contacter et apprennent mes échecs lamentables et mon  incompétence. Et pourtant, la frontière entre le succès et le désastre est tellement mince, ça effraie. Qu'aucun délégué n'ait décidé de s'inscrire à mes conférences est une réalité facile à imaginer. Le succès ou l'échec, c'est très relatif. Et maintenant je puis être fier de moi, alors que ça aurait facilement pu être la dépression absolue. Et en fait je n'avais aucun pouvoir sur le succès ou l'échec de ces événements, c'est pratiquement de la chance si le marketing a fonctionné, et un miracle que l'autre conférence soit un succès sans marketing. Ça tient du miracle.

   J'en suis maintenant à la fin de la journée. Ça a été une journée exténuante. Pourtant, je n'ai rien fait de ce que je devais faire, de ce qui était urgent. Il me faudrait vraiment être capable de dire aux autres : allez chier, j'ai du travail à faire. Sans compter que j'ai passé mon dimanche complet à corriger tous les PDFs du marketing, et que toute la semaine dernière j'ai travaillé une demi-heure de plus et même une heure de plus vendredi soir en heures supplémentaire. Et tout ce que Sherlock avait à dire aujourd'hui, via son assistante, c'était qu'il y avait quelque chose qui clochait, parce que mes rendez-vous chez le médecin sont toujours un lundi ou un vendredi. Est-ce que c'est de ma faute ? Le con m'accuse de mentir. Ce soir il va falloir que je lui ressorte toutes les preuves de ces rendez-vous et tous les numéros de téléphone de mes médecins. Ça m'a fait chier. J'allais faire du supplémentaire au bureau aujourd'hui, et j'allais travailler sur mes conférences ce soir à la maison, mais j'ai décidé que non. Qu'est-ce que ça donne de se défoncer pour des cons qui ne le voient pas et que pensent que tu ne fous rien ? Aussi bien ne rien foutre dans ces cas. Esti que la vie est chiante.

 

17 Août 2005

 

   Extraordinaire comment être très fatigué change toute notre perspective sur notre existence. La patience prend le bord, la tolérance aussi. Je ne puis plus supporter personne, sur la plateforme, dans le train, sur les escaliers roulants, au travail. Hier j'ai demandé la permission de partir une heure à l'avance, on aurait dit que je venais de leur demander un six mois de congé sabbatique payé de douze mois. Rachelle n'a pas jugé être capable de prendre cette décision, elle est allée voir le grand directeur, qui peut-être est allé consulter le PDG à ce propos, je l'ignore. En tout cas, elle est revenue avec un message effrayant qui a zappé encore une fois toute ma motivation à travailler là, et peut-être même aussi mon envie de vivre. Car je ne suis pas heureux de vivre dans ces conditions, il me faut vraiment trouver une porte de sortie, et je me demande si un nouvel emploi va régler le problème, puisque jamais un emploi n'a su régler mon problème.

   Bref, son message d'un ton autoritaire et rude, disait que peu importe les heures supplémentaires que je faisais, cela ne comptait pas, et que c'était un choix personnel. Elle dit que ce n'est pas requis. Mon cul, sans supplémentaire, ces conférences auraient toutes coulées à pic. Ensuite elle disait que de demeurer au travail jusqu'à 5h30 ou 6h le soir était parfois requis et que c'était dans mon contrat. Et finalement que tous mes rendez-vous chez le docteur avaient considérablement affecté le nombre d'heures que j'ai fait. Venant d'elle, ça fait presque ridicule, elle a au moins deux rendez-vous chez le docteur par semaine. Alors ça vient de Sherlock, c'est certain. Elle était assez embarrassée après avoir envoyé ce message, elle croyait sans doute que ça allait me mettre de mauvaise humeur, elle a tenté de faire des blagues, et j'ai joué le jeu pour lui montrer que son message ne m'avait pas affecté.

   Ça fait un mois que je tente d'envoyer ce message à la ministre à propos de son discours à ma conférence, et depuis tout ce temps je n'ai pas trouvé le temps. Ça devient ridicule. Chaque jour il survient un paquet de choses qui m'empêchent de faire quoi que ce soit. Et je ne sais plus quoi faire pour m'en sortir. Je ne m'attends pas à une journée extraordinaire aujourd'hui, mais je m'emmerde tellement que n'importe quelle bonne nouvelle me donnerait un peu plus la foi en cette existence.

 

8 Septembre 2005

 

   Si aujourd'hui je rendais ma démission, je terminerais dans six semaines, exactement un an après avoir commencé. Ma première conférence est dans quelques jours, c'est un flop, à moins d'un miracle de dernière minute. Au moins ma deuxième conférence est déjà un succès et le sera encore plus en novembre lorsqu'elle prendra place. Ma troisième conférence, je dois l'écrire en un temps record, et je n'ai pas le temps avant la fin du mois de Septembre. Ce serait la dernière conférence que je ferais avant de partir, ma dernière mission.

   J'ai désiré ardemment que quelque chose se produise, une offre exceptionnelle, peu importe, dans les limites du possible. Quelque chose qui ressemblerait à gagner à la loterie, et hier ça s'est peut-être produit. Une offre d'emploi de producteur de conférences, encore, mais pas n'importe où, à Los Angeles. Mon Dieu que ça remet tout en perspective.

   Ce serait trop parfait pour une destinée. M'emmerder pendant un an à Westminster, juste le temps d'écrire deux livres, qui sont à mon avis une très belle addition à mon œuvre littéraire. Et soudainement tous mes anniversaires viennent en même temps, comme dit l'expression anglaise. Un emploi qui paie une fortune à Los Angeles. En plein centre du seul endroit sur cette planète où je me disais qu'après Londres serait acceptable. Inutile de dire que je me défoncerais dans cette emploi, je travaillerais nuit et jour, car de toute ma carrière soudainement dépendrait que je puisse demeurer à Los Angeles le plus longtemps possible. Le temps qu'il me faudrait pour rencontrer des gens et travailler dans l'industrie du film. Just watch me go ! Je serais au sommet du 7ième Art en moins de temps qu'il n'en faut pour mettre sur pied un département de conférences. Soudainement toutes les portes me sont ouvertes, il n'y a plus de limites à ce que je puis accomplir et où je puis me rendre.

   Et sans cet emploi au Parlement Square, sans avoir travaillé un an à me morfondre à Westminster, je n'aurais aucune chance d'avoir cet emploi à Los Angeles. Mais maintenant je suis le candidat parfait. Personne d'autre sur la planète n'a autant d'expérience que moi, j'ai travaillé pour toutes les plus grandes compagnies de conférences du monde, et ce, dans toutes les positions possibles, jusqu'à la direction. Dix ans, trouvez-moi quelqu'un avec ce cheminement. S'ils passent à côté de moi, alors qu'ils cherchent à Londres, ils sont fous. Maintenant j'espère qu'ils sont prêts à me payer le déménagement pour moi et mon copain, et m'aideront à trouver un logement. J'espère qu'il ne s'agit pas d'une compagnie de broche à foin, comme celles pour lesquelles j'ai travaillées dans le passé, peu importe si elles sont les plus grandes compagnies du monde dans ce domaine. L'expertise se paie, et j'ai cette expertise. Pour une fois, se serait merveilleux.

   Est-ce que ce livre tire à sa fin ? Serait-ce ici les dernières lignes ? Je l'espère ardemment. J'avais arrêté de croire en la destinée, croyant que je pouvais moi-même influencer mon future. Je pense que je construits mon propre avenir, j'influence ma destinée, mais elle existe encore, elle suit une certaine logique que l'on ne puis comprendre qu'après les événements.

   Je n'en suis encore qu'au début de ma vie, j'ai tout à construire, et Dieu sait que je suis prêt à bâtir la plus grande des destinées. Vous n'avez encore rien vu, rien entendu, rien lu. Je vais exploser sur les grands écrans du monde entier, je serai le meilleur auteur de science fiction que cette planète ait portée et qui ait travaillé à Hollywood. Mon cerveau est en branle bat le combat, mon imagination est en fusion, ça va exploser !

   Adieu Londres, adieu Westminster… sans rancune. Ô Dieu, la fin d'un cauchemar, et le début d'un bon rêve. C’est confirmé, je pars pour Los Angeles.

 

Fin